Vie divine de la très-sainte Vierge Marie - LA TRÈS-SAINTE VIERGE RETOURNE A JÉRUSALEM SES AUTRES VICTOIRES CONTRE LUCIFER.

CHAPITRE XLII.

DERNIER TRIOMPHE DE LA DIVINE MÈRE. ÉTAT OU LE SEIGNEUR L'ÉLEVA.

Le lecteur de cette histoire, sera saisi d'admiration en voyant les grands triomphes de cette pure créature descendante d'Adam contre Lucifer, et il se demandera comment on ne trouve pas même un seul mot dans les saintes écritures de ces incomparables merveilles? Saint Jean, au moins le fils adoptif de la divine mère, qui a vécu, a parlé, a agi, a voyagé avec elle, comment lorsqu'il a écrit, a-t-il passé sous silence les grandes gloires de la divine mère de Dieu! Saint Jean, précisément a parlé dans l'apocalypse de la divine mère, principalement aux chapitres douzième et vingt-unième, mais il l'a fait d'une manière mystérieuse, pour deux raisons. La première, parce que les triomphes de la Vierge sont si sublimes, qu'on ne pourra jamais les comprendre entièrement ni les expliquer; il a écrit en énigmes, afin que le Seigneur les fit connaître dans le temps et de la manière qu'il lui plairait, et la sainte Vierge, comme mère de l'humilité, ordonna qu'il les écrivit ainsi. La seconde, parce que, quoique la révolte de Lucifer ait été de s'être élevé contre la volonté du Tout-Puissant, néanmoins la première a été Jésus-Christ et sa divine mère, dont les anges apostats imitateurs de Lucifer, ne voulurent pas reconnaître l'excellence; et quoique la première bataille avec saint Michel ait été par rapport à cette révolte, néanmoins elle ne se fit pas avec le Verbe incarné, ni sa mère en personne, mais seulement dans cette forme mystérieuse de femme, manifestée dans le ciel avec tous les mystères qu'elle renfermait en elle-même comme mère du Verbe éternel, qui devait prendre dans son sein la forme humaine; il fut donc nécessaire, lorsque le temps fût venu dans lequel ces admirables mystères furent accomplis, que cette bataille contre le Christ et sa divine mère fut renouvelée en personne, afin de triompher par eux-mêmes de Lucifer, suivant la menace déjà faite dans le ciel et ensuite dans le paradis terrestre; elle t'écrasera la tête: ipsa conteret caput tuum, Gen. III. Tout cela fut vérifié à la lettre dans Jésus-Christ et dans sa mère, car l'apôtre a dit du premier, qu'il a été tenté en toutes choses, mais sans péché, Ad. Heb. 4. Tout cela le fut également dans la divine mère; et puisque cette bataille correspondait à la première et qu'elle fut pour les démons l'exécution de la menace annoncée par le moyen de ce signe, c'est pourquoi l'évangéliste l'a écrite a,vec les mêmes paroles énigmatiques.

La tête de l'antique serpent fut écrasée pour finir le combat; et pour commencer le nouvel état que la divine providence voulait accorder en récompense à la grande reine, après ses victoires, son divin fils la prépara par des faveurs si grandes, qu'elles surpassent tout ce que l'intelligence peut comprendre et expliquer. Le Tout-Puissant éleva cette créature élue pour mère de Dieu à un état ineffable, car la sainte Vierge reçut tout ce que l'être divin peut communiquer au-dehors, et renferma en elle une étendue de grâces pour ainsi-dire infinie, de sorte qu'elle forme à elle seule une hiérarchie supérieure à tout le reste des autres créatures bienheureuses. (1) Lucifer n'ayant la permission de faire la guerre que pendant quelque temps, rassembla toutes ses forces et tout son affreux venin, il convoqua les princes des ténèbres et les excita contre leur ennemie, ils la connaissaient déjà pour être celle, qui leur avait été montrée au commencement de la création. L'enfer, se dépeupla pour cette entreprise, et ils attaquèrent tous ensemble la sainte Vierge qui se trouvait seule dans son oratoire. La- première attaque de cet épouvantable assaut se fit principalement dans les sens extérieurs, par un mélange de bruit, de mugissements, de cris et de fracas terrible, comme si la grande machine du monde était entièrement détruite; les uns prirent l'apparence d'anges de lumière, les autres gardèrent leur affreuse laideur et ils figurèrent entre eux une lutte d'une manière épouvantable, dans l'obscurité, pour chercher à lui inspirer le trouble et la terreur; et en effet ils l'auraient inspirés à une créature quelconque, quoique sainte, si elle avait été dans l'ordre commun de la grâce. Mais la reine des vertus resta toujours invincible et inébranlable, elle ne se troubla, ni ne s'émut, et ne changea jamais de visage, quoique le combat durât pendant douze heures entières: ils figuraient de fausses révélations, et des lumières intérieures, ils lui firent des suggestions, des promesses, des menaces, et ils la tentèrent de tous les vices, en toute manière: elle se conduisit d'une manière si glorieuse, fit des actes de vertu si héroïques, et opéra avec un si grand coeur et un si grand amour, que la justice divine demanda hautement en faveur de la triomphante reine de toutes les vertus, que ses ennemis fussent dissipés.

(1) C'est littéralement la célèbre thèse de l'incomparable D. Suaren, qui enseigna que la sainte Vierge avait seule plus de grâce et de mérites que n'en auront jamais toutes les créatures ensemble. Maintenant tous les docteurs partagent cette opinion, il est alors facile de comprendre le culte tout particulier que l'Église rend à Marie, et la confiance qua nous pouvons avoir dans son intercession. - (Note du Traducteur.) Le Verbe incarné descendit du paradis dans l'oratoire comme un juge sur un trône de majesté, entouré d'un nombre infini d'esprits célestes les plus élevés, avec plusieurs patriarches, saint Joachim et sainte Anne glorieux et éclatants de splendeur. A cette vue les démons avec Lucifer voulaient s'enfuir, mais la puissance divine les retint malgré eux, comme enchaînés, et l'extrémité de ces mortelles clames fut mise dans les très-pures mains de la divine mère. Il sortit une voix du trône qui dit: cri ce moment le courroux de-la toute-puissance va s'appesantir sur vous, et une femme descendante d'Adam et d'Ève vous écrasera la tête, et l'antique sentence qui a été prononcée contre vous, dans les cieux et ensuite dans le paradis terrestre, va s'accomplir. Gen. chap. III. v. 5.

La grande reine fut élevée et placée à la droite de son fils, il sortit de la divinité une splendeur qui l'investit, comme si elle avait été le globe du soleil; elle apparut la lune sous les pieds, comme celle qui foulait aux pieds toutes les choses que la lune dominait; un diadème fut placé sur sa tête et une couronne de douze étoiles, symbole des perfections divines qui lui avaient été communiquées dans le degré possible à une pure créature. Elle apparut comme enceinte, indiquant ,par là, qu'elle avait en elle l'être de Dieu et l'amour immense qui correspondait proportionnellement à ce dm1. Elle poussait en outre de doux gémissements comme celle qui avait donné au, monde Jésus-Christ, afin que toutes les créatures le connaissant, entrassent en participation avec lui, mais elles lui opposaient aussi résistance, et elle le désirait, et le procurait par ses larmes et ses soupirs. Ce grand signe est décrit dans l'Apocalypse chap. XII., comme il avait été formé dans l'entendement divin; il fut montré dans le ciel à Lucifer qui était sous la forme du grand dragon roux avec sept têtes, couronnées de sept diadèmes, avec dix cornes, comme auteur des sept péchés capitaux et de toutes les sectes hérétiques; il se présenta-ainsi au combat en présence de la très-sainte Vierge, qui allait mettre au monde le fruit spirituel de l'Église, par lequel elle devait se perpétuer. Le dragon attendait donc qu'elle mit au monde ce fils, pour le dévorer et détruire la nouvelle Église s'il avait pu, et son envie croissant, il s'irrita si grandement qu'il entra en fureur, en voyant cette FEMME si puissante pour établir l'Eglise et l'enrichir par ses mérites et sa protection. Nonobstant la haine et la fureur du dragon, elle mit au monde un enfant mâle qui gouverna toutes les nations avec une verge de fer. Et cet enfant mâle est l'esprit de justice et de force de la même Église, véritable fruit de la Sainte Vierge, et parce qu'elle a enfanté Jésus-Christ, et parce qu'elle a donné la vie à l'Eglise par ses mérites et ses soins, et elle la gouverne, comme elle la maintiendra toujours dans la pureté de la doctrine, contre laquelle l'erreur ne pourra jamais prévaloir. Saint Jean ajoute; que ce fruit fut amené devant le trône de la divinité, et la FEMME se retira dans la solitude, où elle fut nourrie pendant mille deux cent soixante jours; c'est-à-dire que le fruit de la grande femme, soit la sainteté dans l'esprit de l'Église soit dans les âmes en particulier, parvint au trône divin où est le fruit naturel Jésus-Christ, en qui et par qui elle l'a engendré et le nourrit. La divine fière se retira dans la solitude, qui fut l'état sublime où elle seule fut élevée par la grâce, et là le Seigneur l'a nourrit le temps prescrit, qui sont les jours pendant lesquels elle vécut dans cet état, avant de passer à l'autre. (1)

(1) Si l'on lit l'Apocalypse et les commentateurs sur le chap. XII., nous ne pensons pas qu'on y trouve une explication plus élevée de ce livre divin, que celle qui est exposée ici. On sent que l'Esprit de Dieu qui a tenu la plume de l'apôtre a éclairé le commentateur. Nous appelons la réflexion des prêtres et des personnes instruites sur ces pages, si remplies de vérité et de profonde doctrine. Lucifer connut tout ceci avant que la grande FEMME lui fût cachée, et il perdit alors l'espérance dans laquelle son orgueil l'avait nourri pendant plus de quatre mille ans, de pouvoir vaincre cette femme, mère du Verbe incarné. Il entra en fureur en se sentant la tête écrasée par sa grande vertu, et il fut si affaibli, que toute sa force ne lui suffisait pas pour s'éloigner seulement de sa présence, contre sa volonté. Oh! insensés enfants d'Adam, s'écria Lucifer, pourquoi me suivez- vous, et laissez-vous la vie pour rencontrer la mort? Quel est votre aveuglement, lorsque vous avez avec vous, revêtu surtout de la même nature le Verbe éternel et une si puissante femme! Votre ingratitude est certainement plus grande que la mienne; je suis même contraint par cette grande femme de confesser cette vérité. Saint Miche! qui défendit l'honneur du Verbe incarné et de sa mère, commanda et imposa silence à Lucifer devenu furieux, et le Seigneur des armées parla ainsi à la grande reine: Ma mère bien-aimée, qui m'avez si parfaitement imité, vous êtes le digne objet de mon amour infini; vous êtes le soutien, la reine, la souveraine et la maîtresse de mon Eglise, vous possédez le pouvoir que comme Dieu tout-puissant j'ai confié à votre sainte volonté, ordonnez donc au dragon infernal tout ce qu'il vous plaira. Et la souveraine impératrice commanda aux dragons infernaux que tandis qu'elle vivrait sur la terre, ils ne pussent pas répandre dans l'Église le venin de l'hérésie, et qu'aussitôt ils fussent précipités dans l'enfer. Alors on entendit dans le cénacle la voix de l'archange: maintenant s'est établi la force, le sa!ut et le règne de Dieu, et la puissance de son Christ, parce que l'accusateur de nos frères a été précipité du ciel, et a été vaincu par le sang de l'agneau. Apoc. chap. XII. L'archange annonça par ses paroles, que par la vertu des triomphes de Jésus et de Marie, l'Église qui est le règne de Dieu était déjà affermie, et qu'en invoquant dans toute nos batailles contre l'enfer les noms de Jésus et Marie, nous triompherons aussi à coup sûr.

De même que les mystères de la sagesse éternelle infinie s'accomplissaient dans la Vierge mère , elle s'élevait aussi aux plus hauts degrés de la plus sublime sainteté. Elle considérait comme mère de la sagesse éternelle l'orgueil de Lucifer et la destruction de son infernale puissance, et toute humiliée et abîmée dans la profondeur de son néant, elle reconnaissait tout cela comme véritable effet de la rédemption de sort divin fils , et comme elle avait été coadjutrice de la rédemption, il nous est impossible de comprendre les effets admirables que produisait dans son coeur très-pur cette première considération; enfin en réfléchissant elle-même aux oeuvres du Seigneur, la flamme de l'amour divin s'accroissait et devenait un véritable incendie, qui remplissait d'admiration même les bienheureux séraphins, de sorte qu'elle n'aurait pu supporter les élans impétueux, par lesquels elle s'élevait, pour se plonger tout entière dans l'immense océan de la Divinité, si la vie naturelle ne lui eût été conservée par miracle; et elle était également attirée par la même charité de miséricordieuse mère vers les fidèles ses chers enfants, qui étaient sous sa dépendance beaucoup plus que les plantes et les fleurs ne sont sous l'influence du soleil; c'est pourquoi son coeur tout enflammé était continuellement sous un doux et puissant attrait vers Dieu et le prochain. Les deux amours tendaient à s'élever aux plus sublimes degrés, aussi elle désirait se séparer toujours davantage de toutes les choses sensibles, pour s'unir plus parfaitement à la Divinité, sans qu'il s'y mêlât rien de créé, mais l'amour de l'Eglise et des fidèles qu'elle avait enfantés par sa charité, l'entraînait d'un autre côté. Ainsi ces cieux incendies provenant d'un même feu, son coeur très-pur n'était plus qu'un immense brasier du divin amour.

Le divin fils, touché de compassion des excès de l'amour de sa très-pure mère, lui apparut avec une bonté infinie, et lui dit: Mère bien-aimée, j'ai préparé pour vous seule un lieu solitaire, où vous jouirez en paix de la vue de ma Divinité, sans que votre état de viatrice s'y oppose; là vous pourrez prendre librement votre vol, et vous trouverez l'infini que recherche votre amour excessif pour se consumer sans mesure, de là encore vous viendrez au secours de mon Eglise, dont vous êtes la mère, et enrichie de mes trésors, vous les répandrez sur vos enfants. Par cette nouvelle faveur, toutes ses facultés furent purifiées par le feu du sanctuaire, et elle éprouva de nouveaux effets de la Divinité, dès ce moment ses sens ne reçurent plus les impressions des objets extérieurs, si ce n'est celles qui étaient nécessaires pour l'exercice de la charité. Elle avait reçu ce bienfait dès le premier instant de sa conception, mais après son triomphe contre Lucifer, elle l'eut d'une manière ineffable. Ainsi que dans le temple de Jérusalem, on coupait le cou des victimes qui devaient être sacrifiées sur l'autel, qui était hors du sanctuaire, où s'offraient seulement les holocaustes, l'encens et les parfums, qui étaient consumés par le feu sacré, ainsi dans la divine mère, vrai temple du Verbe incarné, s'offraient dans les sens extérieurs, les victimes des vertus, les soins et les sollicitudes de l'Église, et dans le sanctuaire des facultés intérieures s'offrait le parfum de sa contemplation et la vision abstractive de la Divinité. De même que le miroir représente aux yeux du corps tout ce qui est présenté au-devant, et que tous peuvent voir l'objet lui-même sans qu'il soit nécessaire de le regarder, ainsi elle connaissait en Dieu tous les besoins qu'éprouvaient les enfants de l'Église, et ce qu'elle devait faire pour eux, suivant le bon plaisir de Dieu. Le Tout- Puissant excepta seulement les oeuvres que la divine mère devait faire par obéissance à saint Pierre et à saint Jean; elle le demanda elle-même au Seigneur pour donner l'exemple de l'obéissance, afin que ceux qui auraient fait profession de ce voeu, apprissent à ne pas chercher d'autres moyens pour connaître la volonté du Seigneur, lorsque celui qui est supérieur et qui tient la place de Dieu commande. Pour tout ce qui ne regardait pas l'obéissance, qui comprenait aussi l'usage de la sainte communion, l'intelligence de la mère de Dieu ne dépendait en rien des créatures sensibles, ni des images qu'elle pouvait en recevoir par les sens, mais elle était entièrement libre de toutes choses, et dans une entière solitude intérieure, jouissant de la vision abstractive de la Divinité sans interruption, soit en dormant ou en veillant, occupée ou inoccupée, pendant le travail et pendant le repos; bien plus, elle ne discourait point intérieurement, et ne faisait aucun effort pour connaître ce qui était le plus sublime dans la perfection et le plus agréable au Seigneur. Elle connaissait le mystère incompréhensible de la Divinité d'une manière plus excellente que les séraphins du paradis, et elle fut ainsi nourrie dans sa solitude de ce pain de vie éternelle.

Elle connut un jour, qu'une femme de Jérusalem déjà baptisée, avait apostasiée misérablement la foi, trompée par le démon au moyen d'une magicienne sa parente. La grande reine, pleine de zèle, fut très-affligée, et elle dit à saint Jean d'aller avertir cette malheureuse de sa faute énorme, et en même temps la miséricordieuse mère pria le Seigneur avec larmes de ramener au bercail cette pauvre brebis égarée; et quoique la conversion des âmes qui s'éloignent volontairement du droit sentier soit toujours beaucoup plus difficile, que pour celles qui ont commencé une fois à s'avancer, vers vie éternelle, néanmoins l'efficacité de sa prière lui obtint remède. La pauvre femme écouta saint Jean, lui obéit abjura, elle se confessa avec des lai-mes d'un véritable repentir, ensuite la sainte Vierge l'exhorta à la persévérant et à résister au démon; ce qu'elle fit heureusement.

Pour résumer enfin tout ce que nous avons dit dans cours de cette histoire sacrée, par rapport au temps dans lequel la grande reine fut élevée par le Seigneur à cet et sublime, en voici la supputation: Lorsqu'elle alla de Jérusalem à Éphèse, elle était âgée de cinquante-quatre ans, six mois et vingt-six jours, et ce fut le six janvier de la quarantième année de la naissance du Christ. Elle demeura à Éphèse deux ans et demi, et revint à Jérusalem l'an quarante-deux le six juillet; elle était alors âgée de cinquante-six ans et dix mois. Lorsqu'elle fut élevée à cet état si ineffable elle avait cinquante-huit ans, elle resta dans cet état, mille deux cent soixante jours, fixés par saint Jean dans l'apocalypse, au chapitre douzième.

CHAPITRE XLIII.

CE QUE FIT LA DIVINE MÈRE LORSQUE LES SAINTS ÉVANGILES FURENT ÉCRITS.

Lorsque la divine mère descendit la dernière fois du ciel avec l'Eglise dans ses très-pures mains, annoncée dans l'apocalypse par cette cité sainte, nouvelle et céleste qui descendait du ciel, elle apprit de son divin fils qu'il était convenable et nécessaire d'écrire les saints évangiles, afin qu'elle disposât toutes choses comme maîtresse des apôtres; mais elle obtint comme reine de l'humilité, que cela se fit par le moyen de saint Pierre, comme chef de l'Église. Dans le premier concile rapporté par saint Luc dans les actes des apôtres, après avoir résolu les difficultés sur la circoncision et avoir déterminé plusieurs écrits, Saint Pierre annonça qu'il fallait écrire les saints évangiles, après en avoir conféré d'abord avec la divine maîtresse; ils invoquèrent l'Esprit-Saint pour connaître celui de la sainte assemblée qu'il fallait charger de ce soin; le cénacle fut rempli d'une lumière céleste et on entendit une voix qui dit: Que le souverain pontife chef de l'Église désigne quatre personnes, pour écrire les oeuvres et la doctrine du Sauveur du monde. Saint Pierre, le visage contre terre, rendit grâce au Très-Haut avec tous lés autres, le choix fut résolu, il se leva aussitôt et il parla ainsi que Matthieu, Marc, Luc et Jean notre cher frère écrivent les évangiles, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit; et tous répondirent Amen pour confirmer l'élection.

Quelques jours après le choix dont nous venons de parler, saint Matthieu qui était dans le cénacle se retira dans une chambre séparée, résolu de remplir son office d'évangéliste, il se prosterna à terre pour prier le Seigneur de l'assister dans cette oeuvre divine, et voilà que la très-sainte Vierge lui apparut dans la chambre sur un trône de majesté. A cette vue saint Matthieu se prosterna le visage contre terre et demanda à la divine mère la bénédiction et sa protection dans cette entreprise; la divine reine après l'avoir béni et l'avoir fait asseoir, l'assura de l'assistance divine et de ses prières continuelles; elle l'avertit de ne rien écrire d'elle, excepté ce qui serait nécessaire pour faire connaître les mystères du Verbe incarné, et après lui avoir suggéré l'ordre qu'il devait tenir, elle disparut. L'évangéliste commença à écrire son histoire sacrée en langue hébraïque, et il la termina ensuite dans un autre lieu de la Judée. Quatre ans après, c'est-à-dire la quarante-sixième aunée de la naissance du Sauveur, saint Marc se trouvant dans la Palestine, résolu aussi de commencer son évangile, pria son ange gardien de faire savoir à la divine maîtresse sa détermination pour lui obtenir la lumière du ciel, et étant en oraison la grande reine lui apparut sur un trône royal, entourée des anges, il se prosterna en sa présence, grande reine, dit-il, je suis indigne de cette faveur! Le Très-Haut, répondit la divine mère, que vous servez et que vous aimez, m'envoie afin de vous assurer que son divin Esprit vous guidera pour écrire son évangile. Elle, lui recommanda de ne rien écrire à sa louange, l'Esprit-Saint descendit en forme de feu et l'environna, alors rempli du Saint-Esprit il commença son évangile. Lorsque saint Jérôme dit que saint Marc écrivit son évangile à Rome à la demande des fidèles, il faut entendre que n'en ayant, comme il est vrai, aucune copie, il en fit une en langue latine. Deux ans après, saint Luc commença le sien eu langue grecque; la sainte Vierge lui apparut aussi et après avoir conféré avec elle, il écrivit heureusement son évangile en Achaïe. Saint Jean fut le dernier, il l'écrivit en l'an cinquante-huit, en langue grecque, dans l'Asie-Mineure, après la mort de la très-sainte Vierge, car le démon sachant que son ennemie n'était plus dans ce monde, commença à semer des hérésies et des erreurs, et saint Jean fut laissé pour les combattre. Le saint était donc en oraison, réfléchissant de quelle manière il pourrait prouver la divinité du rédempteur, lorsqu'il vit la sainte Vierge descendre du ciel avec une gloire et une majesté ineffable, accompagnée d'un nombre infini d'esprits bienheureux et elle dit: Jean, mon fils et serviteur du Très-Haut, c'est le temps convenable de faire connaître au monde la Divinité de mon fils, pour les secrets mystérieux que vous avez connus de ma personne, il n'est pas encore opportun de les manifester au monde, de crainte que Lucifer n'en prit occasion de troubler les fidèles enclins à l'idolâtrie; l'Esprit-Saint vous assistera et je veux que vous commenciez à écrire en ma présence. Saint Jean vénéra la grande reine du ciel et rempli de l'Esprit-Saint, il commença son évangile assisté de la divine mère; elle l'assura ensuite de sa continuelle protection, et après l'avoir béni, elle retourna au ciel. Ainsi la grande reine, comme mère de l'Eglise, coopéra au grand travail des évangiles, et les fidèles doivent reconnaître avoir reçu ces ineffables bienfaits de la divine mère.

Pour continuer donc notre histoire, de même que la sainte Église se dilatait de plus en plus, ainsi la sollicitude de la grande maîtresse s'accroissait. Saint Jacques le mineur et saint Jean étaient restés seuls à Jérusalem et tous les apôtres s'étaient dispersés dans le monde, mais la miséricordieuse mère les portait tous dans son coeur, elle compatissait à leurs travaux et à leurs souffrances, elle priait aussi le Seigneur pour eux et répandait des lai-mes continuelles pour ses chers enfants. Mais ce qui est encore plus admirable dans la divine mère, c'est qu'au milieu de ses grandes sollicitudes pour l'Église universelle elle ne perdait jamais la paix ni la tranquillité; elle recommandait encore à ses anges d'assister les apôtres dans leurs besoins, de les secourir et de prendre soin aussi des disciples. Elle voulut encore se charger comme mère vigilante des vêtements des apôtres désirant qu'ils allassent lotis conformes à son divin fils, aussi lorsque les habits venaient à manquer, elle y pourvoyait; elle filait dans ce but incessamment, elle tissait et cousait les tuniques de ses propres mains, les anges lui venaient en aide et ils apportaient les habits préparés aux apôtres là où ils se trouvaient. Elle prenait soin de tous comme une tendre mère, de sorte qu'il n'est possible de rapporter en particulier les pensées, la sollicitude, l'activité de cette miséricordieuse mère, car elle ne passait pas un seul jour sans penser à ces chers missionnaires. Elle leur apparaissait même souvent en personne, lorsqu'ils l'invoquaient dans quelque embarras. Saint Pierre était venu à Antioche pour y établir son siège, pour surmonter les difficultés qui lui survinrent, le vicaire du Christ se trouva plusieurs fois dans la peine et dans l'affliction, alors il invoqua la divine mère et aussitôt elle vint miraculeusement sur un trône de lumière, lorsque saint Pierre la vit si resplendissante de clarté, il se prosterna à terre, la vénéra et lui rendit grâce de ce grand honneur; il lui dit en versant des larmes: Et d'où me vient à moi pécheur, que la mère de mon Seigneur vienne me consoler. La grande reine de l'humilité descendit de son trône et diminua ses splendeurs, elle se mit à genoux devant le chef de l'Eglise et lui demanda la bénédiction comme viatrice. L'apôtre le fit avec une grande crainte et en versant des larmes d'attendrissement, à la vue de la grande humilité de la mère de Dieu et de la reine souveraine de l'univers. Ensuite il la consulta sur les affaires les plus difficiles qui se présentaient, en particulier sur la célébration de différentes fêtes , l'institution de divers rits, et des dignités qu'il fallait établir dans l'Église, le prince des apôtres en reçut de grandes lumières et en fut tout consolé; la Vierge mère fut rapportée par les anges dans son oratoire de Jérusalem. Lorsque saint Pierre vint ensuite à Rome pour y transférer le saint siége apostolique comme Notre-Seigneur le lui avait ordonné, il se trouva aussi dans la peine, et la divine mère lui apparut de nouveau, et il fut alors résolu qu'on célébrerait la fête de la naissance de Notre-Seigneur, le carême, la mémoire de la passion et l'institution du divin sacrement de l'autel.

Dans une autre occasion, saint Pierre étant encore à Rome, il s'éleva une terrible persécution contre les chrétiens, et toute l'Église romaine était dans l'affliction, l'apôtre eut recours à la mère de la piété et il envoya son ange gardien apporter la nouvelle de cette tribulation à la divine mère. A cette nouvelle la mère de la sagesse commanda à ses anges de transporter à Jérusalem le vicaire de Jésus-Christ, les anges exécutèrent aussitôt le commandement et le transportèrent en présence de leur reine. Il est impossible d'exprimer l'ardente affection de saint Pierre , et ses diverses actions de grâces à la grande reine pour ce bienfait si singulier. L'apôtre enflammé d'amour, à genoux, baisait la terre qu'elle avait foulée de ses pieds divins, la mère de l'humilité le pria de se relever, ce qu'il fit, elle se prosterna le visage contre terre et le pria de la bénir, en disant: Mon Seigneur, donnez votre bénédiction , comme vicaire de mon Dieu, mon fils, à votre servante. Saint Pierre obéit et rendit grâce au Très-Haut de toutes ces célestes consolations. Alors l'apôtre lui raconta les tribulations des fidèles de Borne, elle le fortifia avec bonté, le consola, l'éclaira et lui donna de sages avis pour se conduire dans cette occasion; elle lui demanda de nouveau la bénédiction et elle ordonna aux anges de le rapporter à Rome. La sainte Vierge resta à genoux les bras étendus en forme de croix, et demanda au Seigneur l'assistance pour saint Pierre et la grâce pour les fidèles dans cette persécution; aussi saint Pierre à son retour trouva les choses tranquilles et en paix. Il est impossible de raconter tout ce que la divine mère fit, pendant les années qu'elle survécut à son divin fils, pour les fidèles et pour l'Église.

CHAPITRE XLIV.

EXERCICES DE DÉVOTION DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE, ET PRÉPARATION A LA SAINTE COMMUNION.

Parmi les innombrables faveurs qu'avait reçues la divine mère, elle eut celle, et elle l'eut dès- le premier instant de sa conception, de ne jamais rien oublier en aucune manière, de ce qu'elle avait une fois connu ou appris, jouissant ainsi par privilège de ce que les anges possèdent par nature. Toutes les images et les espèces de la passion de son fils restèrent vivement gravées dans son intérieur, de la même manière qu'elle les reçut, et dans ces dernières années qu'elle eut la grâce d'une continuelle vision abstractive, elle en jouissait miraculeusement , et elle souffrait de la mémoire de la passion du fils , et désirait toujours être crucifiée avec le Christ. Tantôt elle considérait pendant plusieurs heures dans son oratoire la passion de son fils bien-aimé, tantôt elle visitait les saints lieux où il avait souffert, en versant toujours des larmes de douleur. Elle régla avec saint Jean, que chaque vendredi de l'année elle célèbrerait la mort de son fils, de sorte que ce jour elle ne sortait pas de son oratoire, et l'apôtre restait dans le cénacle pour répondre aux personnes pieuses et, dévotes qui voulaient la voir et la visiter, et lorsque l'apôtre était absent, un autre disciple restait à sa place. La grande reine se retirait pour ce saint exercice le soir du vendredi, deux heures avant la nuit, et ne sortait plus jusqu'au dimanche: et s'il survenait une nécessité pressante de venir elle-nième en personne, elle envoyait- un ange sous sa forme, tant elle était attentive et prévoyante pour tout ce qui regardait la charité envers ses chers fidèles, qu'elle estimait et aimait comme des enfants bien-aimés. Elle portait toujours avec elle une croix, et pendant ce temps elle se plaçait sur une autre plus grande, ainsi pendant qu'elle vécut elle renouvela en elle-même la passion de son fils, et par ses saints exercices elle obtint du Seigneur de grands bienfaits et des grâces pour tous ceux qui seraient dévots à la divine passion, et comme reine toute-puissante, elle pi-omit de leur accorder des grâces ineffables, dans le désir que ce souvenir se conservât dans la sainte Église.

Elle célébrait l'institution de l'auguste sacrement de l'eucharistie et faisait de nouveaux cantiques de louanges, des actes ardents d'amour et d'action de grâce; elle invitait ses anges gardiens et les anges du ciel à l'accompagner dans-ses vives actions de grâces, et comme elle possédait dans son coeur très-pur Jésus sous les espèces sacramentelles, elle excitait ces esprits bienheureux à admirer ce prodige , et les priait d'en rendre au Seigneur louange, gloire et honneur. Les anges étaient confondus d'étonnement et stupéfaits de voir dans une pure créature une si incomparable charité, une sainteté si élevée, et une humilité si profonde. Leur étonnement redoublait en la voyant se préparer à la communion suivante: En premier lieu, elle offrait à cette fin l'exercice de la passion, de chaque semaine, aussitôt après les exercices de la passion lorsqu'elle se retirait le soir qui précédait le jour de la communion, elle commençait de nouveaux exercices de prosternations, et se mettait par terre en forme de croix, ensuite elle se levait et continuait ses génuflexions pour adorer l'être immuable de Dieu, elle demandait au Seigneur la permission de lui parler, et le suppliait que , sans considérer sa bassesse naturelle, il lui accordât la sainte communion , elle lui offrait la passion de son fils , la mort, l'union hypostatique et toutes les oeuvres et les mérites du Christ, elle lui offrait la pureté et la sainteté de toutes les hiérarchies angéliques, ainsi que toutes leurs oeuvres, celles de tous les justes et de toute l'Église, présentes et futures. Après cela e-lie faisait des actes de très-profonde humilité, en considérant qu'elle n'était que poussière et d'une nature de boue, qui est inférieure à l'infini, à l'être divin; et dans la considération de ce qu'elle était et de ce qu'était Dieu, qu'elle allait le recevoir sous les espèces sacramentelles, elle se répandait en affections si sublimes, qu'elle surpassait même tous les séraphins. Mais comme elle s'estimait la dernière de toutes les créatures, avec un sentiment de très- profonde humilité, elle invitait-les anges à demander au Seigneur et à le prier de la préparer et de la disposer pour le recevoir dignement, car elle était une créature qui leur était inférieure. Les anges lui obéissaient avec admiration et avec joie, et l'accompagnaient dans les prières où elle employait la plus grande partie de la nuit qui précédai-t la sainte communion. Lorsque l'heure de faire la sainte communion était venue, elle entendait d'abord à genoux, avec une modestie incomparable, la sainte messe que saint Jean célébrait, en récitant des hymnes, des psaumes et d'autres prières, car le prêtre ne pouvait pas alors lire les épîtres et les évangiles qui n'étaient encore écrits; la consécration fut toujours la même. A la fin de la messe elle se préparait à communier, elle faisait trois prostrations profondes, et toute brûlante et enflammée elle recevait sous les espèces sacramentelles ce même fils, à qui elle avait donné la sainte humanité dans son sein virginal. Ensuite elle se retirait et continuait son recueillement et son action de grâce pendant trois heures, saint Jean eut le bonheur de la voir plusieurs fois dans ce moment revêtue de splendeur et plus rayonnante de lumière que le soleil.

Reconnaissant comme mère de la sagesse avec quelle ineffable décence le sacrifice non sanglant devait se célébrer, elle tissa et cousut de ses propres mains les habits sacerdotaux et les ornements pour célébrer la sainte messe, et la première elle introduisit la sainte coutume de célébrer avec des ornements de diverses couleurs. Elle recevait des aumônes et des dons dans ce but, elle travaillait elle-même, tantôt à genoux, tantôt debout, aussi les habits sacrés conservaient un parfum céleste qui enflammait le coeur des ministres. Il venait d'un grand nombre de provinces où prêchaient les apôtres, divers personnages de distinction déjà convertis, pour voir et vénérer la divine mère, et après avoir vu ce modèle de toutes les Vertus, ils lui offraient des sommes considérables pour son usage et pour le soulagement des pauvres, mais la grande reine répondait qu'elle faisait profession de pauvreté comme son divin fils, et que tous les disciples se conformaient à leur divin maître. Ils lui répondaient en versant des larmes de les distribuer aux pauvres et de les appliquer au culte divin, et la miséricordieuse mère pour les consoler acceptait quelque chose de ce qu'on lui offrait avec tant d'instances, comme des toiles fines ou des ornements précieux , qu'elle préparait ensuite et faisait servir au culte divin, pour ornements des prêtres et pour parures des autels; elle distribuait le reste aux pauvres et aux maisons où ils étaient réunis, qu'elle Visitait elle-même et où elle les servait de ses propres mains, elle donnait aux pauvres les aumônes qu'elle avait reçues, et elle le faisait à genoux, parce qu'elle voyait dans ces pauvres son divin fils, retirée ensuite dans son oratoire elle les recommandait au Seigneur. Elle donnait à tous ces bienfaiteurs des lumières et des conseils de vie éternelle, les enflammait d'ardeur pour suivre Jésus- Christ, et elle agissait ainsi avec tous indifféremment et sans exception; mais la merveille la plus grande était l'étonnement des étrangers qui la voyaient pour la première fois, fidèles, païens ou juifs, tous étaient ravis d'admiration en contemplant sa majesté, sa grâce, son humilité et sa charité plus qu'humaine, et tous attendris ils confessaient et disaient: Celle-ci est véritablement la mère de Dieu, et ils embrassaient la sainte foi par la force qu'ils ressentaient intérieurement. Dans leurs rapports avec elle, ils expérimentaient ensuite qu'elle était le vrai canal des grâces divines; ses paroles, remplies d'une profonde sagesse , portaient la conviction dans toutes les intelligences et, communiquaient des lumières de vie éternelle, de même aussi par la grâce infinie et la beauté ineffable de son visage et sa douce majesté, elle attirait tous les coeurs et les amenait à une vie parfaite; les uns en étaient saisis d'étonnement, les autres fondaient en larmes, et d'autres en parlaient avec admiration ne cessant de l'exalter par des louanges , ils confessaient le Christ pour vrai Dieu, puisque sa mère était si incomparablement belle, aimable, humble et sainte.

La grande reine, dans ces derniers temps, ne mangeait presque pas et dormait très-peu, elle le faisait même pour obéir à saint Jean, qui la priait de se retirer la nuit, pour prendre un peu de repos. Son sommeil était d'une demi-heure, au plus d'une heure entière, niais jamais elle ne perdait la vue de Dieu, et son coeur ne cessait de veiller, elle s'humiliait, se résignait et aimait avec ardeur. Sa nourriture ordinaire consistait dans quelques bouchées de pain et quelque fois, sur les instances de saint Jean, elle y ajoutait un peu de poisson pour lui tenir compagnie , car le saint fut très-favorisé comme son Dieu, en ceci, qu'il mangeait à la même pauvre table, et sa nourriture lui était préparée par la grande reine, qui le servait comme une mère sert son fils, de plus elle lui obéissait comme prêtre et comme tenant la place du Christ, Quoique la divine mère eût pu vivre sans cette légère nourriture, et ce peu de sommeil (1) elle le prenait néanmoins, non par nécessité, mais pour pratiquer l'obéissance envers l'apôtre, et par humilité, pour payer en quelque manière la dette de la nature humaine, car elle était la prudence même. Elle employait tout le reste du temps à des exercices de charité envers Dieu et envers le prochain.

(1) On lit dans la vie de plusieurs saints, qu'ils ont passé quarante jours sans manger ni dormir. De nos jours même, la Vierge stigmatisée du Tyrol n'a pris aucune nourriture pendant vingt ans, pas même une goutte d'eau, voir les relations de M. E. de Cazalès et autres. Dans le ciel ne vivrons-nous pas sans manger ni dormir. C'était la quarante-cinquième année de la naissance du Seigneur, et la Vierge-Mère avait soixante ans, deux mois et quelques jours; elle n'avait plus que peu de temps à vivre, comme viatrice, aussi comme la pierre par le mouvement naturel qui l'attire vers le centre de la terre, acquiert toujours une rapidité d'autant plus grande, qu'elle s'en rapproche davantage, de même en approchant du terme de sa vie si glorieuse, les élans de l'esprit si pur de la divine mère étaient d'autant plus rapides et les désirs amoureux de son coeur d'autant plus impétueux, pour atteindre le centre de son éteRnel repos. Dès le premier instant de sa conception elle fut comme un fleuve débordé sorti de l'immense océan de la Divinité, dans l'entendement de laquelle elle avait été formée dès l'éternité; elle vint ensuite au monde avec une effusion incroyable de dons, faveurs, grâces, privilèges, vertus, mérites et sainteté, et elle grandit de telle sorte en tout, que la sphère de toutes les créatures devint trop étroite, aussi par le mouvement incompréhensible de son ineffable charité, elle se hâtait de s'unir à la mer dont elle était sortie, pour rentrer dans son sein, et pouvoir ensuite de nouveau par sa maternelle piété inonder l'Église. La grande reine vivait dans ces dernières années par la douce violence de l'amour, dans une espèce de martyre continuel de charité. Son très-saint fils descendit du ciel sur un trône de gloire entouré de milliers d'anges, pour la visiter, et s'approchant de sa divine mère, il la renouvela et la fortifia dans ses langueurs d'amour, en lui disant: Ma mère et ma colombe, venez avec moi à la patrie céleste, où vos larmes se changeront en allégresse, et où vous vous reposerez, délivrée de toute peine. Les anges placèrent aussitôt leur reine sur le trône à côté de son fils, et ils montèrent tous au ciel au milieu de célestes mélodies. Elle adora la très-sainte Trinité, son fils bien- aimé la retint toujours à ses côtés, ce qui causa une nouvelle joie à toute la cour céleste, et le Verbe incarné parla ainsi à son père éternel: Père éternel, cette Vierge est celle, comme vous le savez, qui m'a donné dans son sein très-pur la forme humaine, qui m'a nourri de son lait, m'a entretenu par ses fatigues, m'a accompagné dans mes travaux et nies souffrances, qui toujours fidèle n coopéré avec moi à la rédemption des hommes, et a exécuté en tout votre sainte volonté. Elle est toute pure et exempte de toute tache de péché; par ses saintes oeuvres et ses héroïques vertus elle est parvenue au comble de la plus sublime sainteté. En outre des dons communiqués par notre puissance infinie, lorsqu'elle est parvenue à la récompense qu'elle avait méritée, et pouvant en jouir en liberté, elle s'en est privée pour notre seule gloire, et elle est revenue à l'Église militante pour l'instruire et la gouverner, se confiant sur l'équité de notre divine providence; il est temps qu'elle soit récompensée comme reine de toutes les choses créées. Le Père éternel répondit: Mon divin fils, chef de tous les élus, tous mes trésors et toutes choses sont déposés dans vos mains, rendez-en participante notre bien-aimée, suivant sa dignité, et pour notre gloire. Sur ces paroles le divin fils annonça en présence de tout le paradis, et en le promettant à sa mère, que chaque dimanche après ses saints exercices, elle serait apportée par les anges dans le ciel, afin de célébrer, en présence du Très-Haut en corps et en âme le grand mystère de la résurrection. Le Seigneur voulut aussi que dans la sainte communion qu'elle faisait chaque matin, la sainte humanité lui apparût unie à la Divinité dans la personne divine, d'une manière admirable et plus élevée qu'elle n'avait été par le passé. Ensuite il se tourna vers sa chère mère et lui dit: Mère bien-aimée, je serai toujours avec vous pendant le temps qui vous reste de votre vie mortelle, et d'une manière particulière incompréhensible aux anges mêmes, ainsi je serai la récompense de votre exil.

Au milieu de ses ineffables faveurs, la sainte Vierge se retirait dans le plus profond de son néant, elle louait, exaltait le Tout-Puissant et lui rendait grâces, elle se concentrait dans le bas sentiment qu'elle avait de son être, elle s'humiliait et s'abaissait dans le même temps qu'elle recevait l'exaltation, dont elle se rendait ainsi digne. Elle fut encore plus grandement illuminée et renouvelée dans ses facultés, pour être préparée à la claire vision intuitive, le voile fut ouvert aussitôt, et elle vit l'essence infinie de Dieu, et posséda pendant quelques heures plus que tous les saints le bonheur et la gloire du ciel, buvant ainsi les eaux de la vie à la source-même, elle rassasiait ses désirs enflammés, et arrivée alors à son centre, sa violence d'amour s'apaisait, pour venir de nouveau communiquer la grâce. Après cette faveur ineffable, elle fit des actions de grâces indicibles à la très-sainte Trinité, elle pria de nouveau avec de vives instances pour l'Eglise, et elle fut rapportée dans son oratoire; là, elle se prosterna le visage contre terre selon sa coutume, et s'humilia après cette faveur plus que tous les enfants d'Adam ne s'humilieront jamais. Dès ce jour, pendant tout le temps qu'elle vécut, elle fut transportée chaque dimanche au ciel, le Christ son fils venait la recevoir, et elle était plongée dans un océan de bonheur, alors les anges chantaient: regina caeli, laetare, alleluia: elle consultait ensuite sur les affaires les plus difficiles de l'Église, elle intercédait pour tous les fidèles et en particulier pour ses chers apôtres et disciples, et revenait sur la terre chargée comme ce riche vaisseau dont parle Salomon, Prov. XXXI. Cette grâce spéciale lui fut justement accordée , parce qu'elle s'était privée de la gloire béatifique, lorsqu'elle fut conduite au ciel le jour de l'ascension de son fils, pour s'appliquer au gouvernement de l'Église. Dans sa sollicitude, la violence dé son amour lui enlevait toutes les forces, aussi pour lui conserver la vie, il était convenable qu'elle fût transportée au ciel pour recevoir une nouvelle force, afin qu'elle continuât le gouvernement de l'Eglise et souffrit les excès de son amour, et encore aussi parce que renouvelant en elle-même chaque semaine toute la passion de son fils, elle la ressentait rie telle sorte, qu'elle mourait pour ainsi dire de nouveau avec son fils, et par conséquent elle devait ressusciter avec lui. (1)

(1) Nous rappellerons à ceux qui trouveraient trop extraordinaire ce qui est raconté dans ce chapitre, de méditer un peu sur les miracles de la sainte messe, qui se dit tous les jours en tous lieux. Un bomme, qui transubstantie du pain et du vin, au corps, au sang, âme et divinité de Notre-Seigneur. La matière du pain et du vin qui est anéantie, les attributs qui subsistent sans la substance. Jésus qui se donne invisiblement à tous, et le reste. Après une courte réflexion, on verra que ce que nous croyons, que Jésus a fait et fait tous les jours pour nous, n'est pas moins merveilleux, que ce qu'il a voulu faire pour sa mère, d'après notre vie divine. Pourquoi prescrire des bornes à l'amour de Dieu.

Vie divine de la très-sainte Vierge Marie - LA TRÈS-SAINTE VIERGE RETOURNE A JÉRUSALEM SES AUTRES VICTOIRES CONTRE LUCIFER.