Catena Aurea 3403
3403 Mt 4,3-4
S. Chrys. (sur S. Matth). Le diable qui avait désespéré de triompher du Sauveur en le voyant jeûner pendant quarante jours, reprit quelque espoir en le voyant éprouver le besoin de la faim; aussi le texte sacré ajoute: «Et le tentateur s'approchant».Si donc après avoir jeûné, le dé mon vous tente, ne dites pas: J'ai perdu le fruit de mon jeûne, car si le jeûne ne vous a pas servi a éviter la tentation, il vous donnera les forces nécessaires pour en triompher. - S. Grég. (hom. 16). En étudiant ici l'ordre et la suite de la tentation du Sauveur, nous verrons quelle puissance nous y est acquise à nous-mêmes contre nos propres tentations. L'antique ennemi du genre humain tenta le premier homme par la sensualité en lui persuadant de manger du fruit défendu, par la vaine gloire en lui faisant cette promesse: «Vous serez comme des dieux»; par l'avarice en lui disant: «Vous saurez le bien et le mal; car l'avarice n'a pas seulement l'argent pour objet, mais encore la grandeur, l'élévation, lorsqu'on les désire et qu'on les recherche avec excès. Le démon fut vaincu cette fois par le second Adam, et par les mêmes moyens qui l'avaient rendu victorieux du premier. Il tenta le Sauveur par la sensualité en lui disant: «Dites que ces pierres se changent en pains»; par la vaine gloire lorsqu'il lui dit: «Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas».Il le tenta par l'attrait de l'avarice et le désir des honneurs, lors qu'il lui dit en lui montrant tous les royaumes de la terre: «Je vous donnerai toutes ces cho ses».
S. Amb. (sur S. Luc). Le démon commence par ce qui l'avait autrefois rendu victorieux du premier homme, c'est-à-dire par la sensualité: «Si vous êtes le Fils de Dieu»,lui dit-il, «commandez à ces pierres de se changer en pains ?» Que signifie cet exorde: que le démon savait que le Fils de Dieu devait venir sur la terre, mais qu'il ne croyait pas qu'il dût venir dans l'infirmité de la chair. Il le sonde et le tente tout à la fois, il fait profession de croire en Dieu et en même temps il se joue de l'homme. - S. Hil. (can. 3 sur S. Matth). Il choisit pour le tenter une oeuvre qui pût lui faire reconnaître Dieu dans la puissance qui changerait les pierres en pains, et lui permît en même temps de se moquer de la patience de l'homme maintenant soumise à la faim, par le plaisir qu'il trouverait dans la nourriture. - S. Jér. Mais, ô Satan, tu es pris entre ces deux termes opposés: s'il ne lui faut que commander pour changer ces pierres en pain, c'est bien inutilement que tu veux tenter Celui qui est revêtu d'une si grande puissance; et si cela lui est impossible, pourquoi soupçonner qu'il peut être le Fils de Dieu ?
- S. Chrys. (sur S. Matth). Le démon aveuglait auparavant tous les hommes, Jésus-Christ l'aveugle invisi blement à son tour. Il remarque que le Sauveur a faim après quarante jours, et il semble ne pas comprendre pourquoi il n'avait pas eu fa im pendant ces quarante jours. Il doute qu'il puisse être le Fils de Dieu, et il ne voit pas qu'un puissant athlète peut descendre jusqu'à faire des choses ordinaires, tandis que celui qui est faible ne peut jamais s'élever jusqu'aux actions qui exigent de la force. Ce jeûne si prolongé sans que le Sauveur eût faim, devait être pour le dé mon une preuve plus évidente de sa Divinité que la faim qu'il éprouve ensuite ne devait lui faire conclure qu'il n'était qu'un homme. Mais vous me direz peut-être: Élie et Moïse ont bien jeûné pendant quarante jours, et cependant ils n'étaient que des hommes. Oui, sans doute, ils jeûnaient, mais ils souffraient du jeûne, tandis que Jésus-Christ n'éprouva aucun sentiment de la faim pendant ces quarante jours, mais seulement après. Avoir faim et supporter la faim, l'homme le peut par la patience; mais il n'appartient qu'à la nature divine de ne pas éprouver le sentiment de la faim.
S. Jér. Le dessein du Christ était de vaincre par l'humilité. - S. Remi. (Serm. 1 pour le Carême). Aussi ce n'est point par la puissance divine, mais par les témoignages de la loi, que Jé sus triomphe de son adversaire. Notre humanité s'en trouve plus honorée, et le démon plus sévèrement puni, car cet ennemi du genre humain se trouve vaincu non seule ment par la force de Dieu, mais par la faiblesse de l'homme. Aussi entendez la réponse du Sauveur: «Il est écrit: l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu». - S. Grég. (hom. 16). Le Seigneur tenté par le démon ne lui oppose que les préceptes de la sainte Écriture; il aurait pu refouler le tentateur jusque dans les abîmes, il aime mieux ne pas faire éclater sa puissance. Il voulait nous enseigner par son exemple, lorsque nous sommes en butte aux persécutions des méchants, à ouvrir notre âme au désir de les instruire, plutôt qu'au désir de la vengeance.
S. Chrys. (sur S. Matth). Il ne dit pas: «Je ne vis pas seulement de pain», pour ne point paraître parler de lui-même, mais «l'homme ne vit pas seulement de pain»,afin de donner lieu au démon de se dire: «S'il est le Fils de Dieu, il cache sa divinité et ne veut pas laisser éclater sa puissance; s'il est homme, il dissimule habilement son impuissance». - Rab. Ces paroles sont tirées du Deutéronome (Dt 8, 3). Ainsi celui qui ne se nourrit pas de la parole de Dieu ne vit pas en réalité, car l'âme ne peut pas plus vivre sans la parole de Dieu, que le corps sans le pain matériel. Or on dit qu'une parole sort de la bouche de Dieu, lorsqu'il nous fait connaître sa volonté par le témoignage des Écritures.
3405 Mt 4,5-7
S. Chrys. (sur S. Matth). D'après la réponse que venait de faire Jésus-Christ, le démon n'avait pu savoir au juste si le Christ était vraiment Dieu ou homme; il le met donc en face d'une autre tentation en se disant à lui-même: Celui-ci dont la faim n'a pu triompher, s'il n'est pas le Fils de Dieu, est au moins un saint. Les saints en effet peuvent se rendre supérieurs à la faim; mais après avoir triomphé des nécessités du corps, ils succombent à la tentation de la vaine gloire. C'est pourquoi le démon voulut soumettre le Sauveur à cette tentation: «Alors, dit l'Évangéliste, le démon le transporta dans la ville sainte». - S. Jér. Ce transport de Jésus par le démon n'est pas le résultat de la faiblesse du Seigneur, mais de l'orgueil de son ennemi, qui prenait une action toute volontaire du Sauveur pour un effet de la nécessité. - Rab. Jérusalem était appelée la cité sainte, à cause du temple, du Saint des saints, et parce qu'on y adorait un seul Dieu selon la loi de Moïse. - Remi. On voit par là que les fidèles peu vent être tentés jusque dans les lieux consacrés à Dieu.
S. Grég. (hom. 16). Lorsque nous entendons dire que le Fils de Dieu a été transporté par le démon dans la cité sainte, nos oreilles frémissent d'effroi. Cependant le démon est le chef de tous les méchants; et qu'y a-t-il d'étonnant que le Sauveur ait permis au démon de le trans porter sur une montagne, lui qui a bien permis aux membres du démon de le crucifier? - La Glose. Le démon conduit toujours sur les lieux élevés, il nous fait monter sur les sommets de l'orgueil, afin de nous précipiter de ces hauteurs. Voilà pourquoi il est dit: «Et il le plaça sur le haut du temple». - Remi. Le pinacle était le lieu où s'asseyaient les docteurs. Or le temple n'avait pas de toit élevé en pente comme nos maisons, mais il était plat et surmonté d'une ter rasse, comme le sont en général les habitations de la Palestine. Le temple avait trois étages, et à chaque étage un pinacle; il y en avait même un sur le pavé. Que ce soit sur le pinacle du pavé ou sur celui d'un des étages que le démon ait placé Jésus, peu importe: ce qu'il y a de certain c'est qu'il l'a placé sur une élévation d'où l'on pouvait se précipiter. - La Glose. Remarquons que toutes ces circonstances ont dû se passer d'une manière visible, car il y a ici échange de paroles; il est donc vraisemblable que le démon s'était rendu sensible sous une forme humaine. - S. Chrys. (sur S. Matth). Vous demanderez peut-être comment le dé mon a pu placer corporellement le Sauveur sur le haut du temple, aux yeux de tous. On peut répondre que le démon le transportait d'une manière visible, et que lui-même, à l'insu du dé mon, se rendait invisible à tous les regards.
La Glose. - Il le plaça sur le pinacle pour le tenter de vaine gloire, parce qu'il avait fait tomber dans ce piège de la vaine gloire beaucoup de ceux qui étaient assis dans la chaire des docteurs. Il crut pouvoir séduire de la même manière Jésus dès qu'il serait placé dans la chaire de l'enseignement; il lui dit donc: «Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas».S. Jér. En effet, dans toutes les tentations, le démon n'a qu'un but: c'est de découvrir s'il est le Fils de Dieu. Il dit: «Jetez-vous en bas», parce que la voix du démon, qui désire toujours la chute des hommes, peut bien les persuader, mais ne peut jamais les précipiter elle-même. - S. Chrys. (sur S. Matth). Mais comment par cette proposition pouvait-il connaître s'il était le Fils de Dieu ou non: car voler par les airs n'est point proprement une oeuvre divine, attendu que cette oeuvre n'est utile à personne. Que quelqu'un, sur les instances qu'on lui fait, prenne son essor dans les airs, c'est uniquement par ostentation qu'il agit, et c'est une oeuvre qui vient plutôt du démon que de Dieu. Si donc il suffit à l'homme sage être ce qu'il est, sans qu'il lui soit nécessaire de paraître ce qu'il n'est pas, combien moins sera-t-il nécessaire au Fils de Dieu de se découvrir, lui dont personne ne pourra jamais connaître la grandeur réelle ?
S. Amb. (sur S. Luc). Comme Satan se transfigure en ange de lumière, et qu'il se sert des saintes Écritures elles-mêmes pour tendre des pièges aux fidèles (cf. 2Co 11,14), il a recours ici aux témoigna ges des Livres saints et il dit: «Il est écrit qu'il a ordonné à ses anges d'avoir soin de vous». - S. Jér. Nous lisons ce passage dans le psaume quatre-vingt dixième, mais il n'y est pas question du Christ, c'est une prophétie qui a rapport à l'homme juste: l'interprétation du dé mon est donc vicieuse. - S. Chrys. (sur S. Matth). En réalité, le Fils de Dieu n'est pas porté par les mains des anges, mais c'est bien plutôt lui qui porte les anges, ou s'il permet que les anges le portent dans leurs mains, ce n'est point par faiblesse, pour n e point heurter son pied contre la pierre; c'est pour recevoir l'honneur qui lui est dû comme le maître des anges. O Satan, tu as lu que le Fils de Dieu est porté dans les mains des anges, et tu n'as pas lu ce qui suit, qu'il foule aux pieds l'aspic et le basilic. Mais il cite par orgueil cette première partie du texte et il se tait sur la seconde par un sentiment de fourberie. - S. Chrys. (hom. 13 sur S. Matth). Remarquez encore comme Notre Seigneur cite toujours convenablement l'Écriture sainte, tandis que le démon en fait le plus mauvais usage, car ces paroles: «Il a ordonné à ses anges»,etc. ne conseillent à personne de se jeter et de se précipiter en bas. - La Glose. Voici comme il faut expliquer ce passage. L'Écriture dit de tout homme juste que Dieu a commandé à ses anges, c'est-à-dire aux esprits qui lui servent de ministres, de le prendre dans leurs mains, en d'autres termes de l'entourer de leur protection, et de le garder pour qu'il ne heurte pas le pied, c'est-à-dire la bonne disposition de son âme, contre la pierre, figure ici de l'ancienne loi écrite sur des tables de pierre. On peut voir aussi dans cette pierre toute occasion de péché ou de ruine.
Rab. Remarquons que notre Sauveur, qui avait permis au démon de le porter sur le pinacle du temple, refusa d'obéir au commandement qu'il lui faisait d'en descendre. Il nous apprenait ainsi par son exemple à obéir à celui qui nous commande de monter la voie étroite de la vérité, mais à ne point écouter celui qui voudrait nous faire descendre des hauteurs de la vérité et des vertus pour nous précipiter dans l'abîme de l'erreur et des vices. - S. Jér. Il brise sur le vrai bouclier des Écritures ces flèches trompeuses que le démon a voulu, mais en vain, tirer des Écritures elles-mêmes. «Jésus lui dit: Il est écrit de nouveau: Vous ne tenterez pas le Seigneur votre Dieu». - S. Hil. En réprimant ainsi tous les efforts du démon, il atteste qu'il est le Dieu souverain maître de toutes choses. - S. Chrys. (sur S. Matth). Il ne dit pas: «Vous ne me tenterez pas, moi qui suis votre Dieu, mais «vous ne tenterez pas le Seigneur votre Dieu»,ce que pouvait dire tout homme tenté du démon, car qui tente l'homme de Dieu tente Dieu lui-même. - Rab. Ou bien encore, tout en le regardant comme un homme, il lui conseillait d'essayer par quelque prodige sa puissance auprès de Dieu. - S. Aug. (contre Faust., liv. 22, chap. 36). La saine doctrine veut qu'un homme qui a d'autres moyens d'action ne tente pas le Seigneur son Dieu. - S. Jér. Il est à remarquer que le Sauveur ne tire les témoignages dont il a besoin que du Deutéronome, pour faire ressortir la signification mys térieuse de cette loi promulguée une seconde fois par Moïse.
3407 Mt 4,7-11
S. Chrys. (sur S. Matth). Le démon, que la seconde réponse du Sauveur avait laissé dans l'incertitude, en vient à la troisième tentation. Le Christ avait brisé les filets de la sensualité, il avait passé par-dessus les pièges de la vaine gloire; il lui tend ceux de l'avarice. «Le diable, dit l'auteur sacré, le prit de nouveau, et le transporta sur une montagne très élevée. Le dé mon, qui avait parcouru toute la terre, connaissait quelle était de toutes les montagnes la plus élevée, et d'où, par conséquent, on pouvait découvrir une plus grande étendue de terre: c'est pour cela que l'Évangéliste ajoute: «Et il lui montra tous les royaumes de la terre et toute leur gloire».Il les lui montra non pas en ce sens qu'il distinguât parfaitement les limites de ces royaumes, leurs villes, leurs habitants, l'or et l'argent qu'ils possédaient, mais simplement les parties de la terre où étaient situés ces royaumes, ces villes, comme si du sommet d'une haute montagne, je vous disais en vous indiquant du doigt un point de l'horizon: C'est là que se trouve Rome, ou Alexandrie, vous ne verriez pa s les villes elles-mêmes, mais simplement la direction dans laquelle elles sont situées. C'est ainsi que le démon pouvait en montrant du doigt les différentes parties de la terre, exposer au Christ l'état et la gloire de chacun des royaumes qui s'y trouvaient situés; car on montre réellement ce que l'on cherche à faire com prendre. - Orig. (hom. 30 sur S. Luc). Ou bien dans un autre sens, il n'est pas probable que le démon lui ait montré les royaumes du monde, celui des Perses, par exemple, puis celui des Indiens, puis celui des Mèdes; mais il lui montra son royaume à lui, c'est-à-dire comment il dominait sur le monde, comment les uns étaient gouvernés par l'avarice, les autres par la forni cation, etc. - Remi. La gloire de ces royaumes, c'est leur or, leur argent, leurs pierres précieuses, leurs biens temporels. - Rab. Le démon montra toutes ces choses au Christ, non pas qu'il ait pu étendre sa vue au-delà des limites ordinaires, ou de découvrir des choses inconnues; mais en déroulant sous ses yeux, comme un digne objet de ses désirs, cette vanité des pompes du monde qu'il aimait lui-même, il voulait aussi lui en inspirer l'amour. - La Glose. Jésus ne voit pas ainsi que nous toutes ces choses avec l'oeil de la concupiscence, mais comme les mé decins voient les maladies sans en être atteints eux-mêmes.
Suite. «Et il lui dit: Je vous donnerai toutes ces choses». Dans son arrogance et dans son orgueil, il se vante de faire ce qui dépasse son pouvoir, car il ne peut disposer de tous les royaumes, puisque nous s avons qu'un grand nombre de Saints ont reçu la royauté des mains de Dieu lui-même. - S. Chrys. (sur S. Matth). Tout ce qui dans le monde est le fruit de l'iniquité, comme les richesses acquises par le vol ou par le parjure, c'est le démon qui le donne: il ne peut donc pas donner les richesses a tous ceux qu'il veut, mais seulement à ceux qui veulent les recevoir de sa main. - Remi. Quelle étrange folie dans le démon: il promet les royaumes de la terre à celui qui donne à ses fidèles le royaume du ciel, et la gloire du monde à celui qui est le souverain dispensateur de la gloire éternelle !
S. Amb. (sur S. Luc). L'ambition porte avec elle un danger personnel: pour commander aux autres l'ambitieux se rend d'abord esclave, il se courbe sous l'autorité d'un autre pour obtenir l'honneur qu'il désire, et pour satisfaire l'ambition qu'il a de monter au premier rang, il des cend aux dernières bassesses: aussi voyez comme le démon ajoute :«Si en vous prosternant vous m'adorez». - La Glose. Voilà bien l'antique orgueil du démon: de même qu'au commencement il voulut se rendre semblable à Dieu, ainsi voulait-il maintenant usurper les honneurs divins. «Si en vous prosternant vous m'adorez». Donc celui qui veut adorer le dé mon tombe auparavant de tout son poids sur la terre.
Suite. «Alors Jésus lui dit: Retire toi, Satan». - S. Chrys. (sur S. Matth). C'est ainsi qu'il met fin à la tentation, et défend au démon d'aller plus avant. - S. Jér. On ne peut admettre, avec plusieurs interprètes que Satan et Pierre aient été frappés de la même sentence de condamnation. Jésus dit à Pierre: «Va derrière moi Satan», c'est-à-dire suis moi, toi qui te montres opposé à ma volonté; tandis qu'il dit à Satan: «Retire-toi, Satan», sans qu'il ajoute: «derrière moi», pour laisser sous-entendre: «Va dans le feu éternel, qui t'a été préparé à toi et à tes anges. - Remi. Ou bien, en admettant la variante de certains exemplaires: «Retire-toi derrière», c'est-à-dire souviens-toi, rappelle-toi dans quel état de gloire tu as été créé et dans quel abîme de misère tu es tombé. - S. Chrys. (sur S. Matth). Remarquez que lorsque Notre-Seigneur eut à supporter cette tentation injurieuse pour lui: «Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas», il ne s'en émeut pas, il ne fait pas de reproche au démon. Mais main tenant que ce malheureux esprit s'arroge l'honneur qui n'est dû qu'à Dieu, le Sauveur est indi gné, et il le repousse par ces paroles: «Retire-toi, Satan». Ainsi nous apprend-il à supporter avec courage les injures qui nous sont personnelles, mais à ne pas entendre sans indignation les outrages qui s'adressent à Dieu même; car si c'est un acte louable de souffrir patiemment les injures qui nous concernent, c'est une impiété de voir d'un oeil indifférent celles qui osent s'attaquer à Dieu.
S. Jér. Le Démon a dit au Sauveur : « Si en vous prosternant, vous m'adorez», et il apprend au contraire que c'est à lui à l'adorer comme son Seigneur et son Dieu. - S. Aug. (contre les discours des Ariens, chap. 29). «Il est écrit: Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que lui seul».Notre unique Seigneur et Dieu c'est la sainte Trinité, à laquelle nous devons à juste titre l'hommage et comme la servitude de notre religion. - S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 10, chap. 2). Par cette servitude il faut entendre le culte qui est du à Dieu, car c'est par ce mot de servitude que les traducteurs ont rendu le mot latria latrie, toutes les fois qu'il se rencontre dans les saintes Écritures, tandis que ces rapports de subordinati on qui sont dus aux hommes et que saint Paul recommande lorsqu'il dit aux esclaves d'être soumis à leurs maîtres, s'expriment en grec par le mot dulie (äõëéá).
S. Chrys. (sur S. Matth). Comme on doit raisonnablement le penser, le démon se retira non par obéissance au commandement du Christ, mais parce que la divinité du Sauveur et l'Esprit saint qui étaient en lui le repoussèrent au loin. «Alors le démon le laissa».Dieu le permit ainsi pour notre consolation, car le démon ne tente les fidèles serviteurs de Dieu, qu'autant que le Christ le lui permet, et non pas autant qu'il le veut. S'il lui accorde de nous tenter légèrement, il se bâte de le repousser pour ménager notre faible nature.
S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 9, chap. 20). Après la tentation, les saints anges que les esprits immondes redoutent viennent offrir leurs services au Seigneur, et par là les démons connais saient plus clairement quelle était sa grandeur. «Et les anges s'approchèrent de Jésus, dit l'Évangéliste, et ils le servaient».
- S. Chrys. (sur S. Matth). Il ne dit pas: «Les anges des cendirent»,car ils étaient toujours sur la terre pour le servir, ils s'étaient retirés un instant, sur l'ordre du Seigneur, pour laisser agir le démon contre Jésus-Christ; car il n'aurait pas osé s'approcher de lui, s'il l'avait vu entouré de ses anges. Dans quelles actions les anges lui prê taient leur ministère? Nous ne pouvons le savoir. Était-ce pour la guérison des malades, ou pour la conversion des pécheurs, ou pour mettre les démons en fuite, toutes choses qu'il fait par ses anges, bien qu'il paraisse les faire immédiatement lui-même? Ce qui est hors de doute, c'est qu'en le servant ils ne vena ient pas au secours de sa faiblesse, mais qu'ils honoraient sa puissance, car il n'est pas dit qu'ils l'aidaient, mais qu'ils le servaient. - S. Grég. (hom. 15). Nous avons ici une preuve des deux natures réunies en une seule personne: l'homme qui est tenté par le démon, et tout à la fois le Dieu qui est servi par les anges. - S. Chrys. (sur S. Matth). Exposons rapidement le sens caché des tentations. Le jeûne c'est l'abstention du mal, la faim en est le désir, le pain en est l'usage. Celui qui approprie le péché à son usage, change la pierre en pain. Qu'il réponde donc à cet esprit séducteur que l'homme ne vit pas seulement de pain mais encore de l'observance des commandements de Dieu. Quand un chrétien vient à s'enorgueillir de sa prétendue sainteté, il e st transporté sur le haut du temple, et lorsqu'il se persuade avoir atteint le sommet de la perfection, il est placé sur le pinacle du temple: cette tentation succède à la première, car la victoire que l'on remporte sur une tentation fait qu'on s'en glorifie et devient une cause de vaine ostentation. Remarquez aussi que Jésus-Christ em brasse de lui-même le jeûne, tandis que c'est le démon qui le place au-dessus du temple. A son exemple, observez volontairement les règles de l'abstinence chrétienne, mais ne vous laissez pas aller à la pensée que vous êtes parvenu au faite de la sainteté. Fuyez l'élévation du coeur et vous échapperez à votre ruine. Quant au transport sur la montagne, il figure les efforts que nous faisons pour nous élever jusqu'aux richesses, jusqu'à la gloire de ce monde, efforts qui ont pour cause l'orgueil du coeur. Lorsque vous voulez devenir riche et monter ainsi sur la montagne, vous pensez aussitôt aux moyens d'acquérir les richesses et les honneurs, et c'est afin que le prince de ce mond e vous montre la gloire de son royaume. En troisième lieu, il vous fait connaître le chemin que vous devez prendre pour y arriver: c'est de le servir sans tenir aucun compte de vos devoirs envers Dieu. - S. Hil. (can. 3 sur S. Matth). Dès que nous sommes vainqueurs du démon et que nous lui avons écrasé la tête sous nos pieds, nous voyons par cet exemple que les services des anges et les secours des vertus célestes ne nous feront pas défaut.
S. Aug. Saint Luc ne raconte pas ces tentations dans le même ordre; on ne sait donc pas quelle fut la première. Le démon commença-t-il par montrer au Sauveur tous les royaumes du monde, et l'a-t-il transporté ensuite sur le pinacle du temple, ou bien est-ce le contraire qui est arrivé? peu importe, dès lors qu'il est certain que ces tentations ont en lieu toutes les trois. - La Glose. Le récit de saint Luc paraît cependant plus historique, et on peut dire alors que saint Matthieu a suivi l'ordre dans lequel ces tentations ont en lieu pour Adam.
3412 Mt 4,12-16
Rab. Saint Matthieu, après avoir raconté le jeûne de quarante jours, les tentations du Christ, le ministère que les anges remplissaient près de lui, ajoute aussitôt: «Jésus ayant appris que Jean avait été arrêté». - S. Chrys. (sur S. Matth). sans aucun doute par la permission de Dieu, car personne ne peut rien entreprendre contre l'homme juste, que Dieu lui-même ne le lui ait abandonné. Il est dit qu'il se retira dans la Galilée, c'est-à-dire qu'il partit de la Judée, voulant réserver sa passion pour un temps plus opportun, et nous apprendre en même temps par son exemple qu'il nous était permis de fuir devant le danger. - S. Chrys. (Hom. 14 sur S. Matth). Car on n'est pas coupable pour ne pas se jeter de soi-même dans le danger, mais pour manquer de courage lorsqu'on y est tombé. Il se retire de la Judée pour calmer l'envie des Juifs, accom plir une prophétie, et rechercher les moyens de prendre dans ses filets les futurs docteurs du monde qui habitaient la Galilée. Voyez encore, il doit aller chez les Gentils, mais il y est forcé par les Juifs, car c'est en jetant dans les fers son précurseur qu'ils forcent Jésus de passer dans la Galilée des nations. - La Glose. D'après le récit de saint Luc, il vint à Nazareth où il avait été élevé, et là il entra dans la Synagogue où il lut et dit plusieurs choses qui portèrent les Juifs à vouloir le précipiter du haut de la montagne. C'est alors qu'il vint demeurer à Caphar naüm comme l'indique le récit de saint Matthieu: «Après avoir quitté la ville de Nazareth, il vint habiter Capharnaüm». - S. Jér. Nazareth est un bourg de la Galilée près de la monta gne du Thabor; Capharnaüm est une ville située dans la Galilée des Gentils, auprès du lac de Génésareth, et c'est pour cela qu'elle est appelée ville maritime. - La Glose. Il ajoute: Sur les frontières de Zabulon et de Nephtali, parce que c'est là qu'avait eu lieu la première captivité des Hébreux sous les Assyriens. La première prédication de l'Évangile se fait donc dans les régions qui les premières avaient oublié la loi, pour se répandre de là comme d'un lieu égale ment à portée des deux peuples, sur les Gentils et sur les Juifs. - Remi. Il abandonne une ville, Nazareth, pour aller éclairer un plus grand nombre d'âmes par ses prédications et par ses miracles, et il apprend ainsi par son exemple aux ministres de l'Évangile à prêcher la parole divine dans les temps et dans les lieux où elle doit être utile à un plus grand nombre.
Suite. «Afin que cette parole du prophète fût accomplie: La terre de Zabulon et la terre de Nephtali, etc». Dans le prophète Isaïe on lit: «Au commencement Dieu a soulagé la terre de Zabulon et la terre de Nephtali, et à la fin, sa main s'est appesantie sur la Galilée des nations qui est le long de la mer, au delà du Jourdain. - S. Jér. Ce pays, selon le prophète, fut dans les premiers temps déchargé du poids de ses péchés; car c'est au milieu de ces deux tribus que le Sauveur prêcha d'abord son Évangile; mais leur foi fut comme appesantie parce qu'un grand nombre de Juifs persistèrent dans leur incrédulité. Cette mer dont parle ici l'Évangéliste, n'est autre que le lac de Génézareth, qui est formé par les eaux du Jourdain. Sur ses bords sont si tuées Capharnaüm, Tibériade, Bethsaïde et Corozaim, villes dans lesquelles surtout Jésus-Christ annonça l'Évangile. D'après les Hébreux convertis au christianisme, ces deux tribus de Zabulon et de Nephtali furent emmenées captives par les Assyriens, et le pays qu'elles habi taient, la Galilée, rendue déserte, fut soulagée du poids de leurs péchés, selon l'expression du prophète. Plus tard, les autres tribus qui habitaient au delà du Jourdain et dans la Samarie eu rent le même sort, et c'est pour cela, remarquent ces mêmes auteurs, que l'Écriture dit ici que le peuple de cette contrée a été le premier réduit en captivité, et que le premier aussi il vit la lumière que Jésus-Christ répandait par ses prédications. Oui bien, selon les Nazaréens, la venue du Christ délivra d'abord la terre de Zabulon et de Nephtali des erreurs des Pharisiens, et plus tard, grâce au zèle apostolique de saint Paul, la prédication fut surchargée, c'est-à-dire multi pliée sur les frontières des nations. La Glose. Dans cette phrase de l'Évangile, tous ces di vers nominatifs se rapportent à un seul et même verbe, de manière à présenter ce sens: «La terre de Zabulon et la terre de Nephtali, qui est le chemin de la mer et qui est au delà du Jour dain (c'est-à-dire le peuple de la Galilée des nations, qui marchait dans les ténèbres), a vu une grande lumière», etc.
S. Jér. (sur Isaïe). Remarquez qu'il y a deux Galilées, la Galilée des Juifs, et celle des Gentils. La Galilée fut divisée sous le règne de Salomon, qui donna vingt villes de cette province à Hi ram, roi de Tyr, et cette partie fut appelée Galilée des nations, l'autre Galilée des Juifs. On peut lire aussi: «Au delà du Jourdain, de la Galilée des nations», de sorte que le peuple qui était assis ou qui marchait dans les ténèbres vit une lumière qui n'était pas faible comme celle des prophètes, mais la grande lumière de celui qui a dit de lui-même dans l'Évangile: «Je suis la lumière du monde».
Suite. «La lumière s'est levée sur ceux qui étaient assis dans la région de l'ombre de la mort». Il y a cette différence, je crois, entre la mort et l'ombre de la mort, que la mort est le partage de ceux qui sont descendus aux enfers avec leurs oeuvres, tandis que l'ombre de la mort est l'état de ceux qui sont aussi dans le péché, mais qui n'ont pas encore quitté cette vie et qui peuvent, s'ils le veulent, faire pénitence. - S. Chrys. (sur S. Matth). On peut dire aussi que les Gentils étaient assis dans l'ombre de la mort, parce qu'ils adoraient les idoles et les démons, tandis que les Juifs qui faisaient les oeuvres de la loi n'étaient que dans les ténèbres, parce que la justice de Dieu ne leur était pas encore clairement révélée. S. Chrys. (hom. 10 Sur S. Matth). Il faut bien comprendre qu'il n'est pas ici question de lumière ou de ténèbres sensibles; c'est pour cela que l'Évangéliste appelle cette lumière une grande lumière, et ailleurs la vraie lumière (cf. Jn 5, 9), de même que pour désigner les ténèbres, il emploie cette expression d'ombre de la mort. Voulant ensuite nous montrer que ce n'est pas en cherchant eux-mêmes Dieu qu'ils l'ont trouvé, mais que Dieu s'est manifesté à leurs regards, il dit que la lumière s'est levée et a brillé sur eux. En effet, ils n'ont pas couru les premiers au devant de la lumière, car avant la venue de Jésus-Christ les hommes étaient plongés dans des maux extrêmes, ils ne marchaient pas dans les ténèbres, mais ils y étaient assis, signe évident qu'ils n'espéraient pas de délivrance. Ils ne savaient plus de quel côté marcher; enveloppés tout entiers par les ténèbres, ils ne pouvaient plus même se tenir debout, et se voyaient forcés de s'asseoir. Les ténèbres désignent ici l'erreur et l'impiété.
Remi. - Dans le sens allégorique, Jean et les autres prophètes sont la voix qui précède le Verbe. Lorsque le prophète eut cessé de parler, et qu'il fût jeté dans les fers, le Verbe paraît pour accomplir ce qu'avait annoncé la voix, c'est-à-dire le prophète. Et il se retira dans la Ga lilée, c'est-à-dire de la figure pour aller vers la vérité, ou bien dans la Galilée, c'est-à-dire dans l'Église, car c'est en elle seule que l'on peut passer du vice à la vertu. Nazareth veut dire fleur, Capharnaüm, la ville très-belle. Il quitte la fleur des figures qui annonçait les fruits de l'Évangile, et il vient dans l'Église embellie des vertus du Christ. Elle est appelée maritime parce qu'elle est placée sur les flots, et qu'elle est tous les jours battue par les tempêtes des persécutions. Elle est située sur les confins de Nephtali et de Zabulon, c'est-à-dire qu'elle est commune aux Juifs et aux Gentils. Zabulon signifie maison de la force, parce que les apôtres, qui ont été choisis parmi les Juif s, ont été remplis de force; Nephtali veut dire dilatation, parce que l'Église, composée de Gentils, s'est étendue par toute la terre. - S. Aug. (de l'Acc. des Evang. liv. 2, chap. 17). Saint Jean l'Évangéliste, avant le voyage de Jésus en Galilée place la vocation de Pierre, d'André, de Nathan et le miracle de Cana en Galilée, toutes choses dont ne parlent par les autres Évangélistes, qui mêlent à leur narration le retour de Jésus en Galilée, Il faut en conclure qu'il s'est écoulé quelques jours pendant lesquels arrivèrent les faits que saint Jean intercale dans son récit.
Remi. - Mais il faut examiner avec soin comment saint Jean a pu dire que le Sauveur avait été dans la Galilée avant que saint Jean-Baptiste eût été mis en prison; car c'est après le chan gement de l'eau en vin, après le séjour de Jésus à Capharnaüm, après son retour à Jérusalem, que, d'après le récit de saint Jean, il revint dans la Judée, et qu'il y baptisait. Or, à cette époque Jean-Baptiste n'était pas encore incarcéré. Ici au contraire, comme dans saint Marc, nous li sons que Jésus se retira en Galilée après que Jean-Baptiste fut arrêté. Il n'y a toutefois aucune contradiction. Car saint Jean l'Évangéliste raconte le premier voyage du Sauveur dans la Gali lée, voyage qui eut lieu avant l'incarcération de Jean-Baptiste. Ailleurs il fait mention en ces termes d'un second voyage dans la même contrée: «Jésus quitta la Judée, et revint de nou veau dans la Galilée»,et c'est de ce second voyage seulement qui eut lieu après que Jean-Baptiste eût été jeté en prison, que les autres Évangélistes font mention. - Eusèbe. (Hist. ecclés., liv. 3, chap. 18). En effet, nous savons par la tradition que saint Jean l'Évangéliste prêcha de vive voix l'Évangile presque jusqu'à la fin de sa vie sans avoir absolument rien écrit. Lorsqu'il eut pris connaissance des trois premières Évangiles, il en approuva l'exactitude et la vérité, mais il y remarqua quelques lacunes, surtout dans la première année de la prédication du Sauveur. Il est certain, en effet, que les trois premiers Évangélistes rapportent exclusivement les événements qui ont en lieu l'année où Jean-Baptiste fut jeté en prison ou mis à mort. Car saint Matthieu et saint Marc, après la tentation du Christ, ajoutent aussitôt: «Jésus apprenant que Jean avait été mis en prison, etc». Saint Luc avant de raconter aucune action de la vie du Christ, dit tout d'abord qu'Hérode fit jeter Jean-Baptiste en prison. Saint Jean fut donc prié d'écrire les faits de la vie du Sauveur qui avaient précédé l'emprisonnement de Jean-Baptiste, et c'est pour cela que nous lisons dans son Évangile: «Tel fut le premier miracle de Jésus».
Catena Aurea 3403