Vie divine de la très-sainte Vierge Marie - LA DERNIÈRE CÈNE.
A l'entrée de la nuit qui suivit le jeudi de la cène, le doux Jésus résolut de commencer sa douleureuse passion. Il sortit donc de la salle où il avait célébré de si grands mystères et parla longuement aux disciples. Il rencontra aussi sa sainte mère, qui était sortie en même temps de sa retraite, il la regarda d'un air joyeux, et lui dit ces seules paroles; ma mère, je serai avec vous dans vos tribulations, accomplissons la volonté du Père éternel et le salut du monde, ensuite il lui donna sa bénédiction et la quitta. Elle se retira de nouveau dans la chambre de la maison du cénacle, parce que le maître se trouvant présent à cette douloureuse séparation, lui avait offert, par l'inspiration divine, la maison et tout ce qu'elle renfermait, pour tout le temps qu'elle resterait à Jérusalem. La sainte Vierge se retira livrée à une douleur que chaque chrétien peut s'imaginer, mais elle ne cessa point d'être présente en esprit à tout ce qui se fit dans cette cruelle nuit, Elle vit lorsque Judas alla vers les prêtres et les pharisiens, et l'apparition du démon en forme visible, pour le détourner de vendre son divin maître. Elle vit Jésus se retirer au jardin de Gethsémani et découvrit sa profonde tristesse; elle connut que toutes les angoisses qu'il eut jusqu'à éprouver des sueurs de sang, provenaient de ce qu'il voyait que toutes ses souffrances seraient non-seulement sans fruit pour les méchants, mais seraient encore par leur malice la cause d'un plus grand châtiment; c'est pourquoi il priait son Père d'éloigner de lui cette amertume sous le nom de calice. Elle connut encore qu'après la prière de Jésus-Christ, le Père éternel envoya l'archange saint Michel pour lui dire de se consoler dans ses peines, car parmi ceux qu'il sauverait par son sang divin, serait Marie sa mère, digne fruit de sa rédemption. Elle vit que trouvant ses disciples endormis, avant de les éveiller, il s'arrêta un peu à les regarder avec compassion et pleura sur leur négligence et leur tiédeur. Non-seulement elle vit ceci et tout ce qui arriva au jardin en détail, mais elle considéra autant qu'il fut possible, chaque action que faisait son divin fils dans sa passion. Elle se retira avec les saintes femmes, lorsque Jésus se retira avec ses trois disciples, elle pria aussi comme Jésus avait prié le Père éternel d'éloigner et de suspendre toute consolation qui pourrait l'empêcher de souffrir avec son fils; et elle de- manda que son corps put partager toutes les souffrances qu'il endurerait lui-même. Elle éprouva aussi une profonde tristesse, elle fit la même prière que Jésus fit pour les pécheurs, elle entra en agonie et eut aussi une sueur de sang, l'archange Gabriel fut également envoyé pour la fortifier, comme saint Miche! l'avait été pour Jésus. Lorsqu'elle se retira pour prier, elle prit avec elle les trois Maries, laissant les autres femmes et elle alla aussi les visiter au moment où Jésus visita les apôtres, et les exhorta à être vigilantes contre le démon. Lorsque Jésus dit à ses apôtres: tristis et anima mea usque ad mortem , elle dit aussi aux trois Maries; mon âme est triste, parce que mon fils bien-aimé et mon Seigneur doit souffrir et mourir et que je ne dois pas mourir avec lui. Priez, mes amies, afin de ne pas entrer en tentation. Au milieu de ces tourments, la sainte Vierge non-seulement eut toujours un coeur magnanime, mais encore elle songea au moyen de pouvoir soulager son divin fils, et elle envoya un de ses anges pour essuyer avec des linges qu'elle lui donna le visage de son Dieu agonisant. Lorsque les soldats partirent avec Judas pour arrèter Jésus, la très-sage reine, prévoyant les outrages, les injures et les mauvais traitements, que ces méchants lui feraient souffrir, invita aussitôt les, saints anges afin de compenser avec elle par leurs louanges et leurs adorations tous les affronts qu'ils lui faisaient. Ainsi pour les offenses outrageantes qu'il recevait de ces méchants et pour le baiser que Judas lui donna comme signal pour le trahir, elle offrait à proportion des actes de vénération et de louanges à sa divine majesté et retenait ainsi l'indignation de Dieu, afin qu'il n'engloutît pas ces misérables. Elle pria surtout pour Judas, et à sa considération Dieu envoya à son coeur de fortes et nombreuses inspirations et de grandes grâces afin qu'il rentrât en lui-même. Lorsqu'elle vit que par la vertu de ces puissantes paroles dites à cette troupe maudite: Ego sum, ils étaient tous tombés à terre avec les chevaux, et que les démons étaient abattus et restaient renversés pendant un demi quart d'heure, elle chanta des cantiques de louanges et de victoire au Très-Haut. Il est vrai que par pitié pour ces malheureux, elle pria le Seigneur de leur laisser la vie et de les faire lever. Le Seigneur leur accorda donc le pouvoir d'exercer contre lui toute leur rage, il leur demanda de nouveau: Qui cherchez-vous? Ils répondirent, Jésus de Nazareth, il leur dit: C'est moi; et ils se jetèrent sur lui comme des chiens enragés et des bêtes féroces. Lorsque Jésus fut lié, elle ressentit aussi les douleurs des chaînes et des cordes comme si elle eût été liée en effet. Elle éprouva la même chose pour les coups, les mauvais traitements, les soufflets que souffrit le Sauveur, dans son arrestation, et lorsqu'on déchira ses habits et qu'on lui arracha les cheveux. A la fuite des apôtres elle ne s'indigna pas contre eux, mais elle les recommanda instamment au Seigneur, et quoiqu'elle fut affligée de les voir .chancelants dans leur foi, néanmoins elle pria pour eux, et elle offrit au Seigneur tous les devoirs et toute la vénération de l'église entière résumée en elle. Tandis que Jésus accablé de coups était au pouvoir de ses ennemis, la sainte Vierge était dans le Cénacle, Judas croyant par la suggestion de Lucifer son pardon impossible, et tourmenté par l'appréhension du déshonneur qu'il aurait dans le monde pour avoir trahi son maître, fut tellement agité qu'il entra en fureur contre lui-même; il se retira à l'écart et voulut se précipiter d'une des fenêtres les plus élevées du palais du Pontife, mais il en fut empêché. Il sortit de cette maison poussant des cris comme une bête féroce, se mordant les poings, s'arrachant les cheveux et se donnant mille malédictions. Lucifer le voyant en cet état, lui persuada de rendre l'argent aux prêtres, il voulait ainsi empêcher la mort de Jésus-Christ qu'il soupçonnait toujours davantage d'être le Messie à la vue de sa douceur au milieu des outrages. Mais n'ayant pu encore réussir dans son dessein Lucifer augmenta le désespoir de Judas et lui persuada qu'il valait mieux de délivrer en un instant de tant de peines et d'ignominie. Le malheureux apostât y consentit, et sortant de la ville, homicide de lui-même, il se pendit à un arbre. Cette mort affreuse arriva le jour même du vendredi quelques heures avant que Jésus n'expirât. Son corps, resta trois jours suspendu à l'arbre avec les entrailles crevées et quoique les juifs cherchassent plusieurs fois à l'enlever pour l'ensevelir, parce qu'il revenait de cette mort une grande gloire au Sauveur, ils ne purent jamais le faire. Enfin, après trois jours les démons par la permission de Dieu, enlevèrent le cadavre maudit de l'arbre et le transportèrent en enfer où ils avaient conduit son âme.
La troupe des soldats envoyée pour arrêter le Seigneur, afin de l'amener ,en sûreté, car ils le prenaient pour un magicien à cause de ses miracles et pensaient qu'il pourrait s'échapper de leurs mains, le lièrent étroitement aux flancs, aux bras, et au cou de deux longues et grosses cordes et d'une pesante, longue et forte chaîne qui avait servi de levier pour fermer et ouvrir une porte de prison et aux extrémités de laquelle ils avaient attaché des me- cottes de fer, dont ils lui attachèrent les mains derrière le dos. L'ayant lié de cette cruelle manière ils partirent du mont des oliviers avec un grand tumulte, les uns tirant les cordes par-devant et les autres par-derrière ils le faisaient tomber à terre, ils exhalaient leur rage contre lui par des coups de pied aux cotés, des coups de poing au visage et à la tête, ils lui déchirèrent les habits, et lui arrachèrent la barbe, ils le tramèrent par les cheveux, et lui enfoncèrent la pointe de leurs bâtons dans les côtés; ils lui donnèrent des coups sur les épaules, et le traînèrent tantôt d'un côté tantôt de l'autre du chemin. Le Seigneur tomba plusieurs fois le visage contre terre avec une grande douleur, car ayant les mains liées derrière le dos il se meurtrissait le divin visage et se couvrait de plaies, et ne pouvant plus se relever, les coups et les mauvais traitements de toute sorte qu'il recevait étaient innombrables, jusqu'à lui marcher dessus, et comme un doux agneau, il supportait ces affreuses cruautés avec une patience admirable. Lucifer était en fureur à la vue de cette résignation et pour en triompher il voulut lui-même prendre les cordes pour le traîner avec une plus grande violence; mais la sainte Vierge, qui voyait tout ceci en esprit, et qui ressentait dans son corps très-pur tous les mauvais traitements, arrêta Lucifer dans son exécrable dessein, et lui enleva les forces afin qu'il ne pût l'exécuter. Ils arrivèrent dans la ville en poussant des cris, des sifflements, des hurlements, comme si on avait arrêté un chef de brigands. Les personnes se mettaient à la fenêtre et à la porte avec des flambeaux, ils l'injuriaient et l'insultaient l'appelant faux prophète, magicien, pervers, méchant et scélérat: et cum iniquis reputatus est. Ils le conduisirent au tribunal d'Anne, pontife, qui le reçut assis sur son siège, Lucifer se plaça à ses côtés, environné d'une multitude innombrable de démons appliqués à irriter ce juge contre Jésus-Christ, afin d'éprouver sa divine patience. Le Sauveur, reçut alors ce cruel soufflet de la main gantée de fer d'un des serviteurs auquel il avait guéri miraculeusement l'oreille au jardin de Gethsémani. Le Seigneur, lui fit cette réponse célèbre en recevant le soufflet: si male locutus sum: testimonium perhibe de malo, qui couvrit ce méchant de confusion, mais ne l'amenda pas. Le coup fut si sanglant qu'il lui enfonça toutes les dents et lui fit couler le sang de la bouche, du nez et des yeux; dans le même instant la mère de Dieu ressentit dans son visage ce coup terrible qui lui fit verser des larmes de sang.
En ce moment Jean et Pierre arrivèrent à la maison d'Anne. Après y être entrés Pierre s'approcha du feu dans le vestibule, et la portière l'ayant vu lui demanda s'il était disciple du Nazaréen. Elle fit cette demande avec moquerie et mépris, c'est pourquoi Pierre en éprouva de la honte, et saisi de crainte et de lâcheté, il nia qu'il le fut. Après ce reniement il sortit de la maison d'Anne, mais il suivit ensuite le Seigneur dans la maison de Caïphe où il fut amené avec de grandes railleries. Il fut reçu avec des rires, des insultes et de grandes moqueries, pour lui il priait le Père éternel pour eux, et la divine mère priait avec lui. Caïphe était assis sur son siége magnifique entouré des scribes et des pharisiens assistés de Lucifer, qui désirait toujours mieux s'assurer si Jésus était le Messie, il inspira donc à Caïphe de lui dire: Je t'adjure au nom de Dieu vivant de nous dire ouvertement si in es le Christ fils de Dieu. A la réponse pleine de douceur de Jésus-Christ, Lucifer fut si tourmenté que ne pouvant le supporter, il se précipita au fond de l'abîme. Il en sortit par la permission de Dieu, mais incertain si le Christ avait ainsi parlé pour se délivrer des mains des ses ennemis. Revenu de nouveau dans la salle, il excita les ministres à lui donner des soufflets, des coups de poing, à lui arracher les cheveux, à lui cracher au visage et à le fouler aux pieds. Les anges qui l'adoraient et le louaient étaient confondus des jugements incompréhensibles de la divine sagesse, en voyant que sa divine Majesté consentait à être présentée comme coupable et que le prêtre inique se montrait comme juste et zélé pour l'honneur de Dieu, à qui il prétendait ôter sacrilègement la vie; et l'innocent agneau gardait le silence sans ouvrir la bouche. Dans cette maison, on banda les yeux au Seigneur pal-ce qu'il apparaissait sur son visage une douceur et une splendeur qui causaient une grande peine et confusion à ses ennemis. Ils attribuèrent tout cela à l'art magique, et ils lui couvrirent le visage avec de sales haillons, et lui firent de mauvais traitements et des insultes indicibles, la Vierge mère non-seulement les vit, mais les ressentit tous, dans le même temps et dans les mêmes parties, que les souffrit le rédempteur.
Il fut facile à saint Pierre, au milieu de la foule des personnes qui entraient dans la maison de Caïphe, de s'introduire aussi à la faveur de l'obscurité de la nuit. Nais une servante le vit dans la cour et se tournant vers les soldats qui étaient auprès du feu: cet homme, dit-elle, est un de ceux qui allaient dans la compagnie de Jésus de Nazareth; et un de ceux qui étaient là, ajouta: en vérité, tu es réellement Galiléen et un de ceux qui suivaient Jésus. Saint Pierre le nia et jura qu'il n'était pas disciple de Jésus et il quitta le feu et la cour. Mais il ne pouvait pas s'éloigner de la vue de son divin maître, retenu par la compassion pour ses souffrances, il tournoya donc pendant une heure environ, un parent de Malechus le vit et le reconnut; tu es Galiléen lui dit-il, et disciple de Jésus, je t'ai vu avec lui dans le jardin, et de nouveau Pierre jura qu'il ne le connaissait pas, et alors le coq chanta pour la seconde fois, et la prophétie de Jésus-Christ fut accomplie, qu'il le renierait trois fois cette nuit avant que le coq chantât deux fois. Ayant entendu le chant du coq, Pierre se souvint des paroles de Jésus, qui en ce moment, le regarda avec sa grande miséricorde, il sortit aussitôt en versant des larmes, et se retira dans une grotte appelée encore galligante: Chant du coq, il y pleura amèrement pendant trois heures, il rentra en grâce et obtint son par-. don par le moyen de la sainte Vierge. Elle avait vu sa faute de sa retraite et aussitôt elle pria pour lui avec larmes et prosternée à terre; elle lui envoya même un de ses anges pour le consoler, non pas d'une manière visible pal-ce que son péché était trop récent, mais à l'intérieur, sans que Pierre le vit.
Après minuit , ceux du conseil arrêtèrent que tandis qu'ils dormiraient, Jésus-Christ resterait ainsi lié dans un lieu souterrain de la maison, qui servait de prison pour les plus grands voleurs et scélérats. Cette prison était si obscure que la lumière y pénétrait à peine, et si sale et puante qu'elle était insupportable pour tous. Ils enfermèrent là le fils de Dieu, le traînant attaché avec les chaînes et les cordes dont ils l'avaient lié au jardin des olives. Il y avait dans un coin de la prison une pierre ou une pointe de rocher, à laquelle ils attachèrent le Seigneur de telle sorte qu'il ne pouvait ni se remuer ni s'asseoir, et l'ayant ainsi lié ils sortirent de ce lieu fétide, en fermèrent la porte et y laissèrent l'un d'eux de garde au-dehors. Les saintes anges entrèrent pour vénérer le Sauveur, et lui demandèrent de vouloir bien leur permettre de le délier, mais le doux Jésus ne le permit pas, pour souffrir davantage, et il les envoya consoler sa mère affligée. Après que ces méchants et ces ivrognes eurent soupé, excités par le démon, ils allèrent le détacher du rocher et le mirent au milieu de la prison, ils voulurent le contraindre à parler et à faire quelque miracle, mais Jésus, la sagesse incarnée ne répondant rien, ils l'accablèrent de coups et de soufflets, et leur rage croissant ils lui bandèrent de nouveau les yeux, avec un dégoûtant chiffon, et le frappèrent avec violence sur le cou et au visage, en lui disant, devine qui t'a frappé. Lucifer irrité de sa patience inspira à ces cruels ivrognes de le mettre entièrement nu et de lui faire de plus grands outrages. Mais la très-pure Vierge qui voyait et contemplait tout empêcha cet odieux outrage, elle pria avec instance le Seigneur de ne pas permettre cette ignominie et sa prière fut exaucée. lIs l'attachèrent donc de nouveau au rocher et sortirent de la prison, les anges entrèrent pour compatir à ses douleurs et l'adorer; en ce temps là il priait le Père éternel pour ceux qui l'avaient ainsi maltraité.
A l'aurore, les princes des prêtres et les scribes s'assemblèrent et le divin agneau fut amené devant eux. C'était un spectacle digne de piété de voir le divin Jésus défiguré, le visage meurtri et couvert de dégoûtants crachats, qu'il n'avait pu enlever ayant les mains liées derrière le dos. En le voyant dans cet état ses ennemis mêmes furent effrayés. Ils lui demandèrent de nouveau à dessein s'il était fils de Dieu, et ayant entendu qu'il l'était, ils le jugèrent digne de mort, et ils résolurent de l'envoyer à Pilate proconsul de l'empereur romain à qui étaient réservées les causes capitales. Le soleil était déjà levé, et la mère affligée résolut de sortir de sa retraite pour suivre son fils si cruellement traité. Lorsqu'elle sortait de la maison avec les Marie et Magdeleine, saint Jean arriva pour l'informer de tout ce qui était arrivé, ne sachant pas qu'elle avait vu tout en esprit. Il demanda d'abord pardon de la lâcheté qu'il avait eue de s'enfuir, et se mit à raconter tout ce qui était arrivé jusqu'alors, l'humble reine n'interrompit point son récit, et écouta tout avec une extrême souffrance. Après qu'il eut fini de parler, ils versèrent tous des larmes, et ils se mirent en marche. La sainte Vierge entendit les divers entretiens de la foule, dans les rues, sur son fils bien-aimé, elle ne s'arrêta jamais, et ne s'indigna point contre ceux qui en parlaient mal, mais elle pria pour eux. Un grand nombre de personnes la reconnurent à son manteau noir et à son cordon pour la mère de Jésus, quelque uns étaient naturellement touchés de compassion pour elle, et d'autres l'injuriaient à cause de la mauvaise éducation donnée à son fils. Mais voilà qu'ils aperçoivent un grand tumulte, et qu'ils entendent un grand bruit, et tout-à-coup elle voit au milieu de cette canaille son divin fils, elle se jeta à terre et l'adora profondément. Ils se jetèrent l'un à l'autre un douloureux regard qui pénétra leurs coeurs d'une douleur inexprimable, ils se parlèrent seulement dans l'intérieur de leur âme. On le traînait vers Pilate, et la mère affligée versant des larmes le suivait avec les saintes femmes en disant: mon fils, mon bien-aimé fils. Ils arrivèrent enfin en présence de Pilate qui quoique païen eut égard aux lois cerémonielles des juifs, qui leur défendaient d'entrer dans le prétoire, il sortit donc pour interroger le prétendu coupable. La mère affligée était toujours présente avec saint Jean et les saintes femmes, les anges les avaient amenés dans un lieu d'où elles pouvaient voir tout et entendre ce qui se disait. La sainte Vierge couverte de son manteau noir versait des larmes de sang par la violence de sa douleur; elle ressentait en elle-même toutes les souffrances que souffrait son divin fils. Elle pria le Père éternel afin que Pilate connut clairement l'innocence de Jésus, il la connut en effet, mais il ne correspondit pas à la grâce qu'il avait reçue par le moyen de la mère de miséricorde. Il s'efforça néanmoins de ne pas condamner un innocent, en l'envoyant à Hérode, fils de cet Hérode qui avait fait massacrer les saints innocents qui était venu à la fête des azymes, lorsqu'il apprit que Jésus était né dans son royaume. A cette occasion ils oublièrent même quelques différends, et devinrent amis.
Il est impossible de dire les souffrances et les douleurs que souffrit Jésus dans ce trajet de Pilate à Hérode, de la part de ces bourreaux excités par Lucifer, qui voulait s'assurer toujours davantage par la grandeur de la patience de Jésus, s'il était le Messie. Sa mère affligée, suivit derrière la masse de la populace, toute occupée de son divin fils. La grande reine n'entra pas dans la maison d'Hérode, mais elle vit tout ce qui s'y fit, et entendit toutes les demandes d'Hérode. Lorsqu'il en sortit revêtu de l'habit des insensés, elle comprit toute la grandeur de cette injure et l'adora profondément comme la sagesse infinie. Elle le suivit avec la même constance, lorsqu'il fut ramené chez Pilate; plusieurs fois à cause de la foule, et par la violence avec laquelle on le traînait, embarrassé par sa longue tunique, Jésus tomba par terre; en tombant les veines s'ouvrirent par la manière dont ils le traînaient cruellement, et aussi par les coups et les mauvais traitements' qu'il recevait, ne pouvant se relever, parce qu'il avait les mains enchaînées et attachées derrière le dos. Alors la prudente et tendre mère ordonna aux saints anges, non-seulement de recueillir ces gouttes de sang très-précieux, qui tombaient à terre, afin qu'elles ne fussent pas profanées et foulées aux pieds, mais elle leur commanda aussi de soutenir leur Créateur, lorsqu'il serait exposé à tomber. . Mais elle ne voulut pas donner cet ordre aux anges avant d'en avoir obtenu la permission du Seigneur, qu'elle pria de condescendre en cela, aux humbles prières de sa mère affligée.
Jésus fut ramené devant Pilate, qui voyant son innocence, et l'envie et la haine des juifs, essaya de le délivrer. Il parla seul avec Jésus, il dit aussi en secret à quelques-uns des chefs de la synagogue, qu'il y avait dans la prison un scélérat infâme, condamné par le peuple, qu'ils devaient donc demander qu'on délivrât le Nazaréen et non Barrabas, c'était le nom de l'homicide et du meurtrier. Cette coutume de délivrer un criminel à la fête de Pâques avait été introduite chez les Juifs, en souvenir de la délivrance d'Egypte. La mère affligée était présente dans la maison de Pilate, à tout ce qu'il fit pour délivrer son fils. Elle vit aussi l'ambassade de la femme de Pilate nommé Procule à son mari et elle vit que c'était une suggestion de Lucifer. pour empêcher la rédemption. La divine Marie était de toute part transpercée d'un glaive de douleur, mais elle le fut plus cruellement lorsqu'elle entendit que Barrabas était préféré à son divin fils.
Le moyen tenté par Pilate pour délivrer le Seigneur, n'ayant pas réussi, il pensa à un moyen d'habilité toute humaine, ce fut de le faire flageller pour apaiser ainsi la haine des juifs, et comme suffisamment châtié ensuite de le délivrer. Mais il jugea contre toute justice, car il avait bien reconnu l'innocence de Jésus. Pour exécuter cette flagellation, on choisit six jeunes hommes robustes des plus inhumains et des plus barbares. ils l'amenèrent dans une cour, où était une colonne, et lui enlevèrent les cordes, les chaînes et les menottes, ils lui ôtèrent d'abord le manteau blanc, ensuite ils le dépouillèrent de sa robe sans couture et son corps fut tout nu, excepté une espèce de caleçon, qu'ils voulaient même lui ôter, mais la grande reine l'empêcha, en priant le Père éternel de ne pas le permettre. La flagellation commença sous les yeux de la mère affligée, ils le lièrent si étroitement à la colonne avec des petites cordes, qu'elles lui entrèrent dans la chair et que ses divines mains se gonflèrent. Ensuite ils se mirent à le flageller deux à deux, les uns après les autres, avec une cruauté si inouïe que la férocité humaine n'en était pas capable, si Lucifer lui-même ne se fut comme incorporé dans le coeur de ses bourreaux impitoyables. Les deux premiers flagellèrent l'innocent Jésus avec des cordes tordues, dures et grosses en y employant toute la fureur de la rage et toutes leurs forces. Ces premiers coups de fouets firent sur son corps divin si délicat de grandes et livides meurtrissures, il se fendit de toutes par en se gonflant, et le sang était sur le point de couler à travers les blessures. Les deux premiers bourreaux étant épuisés de fatigue, les deux seconds se mirent à leur place, ils le frappèrent avec des courroies de cuir très-dures sur les premières blessures et firent crever les meurtrissures livides et gonflées qu'avaient fait les premiers, de sorte que le sang divin en sortit, et non-seulement il couvrit le corps sacré d Jésus-Christ, mais encore il baigna les vêtements des sacrilèges bourreaux et découla jusqu'à terre, ces seconds étant hors d'haleine, les troisièmes les remplacèrent et se servirent de nouveaux instruments qui étaient des nerfs d'animaux très-durs, semblables à des verges sèches. Ils flagellèrent le Sauveur avec une cruauté plus grande encore, parce qu'ils frappaient sur les blessures faites par les deux premiers et les seconds; mais comme les veines de son corps divin avaient déjà été rompues et qu'il n'était plus qu'une seule plaie, ces troisièmes bourreaux ne pouvaient plus faire de nouvelles plaies dans aucune partie du corps, c'est pourquoi en redoublant leurs, coups terribles ils arrachèrent la chaire divine et immaculée, de sorte qu'il en tomba des morceaux à terre et les os furent mis à découvert en diverses parties des épaules. Pour satisfaire encore mieux leur férocité inouïe ils le flagellèrent au visage, aux jambes, aux pieds et aux mains, sans épargner une seule partie. Le sang divin se répandit à flots sur la terre. Son divin visage et tout meurtri, déchiré et si couvert de sang et d'horribles crachats qu'on ne pouvait plus le reconnaître. De même la mère des douleurs, dans un coin de la cour, avec la sainte suite qui l'accompagnait dans ses douleurs, ressentait dans son âme et dans son corps virginal tous les coups mot tels qu'endurait son divin fils, et elle fut si affligée que saint Jean et les Maries ne reconnaissaient plus les traits de son visage, parce que sa douleur et ses souffrances étaient sans mesure, à cause de sa grande foi et la parfaite connaissance qu'elle avait de l'incomparable dignité de son divin fils. Elle seule sut apprécier, mieux que toutes les créatures, l'innocence de Jésus-Christ, la dignité de sa divine personne, l'énormité des injures qu'il recevait et les tourments indicibles qu'il supportait.
Cependant dans le désir de le voir mourir sur la croix, ils le délièrent et il tomba par terre baigné dans son sang. Ils lui ordonnèrent de se vêtir, un de ces méchants lui avait caché sa tunique sans couture, et le voyant ainsi nu et couvert seulement de plaies et de sang, ils l'injurièrent et le couvrirent de railleries. En ce temps, ils allèrent dire à Pilate que prétendant devenir roi des juifs, il était juste de le couronner d'épines. Ayant obtenu cette injuste permission de Pilate, ils lui mirent sur les épaules des haillons de pourpre et un roseau à la main en guise de sceptre, et enfin ils enfoncèrent violemment sur sa tête divine une couronne d'épines pour servir de diadème. Elle était composée de joncs marins, très-épineux, avec des pointes fines et dures et ils la lui placèrent de manière que les épines en grand nombre pénétrèrent les os de la tête, d'autres arrivèrent jusqu'aux oreilles et d'autres encore jusqu'aux yeux. Après cette douloureuse et cruelle ignominie, ils adorèrent comme un roi de théâtre, celui qui par nature et à toute sorte de titres, était le véritable roi des rois et le Seigneur des seigneurs. Tous les soldats de la cohorte se rassemblèrent aussitôt en présence des prêtres et des pharisiens et ayant mis au milieu d'eux l'aimable Jésus, ils le chargèrent de blasphèmes avec des railleries indicibles, les uns se mettaient à genoux devant lui et lui disaient par moquerie Je vous salue roi des juifs.
D'autres lui donnaient de sanglants soufflets, et d'autres lui frappaient la tête avec le roseau, quelques uns couvraient son divin visage de dégoûtants crachats et tous l'accablaient d'injures, et d'outrages de toutes sortes inspirés par le démon.
Pilate pensa que le coeur de ce peuple ingrat et furieux, serait attendri à un spectacle si douloureux, c'est pourquoi il le fit montrer au public d'une grande fenêtre, en disant Voilà l'homme; qu'avez-Vous sujet de craindre qu'il se fasse roi, puisqu'il ne ressemble plus à un homme et qu'on ne trouve rien en lui qui soit digne de mort, Mais le peuple en fureur, cria: Crucifiez-le! Crucifiez-le! La mère des douleurs en voyant son fils réduit à un semblable état, se mettant à genoux, l'adora, et le reconnut pour vrai Dieu et vrai homme; saint Jean, les saintes femmes et tous les anges qui assistaient la grande reine en firent autant. La grande reine pria le Père éternel de faire connaître plus clairement à Pilate l'innocence de Jésus, c'est pourquoi Pilate prit Jésus à part, et lui fit les interrogations rapportées par les évangélistes, aussi il le montrait au peuple en répétant que Jésus était innocent. Les juifs s'aperçurent du désir de Pilate de délivrer Jésus, ils crièrent donc à Pilate, en faisant un grand bruit et en le menaçant, s'il ne condamnait pas Jésus à mort, Pilate alors se troubla beaucoup et vaincu parla crainte, il s'assit sur son tribunal vers l'heure de midi, la veille de la Pâque des juifs, il se lava d'abord les mains, croyant aveuglement se purifier ainsi de l'injustice qu'il commettait et il prononça enfin la sentence de mort contre l'auteur de la vie. La mère affligée vit et entendit tout et la cruelle amertume de son coeur accablé de tristesse et d'affliction se renouvela, et le glaive tic douleur divisa, pénétra et transperça, sans aucune pitié son âme. Mais comme la grandeur des douleurs que ressentit la très-sainte Vierge surpassent tout ce que l'intelligence humaine peut comprendre, il faut le laisser à la piété chrétienne. De même il est impossible de rapporter tous les actes intérieurs héroïques d'adoration, de louanges, de vénération, d'amour, de compassion, de douleur et de conformité à la divine volonté qu'elle fit.
L'injuste sentence étant prononcée, ils amenèrent Jésus de Nazareth un peu à l'écart, et le dépouillèrent des ignominieux haillons de pourpre pour le revêtir de ses propres habits, avec la couronne d'épines, afin qu'on le reconnût. La ville était remplie de monde, à cause du concours d'étrangers venus à la grande fête de Pâques, ils accoururent donc tous pour voir ce qui se passait et ils remplirent les rues jusqu'au palais de Pilate. Jésus apparut au milieu de tout ce peuple, à la vue d'un si pitoyable spectacle, il s'éleva un bruit comme un murmure confus, ou l'on ne distinguait que la joie insolente et les injures des princes des prêtres et des pharisiens. Le reste de la multitude était divisé en sentiments et en opinions diverses et tout était plein de confusion suivant les pensées de chacun. Il y en avait dans la foule plusieurs qui avaient été guéris par les miracles de Jésus, d'autres qui avaient entendu sa doctrine et l'avaient embrassée, et ils le plaignaient amèrement, d'autres gardaient le silence, on ne voyait donc que confusion. Des onze apôtres, saint Jean seulement était présent, lorsqu'il vit son bien-aimé Seigneur et son maître, amené publiquement pour être crucifié, son coeur fut transpercé d'une si cruelle douleur qu'il perdit connaissance et resta sans mouvement et sans pouls comme s'il eût été privé de vie, et les autres Maries eurent aussi une défaillance semblable à la mort. La reine des vertus fut invincible et conserva toujours un coeur magnanime dans sa plus grande douleur, elle ne s'évanouit jamais et n'eut aucune défaillance comme les autres. Elle fut en tout forte, admirable et prudente dans toutes ses actions extérieures, elle agit avec tant de sagesse que sans faire entendre aucune plainte ni pousser aucun cri elle ranima les Maries et saint Jean et elle pria, le Seigneur de les fortifier, par sa divine vertu, et par l'efficacité de ses saintes prières, ils reprirent de nouvelles forces. Au milieu de cette confusion et dans son immense douleur, elle ne fit jamais une action ni un mouvement où ne respirât la modestie, mais avec la sérénité d'une reine elle répandait des larmes continuelles, et était attentive au divin Jésus, elle priait le Père, éternel, lui offrait les souffrances et la passion de son fils et elle imitait les actes intérieurs que faisait le sauveur. Elle considérait la grande malice du péché, pénétrait les mystères de la rédemption et invitait les anges à louer et à adorer le Très-Haut, elle priait aussi pour les amis, pour les ennemis. Son amour s'élevait à son plus haut degré et elle éprouvait une douleur qui correspondait à son amour, c'est pourquoi elle pratiquait en mène temps toutes les vertus à la grande admiration des esprits célestes et l'extrême complaisance de. la très-sainte Trinité.
En présence d'une foule immense, les bourreaux présentèrent la croix à Jésus et la mirent sur ses délicates toutes couvertes de plaies , et afin qu'il pût la porter ils lui délièrent les mains, mais non le reste du corps. Ils lui mirent la chaîne autour du cou et lui lièrent le corps avec de longues cordes, et avec une ils le tiraient par devant et avec l'autre par derrière. La croix était d'un bois très-pesant et longue de quinze pieds. Le héraut avec une trompette marcha au-devant pour lire la sentence, et toute cette multitude de peuple confuse et bruyante, les bourreaux et les soldats, se mirent en mouvement avec des railleries, des rires, des cris et un grand bruit, dans un désordre effroyable, pour aller à travers les rues de Jérusalem, du palais de Pilate au mont du Calvaire. Notre-Seigneur commença le douloureux voyage au milieu de mille injures, plusieurs fois il tomba par terre parce que les uns le tiraient par-devant et les autres par-derrière, et aussi à cause de la charge pesante de la croix. Dans ses diverses chutes à terre le rédempteur se fit de nouvelles et nombreuses plaies qui lui causèrent une immense douleur, mais surtout celles des deux genoux. Le poids si lourd de la croix lui fit encore une grande plaie à l'épaule sur laquelle elle s'appuyait, et en le secouant et en le tirant avec violence il heurtait fréquemment la tête contre la croix et chaque coup faisait pénétrer plus profondément les épines dans le crâne, ce qui faisait éprouver une insupportable et nouvelle douleur au rédempteur.
Toute la foi, la science et l'amour se trouvaient pour ainsi dire renfermés en ce triste moment dans le grand coeur de la divine mère, c'est pourquoi elle seule avait une véritable connaissance et faisait une appréciation juste et digne des grandes souffrances et de la mort d'un Dieu fait homme pour les hommes, Sans jamais cesser de prêter l'attention nécessaire à ce qu'il fallait faire extérieurement, elle contemplait et pénétrait avec sa sagesse profonde tous les mystères de la rédemption du monde et la manière dont elle s'accomplissait, par l'ignorance des hommes qui étaient rachetés, Elle appréciait d'une manière digne, quel était celui qui souffrait, ce qu'il souffrait, de qui et pour qui il souffrait, de sorte qu'elle eut après son divin fils la science la plus sublime de la dignité, de la personne de Jésus-Christ, en qui se trouvait réunies les deux natures divine et humaine, ainsi que des perfections et des attributs de chacune d'elle. Elle seule entre les pures créatures parvint à apprécier et à estimer la sainte passion et l'ignominieuse mort de son Dieu fait homme; et non-seulement la douce colombe vit comme témoin oculaire de tout ce qu'il souffrit, mais encore elle le connut par sa propre expérience dans son coeur très-pur. Il arrivait quelquefois que la mère des douleurs ne voyait pas souffrir son fils bien-aimé dans quelque rue qui conduisait au Calvaire, mais elle ressentait dans son corps virginal et dans son esprit tous les tourments de son fils, et elle s'écriait: Ah! mon fils, quel martyre souffre mon fils. Elle fut si admirable dans sa constance à souffrir avec son divin fils, qu'elle en fit son unique modèle et jamais l'amoureuse mère ne se permit aucune sorte de soulagement pendant toute la cruelle passion, non-seulement clans son corps car dans ce temps elle ne reposa point, ne dormit ne mangea ni ne but, mais même dans son esprit, suspendant toutes les considérations qui pouvaient adoucir ses douleurs, excepté lorsque le Très-Haut lui communiquait une influence divine pour lui conserver la vie.
Le Très-Haut opéra un autre mystère secret contre Lucifer par le moyen de sa divine mère. Le dragon infernal et ses ministres considéraient avec attention tout ce qui se passait dans la passion, et ils ne pouvaient encore s'assurer de la vérité, mais lorsque le Seigneur reçut la croix, ces ennemis insensés sentirent min nouvel accablement dans leurs, forces, et ne comprenant la cause de cette oppression, ils en furent étonnés, et ils furent saisis d'une tristesse mêlée de rage. Lorsque le prince des ténèbres éprouva ces effets tout nouveaux, il jugea que la passion et la mort de Jésus- Christ le menaçaient d'une ruine irréparable et que son empire allait être détruit. Pour ne pas attendre cet évènement en présence de Jésus-Christ, il résolut de s'enfuir avec tous ses compagnons, et de se réfugier dans les cavernes infernales. Mais tandis qu'il formait ce dessein, il fut retenu par le pouvoir de notre grande reine, car le Très-Haut en ce moment l'éclaira de sa lumière et l'investit de sa puissance, en lui faisant connaître ce qu'elle devait faire, Alors la divine mère se tourna vers l'orgueilleux Lucifer et toutes ses légions, et les arrêta avec un empire de reine afin qu'ils ne s'enfuissent pas; et leur ordonna d'attendre la fin de toute la passion de son divin fils et d'être présents à ce qui arriverait sur le mont de Calvaire. Les esprits rebelles ne purent résister au commandement de la puissante reine, parce qu'ils reconnurent la vertu divine qui opérait sur elle, c'est pourquoi dociles à ses ordres ils accompagnaient Jésus. Christ comme vaincus et enchaînés jusqu'au Calvaire, où l'éternelle sagesse avait résolu de triompher de l'enfer du trime de la croix.
Cependant les bourreaux traînaient notre Sauveur avec une cruauté et des outrages incroyables, les uns le tiraient en avant par les cordes pour le faire marcher plus vite, et les autres pour le faire souffrir le tiraient en arrière afin d'augmenter ses peines. Ces violences si cruelles et le poids si pesant de la croix le faisaient tomber à terre, et dans la chute qu'il faisait en tombant sur les pierres il se faisait des larges plaies. Il recevait de continuelles injures et de railleries, ils jetaient sur sa divine face des crachats et de la boue, d'une si horrible manière qu'ils lui couvraient les yeux, et un grand nombre de personnes se voilaient la face de leurs mains parce qu'elles en étaient saisies de confusion. La mère affligée voyait tout cela et adorait continuellement son divin fils portant la divine croix, elle priait intérieurement avec humilité que puisqu elle ne pouvait le soulager du poids si pesant de la croix, et qu'il ne voulait pas permettre que les anges le fissent, comme elle le désirait dans sa grande compassion envers lui, il daignât au moins par sa puissance, inspirer à ces bourreaux de lui chercher quelqu'un pour l'aider à la porter. Le divin fils exauça cette prière, c'est pourquoi il advint que le voyant épuisé et craignant qu'il ne mourût avant qu'ils le crucifiassent, ils forcèrent Simon de Cyrène à l'aider à porter la croix.
Il y avait parmi la foule qui suivait le Seigneur, plusieurs femmes de Jérusalem, qui s'affligeaient et pleuraient amèrement comme le raconte l'évangéliste. Le Seigneur se tourna vers elles, et leur dit; filles de Jérusalem ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous et sur vos enfants, et le reste comme il est rapporté par saint Luc. Le Cyrénien prit la croix et suivit Jésus qui marchait entre deux voleurs, afin que tout le monde crût qu'il était un malfaiteur et un scélérat comme les autres. La mère affligée se trouvait très-rapprochée de son divin fils, comme elle l'avait désiré, quelle fut la grandeur ,de la douleur et la peine extrême de cette sainte mère, en voyant si près d'elle son fils bien-aimé si cruellement maltraité, et qu'elle fut celle du fils, en voyant sa mère dans les douleurs de la mort, il faut le laisser à ht pieuse considération des fidèles. Le nouvel Isaac arriva au mont du sacrifice accablé de lassitude et épuisé, couvert dû sang et de plaies, et si défiguré qu'il était impossible de le reconnaître. La divine mère parvint aussi au Calvaire, et voyant que les bourreaux se disposaient à le dépouiller, elle se mit à genoux et l'offrit au Père éternel pour le salut du monde. Ensuite elle remarqua qu'on avait donné selon la coutume aux deux larrons un vin généreux et aromatisé pour les fortifier, mais qu'ils voulaient donner à son fils un breuvage de fiel, elle pria intérieurement le divin Jésus de ne pas martyriser sa sainte bouche et de ne point le prendre, le divin fils écouta cette amoureuse prière de sa mère, il goûta l'amère boisson, mais il ne la but point. C'était déjà l'heure de la fête, c'est-à-dire midi, toutes les douleurs du rédempteur lui furent renouvelées, ils lui arrachèrent de vive force la robe sans couture qui était collée aux plaies; en la tirant par la tête sans ôter la couronne d'épines, ils enlevèrent, par la violence qu'ils y mirent cette couronne avec la tunique sans couture, renouvelant ainsi les blessures de sa tête sacrée, avec une cruauté inouïe et une douleur incompréhensible. ils lui remirent de nouveau cette couronne avec violence, de sorte que la mère affligée vît son divin fils qui n'était plus qu'une plaie, et si elle ne mourut pas d'affliction et de douleur, ce fut par un miracle de la toute-puissance de Dieu.
Tandis que les bourreaux se préparaient à le crucifier, il pria le Père éternel pour le genre humain et pour ceux qui le crucifiaient, et sa miséricordieuse mère unit sa prière à la sienne. Lorsque les bourreaux firent les trous à la croix pour les clous, l'amoureuse mère put alors s'approcher, elle prit son bras languissant et baisa sa divine Main, elle l'adora avec une grande vénération, et l'agonisant Jésus fut un peu consolé et fortifié de la beauté de cette grande âme. ils le poussèrent violemment et le firent tomber sur la croix, alors élevant les yeux au ciel, il étendit les bras et mit sa main droite sur le trou, il s'offrit de nouveau au Père éternel, alors avec une cruauté inouïe ils clouèrent cette main toute-puissante avec un clou angulaire et très-gros, qui brisa les veines et rompit les nerfs. Le bras gauche ne put atteindre au trou, parce que les nerfs s'étaient retirés et parce qu'ils l'avaient fait à dessein plus distant qu'il ne fallait, alors ils prirent la chaîne qu'il avait portée à son cou, et mettant son poignet à la menotte qui était à l'un des bouts, ils tirèrent le bras avec une cruauté inouïe et le clouèrent, le sang se répandait en abondance avec une souffrance incroyable du fils et de la mère qui était là présente. ils passèrent ensuite aux pieds, et les plaçant l'un sur l'autre, ils les lièrent avec la même chaîne, et tirant avec une grande violence et cruauté, ils les clouèrent ensemble avec un troisième clou un peu plus fort que les autres. Le sacré corps fut ainsi cloué sur la divine croix, mais dans un tel état qu'on pouvait lui compter les os, qui étaient entièrement disloqués et qui étaient sortis de leur place. Ceux de la poitrine, des épaules et des cuisses furent déboîtés et entièrement déjoints par la cruelle violence des bourreaux. Considérons ici maintenant le coeur si accablé de la pauvre mère, et son corps virginal environné de douleurs de touts parts. Ah! ma grande reine sans consolation.
Après que le Seigneur qui n'était plus qu'une plaie eut été crucifié, afin que les clous ne se détachassent point et que le corps divin ne tombât à terre, ces monstres de cruauté jugèrent bon de les river par derrière. Ils commencèrent donc par élever la croix pour la renverser sens dessus-dessous, et appuyer ainsi contre la terre Jésus crucifié. Cette nouvelle cruauté fit frémir tous les assistants, et il s'éleva un grand bruit dans la foule touchée de compassion. La mère affligée recourut au Père éternel pour cette inconcevable cruauté, afin qu'il ne permît qu'elle se fit selon l'intention des bourreaux, et elle commanda aux anges de venir au secours de leur créateur. Dès qu'ils eurent fini, ils élevèrent la croix et la firent tomber dans le trou creusé à cet effet, mais ces monstres soutinrent le corps avec leurs lances et lui firent de profondes blessures sous les bras, en enfonçant le fer dans la chair pour aider à dresser la croix. A ce spectacle si cruel, le peuple redoubla ses cris et le bruit et la confusion augmentèrent, de sorte que le coeur de la pauvre mère était entièrement accablé de douleur. Les juifs le blasphémaient, les dévots le pleuraient, les étrangers étaient confondus d'étonnement, et quelques uns n'osaient pas le regarder par l'horreur qu'ils en éprouvaient,, et le corps sacré répandait son sang en abondance par les blessures qui avaient été faites et les plaies qui avaient été renouvelées.
Ils crucifièrent également les deux voleurs, et ils dressèrent leurs croix l'une à droite l'autre à gauche, ils le placèrent au milieu, afin qu'il fut considéré comme le chef et le plus grand des scélérats. Les pontifes et les pharisiens branlaient la tête avec des gestes de mépris, ils l'insultaient et lui jetaient de la poussière et des pierres , en disant; toi qui détruis le temple de Dieu et le rebâtis en trois jours, sauve- toi toi-même. Les deux voleurs l'injuriaient aussi et lui disaient; si tu es le fils de Dieu, sauve-toi toi-même et nous aussi. Cependant la sainte Vierge à genoux adorait son divin fils, elle pria le Père éternel de faire éclater l'innocence de Jésus-Christ. Sa prière fut exaucée la terre trembla, le soleil s'éclipsa, la lune s'obscurcit et les éléments furent dans la confusion, les montagnes se, fendirent ainsi que le voile du temple, les tombeaux s'ouvrirent et les bourreaux se retirèrent contrits, gémissants et convertis, parce que Jésus en agonie, proféra ces paroles qui renferment l'excès de la charité: Mon père, pardonnez leur, car ils ne savent ce qu'ils font.
L'un des voleurs appelé Dismas, entendant ces paroles, et la sainte Vierge près de laquelle il était intercédant en même temps pour lui, il fut éclairé intérieurement et par cette divine lumière, il fut touché de contrition pour ses péchés, il reprit son compagnon et défendit l'honneur de Jésus-Christ, il se recommanda au Sauveur et le paradis lui fut promis. Le bon larron ayant été justifié, Jésus jeta un regard plein de tendresse sur sa mère, et proféra la troisième parole : femme voilà votre fils, en lui montrant saint Jean, et il dit à celui-ci: voilà votre mère. Il était près de trois heures et il adressa à son père la quatrième parole: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez vous abandonné, s'affligeant de ce que la divinité avait suspendu les divines influences à sa sainte humanité, et aussi parce qu'il voyait un grand nombre de méchants, qui quoique devenus ses membres, et malgré son sang versé avec une si surabondante profusion, devaient se séparer de son corps divin et se damner. C'est pourquoi il proféra la cinquième parole: j'ai soif. Il avait soif de voir tous les hommes correspondre au salut par la foi et la charité qu'ils lui devaient. Mais les méchants lui présentèrent à l'extrémité d'un roseau une éponge trempée de fiel et de vinaigre. A la prière de la sainte Vierge, il refusa pour ne pas martyriser sa sainte bouche. Il prononça la sixième parole: Consummatum est, pour annoncer que la grande oeuvre de la rédemption du monde était accomplie. Enfin il ajouta; mon père, je remets mon. âme entre vos mains, il prononça ces divines paroles d'une voix forte èt sonore, en élevant au ciel ses yeux pleins de sang, et inclinant sa tête divine, il expira. Si la divine mère n'expira pas aussi ce fut par un miracle de la toute-puissance de Dieu. Lucifer et tous les siens par la vertu de ces dernières paroles fut vaincu et précipité dans l'enfer, et son empire fut détruit. La sainte Vierge demeura au pied de la croix jusqu'à la fin du jour, où l'on ensevelit le corps du rédempteur. Et en récompense de cette dernière douleur la très-pure mère fut toute spiritualisée dans le peu de l'être terrestre, que son corps virginal avait encore.
Chaque père de famille fait son testament avant de mourir, ainsi Jésus-Christ avant de prononcer les sept paroles fit son testament sur la croix concerté avec le Père éternel, il resta scellé et caché pour les hommes, il ne fut ouvert qu'à la divine mère comme coadjutrice de la rédemption. il la déclara héritière, et exécutrice testamentaire pour accomplir sa divine volonté, et tout fut remis dans ses mains par le divin maître, comme le Père avait tout remis dans celles du fils. Ainsi notre grande reine dut distribuer les trésors dus à son fils parce qu'il est Dieu, et acquis par ses mérites infinis. Elle fut déclarée donc la dépositaire de toutes les richesses, dont son fils, notre rédempteur nous cède les droits auprès du Père éternel, afin que les secours, les grâces, et les faveurs soient accordés par la sainte Vierge et qu'elle les distribue de ses mains miséricordieuses et libérales.
Vie divine de la très-sainte Vierge Marie - LA DERNIÈRE CÈNE.