1999 Don de l'autorité 18
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Dans le cadre de la Tradition, les Ecritures ont une place unique et normative, elles font partie aussi de ce qui a été donné une fois pour toutes. Etant l'attestation écrite du « Oui » de Dieu, elles requièrent constamment de l'Eglise qu'elle règle sur elles son enseignement, sa prédication et son action. « Puisque les Ecritures sont l'unique attestation écrite inspirée de la révélation divine, l'expression par l'Eglise de cette révélation doit être contrôlée par son accord avec l'Ecriture » ( L'autorité dans l'Eglise : Elucidation, 2). Par les Ecritures, la révélation de Dieu est rendue présente et transmise dans la vie de l'Eglise. Le « Oui » de Dieu est reconnu dans et par l' « Amen » de l'Eglise qui reçoit l'authentique révélation de Dieu. En recevant certains textes comme véritables attestations de la révélation divine, l'Eglise a défini ses Saintes Ecritures. Elle ne reconnaît qu'à ce corpus d'être la Parole de Dieu inspirée et mise par écrit, et à ce titre faisant seule autorité.
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Les Ecritures réunissent divers courants de traditions juives et chrétiennes. Ces traditions révèlent la manière dont la Parole de Dieu a été reçue, interprétée et transmise dans des contextes spécifiques, selon les besoins, les cultures et les circonstances de la vie du peuple de Dieu. Elles contiennent la révélation par Dieu de son dessein salvifique qui a été réalisé en Jésus Christ et a été la découverte des toutes premières communautés chrétiennes. Dans ces communautés, le « Oui » de Dieu a été reçu de façon nouvelle. Nous pouvons voir dans le Nouveau Testament comment les Ecritures du Premier Testament furent à la fois reçues comme révélation de l'unique vrai Dieu et réinterprétées et reçues comme révélation de sa Parole définitive en Christ.
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Tous les auteurs du Nouveau Testament ont subi l'influence de l'expérience de leurs communautés locales respectives. Ce qu'ils ont transmis, avec leurs dons et leurs conceptions théologiques, conserve les données évangéliques dont les Eglises de leur temps, dans leurs situations diverses, conservaient la mémoire. L'enseignement de Paul sur le Corps du Christ, par exemple, doit beaucoup aux problèmes et divisions de l'Eglise locale à Corinthe. Quand Paul parle de « notre autorité que le Seigneur nous a donnée pour vous édifier et non pour vous détruire » (2Co 10,8) , il le fait dans le contexte de ses relations orageuses avec l'Eglise de Corinthe. Même les affirmations centrales de notre foi font souvent clairement écho à la situation concrète et parfois dramatique d'une Eglise locale ou d'un groupe d'Eglises locales, auxquelles nous devons la transmission fidèle de la Tradition apostolique. L'accent des écrits johanniques sur la présence du Seigneur dans la chair d'un corps humain qui pouvait être vu et touché, avant comme après la résurrection (cf. Jn 20,27 1Jn 4,2) est lié au conflit interne aux communautés johanniques sur cette question. C'est par la lutte de communautés particulières, à des moments précis, pour discerner la Parole que Dieu leur adressait, que nous avons dans l'Ecriture un document authentique de la Tradition apostolique qui a à être transmise d'une génération à l'autre et d'une Eglise à l'autre, et à quoi les fidèles disent « Amen ».
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La formation du canon des Ecritures était partie intégrante du processus de la tradition. La reconnaissance par l'Eglise de ces Ecritures comme canoniques, après une longue période de discernement critique, représentait à la fois un acte d'obéissane et un acte d'autorité. Acte d'obéissance, en ce que l'Eglise discernait et recevait le « Oui » vivifiant de Dieu par les Ecritures, les acceptant comme normes de la foi. Acte d'autorité, en ce que l'Eglise, guidée par le Saint-Esprit, recevait et communiquait ces textes en déclarant qu'ils étaient inspirés et que d'autres ne sauraient être inclus dans le canon.
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La signification de l'Evangile révélé de Dieu n'est pleinement perçue qu'au sein de l'Eglise. La révélation de Dieu a été confiée à une communauté. L'Eglise ne saurait être décrite en sa vérité comme un agrégat de croyants individuels, pas plus que sa foi n'est la somme des croyances individuelles. Les croyants constituent ensemble le peuple de la foi car ils sont incorporés par le baptême à une communauté qui reçoit les Ecritures canoniques comme l'authentique Parole de Dieu ; ils reçoivent la foi au sein de cette communauté. La foi de la communauté précède la foi de l'individu. Ainsi, bien que le cheminement de foi d'une personne puisse naître d'une lecture individuelle de l'Ecriture, il ne peut s'y arrêter. L'interprétation individualiste des Ecritures n'est pas au diapason de la lecture du texte dans la vie de l'Eglise et est incompatible avec la nature de l'autorité de la Parole révélée de Dieu (cf. 1P 1,20-21). Parole de Dieu et Eglise de Dieu ne peuvent être disjointes.
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Au long des siècles, l'Eglise reçoit et interprète comme un don de la grâce de Dieu tout ce qu'elle reconnaît comme expression authentique de la Tradition confiée une fois pour toutes aux apôtres. La réception est acte de fidélité et en même temps de liberté. L'Eglise doit persévérer dans la fidélité pour que le Christ qui viendra dans la gloire reconnaisse en elle la communauté qu'il a fondée ; elle doit rester libre de recevoir la Tradition apostolique de manière nouvelle selon les situations auxquelles elle est confrontée. L'Eglise a la responsabilté de transmettre l'intégralité de la Tradition apostolique, même s'il peut y avoir des segments qu'elle trouve difficile d'intégrer à sa vie et à son culte. Il est possible que ce qui a eu grande signification pour une génération antérieure retrouve à l'avenir une importance peu perçue dans le présent.
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Dans l'Eglise, la mémoire du peuple de Dieu peut être affectée voire faussée par la finitude humaine et le péché. Même avec la promesse de l'assistance du Saint-Esprit, de temps en temps les Eglises perdent de vue des aspects de la Tradition apostolique et n'accèdent plus à la vision plénière du royaume de Dieu, à la lumière de laquelle nous cherchons à suivre le Christ. Les Eglises souffrent lorsqu'un élément de communion ecclésiale s'est trouvé oublié, négligé ou violé. Un recours renouvelé à la Tradition, dans une situation neuve, est le moyen par lequel la révélation de Dieu en Christ est remise en mémoire. On y est aidé par les connaissances des spécialistes en sciences bibliques et des théologiens, ainsi que par la sagesse des saints. On peut ainsi parvenir à une redécouverte d'éléments qui étaient négligés et à une mémoire rafraichie des promesses de Dieu, menant à un renouvellement de l' « Amen » de l'Eglise. Il peut aussi se faire un tri de ce qui a été reçu, du fait que dans un contexte nouveau certaines formulations traditionnelles paraissent insuffisantes ou même ouvertes à de mauvaises interprétations. Tout ce processus peut être dit re-réception.
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La communion à la Tradition apostolique a deux dimensions: diachronique et synchronique. Le processus de tradition comporte clairement la transmission de l'Evangile d'une génération à l'autre (diachronie). Si l'Eglise doit demeurer unie dans la vérité, il doit aussi comporter la communion des Eglises de partout dans cet unique Evangile (synchronie). Les deux sont nécessaires à la catholicité de l'Eglise. Le Christ promet que le Saint-Esprit gardera la vérité essentielle et salutaire dans la mémoire de l'Eglise, lui donnant la puissance que requiert sa mission (cf. Jn 14,26 Jn 15,26-27) . Cette vérité doit être transmise et reçue à nouveau par les fidèles de toutes les époques et en tous les lieux du monde, en réponse à la diversité et à la complexité de l'expérience humaine. Il n'est aucune partie de l'humanité, aucune race, aucune condition sociale, aucune génération à laquelle ce salut communiqué dans la transmission de la Parole de Dieu ne serait pas destiné (cf. L'Eglise comme communion, 34).
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Dans la riche diversité de la vie humaine, la rencontre avec la Tradition vivante produit des expressions différentes de l'Evangile. Là où diverses expressions sont fidèles à la Parole révélée en Jésus Christ et transmise par la communauté apostolique, les Eglises où elles se trouvent sont vraiment en communion. De fait, cette diversité de traditions est la manifestation pratique de la catholicité et, bien loin de la contredire, confirme la vigueur de la Tradition. De même que Dieu a créé la diversité entre les humains, de même la fidélité et l'identité de l'Eglise ne requierent-elles pas une uniformité d'expression et de formulation à tous les niveaux, dans toutes les situations, mais plutôt une diversité catholique dans l'unité de la communion. Pour une humanité réconciliée la richesse des traditions est une ressource vitale. « Les êtres humains ont été créés par Dieu, dans son amour, avec toute leur diversité pour pouvoir participer à cet amour en partageant les uns avec les autres ce qu'ils ont et ce qu'ils sont, s'ennrichissant ainsi l'un l'autre dans leur communion mutuelle » (L'Eglise comme communion, 35).
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Le peuple de Dieu est comme tel le porteur de la Tradition vivante. Dans les changements de situations qui posent à l'Evangile de nouveaux défis, le discernement, l'actualisation et la communication de la Parole de Dieu sont la responsabilité de tout le peuple de Dieu. Le Saint-Esprit opère par tous les membres de la communauté, se servant des dons qu'il fait à chacun pour le bien de tous. Les théologiens, en particulier, servent la communion de toute l'Eglise en examinant si et comment des idées nouvelles doivent être intégrées au courant continu de la Tradition. En chaque communauté il y a un échange, un jeu de relations mutuelles, dans lequel évêques, clergé et laïcs donnent aussi bien qu'ils reçoivent les uns des autres, au sein de tout le corps.
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En tout chrétien cherchant à être fidèle au Christ et pleinement incorporé à la vie de l'Eglise, il y a un sensus fidei. Ce sensus fidei peut être décrit comme une capacité active de discernement spirituel, une intuition formée par la participation au culte et par la vie en communion comme membre fidèle de l'Eglise. Quand cette capacité est exercée de concert avec le corps des fidèles on peut parler d'exercice du sensus fidelium (cf. L'autorité dans l'Eglise : élucidation 3-4). L'exercice du sensus fidei par chaque membre de l'Eglise contribue à la formation du sensus fidelium par lequel l'Eglise dans son ensemble reste fidèle au Christ. Par le sensus fidelium le corps entier s'articule au ministère, lui apportant sa contribution, recevant de lui et bénéficiant de l'activité de ceux qui au sein de la communauté exercent l'épiscopè et veillent sur la mémoire vivante de l'Eglise (cf. L'autorité dans l'Eglise , 5-6). L' « Amen » du croyant individuel est ainsi intégré de diverses manières à l' « Amen » de toute l'Eglise.
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Ceux qui exercent l'épiscopè dans le Corps du Christ ne doivent pas être séparés de la « symphonie » du peuple de Dieu tout entier, où ils ont leur rôle à jouer. Il leur faut être attentifs au sensus fidelium, qu'ils ont eux aussi en partage, s'ils tiennent à être sensibilisés à la nécessité d'une intervention pour le bien-être et la mission de la communauté, ou lorsqu'un élément de la Tradition a besoin d'être reçu de façon neuve. Le charisme et la fonction de l'épiscopè sont spécifiquement reliés au ministère de la mémoire qui renouvelle constamment l'Eglise dans l'espérance. Par ce ministère, l'Esprit Saint garde vivante dans l'Eglise la mémoire de ce que Dieu a fait et révélé, et l'espérance de ce qu'il fera pour amener toutes choses à l'unité dans le Christ. De cette manière, non seulement de génération en génération, mais d'un lieu à l'autre, l'unique foi se trouve communiquée et vécue. Ce ministère est celui de l'évêque et de ceux ordonnés sous sa responsabilité, lorsqu'ils proclament la Parole, administrent les sacrements et jouent leur rôle dans l'application de la discipline au profit du bien commun. Les évêques, le clergé et les autres fidèles doivent tous reconnaître et recevoir ce que Dieu leur transmet par cette médiation mutuelle. Le sensus fidelium du peuple de Dieu et le ministère de la mémoire existent ainsi ensemble dans une relation réciproque.
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Anglicans et catholiques romains peuvent en principe être d'accord sur tout ce qui précède, mais ils leur faut vouloir renouer avec cette compréhension commune. Quand les communautés chrétiennes sont dans une communion réelle mais imparfaite, elles sont appelées à reconnaître les unes dans les autres des éléments de la Tradition apostolique qu'elles peuvent avoir rejetées, oubliées, ou pas encore pleinement comprises. Elles ont en conséquence à recevoir ou à se réapproprier ces éléments, à reconsidérer les manières dont elles ont interprété séparément les Ecritures. Leur vie en Christ est enrichie lorsqu'elles donnent les unes aux autres et reçoivent les unes des autres. Elles croissent en compréhension et en expérience de leur catholicité lorsque le sensus fidelium et le ministère de mémoire s'exercent de concert dans la communion des croyants. Dans cette économie du donner et du recevoir au sein de la communion réelle mais imparfaite, elles se rapprochent d'un partage sans divisions dans l'unique « Amen » du Christ pour la gloire de Dieu.
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L'autorité conférée par Jésus à ses disciples fut avant tout l'autorité pour la mission, pour prêcher et guérir (cf. Lc 9,1-2 Lc 10,1) . Le Christ Ressuscité les a mandatés pour étendre l'Evangile au monde entier (cf. Mt 28,18-20) . Dans l'Eglise primitive, la prédication de la Parole de Dieu dans la puissance de l'Esprit était considérée comme le caractère spécifique de l'autorité apostolique (cf. 1Co 1,17 1Co 2,4-5) . Dans l'annonce du Christ crucifié, le « Oui » de Dieu à l'humanité devient une réalité présente à laquelle tous sont invités à répondre par leur « Amen ». Ainsi, l'exercice de l'autorité ministérielle dans l'Eglise, et d'abord par ceux investis du ministère de l'épiscopè, a une dimension radicalement missionnaire. L'autorité est exercée au sein de l'Eglise pour le bien de ceux qui sont en-dehors, afin que l'Evangile soit proclamé « en puissance et dans le Saint-Esprit et avec pleine conviction » (1Th 1,5) . Cette autorité rend l'Eglise entière capable d'incarner l'Evangile et de devenir la servante missionnaire et prophétique du Seigneur.
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Jésus a prié son Père que ses disciples soient un « afin que le monde connaisse que tu m'as envoyé et que tu l'as aimé comme tu m'as aimé » (Jn 17,23) . Lorsque les chrétiens ne s'accordent pas sur l'Evangile lui-même, la prédication « en puissance » est compromise. N'étant pas un dans la foi, ils ne peuvent être un dans la vie, et donc démontrer pleinement leur fidélité à la volonté de Dieu qui est la réconciliation de toutes choses avec le Père en Christ (cf. Col 1,20) . Tant que l'Eglise n'est pas la communauté de réconciliation que Dieu l'appelle à être, elle ne peut prêcher adéquatement cet Evangile ou proclamer de façon crédible le plan de Dieu qui est de rassembler son peuple dispersé dans l'unité sous le Christ comme Seigneur et Sauveur (cf. Jn 11,52) . C'est seulement lorsque tous les croyants seront unis dans la célébration commune de l'Eucharistie (cf. L'Eglise comme communion, 24) que le Dieu dont le dessein est de ramener toutes choses à l'unité dans le Christ (cf. Ep 1,10) sera véritablement glorifié par le peuple de Dieu. Pour ceux qui sont investis de l'autorité dans l'Eglise, l'enjeu et la responsabilité de leur ministère sont de promouvoir l'unité de toute l'Eglise dans la foi et la vie d'une façon qui enrichisse, loin de l'amoindrir, la légitime diversité des Eglises locales.
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Dans chaque Eglise particulière tous les fidèles sont appelés à marcher ensemble dans le Christ. Le terme de synodalité (dérivé de syn-hodos, qui signifie « chemin commun » ) indique la façon dont les croyants et les Eglises sont par là tenus ensemble en communion. Il exprime leur vocation (cf. Ac 9,2) à vivre, travailler et cheminer ensemble comme peuple de la Voie en Christ qui est la Voie (cf. Jn 14,6) . Comme leurs devanciers, ils cheminent à la suite de Jésus ( cf. Mc 10,52) , jusqu'à ce qu'il revienne.
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Dans la communion des Eglises locales, l'Esprit est à l'oeuvre pour donner à chaque Eglise sa stature par la grâce de la réconciliation et de la communion en Christ. C'est seulement par l'activité de l'Esprit que l'Eglise locale peut être fidèle à l' « Amen » du Christ et peut être envoyée dans le monde pour amener tous les hommes à prendre part à cet « Amen ». Par cette présence de l'Esprit, l'Eglise locale est maintenue dans la Tradition. Elle reçoit et partage la plénitude de la foi apostolique et des moyens de grâce. L'Esprit confirme l'Eglise locale dans la vérité de telle manière que sa vie incarne la vérité salvifique révélée en Christ. De génération en génération, l'autorité de la Parole vivante doit être rendue présente dans l'Eglise locale à travers tous les aspects de sa vie dans le monde. La façon dont l'autorité est exercée dans les structures et la vie collective de l'Eglise doit être conforme à l'intention du Christ ( cf. Ph 2,5) .
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L'Esprit du Christ dote chaque évêque de l'autorité pastorale nécessaire à l'exercice effectif de l'épiscopè dans une Eglise locale. Cette autorité inclut nécessairement la responsabilité de prendre et mettre en oeuvre les décisions requises pour que la charge épiscopale soit exercée pour le bien de la koinonia. Qu'elle oblige en conscience découle implicitement de la tâche de l'évêque d'enseigner la foi par la proclamation et l'explication de la Parole de Dieu, de pourvoir à la célébration des sacrements et de maintenir l'Eglise dans la sainteté et la vérité. Les décisions prises par l'évêque en accomplissement de cette tâche ont une autorité que le fidèle a le devoir de recevoir et d'accepter (cf. L'autorité dans l'Eglise II, 17). Par leur sensus fidei les fidèles sont habilités en conscience à reconnaître Dieu à l'oeuvre dans l'exercice de l'autorité épiscopale et donc à y répondre en croyants. C'est ce qui motive leur obéissance, une obéissance dans la liberté et non dans l'esclavage. La juridiction des évêques est une conséquence de l'appel qu'ils ont reçu de conduire leurs Eglises à un authentique « Amen » ; ce n'est pas un pouvoir arbitraire donné à un seul au détriment de la liberté des autres. Au sein du sensus fidelium, il y a une relation de complémentarité entre l'évêque et le reste de la communauté. Dans l'Eglise locale, l'Eucharistie est l'expression fondamentale de la marche en commun (la synodalité) du peuple de Dieu. Dans le dialogue liturgique, celui qui préside conduit les fidèles à dire leur « Amen » à la prière eucharistique. Dans l'unité de foi avec leur évêque local, leur « Amen » est un mémorial vivant du grand « Amen » du Seigneur à la volonté du Père.
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L'interdépendance mutuelle de toutes les Eglises est constitutive de la réalité de l'Eglise telle que Dieu la veut. Aucune Eglise locale inscrite dans la Tradition vivante ne peut se considérer comme auto-suffisante. Des formes de synodalité sont donc nécessaires pour manifester la communion des Eglises locales et soutenir chacune dans sa fidélité à l'Evangile. Le ministère de l'évêque est crucial, car ce ministère sert la communion au sein de l'Eglise locale et aussi entre Eglises locales. Leur communion entre elles s'exprime par l'incorporation de chaque évêque dans un collège d'évêques. Tant personnellement que collégialement, les évêques sont au service de la communion et ont à se soucier de la synodalité en toutes ses expressions. Ces expressions ont compté une grande variété d'organes, d'instruments et d'institutions, notamment des synodes ou des conciles, locaux, provinciaux, mondiaux, oecuméniques. La garde de la commmunion requiert qu'à tous les niveaux il y ait la capacité de prendre les décisions appropriées à ce niveau. Lorsque ces décisions soulèvent de sérieuses questions pour la communion générale des Eglises, la synodalité doit s'élargir en conséquence.
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Dans nos deux communions, les évêques se rencontrent collégialement, non en tant qu'individus, mais en tant qu'ayant autorité dans et pour la vie synodale des Eglises locales. La consultation des fidèles est un aspect de la charge épiscopale. Chaque évêque est à la fois une voix pour l'Eglise locale et une voix par laquelle cette Eglise reçoit des autres Eglises. Lorsque les évêques tiennent conseil ensemble, ils cherchent à la fois à discerner et à articuler le sensus fidelium présent dans l'Eglise locale et dans la plus large communion des Eglises. Leur rôle est magistériel : c'est-à-dire que dans cette communion des Eglises ils ont à déterminer ce qui doit être enseigné comme fidèle à la Tradition apostolique. Catholiques romains et anglicans partagent cette compréhension de la synodalité, mais ils l'expriment de différentes façons.
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Dans l'Eglise d'Angleterre à l'époque de la Réforme anglaise, la tradition de la synodalité s'exprimait par le recours aux synodes (des évêques et du clergé) et au Parlement (qui comportait évêques et laïcs), pour les questions de liturgie, de doctrine et de discipline. L'autorité des conciles généraux était également reconnue. Dans la Communion anglicane, de nouvelles formes de synodes sont apparues au cours du 19ème siècle, et la participation des laïcs aux prises de décision s'est accrue depuis lors. Quoique évêques, clergé et laïcs se consultent mutuellement et légifèrent ensemble, les évêques gardent leur responsabilité distincte et décisive. Dans toutes les parties de la Communion anglicane, ils ont un rôle propre de supervision. Par exemple, un synode diocésain ne peut être convoqué que par l'évêque et ses décisions n'ont force de loi qu'avec le consentement de l'évêque. Au plan provincial ou national, les Chambres épiscopales exercent un ministère distinct et propre pour les questions de doctrine, de culte et de morale. En outre, bien que les synodes anglicans utilisent largement les procédures parlementaires, leur nature est eucharistique. C'est pourquoi il va de soi que l'évêque, président de l'Eucharistie, préside également le synode diocésain réuni pour actualiser l'oeuvre rédemptrice de Dieu par la vie et l'activité de l'Eglise locale. Tout évêque, par ailleurs, n'a pas seulement l'épiscopè de l'Eglise locale mais il participe à la sollicitude de toutes les Eglises. Ceci se réalise dans chaque province de la Communion anglicane, au moyen d'organismes tels que les Chambres épiscopales et les synodes provinciaux et généraux. Dans la Communion anglicane comme telle, l'Assemblée des Primats, le Conseil consultatif anglican, la Conférence de Lambeth et l'Archevêque de Cantorbéry servent d'instruments de la synodalité.
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Dans l'Eglise catholique romaine, la tradition de la synodalité n'a pas été interrompue. Après la Réforme, on a continué de réunir périodiquement des synodes d'évêques et de clercs dans divers diocèses et régions ; au plan universel, trois conciles ont eu lieu. Au tournant du 20ème siècle sont apparues des rencontres particulières d'évêques et les conférences épiscopales, dans un but de consultation en vue de permettre aux Eglises locales d'une région donnée de faire face ensemble aux exigences de leur mission et de traiter des situations pastorales nouvelles. Depuis le Deuxième concile du Vatican ces rencontres sont devenues une structure régulière dans les nations et les régions. Dans une décision approuvée par les évêques durant le concile, le Pape Paul VI a institué le Synode des Evêques pour traiter des questions concernant la mission de l'Eglise dans le monde. L'antique coutume des visites ad limina aux tombeaux des Apôtres Pierre et Paul et à l'Evêque de Rome a été rénovée par la substitution aux visites individuelles de visites en groupe des évêques d'une région. La coutume plus récente des visites de l'Evêque de Rome aux Eglises locales a tenté de promouvoir un sens plus profond de l'appartenance à la communion des Eglises et d'aider ces Eglises à être plus conscientes de la situation d'autres Eglises. Toutes ces institutions synodales rendent possible une découverte progressive par l'Evêque de Rome et les évêques locaux de manières de travailler en collaboration dans une communion plus étroite. En complément de cette synodalité collégiale, une croissance de la synodalité à l'échelon local développe la participation active des laïcs à la vie et à la mission de l'Eglise locale.
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A toute époque les chrétiens ont dit « Amen » à la promesse du Christ que l'Esprit conduira son Eglise à la vérité toute entière. Le Nouveau Testament fait souvent écho à cette promesse en mentionnant la hardiesse, l'assurance et la certitude dont les chrétiens peuvent se prévaloir (cf. Lc 1,4 1Th 2,2 Ep 3,2 He 11,1) . La préoccupation de rendre l'Evangile accessible à tous ceux qui sont disposés à le recevoir a fait que ceux chargés du ministère de la mémoire et de l'enseignement ont accepté de nouvelles et encore inhabituelles expressions de la foi. Certaines de ces formulations ont, dans les débuts, engendré doute et désaccord quant à leur fidélité à la Tradition apostolique. Face à ces nouvelles formulations, l'Eglise est allée avec précaution, mais confiante dans la promesse du Christ qu'elle persévèrera et sera gardée dans la vérité (cf. Mt 16,18 Jn 16,13) . C'est ce qu'on entend par l'indéfectibilité de l'Eglise ( cf. L'autorité dans l'Eglise I, 18 ; L'autorité dans l'Eglise II, 23).
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Dans sa vie courante, l'Eglise cherche et reçoit l'assistance de l'Esprit Saint qui maintient son enseignement fidèle à la Tradition apostolique. Le collège des évêques a à exercer pour cela dans tout le corps le ministère de la mémoire. Il a à dégager et prodiguer un enseignement auquel on peut se fier parce qu'il exprime en toute sûreté la vérité de Dieu. Dans certaines situations apparaîtra un besoin urgent de tester de nouvelles formulations de foi. Dans des circonstances précises, il pourra se faire que ceux qui sont investis du ministère de surveillance (épiscopè), en viennent ensemble, assistés par le Saint-Esprit, à un jugement qui, étant fidèle à l'Ecriture et en harmonie avec la Tradition apostolique, est exempt d'erreur. Par un tel jugement, expression renouvelée de l'unique « Oui » de Dieu en Jésus Christ, l'Eglise est maintenue dans la vérité, de manière à pouvoir continuer d'offrir son « Amen » à la gloire de Dieu. C'est ce qui fait dire que l'Eglise peut enseigner de façon infaillible (voir L'autorité dans l'Eglise II, 24-28, 32). Cet enseignement infaillible est au service de l'indéfectibilité de l'Eglise.
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L'exercice de l'autorité d'enseignement dans l'Eglise, spécialement face à des situations lourdes de défis, requiert la participation de tout le corps des croyants, chacun selon son rôle, et pas seulement de ceux chargés du ministère de la mémoire. Dans cette participation, le sensus fidelium est à l'oeuvre. Puisque c'est la fidélité de tout le peuple de Dieu qui est en jeu, la réception de l'enseignement est partie intégrante du processus. Les définitions doctrinales sont reçues comme faisant autorité en vertu de la vérité divine qu'elles proclament et à cause de la mission spécifique de celui ou de ceux qui les proclament du sein du sensus fidei de tout le peuple de Dieu. Quand le peuple de Dieu répond par la foi et dit « Amen » à un tel enseignement, c'est parce qu'il reconnaît que cet enseignement exprime la foi apostolique et ne s'écarte pas de l'autorité et de la vérité du Christ, Tête de l'Eglise.(3) La vérité et l'autorité de la Tête est la source de l'enseignement infaillible dans le Corps du Christ . Le « Oui » de Dieu révélé en Christ est la règle à laquelle se mesure un tel enseignement normatif. Un tel enseignement doit être accueilli par le peuple de Dieu comme un don de l'Esprit Saint destiné à maintenir l'Eglise dans la vérité du Christ, notre « Amen » à Dieu.
(3) Ceci a été relevé par le Deuxième concile du Vatican : « Le corps entier des fidèles qui a une onction qui vient du Saint (cf. 1Jn 2,20 1Jn 2,27) ne peut errer en matière de foi. Cette caractéristique se manifeste dans le sens surnaturel de la foi (sensus fidei) de tout le peuple, lorsque « des évêques jusqu'au dernier des fidèles » , il exprime un consensus universel sur les questions de foi et de moeurs » (Constitution dogmatique sur l'Eglise, Lumen Gentium, LG 12) .
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Le devoir de garder l'Eglise dans la vérité est une des fonctions essentielles du collège épiscopal. Il a le pouvoir d'exercer ce ministère parce qu'il est lié, par succession, aux apôtres qui furent le corps autorisé et envoyé par le Christ pour prêcher l'Evangile à toutes les nations. L'authenticité de l'enseignement d'un évêque donné est évidente là où cet enseignement est solidaire de celui de tout le collège épiscopal. L'exercice de cette autorité doctrinale requiert que ce qu'elle enseigne soit fidèle à l'Ecriture Sainte et conforme à la Tradition apostolique. C'est ce qu'exprime l'enseignement du Deuxième cconcile du Vatican : « Cette charge doctrinale n'est pas au-dessus de la Parole de Dieu mais à son service » (Constitution dogmatique sur la Révélation divine, Dei Verbum, DV 10) .
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Au cours de l'histoire, la synodalité de l'Eglise a été servie grâce à l'autorité conciliaire, collégiale et primatiale. Des formes de primauté existent à la fois dans la Communion anglicane et dans les Eglises en communion avec l'Evêque de Rome. Chez ces dernières, les charges d'Archevêque Métropolitain ou de Patriarche d'une Eglise catholique orientale sont primatiales par nature. Chaque province anglicane a son Primat et l'Assemblée des Primats est au service de la Communion entière. L'Archevêque de Cantorbéry exerce un ministère primatial pour toute la Communion anglicane.
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L'ARCIC a déjà reconnu que la «complémentarité des apects primatial et conciliaire de l'épiscopè, qui favorise la koinonia des Eglises, a besoin d'être pratiquée au plan universel » (L'autorité dans l'Eglise , 23). Les exigences de la vie de l'Eglise appellent un exercice spécifique de l'épiscope au service de l'Eglise entière. Dans le modèle qu'offre le Nouveau Testament, l'un des Douze est choisi par Jésus Christ pour fortifier les autres afin qu'ils restent fidèles à leur mission et en harmonie les uns avec les autres (voir la discussion des textes pétriniens dans L'autorité dans l'Eglise II, 2-5). Augustin d'Hippone exprimait bien la relation existant entre Pierre, les autres apôtres et toute l'Eglise, lorsqu'il écrivait :
Après tout, ce n'est pas simplement un individu qui a reçu ces clés, mais l'Eglise dans son unité. La raison de la prééminence reconnue à Pierre est qu'il incarnait l'unité et l'universalité de l'Eglise lorsqu'il lui fut dit : « A toi, je remets », ce qui en fait avait été remis à tous. Je veux vous faire saisir que c'est l'Eglise qui a reçu les clés du royaume des cieux. Ecoutez ce que dit le Seigneur, ailleurs, à tous ses apôtres : Recevez le Saint-Esprit ; et aussitôt : ceux dont vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés ; ceux dont vous retiendrez les péchés, ils leur seront retenus (Jn 20,22-23) . Ceci concerne les clés, dont il est dit : ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel (Mt 16,19) . Mais cela fut dit à Pierre ... Pierre à ce moment incarnait l'Eglise universelle. (Sermon 295. En la fête du martyre des Apôtres Pierre et Paul).
L'ARCIC a aussi précédemment exploré la transmission du ministère de la primauté qu'exerce l'Evêque de Rome (voir L'autorité dans l'Eglise II, 6-9). Historiquement, l'Evêque de Rome a exercé un tel ministère soit pour le bénéfice de l'Eglise entière, comme dans la contribution de Léon au Concile de Chalcédoine, soit pour le bénéfice d'une Eglise locale, comme lorsque Grégoire le Grand a appuyé la mission d'Augustin de Cantorbéry et l'organisation de l'Eglise anglaise. Ce don a été accueilli et le ministère de ces évêques de Rome continue d'être célébré dans liturgiquement par les anglicans aussi bien que par les catholiques romains.
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Dans le cadre de son ministère le plus large, l'Evêque de Rome exerce un ministère spécifique touchant le discernement de la vérité, et qui ne fait que traduire sa primauté universelle. Ce service particulier a été la source de difficultés et de malentendus entre les Eglises. Toute définition solennelle prononcée sur la chaire de Pierre, dans l'Eglise de Pierre et de Paul, ne peut pourtant qu'exprimer la foi de l'Eglise. Toute définition de ce genre est prononcée du sein du collège de ceux qui exercent l'épiscopè, et non pas en-dehors de ce collège. Un tel enseignement faisant autorité est une forme particulière d'exercice de la vocation et de la responsabilité du corps des évêques d'enseigner et d'affirmer la foi. Quand la foi est articulée de cette manière, l'Evêque de Rome proclame la foi des Eglises locales. C'est ainsi l'enseignement parfaitement sûr de l'Eglise entière qui est à l'oeuvre dans le jugement du primat universel. Lorsqu'il formule solennellement un enseignement de ce genre, le primat universel est tenu de discerner et déclarer, avec l'assistance et la conduite assurées du Saint-Esprit, en fidélité à l'Ecriture et à la Tradition, la foi authentique de toute l'Eglise, c'est-à-dire la foi proclamée depuis les origines. C'est cette foi, la foi de tous les baptisés en communion, et cette foi seulement, que chaque évêque exprime avec le corps des évêques en concile. C'est cette foi que l'Evêque de Rome en certaines circonstances a le devoir de discerner et de rendre explicite. Cette forme d'enseignement autoritaire n'a pas une garantie plus grande de l'Esprit que n'en ont les définitions solennelles des conciles oecuméniques. La réception de la primauté de l'Evêque de Rome implique la reconnaissance de ce ministère spécifique du primat universel. Nous croyons que c'est un don à recevoir par toutes les Eglises.
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1999 Don de l'autorité 18