Caté Somme - 48. Du lieu de ceux qui ne sont pas jugés: le limbe des enfants
- Y a-t-il des êtres humains qui, au moment de leur mort, ne soient pas soumis au jugement?
- Oui, ce sont tous les enfants qui meurent avant l'âge de raison, ou ceux qui, même adultes, meurent sans avoir eu l'usage de la raison (III 69,6).
- N'y a-t-il pas cependant un départ qui se fait entre ces enfants ou ceux qui meurent ainsi sans avoir eu l'usage de raison?
- Oui; mais ce n'est pas en raison de leurs mérites et de leurs démérites; et il ne se fait point par mode de jugement.
- Comment donc se fait ce départ?
- Il se fait par cela seul que les uns ont reçu le sacrement de baptême et que les autres ne l'ont pas reçu.
- Où vont ceux qui ont reçu le sacrement de baptême?
- Ils vont immédiatement au ciel.
- Et ceux qui n'ont pas reçu le sacrement de baptême, où vont-ils?
- Ils vont dans un lieu spécial qui leur est réservé et qu'on appelle du nom de limbe.
- Le limbe des enfants morts sans baptême, est-il un lieu qui se distingue de l'enfer et du purgatoire?
- Oui; le limbe des enfants morts sans baptême est un lieu distinct, autre que l'enfer et le purgatoire, parce que, à la différence de l'enfer et du purgatoire, ce n'est pas un lieu où l'on souffre de la peine du sens pour des péchés personnels (III 69,6).
- Est-ce que, dans ce limbe, les enfants morts sans baptême subissent la peine du dam?
- Oui; car ils se savent privés éternellement du bien infini qu'est la vision de Dieu; mais cette peine n'a point pour eux le caractère de suprême torture qu'elle a pour les damnés qui sont dans l'enfer (Appendice, q. 1, 2).
- D'où vient cette différence dans le caractère de la peine du dam pour les enfants morts sans baptême?
- Elle vient de ce que, s'ils se savent privés de la vision de Dieu, ils savent aussi que cette peine les atteint, non en raison d'une faute personnelle commise par eux, mais seulement en raison de leur naissance d' Adam pécheur, ou en raison du péché de nature qu'ils ont personnellement contracté du seul fait de leur naissance (Ibid.).
- Il n'y donc pas chez eux l'horrible ver rongeur qui tourmente les damnés qui sont dans l'enfer?
- Nullement; mais une sorte d'état qui, sans impliquer la souffrance ou la tristesse, fait cependant qu'ils auront conscience du bonheur qu'ils auraient pu avoir si les mérites de la rédemption leur eussent été appliqués et qu'ils n'auront jamais, sans qu'il y ait eu de leur faute, mais par un juste décret des insondables conseils de Dieu (Ibid.).
- Est-ce que les âmes de ces enfants morts sans baptême, connaissent les mystères de la rédemption?
- Assurément; mais ils les connaissent d'une connaissance tout extérieure, si l'on peut ainsi dire (Ibid.).
- Peut-on dire de ces âmes qu'elles aient la lumière de la foi?
- Non; on ne peut pas dire de ces âmes qu'elles aient la lumière de la foi, au sens de cette lumière intérieure surnaturelle qui perfectionne l'intelligence et lui permet de pénétrer d' une certaine manière l'intime des mystères révélés avec un certain goût d'ordre surnaturel qui porte à les désirer d'un désir efficace: ils ne les connaissent que du dehors, un peu comme tous ceux qui ne peuvent pas ne pas s'avouer la vérité des mystères divins affirmés par Dieu, mais qui ne sont point portés, par un mouvement de la grâce, à adhérer surnaturellement à ces mystères, et qui sont dans l'impuissance radicale d'en pénétrer le sens intime.
- C'est donc une sorte de lumière tout extérieure et froide, que celle qui leur fait connaître les mystères de la foi?
- Oui; très exactement, c'est une lumière qui n'est ni une lumière de révolte comme dans les damnés de l'enfer, ni une lumière d'adhésion ardente engendrant l'espérance et la charité, comme l'était celle des justes sur la terre, ni encore moins une lumière de vision enivrante comme pour les élus qui sont au ciel; mais une lumière en quelque sorte éteinte dans l'ordre surnaturel, qui n'est ni une lumière de vie, ni une lumière de mort, au sens où elle l'est pour les damnés: c'est une lumière sans espérance qui n'engendre point le remords, ni même le regret, et qui seulement leur fait prendre conscience d'un bonheur infini qu'ils n'auront jamais, sans qu'il y ait cependant pour eux ni pleurs, ni grincements de dents, comme pour les damnés dans l'enfer: bien plus, il y aura pour eux une très grande joie à la pensée de biens d'ordre naturel qu'ils ont déjà reçus de Dieu ou qu'ils recevront plus tard et pour toujours au moment de la résurrection (Ibid., ad 5).
- A côté du limbe où sont les âmes des enfants morts sans baptême, n'y a-t-il pas aussi un autre limbe dont il est fait mention, dans la langue de l'Église?
- Oui; c'est le limbe où étaient autrefois les justes qui n'avaient plus aucun empêchement personnel à recevoir la récompense du ciel, mais qui devaient attendre pour la recevoir la venue du rédempteur (III 69,7).
- Dans ce limbe des anciens justes, n'y a-t-il plus personne maintenant?
- Depuis le jour où Jésus-Christ qui était descendu dans ce limbe au moment de sa mort, en remonta au jour de sa résurrection, emmenant avec lui toutes les âmes des justes qui y étaient détenues, ce lieu n' a plus ni ne peut plus avoir sa première destination; mais il se peut qu'il soit affecté depuis lors à recevoir les âmes des enfants morts sans baptême, ne faisant plus qu'un avec le limbe des enfants.
- Il a été dit que lorsque le dernier élu marqué par Dieu dans le mystère de la prédestination pour occuper une place dans le ciel, aura atteint le degré de préparation et de mérite que Dieu veut lui faire atteindre, aussitôt la marche du monde sera arrêtée et le monde finira; mais en quoi consistera cette fin du monde, et qu'est-ce qui la suivra: tout se ramènera-t-il à la réception du dernier élu dans le ciel et à l'assignation simultanée de la place que motiveront pour les autres, leurs mérites ou leur état, soit dans l'enfer, soit au limbe des enfants?
- Nullement; car cette fin du monde sera immédiatement suivie des deux plus grands événements qui furent jamais, et qui mettront le sceau à tout dans l'oeuvre de Dieu, savoir: la résurrection et le jugement.
- Et la fin du monde, en quoi consistera-t-elle, et comment se fera-t-elle?
- L'apôtre saint Pierre nous enseigne que ce sera par le feu, au moment même où Jésus-Christ devra revenir dans sa gloire pour juger les vivants et les morts (III 74,1-2).
- Sera-ce comme préparation au jugement que se fera cette conflagration universelle qui mettra fin au monde actuel?
- Oui; ce sera comme préparation au jugement, afin de purifier toutes choses et de les rendre dignes de l'état nouveau qui devra les mettre en harmonie avec la gloire des élus (III 74,1).
- Ce feu de la conflagration finale agira-t-il par sa seule vertu, ou aussi comme instrument de la vertu divine?
- Il agira aussi comme instrument de la vertu divine, notamment pour l'expiation des âmes qui auraient dû peut-être demeurer un temps plus ou moins long dans les flammes du purgatoire (III 74,3-8).
- C'est donc quasi instantanément que ces âmes se trouveront purifiées et rendues dignes d'être admises parmi les élus?
- Oui; ce sera quasi instantanément, la vertu de ce feu purificateur étant graduée par Dieu selon le degré de l'expiation à subir.
- Savons-nous quand aura lieu cette conflagration finale?
- Non; nous ne le savons pas; mais cependant elle sera précédée de certains signes qui avertiront de la prochaine venue du souverain juge.
- Quels seront ces signes?
- Ce seront des troubles insolites dans toute la nature, qui feront, selon le mot de l'Évangile, que les hommes sécheront de frayeur.
- Pouvons-nous les déterminer d'une façon précise?
- Non; mais ils seront tels, que lorsqu'ils se produiront, les âmes saintes ou simplement sincères et non obstinées dans le mal par un volontaire aveuglement, pourront reconnaître la prochaine venue du juge, de façon à se préparer à sa venue.
- Aussitôt après la conflagration finale, ou en même temps, que se passera-t-il?
- Aussitôt après la conflagration finale, ou en même temps, et peut-être comme cause qui l'amènera, retentira l'ordre, la voix, le son de trompette dont parle saint Paul, dans sa première épître aux Thessaloniciens, qui éveillera les morts de leurs tombeaux et convoquera tous les hommes à comparaître devant le juge des vivants et des morts, descendant du ciel dans tout l'éclat de sa majesté et de sa gloire (III 75,1).
- Quels sont ceux qui ressusciteront à ce moment?
- Ce seront d'abord tous ceux qui étaient morts depuis le commencement; mais aussi ceux-là mêmes qui auront été trouvés vivants quand Jésus-Christ aura apparu dans les nuées du ciel et que le son de la trompette aura retenti.
- Ces derniers ressusciteront-ils, eux aussi, comme retournant de la mort à la vie?
- Oui; car même si tout se passe quasi instantanément, comme semble le marquer saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens (1Co 15,51), la vertu de Dieu qui agira par les créatures en ce moment sera telle que les hommes trouvés vivants passeront par une mort instantanée et seront reconstitués tout de suite dans l'état définitif qui devra être le leur, selon leurs mérites, pour toute l'éternité (III 78,1-2).
- C'est donc dans l'état et avec toutes les qualités des corps glorieux que ressusciteront ou que seront instantanément transformés les corps de toutes les âmes qui viendront du ciel ou sortiront du purgatoire et de tous les justes trouvés vivants en ce moment sur la terre?
- Oui; et tous ensemble, se trouveront aussitôt rangés au-devant du corps glorieux de Jésus-Christ, dont la venue aura été la cause même de leur résurrection.
- Mais ces corps glorieux ressuscités qui seront ceux de tous les élus, seront-ils vraiment les mêmes corps qu'ils avaient autrefois quand ils vivaient sur la terre?
- Assurément, ce seront leurs mêmes corps, avec cette seule différence, qu'ils n'auront aucune des imperfections ou des misères qu'ils avaient alors, et qu'ils auront, au contraire, des propriétés et des perfections qui les rendront, en quelque sorte, spirituels (III 79,0-81).
- Comment tout cela pourra-t-il se faire?
- Par la toute-puissance de Dieu, qui, ayant une première fois créé toutes choses, peut les mouvoir et les transformer comme il lui plaît.
- Quelles seront ces propriétés nouvelles des corps ressuscités qui les rendront en quelque sorte spirituels?
- Ce seront: l'impassibilité; la subtilité; l'agilité; la clarté.
- Que sera l'impassibilité des corps glorieux?
- Ce sera le parfait domaine et l'absolue maîtrise de l'âme sur le corps, qui ne permettra pas que le corps puisse en rien être soustrait à l'action de l'âme sur lui et se trouver en défaut ou en souffrance (III 82,1).
- Cette impassibilité sera-t-elle la même chez tous?
- Oui, en ce sens qu'aucun d'eux ne pourra jamais être en défaut ou souffrir en échappant au domaine de l'âme; mais la vertu de ce domaine ou sa puissance sera proportionnée à la gloire de l'âme, qui sera diverse selon le degré même de la vision béatifique pour chaque élu (III 82,2).
- S'ensuivra-t-il, de cette impassibilité, que les corps glorieux seront insensibles?
- Nullement; ils seront, au contraire, d'une sensibilité exquise et portée à sa plus haute puissance; mais sans aucun mélange de trouble ou d'imperfection. C'est ainsi que l'oeil du corps glorieux verra d'une vue infiniment plus perçante; que son oreille entendra d'une ouïe sans comparaison plus fine; que tous ses autres sens percevront, chacun, leur objet propre, et, tous ensemble, leurs divers objets sensibles, comme avec une intensité de perfection qu'il nous est impossible de soupçonner, sans que jamais l'objet qui agira sur eux fasse autre chose que leur fournir matière aux perceptions les plus exquises (III 82,3-4).
- Et la subtilité des corps glorieux, que sera-t-elle?
- La subtilité des corps glorieux consistera en un fini de perfection dans leur nature, dû à l'action souveraine de leur forme substantielle, l'âme glorifiée, qui, tout en leur laissant leur nature propre de corps véritables, non fantastiques ou aériens, leur donnera quelque chose de si pur ou de si éthéré, qu'ils n'auront plus rien de ce qui maintenant les rend grossiers ou épais (III 83,1).
- Cette subtilité fera-t-elle qu'ils pourront naturellement se trouver dans le même lieu occupé déjà par un autre corps, ou indépendants eux-mêmes de tout lieu et n'occupant aucun espace?
- Nullement; ils garderont tous et toujours leurs dimensions propres et n'occuperont jamais qu'un seul lieu, qui sera le leur et non simultanément celui des autres corps (III 83,2).
- Ce n'était donc point en vertu ou en raison de la qualité de subtilité qui sera celle des corps glorieux, que le corps de Jésus-Christ ressuscité pénétrait dans le cénacle à travers les portes closes?
- Non; c'était par la vertu divine qui était en Jésus-Christ; de même que cela avait été par la vertu divine, que le corps de Jésus enfant était venu au monde sans nuire en rien à la virginité de Marie, sa Mère (III 83,2 ad 1).
- Que faut-il entendre par l'agilité qui sera la propriété des corps glorieux?
- L'agilité des corps glorieux sera une certaine perfection qui découlera de l'âme glorifiée sur le corps, le soumettant pleinement à l'âme selon qu' elle en est le principe moteur, et, par suite, le rendant apte et merveilleusement prompt à obéir à l'esprit dans tous les mouvements et dans toutes les actions de l'âme (III 84,1).
- Les saints useront-ils de cette dot de leurs corps glorieux?
- Ils en useront très certainement pour se ranger autour de Jésus-Christ au moment du jugement; et pour remonter avec lui dans le ciel. Mais, même une fois au ciel, il est vraisemblable qu'ils se mouvront parfois au gré de leur volonté, pour faire éclater la sagesse divine dans l'usage même de cette dot de l'agilité qu'elle leur aura départie; et aussi pour rassasier leur vue de la beauté des diverses créatures, dans tout l'univers, dans lesquelles reluira de façon suréminente la sagesse de Dieu (III 84,2).
- Est-ce instantanément que les corps des saints seront mus en vertu de leur agilité?
- Non; car il faudra que ce mouvement se fasse dans une durée de temps; seulement, cette durée sera imperceptible, tant elle sera brève et le mouvement rapide (III 84,3).
- Que faudra-t-il entendre par la quatrième propriété des corps glorieux qui s'appelle la clarté?
- On doit entendre, par là, que de la splendeur de l'âme glorifiée rejaillira sur le corps un merveilleux éclat, qui fera que tout ensemble ces corps glorieux seront lumineux et transparents: transparents comme le cristal le plus pur; lumineux et éblouissants, d'un éclat semblable à celui du soleil; sans que toutefois cet éclat nuise en rien à leur couleur naturelle ou à celle de leurs parties, mais qui s'harmonisera, au contraire, à leur variété, pour la rehausser, et donner aux corps glorieux dans leur ensemble une beauté plus divine qu' humaine (III 85,1).
- Cette clarté des corps glorieux sera-t-elle la même pour tous?
- Non pas; car elle ne sera que le rejaillissement sur le corps de la clarté spirituelle de l'âme glorifiée; et, par suite, elle sera proportionnée au degré de gloire qui sera celui de l'âme. Et c' est pourquoi saint Paul, voulant nous faire entendre quelque chose de cette variété des corps glorieux, dans l'éclat de la résurrection, nous dit qu'il en sera de ces corps glorieux, comme des corps célestes, où autre est l'éclat du soleil, autre l'éclat de la lune, et autre l'éclat des étoiles; même une étoile diffère en éclat d'une autre étoile (1Co 15,41).
- La diversité des corps glorieux formera donc un ensemble d'incomparable beauté?
- Assurément; et toutes les splendeurs du monde matériel, en ce qu'il a de plus magnifique, sans en excepter celles des corps célestes, ne sauraient nous en donner qu'une idée très imparfaite et très lointaine.
- Est-ce que cette clarté des corps glorieux, pourra être vue de l'oeil des corps non glorieux?
- Oui; et même les corps des damnés l'apercevront dans toute sa splendeur (III 85,2).
- Sera-t-il cependant au pouvoir de l'âme de laisser voir ou non cette clarté de son corps glorifié?
- Oui, il sera au pouvoir de l'âme de laisser voir ou non cette clarté de son corps glorifié; car cette clarté viendra entièrement de l'âme, et lui demeurera totalement soumise (III 85,3).
- Dans quel état ou à quel âge ressusciteront les corps des bienheureux?
- Ils ressusciteront tous à l'âge qui doit être celui de la nature dans son plus parfait développement (III 81,1).
- En sera-t-il de même pour les corps des damnés?
- Oui; avec cette différence que les corps des damnés n'auront aucune des quatre qualités des corps glorieux (III 86,1).
- S'ensuit-il que les corps des damnés seront corruptibles?
- Nullement; car le règne de la corruptibilité et de la mort sera à tout jamais fini (III 86,2).
- Ils seront donc tout ensemble passibles et immortels?
- Oui, Dieu disposant ainsi toutes choses, dans sa justice et sa puissance, qu'aucun agent extérieur ne pourra agir sur les corps des damnés pour les altérer et les détruire et que cependant tout sera pour eux, notamment le feu de l'enfer, une cause de douleur et de torture (III 86,2-3).
- Et les enfants morts sans baptême, dans quel état retrouveront-ils leur corps, au moment de la résurrection?
- Ils le retouveront dans un état d'entière perfection naturelle, mais sans aucune des qualités des corps glorieux, avec ceci toutefois qu'ils n'éprouveront aucune douleur, à la différence des corps des damnés (voir Appendice, 1, 2).
- Est-ce que tous les hommes, aussitôt après qu'ils seront ressuscités, se trouveront en présence du souverain juge?
- Oui, tous les hommes, aussitôt après qu'ils seront ressuscités, se trouveront en présence du souverain juge (III 89,5).
- Sous quelle forme apparaîtra le souverain juge au moment du jugement?
- Il apparaîtra sous la forme de son humanité sainte, dans toute la gloire qui lui revient en vertu de son union à la personne du Verbe et de son triomphe sur toutes les puissances du mal (III 90,1-2).
- Est-ce que tous les hommes verront cette gloire du souverain juge apparaissant dans tout son éclat?
- Oui; tous les hommes verront cette gloire du souverain juge apparaissant dans tout son éclat (Ibid.).
- Tous le verront-ils aussi dans la gloire de sa nature divine?
- Non; il n'y aura à le voir ainsi dans la gloire de sa nature divine, que les seuls élus, dont l'âme jouira de la vision béatifique (III 90,3).
- Est-ce que tous les hommes qui paraîtront devant le souverain juge seront compris dans le jugement?
- Non; il n'y aura, à être compris dans le jugement, que ceux qui auront eu l'usage de la raison, quand ils vivaient sur la terre.
- Les autres ne seront-ils pas jugés?
- Non; les autres ne seront pas jugés, mais ils seront présents, pour qu'à leurs yeux éclate, comme aux yeux de tous, la souveraine justice des jugements de Dieu, et la gloire de Jésus-Christ da ns toute la suite des mystères de la rédemption (III 89,5 ad 3).
- Est-ce que tous les hommes qui auront eu l'usage de la raison, quand ils vivaient sur la terre, seront jugés au jour du jugement?
- Ils seront tous jugés, quant au départ ou au partage qui en sera fait; les uns, prenant place à la droite du juge, pour entendre la sentence de bénédiction; et les autres, à sa gauche, pour entendre la sentence de malédiction. Mais il s'agit du procès de leurs actes et du fait d'être convaincus de la méchanceté de ces actes, à la face du ciel et de la terre, il n'y aura à être jugés que les seuls réprouvés (III 89,6-7).
- Cette conviction de la méchanceté de leurs actes à la face du ciel et de la terre, sera-t-elle d'une grande confusion pour les réprouvés?
- Elle sera, pour eux, la confusion suprême et une torture indicible; précisément, parce qu'au fond de tout péché, surtout de tout péché grave, se cache un insupportable orgueil, et qu' au jour du jugement il faudra confesser, dans la pleine lumière du souverain juge qui ne laissera plus rien de caché, les agissements et les menées les plus occultes de cet orgueil secret, père de tous les vices.
- Tout le mal qui aura été fait au cours de la vie, sera-t-il mis à nu, à la face de tous, au jour du jugement?
- Oui; tout le mal qui aura été fait au cours de la vie sera ainsi mis à nu, à la face de tous, au jour du jugement, de quelque nature d'ailleurs qu'ait pu être ce mal: soit dans l'ordre de la vie individuelle et privée; soit dans l'ordre de la vie de famille ou de la vie de société parmi les hommes: avec tout ce que cette vie de société aura pu avoir de particulièrement néfaste, en raison de l'action publique qu'on aura pu y exercer; soit dans l'ordre du pouvoir; soit dans l'ordre de la parole; soit dans l'ordre des écrits. Il y aura même cette particularité, que plus on aura été applaudi sur la terre, ou exalté et loué, par la faveur du monde ou par l'intrigue des ennemis de Dieu, de Jésus-Christ et de son Église, plus, en ce jour du jugement dernier, on se sentira accablé sous le poids de l'universelle réprobation (III 87,1-3).
- Comment se fera cette manifestation de la vie entière d'un chacun à la face du ciel et de la terre, sous les yeux du souverain juge?
- Cette manifestation se fera par un coup de cette même lumière divine, qui, au moment du jugement particulier, montre à chacun, instantanément, toute la suite de sa vie morale; avec ceci de très spécial, que toutes les consciences se trouveront instantanément mises à nu, aux regards de tous, dans cette assemblée unique où seront présents tous les hommes qui auront jamais existé depuis le commencement du monde jusqu'à la fin (Ibid.).
- Est-ce que la conscience des justes, ou toute la suite de leur vie morale, sera également manifestée aux yeux de tous?
- Assurément; et c'est ce qui constituera la sublime et divine revanche de leur humilité ou de leur effacement sur cette terre; c'est, en effet, ce jour-là, qu'aura sa réalisation parfaite la parole de Jésus-Christ dans l'Évangile: Celui qui s'élève sera abaissé; et celui qui s'abaisse sera élevé (III 89,6).
- Peut-on dire que les justes ne seront pas jugés en ce qui est de la discussion de leurs actes?
- On peut et on doit le dire pour les justes dont la vie a été entièrement sainte sans aucun mélange de mal notable, comme il arrive pour ceux qui, foulant aux pieds toutes les vanités du monde, mettent toute leur sollicitude à vivre des choses de Dieu; mais s'il s'agit de ceux qui auront aimé les choses du siècle et se seront trouvés mêlés ou impliqués dans les affaires de la terre, sans pourtant les préférer à Jésus-Christ, au point de la perdre pour toujours; qui, au contraire, se seront appliqués à réparer par l'aumône et la pénitence les torts qu' ils auront pu avoir: ceux-là auront la double part de leur vie exposée aux regards de tous, afin que la prééminence du bien sur le mal soit pleinement manifestée, à la gloire de la justice divine (Ibid.).
- Toutes les fautes qu'on aura commises, au cours de sa vie, mais dont on aura fait pénitence, seront-elles manifestées au jour du jugement?
- Oui; pour la raison qui vient d'être dite; mais cette manifestation tournera à la gloire des justes, en raison de la pénitence qu'ils auront faite de leurs fautes, et dans la mesure même où cette pénitence aura été plus généreuse et plus fervente (III 87,2 ad 3).
- Y aura-t-il des justes, qui, loin d'être jugés, au jour du jugement, auront eux-mêmes la qualité de juges, et assisteront, dans l'acte de son jugement, le souverain juge?
- Oui; ce seront tous ceux qui, à l'exemple des apôtres de Jésus-Christ, auront tout laissé pour se donner à Dieu et dont la vie n'aura été qu'une sorte de proclamation de l'Évangile dans toute sa perfection (III 89,1-2).
- Est-ce que les anges auront eux aussi la qualité de juges, au jour du jugement?
- Non; les anges n'auront pas la qualité de juges au jour du jugement; parce qu'il faut que les assesseurs du juge lui ressemblent: or, c'est comme homme, que le Verbe de Dieu exercera sa fonction de souverain juge; il n'y aura donc que des hommes à l'assister dans ce jugement (III 89,7).
- Les anges pourront-ils être jugés au jour du jugement?
- Non; à proprement parler, les anges ne seront pas jugés au jour du jugement; parce que ce jugement a été déjà fait pour eux au début quand les uns, demeurés fidèles à Dieu, furent admis dans le ciel, et quand les autres, rebelles, furent précipités dans l'enfer. Toutefois, en raison de la part que les bons anges auront eue dans les actions des justes, et les mauvais anges dans les actions des méchants, ils se trouveront indirectement mêlés au jugement pour recevoir eux-mêmes un surcroît de bonheur accidentel ou une augmentation de supplice et de torture (III 89,3).
- Comment se termineront ces solennelles assises du jugement dernier?
- Elles se termineront par le prononcé de la sentence que formulera le souverain juge.
- Savons-nous quelle sera cette sentence?
- Oui; car celui-là même qui doit la prononcer, nous en a instruits dans son Évangile.
- Quelle sera cette sentence?
- La voici, dans la teneur même où l'Évangile nous la révèle: « Alors, le roi dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume qui a été préparé pour vous, dès la constitution du monde. - Il dira aussi à ceux qui seront à sa gauche: Partez d'auprès de moi, les maudits ! vers le feu éternel, le feu qui a été préparé pour le diable et ses anges. »
- Quelle sera la suite de cette double sentence?
- Ce sera qu'« ils s'en iront: ceux-ci, au supplice éternel; et les justes, à la vie éternelle ».
- La sentence du souverain juge à l'endroit des damnés sera-t-elle exécutée par l'entremise des démons?
- Oui; à peine la sentence du souverain juge sera-t-elle prononcée, que, par la vertu même de cette sentence, les damnés seront abandonnés à l'action des démons, qui leur étant supérieurs par nature, et s'étant fait obéir d'eux, pour le mal, sur la terre, continueront, pendant toute l'éternité, à exercer sur eux, comme juste châtiment, l'affreux empire de leur méchanceté (III 89,4).
- Le fait d'avoir retrouvé leur corps et d'être désormais en enfer avec leur corps et leur âme, sera-t-il pour les damnés une nouvelle cause de tourments?
- Oui; assurément, car désormais, ils souffriront, non seulement dans leur âme, comme auparavant, mais aussi dans leur corps (III 97,0).
- Cette torture qu'ils subiront dans leur corps sera-t-elle universelle et intense?
- Oui; car il ne sera rien, dans le lieu de tourment où ils seront, qui ne soit pour eux, dans la perception même de leurs sens, une cause d'atroce torture. Toutefois, ces tortures ne seront point les mêmes pour tous; parce qu'elles seront porportionnées au nombre et à la gravité des fautes commises par chacun (III 97,1; 5, ad 3).
- N'y aura-t-il jamais aucun adoucissement à ces tortures des damnés?
- Non, il n'y aura jamais aucun adoucissement à ces tortures des damnés; parce que leur volonté étant obstinée dans le mal, ils se trouveront toujours dans le même état de perversité qui aura fixé leur sort au moment de leur mort et du jugement (III 98,1-2 III 99,1).
- Cette volonté des damnés obstinés dans le mal, impliquera-t-elle une haine universelle de tous et de tout?
- Oui, cette volonté des damnés, obstinés dans le mal, impliquera une haine universelle de tous et de tout: de telle sorte qu'ils ne penseront à rien, ni à personne, qu'il s'agisse des créatures, ou qu'il s'agisse de Dieu, sans éprouver aussitôt une haine affreuse qui leur fera souhaiter le mal de tous et de tout, au point que, s'il se pouvait, ils voudraient voir Dieu lui-même et tous ses bienheureux, dans l'enfer où ils se trouvent, et que, dans la rage de leur désespoir, ils n'auront d'autre ressource que d'aspirer à se voir anéantir, sans que d'ailleurs ils puissent jamais espérer que le néant leur réponde, sachant, à n'en pouvoir douter, qu'ils sont pour jamais chargés de la malédiction divine et condamnés sans possibilité de rémission, au supplice éternel (III 98,3-5).
- Tandis que les damnés seront livrés par la sentence du souverain juge à l'action des démons qui les emporteront avec eux au lieu de l'éternel supplice, quel sera l'effet de la sentence du souverain juge à l'endroit des élus?
- Cette sentence fera qu'aussitôt s'ouvriront pour eux toutes grandes les portes du royaume des cieux qui leur a été préparé par le Père depuis la constitution du monde.
- Est-ce immédiatement que les élus feront tous leur entrée dans le ciel?
- Oui, c'est immédiatement et aussitôt que seront levées les solennelles assises du jugement dernier, que les élus feront leur entrée dans le ciel, à la suite de leur Seigneur et Roi, le Christ Jésus qui les emmènera avec lui pour leur faire part de son bonheur et de sa gloire.
- Ce bonheur et cette gloire des élus se trouveront-ils accrus du fait que maintenant ils ont retrouvé leur corps?
- C'est dans des proportions qu'il nous est impossible de soupçonner, que le bonheur et la gloire des élus se trouveront accrus du fait qu'ils ont maintenant retrouvé leur corps; bien que, auparavant, ceux qui étaient déjà au ciel, goûtassent du seul fait de la vision béatifique, un bonheur en quelque sorte infini (III 93,1).
- Y aura-t-il, dans le ciel, des places distinctes et les élus y formeront-ils une assemblée particulièrement belle en raison de sa diversité et sa subordination harmonieuse?
- Oui; car c'est le degré de la charité ou de la grâce qui aura fixé le degré de la gloire: mais, en raison même de cette charité, dont le moindre degré suffit pour introduire au ciel, il s' ensuivra que tous les bienheureux se communiqueront, en quelque sorte, la joie de leur propre bonheur, et que tous y seront heureux du bonheur de tous, Dieu, dans son infini bonheur, étant tout en tous, bien qu'à des degrés divers (III 93,2-3).
- Dans cette assemblée des élus, les hommes auront-ils quelque chose que les anges n'auront pas, du moins au même titre?
- Oui; car les hommes formeront, à un titre spécial, l'Église triomphante, qui, dans le ciel et pendant toute l'éternité, se comparera à Jésus-Christ comme une épouse à son époux, célébrant avec lui, au milieu d'ineffables délices, un éternel festin de noces spirituelles (III 95,1-2).
- Les anges, pourtant, ne seront pas exclus de cette raison de festin de noces spirituelles?
- Non, certes; mais, tout en faisant partie de l'Église triomphante, ils n'auront pas avec le roi de cette Église qui sera Jésus-Christ, le même rapport qu'aura la partie de l'Église triomphante constituée par les hommes (III 95,4).
- En quoi consistera cette différence?
- Elle consistera en ce que les élus ou les bienheureux appartenant à la race humaine, conviendront avec Jésus-Christ dans une même nature humaine; ce qui ne sera jamais vrai des anges: et voilà pourquoi ces élus auront avec Jésus-Christ, le roi de tous les bienheureux, un certain rapport d'intimité et de suavité que les anges n'auront pas au même titre, bien que leurs rapports d'intimité et de suavité avec le Verbe de Dieu, dans l'acte même de la vision béatifique, doive être, comme dans tous les élus et tous les bienheureux, au même titre (III 45,1-4).
- Que s'ensuit-il de ce rapport particulier que l'Église triomphante, constituée par les élus de race humaine, aura avec Jésus-Christ?
- Il s'ensuit qu'à l'image et à la ressemblance de ce qui se passe parmi nous sur cette terre, quand l'épouse est introduite dans la maison de l'époux, au jour de la célébration de leurs noces, l'auguste Trinité dotera cette Église, épouse de Jésus-Christ, au jour de son entrée dans le ciel, en la comblant des dons et des ornements les plus magnifiques, afin qu'elle soit digne de célébrer avec un tel époux, au milieu des plus ineffables délices, le festin éternel de leurs noces spirituelles (III 95,1).
- Cette dotation et ces dons ou ces ornements constituent-ils ce qu'on appelle les dots des bienheureux?
- Oui; c'est exactement ce qu'on appelle les dots des bienheureux.
- Quelles seront ces dots des bienheureux?
- Elles seront au nombre de trois dans l'âme glorifiée, d'où elles rejailliront sur le corps même des bienheureux en la forme des quatre qualités glorieuses dont nous avons déjà parlé (III 45,5).
- Quelles seront les trois dots de l'âme bienheureuse?
- Ce sera comme un vêtement de lumière et de divine sensibilité spirituelle qui les disposera à jouir du bien infini possédé par l'âme dans la vision intuitive qui se termine au Verbe de Dieu, en telle sorte qu'aucun bonheur de la terre ni aucune ivresse d'ici-bas ne saurait nous donner même la plus lointaine idée de ce que sera le bonheur des élus unis à Jésus-Christ par l'acte de cette vision, de cette possession, de cette fruition. Aussi bien ne peut-on que répéter ici le grand mot de l'apôtre saint Paul, qui lui-même avait été ravi jusqu'au troisième ciel, c'est-à-dire jusqu'au ciel même des bienheureux: - L'oeil de l'homme n'a point vu; son oreille n' a pas entendu; son coeur n'a jamais goûté ce que Dieu tient en réserve et qu'il a préparé pour ceux qu'il aime (III 95,5).
- Cette assemblée des élus et le bonheur de la vie éternelle, qui sont comparés, surtout pour les élus de race humaine, ainsi qu'il vient d'être dit, à un éternel festin de noces spirituelles, ne sont-ils pas appelés aussi du nom de royaume des cieux?
- Oui; et c'est pour marquer que tous les élus constitueront une assemblée royale, non seulement pour y être sous la dépendance immédiate de Dieu, le roi des rois; mais aussi, parce que chacun d' eux y participera la qualité de roi, étant lui-même revêtu de la dignité royale, au sens le plus haut et le plus magnifique de ce mot (III 96,1).
- Mais comment ou en quel sens peut-on dire que tous les élus seront, au ciel, revêtus de la dignité royale?
- Parce que la vision béatifique qui les unit à Dieu et constitue au sens le plus formel la vie éternelle, rend tous les bienheureux participants de la divinité; et, par suite, Dieu étant, au plus haut point, le roi immortel des siècles, à qui est due toute gloire, les bienheureux participent en tout à sa royauté souveraine et à sa gloire (III 96,1).
- Est-ce là ce qu'on doit entendre par la couronne qui sera l'apanage de tous les bienheureux dans le ciel?
- Oui, très exactement; la couronne de gloire qui leur sera donnée et qui les rendra semblables à Dieu lui-même sera leur couronne royale (III 96,1).
- Ne parle-t-on pas aussi d'auréoles pour les élus dans le ciel?
- Oui; mais tandis que la couronne est pour tous, les auréoles n'appartiennent qu'à quelques-uns (III 96,1).
- D'où vient cette différence?
- Elle vient de ce que la couronne n'est rien autre que le rayonnement du bonheur essentiel qui consiste dans la vision de Dieu et qui se retrouve en tous à titre de récompense glorieuse; tandis que les auréoles sont un rayonnement d'ordre accidentel causé par la joie qu'éprouvent certains élus de certaines oeuvres méritoires spéciales qu'ils auront accomplies sur la terre (III 96,1).
- Il n'y aura donc que des élus d'ordre humain à avoir des auréoles?
- Oui, les anges n'ayant pas eu à accomplir de ces oeuvres méritoires (III 96,9).
- Et quelles seront les oeuvres méritoires spéciales qui recevront l'auréole parmi les hommes?
- Ce seront: le martyre; la virginité; et l'apostolat de la doctrine (III 96,5-7).
- Pourquoi ces trois sortes d'oeuvres méritoires recevront-elles l'auréole?
- Parce qu'elles font ressembler à un titre spécial à Jésus-Christ, dans sa victoire absolue et parfaite sur le triple ennemi de la chair, du monde et du démon (Ibid.).
- Les auréoles seront donc un signe spécial de victoire dans l'assemblée des élus et au sein du royaume des cieux?
- Oui; et c'est dans ce sens qu'on peut appliquer, d'une manière spéciale, aux martyrs, aux vierges et aux apôtres de la doctrine, cette parole dite par Dieu, d'une façon générale, pour tous les élus: Celui qui vaincra possèdera ces choses; je serai son Dieu et il sera mon fils (Ap 21,7).
- Y a-t-il, dans l'Écriture sainte, un dernier mot, qui soit comme le résumé de tout, en ce qui concerne le bonheur des élus, au ciel, dans la vie éternelle?
- Oui; nous le trouvons dans l'Apocalypse de saint Jean (Ap 20,5); et il est ainsi conçu: Le Seigneur Dieu sera la lumière qui tombera sur eux pour les éclairer; et ils règneront dans les siècles des siècles.
Caté Somme - 48. Du lieu de ceux qui ne sont pas jugés: le limbe des enfants