Catena Aurea


1

Explication suivie

des QUATRE ÉVANGILES


par le docteur angélique

Saint Thomas d'Aquin

composée des interprètes grecs et latins,

et surtout des ss. Pères

admirablement coordonnés et enchaînés

de manière à ne former qu'un seul texte suivi

et appelé à juste titre

LA CHAÎNE D'OR

CATENA AUREA


Édition où le texte corrigé par le P. Nicolaï

a été revu avec le plus grand soin

sur les textes originaux grecs et latins



TRADUCTION NOUVELLE par M. L'ABBE J.-M. PERONNE

Chanoine titulaire de l'Eglise de Soissons,

ancien professeur d'Ecriture sainte et d'éloquence sacrée





Tome premier

PARIS

LIBRAIRIE DE LOUIS VIVÈS, ÉDITEUR

rue Delambre, 9

1868


cf. reproduction offset aux « Editions pamphiliennes », rue St. Louis, F 84400 Saignon




CONCESSION

2
Du révérend Père provincial de la province de Paris de l'ordre des Frères prêcheurs, pour une nouvelle édition de la Chaîne d'or.


Nous F. Étienne Blondel, docteur en théologie de la Faculté de Paris et prieur, quoique indi gne, de la province de Paris des frères prêcheurs, nous donnons le pouvoir et accordons la fa culté au R. P. F. Jean Nicolaï, docteur en théologie et premier professeur de théologie, ainsi que préfet des études dans le couvent de Saint-Jacques, de publier la Chaîne d'or de saint Thomas sur les quatre évangiles qu'il a corrigée et augmentée des notes qui étaient nécessai res; nous lui accordons aussi la permission de publier les autres ouvrages qu'il pourra dans la suite corriger ou annoter, par tels libraires qu'il choisira, conformément au privilège qui lui a été accordé de par le Roi; ce à quoi nous l'exhortons vivement par notre désir que nous avons d'être utile au public. En foi de quoi nous lui donnons ces présentes lettres, scellées du sceau de notre secrétariat, et signées de notre main, pour les apposer au commencement de son édi tion.

Donné dans notre susdit couvent de Saint-Jacques à Paris, le 2 mai de l'an 1657.






A NOTRE TRÈS SAINT PÈRE URBAIN PAR LA PROVIDENCE DIVINE, QUATRIÈME PAPE DE CE NOM

3
F. Thomas d'Aquin, de l'ordre des Frères Prêcheurs, baise les pieds avec un pieux respect.


La source de la sagesse, le Verbe unique de Dieu qui habite au plus haut des cieux (Si 1,5; et pour ce qui suit, Sg 8,1), par lequel le Père avait tout créé avec sagesse et or donné toutes choses avec douceur, voulut se revêtir de notre chair à la fin des temps, afin que le regard de l'homme, qui ne pouvait atteindre dans une si haute élévation sa majesté divine, pût contempler son éclat sous les voiles de la nature humaine. Il avait répandu ses rayons, c'est-à-dire les marques de sa sagesse sur toutes les oeuvres qu'il avait créées; mais par une prérogative plus excellente, il avait imprimé dans l'âme des hommes le sceau de sa ressem blance et gravé avec plus de soin encore cette image auguste dans le coeur de ceux qui devaient recevoir le don de l'aimer de l'abondance de sa grâce. Mais qu'est-ce que l' esprit de l'homme au milieu de l'immensité de la création, pour qu'il puisse saisir dans toute leur perfection les empreintes de la divine sagesse? D'autant plus que la lumière de Dieu répandue dans les hommes a été couverte par les ténèbres du péché et par les nuages des préoccupations tempo relles; et le coeur de quelques insensés a été tellement obscurci, qu'ils ont attribué la gloire de Dieu à de vaines idoles, et qu'ils ont fait des actions indignes, livrés qu'ils étaient à ce sens dépravé (Rm 1,21.23.28, etc) ..

Or la sagesse divine qui avait fait l'homme pour qu'il pût jouir d'elle-même, ne permit point qu'il fût privé d'un don si excellent; elle se porta donc tout entière vers notre nature, se l' unissant d'une manière admirable pour rappeler entièrement à elle l'homme qui s'était égaré. Le prince des Apôtres fut le premier qui mérita de contempler l'éclat de cette sagesse au tra vers des voiles de la mortalité, et de la confesser avec fermeté et dans la plénitude d'une conviction exempte d'erreur par ces paroles « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ». O bienheureuse confession, ce n'est ni la chair ni le sang, mais le Père qui est au ciel qui vous révèle. C'est elle qui fonde l'Église sur la terre, ouvre les portes du ciel, reçoit le pouvoir de reme ttre les péchés, et contre elle les portes de l'enfer ne prévaudront jamais. Héritier légitime de cette foi et de cette confession, vous veillez avec soin, très saint-Père, à ce que la lumière de la divine sagesse inonde les coeurs des fidèles, et repousse les folles inventions des hérétiques, qui sont appelées avec raison les portes de l'enfer. Si Platon estimait heureuse la république dont les chefs se livrent à l'étude de la sagesse, de cette sagesse que la faiblesse de l'esprit hu main défigure si souvent par tant d'erreurs, combien doit-on estimer heureux le peuple chré tien qui vit sous votre gouvernement, et à qui vous distribuez avec tant de sollicitude cette sagesse si élevée, que la sagesse de Dieu elle-même revêtue d'une nature mortelle, nous a enseignée par ses paroles et démontrée par ses oeuvres? C' est par un effet de cette vigilante sollicitude que Votre Sainteté a daigné me confier la tâche d'expliquer l'Évangile de saint Matthieu, tâche que j'ai remplie selon mes forces, en recueillant avec soin dans les divers trai tés des saints docteurs de quoi former une exposition suivie de cet Évangile. Les citations peu nombreuses que j'ai tirées d'auteurs non connus, et puisées le plus souvent dans des Gloses, je les ai données sous le titre général de Gloses, pour qu'on pût les distinguer d'avec les passages des saints Pères. J'ai pris soin de donner toujours le nom des auteurs latins, avec l'indication précise du livre auquel là citation était empruntée, à l'exception des ouvrages qui sont un commentaire ou une exposition du livre que j'expliquais moi-même. J'ai cru inutile alors d' ajouter cette indication. Ainsi, par exemple, lorsque je cite le nom de saint Jérôme sans indi cation de livre ou de traité, c'est que le passage est tiré de son commentaire sur saint Matthieu, et ainsi des autres. Toutefois, pour les citations empruntées au commentaire de saint Chrysostome sur saint Matthieu, j'ai cru devoir ajouter sur saint Matthieu, pour les distinguer des au tres passages empruntés aux homélies du même Père.

Il a fallu aussi retrancher souvent quelque chose des citations empruntées aux saints Pères pour plus de brièveté et de clarté; comme aussi, pour l'intelligence du texte, j'ai dû parfois changer l' ordre des phrases. Quelquefois j'ai laissé le texte pour ne donner que le sens, surtout dans les homélies de saint Chrysostome dont la traduction est défectueuse. Le but que je me suis pro posé dans cet ouvrage, a été non seulement de chercher le sens littéral, mais d'exposer aussi le sens mystique, de détruire chemin faisant les erreurs, et d'appuyer sur de nouvelles preuves la vérité catholique; ce qui m' a paru indispensable, parce que c'est surtout dans l'Évangile qu'on trouve la forme, la perfection de la foi catholique, et la règle de toute la vie chrétienne. Puisse cet ouvrage ne paraître trop long à personne. Il m' a été impossible de poursuivre un plan si étendu sans abréger beaucoup, ayant à citer tant de saints docteurs, ce que j'ai tâché de faire avec la plus grande concision. Que Votre Sainteté daigne agréer cet ouvrage, dont je soumets l'examen et la correction à votre jugement. Ce travail est le fruit de notre sollicitude et de mon obéissance; c'est vous qui me l'avez imposé, c'est à vous qu' il appartient de le juger en der nier ressort. Les fleuves reviennent au lieu d'où ils sont sortis (Si 1,7).


Au très-vénérable Père en Jésus-Christ LE SEIGNEUR ANNIBAL CARDINAL PRÊTRE DE LA BASILIQUE DES DOUZE APOTRES


4
Le Frère Thomas d'Aquin, de l'ordre des Frères Prêcheurs,

tout à lui.



Le souverain auteur de toutes choses, Dieu, qui a tout créé par la seule inspiration de sa bonté, a donné à toute créature l'amour naturel du bien, afin qu'au moment où elle aime et recherche naturellement le bien qui lui est propre, on la voie par un retour admirable revenir à son auteur. Mais la créature raisonnable l'emporte sur les autres en ce qu'elle peut contempler par la sa gesse la source universelle de tout bien, et y puiser avec suavité par l'amour de la charité. De là vient qu'au jugement de la saine raison, le don de la sagesse, qui nous conduit à la source même de toute bonté, doit être préféré à tous les autres biens. C'est cette sagesse qui n'engendre pas le dégoût; celui qui s'en nourrit a encore faim, celui qui la boit ne cesse d'avoir soif. C'est elle qui est si opposée au péché, que ceux qui agissent d'après ses inspirations n'y tombent jamais. C'est elle qui donne à ses ministres des fruits vraiment impérissables, car ceux qui la manifestent aux hommes reçoivent comme récompense la vie éternelle. Elle est supé rieure à toutes les voluptés par sa douceur, aux trônes et aux royaumes par sa sécurité, à toutes les richesses par les avantages qu'elle procure. Après avoir goûté le charme de ses faveurs, j'ai essayé, en recueillant les pensées des saints docteurs, de donner une exposition de cette sa gesse évangélique qui, avant tous les siècles, était cachée dans les mystérieuses profondeurs de l'éternité, et qui a été produite au jour par la sagesse incarnée. J'avais d'abord été invité à ce travail par l'ordre d'Urbain IV, d'heureuse mémoire; mais comme après la mort de ce pontife il me restait encore à expliquer les trois Évangiles, de saint Marc, de saint Luc et de saint Jean, je n'ai pas voulu que la négligence laissât inachevé un ouvrage qu'avait commencé l'obéissance; je me suis donc appliqué avec le soin le plus scrupuleux à compléter l'exposition des quatre Évangiles, en suivant le même plan dans les citations des saints docteurs, que j'ai toujours fait précéder de leurs noms.

Pour rendre cette exposition de la doctrine des saints interprètes plus complète et plus suivie, j'ai fait traduire en latin un grand nombre de passages des Pères qui ont écrit en grec, et je les ai entremêlés avec ceux des auteurs latins, en ayant toujours soin de placer leurs noms en tête de chaque citation. Et comme il est de toute convenance que les prémices des fruits de nos travaux soient offertes aux prêtres, j'ai cru de mon devoir d' offrir cette exposition de l'Évangile, fruit de mon travail, au prêtre de la basilique des douze apôtres. Daignez l'agréer comme un hommage dû à votre autorité, et en même temps que votre science éminente le soumettra à son jugement, que votre vieille amitié y voie un témoignage de ma sincère affec tion.



EXPLICATION SUIVIE DES QUATRE ÉVANGILES

PAR SAINT THOMAS


3000

PRÉFACE PAR SAINT THOMAS

Celui qui a prédit avec plus de clarté les mystères de l'Évangile, le prophète Isaïe, renfermant en peu de mots la sublimité de la doctrine évangélique, son nom et ce qui en a fait l'objet, s'adresse au nom du Seigneur au docteur évangélique, et lui parle en ces termes: «Montez sur une haute montagne vous qui évangélisez Sion; élevez la voix avec force, vous qui évangélisez Jérusalem; criez, ne craignez pas, dites aux villes de Juda: Voici Votre Dieu, voici que le Seigneur Dieu paraît dans sa force, il dominera par la force de son bras et il tient entre ses mains le prix de ses travaux» (Is 40).

Commençons par le nom même d'Évangile. - S. Aug. (cont. Faust. liv. 2, chap. 2). Évangile signifie en latin bon message ou bonne nouvelle. Ce mot peut être employé toutes les fois qu'on annonce une heureuse nouvelle; mais il a été spécialement réservé pour désigner le divin message qui nous annonce le Sauveur, et on appelle Évangélistes proprement dits les écrivains sacrés qui ont raconté la naissance, les actions, les paroles et les souffrances de Notre Seigneur Jésus-Christ. -
S. Chrys. (Hom. 1 sur S. Matth). En effet, que pourra-t-on jamais comparer à une si heureuse nouvelle? Dieu sur la terre, l'homme dans le ciel, notre nature rentrée en ami tié avec Dieu, cette si longue guerre enfin terminée, la puissance du démon détruite, la mort anéantie, le paradis ouvert, et toutes ces grâces qui étaient au-dessus de notre nature nous ont été données avec libéralité, non comme récompense de nos efforts, mais par un effet de l'amour de Dieu pour nous. - S. Aug. (de la vraie relig., chap. 16). Dieu qui a des moyens à l'infini pour guérir les âmes suivant les circonstances favorables des temps qu'il fait naître et dispose dans son admi rable sagesse, n'a jamais fait paraître plus de bonté pour le genre humain, que lorsque son Fils unique consubstantiel et coéternel à son Père a daigné s'unir l'homme tout entier. «Et le Verbe a été fait chair, et il a habité parmi nous», et en apparaissant ainsi au milieu des hom mes revêtu de leur nature, il a fait voir quel rang élevé la nature humaine occupait dans la création. - S. Aug. (serm. sur la Nativ). Enfin Dieu s'est fait homme, pour que l'homme de vînt Dieu; c'est cette grâce extraordinaire, qui devait être publiée dans la suite des temps, que le Prophète prédit en ces termes «Voici notre Dieu». - S. Léon, pape. (Lettre 10, chap. 3). Cet anéantissement par lequel l'invisible s'est rendu visible, et le Créateur, le Seigneur Dieu de toutes choses s'est réduit à la condition des mortels, a été en lui une inclination de miséri corde, et non un amoindrissement de puissance. La Glose. (interlin. sur Isaïe, XL). Afin que l'on ne pût croire q ue la venue de Dieu sur la terre entraînait pour lui un affaiblissement de puissance, le Prophète ajoute «Voici que le Seigneur vient dans sa force». - S. Aug. (de la doct. chrét., liv. 1, chap. 12). Il vient, non pas en traversant l'espace, mais en apparaissant aux yeux des mortels revêtu d'une chair mortelle.
- S. Léon, pape. (serm. 49 sur la pass). Par un miracle de puissance ineffable, il est arrivé que le vrai Dieu s'étant revêtu d'une chair passible, l'homme a obtenu la gloire par ses abaissements, l'incorruptibilité par son supplice, la vie par sa mort. - S. Aug. (du bapt. des enf., r, 30). Car c'est l'effusion de ce sang innocent qui a effacé tous les traités qui soumettaient les hommes au honteux esclavage du démon. - La Glose. (interlin. sur Isaïe, 40). Mais les hommes n'ont été délivrés du péché par la vertu de la passion de Jésus-Christ que pour être soumis à l'empire de Dieu; c'est pour cela que le Prophète ajoute: «Il dominera par la force de son bras». - S. Léon, pape. (serm. sur la passion). Nous avons reçu par Jésus-Christ un secours si puissant, que notre nature passible a été affranchie de la loi de mort à laquelle la nature impassible s'était soumise, car par ce privi lège d'immortalité qui lui est propre, il peut ressusciter ce qui était condamné à une mort éter nelle. - La Glose. (interlin). Et c'est ainsi que Jésus-Christ nous a ouvert les portes de la gloire immortelle, comme le Prophète l'exprime en disant «Sa récompense est avec lui»; et comme saint Matthieu le déclare lui-même par ces paroles: «Votre récompense est grande dans les cieux». - S. Aug. (contre Faust., liv. 4, chap. 2). La promesse de la vie éternelle et le royaume des cieux sont le privilège du Nouveau Testament; quant à l'Ancien, il ne conte nait que des promesses de biens temporels.

La Glose. (sur Ezéchiel, 1). L'Évangile nous enseigne donc ces quatre choses sur la personne de Jésus-Christ: la divinité s'est unie à la nature humaine; l'humanité a été élevée par cette union; la mort du Fils de Dieu nous a délivrés de la servitude, et sa résurrection nous a ouvert les portes de la vie éternelle; c'est ce qu'Ezéchiel a prophétisé sous la figure des quatre animaux. - S. Grég. (sur Ezéch., hom. 4). En effet, le Fils unique de Dieu s'est réellement fait homme; dans le sacrifice de notre rédemption il a été immolé comme un taureau; il s'est levé du tombeau comme un lion; il a pris le vol de l'aigle pour monter au ciel. - La Glose. (sur Ezéch., 1, 9). Dans son ascension, sa divinité se révèle avec éclat. Or, saint Matthieu nous est figuré par l'homme, parce qu'il s'attache surtout à ce qui concerne l'humanité de Jésus-Christ; saint Marc par le lion, parce qu'il s'étend davantage sur sa résurrection; saint Luc par le taureau, parce qu'il traite de son Sacerdoce; saint Jean par l'aigle, parce qu'il a pénétré les profonds mystères de la divinité. - S. Amb. (préf. sur S. Luc). C'est par un rapprochement heureux qu'ayant appelé l'Évangile selon S. Matthieu un livre moral, nous donnons place à cette interprétation figurée, car les moeurs sont propres à la nature humaine; saint Marc est la figure du lion, parce qu'il commence son Évangile en proclamant la puissance de Dieu «Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu»; saint Luc nous est représenté sous la figure d'un taureau, parce qu'il commence son récit par une histoire sacerdotale, et que le taureau était une des victimes immolées par les prêtres; enfin on attribue à saint Jean la fi gure de l'aigle, parce qu'il a raconté les circonstances miraculeuses de la résurrection du Sau veur. - S. Grég. (sur Ezéch., hom. 4). Le commencement de chaque Évangile atteste la vé rité de cette interprétation symbolique; saint Matthieu est parfaitement figuré par l'homme, puisqu'il commence son Évangile par la génération humaine de Jésus-Christ; saint Marc par le lion, à cause du cri dans le désert par lequel il ouvre son récit; saint Luc par le taureau, parce qu'il débute par le récit d'un sacrifice; saint Jean par l'aigle, lui qui commence par la génération éternelle du Verbe. - S. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 1, chap. 6). On peut dire aus si que saint Matthieu est figuré par le lion, parce qu'il s'est appliqué à faire ressortir la royauté de Jésus-Christ; saint Luc par le taureau, parce que c'était une des victimes immolées par les prêtres; saint Marc par l'homme, parce que, sans vouloir raconter la descendance royale ou sacerdotale du Christ, il s'est attaché à ce qui concerne son humanité. Ces trois animaux, le lion, le taureau et l'homme, vivent et marchent sur la terre: aussi les trois évangélistes qu'ils représentent se sont-ils principalement occupés de ce qu'a fait Jésus-Christ revêtu dune chair mortelle. Mais saint Jean prend le vol de l'aigle et il fixe la lumière de l'être immuable avec les yeux per çants de son coeur. On peut en conclure que les trois premiers Évangélistes ont traité surtout de la vie active, et saint Jean de la contemplative. - Remi. Les docteurs grecs dans la figure de l'homme voient saint Matthieu qui a écrit la généalogie humaine de Jésus-Christ; dans celle du lion, saint Jean, parce que de même que le rugissement du lion fait trembler tous les animaux, ainsi saint Jean a été l'effroi de tous les hérétiques; dans la figure du taureau, saint Luc, parce que le taureau était une des victimes du sacrifice, et que cet évangéliste parle souvent du temple et du sacer doce; dans celle de l'aigle, saint Marc, parce que dans les saintes Écritures l'aigle représente ordinairement l'Esprit saint (Dt 32,11 Ez 17,3 Os 8,1) qui a parlé par la bouche des prophètes, et que saint Marc a commencé son Évangile par un texte prophétique. - S. Jérôme. (à Eusèbe, prologue de l'Evang). Quant au nombre des Évangélistes, il faut observer qu'un assez grand nombre d'écrivains ont rédigé des évangiles, au témoignage de saint Luc lui-même: «Puisque plu sieurs se sont efforcés de mettre en ordre», etc. Nous avons encore aujourd'hui des preuves subsistantes de ce grand nombre d'Évangiles composés par divers auteurs, et qui ont été la source de diverses hérésies, tels que les évangiles selon les Égyptiens, selon saint Thomas, se lon saint Barthélemy, les évangiles des douze apôtres, de Basilide, d'Apelles et d'autres qu'il serait trop long d'énumérer. Mais l'Église de Dieu, bâtie sur la pierre par la parole du Seigneur et qui a donné naissance comme le paradis terrestre à quatre grands fleuves, a aussi quatre an neaux aux quatre coins, de manière à pouvoir être portée sur quatre bâtons mobiles comme l'arche de l'Ancien Testament dépositaire et gardienne de la loi divine (Ex 27,3 Ex 25,12).

S. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 1, chap. 2). Le nombre quatre est peut-être aussi en rap port avec les parties de la terre, dans toute l'étendue de laquelle se développe l'Église de Jésus-Christ. Or, l'ordre qu'il faut assigner aux Apôtres dans la connaissance et la prédication de l'Évangile n'est pas le même qu'il faut suivre pour les écrivains sacrés. Les premiers qui furent appelés à connaître et à prêcher la vérité sont ceux qui suivirent le Seigneur pendant sa vie mortelle, entendirent ses enseignements, furent témoins de ses miracles, et reçurent de sa bouche l'ordre d'aller prêcher l'Évangile. Mais quant à la composition de l'Évangile, qui a été certainement réglée par une disposition toute divine, deux apôtres du nombre de ceux que Jé sus-Christ a choisis avant sa passion, saint Matthieu et saint Jean, tiennent l'un la première place, l'autre la dernière. Les deux autres évangélistes n'étaient pas de ce nombre, ils avaient cependant suivi Jésus-Christ dans la personne de deux apôtres, qui les reçurent comme des fils, et au milieu desquels ils furent placés comme pour en être soutenus des deux côtés. - Remi. Saint Matthieu écrivit son Évangile dans la Judée, sous le règne de l'empereur Caligula; saint Marc en Italie et à Rome, sous le règne de Néron ou de Claude; saint Luc dans l'Achaïe ou la Béotie, sur la prière de Théophile; saint Jean à Ephèse dans l'Asie Mineure, sons le règne de Nerva. - Bède. On compte, il est vrai, quatre Évangélistes, mais c'est moins quatre évangi les différents qu'ils ont écrit, qu'un seul parfaitement d'accord avec la vérité de ces quatre li vres. De même que deux vers, ayant absolument le même sujet, diffèrent cependant par les expressions et par la mesure, et ne présentent toutefois qu'une s eule et même pensée, ainsi les livres des Évangélistes, tout en étant au nombre de quatre, ne contiennent cependant qu'un seul et même Évangile, parce qu'ils ne renferment qu'une seule et même doctrine sur la foi catholique. - S. Chrys. (hom. 1 sur S. Matth). Il suffisait qu'un seul Évangéliste racontât tous les faits de la vie de Jésus-Christ; mais lorsqu'on les voit tous les quatre tenir le même lan gage, et, tout en étant séparés par les lieux comme par les temps, et sans avoir pu se concerter en aucune manière, c'est là une démonstration péremptoire de la vérité. Leurs divergences ap parentes sont en outre la plus grande preuve de leur véracité; car s'ils s'accordaient en tout, nos ennemis pourraient dire qu'ils se sont entendus pour avancer ce qu'ils ont écrit. Dans les choses essentielles qui ont pour objet la règle des moeurs et la prédication de la foi, on ne voit pas en eux la moindre différence. Quant aux miracles, que l'un en raconte quelques-uns, et un autre ceux que n'a pas racontés le premier, cela ne doit nullement ni vous troubler, ni vous surprendre. Car si un seul les avait tous racontés, le récit des autres devenait tout à fait inutile; au contraire, s'ils avaient toujours raconté des miracles différents, comment pourrait-on dé couvrir cette admirable unité qui existe entre eux? Quant aux variantes sur le temps où les faits se sont passés, ou sur la manière dont ils ont eu lieu, elles ne détruisent en rien la vérité du ré cit, ainsi que nous le montrerons dans la suite. - S. Aug. (de l'accord des Evang. liv. 1, chap. 2). Quoique chacun d'eux paraisse avoir adopté un plan particulier de narration, il ne le suit pas cependant, comme s'il ignorait le récit de celui qui l'a précédé, et en omettant les faits qu'un autre aurait racontés. Ils écrivent selon l'inspiration qu'ils reçoivent, et ajoutent à cette inspira tion l'utile coopération de leurs propres efforts.

La Glose. La sublimité de la doctrine évangélique consiste d'abord dans l'excellence de l'autorité dont elle émane. - S. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 1, chap. 1). En effet, parmi les livres sacrés qui sont revêtus d'une autorité divine, l'Évangile occupe à juste titre le premier rang, puisqu'il eut pour premiers prédicateurs les Apôtres qui avaient suivi Notre Seigneur Jésus-Christ, le Sauveur du monde revêtu de notre nature, et que deux d'entre eux, saint Mat thieu et saint Jean, ont cru devoir consigner, chacun dans un ouvrage différent, les choses dont ils avaient été les témoins. Et afin qu'on ne crût pouvoir établir en ce qui concerne la connais sance et la prédication de l'Évangile, une différence entre les Évangélistes qui avaient suivi le Sauveur sur la terre et ceux qui avaient cru sur leur témoignage, la providence divine a disposé les choses de manière que le privilège non seulement de prêcher, mais d'écrire l'Évangile fût donné aux disciples des premiers apôtres. - La Glose. Il est donc évident que l'autorité souveraine de l'Évangile vient de Jésus-Christ; c'est ce que déclare le prophète Isaïe que nous avons déjà cité, lorsqu'il dit «Montez sur une haute montagne». Cette haute montagne, c'est le Christ lui-même, au témoignage du même prophète dans cet autre endroit: «Dans les der niers jours, la montagne sur laquelle se bâtira la maison du Seigneur sera fondée sur le haut des monts», c'est-à-dire au-dessus de tous les saints appelés montagnes, à cause de Jésus-Christ qui est comparé lui-même à une haute montagne, parce que nous avons reçu tous de sa pléni tude. Or, c'est avec raison que ces paroles: «Montez sur une haute montagne», sont adres sées à saint Matthieu, car, comme nous l'avons dit plus haut, il fut en personne témoin des actions de Jésus-Christ, et apprit à son école sa divine doctrine. - S. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 8, chap. 7) Nous avons maintenant à répondre à une difficulté qui fait impres sion sur quelques personnes. Pourquoi, disent-elles, le Sauveur n'a-t-il rien écrit par lui-même, et pourquoi sommes-nous obligés d'ajouter foi au récit de ceux qui ont écrit sa vie? Il est faux de dire, répondrons-nous, que le Sauveur n'a rien écrit, puisque ses membres n'ont fait que rapporter ce que leur chef leur dictait, car tout ce qu'il a voulu nous transmettre de ses dis cours et de ses actions, il leur a commandé de l'écrire, en dirigeant leur main comme la sienne propre. - La Glose. En second lieu l'Évangile est sublime par sa vertu, au témoignage de l'Apôtre: «L'Évangile est la vertu de Dieu pour sauver tous ceux qui croient, et c'est ce qu'a prédit le Prophète lui-même dans les paroles citées plus haut: «Élève ta voix avec force», paroles qui indiquent la manière dont la doctrine évangélique doit être annoncée, l'élévation de la voix figurant la clarté de la doctrine. - S. Aug.Volusien, lettre 3). Le langage simple de la sainte Écriture est accessible à tous, mais il n'est pénétré à fond que par un très petit nom bre. Les vérités claires qu'elle renferment, elle les propose sans artifice, comme un ami intime, au coeur des savants comme à celui des ignorants. Quant aux mystères qu'elle recouvre d'un voile, elle ne les élève pas au-dessus de nous à l'aide d'une parole prétentieuse, propre à éloi gner les intelligences sans instruction et de conception lente, comme le pauvre est porté à s'éloigner du riche, mais elle invite tous les hommes par la simplicité de son langage, non seu lement à se nourrir de la vérité qui leur est révélée, mais encore à exercer leur foi au milieu de ses divins secrets, aussi riche et quand elle use d'expressions claires, et quand elle recouvre la vérité d'un voile mystérieux; et afin que la clarté n'engendre pas le dégoût, le voile qui les recouvre de nouveau excite de saints désirs qui leur donnent un nouvel attrait, et les font goû ter avec plus de suavité. C'est ainsi que par une méthode salutaire, les esprits dévoyés sont ramenés au bien, les faibles nourris, et les esprits supérieurs remplis d'une douce joie. - La Glose. La voix qui éclate s'entend de plus loin; on peut voir dans cette voix élevée une fi gure de la prédication évangélique, que Dieu commande de porter non pas à une nation, mais à tous les peuples, d'après ce précepte du Seigneur: «Allez, prêchez l'Évangile à toute créa ture». - S. Grég. Ces paroles: «Toute créature», peuvent signifier tous les peuples de la terre.
- La Glose. En troisième lieu la doctrine évangélique est sublime par son caractère de liberté. - S. Aug. (contre Faust). Dans l'Ancien Testament, la Jérusalem terrestre, sous l'impression de la promesse des biens temporels et de la menace des châtiments, n'engendrait que des esclaves; dans le Nouveau, où la foi obtient la charité qui fait accomplir la loi moins par un sentiment de crainte que par l'amour de la justice, la Jérusalem éternelle n'engendre que des enfants libres. - La Glose. Cette sublimité de la doctrine évangélique nous est indiquée dans ces paroles du Prophète: «Élevez la voix, ne craignez pas».

Il nous reste à examiner les raisons qui ont déterminé saint Matthieu à écrire son Évangile, et à quelles personnes il le destinait. - S. Jér. (prolog. sur S. Matth). Saint Matthieu a écrit son Évangile dans la Judée et en hébreu, parce qu'il le destinait principalement à ceux d'entre les Juifs qui avaient embrassé la foi. Après leur avoir prêché l'Évangile, il l'écrivit en hébreu pour en perpétuer le souvenir dans l'esprit de ses frères, dont il se séparait; car de même qu'il était nécessaire pour confirmer la foi que l'Évangile fût prêché, il fallait aussi qu'il fût écrit pour combattre les hérétiques. - S. Chrys. (sur S. Matth). Voici dans quel ordre les faits sont ra contés dans saint Matthieu: premièrement la naissance de Jésus-Christ; secondement son baptême; troisièmement sa tentation; quatrièmement sa prédication; cinquièmement ses mira cles; sixièmement sa passion; septièmement sa résurrection et son ascension. En suivant cet ordre, il a voulu non seulement nous présenter la suite de la vie de Jésus-Christ, mais encore nous donner comme le plan de la vie évangélique. Ce ne serait rien, en effet, de recevoir la vie de nos parents, si Dieu ne nous donnait une nouvelle naissance par l'eau et l'Esprit saint. Après le baptême, il faut lutter contre le démon; lorsqu'on a triomphé pour ainsi dire de toutes les tentations, et qu'on est devenu capable d'enseigner les autres, si on est prêtre, on doit enseigner et donner pour appui à sa doctrine une bonne vie, qui a autant de force que les miracles ;si on est simple fidèle, on doit inspirer la foi par ses oeuvres. Enfin il nous faut sortir de cette arène du monde, et c'est alors que la récompense éternelle et la gloire de la résurrection vien nent couronner nos combats et nos victoires.

La Glose. D'après tout ce que nous venons de dire, on voit clairement ce qui fait l'objet de l'Évangile, le nombre des Évangélistes, les symboles qui les ont figurés, leurs divergences, la sublimité de leur doctrine, ceux pour qui cet Évangile a été écrit et l'ordre adopté par l'écrivain sacré.


LE SAINT ÉVANGILE DE JESUS-CHRIST

SELON SAINT MATTHIEU


CHAPITRE PREMIER


v. 1

3101 Mt 1,1

S. Jérôme. Saint Matthieu nous est représenté sous la figure d'un homme (cf. Ez 1,10), il commence donc son évangile en parlant de l'humanité du Sauveur: «Livre de la génération»,etc.

Raban. Cet exorde prouve suffisamment que l'Évangéliste a voulu nous raconter la génération de Jésus-Christ selon la chair. - S. Chrys. Saint Matthieu écrivait pour les Juifs, qui connaissaient la nature divine; il était donc inutile de leur en parler; ce qu'il importait de leur apprendre, c'était le mystère de l'incarnation. Saint Jean au contraire a écrit son évangile pour les Gentils, qui ignoraient que Dieu eut un Fils, il lui fallait donc tout d'abord leur enseigner que Dieu a un Fils, Dieu lui-même, et que ce Fils s'est incarné.

Raban. Quoique la généalogie du Sauveur occupe une très petite place dans le livre des Évangiles, saint Matthieu l'intitule: Livre de la génération, car c'est un usage chez les hébreux de prendre le titre de leurs livres dans les premiers faits qu'ils racontent, comme on le voit dans le livre de la Genèse. - La Glose. (de S. Jérôme). Le sens serait plus clair si on lisait Vo ici le livre de la génération; mais on trouve de nombreux exemples de cette manière de s'exprimer, tels que celui-ci: «Vision d'Isaïe», sous-entendez: Voici. On lit au singulier: «Livre de la génération», bien qu'il énumère successivement plusieurs séries de générations, parce que ces générations ne sont ici rappelées qu'en vue de la génération de Jésus-Christ. -
S. Chrys. (hom. 2 sur S. Matth). Ou bien encore, ce livre est appelé livre de la génération, parce que le mystère d'un Dieu fait homme est l'abrégé de toute l'économie de notre salut et la source de tous les biens; ce don une fois fait aux hommes, tous les autres devaient nécessairement en découler. - Remi. L'Évangéliste écrit: «Livre de la génération de Jésus-Christ», parce qu'il savait qu'il existait un ouvrage intitulé: Livre de la génération d'Adam. Par cet exorde, il a donc in tention d'opposer ce livre au premier, le nouvel Adam à l'ancien, parce que le second a rétabli tout ce que le premier avait perdu. - S. Jér. Nous lisons dans le prophète Isaïe (Is 53): «Qui racontera sa génération ?» N'allons pas croire que l'Évangéliste soit contraire au prophète, en voulant raconter ce qu'Isaïe déclare au-dessus de toute expression; l'un parle de la génération divine, l'autre de la génération humaine. - S. Chrys. (même hom). Ne regardez pas l'exposé de cette génération comme de peu d'importance, car c'est une chose souverainement ineffable qu'un Dieu ait daigné prendre nais sance dans le sein d'une femme et qu'il compte David et Abraham parmi ses aïeux. - Remi. Si l'on entend les paroles du prophète de la génération humaine, à la question qu'il fait, il ne faut pas répondre: Aucun, mais un très petit nombre, puisque saint Matthieu et saint Luc l'ont racontée.

Rab. Ces paroles: «de Jésus-Christ»,font connaître la dignité royale et sacerdotale dont il est revêtu, car Josué, dont le nom était la figure de celui de Jésus, fut après Moïse le chef du peuple de Dieu, et Aaron, consacré par une onction mystérieuse, fut le premier grand-prêtre de la loi. - S. Aug. (Quest. sur le Nouv. et l'Anc. Test., chap. 45). Ce que Dieu conférait par l'onction à ceux qui étaient consacrés prêtres et rois, l'Esprit saint l'a communiqué au Christ fait homme, en y ajoutant un caractère de sanctification: car l'Esprit saint a purifié ce qui dans la Vierge Marie servit à former le corps du Sauveur, et c'est en vertu de cette onction de son corps qu'il a reçu le nom de Christ.

S. Chrys. (sur S. Matth). La fausse sagesse des Juifs impies niait que Jésus fût de la race de David, l'Évangéliste prend donc soin d'ajouter: «Fils de David, Fils d'Abraham».Mais pour quoi ne suffisait-il pas de dire qu'il était le fils de l'un des deux ou d'Abraham, ou de David? C'est que tous les deux avaient reçu la promesse que le Christ naîtrait de leur postérité: «Toutes les nations de la terre seront bénies en ta race», avait dit Dieu à Abraham; et à Da vid: «Je ferai asseoir sur ton trône un fils qui naîtra de toi. Aussi l'Évangéliste appelle Jésus-Christ fils de David et d'Abraham pour montrer l'accomplissement des promesses qui leur ont été faites. Une autre raison, c'est que le Christ devait réunir en sa personne la triple dignité de roi, de prophète et de prêtre. Or, Abraham a été prêtre et prophète: prêtre, puisque Dieu lui dit dans la Genèse: «Prends pour me l'immoler une génisse de trois ans» (Gn 15); prophète, comme Dieu le déclare au roi Abimélech: «Il est prophète et il priera pour toi». Quant à David, il fut roi et prophète, mais sans être prêtre. Jésus-Christ est donc appelé fils de l'un et de l'autre, pour nous appren dre que cette triple dignité de ses deux aïeux lui était dévolue par le droit de sa naissance. - S. Amb. (sur S. Luc). Parmi les ancêtres du Sauveur, l'Écrivain sacré en choisit deux, l'un à qui Dieu avait promis l'héritage des nations, l'autre à qui Il avait prédit que le Christ naîtrait de sa race. David, quoique le dernier dans l'ordre des temps, est cependant nommé le premier, parce que les promesses qui ont le Christ pour objet sont supérieures à celles qui concernent l'Église, qui n'existe que par Jésus-Christ celui qui sauve est évidemment au-dessus de celui qui est sauvé. - S. Jér. L'ordre est interverti, mais pour une raison nécessaire, car si le nom d'Abraham avait précédé celui de David, il aurait fallu répéter le nom d'Abraham pour l'enchaînement de la suite des générations.
- S. Chrys. (sur S. Math). Une autre raison, c'est que la dignité du trône l'emporte sur celle de la nature, et, bien qu'Abraham fût le premier par ordre de temps, David l'était par son titre de roi.

Glose. Comme ce livre tout entier a pour objet la vie de Jésus-Christ, il est nécessaire tout d'abord de s'en former une idée juste. Ou pourra ainsi plus facilement expliquer tout ce qui dans le cours de cet ouvrage a rapport à sa divine personne. - S. Aug. (Quest. sur les Evang. liv. 5, chap. 45). Les erreurs des hérétiques sur la personne de Jésus-Christ peuvent se réduire à trois chefs, sa divinité, son humanité, ou l'une et l'autre à la fois. - S. Aug. (Des hérés. chap. 8 et 10). - Cérinthe et Ebion prétendirent que Jésus-Christ n'était qu'un homme. Paul de Samosate suivit leur erreur en soutenant que Jésus-Christ n'était pas éternel, que son existence ne remontait pas au-delà de sa naissance du sein de Marie, car il n e voyait en lui rien qui fût au-dessus de la nature humaine. Photin appuya plus tard cette hérésie. - S. Athan. L'apôtre saint Jean, voyant cet hérétique bien longtemps auparavant à la lumière de l'Esprit saint, plongé dans le profond sommeil de cette erreur insensée, le secoue de sa léthar gie par ces paroles: «Au commencement était le Verbe». Puisqu'il était en Dieu dès le com mencement, il est impossible qu'il ait reçu de l'homme dans ces derniers temps le commence ment de son existence. Jésus-Christ lui-même n'a-t-il pas dit: «Mon Père, glorifiez-moi de cette gloire que j'avais en vous avant la création du monde ?» Que Photin comprenne donc qu'il possédait cette gloire dès le commencement. - S. Aug. (Des hérés. chap. 19). L'impiété de l'erreur de Nestorius fut d'avancer que celui qui était né de la Vierge Marie n'était qu'un homme, avec lequel le Verbe divin avait formé unité de personne et contracté une union indissoluble, erreur que les oreilles catholiques ne purent jamais supporter. - S. Cyrille. (Aux moines d'Égypte). L'Apôtre parlant du Fils unique dit «Lui qui avait la na ture de Dieu, n'a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de s'égaler à Dieu». Quel est donc celui qui a la forme et la nature de Dieu? et comment s'est-il humilié, anéanti en prenant la forme et la nature de l'homme? Si les hérétiques dont nous venons de parler divisent Jésus-Christ en deux (d'un côté l'homme, de l'autre le Verbe), et qu'ils prétendent, en séparant le Verbe de l'homme, que c'est ce dernier seul qui s'est anéanti, il leur faut prouver auparavant qu'il avait réellement la forme, la nature de Dieu son Père, qu'il était son égal, pour qu'il ait pu se soumettre à l'anéantissement. Mais aucune créature, considérée dans sa nature, ne peut être l'égale du Père. Comment donc s'est-il anéanti? De quelle hauteur est-il descendu pour se faire homme? Comment comprendre qu'il ait pris la forme d'un esclave, qu'il n'avait pas au paravant? Ils répondent que le Verbe égal au Père a daigné habiter dans l'homme né de la femme, et que c'est ainsi qu'il s'est anéanti. J'entends, il est vrai, le Fils de Dieu dire à ses apôtres «Si quelqu'un m'aime il gardera ma parole, et mon Père l'aimera: et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure».Vous comprenez comment il déclare que son Père et lui feront leur demeure dans ceux qui l'aiment? Or pensez-vous qu'on puisse dire qu'il s'est appauvri, anéanti, qu'il a pris la forme d'esclave, parce qu'il fait sa demeure dans le coeur de ceux qui l'aiment? Et que direz-vous de l'Esprit saint qui habite en nous? Pensez-vous que ce soit là une véritable incarnation? - L'abbé Isidore. (Au prêtre Archibius). Pour ne pas nous étendre indéfiniment, nous dirons, en quelques mots qui résument tout, que celui qui était Dieu, en tenant un langage plein d'humilité, fait une chose sage, utile et qui ne porte aucun préjudice à sa nature immuable; tandis que l'homme au contraire ne peut s'approprier le lan gage des choses divines et surnaturelles sans une présomption souveraine et coupable. Un roi peut faire des actions communes, un soldat ne peut s'arroger la parole du commandement. Si donc celui qui s'est incarné est Dieu, les actions humbles et ordinaires ont leur raison d'être, mais s'il n'était qu'homme, les choses divines sont impossibles.

S. Aug. (Des hérés., chap. 41). Quelques écrivains parlent de Sabellius disciple de Noet, qui prétendait que le Christ n'était autre que le Père et l'Esprit saint. - S. Athan. (Contre les hérés). Je mettrai un frein à cette fureur aussi insensée qu'audacieuse, en m'appuyant sur l'autorité de témoignages divins pour démontrer la personnalité du Fils et la consubstantialité divine. Pour cela, je ne me servirai pas des passages que par une fausse interprétation il appli que sans scrupule à l'humanité prise par le Sauveur, mais de ceux qui sans aucune ambiguïté et de l'aveu de tous ne peuvent s'entendre que de la divinité. Au chapitre 1er de la Genèse, Dieu s'exprime ainsi: «Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance» (Gn 1),il parle au pluriel, et il indique nécessairement quelqu'un à qui s'adressent ces paroles. Car si celui qui parle était seul, il dirait qu'il a fait l'homme à son image, tandis qu'il déclare ouvertement l'avoir fait également à la ressemblance d'un autre. - La Glose. D'autres ont nié la vérité de l'humanité du Sauveur. C'est ainsi que Valentin a enseigné que le Christ envoyé par son Père, avait apporté sur la terre un corps spirituel et cé leste, qu'il n'avait rien pris de la Vierge Marie, mais qu'il n'avait fait que passer par son sein, comme l'eau passe dans un canal ou dans le lit d'un ruisseau. Pour nous, nous ne croyons pas que Jésus-Christ est né de la Vierge Marie parce qu'il n'aurait pu autrement exister ou appa raître aux hommes dans une chair véritable, mais parce que tell e est la doctrine de l'Écriture, qu'il nous faut croire sous peine de n'être plus chrétiens, et d'encourir la damnation. Si Jésus-Christ avait voulu donner à son corps formé d'un élément aérien ou liquide les propriétés d'une chair humaine véritable, qui oserait dire que cela lui était impossible ?

S. Aug. (Des hérés. chap. 46). Les Manichéens ont prétendu que Notre-Seigneur Jésus-Christ n'avait eu qu'un corps imaginaire et fantastique et qu'il n'avait pu naître du sein d'une femme. -
S. Aug. (Liv. des LXXXIII quest. 13). Or, si le corps du Christ ne fut qu'une apparence, lui-même nous a trompés, et s'il nous a trompés, il n'est plus la vérité. Or le Christ est la vé rité, donc son corps ne fut pas un corps fantastique. - La Glose. Le commencement de l'évangile selon saint Luc nous montre clairement aussi que le Christ est né d'une femme, ce qui prouve la vérité de son humanité; les hérétiques rejettent en conséquence le commence ment des deux évangiles. - S. Aug. (Contre Fauste, liv. 2, chap. 1). C'est pour c ela que Fauste nous dit: L'Évangile n'a commencé et ne tire son nom que de la prédication du Christ, et nulle part dans cet Évangile Jésus-Christ ne dit que sa naissance est humaine. Quant à la généalogie, elle est si peu l'Évangile, que celui qui en est l'auteur n'a pas osé lui donner ce nom. Comment s'exprime-t-il en effet: «Livre de la génération de Jésus-Christ, Fils de Da vid».Ce n'est donc pas le livre de l'Évangile de Jésus-Christ, mais de la génération. Au contraire, Marc ne s'est pas occupé d'écrire la génération, mais uniquement la prédication du Fils de Dieu, prédication qui est vraiment l'Évangile. Aussi voyez avec quel à-propos il com mence son récit: «L'Évangile de Jésus-Christ Fils de Dieu». Ce qui prouve suffisamment que la généalogie ne fait point partie de l'Évangile. Dans Matthieu lui-même, ce n'est qu'après que Jean-Baptiste eut été jeté en prison que nous lisons que Jésus commença à prêcher l'Évangile du royaume. Donc tout ce qui précède appartient à la généalogie, et non pas à l'Évangile. Je me suis donc reporté à Marc et à Jean dont les commencements me plaisent avec raison, car ils ne font mention ni de David, ni de Marie, ni de Joseph. Voici comment saint Augustin le ré fute: Que ré pondra-t-il a ces paroles de l'Apôtre (2Tm 2): «Souvenez-vous que Jésus-Christ, qui est de la race de David, est ressuscité selon l'Évangile que je prêche ?»Or, l'évangile de l'apôtre saint Paul, c'était l'évangile des autres apôtres, et de tous les fidèles dis pensateurs d'un si grand mystère. C'est ce que lui-même dit ailleurs: «Que ce soit moi, que ce soient eux (qui vous prêchent l'Évangile), voilà ce que nous prêchons, voilà aussi ce que vous avez cru».Tous, en ef fet, n'ont pas écrit l'Évangile, mais tous l'ont prêché.

S. Aug. (Des hérésies, chap. 49). Les Ariens ne veulent pas admettre que le Père, le Fils et l'Esprit saint n'aient qu'une seule et même substance, une seule et même nature, une seule et même existence; mais ils voient dans le Fils une créature du Père, et dans l'Esprit saint une créature produite par une créature, c'est-à-dire par le Fils; ils soutiennent encore que le Christ a pris un corps sans âme.

S. Aug. (Liv. 1 de la Trinité, chap. 6). Mais Jean déclare dans son évangile que non seulement le Fils est Dieu, mais qu'il est consubstantiel à son Père; car après avoir dit: «Et le Verbe était Dieu», il ajoute: «Toutes choses ont été faites par lui». Donc il n'a pas été fait lui-même, puisque tout a été fait par lui, et s'il n'a pas été fait, il n'a pas été créé, et il a la même substance que son Père, car toute substance qui n'est pas Dieu est une substance créée. - S. Aug. (Contre Félicien, chap. 13). Je ne sais pas quel avantage la personne du Médiateur nous aurait procuré, si en laissant la meilleure partie de nous-mêmes sans rédemption, il n'a pris de notre nature que la chair, qui, séparée de l'âme, est incapable d'apprécier ce bienfait. En effet, si Jésus-Christ est venu sauver ce qui avait péri, comme tout en nous était perdu, tout réclamait le bienfait de la rédemption. Aussi Jésus-Christ vient sur la terre pour tout sauver en s'unissant tout notre être, le corps et l'âme. - S. Aug. (Liv. des LXXXIII quest. 80). Com ment encore peuvent-ils répondre aux difficultés évidentes que leur présente le saint Évangile, où le Seigneur produit entre eux des témoignages si frappants, par exemple: «Mon âme est triste jusqu'à la mort»,et encore: «J'ai le pouvoir de donner ma vie», et beaucoup d'autres semblables. Diront-ils que ce langage de Notre-Seigneur est figuré, nous leur opposerons l'autorité des Évangélistes, qui, dans le récit des faits, établissent également que Jésus-Christ avait un corps, et qu'il avait une âme, et lui attribuent des sentiments qui supposent nécessai rement l'existence de l'âme. C'est ainsi que nous lisons: «Et Jésus fut dans l'admiration», il s'irrita, et d'autres semblables exemples.

S. Aug. (Des hérésies, chap. 55). Les Apollinaristes ainsi que les Ariens soutinrent que le Christ s'était revêtu d'un corps, mais sans prendre l'âme. Vaincus sur ce point par les témoi gnages de l'Évangile, ils se retranchèrent à dire que cette faculté qui constitue l'homme raison nable avait manqué à l'âme du Christ, et qu'elle avait été remplacée en lui par le Verbe de Dieu. - S. Aug. (Liv. des LXXXIII Quest., quest. 80). S'il en était ainsi, il faudrait dire que le Verbe divin aurait pris la nature d'un animal sans raison avec une figure humaine. - S. Aug. (Des hérésies, chap. 55). Quant à la vérité de sa chair, ils se sont éloignés de la vraie foi à ce point de prétendre que le Verbe et la chair n'avaient qu'une seule et même substance, et de soutenir à force de sophismes que le Verbe s'était fait chair en ce sens qu'une partie du Verbe avait été changée, convertie en chair, et que cette chair n'avait pas été formée du sang de Marie. S. Cyrille. (Lettre à Jean d'Antioche). Il faut avoir perdu le sens et la raison, à notre avis, pour soupçonner l'ombre même de changement dans la nature du Verbe divin. Elle demeure ce qu'elle est toujours, elle ne change pas, elle n'est susceptible d'aucune altération. - S. Léon. (Lettre au concile de Constant. 23). Pour nous, nous ne dirons pas que le Christ s'est fait homme en ce sens qu'il lui ait manqué ce qui constitue la nature humaine, soit l'âme, soit l'intelligence ordinaire, soit un corps qui ne serait point né d'une femme, mais qui serait le produit du changement, de la conversion du Verbe dans la chair, trois erreurs qui forment les trois différentes parties de l'hérésie des Apollinaristes.

S. Léon. (Aux moines de la Palest. let. 83). Eutychès s'empara de la troisième erreur des Apollinaristes, et il nia qu'il y eut en Notre-Seigneur Jésus-Christ la réalité d'une chair humaine et d'une âme semblable à la nôtre, et soutint qu'il n'y avait en lui qu'une seule nature. Dans son système, la substance divine du Verbe serait comme changée en corps et en âme; et ces différentes actions, être conçu, naître, croître, être nourri, étaient des actions de la nature di vine, toutes choses qui ne peuvent lui être attribuées que par son union à une chair véritable; car la nature du Fils est la même que la nature du Père, que la nature du Saint-Esprit, elle a la même impassibilité et la même éternité. Si cet hérétique paraît se séparer de l'erreur perverse d'Apollinaire, pour ne pas être obligé d'admettre que la divinité est passible et mortelle, et que cependant il ne craigne pas de soutenir qu'il n'y a dans le Verbe incarné, c'est-à-dire dans le Verbe et la chair qu'une seule nature, il tombe infailliblement dans l'erreur insensée des Mani chéens et de Marcion; il faut qu'il admette encore que tout en Jésus-Christ a été feint et ima ginaire, et que sans avoir un corps véritable il n'a fait qu'en présenter l'apparence aux yeux de ceux qui le voyaient.

Le même (Lettre 2 à Julien). Eutychès ayant osé dire devant l'assemblée des évêques qu'il y avait eu en Jésus-Christ deux natures avant l'incarnation, et une seule après, on dut le presser par des questions habilement posées de bien préciser sa foi. Quant à moi, je pense qu'en s'exprimant ainsi il était persuadé que l'âme que le Sauveur s'est unie a séjourné dans les cieux avant de naître de la Vierge Marie. Mais c'est un langage que ni la conscience ni les oreilles des catholiques ne peuvent tolérer, attendu que le Seigneur en descendant des cieux n'en a rien apporté de ce qui est propre à notre nature, ni une âme qui eût préexisté à sa naissance, ni un corps venu d'ailleurs que du sein maternel. Aussi l'erreur condamnée justement dans Origène, qui a soutenu que les âmes, avant d'être unies à des corps, non seulement avaient existé, mais qu'elles avaient agi diversement, doit l'être également dans Eutychès. - Remi. Les Évangé listes anéantissent toutes ces hérésies au commencement de leur Évangile: saint Matthieu en soutenant que Jésus-Christ tire son origine des rois de Juda, prouve qu'il est véritablement homme, et qu'il a réellement revêtu notre chair; de même saint Luc, qui décrit son origine sacerdotale. Saint Marc au contraire par ces mots: Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, et saint Jean par ces autres: Au commencement était le Verbe, proclament tous les deux qu'avant tous les siècles il a toujours été Dieu en Dieu le Père.



Catena Aurea