Caté Somme - 50. La sobriété; vice opposé: l'ébriété
- Y a-t-il, en plus de l'abstinence, une autre vertu qui aide l'homme à prévenir de tels effets?
- Oui, c'est la vertu de sobriété (II-II 149,0).
- Qu'entendez-vous par la vertu de sobriété?
- J'entends une vertu spéciale, qui a pour objet propre de faire que l'homme n'use que comme il convient de toute boisson capable d'enivrer (II-II 149,1-2).
- Quel est le vice opposé à cette vertu?
- C'est le vice qui consiste à dépasser la mesure, dans l'usage de ces boissons, au point de tomber dans l'état d'ébriété ou d'ivresse (II-II 150,0).
- Qu'entendez-vous par l'état d'ébriété ou d'ivresse?
- J'entends un état physique où l'excès de boisson a fait perdre l'usage de la raison (II-II 150,1).
- Cet état d'ébriété ou d'ivresse est-il toujours un péché?
- Cet état est toujours un péché quand on s'y est mis par sa faute, ne laissant pas de boire avec excès, alors qu'on pouvait et qu'on devait se méfier du caractère capiteux de la boisson (II-II 150,1).
- Que faut-il pour que cet état soit un péché mortel?
- Il faut qu'on ait prévu que l'excès de la boisson pouvait amener l'ivresse et qu'on ait accepté cette conséquence possible plutôt que de se priver du plaisir trouvé dans cette boisson (II-II 150,2).
- Quand ce péché passe à l'état d'habitude, de quel nom s'appelle-t-il?
- Il s'appelle l'ivrognerie.
- L'ivrognerie est-elle un vice particulièrement laid et avilissant?
- Oui, l'ivrognerie est un vice particulièrement laid et avilissant; parce qu'il prive sciemment l'homme de l'usage de sa raison, le mettant d'une manière plus ou moins renouvelée et fréquente dans un état inférieur même à celui de la brute, qui garde au moins toujours son instinct pour la conduire (II-II 150,3).
- A côté de la vertu d'abstinence et de sobriété, quelle est l'autre grande vertu qui constitue, elle aussi, une espèce de la tempérance?
- C'est la vertu de chasteté (II-II 151,0).
- Qu'entendez-vous par la vertu de chasteté?
- J'entends cette perfection de la faculté affective sensible, qui rend l'homme maître de tous les mouvements le portant aux choses du mariage (II-II 151,1).
- Y a-t-il, dans cet ordre de la chasteté, une vertu spéciale, qui en soit le couronnement et la plus haute perfection?
- Oui; c'est la virginité (II-II 152,0).
- Qu'entendez-vous par la virginité?
- J'entends le ferme et absolu propos, sanctifié par un voeu, de renoncer à tout jamais aux plaisirs du mariage (II-II 152,1-3).
- Quel est le vice opposé à la vertu de chasteté?
- C'est la luxure (II-II 153,0).
- En quoi consiste le vice de la luxure?
- Le vice de la luxure consiste à user en fait, ou par désir, ou en pensée voulue et complaisante, des choses que la nature a ordonnées à la conservation de l'espèce humaine, en vue de la jouissance qui s' y trouve attachée, contrairement à l'ordre naturel ou honnête qui règle l'usage de ces choses-là (II-II 153,1-3).
- Le vice de la luxure a-t-il plusieurs espèces?
- Oui, ce vice a autant d'espèces qu'il peut y avoir de désordres distincts dans les choses de la luxure (II-II 154,0).
- Quelles sont ces espèces de désordre dans les choses de la luxure?
- Ce sont: la simple fornication, qui est directement opposée au bon ordre des choses du mariage en ce qui est de leur fin, savoir le bien et la formation ou l'éducation des enfants à venir; - ou, chose de toutes la plus grave dans cet ordre-là, le vice contre nature, qui s'oppose directement et totalement à la fin première et essentielle du mariage, savoir la venue même de l'enfant; - ou l'inceste, et l'adultère, et le stupre, et le rapt, qui portent sur l'abus de personnes proches parentes, ou mariées, ou sous la tutelle de leur père, que l'on trompe ou à qui l'on fait violence; - enfin, le sacrilège, qui est l'abus de personnes consacrées à Dieu (II-II 154,1-2).
- Le vice de la luxure, en ce qui constitue son fond essentiel, qui se retrouve en chacune de ses espèces, et qui n'est pas autre chose que la jouissance indue des plaisirs attachés aux choses du mariage, est-il un vice capital?
- Oui, la luxure est un vice capital, en raison précisément de ce qu'il y a de particulièrement véhément dans son objet, qui fait que les hommes s'y trouvent extrêmement portés (II-II 153,4).
- Quelles sont les filles de la luxure?
- Ce sont: l'aveuglement de l'esprit; la précipitation; l'inconsidération; l'inconstance; l'amour de soi; la haine de Dieu; l'attachement à la vie présente; l'horreur du siècle à venir (II-II 153,5).
- Ces filles de la luxure n'ont-elles pas toutes un caractère commun et particulièrement grave?
- Oui, elles ont toutes, bien qu'à des degrés divers, ceci de commun, qu'elles impliquent l'absorption de l'esprit par la chair; et c'est cela même qui fait la gravité spéciale de chacune d'elles, et de la luxure qui en est la mère: savoir que l'homme déchoit de sa royauté pour tomber au-dessous de la brute ou de l'animal sans raison (II-II 153,5-6).
- Outre les vertus qui ont la raison d'espèce à l'endroit de la tempérance, n'y a-t-il pas d'autres vertus qui ont par rapport à elle la raison de vertus annexes?
- Oui, ce sont les vertus qui imitent son acte ou son mode d'agir, savoir la modération de ce qui est de nature à entraîner, mais en des matières moins difficiles à maîtriser; ou qui n' atteignent pas la perfection de son acte (II-II 155,0).
- Quelles sont ces autres vertus?
- Ce sont: la continence; la clémence et la mansuétude; et la modestie (II-II 155,0-170).
- Qu'entendez-vous par la continence?
- J'entends cette vertu, d'ailleurs imparfaite dans la raison de vertu, qui consiste à choisir de ne pas suivre les mouvements violents de la passion qui entraînerait, mais qu' on ne suit pas pour un motif de raison (II-II 155,1).
- Pourquoi dites-vous que c'est là quelque chose d'imparfait dans l'ordre de la vertu?
- Parce que la vertu parfaite suppose ou tient les mouvements de la passion soumis, tandis que la continence ne fait que leur résister ( ibid ).
- Cette vertu imparfaite a-t-elle un vice qui lui soit opposé?
- Oui, c'est l'incontinence (II-II 156,0).
- En quoi consiste l'incontinence?
- Elle consiste en ce que l'homme cède à la violence de la passion et se met en quelque sorte à sa remorque (II-II 156,1).
- De l'intempérant ou de l'incontinent, quel est celui qui pèche plus gravement?
- C'est l'intempérant; car, de même que la continence est moins parfaite que la tempérance dans l'ordre de la vertu; de même, dans l'ordre du vice, l'incontinence est moins parfaite ou moins mauvaise que l'intempérance (II-II 156,3).
- Qu'entendez-vous par la clémence et la mansuétude?
- La clémence et la mansuétude sont deux vertus dont l'une modère ou règle la punition extérieure, afin qu'elle ne dépasse point les limites de la raison; et l'autre, le mouvement intérieur de la passion qui est la colère (II-II 157,1).
- La clémence et la sévérité sont-elles opposées entre elles, ou aussi la mansuétude et le soin de la vengeance?
- Nullement; car elles n'ont pas les mêmes motifs et, en des cas ou pour des motifs différents, elles tendent toutes à ce qui est selon la raison (II-II 157,2 ad 1).
- Quels sont les vices qui sont opposés à la clémence et à la mansuétude?
- Ce sont: la colère, au sens peccamineux de ce mot; et la cruauté ou la férocité (II-II 165,19).
- Qu'entendez-vous par la colère, au sens peccamineux de ce mot?
- J'entends un mouvement de l'appétit irascible, qui se porte à une vengeance injuste, ou à une vengeance juste mais avec trop d'irritation (II-II 158,2).
- Y a-t-il plusieurs sortes de colères?
- Oui, il y a trois espèces de colères: la colère des irritables, qui se mettent en colère pour un rien; la colère des amers, qui gardent longtemps le souvenir de l'injure; et la colère des intraitables qui poursuivent sans répit l'exécution de la vengeance (II-II 158,5).
- La colère est-elle un péché capital?
- Oui, la colère est un péché capital; parce que son objet est chose à laquelle les hommes se portent tout spécialement, savoir: la vengeance, ou le mal sous la raison d'un bien juste et honnête (II-II 158,6).
- Quelles sont les filles de la colère?
- Ce sont: l'indignation; le gonflement du coeur; la clameur; le blasphème; l'injure; les rixes (II-II 158,7).
- Peut-il y avoir un vice opposé à celui de la colère?
- Oui; c'est celui qui consiste à manquer du mouvement de la colère, quand la raison le commande et qu'il doit être l'effet de la juste volonté de punir (II-II 158,8).
- Qu'entendez-vous par la cruauté, qui s'oppose à la clémence?
- J'entends cette sorte de crudité d'âme, qui fait qu'on est porté à augmenter la peine au-delà des justes limites fixées par la raison (II-II 161,1).
- Et la férocité, que sera-t-elle?
- La férocité est ce quelque chose de sauvage, d'absolument inhumain, qui fait qu'on se délecte dans la peine ou qu'on y prend plaisir sous la seule raison de mal: c' est se complaire dans la souffrance d'autrui, non sous la raison de juste châtiment, mais sous la raison seule de peine et de souffrance. La férocité s'oppose directement au don de piété (II-II 159,2).
- Mais est-ce là chose possible?
- Quelque impossible que cela dût être, la nature humaine dépravée peut aller jusqu'à cet excès; et l'on a vu des nations entières autrefois, même les plus civilisées en apparence, trouver leur suprême plaisir à ce qu'avaient de plus féroce les spectacles de l'amphithéâtre.
- Quelle est la dernière des vertus annexes à la tempérance?
- C'est la modestie (II-II 160,0-170).
- Qu'entendez-vous par la modestie?
- J'entends une vertu qui consiste à réfréner ou à modérer et à régler la partie affective en des choses moins difficiles que celles qui sont l'objet soit de la tempérance, soit même de la continence, ou de la clémence et de la mansuétude (II-II 160,1-2).
- Quelles sont les autres choses moins difficiles à maîtriser ou à modérer et à régler, quant aux mouvements de la partie affective qui portent sur elles?
- Ce sont, par ordre de décroissance: le désir de sa propre excellence; le désir de connaître; les actions ou les mouvements extérieurs du corps; enfin la tenue extérieure, quant à la manière de se vêtir (II-II 160,2).
- Comment s'appellent les vertus qui règlent la partie affective par rapport à ces diverses choses?
- On les appelle: l'humilité; la studiosité ou la vertu des studieux; la modestie, au sens strict (II-II 160,2).
- Qu'entendez-vous par l'humilité?
- J'entends cette vertu qui fait que l'homme, eu égard au souverain domaine de Dieu, réprime en soi ou règle l'espoir de ce qui touche à l'excellence, de telle sorte qu'il ne tende pas à plus qu'il ne lui appartient ou qu'il ne lui convient, selon le degré ou la place que Dieu lui a marquée (II-II 161,1-2).
- Que s'ensuit-il de là dans les rapports de l'homme avec autrui?
- Il s'ensuit que l'homme n'estime pas que quelque chose lui soit dû, considéré en lui-même ou en tant que soustrait à l'action et au domaine de Dieu; car de lui-même il n' a rien, sinon le péché; et qu'il estime au contraire que tout est dû aux autres, dans le degré même du bien qu'ils reçoivent de Dieu et qui les fait relever de son domaine. Que s'il s'agit de ce qu' il a lui-même de Dieu, par où aussi il relève de son domaine, il ne voudra pas autre chose que ce qui lui convient à sa place et dans son ordre, parmi tous les autres êtres qui relèvent comme lui de ce domaine de Dieu (II-II 161,3).
- L'humilité est donc une question de stricte vérité, et c'est en toute vérité que par l'humilité l'homme peut et doit se tenir au-dessous de tous les autres?
- Oui, l'humilité est une question de stricte vérité; et c'est en toute vérité que par l'humilité l'homme peut et doit se tenir au-dessous de tous les autres, dans le sens qui vient d'être précisé ( ibid ).
- De quel nom s'appelle le vice opposé à l'humilité?
- Il s'appelle l'orgueil (II-II 162,0).
- Qu'entendez-vous par l'orgueil?
- J'entends ce vice spécial, et en quelque sorte général aussi, qui, au mépris de Dieu et de la règle de subordination établie par lui dans son oeuvre ou dans son domaine, entend dominer sur tout et se préférer à tout, se considérant, en excellence, supérieur à tout (II-II 162,1-2).
- Pourquoi dites-vous que ce vice est spécial et en quelque sorte général aussi?
- Parce qu'il a un objet propre et distinct, qui est la propre excellence; et que l'amour ou la recherche de cette propre excellence, au mépris de Dieu et de la règle établie par lui, amène l'homme à commettre tous les autres péchés ( ibid ).
- Ce péché est-il un grand péché?
- Il est le plus grand de tous les péchés, en raison du mépris de Dieu, qu'il implique directement; et il donne, de ce chef, leur plus grande gravité à tous les autres péchés, quelque graves qu' ils soient déjà par eux-mêmes (II-II 162,6).
- L'orgueil est-il le premier de tous les péchés?
- Oui, l'orgueil est le premier de tous les péchés; car c'est lui, toujours en raison du mépris de Dieu qu'il implique, qui achève et complète la raison de péché en tous les autres, pour autant qu'ils font que l'homme se détourne de Dieu: de telle sorte qu'aucun péché grave ne peut exister, qu'il n'implique ou ne présuppose l'orgueil, bien qu' il ne soit pas toujours en lui-même, ou quant au motif qui le spécifie, un péché d'orgueil (II-II 162,7).
- L'orgueil est-il un péché capital?
- L'orgueil est plus qu'un péché capital; car il est la tête ou le roi de tous les péchés et de tous les vices (II-II 162,8).
- Est-ce du péché d'orgueil que péchèrent nos premiers parents dans leur premier péché?
- Oui, c'est du péché d'orgueil que péchèrent nos premiers parents dans leur premier péché, comme c'était aussi du péché d'orgueil qu'avaient péché les mauvais anges dans le ciel (II-II 163,1).
- Mais n'est-ce pas plutôt de la gourmandise, ou de la désobéissance, ou d'une vaine curiosité à l'endroit de la science, ou d'un manque de foi à la parole de Dieu, que péchèrent Adam et Ève dans leur premier péché?
- Tous ces péchés, qui ont pu se trouver, en effet, dans le péché de nos premiers parents, ne furent qu'une conséquence du péché d'orgueil, sans lequel aucun autre ne pouvait être commis (II-II 163,1).
- Pourquoi dites-vous que, sans le péché d'orgueil, aucun autre péché ne pouvait être commis par nos premiers parents?
- Parce que leur état d'intégrité faisait que tout en eux était parfaitement soumis et subordonné, tant que leur esprit demeurait lui-même soumis à Dieu; et que leur esprit ne peut se soustraire à Dieu que pour un motif d'orgueil, voulant se donner une excellence qui ne leur était point due (II-II 163,1-2).
- Le péché de naturalisme et de laïcisme qui règne un peu partout aujourd'hui, surtout depuis la Réforme protestante, la Renaissance païenne, et la Révolution impie du XVIIIe siècle, n'est-il pas, lui aussi, tout spécialement, un péché d'orgueil?
- Oui; et c'est ce qui en fait l'exceptionnelle gravité; car il est une imitation du mépris et de la révolte qui furent d'abord le péché de Satan ou des mauvais anges, et ensuite le péché de nos premiers parents.
- Qu'entendez-vous par la studiosité, qui est la seconde des vertus annexes à la tempérance, sous le nom ou l'influence de la modestie?
- J'entends cette vertu qui modère, dans l'homme, conformément à la droite raison, le désir de connaître ou d'apprendre (II-II 166,1).
- Et comment s'appelle le vice qui lui est opposé?
- Il s'appelle: la curiosité (II-II 167,0).
- Qu'est-ce donc que la curiosité?
- La curiosité est le désir désordonné de connaître ou savoir ce qui n'est pas de sa compétence, ou qu'il peut y avoir du danger à savoir et à connaître, en raison de sa faiblesse (II-II 167,1-2).
- Peut-on facilement pécher par curiosité?
- Oui; le péché de curiosité peut se produire et se produit très fréquemment, soit dans l'ordre de toute connaissance en général, soit dans l'ordre plus spécial de la connaissance qui peut intéresser les sens ou les passions (II-II 167,1-2).
- Est-ce à ce péché qu'appartient le désir immodéré de lire, surtout de lire des feuilletons et des romans? ou encore d'assister à des fêtes profanes, à des spectacles, tels que le théâtre, le cinéma, et autres choses de ce genre?
- Oui; c'est au péché de curiosité que tout cela peut appartenir, en même temps d'ailleurs qu'au péché de sensualité ou de luxure; et l'on ne saurait trop s'appliquer à y porter remède.
- Quelle est la dernière des vertus annexes qui se rattachent à la tempérance, sous le nom général de modestie?
- C'est la vertu spéciale de modestie, qui s'appelle de ce nom, dans son sens strict (II-II 167,0-170).
- Qu'entendez-vous par cette vertu?
- J'entends ce fini de perfection dans les dispositions affectives du sujet, qui fait que tout, dans son extérieur, qu'il s' agisse de ses mouvements ou de ses gestes, de ses paroles, du ton de la voix, de sa tenue ou de son attidude ou de son maintien, est ce que tout cela doit être selon qu'il convient à la personne, au milieu, à l'état, à l'action qui se fait, de telle sorte que rien ne détonne ou ne heurte et que tout, dans cet extérieur du sujet, apparaisse d'une souveraine et parfaite harmonie: auquel titre la vertu de modestie se rattache à l'affabilité ou à l'amitié et à la vérité (II-II 168,1).
- Faut-il attribuer à la vertu de modestie ce qui peut avoir trait au jeu ou au divertissement et à la récréation dans l'économie de la vie humaine?
- Oui; et cette vertu prend même, alors, un nom spécial, qui est celui d' eutrapélie, ou de vertu qui fait qu'on joue ou qu'on se divertit ou qu'on se récrée comme il convient, évitant, d'une part, l'excès, et, de l'autre, le défaut contraire (II-II 168,2-4).
- La modestie comprend-elle aussi ce qui a trait à la mise extérieure ou au vêtement?
- Oui; la modestie s'étend aussi à ce qui touche au vêtement ou à la mise extérieure; et c'est même alors qu'elle prend, dans son sens tout à fait strict, le nom de modestie (II-II 169,0).
- Et que fait la vertu de modestie à ce sujet?
- Elle fait que le mouvement affectif intérieur est ce qu'il doit être à l'endroit de la mise extérieure ou du vêtement; et qu'on y garde cette mesure parfaite, qui exclu t tout ensemble la recherche outrée et la négligence déplacée (II-II 169,1).
- Est-ce contre cette vertu de modestie que pèchent tout spécialement les personnes du monde qui ne gardent aucune mesure dans les excès de ce qu'on appelle la mode, et qui peuvent devenir par là une occasion de péché autour d'elles?
- Oui; c'est tout spécialement contre la vertu de modestie, en même temps d'ailleurs que contre la chasteté, que pèchent ces sortes de personnes; et l'on ne saurait trop blâmer les excès qui se commettent dans ce sens (II-II 169,2).
- Parmi les dons du Saint-Esprit, en est-il quelqu'un qui corresponde à la vertu de tempérance?
- Oui, c'est le don de crainte (II-II 166,1 ad 3).
- Mais n'a-t-il pas été dit plus haut que le don de crainte correspond à la vertu théologale d'espérance?
- Le don de crainte, en effet, correspond tout ensemble à la vertu théologale d'espérance et à la vertu cardinale de tempérance; mais non sous le même aspect ou au même titre (Ibid.).
- En quoi consiste cette différence?
- Elle consiste en ce que le don de crainte correspond à la vertu théologale d'espérance, selon que l'homme révère Dieu directement en raison de son infinie grandeur et évite de l'offenser; et il correspond à la vertu cardinale de tempérance, en ce que la révérence ou le respect qu'il inspire à l'endroit de la grandeur de Dieu fait qu'on évite ces choses-là qui portent le plus à offenser Dieu et qui sont les plaisirs des sens (Ibid.).
- Mais la vertu de tempérance ne portait-elle pas déjà à éviter cela?
- Oui, mais dans une mesure sans comparaison moins parfaite: car elle ne porte à le laisser que dans une mesure ou selon un mode qui est le fruit de l'homme agissant par lui-même à la lumière de la ra ison ou de la foi, tandis que le don de crainte le fait éviter dans la mesure ou selon le mode qui est le fruit de l'Esprit-Saint lui-même personnellement, mouvant l'homme par son action toute-puissante, et l'amenant, en raison du respect ou de la révérence que lui inspire la majesté divine, à tenir pour du fumier les plaisirs des sens et tout ce qui s'y rattache.
- Y a-t-il, dans la loi divine, quelque précepte qui ait trait à la tempérance?
- Oui, nous trouvons dans le Décalogue lui-même deux préceptes qui ont trait à la vertu de tempérance (II-II 170,0).
- Quels sont ces deux préceptes?
- Ce sont le sixième et le neuvième préceptes: Tu ne commettras point d'adultère; - tu ne convoiteras point la femme de ton prochain.
- Pourquoi n'est-il parlé que de l'adultère; et pourquoi, au sujet de l'adultère, y a-t-il deux préceptes distincts dans le Décalogue?
- Parce que de tout ce qui a trait à la tempérance, l'adultère est ce qui intéresse le plus les rapports de l'homme avec le prochain, notamment du point de vue de la justice, qui est celui des préceptes du Décalogue; et s'il est donné deux préceptes distincts à ce sujet, c'est en raison de l'importance qu'il y a à arrêter jusque dans sa première source le grand mal de l'adultère (II-II 170,1).
- Y a-t-il, parmi les préceptes du Décalogue, quelque précepte qui ait trait aux parties de la tempérance?
- Non, il n'y a pas de précepte qui ait trait directement à ces parties; car elles n'intéressent point par elles-mêmes les rapports de l'homme à l'endroit de Dieu ou du prochain. Toutefois ces diverses parties sont touchées indirectement en raison de leurs effets, soit dans les préceptes de la première table, soit dans ceux de la seconde. C'est, en effet, en raison de l'orgueil que l'homme ne rend pas à Dieu ou au prochain les hommages ou le culte qu'il leur dit; et c'est en raison de la colère, opposée à la mansuétude, que l'homme s'attaque à la personne du prochain jusqu'à attenter à sa vie, dans l'homicide (II-II 170,2).
- Pour ce qui est du côté positif des préceptes relatifs soit à la tempérance, soit à ses parties, était-il à propos qu'on le trouve marqué dans le Décalogue?
- Non; parce que le Décalogue devait contenir seulement les premiers préceptes de la loi divine applicables à tous les hommes dans tous les temps; et que ce qui a trait au côté positif de ces vertus, comme l'abstinence ou le mode extérieur de parler, d'agir, de se tenir, et le reste, peut varier beaucoup selon les divers hommes, dans les divers temps et dans les divers lieux (II-II 170,1 ad 3).
- A qui appartient-il de déterminer ces choses, avec une autorité spéciale, dans la loi nouvelle?
- C'est à l'Église qu'il appartient de fixer là-dessus, par des préceptes adaptés, la conduite des fidèles.
- N'y a-t-il pas, dans les explications de la loi divine que contient l'Écriture sainte, une invite spéciale, sous forme de prière, à s'appuyer sur le don de crainte selon qu' il correspond à la tempérance?
- Oui, c'est le beau texte du psaume 118, verset 120: Confige timore tuo carnes meas; Que votre crainte achève d'exterminer en moi les révoltes de ma chair.
- Avons-nous maintenant la connaissance suffisante de toutes les vertus que l'homme peut être appelé à pratiquer en vue du ciel à conquérir; et des vices qu'il doit éviter pour ne pas s' exposer à perdre le ciel et à tomber dans l'enfer?
- Oui, nous avons maintenant cette connaissance suffisante. Car nous connaissons les trois grandes vertus de foi, d'espérance et de charité, qui permettent à l'homme d'atteindre sa fin dernière surnaturelle comme il doit l'atteindre sur cette terre pour qu'elle dirige et commande sa vie morale. Nous connaissons aussi les quatre grandes vertus morales ou cardinales, qui sont la prudence, la justice, la force et la tempérance avec toutes leurs annexes, considérées non seulement dans l'ordre naturel ou sous leur raison de vertus acquises, mais plus encore dans l'ordre surnaturel ou sous leur raison de vertus infuses proportionnées aux vertus théologales, qui permettent à l'homme de tout ordonner dans sa vie morale soit à l'égard d'autrui, soit à l'égard de lui-même, comme il le doit pour être en harmonie avec sa fin surnaturelle en toutes choses. Si bien qu'il suffit à l'homme de pratiquer toutes ces vertus, en liaison avec les dons qui leur correspondent, pour être sûr d'obtenir la vision de Dieu que nous savons devoir être sa béatitude au ciel durant toute l'éternité; avec ceci seulement que, s'il vient à pécher contre l'une quelconque de ces vertus, il faudra que par une nouvelle vertu dont nous parlerons dans la Troisième Partie, et qui sera la pénitence, il satisfasse pour son péché, en union avec la satisfaction de Jésus-Christ.
- La mise en oeuvre de cet ensemble des vertus et des dons, qui constitue, à vrai dire, la vie de l'homme sur cette terre, ne peut-elle pas se présenter sous deux formes qui seront distinctes et même en quelque sorte séparées?
- Oui, et ces deux formes sont ce qu'on appelle la vie contemplative et la vie active (II-II 179,0-182).
- Qu'entendez-vous par la vie contemplative?
- J'entends cette forme de vie, où l'homme, ayant l'âme au repos du côté des passions vicieuses et du côté du tumulte des actions extérieures, sous le coup de l'amour qu' il a pour Dieu, passe son temps, dans la mesure du possible sur cette terre, à le contempler en lui-même ou dans ses oeuvres, jouissant de la vision du Dieu qu' il aime, et trouvant dans cette fruition de Dieu, au plus haut point, sa perfection, qui le fait vivre séparé de quelque autre chose que ce puisse être en dehors de Dieu seul (II-II 180,1-8).
- Cette vie contemplative suppose-t-elle toutes les vertus?
- Oui; cette vie contemplative suppose toutes les vertus et concourt à les parfaire; mais elle-même consiste dans une certaine action propre où interviennent toutes les vertus intellectuelles et théologales, demeurant toujours, au plus haut point, à la merci de l'action personnelle de l'Esprit-Saint par l'entremise des dons (II-II 180,2).
- Et la vie active, que comprend-elle?
- La vie active comprend proprement tous les actes des vertus morales et très spécialement les actes de la vertu de prudence; parce que son objet propre est la disposition en elles-mêmes et selon qu'il convient à l'ordre de la vie présente, dans les nécessités de cette vie terrestre, de toutes les choses qui ont trait à cette vie (II-II 181,1-4).
- De ces deux vies, quelle est la plus parfaite?
- La plus parfaite est incontestablement la vie contemplative, car c'est elle qui donne, sur cette terre, comme un avant-goût du ciel (II-II 182,1).
- Chacune de ces deux vies, ou la mise en oeuvre des vertus et des dons qu'elles impliquent, ne peuvent-elles pas se trouver comme dans une double condition parmi les hommes?
- Oui; elles peuvent se trouver selon la condition commune; ou comme placées dans un état de perfection.
- Qu'entendez-vous par l'état de perfection?
- J'entends une certaine condition de vie qui fait que l'homme se trouve placé, d'une manière fixe et permanente ou immuable, hors des liens qui le rendent esclave des nécessités de la vie présente, et le constitue libre de vaquer exclusivement, et selon tout lui-même, aux choses de Dieu ou de la divine charité (II-II 183,1-4).
- Cet état de perfection est-il la même chose que la perfection elle-même?
- Non; car la perfection consiste en quelque chose d'intérieur; tandis que l'état de perfection dont nous parlons consiste dans une condition de vie qui se considère plutôt en raison d'un ensemble d' actes extérieurs (II-II 184,1).
- Peut-on avoir la perfection des vertus et des dons ou de la vie de charité divine, sans être dans l'état de perfection; et, inversement, peut-on être dans l'état de perfection, sans avoir la perfection de la charité?
- Oui, ces deux choses-là sont possibles (II-II 184,4).
- Pourquoi donc recourir à l'état de perfection?
- Parce que, de soi, l'état de perfection facilite excellemment l'acquisition de la perfection elle-même; et que, généralement, c'est dans l'état de perfection que la perfection se trouve.
- Qu'est-ce donc qui constitue l'état de perfection?
- C'est le fait de s'obliger à perpétuité, sous une certaine forme solennelle, aux choses qui sont de la perfection en tant qu'elles touchent à l'organisation extérieure de sa vie (II-II 184,4).
- Et qui donc se trouve dans cet état de perfection?
- Ce sont les évêques et les religieux (II-II 184,5).
- Pourquoi dites-vous que les évêques sont dans l'état de perfection?
- Parce que les évêques, au moment où ils assument l'office ou le devoir pastoral, s'obligent à donner leur vie pour leurs ouailles, et que cela se fait avec la solennité de la consécration (II-II 184,6).
- Et pour les religieux, qu'est-ce qui fait donc qu'ils sont dans l'état de perfection?
- C'est qu'ils s'astreignent, sous forme de voeu perpétuel, à laisser de côté les choses du siècle, dont ils pourraient user licitement, afin de vaquer plus librement aux choses de Dieu; et qu' ils font cela avec une certaine solennité de profession ou de bénédiction (II-II 184,5).
- De ces deux états de perfection, quel est le plus parfait?
- C'est celui des évêques (II-II 184,7).
- Pourquoi dites-vous que l'état de perfection qui est celui des évêques est plus parfait que celui des religieux?
- Parce qu'il est ordonné à ce dernier comme celui qui donne est ordonné à celui qui reçoit. Les évêques, en effet, doivent, par état, posséder la perfection que les religieux tendent, par état, à acquérir (II-II 184,7).
- Comment les religieux tendent-ils, par état, à acquérir la perfection?
- Les religieux tendent, par état, à acquérir la perfection, selon qu'ils se trouvent, en raison des trois voeux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, comme dans l'heureuse impossibilité de pécher et dans l'heureuse nécessité de bien agir en toutes choses (II-II 186,1-10).
- Ces trois voeux sont-ils essentiels à l'état de perfection qui est celui des religieux?
- Oui; ces trois voeux sont essentiels à l'état de perfection qui est celui des religieux; de telle sorte que sans eux l'état religieux ne saurait exister (II-II 186,2-7).
- Peut-il y avoir diversité de familles religieuses ayant, toutes, les conditions essentielles de l'état religieux?
- Oui; il peut y avoir diversité de familles religieuses ayant, toutes, les conditions essentielles de l'état religieux (II-II 188,0).
- En quoi consistera la diversité des familles religieuses, alors qu'elles conviennent toutes dans les conditions essentielles de l'état religieux?
- Elle consistera en ce qu'il est diverses choses dans lesquelles l'homme peut se vouer totalement au service de Dieu; et que l'homme peut se disposer à cela de diverses manières ou selon des exercices div ers (II-II 188,1).
- Quels sont les deux grands genres de familles religieuses?
- Les deux grands genres de familles religieuses sont ceux qui se tirent dans deux grandes conditions de vie dont nous avons parlé et qui sont la vie contemplative et la vie active (II-II 188,2-6).
- Il y a donc des familles religieuses qui sont de vie active et d'autres qui sont de vie contemplative?
- Oui; il y a des familles religieuses qui sont de vie active et d'autres qui sont de vie contemplative.
- Qu'entendez-vous par les familles religieuses de vie active?
- J'entends ces familles religieuses où la plus grande part des actions des sujets qui les composent est ordonnée à servir le prochain en vue de Dieu (II-II 188,2).
- Et qu'entendez-vous par les familles religieuses de vie contemplative?
- J'entends ces familles religieuses où la totalité des actions des sujets qui les composent est ordonnée au service de Dieu en lui-même (II-II 188,2 ad 2).
- De ces deux sortes de familles religieuses, quelles sont les plus parfaites?
- Ce sont celles de vie contemplative; avec ceci pourtant que les plus parfaites de toutes sont celles dont la part principale est vouée à la contemplation des choses divines ou au culte et au service de Dieu en lui-même, mais pour déverser ensuite sur le prochain le trop-plein de leur contemplation et l'attirer lui aussi au culte et au service de Dieu (II-II 188,6).
- Cette existence des diverses familles religieuses dans l'Église et au milieu du monde est-elle un très grand bien?
- Il n'est rien de plus excellent que cette existence des diverses familles religieuses dans l'Église et au milieu du monde; car, outre qu'elles constituent les foyers choisis où se pratiquent, dans leur plus grande perfection, toutes les vertus, elles ont pour effet de contribuer au plus grand bien de l'humanité par leurs oeuvres de charité ou d'apostolat et par leur vie d'immolation à Dieu.
- D'où vient aux familles religieuses, dans l'Église, cette excellence qui est la leur en ce qui touche à la pratique de toutes les vertus portées jusqu'à leur plus haute perfection?
- Cette excellence leur vient de ce qu'elles s'appliquent ostensiblement et par vocation ou d'office à marcher dans la vie où tout homme quel qu'il soit doit marcher pour pratiquer ces mêmes vertus et atteindre le bonheur du ciel.
- Quelle est cette vie hors de laquelle aucune marche vers Dieu par la vraie pratique des vertus ne sera jamais possible?
- Cette voie n'est autre que Jésus-Christ ou le mystère même du Verbe fait chair. C'est de lui qu'il nous reste à nous occuper maintenant; et son étude va faire l'objet de notre Troisième Partie.
Caté Somme - 50. La sobriété; vice opposé: l'ébriété