Caté Somme - 9. Actes secondaires ou effets de la charité: la joie, la paix, la miséricorde, la bienfaisance, l'aumône, la correction fraternelle
- Quel est le sentiment qui doit, avant tout, être banni du coeur de l'homme dans ses rapports avec le prochain?
- C'est le sentiment de la haine (II-II 34,0).
- Qu'est-ce donc que la haine?
- La haine est le plus grand des vices, opposé directement à l'acte principal de la charité, qui est l'acte d'amour de Dieu et du prochain (II-II 34,2-4).
- Est-ce une chose possible que Dieu soit haï par quelqu'une de ses créatures?
- Oui, il n'est que trop posssible que Dieu soit haï par quelqu'une de ses créatures (II-II 34,1).
- Comment expliquez-vous que Dieu, qui est le bien infini et de qui découle tout bien pour ses créatures, soit dans l'ordre naturel, soit dans l'ordre surnaturel, puisse être haï par quelqu'une de ses créatures?
- On l'explique par la dépravation morale de quelques-unes de ces créatures, lesquelles ne considèrent plus Dieu sous sa raison de bien infini ou de source de tout bien, mais sous la raison de législateur qui défend un mal qu'on aime, ou sous la raison de juge qui condamne et punit le mal qu'on a commis, et dont on ne veut pas se repentir ou demander pardon (II-II 34,1).
- C'est donc une sorte d'obstination diabolique dans le mal qui fait que des créatures raisonnables ont la haine de Dieu?
- Oui, c'est une sorte d'obstination diabolique dans le mal qui fait que des créatures raisonnables ont la haine de Dieu.
- La haine de Dieu est-elle le plus grand de tous les péchés?
- La haine de Dieu est sans comparaison le plus grand de tous les péchés (II-II 34,2).
- Peut-il être jamais permis d'avoir de la haine pour quelqu'un parmi les hommes?
- Non, il ne peut jamais être permis d'avoir de la haine pour quelqu'un parmi les hommes (II-II 34,3).
- Mais s'il est des hommes qui font le mal, n'a-t-on pas le droit de les haïr?
- Non, on n'a jamais le droit de haïr les hommes qui font le mal; mais on doit détester le mal qu'ils font, précisément en raison de l'amour qu'on doit avoir pour eux (II-II 34,3).
- N'a-t-on jamais le droit de leur vouloir du mal?
- Non, on n'a jamais le droit de leur vouloir du mal pour le mal; mais en vue du bien véritable qu'on leur veut à eux ou qu'on veut à la société et plus encore à Dieu, on peut vouloir qu' ils éprouvent certains maux destinés à les ramener au bien ou à sauvegarder le bien de la société et la gloire de Dieu (II-II 34,3).
- Peut-on jamais souhaiter à un homme qui vit sur la terre, quelque coupable qu'il puisse être, la damnation éternelle?
- Non, jamais on ne peut souhaiter à un homme qui vit sur la terre, quelque coupable qu'il puisse être, la damnation éternelle; car, ce serait aller directement contre l'acte de la vertu de charité, qui doit nous faire vouloir à tous finalement le bonheur de Dieu, à la seule exception des démons et des réprouvés qui sont déjà dans l'enfer.
- Y a-t-il un vice qui s'oppose spécialement au second acte de la charité qui s'appelle la joie?
- Oui, c'est le vice de la tristesse, portant sur le bien spirituel et surnaturel qui est l'objet propre de la charité que nous savons être Dieu lui-même en lui-même, notre bonheur parfait (II-II 35,0).
- Comment une telle tristesse est-elle possible?
- Cette tristesse est possible parce que l'homme, en raison de son goût spirituel dépravé, tient le bien divin, objet de la charité, pour chose non bonne et odieuse et attristante.
- Cette tristesse est-elle toujours un péché mortel?
- Cette tristesse est toujours un péché mortel, quand elle passe de la partie inférieure de notre être ou de la partie sensible jusqu'à la partie rationnelle et supérieure (II-II 35,1).
- Pourquoi est-elle alors un péché mortel?
- Parce qu'elle est directement contraire à la charité qui, nous faisant un devoir d'aimer Dieu par-dessus toute chose, nous fait aussi, et par voie de conséquence, un devoir essentiel de prendre en lui notre repos ou le plaisir foncier et dernier de notre âme (II-II 35,3).
- Cette mauvaise tristesse est-elle un péché capital?
- Oui, cette mauvaise tristesse est un péché capital, parce qu'elle fait que les hommes accomplissent beaucoup de choses mauvaises et commettent de nombreux péchés, soit afin de l'éviter et d' en sortir, soit parce que son poids les fait se jeter en certaines mauvaises actions (II-II 35,4).
- Comment s'appelle cette mauvaise tristesse qui est un péché capital?
- On l'appelle la paresse et le dégoût spirituel.
- Pourriez-vous me dire quelles sont les filles de la paresse ou les péchés qui en découlent?
- Ce sont: la désespérance ou le désespoir; la pusillanimité; la torpeur à l'endroit des préceptes; la rancoeur; la malice; la divagation de l'âme vers les choses illicites (II-II 35,4 ad 2).
- Cette paresse est-elle le seul vice qui s'oppose à la joie de la charité?
- Non, il en est encore un autre, qui s'appelle l'envie (II-II 36,0).
- Quelle différence y a-t-il entre ces deux vices, qui s'opposent tous deux à la joie de la charité?
- Il y a cette différence, entre ces deux vices, que la paresse ou le dégoût spirituel s'oppose à la joie du bien divin selon que ce bien est en Dieu et doit être en nous-mêmes; tandis que l'envie s' oppose à la joie du bien divin selon que ce bien est celui du prochain (II-II 35,0 II-II 36,0).
- Qu'est-ce donc que l'envie?
- L'envie est la tristesse du bien d'autrui, non parce que ce bien nous cause du mal, mais seulement parce que ce bien est celui d'autrui, non le nôtre (II-II 36,1-3).
- Cette tristesse de l'envie est-elle un péché?
- Oui, parce que c'est s'attrister de ce qui doit être une cause de joie, à savoir: le bien du prochain (II-II 36,2).
- L'envie est-elle toujours un péché mortel?
- Oui, l'envie est toujours un péché mortel de sa nature, comme essentiellement contraire à la joie de la charité; on n'y peut trouver la raison de péché véniel, que s'il s' agit de premiers mouvements imparfaits dans la raison d'actes humains volontaires (II-II 36,3).
- L'envie est-elle un péché capital?
- Oui, l'envie est un péché capital, parce que sa mauvaise tristesse porte l'homme à de nombreux péchés, soit pour l'éviter, soit pour s'y conformer (II-II 36,4).
- Quelles sont les filles de l'envie ou les péchés qui en découlent?
- Ce sont: l'insinuation; la détraction; l'exultation dans les adversités du prochain; l'affliction dans ses prospérités; la haine (II-II 36,4).
- Y a-t-il aussi des vices qui soient opposés à la charité du côté de la paix?
- Oui, il y a de nombreux vices opposés à la charité du côté de la paix.
- Quels sont ces vices nombreux opposés à la charité du côté de la paix?
- Ce sont: la discorde, dans le coeur; la contention, dans les paroles; et, dans l'action: le schisme; la rixe; la sédition; la guerre (II-II 37,0-42).
- Pourriez-vous me dire en quoi consiste proprement la discorde qui est un péché contre la charité?
- Elle consiste dans le fait de ne pas vouloir intentionnellement ce que les autres veulent, quand il est avéré que ces autres veulent le bien, c'est-à-dire ce qui est pour l'honneur de Dieu et le bien du prochain, et ne pas le vouloir précisément pour cette raison-là; ou encore, à verser dans ce désaccord sans mauvaise intention directe, mais par rapport à des choses qui sont de soi essentielles à l'honneur de Dieu et au bien du prochain; ou, de quelque objet qu'il s'agisse, et quelle que soit la droiture d'intention, à apporter dans ce désaccord une obstination et une pertinacité indues (II-II 37,1).
- Et qu'est-ce que la contention?
- La contention est le fait de lutter avec quelque autre en parole (II-II 38,1).
- Cette contention est-elle un péché?
- Oui, si on lutte ainsi avec un autre pour le seul fait de le contredire; à plus forte raison le serait-elle si on le faisait pour nuire au prochain, ou à la vérité que le prochain défendrait dans ses paroles; elle le serait même si, en défendant soi-même la vérité, on le faisait sur un ton ou avec des paroles qui seraient de nature à blesser le prochain (II-II 38,1).
- Qu'entendez-vous par le schisme?
- Le schisme est une rupture ou une scission qui fait que de soi-même et intentionnellement on se sépare de l'unité de l'Église, soit en refusant de se soumettre au Souverain Pontife comme au chef de toute l'Église, soit en refusant de communiquer avec les membres de l'Église comme tels (II-II 39,1).
- Pourquoi comptez-vous la guerre parmi les péchés oppposés à charité?
- Parce que la guerre, quand elle est injuste, est un des plus grands maux dont on puisse être responsable à l'égard du prochain.
- Est-ce qu'il peut être jamais permis de faire la guerre?
- Oui, il peut être permis de faire la guerre, quand on la fait pour une cause juste et sans commettre d'injustice au cours de cette guerre (II-II 40,1).
- Qu'entendez-vous par une cause juste?
- J'entends la dure nécessité de faire respecter, même par la force et la voie des armes, les droits essentiels aux rapports des hommes entre eux, quand ces droits ont été violés par une nation étrangère qui refuse de réparer (II-II 40,1).
- C'est donc alors seulement qu'il est permis de faire la guerre?
- Oui, c'est uniquement alors qu'il est permis de faire la guerre (II-II 40,1).
- Ceux qui combattent dans une guerre juste et qui le font sans commettre eux-mêmes d'injustice au cours de cette guerre accomplissent-ils un acte de vertu?
- Oui, ceux qui combattent au cours d'une guerre juste et n'y commettent eux-mêmes aucune injustice accomplissent un grand acte de vertu, puisqu'ils s'exposent aux plus grands des périls en vue du bien des hommes ou du bien de Dieu qu'ils défendent contre ceux qui les attaquent.
- Qu'entendez-vous par le péché opposé à la paix, que vous appelez la rixe?
- J'entends, par rixe, une sorte de guerre privée qui se fait entre particuliers, sans aucun mandat de l'autorité publique; et, à ce titre, elle est toujours, de soi, en celui qui en est l'auteur, un e faute grave (II-II 41,1).
- Peut-on rattacher à ce vice l'acte spécial qui s'appelle le duel?
- Oui, avec cette différence que le duel semble procéder plus à froid et moins sous le coup de la passion, circonstance d'ailleurs qui ne fait qu'ajouter à sa gravité.
- Le duel est-il toujours, de soi, essentiellement mauvais?
- Oui, le duel est toujours, de soi, essentiellement mauvais; parce qu'on y joue sa vie ou celle du prochain contrairement à la volonté de Dieu qui en est le seul maître.
- Et la sédition, qu'est-elle, parmi les vices qui s'opposent à la charité en raison de la paix?
- La sédition est un vice qui fait que les parties d'un même peuple conspirent ou se soulèvent en tumulte, les unes contre les autres, ou contre l'autorité légitime chargée de pourvoir au bien de l'ensemble (II-II 42,1).
- La sédition est-elle un grand péché?
- Oui, la sédition est toujours un très grand péché; parce que n'existant rien de plus grand ou de plus excellent, dans l'ordre humain, que l'ordre public, conditio n indispensable des autres biens dans cet ordre, il s'ensuit qu'avec le crime de la guerre injuste, et peut-être même, en un sens, plus encore que ce crime, celui de la sédition est le plus grand des crimes contre le bien des hommes (II-II 42,2).
- Y a-t-il quelque vice spécial qui s'oppose directement à la charité en raison de son acte extérieur qui est la bienfaisance?
- Oui, ce vice est celui du scandale (II-II 43,0).
- Qu'est-ce donc que le scandale?
- Le scandale est le fait de donner à quelqu'un une occasion de chute, en raison de ce que l'on fait ou de ce que l'on dit; ou le fait de prendre occasion de pécher, à cause de ce qui est dit ou fait par un autre: dans le premier cas, on scandalise; dans le second, on se scandalise (II-II 43,1).
- N'y a-t-il que les âmes faibles à se scandaliser?
- Oui: il n'y a que les âmes faibles, non encore affermies dans le bien, qui se scandalisent, au sens propre de ce mot; bien qu'il appartienne à toute âme délicate d'être péniblement affectée, quand elle voit un acte mauvais quelconque se produire (II-II 43,5).
- Les justes et les âmes vertueuses sont-elles incapables de scandaliser?
- Oui, les justes et les âmes vertueuses sont incapables de scandaliser, parce que, d'abord, elles ne font rien de mal qui puisse vraiment scandaliser, et si d'autres se scandalisent de ce qu'elles font, c' est en raison de leur propre malice, elles-mêmes n'agissant que comme elles doivent agir (II-II 43,6).
- Peut-il y avoir quelquefois, pour les âmes justes et vertueuses, obligation de laisser certaines choses afin de ne pas scandaliser les faibles?
- Oui, il peut y avoir quelquefois, pour les âmes justes et vertueuses, obligation de laisser certaines choses afin de ne pas scandaliser les faibles, pourvu qu'il ne s'agisse point de choses nécessaires au salut (II-II 43,7).
- Est-on jamais tenu de laisser un bien quelconque pour éviter le scandale des méchants?
- Non, on n'est jamais tenu de laisser un bien quelconque pour éviter le scandale des méchants (II-II 43,7-8).
- Y a-t-il quelque précepte qui regarde la vertu de charité dans la loi de Dieu?
- Oui, il y a une précepte qui regarde la vertu de charité dans la loi de Dieu (II-II 44,1).
- Ce précepte, quel est-il?
- Ce précepte est le suivant: Tu aimeras ton Dieu de tout ton coeur, et de tout ton esprit, et de toute ton âme, et de toutes tes forces (II-II 44,4).
- Que veulent dire exactement ces paroles?
- Elles veulent dire que toute notre intention, dans nos actions, doit se porter vers Dieu; que toutes nos pensées doivent lui être soumises; que toutes nos affections sensibles doivent être réglées selon lui; que tous nos actes extérieurs doivent être l'accomplissement de sa volonté (II-II 44,4-5).
- Ce précepte de la charité est-il un grand précepte?
- Ce précepte est le plus grand de tous les préceptes, qui contient virtuellement tous les autres et auquel tous les autres sont ordonnés (II-II 43,1-3).
- Ce précepte de la charité est-il unique et simple; ou en comprend-il plusieurs, même comme précepte direct de la charité?
- Ce précepte de la charité est tout ensemble un et multiple, même comme précepte de la charité; et cela veut dire que, bien compris, il suffirait à lui seul, dans l'ordre de la charité; car on ne peut aime r Dieu, sans aimer le prochain, que nous devons aimer pour Dieu lui-même; mais, afin qu'il soit compris de tous, il est ajouté, au premier précepte, ce second précepte, qui ne fait qu'un avec lui: Tu aimeras ton prochain comme toi-même (II-II 44,2-3).
- Ces préceptes de la charité sont-ils compris au nombre des préceptes du Décalogue?
- Non, ces préceptes de la charité ne sont pas compris au nombre des préceptes du Décalogue. Ils les précèdent et les dominent; car les préceptes du Décalogue ne sont que pour assurer l'accomplissement des préceptes de la charité (II-II 44,1 ad 3).
- Ces préceptes de la charité sont-ils manifestes par eux-mêmes, dans l'ordre surnaturel, sans qu'il soit besoin qu'on les proclame?
- Oui, ces préceptes de la charité sont manifestes par eux-mêmes, dans l'ordre surnaturel, sans qu'il soit besoin qu'on les proclame; car, de même que c'est une loi de la nature, innée dans tous les coeurs, que, dans l'ordre naturel, Dieu doit être aimé par-dessus tout, et tout le reste en vue de lui; de même, c'est une loi essentielle à l'ordre surnaturel que Dieu, principe de tout dans cet ordre, soit aimé, d'un amour surnaturel, par-dessus tout, et que tout le reste soit aimé pour lui.
- C'est donc aller contre ce qu'il y a de plus essentiel dans l'ordre des affections, que de ne pas aimer Dieu par-dessus tout, et le prochain comme soi-même?
- Oui, c'est aller contre ce qu'il y a de plus essentiel dans l'ordre des affections, que de ne pas aimer Dieu par-dessus tout et le prochain comme soi-même.
- La vertu de charité a-t-elle un don du Saint-Esprit qui lui correspond?
- Oui, la vertu de charité a un don du Saint-Esprit qui lui correspond; et c'est le plus parfait de tous, à savoir le don de sagesse (II-II 45,0).
- Qu'entendez-vous par le don de sagesse?
- J'entends ce don du Saint-Esprit, qui fait que l'homme, sous l'action directe de l'Esprit-Saint, juge de toutes choses par son intelligence, en prenant pour norme ou pour règle propre de ses jugements la plus haute et la plus sublime de toutes les causes, qui est la sagesse même de Dieu telle qu'elle a daigné se manifester à nous par la foi (II-II 45,1).
- Pourriez-vous me dire en quoi ce don de sagesse se distingue de la vertu intellectuelle du même nom, ou encore des dons d'intelligence, de science, de conseil, pour autant qu'eux-mêmes se distinguent des vertus intellectuelles qui s'appellent aussi l'intelligence, la science et la prudence?
- Oui; et le voici en quelques mots. - Du côté de l'intelligence, dans l'ordre des choses de la foi, il y a plusieurs actes essentiellement distincts, auxquels correspondent des vertus ou des dons proportionnés, également distincts entre eux ou distinctes entre elles. - La foi vise essentiellement l'acte d'assentir aux affirmations émises par Dieu. Cet acte d'assentir, qui est l'acte principal dans les choses de la foi, entraîne à sa suite, comme actes secondaires ou complémentaires et perfectionnant l'intelligence dans le même ordre des choses de la foi, les actes de percevoir et de juger. - l'acte de percevoir est unique comme genre; et à lui correspond, soit la vertu intellectuelle d'intelligence, soit, dans une ligne plus haute de perfection, le don d'intelligence. - L'ac te de juger est multiple: il se divise en trois: selon qu'il juge, en général, d'après les raisons divines, ou d'après les raisons humaines; ou selon qu'il fait l'application aux cas particuliers. - Dans le premier cas, on a, qui lui correspondent, la vertu intellectuelle qu'est la sagesse, et, plus haut, le don de sagesse. - Dans le second cas, la vertu intellectuelle qu'est la science, et, plus haut, le don de science. - Dans le troisième cas, la vertu intellectuelle qu'est la prudence, et, plus haut, le don de conseil.
- Pourrait-on appeler d'un nom général cette doctrine que vous venez d'exposer?
- Oui, on pourrait l'appeler, en quelque sorte, l'économie de notre organisme psychologique surnaturel dans l'ordre des choses de la foi.
- Cet enseignement a-t-il quelque chose de particulièrement parfait?
- Oui: car nous le devons à saint Thomas d'Aquin: et lui-même nous a avertis qu'il ne l'avait saisi dans toute son harmonieuse beauté qu'à la suite de réflexions particulièrement attentives et mûries (II-II 8,6).
- Parmi ces vertus ou ces dons qui perfectionnent l'intelligence dans la connaissance de la vérité, qu'y a-t-il qui occupe la première place en perfection?
- C'est la vertu de foi, de laquelle tout le reste dépend, et que tout le reste a pour mission ou pour rôle d'assister et d'aider dans la connaissance de cette vérité.
- Et, après la vertu de foi, qu'y a-t-il qui soit le plus parfait?
- Après la vertu de foi, ce qu'il y a de plus parfait est le don de sagesse.
- En quoi consiste cette perfection du don de sagesse, notamment par rapport au don de science?
- Elle consiste en ce que le don de science nous fait juger divinement des choses, en les jugeant selon leurs propres causes immédiates et créées; tandis que le don de sagesse nous fait jug er divinement de toutes choses en les jugeant selon la plus haute de toutes les causes, de laquelle toutes les autres dépendent et qui, elle-même, ne dépend d'aucune autre.
- C'est donc par le don de sagesse qu'on atteint au plus haut degré de connaissance où l'on puisse s'élever sur cette terre?
- Oui, c'est par le don de sagesse qu'on atteint au plus haut degré de connaissance où l'on puisse s'élever sur cette terre.
- Ce don si élevé et si beau a-t-il un vice qui s'oppose à lui?
- Oui; et c'est précisément le manque de sagesse, qui consiste à porter le dernier jugement sur une chose, sans tenir aucun compte ou au mépris des souverains conseils de Dieu (II-II 46,0).
- Comment devra s'appeler ce vice?
- Ce vice n'a qu'un nom qui lui convienne; c'est celui de la suprême sottise et de la suprême folie (II-II 46,1).
- Est-il très répandu parmi les hommes?
- Oui; puisqu'il est pratiquement le vice de tous ceux qui organisent leur vie en dehors ou à l'encontre de toute considération des choses divines.
- Peut-il convenir même à des hommes d'ailleurs fort intelligents dans l'ordre des choses humaines?
- Oui, il peut convenir à des hommes d'ailleurs fort intelligents dans l'ordre des choses humaines.
- Est-ce qu'il y a opposition irréductible entre la sagesse du monde et la sagesse de Dieu?
- Oui, il y a opposition irréductible entre la sagesse du monde et la sagesse de Dieu, l'une de ces sagesses étant folie aux yeux de l'autre.
- En quoi consiste cette opposition irréductible?
- Elle consiste en cela, que le monde tient pour sages ceux qui organisent leur vie du mieux possible pour ne manquer de rien sur cette terre, mettant leur fin dernière dans les biens de ce monde, au mépris du bien de Dieu qui nous est promis pour une autre vie, tandis que la sagesse des enfants de Dieu consiste à tout subordonner, dans les choses de la vie présente, à la future possession de Dieu dans le ciel.
- Ces deux sortes de vies sont-elles nécessairement distinctes du tout au tout?
- Oui, ces deux sortes de vies sont nécessairement distinctes du tout au tout, parce que la fin dernière de chacune d'elles est absolument autre; et que c'est la fin dernière qui commande tout dans une vie.
- C'est donc par la seule pratique et mise en oeuvre des vertus théologales de foi, d'espérance et de charité et des dons qui leur correspondent, que l'homme tend à sa véritable fin dernière et peut s'orienter comme il convient dans tous les actes de sa vie?
- Oui, c'est par la seule pratique et mise en oeuvre des vertus théologales de foi, d'espérance et de charité et des dons qui leur correspondent, que l'homme tend à sa véritable fin dernière et peut s'orienter comme il convient dans tous les actes de sa vie.
- Que doit faire l'homme pour se rendre digne de posséder un jour, dans le ciel, à titre de récompense, Dieu lui-même, tel que la foi, l'espérance et la charité lui permettent de l'atteindre même sur cette terre?
- Il doit, en même temps que vivre sans cesse de ces grandes vertus et des dons qui leur correspondent, mettre en oeuvre aussi toutes les vertus morales et les dons qui leur correspondent.
- Quelle est la première de ces vertus morales?
- C'est la vertu de prudence (II-II 47,0).
- Qu'entendez-vous par cette vertu?
- J'entends un principe d'action morale, qui perfectionne la raison pratique de l'homme, afin que, dans chacune de ses actions, il dispose et ordonne toutes choses comme il convient, se commandant à lui-même ou commandant à tous ceux dont l'action est subordonnée à la sienne et en dépend ce qu'il faut faire à chaque instant pour la réalisation parfaite de chaque vertu (II-II 47,1-9).
- Cette vertu est-elle d'une grande importance dans la vie morale de l'homme?
- Cette vertu est d'une importance souveraine dans la vie morale de l'homme; car, sans elle, il est impossible qu'il y ait, dans la vie morale de l'homme, aucun acte vertueux (II-II 47,13).
- Cette vertu, quand elle existe et produit excellemment son acte, suffit-elle pour assurer le côté vertueux de toute la vie de l'homme?
- Oui, cette vertu, quand elle existe et qu'elle produit excellemment son acte, suffit pour assurer le côté vertueux de toute la vie morale de l'homme (II-II 47,14).
- Pourquoi ce privilège est-il attribué à la prudence?
- Parce qu'en elle toutes les autres vertus se trouvent réunies, aucune ne pouvant exister sans elle et elle-même ne pouvant exister sans le concours de toutes les autres.
- Cette vertu, pour être parfaite, exige-t-elle de nombreuses conditions préalables en ce qui est de son acte propre?
- Oui, cette vertu, pour être parfaite, exige de nombreuses conditions préalables ou qu'elle implique en ce qui est de son acte propre.
- Quelles sont ces conditions qu'exige ou qu'implique la vertu de prudence pour la perfection de son acte propre?
- Ce sont, d'abord, comme des éléments qui la constituent, ou sans lesquels elle ne peut pas être; puis, ou en même temps, d'autres vertus qui lui sont ordonnées et préparent son acte propre; et, enfin, la division d'elle-même selon la nature des sujets à gouverner ou à régir (II-II 48,0 II-II 51,0).
- Quels sont ces éléments qui la constituent elle-même ou sans lesquels elle ne peut pas être?
- Ce sont: le souvenir des choses passées; l'intelligence ou la claire vue des principes de l'action, soit en général, soit en particulier; la docilité et la révérence à l'endroit de ce qu' ont déterminé les plus sages qui ont précédé; la sagacité, pour trouver elle-même ce qu'il lui serait impossible, dans un moment subit, de demander à autrui; le saint exercice de la raison appliquant, comme il convient, les principes de l'action aux multiples conditions particulières de l'action elle-même, si incertaines et si variées; la prévoyance ou la détermination voulue au moment de l'action pour chaque acte particulier, quant à la substance de cet acte; la circonspection, à l'endroit de tout ce qui entoure cet acte; la précaution, contre tout ce qui pourrait y mettre obstacle ou en compromettre le fruit (II-II 49,1-8).
- Quelles sont les autres vertus qui lui sont ordonnées et préparent son acte propre?
- Ce sont: la vertu de bon conseil, et les deux vertus qui assurent le bon jugement: l'une, dans les cas ordinaires de la vie et en tenant compte des lois établies; l'autre, dans les cas extraordinaires, et alors que l'on doit recourir aux clartés supérieures du seul droit naturel (II-II 51,1-4).
- Comment s'appelle l'acte propre que doit régler la prudence, en l'émettant à la suite de ces actes du bon conseil et du bon jugement?
- C'est l'acte même du commandement qui déclenche l'action (II-II 47,8).
- La prudence est donc, proprement, la vertu du commandement?
- Oui, la prudence est proprement la vertu du commandement.
- Mais ne semble-t-il pas, au contraire, qu'elle soit la vertu du conseil, puisqu'on a coutume d'appeler prudents les hommes qui s'assurent avant d'agir?
- On n'appelle ainsi les hommes prudents qu'en raison du conseil qui précède, en effet, le commandement, mais la vertu propre de prudence est dans l'acte même de commander avec énergie et décision au moment voulu où il faut agir (II-II 47,8 ad 2).
- Y a-t-il plusieurs espèces de vertu de prudence?
- Oui, il y a autant d'espèces de vertu de prudence qu'il y a d'espèces d'actes de commandement revêtant une difficulté spéciale dans l'ordre de la vertu.
- Combien y a-t-il d'espèces de ces sortes de commandement?
- Il y en a quatre, qui sont: l'acte de se commander à soi-même, l'acte de commander dans la famille, l'acte de commander dans la société, et l'acte de commander dans l'armée (II-II 50,1-4).
- Comment appelle-t-on les diverses espèces de vertu de prudence qui correspondent à ces divers actes de commandement?
- On les appelle: la prudence individuelle, la prudence familiale, la prudence royale; et la prudence militaire (II-II 50,1-4).
- Qu'entendez-vous par la prudence individuelle?
- J'entends cette espèce de prudence requise en chaque individu pour la gestion de sa vie morale en vue de son propre bien individuel.
- Qu'entendez-vous par la prudence familiale?
- J'entends cette espèce de prudence nécessaire à tous les membres de la famille pour que chacun, dans le rôle qui lui convient et sous la direction du chef de la famille, pourvoie au bien de la famille (II-II 50,3).
- Qu'entendez-vous par la prudence royale?
- J'entends cette espèce de prudence nécessaire au chef de la société parfaite qu'est la cité indépendante ou la nation et le royaume, pour gouverner comme il convient cette société parfaite (II-II 50,1).
- Suffit-il pour le bien de la cité ou de la nation que cette prudence existe dans la personne de celui ou de ceux qui gouvernent?
- Non, il faut encore que se trouve, dans la personne des gouvernés, une espèce de prudence proportionnée à celle du chef ou du gouvernement (II-II 50,2).
- En quoi consiste cette prudence des gouvernés?
- Elle consiste en cela, que chaque membre de la société, en chacun de ses actes d'ordre social, facilite, par sa correspondance parfaite aux ordres ou à la direction du chef ou du gouvernement, l'obtention du bien commun (II-II 50,2).
- Est-ce également à l'obtention du bien commun dans la société, qu'est ordonnée la prudence militaire?
- Oui; et cette prudence est de la dernière importance pour le bien de la société, puisque c'est elle qui doit assurer, par le bon commandement des chefs et la discipline consentie des subordonnés jusqu' au plus petit soldat, la défense du pays contre les attaques ou les injustices des ennemis du dehors (II-II 50,4).
- La vertu de prudence a-t-elle un don spécial du Saint-Esprit qui lui correspond?
- Oui, c'est le don de conseil (II-II 52,0).
- Qu'entendez-vous par le don de conseil?
- J'entends cette disposition surnaturelle ou transcendante qui perfectionne la raison pratique de l'homme, la rendant prompte et docile à recevoir de l'Esprit-Saint, dans la recherche ou l'enquête et le conseil qui se rapportent à l'action, dans tout l'ordre de la vie humaine, tout ce qui est nécessaire au salut, venant ainsi au secours de la raison de l'homme, qui, même pourvue de toutes les vertus acquises ou infuses en vue du bon conseil devant amener le jugement parfait et l'acte parfait du commandement, demeure toujours sujette à l'erreur ou à la surprise, dans la complexité quasi infinie des circonstances qui peuvent intéresser son acte, soit pour elle-même, soit pour les autres, en vue du ciel à conquérir (II-II 52,1-2).
- Ce don du conseil pourra-t-il continuer d'exister au ciel après cette vie?
- Oui, mais d'une manière particulièrement transcendante (II-II 52,3).
- Quel sera ce mode spécial selon lequel le don de conseil continuera d'exister au ciel?
- Il consistera en cela, que toutes les intelligences y seront merveilleusement éclairées par Dieu sur tout ce qui, dans le domaine de l'action, s'harmonise pour elles avec l'obtention de leur fin déjà réalisée: soit qu'il s'agisse des actes qui découleront pour elles, éternellement, de l'obtention même de cette fin, soit qu'il s'agisse du secours qu'elles sont destinées à prêter, jusqu' au dernier jour à ceux qui doivent encore travailler à la conquête ou à l'obtention de cette fin (II-II 52,3).
- Y a-t-il des vices qui soient opposés à la vertu de prudence?
- Oui, il y a des vices qui lui sont opposés par défaut; et d'autres qui lui sont opposés par excès.
- Comment s'appelle le groupe des vices opposés par défaut à la vertu de prudence?
- On les appelle du nom général d'imprudence (II-II 53,0).
- Pourriez-vous me dire ce qu'est l'imprudence considérée en général?
- On appelle du nom d'imprudence, en général, tout acte de la raison pratique fait par l'homme en s'écartant des règles qui assurent la droite raison de la prudence (II-II 53,1).
- Est-ce qu'il peut y avoir péché mortel dans l'acte d'imprudence?
- Oui; et cela arrive, quand la raison de l'homme ordonne son action à l'encontre des règles divines: tel, celui qui, méprisant et repoussant les avertissements divins, agit avec précipitation (II-II 53,1).
- Et quand est-ce qu'il n'y aurait que péché véniel?
- C'est quand l'homme agit en dehors des règles divines, mais sans qu'il y ait mépris de sa part, et sans compromettre ce qui est de nécessité de salut (II-II 53,1).
- Le péché d'imprudence se trouve-t-il joint à tout autre péché?
- Oui, le péché d'imprudence se trouve joint à tout autre péché; car aucun péché ne serait, s'il n'y avait quelque acte d'imprudence; toutefois, ce péché peut exister aussi en lui-même et distinct des autres péchés (II-II 53,2).
- Quand est-ce que ce péché d'imprudence existe ainsi en lui-même, distinct des autres péchés?
- Cela arrive toutes les fois que, sans faire quelque chose de mal, ou même en faisant une chose bonne en soi, on agit avec précipitation, ou sans considération, ou d'une manière inconstante, ou avec négligence (II-II 53,2).
- Qu'est-ce que vous entendez par la précipitation?
- La précipitation est ce péché contre la prudence, qui consiste à ne pas s'enquérir avant d'agir, lorsqu'il le faudrait, et comme il le faudrait (II-II 53,3)
- Et l'inconsidération, qu'est-elle?
- C'est un péché contre la rectitude du jugement; et il consiste à mépriser ou à négliger ce qui assure le jugement droit dans les choses de l'action (II-II 53,4).
- En quoi l'inconstance est-elle un vice qui s'oppose à la prudence?
- Parce qu'elle est un défaut dans l'acte même de commander, qui est l'acte propre de la prudence: en effet, l'inconstant est celui qui, par manque de commandement ferme, ne réalise pas, dans l'action, ce qui a été résolu après l'enquête ou le conseil (II-II 53,5).
- N'y a-t-il que ce seul défaut qui puisse affecter l'acte principal de la prudence?
- Il y en a encore un second, qui lui est opposé du côté de la sollicitude qu'il implique, et c'est la négligence (II-II 54,0).
- Qu'est-ce donc bien que la négligence?
- La négligence est un manque de promptitude ou de rapidité dans la mise en oeuvre immédiate, par voie de précepte ou de commandement, des résolutions du jugement, préparé par l'enquête ou le conseil, en vue de l'action qui doit réaliser la fin de la vertu (II-II 54,1).
- Est-ce un grand péché que ce péché de la négligence?
- Oui; ce péché peut être dit très grand, en ce sens qu'il paralyse tout dans le domaine de l'action vertueuse; car, ou bien il empêche que cette action ne se produise, ou il fait qu'elle se produit mollement et de façon qui traîne, de telle sorte qu'elle perd la plus grande partie de son mérite et de son prix (II-II 54,3).
- Comment s'appelle cette négligence, quand elle s'étend ainsi à l'acte extérieur pour le retarder ou le ralentir et l'énerver?
- On l'appelle la paresse et la torpeur (II-II 54,2 ad 1).
- Ces deux autres vices se distinguent-ils de la négligence proprement dite et considérée en elle-même?
- Oui; car le péché de négligence au sens strict consiste proprement dans l'absence ou le manque de promptitude et de vigueur dans l'acte du commandement, selon que ce défaut provient d'un relâchement intérieur de la volonté (II-II 54,2).
- Est-il important de veiller sur ce vice de la négligence et de ne pas s'en laisser envahir?
- Oui; cela est d'une importance extrême, parce que ce péché de négligence est à la source même de l'action et qu'il porte sur l'acte principal de la raison pratique, de laquelle tout dépend dans la réalisation de chaque acte de vertu; d'où il suit qu'il s'étend à tout, dans le domaine de cette vie, et peut tout infecter de son venin.
- Ce vice peut-il quelquefois être mortel?
- Oui; il l'est toujours quand il est cause de ce qu'on ne se résout pas à vouloir et à agir dans les choses de préceptes nécessaires au salut; mais, alors même qu'il ne l'est pas, il constitue de lui-même, et si on ne s'applique pas à le surveiller pour le combattre sans relâche, une maladie de langueur, qui doit conduire fatalement au dépérissement et à la mort (II-II 54,3).
- De quel nom appelle-t-on les vices qui s'opposent à la prudence par mode d'excès?
- On les appelle fausse prudence et fausse sollicitude (II-II 55,0).
- Qu'entendez-vous par la fausse prudence?
- J'entends cet ensemble de vices qui dénaturent le vrai caractère de la prudence, en servant une mauvaise fin, ou en excédant du côté des moyens (II-II 55,1-5).
- Quel est le vice qui dénature le vrai caractère de la prudence en servant une mauvaise fin?
- C'est la prudence de la chair (II-II 55,1).
- En quoi consiste cette prudence de la chair?
- Elle consiste à disposer les choses de la vie humaine en vue des intérêts de la chair considérée comme fin (II-II 55,1).
- Cette prudence de la chair est-elle un péché mortel?
- Oui, quand elle prend les intérêts de la chair comme fin dernière; si elle ne les prend que comme fin particulière, non actuellement ordonnée à la vraie fin dernière, qui reste cependant la fin habituelle, il n' y a qu'un péché véniel (II-II 55,2).
- Et les vices qui excèdent du côté des moyens, quels sont-ils?
- Ces vices sont l'astuce et ses annexes: le dol et la fraude (II-II 55,3-5).
- Qu'entendez-vous par l'astuce?
- J'entends cette fausse prudence qui consiste à user de moyens faux et trompeurs, qu'il s'agisse d'ailleurs d'une fin bonne ou d'une fin mauvaise à laquelle on les ordonne (II-II 55,3).
- Et le dol qu'est-il?
- Le dol est un vice qui consiste à réaliser, par la parole ou par les actes, les projets intérieurement arrêtés par l'astuce (II-II 55,4).
- Pourriez-vous me dire quelle différence existe ente le dol et la fraude?
- Il y a cette différence, entre le dol et la fraude, qu'étant tous deux ordonnés à l'exécution de l'astuce, le dol est ordonné à cette exécution, soit par voie de paroles, soit par voie de faits, indistinctement, tandis que la fraude n'est ordonnée à cette même exécution que par voie d'actes ou de faits (II-II 55,5).
- L'astuce, le dol et la fraude sont-ils la même chose que le mensonge?
- Non: car le mensonge se propose le faux comme fin; tandis que l'astuce, le dol et la fraude se proposent le faux comme moyen. S'ils trompent, c'est pour obtenir une certaine fin qu'ils se proposent.
- Que s'ensuit-il de cette différence?
- Il s'ensuit que le mensonge est un péché spécial dans l'ordre des vertus morales, qui ne se trouve en opposition qu'avec la vertu de vérité; tandis que l'astuce, le vol et la fraude, peuvent se trouver dans les divers genres de vices ou de péchés, n'en constituant aucun distinctement dans l'ordre des vertus morales, mais seulement dans l'ordre de la prudence, dont le propre est d'être participée dans toutes les autres vertus.
- Qu'entendez-vous par le péché de fausse sollicitude?
- J'entends la sollicitude qui fait qu'on met tout son soin à rechercher les choses temporelles, ou un soin superflu, ou qu'on redoute d'une manière exagérée de manquer de ces choses (II-II 55,6).
- Y a-t-il une sollicitude des choses temporelles qui peut être bonne?
- Oui, c'est la sollicitude qui apporte à ces choses un soin modéré, en les ordonnant à la fin de la charité, et en se confiant à la divine Providence (II-II 55,6).
- Que faut-il penser de la sollicitude qui regarde l'avenir?
- Cette sollicitude est toujours mauvaise, quand elle empiète sur ce qui devra être le propre d'un autre temps (II-II 55,7).
- Quand est-ce donc que la sollicitude qui regarde l'avenir sera bonne?
- Quand elle se contente de pourvoir aux choses de l'avenir selon qu'elles dépendent de celles qui doivent nous occuper au moment où nous sommes, laissant pour les temps qui viendront après, ce qui devra nous occuper alors (II-II 55,7).
Caté Somme - 9. Actes secondaires ou effets de la charité: la joie, la paix, la miséricorde, la bienfaisance, l'aumône, la correction fraternelle