1999 Don de l'autorité
A l'occasion de la publication du document Le don de l'autorité, 12 mai 1999
(Abbaye de Westminster - Londres)
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En mars 1966, l'Archevêque de Cantorbéry d'alors, Dr Michael Ramsay, rendit une visite officielle au Pape Paul VI à Rome. Cette rencontre inaugurait une nouvelle ère dans les relations entre la Communion anglicane et l'Eglise catholique, l'accent étant mis sur la charité chrétienne et sur les efforts sincères en vue d'éliminer les causes de conflit et de rétablir l'unité.
La décision fut prise d'établir un dialogue international officiel dont le travail eût pu conduire à l'unité dans la vérité, pour laquelle le Christ a prié. La Commission internationale anglicane-catholique romaine (ARCIC) s'est mise à l'oeuvre en 1970. Il s'agit d'un dialogue international dont les membres sont des spécialistes officiellement nommés pour représenter la Communion anglicane et l'Eglise catholique à travers le monde.
Au début, trois principaux points de dialogue ont été assignés à l'ARCIC: la doctrine de l'eucharistie: ministère et ordination, et l'autorité dans l'Eglise. Plusieurs Déclarations communes, adoptées au cours du travail de la Commission, ont été réunies et publiées ensemble en 1981 dans un document appelé Rapport final, soumis aux deux Eglises pour évaluation et réception. La Communion anglicane a donné sa réponse officielle dans une résolution adoptée en 1988 par la Conférence de Lambeth. L'Eglise catholique a répondu en 1991.
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Depuis la publication du Rapport final, ARCIC a adopté plusieurs Déclarations communes concernant d'autres sujets importants sur lesquels le Pape Jean-Paul II et l'Archevêque Robert Runcie, lors de leur rencontre à Cantorbéry en 1982, avaient demandé à la Commission d'engager un dialogue. Le don de l'autorité qui est publié aujourd'hui est la quatrième Déclaration de cette seconde phase du travail d'ARCIC.
Nous sommes heureux de mettre ce document en circulation dans un lieu qui date de l'époque antérieure à nos divisions. Nous espérons que cette nouvelle Déclaration contribuera à y mettre fin. C'est un document destiné aux chrétiens anglicans et catholiques des nombreux pays où ils vivent côte à côte partout dans le monde. Il a déjà été envoyé aux Primats anglicans et aux Présidents des Conférences épiscopales catholiques, et des traductions seront disponibles en plusieurs langues ainsi que sur le réseau internet mondial.
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Avant même le début du dialogue, il était clair que la question de l'autorité dans l'Eglise aurait exigé une grande attention. L'autorité, en particulier l'autorité de l'évêque de Rome, avait été un élément-clé de la division qui s'est produite à l'époque de la Réforme anglaise. Pendant quatre siècles, la Communion anglicane et l'Eglise catholique ont développé séparément leurs structures de l'autorité, et les anglicans ont vécu sans le ministère de l'évêque de Rome.
Le Rapport final a consacré deux Déclarations communes et une Elucidation' à la question de l'autorité dans l'Eglise. Elles montrent qu'il existe déjà un accord considérable, reconnu par nos deux Eglises, sur: la façon dont l'autorité opère dans l'Eglise; le rôle particulier des évêques; et, ce qui est très important, sur la signification de l'évêque de Rome dans une Eglise réunifiée, et la place que son ministère occupe dans le plan providentiel de Dieu pour son Eglise.
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Alors, pourquoi la Commission ARCIC revient-elle sur cette question? Tout d'abord, parce que le Rapport final lui-même reconnaissait que, malgré les importants progrès réalisés, quelques problèmes sérieux restaient encore à résoudre. En second lieu, parce que les réponses officielles anglicane et catholique au Rapport final demandaient à ARCIC de le faire. Elles faisaient remarquer que les Déclarations contenues dans le Rapport final offraient une excellente base pour un dialogue ultérieur. Les principaux points soumis à la Commission sont mentionnés au paragraphe 3 de Don de l'autorité. Une troisième raison est que cette nouvelle Déclaration contribuera, on l'espère, au débat sur l'autorité qui a lieu dans les deux Eglises. La Conférence de Lambeth de 1998 a demandé aux anglicans que les importantes questions sur l'autorité dans la Communion anglicane, soulevées dans le Virginia Report préparé pour la Conférence, soient l'objet de réflexion et d'étude. Parmi ces questions figure celle de l'autorité universelle dans l'Eglise. Le Pape Jean-Paul II, dans son encyclique de 1995, Ut unum sint, a également fait appel à un dialogue patient et fraternel sur le ministère d'unité de l'évêque de Rome, de façon à pouvoir être accepté par tous. Enfin, à moins de parvenir à un accord suffisant sur l'autorité, qui touche tant d'aspects de la vie de l'Eglise, nous ne pourrons atteindre la pleine unité visible à laquelle nous sommes tous deux engagés, comme l'ont dit clairement l'Archevêque Carey et le Pape Jean-Paul II lorsqu'ìls se sont rencontrés en 1996
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Elle est le résultat de cinq années de dialogue, d'écoute patiente, d'étude et de prière.
La Commission a répondu aux demandes de nos autorités respectives. Avec leur autorisation, ce document est à présent publié sous forme de Déclaration adoptée par la Commission et soumise à la réflexion et à l'examen de nos Eglises.
La Déclaration s'appuie sur tout le travail antérieur d'ARCIC concernant l'autorité d'où son sous-titre, Autorité dans l'Eglise III. Par conséquent, elle doit être lue parallèlement aux Déclarations communes précédentes. C'est un texte riche, étayé d'arguments sérieux, dont chaque phrase est importante en vue des conclusions auxquelles on veut parvenir. Elle exigera donc une étude et une réflexion attentives de la part de nos deux Communions.
Il importe de bien comprendre ce que les membres de la Commission ont essayé de faire: ils se sont efforcés d'exprimer ce qui découle de notre foi commune, ainsi qu'ils le croient fermement; autrement dit, ils se sont engagés de leur mieux dans le dialogue en tant que représentants des deux Eglises, non pas en entamant une sorte de négociation, mais en cherchant à exprimer ensemble ce qu'ils croient être l'exigence de la foi.
Le titre du nouveau document indique une orientation très importante. L'autorité dans l'Eglise, correctement comprise, est un don de Dieu qui doit être reçu avec gratitude.
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Une image scripturaire, prise dans la deuxième Epître aux Corinthiens de saint Paul, est utilisée à plusieurs reprises pour que soit toujours présent à notre esprit l'objet suprême de l'autorité. L'autorité sert à rappeler à l'Eglise le oui de Dieu à l'humanité en Jésus Christ et permet à ses membres de répondre par un amen fidèle, en suivant la voie du Christ.
Ensuite est exposée en grandes lignes la façon dont l'autorité est exercée à différents niveaux dans la vie de l'Eglise, y compris comment le peuple de Dieu transmet la Tradition dans l'espace et dans le temps, et le rôle particulier des évêques dans le discernement et l'articulation de cette foi de l'Eglise, et en s'assurant que toutes les Eglises sont en communion les unes avec les autres.
Le document indique qu'il y a accord sur le fait que le collège des évêques a le pouvoir d'émettre un jugement qui, fidèle aux Ecritures et conforme à la Tradition apostolique, est exempt de toute erreur (cf. n 42). Ce devoir de maintenir l'Eglise dans la vérité est une des fonctions essentielles du collège épiscopal (n 44).
La Déclaration s'appuie sur l'accord concernant l'évêque de Rome dans le précédent travail d'ARCIC, et présente une entente sur son ministère spécifique au sein du collège des évêques dans le discernement de la vérité, qui a été à l'origine de tant de difficultés et de malentendus. Le document s'efforce de préciser qu'en certaines circonstances, l'évêque de Rome a le devoir de discerner et de rendre explicite, dans la fidélité à l'Ecriture et à la Tradition, la foi authentique de toute l'Eglise, c'est-à-dire la foi de tous les baptisés en communion entre eux. La Commission estime que cela est un don qui doit être reçu par toutes les Eglises et que c'est la conséquence de la reconnaissance de la primauté de l'évêque de Rome
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L'étude détaillée de cette Déclaration va évidemment offrir des stimulations à nos deux Eglises, concernant la façon dont l'autorité y est exercée. Quelques-unes de ces stimulations sont mentionnées dans la dernière partie du document. La tâche de la Commission était d'engager le dialogue sur une question importante et difficile. Elle estime être parvenue à un nouvel accord qu'elle soumet à nos Eglises. Il appartient à nos autorités de décider en temps opportun si notre foi peut se reconnaître dans cette nouvelle Déclaration commune et comment traiter les conséquences qu'elle entraîne.
Rapport de la Commission internationale
anglicane - catholique romaine (ARCIC II) 1999
par les coprésidents
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Une recherche intensive en vue de la pleine unité visible entre la Communion anglicane et l'Eglise catholique romaine a été engagée voici plus de trente ans par la rencontre historique, à Rome, entre l'Archevêque Michael Ramsay et le Pape Paul VI. La commission créée pour la préparation du dialogue constatait dans son Rapport de Malte, en 1968, qu'une des « tâches urgentes et importantes » serait d'examiner la question de l'autorité. En un sens, cette question est au coeur de nos malheureuses divisions.
Dans le Rapport final de l'ARCIC, publié en 1981, la moitié du texte concernait le dialogue sur l'autorité dans l'Eglise, avec deux textes d'accord et une élucidation. On avait là une base importante, qui ouvrait la voie à une convergence profonde. Les réponses officielles de la Conférence de Lambeth de la Communion anglicane, en 1988, et de l'Eglise catholique en 1991, encouragèrent la Commission à poursuivre l' « avancée remarquable » qui avait été réalisée. D'où cette nouvelle déclaration commune de l'ARCIC, Le don de l'autorité.
Une image scripturaire fournit la clé de la présente Déclaration. Au chapitre 2 de sa seconde lettre aux Corinthiens, Paul parle du «Oui » de Dieu à l'humanité et de l' «Amen » que nous lui donnons en réponse, l'un et l'autre en Jésus Christ (cf. 2Co 1,19-20) . Le don de l'autorité que Dieu fait à son Eglise est au service du « Oui » de Dieu à son peuple et de l' « Amen » de ce dernier.
Le lecteur est invité à emprunter le chemin qui a mené la Commission à ses conclusions. Celles-ci sont le fruit de cinq années de dialogue, d'écoute patiente, d'étude et de prière commune. La déclaration entraînera, nous l'espérons, une réflexion théologique ; ses conclusions interpellent nos deux Eglises, et notamment sur la question cruciale de la primauté universelle. La question de l'autorité concerne la manière dont l'Eglise enseigne, agit et prend des décisions doctrinales en fidélité à l'Evangile, de sorte qu'un véritable accord sur l'autorité ne saurait être théorique. Si la présente déclaration doit contribuer à la réconciliation de la Communion anglicane et de l'Eglise catholique, si elle est acceptée, elle exigera une réponse dans les faits et dans la vie.
Bien des choses se sont passées, durant ces années, par quoi la conscience que nous avons mutuellement d'être frères et soeurs en Christ s'est trouvée approfondie. Notre marche vers la pleine unité visible s'avère malgré tout plus longue que certains l'escomptaient, que beaucoup l'espéraient. Nous avons rencontré de sérieux obstacles qui ont rendu la progression difficile. L'effort de dialogue persévérant et appliqué est dans ce cas d'autant plus vital. L'actuel Archevêque de Cantorbéry, le Dr George Carey, et le Pape Jean-Paul II ont exprimé très franchement le besoin de ce travail sur l'autorité, lors de leur rencontre en 1996 : « Sans accord dans ce domaine nous n'atteindrons pas la pleine unité visible dont nous avons tous deux la responsabilité ».
Nous prions que Dieu permettre au travail de la Commission de contribuer au but que nous désirons tous, la guérison de nos divisions, de manière que nous puissions dire ensemble un « Amen » uni à la gloire de Dieu (2Co 1,20) .
+CORMAC MURPHY-O'CONNOR
+ MARK SANTER
Palazzola
en la fête de Saint Grégoire-le-Grand 3 septembre 1998
Seul le texte original anglais de ce document est à considérer comme version officielle. Par conséquent, dans le cas où des expressions utilisées dans la présente traduction susciteraient des doutes, il est conseillé de se reporter à la version officielle anglaise.
Notes:
(1) Ce document est le résultat du travail de la Commission internationale anglicane-catholique romaine (ARCIC). Il s'agit d'une déclaration commune de cette Commission. Les autorités qui ont établi cette Commission ont autorisé la publication de cette déclaration afin qu'elle puisse être largement discutée. Il ne s'agit pas d'une déclaration de l'Eglise catholique romaine ou de la Communion anglicane faisant autorité. Celles-ci procéderont à une évaluation de ce document afin d'émettre un avis sur ce dernier en temps voulu.
Les citations des Ecritures ont été prises dans la New Revised Standard Version de la Bible.
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Le dialogue entre anglicans et catholiques romains a montré des signes notables de progrès sur la question de l'autorité dans l'Eglise. Ce progrès est déjà constatable dans la convergence sur la compréhension de l'autorité réalisée par les précédentes déclarations de l'ARCIC. Notamment : reconnaissance du fait que l'Esprit du Seigneur Ressuscité maintient le Peuple de Dieu dans l'obéissance à la volonté du Père. Par cette action du Saint-Esprit, l'autorité du Seigneur est active dans l'Eglise (cf. Rapport final. L'autorité dans l'Eglise I,) ; reconnaissance du fait qu'en raison de leur baptême et de leur participation au sensus fidelium, les laïcs ont de droit dans l'Eglise un rôle à jouer dans les prises de décision (cf. L'autorité dans l'Eglise : Elucidation, 4) ; la complémentarité de la primauté et de la conciliarité en tant qu'éléments de l'épiscopè dans l'Eglise (cf. L'autorité dans l'Eglise , 22) ; le besoin d'une primauté universelle exercée par l'Evêque de Rome, en tant que signe et garantie de l'unité d'une Eglise réunifiée (cf. L'autorité dans l'Eglise II, 9) ; le besoin que le Primat universel exerce son ministère en association collégiale avec les autres évêques (cf. L'autorité dans l'Eglise II, 19) ; une compréhension de la primauté universelle et de la conciliarité comme complètant et ne supplantant pas l'exercice de l'épiscopè dans les Eglises locales (cf. L'autorité dans l'Eglise I, 21-23 ; L'autorité dans l'Eglise II, 19).
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Les autorités de la Communion anglicane et celles de l'Eglise catholique romaine ont officiellement pris acte de cette convergence. La Conférence de Lambeth, dans sa session de 1988, a non seulement considéré les accords de l'ARCIC sur la doctrine eucharistique, sur le ministère et l'ordination, comme étant pour l'essentiel en conformité avec la foi des anglicans (Résolution 8 : ), mais elle a affirmé que les accords sur l'autorité dans l'Eglise fournissaient la base d'une continuation du dialogue. (Résolution 8 : ). Le Saint-Siège, de même, tout en reconnaissant, dans sa réponse officielle de 1991, des plages d'accord dans des questions de très grande importance pour la foi de l'Eglise catholique romaine, telles que l'eucharistie et le ministère de l'Eglise, a pris acte des signes de convergence entre nos deux communions sur la question de l'autorité dans l'Eglise, et indiqué que cela ouvrait la voie à de nouvelles avancées.
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Cependant, les autorités de nos deux communions ont demandé de poursuivre l'exploration de domaines où elles estiment qu'en dépit des convergences le consensus nécessaire n'est pas encore total. Ceci concerne : la relation entre l'Ecriture, la Tradition et l'exercice de l'autorité doctrinale ; la collégialité, la conciliarité et le rôle des laïcs dans les prises de décision ; le ministère pétrinien de la primauté universelle, en relation avec l'Ecriture et la Tradition. Même si l'on a avancé, de sérieuses difficultés ont surgi sur la route de l'unité. D'épineuses questions au sujet de l'autorité ont été soulevées pour chacune de nos communions. Par exemple, les débats et les décisions au sujet de l'ordination des femmes ont amené des questions sur les sources et les structures de l'autorité et la façon dont elles fonctionnent pour les anglicans et les catholiques romains.
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Dans les deux communions, l'examen de la manière dont l'autorité doit être exercée aux différents niveaux est resté ouvert aux perspectives d'autres Eglises sur ces questions. Par exemple, le Virginia Report de la Commission théologique et doctrinale inter-anglicane (préparé pour la Conférence de Lambeth de 1988) déclare : « La longue histoire de l'engagement oecuménique, localement comme au plan international, nous a montré que le discernement et les prises de décision chez les anglicans doivent tenir compte des perceptions de la vérité ainsi que de la sagesse inspirée par l'Esprit de nos partenaires oecuméniques. De plus, toute décision que nous pouvons prendre doit être présentées au discernement de l'Eglise universelle » (The Virginia Report, 6.37). Le pape Jean-Paul II également, dans sa Lettre encyclique Ut Unum Sint, a invité les dirigeants et les théologiens d'autres Eglises à engager avec lui un dialogue fraternel sur la manière dont le ministère spécial d'unité de l'Evêque de Rome pourrait être exercé dans une situation nouvelle (cf. UUS 95-96).
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La nature et l'exercice de l'autorité dans les Eglises et dans la société sont l'objet d'un vaste débat. Anglicans et catholiques romains veulent témoigner devant les Eglises et devant le monde que l'autorité correctement exercée est un don de Dieu qui apporte réconciliation et paix à l'humanité. L'autorité peut être exercée de manière tyrannique et destructive. Il arrive souvent, on le sait, qu'il en soit ainsi dans les sociétés humaines et jusque dans les Eglises, lorsque celles-ci adoptent sans discernement certains modèles d'autorité. L'exercice de l'autorité dans le ministère de Jésus indique une autre façon de faire. C'est en conformité avec l'esprit et l'exemple du Christ que l'Eglise est appelée à exercer l'autorité (cf. Lc 22,24-27 Jn 13,14-15 Ph 2,1-11) . Pour l'exercice de cette autorité, l'Eglise est dotée par l'Esprit Saint de divers dons et ministères (cf. 1Co 12,4-11 Ep 4,11-12) .
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Depuis le début de son travail, l'ARCIC a envisagé les questions d'enseignement et de pratique de l'Eglise dans le contexte de notre communion réelle, mais imparfaite, en Christ, et de l'unité visible à laquelle nous sommes appelés. La Commission a toujours cherché à dépasser les positions tranchées et les oppositions, pour découvrir et développer notre héritage commun. S'appuyant sur le travail antérieur de l'ARCIC, la Commission présente une nouvelle déclaration, qui montre comment le don de l'autorité, exercée correctement, met l'Eglise à même de persévérer dans l'obéissance au Saint-Esprit qui la maintient dans la fidélité à servir l'Evangile pour le salut du monde. Nous voulons en outre montrer plus clairement comment l'exercice et l'acceptation de l'autorité dans l'Eglise sont inséparables de la réponse des croyants à l'Evangile, comment cela est lié à l'interaction dynamique de l'Ecriture et de la Tradition, et est exprimé et vécu dans la communion des Eglises et la collégialité de leurs évêques. Ces réflexions nous ont conduits à une compréhension plus profonde d'une primauté universelle qui serve l'unité de toutes les Eglises particulières.
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Dieu est l'auteur de la vie. Par sa Parole et son Esprit, dans une entière liberté, il fait apparaître la vie. En dépit du péché des hommes, Dieu, en toute fidélité, reste l'auteur de l'espérance de vie nouvelle pour tous. Dans l'oeuvre de rédemption de Jésus Christ, il renouvelle sa promesse à sa création, car « le dessein de Dieu est d'amener tous les hommes à la communion avec lui dans une Création transformée » (ARCIC L'Eglise comme communion, 16). L'Esprit de Dieu continue d'oeuvrer à la création et à la rédemption pour mener à son achèvement ce dessein de réconciliation et d'unité. La racine de toute autorité vraie est ainsi l'activité du Dieu Un et Trine, auteur de la vie dans toute sa plénitude.
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L'autorité de Jésus Christ est celle du « Témoin fidèle », l' « Amen » (cf. Ap 1,5 Ap 3,14) en qui toutes les promesses de Dieu trouvent leur « Oui ». Quand Paul avait à défendre l'autorité de son enseignement, il se référait à l'autorité digne de confiance de Dieu : « Aussi vrai que Dieu est fidèle, notre langage avec vous n'a pas été oui et non. Car le Fils de Dieu, le Christ Jésus, que nous avons annoncé parmi vous ... n'a pas été oui et non ; il n'y a que oui en lui. Car toutes les promesses de Dieu ont en effet leur oui en lui. C'est pourquoi nous disons en lui notre « Amen » à la gloire de Dieu » (2Co 1,18-20) . Paul parle du « Oui » de Dieu à nous et de l' « Amen » de l'Eglise à Dieu. En Jésus Christ, Fils de Dieu et né d'une femme, le « Oui » de Dieu à l'humanité et l' « Amen » de l'humanité à Dieu deviennent une réalité humaine concrète. Ce thème du « Oui » de Dieu et de l' « Amen » de l'humanité en Jésus Christ est la clé de l'étude de l'autorité dans cette déclaration.
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Dans la vie et le ministère de Jésus, venu pour faire la volonté de son Père (cf. He 10,5-10) jusqu'à la mort (cf. Ph 2,8 Jn 10,18) , Dieu a donné le parfait « Amen » humain à son dessein de réconciliation. Dans sa vie, Jésus s'est montré totalement dévoué au Père (cf. Jn 5,19) . La manière dont il exerçait l'autorité dans son ministère terrestre était perçue par ses contemporains comme quelque chose de neuf. Cela se constatait dans son enseignement puissant et dans sa parole qui guérissait et libérait (cf. Mt 7,28-29 Mc 1,22-27) . Surtout, son autorité était manifestée par son don de soi total, son amour poussé jusqu'au sacrifice (cf. Mc 10,45) . Or Jésus parlait et agissait avec autorité à cause de sa parfaite communion avec le Père. Son autorité venait du Père (cf. Mt 11,27 Jn 14,10-12) . C'est au Seigneur Ressuscité que toute autorité est donnée au ciel et sur la terre (Mt 28,18) . Jésus Christ maintenant vit et règne avec le Père, dans l'unité du Saint-Esprit ; il est la Tête de son Corps, l'Eglise, et Seigneur de toute la Création (cf. Ep 1,18-23) .
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L'obéissance de Jésus Christ qui est source de vie suscite, par l'Esprit, notre « Amen » à Dieu le Père. Dans cet « Amen » par le Christ nous glorifions Dieu qui répand son Esprit dans nos coeurs en gage de sa fidélité (cf. 2Co 1,20-22) . Nous sommes appelés en Christ à rendre témoignage au dessein de Dieu (cf. Lc 24,46-49) , témoignage qui peut comporter pour nous aussi l'obéissance jusqu'à la mort. En Christ, l'obéissance n'est pas un fardeau (cf. 1Jn 5,3) . Elle jaillit de la libération donnée par l'Esprit de Dieu. Le « Oui » divin et notre « Amen » apparaissent clairement dans le baptême, lorsqu'en compagnie des fidèles nous disons « Amen » à l'oeuvre de Dieu en Christ. Par l'Esprit, notre « Amen », comme croyants, est incorporé à l' « Amen » du Christ, par qui, avec qui et en qui nous adorons le Père.
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L'Evangile vient aux gens par toutes sortes de voies : le témoignage et la vie d'un parent ou d'un chrétien, la lecture des Ecritures, la participation à la liturgie, ou une autre expérience spirituelle. L'acceptation de l'Evangile prend donc bien des formes : être baptisé, renouveler un engagement, décider de rester fidèle, dans des actes d'abnégation au service des nécessiteux. Dans de telles actions, la personne déclare : « Assurément, Jésus Christ est mon Dieu : il est salut pour moi, source de l'espérance, vrai visage du Dieu vivant ».
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Lorsqu'un croyant dit individuellement « Amen » au Christ, la démarche a toujours une dimension plus large, à savoir un « Amen » à la foi de la communauté chrétienne. La personne qui reçoit le baptême doit aller jusqu'à reconnaître la pleine implication du fait de participer à la vie divine au sein du Corps du Christ. L « Amen » du croyant au Christ n'en devient que plus complet lorsque cette personne reçoit tout ce que l'Eglise, en fidélité à la Parole de Dieu, affirme être le contenu authentique de la révélation divine. De la sorte, l' « Amen » dit à ce que le Christ est pour chaque croyant est incorporé à l' « Amen » que l'Eglise dit à ce que le Christ est pour son Corps. Croître dans cette foi peut être pour certains une expérience de questions et de luttes. Pour tous, c'est une expérience dans laquelle l'intégrité de la conscience du croyant a un rôle vital à jouer. L' « Amen » du croyant au Christ est si fondamental que les individus chrétiens sont appelés toute leur vie à dire « Amen » à tout ce que toute la communauté chrétienne reçoit et enseigne comme la signification authentique de l'Evangile et la manière de suivre le Christ.
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Les croyants suivent le Christ en communion avec d'autres chrétiens dans leur Eglise locale (cf. L'autorité dans l'Eglise , 8, où l'on explique que « l'unité des communautés locales sous un seul évêque constitue ce qui est communément compris dans nos deux communions comme une Eglise locale»). Dans l'Eglise locale, ils partagent la vie chrétienne, sont guidés ensemble pour la formation de leurs consciences et reçoivent la force pour faire face à leurs difficultés. Ils sont soutenus par les moyens de grâce dont Dieu munit son peuple : les Saintes Ecritures, exposées dans la prédication, la catéchèse et les confessions de foi ; les sacrements ; le service du ministère ordonné ; la vie de prière et le culte en commun ; le témoignage des saints. Le croyant est incorporé à un « Amen » de la foi, plus ancien, plus profond, plus large, plus riche que l' « Amen » individuel à l'Evangile. La relation entre la foi de l'individu et la foi de l'Eglise est ainsi plus complexe qu'il peut parfois sembler. Tout baptisé a part à la riche expérience de l'Eglise qui, même quand elle est aux prises avec les questions contemporaines, continue de proclamer ce que le Christ est pour son Corps. Chaque croyant, par la grâce de l'Esprit, avec tous les croyants de tous les temps et de partout, est héritier de cette foi de l'Eglise dans la communion des saints. Les croyants vivent donc d'un double « Amen » dans la tradition du culte, de l'enseignement et de la pratique de leur Eglise locale. Cette Eglise locale est une communauté eucharistique. Au centre de sa vie est la célébration de la Sainte Eucharistie dans laquelle tous les croyants entendent et reçoivent le « Oui » de Dieu pour eux en Christ. Dans la grande Action de grâces, lorsque le mémorial du don de Dieu dans l'oeuvre salvifique du Christ crucifié et ressuscité est célébré, la communauté est une avec tous les chrétiens de toutes les Eglises qui, depuis le commencement et jusqu'à la fin, prononcent l' « Amen » de l'humanité à Dieu, - l' « Amen » dont l'Apocalypse affirme qu'il est au coeur de la grande liturgie du ciel (Ap 5,14 Ap 7,12) .
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Le « Oui » de Dieu inspire et incite l' « Amen » des croyants. La Parole révélée, à laquelle la communauté apostolique a porté témoignage à l'origine, est reçue et communiquée dans la vie de toute la communauté chrétienne. La Tradition (paradosis) n'est autre que ce processus.(2) L'Evangile du Christ crucifié et ressuscité ne cesse pas d'être transmis et reçu (cf. 1Co 15,3) dans les Eglises chrétiennes. Cette tradition, ou transmission, de l'Evangile est l'oeuvre de l'Esprit, spécialement par le ministère de la parole et des sacrements et dans la vie commune du peuple de Dieu. La Tradition est un processus dynamique, la communication à chaque génération de ce qui a été remis une fois pour toutes à la commmunauté apostolique. La Tradition est beaucoup plus que la transmission de propositions vraies concernant le salut. Une compréhension minimaliste de la Tradition qui la réduirait à n'être qu'un magasin de doctrines et de décisions ecclésiastiques est insuffisante. L'Eglise reçoit et doit transmettre tous ces éléments qui sont constitutifs de la communion ecclésiale : le baptême, la confession de la foi apostolique, la célébration de l'Eucharistie, le gouvernement par un ministère apostolique (cf. L'Eglise comme communion, 15, 43). Dans l'économie (oikonomia) de l'amour de Dieu pour l'humanité, la Parole qui est devenue chair et qui a demeuré parmi nous est au centre de ce qui a été transmis depuis le début et qui sera transmis jusqu'à la fin.
(2) Conformément à l'usage oecuménique, le mot Tradition, avec une majuscule, renvoie à « l'Evangile lui-même, transmis de génération en génération dans et par l'Eglise, » tandis que le mot tradition, sans majuscule, désigne le processus de transmission, « la transmission de la vérité révélée (Rapport de la 4ème Conférence mondiale de Foi et Constituttion, (Montréal 1963), Section II, paragraphe 39). Le pluriel traditions renvoie aux aspects particuliers de la liturgie, de la théologie, de la vie canonique et ecclésiale dans les différentes cultures et communautés de foi. Souvent, cependant, ces usages du mot sont difficiles à distinguer exactement. L'expression Tradition apostolique désigne le contenu de ce qui a été transmis depuis les temps apostoliques et qui continue d'être la fondement de la vie et de la théologie chrétiennes.
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La Tradition est un canal de l'amour de Dieu, qui le rend accessible dans l'Eglise et dans le monde aujourd'hui. Par elle, d'une génération à l'autre et d'un endroit à l'autre, l'humanité a part à la communion dans la Sainte Trinité. Par le processus de la tradition, l'Eglise pourvoit au service de la grâce du Seigneur Jésus Christ et de la koinonia du Saint-Esprit (cf. 2Co 13,14) . C'est pourquoi la Tradition est partie intégrante de l'économie de la grâce, de l'amour et de la communion. Pour ceux dont les oreilles n'ont pas entendu et les yeux n'ont pas vu, le moment de la réception de l'Evangile du salut est une expérience d'illumination, de pardon, de guérison, de libération. Ceux qui ont part à la communion de l'Evangile ne peuvent se garder de le transmettre à d'autres, même si cela signifie pour eux le martyre. La Tradition est à la fois un trésor que le peuple de Dieu reçoit et un don à partager avec toute l'humanité.
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La Tradition apostolique est un don de Dieu qui doit être constamment reçu à nouveau. Par son moyen, le Saint-Esprit forme, maintient et soutient la communion des Eglises locales d'une génération à l'autre. La transmission et la réception de la Tradition apostolique est un acte de communion par lequel l'Esprit unit les Eglises locales d'aujourd'hui à celles qui les ont précédées dans l'unique foi apostolique. Le processus de la tradition comporte la constante et perpétuelle réception et communication de la Parole révélée de Dieu en plusieurs circonstances diverses et en des temps continuellement changeants. L' « Amen » de l'Eglise à la Tradition apostolique est un fruit de l'Esprit qui conduit constamment les disciples à la vérité toute entière ; c'est-à-dire au Christ, qui est la voie, la vérité et la vie (cf. Jn 16,13 Jn 14,6) .
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La Tradition exprime l'apostolicité de l'Eglise. Ce que les apôtres ont reçu et proclamé se trouve à présent dans la Tradition de l'Eglise où la Parole de Dieu est prêchée et les sacrements du Christ célébrés dans la puissance du Saint-Esprit. Les Eglises ont aujourd'hui à recevoir l'unique et vivante Tradition apostolique, à y conformer leur vie et à la transmettre de telle manière que le Christ venant dans la gloire trouve le Peuple de Dieu confessant et vivant la foi confiée une fois pour toutes aux saints (cf. Jud 3) .
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La Tradition rend présent dans l'Eglise d'aujourd'hui, à travers sa mémoire collective, le témoignage de la communauté apostolique. Par la proclamation de la Parole et la célébration des sacrements le Saint-Esprit ouvre les coeurs des croyants et leur manifeste le Seigneur Ressuscité. L'Esprit, qui était à l'oeuvre dans les événements uniques du ministère de Jésus continue d'enseigner l'Eglise, lui rappelant ce que le Christ a dit et fait, rendant présents les fruits de son action rédemptrice et l'avant-goût du royaume (cf. Jn 2,22 Jn 14,26) . Le but de la Tradition est atteint lorsque, par l'Esprit, la Parole est reçue et vécue dans la foi et l'espérance. Le témoignage de la proclamation, des sacrements et de la vie en communion est en même temps le contenu de la Tradition et son résultat. La mémoire fructifie de la sorte dans la vie de foi des fidèles, vécue dans la communion de leur Eglise locale.
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