Vie divine de la très-sainte Vierge Marie
Avant de commencer à écrire la vie admirable de la divine Mère de Dieu, il est nécessaire de faire connaître le rang sublime qu'elle eut de toute éternité dans l'entendement divin. Quoique l'intelligence divine une, indivisible et très simple, conçoive dans un acte infiniment simple, n'y ayant pour elle ni temps passé, ni futur; néanmoins selon notre manière de comprendre nous distinguons comme différents moments. I. Dieu dans les profondeurs de l'éternité connaît ses attributs, ses perfections avec une inclination infinie à se communiquer au dehors, comme souverain bien infini. II. Il décrète de faire cette communication de lui-même au dehors par la participation et la manifestation de ses grandeurs. III. Il détermine l'ordre, la manière et la disposition de cette communication, décrétant que le Verbe divin se rendrait visible dans la sainte humanité. IV. Il décréta les dons et les grâces qu'il devait donner à l'humanité divinisée du Christ, chef de toutes les créatures. Alors réglant l'économie parfaite de l'Incarnation, il y comprit la Vierge Mère avant tout autre décret concernant la création des autres créatures. Dieu encore détermina de. créer un lieu où le Verbe incarné put habiter avec sa divine Mère; et premièrement pour eux seuls .il décréta de créer le ciel et la terre, avec les astres, les éléments et tout ce qu'ils contiennent, et secondairement pour les hommes qui devaient être les vassaux de ce grand roi et de cette grande reine. V. Il décréta la création de la nature angélique pour être en présence de la Majesté divine pour l'honorer et l'aimer: elle devait servir aussi le Verbe Éternel fait homme et sa très sainte mère leur reine. A ce moment appartient la création du ciel empyrée, pour que la gloire de Dieu s'y dévoile et que les bons y soient récompensés, ainsi que la prédestination des bons anges et la réprobation des mauvais; la création de la terre pour les autres créatures et de l'enfer dans son centre pour le châtiment des esprits rebelles. VI. Il décréta de créer un peuple et une société d'hommes semblables au Christ et ses frères. Dieu ordonna les faveurs et les grâces qu'il devait donner à ce peuple par les mérites du Christ, et la justice originelle de l'homme s'il y voulait persévérer. Il prévit la prévarication et la chute d'Adam, et en lui celle de tous ses descendants, à l'exception de la divine mère, qui ne fut pas comprise dans ce décret postérieur. Il décréta que ce malheur serait réparé et que l'humanité du Christ serait passible.
Pour l'exécution de ces décrets dans le temps, Dieu créa le ciel et la terre, et la lumière non seulement matérielle, mais aussi intellectuelle, c'est-à-dire les anges et à la division de la lumière des ténèbres arriva la séparation des bons et des mauvais esprits. Les anges demeurèrent quelque temps dans l'état d'épreuve qu'on peut diviser en trois instants: au premier ils furent créés et ornés des dons de la nature et de la grâce; au second, la volonté de leur créateur leur fut proposée, pour la suivre, et obtenir la fin pour laquelle ils avaient été créés. Il leur donna de très vives lumières sur le bien et le mal, les récompenses et les châtiments éternels. Les uns furent obéissants les autres rebelles; les bons furent confirmés en grâce et récompensés de la gloire éternelle; les obstinés furent châtiés et précipités dans l'enfer pour y être éternellement tourmentés. Le motif de cette rébellion et de cette disgrâce fut que les anges ayant eu une très claire connaissance de l'être divin avec l'unité d'essence et la trinité des personnes, ils reçurent commandement d'adorer Dieu comme leur créateur. Ils obéirent tous à ce précepte, mais avec quelque distinction. Lucifer se soumit parce qu'il crut impossible de faire le contraire; mais il ne le fit pas avec une parfaite charité, et bien que cette lâcheté à opérer ces premiers actes ne le privât point de la grâce, sa mauvaise disposition vint de là, car ses vertus et son esprit en furent affaiblis. Dieu leur manifesta qu'il devait créer une nature humaine, et que la seconde personne de la très sainte Trinité devait s'incarner et élever la nature humaine à l'union hypostatique; ils reçurent le commandement d'adorer cet homme-Dieu et de le reconnaître pour chef de toutes les créatures. Lucifer résista à cet ordre et provoqua ses adhérents à faire de même, il leur persuada qu'il serait leur chef et qu'il constituerait un royaume indépendant du Christ. Mais sa méchanceté s'accrut lorsqu'il lui fut proposé de reconnaître comme reine et souveraine, une vierge, mère du Christ, qui devait être enrichie des dons de grâce et de gloire, de manière à surpasser toutes les autres créatures angéliques et humaines. Il résista par d'horribles blasphèmes et condamna ces décrets divins comme injustes et injurieux à sa grandeur. Cette superbe présomption irrita si fort le Seigneur, qu'il annonça au serpent dans le paradis terrestre qu'Elle (Marie) lui écraserait la tête, ipsa conteret caput tuum.
Après avoir précipité du ciel les anges rebelles et Lucifer leur chef, Dieu créa les autres créatures sur le modèle du. Christ et de la vierge mère comme leurs divins exemplaires; mais surtout il forma Adam et Eve en tout semblables à ces divins originaux. Il leur donna le mouvement et une entière-perfection, enfin il les bénit en considération de leur parfaite ressemblance avec leurs modèles. Le Seigneur cacha à Lucifer la création d'Adam et d'Eve pendant une partie du temps qu'ils vécurent ensemble. Dieu agit ainsi pour jeter le démon dans le doute, si Eve était celle qui devait lui écraser la tête, et Adam le Verbe incarné. La rage de cet implacable ennemi commença à dresser des embûches;. ayant réussi à perdre la femme et par son moyen l'homme, il en triompha orgueilleusement avec ses démons. Mais sa satisfaction ne fut pas de longue durée, parce qu'il vit combien Dieu s'était montré miséricordieux à l'égard des criminels et qu'il leur rendrait sa grâce et son amitié par le moyen de la pénitence; et ce lui fut un nouveau tourment d'ouïr la menace qu'une femme lui écraserait la tête.
Le genre humain se multiplia par la bénédiction divine,. et le Seigneur se choisit un peuple élu, et dans ce peuple une lignée illustre et sainte, de laquelle il devait descendre selon la chair. Il fit des faveurs signalées à ce peuple, et lui révéla des mystères profonds: il suscita de saints patriarches et prophètes, qui devaient lui montrer en figure le Verbe incarné et lui annoncer de loin sa venue si désirée. Enfin le temps marqué approchant , Dieu envoya au monde deux flambeaux très éclatants, qui annonçaient la prochaine aurore du soleil de justice Jésus, notre Sauveur. Ces deux flambeaux furent saint Joachim et sainte Anne, que la volonté divine avait préparés et créés afin qu'il fussent les parents de la vierge mère de Dieu. Joachim avait sa maison avec ses parents et amis à Nazareth, petite ville de Galilée. C'était un homme juste et saint, éclairé d'une lumière spéciale qui lui faisait connaître les mystères des saintes écritures et le sens des prophéties. Sainte Anne avait sa maison à Bethléem; elle était chaste, humble et belle; elle avait aussi de grandes illustrations sur les sens profonds des divines prophéties. L'archange Gabriel fut envoyé en forme corporelle à sainte Anne, pour lui ordonner de prendre Joachim pour époux. Il alla peu après vers Joachim et l'avertit en songe de prendre sainte Anne pour épouse. Le saint mariage s'accomplit sans que l'un découvrit à l'autre son secret. Les deux saints époux habitèrent à Nazareth, et suivirent les voies du Seigneur, donnant la plénitude des vertus à toutes leurs oeuvres. Ils faisaient tous les ans trois portions de leur revenu; ils offraient la première au temple , ils distribuaient la seconde aux pauvres , et destinaient l'autre pour l'honnête entretien de la famille. Les saints époux passèrent vingt ans sans avoir aucun enfant, ce qui était réputé comme une honte; c'est pourquoi ils essuyèrent de leurs voisins plusieurs opprobres, parce qu'on croyait que ceux qui n'avaient pas d'enfants n'auraient aucune part au futur Messie. Ils étaient même injuriés par les prêtres comme des êtres inutiles et Joachim étant allé au temple pour prier, un prêtre appelé Issachar, le renvoya parce qu'il offrait étant stérile, et dès lors indigne d'offrir des sacrifices. Le saint homme se retira tout affligé; il s'en alla à une maison de campagne, priant le Seigneur avec larmes de lui donner un enfant, et il fit voeu de le lui consacrer dans son temple. L'ange du Seigneur apparut à sainte Anne, et lui déclara, qu'il serait agréable à la divine Majesté qu'elle demandât une postérité. La sainte fit ce qui, lui était dit et promit à Dieu de lui consacrer le fruit qu'il daignerait lui accorder. Les demandes de saint Joachim et de sainte Anne arrivèrent en présence du trône de la divine Majesté. L'archange Gabriel fut envoyé à saint Joachim: le Très-Haut, lui dit-il, a exaucé tes prières , et Anne ton épouse concevra et enfantera une fille qui sera bénie entre toutes les femmes, et que les nations reconnaîtront pour bienheureuse; le Seigneur veut que dès son enfance, elle lui soit consacrée dans le temple. En même temps sainte Anne était élevée dans une contemplation très-sublime, et toute absorbée dans le mystère de l'incarnation, elle priait avec ferveur le Seigneur de la rendre digne de voir et de servir' cette femme si heureuse et si favorisée qui devait être la mère du Messie attendu. Ce fut alors que le saint archange Gabriel se présenta à elle, lui annonçant que Dieu la choisissait pour être la mère de la très sainte mère de son divin fils. Toute remplie d'une surprise et d'une joie inexprimable, elle alla au temple remercier le Seigneur et lui rendre de dignes actions de grâces. Elle rencontra saint Joachim et lui manifesta les promesses de l'archange, sur quoi ils allèrent tous deux au temple renouveler leurs voeux et rendre de vives actions de grâces à l'auteur de ces merveilles. Ils s'en retournèrent à la maison, s'entretenant entr'eux des faveurs signalées qu'ils avaient reçues du Très-Haut, et ils se communiquèrent à cette occasion la première Visite de l'ange ainsi que l'ordre qu'ils avaient reçu de se marier ensemble et dont ils n'avaient jamais parlé. La prudente sainte Anne ne découvrit point à son époux que l'enfant promise dût être la mère du Messie, car l'archange le lui avait défendu.
La plénitude des temps étant arrivée, les trois personnes divines, suivant notre faible manière de concevoir, dirent entre-elles: « Il est temps que nous commencions l'ouvrage de notre bon plaisir, et que nous créions cette pure créature qui nous est chère sur toutes les autres: il faut qu'elle soit exempte de la loi ordinaire de la génération de tous les mortels, afin que la semence du serpent infernal n'ait aucune part en elle. Il est juste que la divinité choisisse pour s'en revêtir une matière très-pure et qui n'ait jamais été souillée parle péché; notre équité et notre providence demandent ce qui est le plus décent, le plus parfait, et le plus saint; et cela s'exécutera parce qu'il n'est rien qui puisse résister à notre volonté. Le verbe qui doit se faire homme et servir de maître aux hommes, leur enseignera avec plus d'efficacité à honorer leurs parents, en donnant le premier l'exemple, d'honorer celle qu'il n choisie pour sa mère; entre les honneurs qu'il lui rendra, le premier sera la grâce de ne jamais être assujettie à ses ennemis. Puisqu'il doit être le rédempteur du genre humain, il est convenable qu'il exerce d'abord cet office à l'égard de sa propre mère: elle doit avoir une rédemption particulière et pour cela être préservée par avance du péché; ainsi elle sera toute pure et immaculée, et le fils de Dieu se réjouira en voyant entre sa mère terrestre et son père céleste la ressemblance la plus parfaite qui soit possible entre Dieu et la créature.» Tel fut le décret que les personnes divines manifestèrent aux anges bienheureux. Avec une profonde humilité prosternés devant le trône divin, ils louèrent Dieu et lui rendirent de très-vives actions de grâces, d'avoir enfin exaucé la prière qu'ils faisaient depuis la grande bataille avec Lucifer pour l'accomplissement du mystère de l'incarnation qui leur avait été révélé. Chacun d'eux désirait avec une sainte émulation d'être employé pour former la cour du fils de Dieu et de sa très-pure et sainte mère.
Vingt ans s'étaient déjà écoulés depuis le mariage de saint Joachim avec sainte Anne: Joachim avait donc soixante ans et sainte Anne en avait quarante-quatre. Suivant la promesse divine, ils engendrèrent cet enfant qui devait être la mère de Dieu d'une manière vraiment merveilleuse. Tout s'y passa selon l'ordre commun des autres conceptions, néanmoins la vertu du Très-Haut ôta à celle-ci ce qu'il y avait d'imparfait et de désordonné, ne lui laissant que le pur nécessaire, selon les lois de la nature, afin que le corps le plus excellent qui fut et qui sera jamais entre les pures créatures fut formé sans la moindre imperfection. La vertu divine se découvre surtout dans l'opération miraculeuse qui enleva à sainte Anne sa stérilité naturelle. Mais cette opération fut surtout merveilleuse en ce que la grâce éloigna entièrement des saints Parents toute sorte de sensualité et que l'aiguillon du péché originel n'y eut aucun part: ainsi donc, ce qui servit à cette très pure conception n'étant accompagné d'aucune imperfection, le péché ne s'y trouva point et n'y eut aucun pouvoir. La sagesse et le pouvoir du Très-Haut prirent un soin tout particulier de la formation du corps très-pur de Marie, il fut composé selon le poids et la plus parfaite mesure, tant en la quantité qu'en la qualité des humeurs naturelles afin que par la juste proportion de ce mélange incomparable, il aidât sans empêchement les opérations d'une âme aussi sainte que celle qui devait l'animer. Ce petit corps reçut un tempérament si accompli et des facultés si riches que la nature n' aurait jamais formé, à elle seule, rien de semblable. Suivant notre manière de concevoir, Dieu mit plus de soin à le composer et à le former qu'il n'en mit à former tous les cieux et tout ce que renferme l'univers.
La conception du corps très-pur de Marie se fit en un jour d dimanche, correspondant à celui de la création des anges dont elle devait être la reine et la souveraine. Et bien que selon l'ordre commun, les autres corps aient besoin de plusieurs jours pour être entièrement organisés, afin que l'âme raisonnable y soit infuse, néanmoins dans cette occasion le temps nécessaire fut considérablement abrégé, et ce qui se devait opérer naturellement en quatre-vingts jours, se fit avec plus de perfection en sept. Le samedi suivant, le plus proche de cette conception, le Très-Haut créa l'âme auguste qu'il Unit à son corps. C'est ainsi qu'entra dans le monde la créature la plus pure, la plus parfaite, la plus sainte et la plus belle que Dieu ait jamais créée et qu'il doit créer jusqu'à la fin des temps. C'est à cause de ce mystère que le saint esprit a ordonné que l'église consacrerait le samedi à la très-sainte Vierge, comme le jour auquel elle avait reçu le plus grand bienfait, lorsque son âme très-sainte fut créée et unie à son corps, sans que le péché originel ni le moindre de ses effets s'y trouvassent. Le jour de sa conception que l'église célèbre aujourd'hui, n'est pas celui de la conception du corps, mais celui de l'infusion de l'âme sans aucune trace du péché originel. A l'instant de l'infusion de l'âme la très sainte trinité répéta ces paroles proférées à la création de l'homme, faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram: par la vertu de ces divines paroles, l'âme très-heureuse de Marie fut remplie de grâces, de dons, de privilèges et de faveurs pardessus les premiers des Séraphins, avec l'usage le plus parfait de la raison qui devait être proportionnée aux dons de la grâce qu'elle recevait. Alors le Seigneur répéta les paroles prononcées par lui lors de la création, et erant valdè bona, témoignant ainsi la rare complaisance qu'il prenait dans cet ouvrage si glorieux. Au temps de l'infusion de l'âme dans le corps, le Très-Haut voulut que sainte Anne ressentit et reconnut d'une façon très relevée la présence de la Divinité. Elle fut remplie du saint Esprit et ravie en une extase très sublime, où elle reçut de très hautes connaissances des mystères les plus cachés. Cette allégresse et cette joie toute spirituelle ne furent pas passagères, mais durèrent tout le reste de sa vie quoiqu'elles fussent plus fréquentes pendant qu'elle gardait dans son sein le trésor du ciel.
Quoiqu'alors la très sainte âme de Marie fut douée de toutes les perfections et de l'habitude infuse de toutes les Vertus, plus qu'aucun saint et même que tous les saints ensemble, il ne fut pas néanmoins nécessaire qu'elle les pratiquât toutes aussitôt, mais seulement celles qui convenaient à l'état où elle était. Elle pratiqua donc en premier lieu les vertus théologales, la foi, l'espérance et la charité, et particulièrement la vertu de charité, contemplant Dieu comme le bien souverain avec tant d'attention et d'amour qu'il n'est pas au pouvoir de tous les séraphins d'arriver à un degré si éminent. Elle pratiqua aussi les autres vertus qui ornent et qui perfectionnent la partie raisonnable. Elle eut la science infuse, les vertus morales, les dons et fruits de l'Esprit Saint en un degré éminent et correspondant aux vertus théologales; de sorte qu'elle fut dès le premier instant de sa conception plus sage, plus prudente, plus éclairée sur Dieu e sur toutes ses oeuvres que toutes les créatures ensemble Cette grande perfection de Marie ne consistait pas seulement dans les habitudes qui lui furent infuses, mais dans les acte qu'elle put exercer dès cet instant par le pouvoir divin qui la secondait. Pour en toucher seulement quelque chose, elle connut Dieu tel qu'il est en lui-même comme créateur et glorificateur; elle l'honora, le loua, le remercia; par de actes héroïques elle l'aima, le craignit et l'adora, et lui fit des sacrifices de louanges et de gloire pour son être immuable. Elle connut les dons qu'elle avait reçus pour lesquels elle rendit de très humbles actions de grâces accompagnées de profondes inclinations corporelles qu'elle fit dès le sein de sa mère avec son petit corps, et elle mérita plus en cet état par ces actes que tous les saints dans le plus haut degré rie leur perfection et de leur sainteté. Elle eut outre les actes de la foi infuse, une haute connaissance de la divinité et de la très-sainte trinité, et quoiqu'elle ne la vit pas dans cet instant intuitivement, elle la vit néanmoins abstractivement, et cette manière de la connaître fut la plus parfaite par laquelle Dieu puisse se manifester à l'entendement humain dans ce monde. Elle connut en cet instant la création, la chute des anges, celle d'Adam et les effets de sa faute, le purgatoire, les limbes, l'enfer et toutes les choses renfermées en ces lieux; tous les hommes , tous les anges, leurs ordres, leur dignité et leurs opérations et encore toutes les autres créatures avec, leurs instincts et leurs qualités. Elle connut aussi toute sa généalogie et tout le reste du peuple saint et choisi de Dieu, les patriarches et les prophètes, et combien sa Majesté divine avait été admirable dans les dons, grâces et faveurs qu'il leur avait accordés. Mais c'est une chose digne d'admiration que, ce corps étant si petit dans le premier instant de sa conception, néanmoins par la puissance divine la connaissance et la douleur qu'elle avait de la chute d'Adam lui faisait verser des larmes, et elle commençait dès lors dans le sein maternel à exercer l'office de corédemptrice du genre humain. Elle offrit ces larmes unies aux désirs des patriarches; et cette offrande fut agréable à Dieu et plus efficace pour obtenir la rédemption que toutes les prières des hommes et des saints anges. Elle pria spécialement pour ses parents qu'elle connut en Dieu avant de les voir corporellement, et elle exerça en même temps envers eux la vertu de l'amour, du respect et de la gratitude de fille. Les visions de cette sainte enfant furent continuelles et sans interruption durant les neuf mois qu'elle demeura renfermée dans le sein de sa mère, et trois fois elle fut élevée à une très haute contemplation quoique abstractive de la très-sainte Trinité. La première eut lieu le premier instant qu'elle fut animée, la seconde au milieu des neuf mois, et la troisième le jour qui précéda sa naissance. Elle s'occupa dans ces neuf mois à des actes héroïques d'adoration et d'amour de Dieu, à des demandes continuelles en faveur du genre humain, à une sainte communication avec les anges. Elle ne ressentit point la clôture de la prison du sein maternel, ni les incommodités de cet état naturel, et l'interdiction de l'usage des sens extérieurs ne lui causa aucune peine. Elle fit à Dieu avec une entière ferveur la demande de mourir, avant de venir à la lumière du monde, si elle devait manquer en un seul point à son amour et à son service. Ce fut dans la dernière vision abstractive de la très-sainte Trinité qu'elle eut le jour qui précéda sa naissance. Cette prière ayant été faite, le Très-Haut lui donna sa bénédiction, et lui commanda de sortir du sein maternel à la lumière matérielle de ce soleil visible.
Dieu, pour augmenter davantage la gloire et la vertu de sainte Anne, voulut que dans le temps de sa grossesse elle eut à souffrir diverses afflictions. Lucifer, découvrant une si grande sainteté clans cette femme, eut le soupçon que l'enfant qu'elle avait dans son sein pouvait être cette illustre femme qui devait le fouler aux pieds et lui briser la tête. Dans sa rage il mit en oeuvre divers moyens pour la faire périr. Il osa la tenter de plusieurs fausses persuasions et de défiances sur sa grossesse, pour la faire chanceler dans sa foi; mais ce fut en vain. Il tâcha d'abattre la maison qu'habitait la Sainte afin que l'ébranlement et la terreur qui en résulterait fissent périr l'enfant dans son sein. Mais il ne put réussir, parce que les anges qui gardaient la très-sainte enfant lui résistèrent. Il pervertit et irrita certaines femmelettes qui s'acharnant avec rage contre notre sainte, lui firent de sensibles affronts et de grandes railleries sur sa grossesse; ces artifices furent encore inutiles, bien que les pauvres femmes eussent consenti aux mauvaises suggestions de Lucifer.
Les neuf mois étant accomplis, sainte Anne fut éclairée d'une lumière intérieure, par laquelle le Seigneur lui fit connaître que le temps de ses heureuses couches était venu. Prosternée en présence de la majesté divine, elle demanda humblement au Seigneur de l'assister de ses grâces, et tout-à-coup elle sentit dans son sein un doux mouvement, qui lui fit comprendre que sa très-chère enfant voulait venir à la lumière. Dans cet état de la sainte mère, la très-sainte enfant vint au monde le huit septembre, à minuit; et afin qu'elle ne vit ni ne sentit sa naissance, elle fut ravie en une extase très-sublime en paradis. La sainte mère voulut elle-même l'envelopper de ses langes, la recevoir dans ses bras, sans permettre que d'autres mains la touchassent et elle put remplir elle même cet office parcequ'elle ne ressentit pas les douleurs de l'enfantement. Sainte Anne ayant reçu cette chère enfant dans ses bras adresse à Dieu cette prière: « Seigneur, dont la sagesse est infinie, créateur de tout ce qui a l'être, je vous offre humblement le fruit de mes entrailles que j'ai reçu de votre infinie bonté et je vous remercie du fond du coeur. Faites de la fille et de la mère selon votre très-sainte volonté, et regardez de votre trône notre petitesse. Je félicite les saints pères des limbes et tout le genre humain, à cause du gage assuré que vous leur donnez de leur prochaine rédemption. Mais comment me comporterai-je envers celle que vous me donnez pour fille, ne méritant pas d'être sa servante? Comment oserai-je toucher la véritable arche du testament? Donnez-moi Seigneur la lumière qui m'est nécessaire pour connaître votre sainte volonté, pour l'exécuter suivant votre bon plaisir et dans les services que je dois rendre à ma fille.» Le Seigneur lui fit entendre de traiter cette sainte enfant en ce qui concernait l'extérieur, comme une mère traite sa fille; mais de lui conserver dans son intérieur le respect qu'elle lui devait.
Les anges vénérèrent leur reine entre les bras de sa mère et ceux qui étaient préposés à sa garde se découvrirent à, ses yeux; ce fut la première fois qu'elle les vit sous une forme corporelle. Ils étaient mille, désignés par Dieu pour sa défense dès le premier instant de sa conception. Quant ils l'eurent adorée, Dieu envoya le saint archange Gabriel, afin qu'il annonçât cette bonne nouvelle aux saints pères des limbes; et dans le même instant il envoya une multitude innombrable d'anges pour prendre et transporter dans le ciel en corps et en âme celle qui devait être la mère du verbe éternel. La petite Marie entra dans le ciel par le ministère des anges, et prosternée avec amour devant le trône royal du Très-Haut, elle fut reçue de Dieu lui-même dans son trône. Elle fut mise à son côté en possession du titre de sa propre mère et de reine de toutes les créatures, bien qu'elle ignorât alors la fin de ces profonds mystères, le Seigneur les lui cachant pour sa plus grande gloire. Il fut déterminé dans le conseil divin de donner un nom à cette enfant bien aimée, et aussitôt on entendit une voix sortant du trône de Dieu, qui disait: n notre élue doit s'appeler Marie. Ce nom doit être merveilleux et magnifique: ceux qui l'invoqueront avec une affection dévote, recevront des grâces très-abondantes; il sera terrible contre l'enfer et écrasera la tête du serpent » Le Seigneur commanda aux esprits angéliques d'annoncer cet heureux nom à sainte Arme, afin que ce qui avait été arrêté dans le ciel fut manifesté sur la terre. Les saints anges exécutèrent les ordres de Dieu. Ayant chacun un bouclier lumineux où le nom de Marie était gravé, ils annoncèrent à sainte Anne que c'était le nom qu'elle devait lui imposer. Marie fut donc remise entre les bras de sa mère, qui ne s'aperçut point de cette absence, parce que pendant assez longtemps, sainte Anne eut une extase d'une très-haute contemplation, et parce qu'un ange occupa la place de la très sainte enfant, ayant un corps aérien semblable au sien.
Il est bon de connaître le continuel exercice auquel était occupée la sainte enfant. Au commencement de chaque jour, elle se prosternait intérieurement en la présence du Très- Haut, et le louait pour ses perfections infinies; elle lui rendait des actions de grâces de l'avoir tirée du néant, et se reconnaissant l'ouvrage de ses mains, elle le bénissait, l'exaltait, l'adorait comme son souverain Seigneur et créateur de tout ce qui a l'être. Elle élevait son esprit pour l'abandonner aux mains de Dieu; avec une profonde humilité et une parfaite résignation, elle priait Dieu de disposer d'elle selon sa sainte volonté; pendant ce jour là et pendant tous ceux qui lui resteraient à vivre et de lui enseigner ce qui lui serait le plus agréable pour l'accomplir exactement. Cette sainte habitude qu'elle prit dès sa naissance, elle la conserva pendant tout le cours de sa vie, sans jamais y manquer, quelques occupations et travaux qu'elle eût: elle la répétait même plusieurs fois le jour dans l'accomplissement de ses innocentes actions.
Les soixante-six jours de la purification étant passés, sainte Anne alla au temple portant dans ses bras sa très pure enfant: elle se présenta à la porte du tabernacle avec l'offrande que la loi exigeait. Le saint prêtre Siméon ressentit une joie extraordinaire et sainte Anne entendit alors une voix qui lui dit d'accomplir le voeu qu'elle avait fait d'offrir sa fille au temple dès l'âge de trois ans. En entrant dans ce temple sur les bras de sa mère, cette aimable enfant voyant de ses yeux tant de magnificence consacrée au culte divin, en éprouva dans son esprit des effets merveilleux, et ne pouvant se prosterner à terre pour adorer la divinité, elle y suppléa du moins en esprit. Elle pria humblement le Seigneur de la recevoir en ce lieu, au temps que sa sainte volonté avait déterminé. En témoignage de l'acceptation que le Seigneur en faisait, une très claire lumière. descendit du ciel d'une manière sensible sur la mère et sur l'enfant. Ayant fini sa prière et présenté son offrande, sainte Anne revint à sa maison de Nazareth. La très sainte enfant était traitée dans la maison paternelle comme les autres enfants de son âge. Elle prenait les mêmes aliments qu'eux, mais en très petite quantité, son sommeil était court, quoiqu'elle se laissât coucher quand on le voulait; elle n'était pas importune et ne pleurait jamais pour les petits chagrins ordinaires aux autres enfants, mais elle était très douce et très paisible et elle dissimulait cette merveille en versant souvent des larmes pour les péchés des hommes, afin d'en obtenir le pardon, et de hâter la venue du rédempteur. Son visage était ordinairement joyeux, mais pourtant sérieux et plein de majesté et il n'y avait dans ses actions jamais rien de puéril. Elle recevait dans de certaines rencontres les caresses qu'on lui faisait, mais à l'égard de celles qui n'étaient point de sa mère, elle les modérait par son sérieux: Aussi le Seigneur inspira à saint Joachim et à sainte Anne un grand respect et une grande modestie en sorte qu'ils étaient fort réservés et fort prudents dans les démonstrations sensibles qu'ils lui donnaient de leur tendresse. Lorsqu'elle était seule, ou qu'on la mettait dans son berceau pour dormir, ce qu'elle ne faisait que fort sobrement, et sans jamais interrompre les actions intérieures du saint amour, elle conférait sur les mystères du Très-Haut avec les anges. Elle fut sujette à la faim, à la soif et aux peines corporelles parce qu'il était convenable qu'elle imitât Jésus. La faim, la soif étaient plus grandes pour elle que pour les autres enfants, et la privation de nourriture lui était plus dangereuse, à cause de la perfection de son tempérament; mais si on ne lui en donnait pas à temps, ou qu'on y excédât, elle prenait patience jusqu'à ce que l'occasion se présentât de la demander par quelque signe. Elle ne ressentait pas de peine d'être enveloppée dans ses langes, à cause de la connaissance qu'elle avait que le verbe incarné devait être ignominieusement garrotté. Lorsqu'elle était seule, elle se mettait en forme de croix, parce qu'elle savait que le rédempteur du monde devait mourir ainsi. Elle rendait très fréquemment des actions de grâces pour les aliments qui la nourrissaient, pour les influences des planètes, des étoiles, des cieux, reconnaissant tout cela pour un bienfait de la bonté divine; si elle manquait de quelque chose, elle ne se troublait point, sachant que tout est une pure grâce et un bienfait du Seigneur.
Nous avons dit qu'une de ses principales occupations était de s'entretenir avec les Anges, lorsqu'elle était seule. Pour mieux faire entendre tout ceci, il faut donner une idée précise sur la manière dont ils se rendaient visibles à ses yeux, et dire quels étaient ces esprits angéliques. Ils avaient été pris des neuf choeurs, cent de chaque choeur, et choisis parmi ceux qui s'étaient le plus distingués par leur amour pour le Verbe incarné et sa très sainte mère, dans le combat contre Lucifer. Lorsqu'ils lui apparaissaient ils avaient la forme de jeunes hommes d'une merveilleuse beauté. Leur corps participait fort peu du terrestre, et il était comme un cristal très pur et rayonnant de la lumière du ciel. Ils joignaient à cette beauté une gravité noble, et un air majestueux. Leurs vêtements étaient semblables à un or très pur émaillé et embelli des plus riches couleurs. On découvrait néanmoins que tout cela n'était pas fait pour être touché, mais pour la vue seule, comme la lumière du soleil. Ils avaient sur la tête une belle couronne des fleurs les plus riches et les plus variées, qui exhalaient un parfum céleste. Ils portaient en leurs mains des palmes entrelacées, qui signifiaient les vertus que Marie devait pratiquer, et la gloire qu'elle devait obtenir. Ils avaient aussi sur leurs poitrines des devises qui avaient quelque rapport à celles des ordres militaires, il y avait un chiffre qui voulait dire: Marie Mère de Dieu. Cette devise était resplendissante, c'était un de leurs plus beaux ornements; mais la sainte vierge ne la comprit que lorsqu'elle conçut le Verbe incarné. Les effets que ces esprits célestes produisaient dans l'âme de Marie ne se peuvent expliquer dans le langage humain. Outre les neuf cents anges dont nous avons parlé, soixante-dix Séraphins d'entre les plus proches du trône, choisis parmi ceux qui se distinguèrent le plus par la dévotion à l'union hypostatique des deux natures divine et humaine, assistaient leur jeune reine. Lorsqu'ils se rendaient visibles, elle les voyait sous la même forme qu'Isaïe les vit, ayant six ailes, deux qui voilaient leur face, deux qui voilaient leurs pieds, et ils volaient avec les deux autres, signifiant ainsi le mystère caché de l'Incarnation et l'essor ardent de leur amour envers Dieu. Leur manière de communiquer avec la vierge était la même qu'ils gardent entr' eux, les supérieurs illuminant les inférieurs; car bien que la Reine du ciel leur fût supérieure en dignité et en grâce, néanmoins dans sa nature l'homme comme le dit David, a été fait moindre que les anges. Il y avait encore douze anges dont a fait mention Saint-Jean (Apoc. ch. 21, v. 12.) Ils étaient de ceux qui se distinguèrent le plus par leur amour pour la rédemption des hommes. Ils furent choisis afin qu'ils coopérassent avec Marie au privilège qu'elle a d'être mère de miséricorde et médiatrice du salut du monde. Ces douze anges lui apparaissaient corporellement comme les premiers, et ils portaient plusieurs couronnes et plusieurs palmes réservées pour les dévots de cette divine reine. Leur emploi particulier était de lui faire connaître d'une manière toute spéciale la charité du Seigneur envers le genre humain. Les dix-huit anges qui complétaient le nombre de mille, étaient de ceux qui se distinguèrent le plus par leur affection envers les souffrances du Verbe incarné. Ces anges apparaissaient à Marie avec une admirable beauté. Ils étaient ornés de plusieurs devises de la passion et d'autres symboles mystérieux de la rédemption. Ils avaient une croix sur la poitrine et une autre sur le bras; l'une et l'autre d'une singulière beauté et d'une splendeur extraordinaire. La sainte vierge se servait souvent de ces anges qu'elle envoyait en ambassade à son très aimable fils pour le bien des âmes. Tous ces mille anges assistèrent à la garde dé cette grande reine, sans y jamais manquer en rien, comme nous le verrons, en plusieurs occasions, dans la suite de cette vie, et ils jouissent maintenant dans le ciel d'une joie toute particulière, par sa présence et par sa compagnie.
La sainte enfant n'eut jamais l'impossibilité de parler qu'éprouvent les autres enfants; néanmoins pendant les dix-huit premiers mois, elle ne voulut point prononcer une parole; cachant par ce moyen la science et la capacité qu'elle possédait, et évitant l'étonnement qu'on aurait eu d'entendre parler un enfant qui ne faisait que de naître. Elle se dispensait seulement de cette loi du silence, lorsque dans la solitude elle priait le Seigneur, ou parlait avec les anges de sa garde. Le temps étant arrivé où la divine Marie devait rompre ce saint silence, le Seigneur lui déclara qu'elle pouvait commencer à parler avec les créatures humaines. Avant d'exécuter cet ordre, elle supplia le Seigneur dans une humble et fervente prière de l'assister dans cette dangereuse et difficile action de parler, afin qu'elle n'y commît jamais aucune faute. Le Seigneur lui ayant promis sa divine assistance, elle délia sa langue pour la première fois et les premières paroles qu'elle proféra furent pour demander la bénédiction de ses parents. Ceci arriva au dix-huitième mois de sa naissance. Pendant les dix-huit autres qui restaient pour achever les trois ans où elle entra au temple, elle n'ouvrit presque jamais la bouche que pour répondre à sa mère qui s'entretenait avec elle de Dieu, de ses mystères et surtout de l'incarnation du Verbe divin. Il était admirable de voir le soin qu'elle mettait dans un âge si tendre à faire les choses les plus basses et les plus humbles, comme de nettoyer et de balayer la maison, et alors les saints anges l'aidaient à recueillir ce fruit d'humilité. La maison de Joachim n'était pas fort riche, mais pourtant elle n'était pas des plus pauvres; c'est pourquoi sainte Anne habillait sa fille le mieux possible, dans les limites de l'honnêteté et de la modestie. Dès que la sainte enfant commença à parler, elle pria ses parents de la vêtir plus pauvrement d'un habit grossier et de couleur de cendres, et leur témoigna le désir qu'il eût déjà été porté. Sainte Anne ne jugea pas à propos de la vêtir d'habits aussi grossiers qu'elle le demandait, elle la satisfit néanmoins pour la couleur et pour la forme qui rappelaient un peu l'habit qu'on met aux enfants par dévotion. Elle ne répliqua pas une parole, et se montra très soumise àsa mère, compensant par cet acte d'obéissance l'acte d'humilité qu'elle ne pouvait pas faire.
Vie divine de la très-sainte Vierge Marie