Catena Aurea 3622

vv. 22-23

3622 Mt 6,22-23

S. Chrys. (hom. 21). Le Sauveur vient de parler de l'intelligence réduite en captivité et soumise à l'esclavage; mais cette doctrine n'était pas facile à comprendre pour un grand nombre; il prend donc les choses extérieures comme terme de comparaison: «La lampe de votre corps c'est votre oeil», etc., c'est-à-dire: Si vous ne comprenez ce que c'est que de perdre son intelligence, apprenez le par cette comparaison. Ce que votre oeil est à votre corps, votre intelligence l'est à votre âme. Or, de même que la privation de la vue enlève aux autres membres une grande partie de leur action, parce qu'ils ont perdu la lumière qui les éclairait, ainsi la corruption de votre intelligence plonge votre vie tout entière dans un abîme de maux. - S. Jér. Toute cette comparaison a pour objet de rendre le sens plus clair; de même en effet que le corps tout entier sera dans les ténèbres, si l'oeil a cessé de voir droit, ainsi que l'âme vienne à perdre sa principale lumière, tous les sens (ou si l'on veut la partie sensible de l'âme) demeure ront dans l'obscurité. Ce qui fait ajouter à Notre-Seigneur: «Si la lumière qui est en vous n'est que ténèbres, combien seront grandes les ténèbres elles-mêmes? C'est-à-dire si l'intelligence et le sentiment, qui sont la lumière de votre âme, sont obscurcis par le vice, com bien ce qui est obscur sera lui-même en veloppé de ténèbres ?

S. Chrys. (sur S. Matth). Il est évident que le Sauveur ne veut point parler ici de l'oeil maté riel ni de ce corps qui se voit au dehors, autrement il se serait exprimé de la sorte: «Si votre oeil est sain ou malade», tandis qu'il dit au contraire: «Si votre oeil est simple ou mauvais».Qu'on ait un oeil bienveillant, mais malade, le corps en verra-t-il plus clair? Qu'on ait, au contraire, un oeil mauvais, mais sain, le corps en sera-t-il pour cela dans les ténèbres? - S. Jér. Ceux dont les yeux sont malades voient des lumières multiples; l'oeil simple et pur, au contraire, voit tous les objets dans leur pureté et leur simplicité. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien il s'agit ici exclusivement de l'oeil intérieur. Cette lampe, c'est l'intelligence à l'aide de laquelle notre âme voit Dieu. Donc celui dont le coeur est en Dieu a un oeil lumineux, c'est-à-dire que son âme est pure, et n'est point ternie par les désirs de la terre. Les ténèbres qui sont en nous, ce sont les sens de la chair qui se portent toujours vers les oeuvres de ténèbres. Celui dont l'oeil est pur, c'est-à-dire dont l'âme est toute spirituelle, conserve son corps lumineux, c'est-à-dire sans péché, car bien que la chair désire le mal, il réprime ces désirs par la force que lui donne la crainte de Dieu. Celui, au contraire, qui a l'oeil mauvais, c'est-à-dire dont l'âme est obscurcie par la malice ou troublée par la concupiscence, a nécessairement son corps dans les ténèbres. Il ne sait pas résister à la chair lorsqu'elle convoite le mal, car il ne nourrit pas dans son coeur cette espérance des cieux qui nous revêt d'une force invincible pour résister à nos passions.

S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth). Ou bien le Sauveur a emprunté à la lumière que l'oeil répand sur le corps l'expression de la lumière de l'âme. Si cette lumière spirituelle reste pure et brillante, elle communiquera à notre corps la clarté de la lumière éternelle, et au jour de la résurrection, elle répandra sur la corruption du tombeau la splendeur de son origine. Si au contraire elle se laisse obscurcir par les péchés et qu'elle devienne mauvaise par la dépravation de la volonté, notre corps lui-même subira la peine de ses vices.

S. Aug. (serm. sur la mont). Ou bien encore, cet oeil c'est notre intention. Si elle est pure et droite, toutes les oeuvres qu'elle dirige seront bonnes. En effet l'Apôtre appelle certaines oeu vres nos membres dans ce passage: «Mortifiez les membres de l'homme terrestre qui est en vous, la fornication, l'impureté», etc. (Col 3,5) Ce qu'il faut considérer dans la vie d'un homme, ce ne sont donc pas ses actions, mais ses intentions; car c'est l'intention qui est la lumière de notre âme, puisque nous pouvons savoir clairement si nous agissons avec une bonne intention, et que «tout ce qui est évident est lumière». (Ep 5)
Quant aux actions qui sont une conséquence de nos rapports avec les autres hommes, leur résultat est pour nous incertain, et c'est pour cela que Notre-Seigneur les appelle ténèbres. Par exemple, lorsque je donne de l'argent à un pauvre, puis-je savoir l'usage qu'il en va faire? Si donc votre intention qui vous est connue, vient à être ternie par des désirs terrestres, à plus forte raison cette action dont vous ignorez le résultat. Je veux que ce que vous avez fait avec une mauvaise intention soit utile à un autre, vous serez jugé sur le motif qui vous a fait agir et non sur le résultat de votre action. Si au contraire nos actions sont faites dans une intention simple, c'est-à-dire par un motif de charité, alors elles sont pures et agréables à Dieu. - S. Aug. (cont. le Mens., chap. 7). Il y a des actions qui sont évidemment péchés, on ne doit jamais les faire quelque bonne intention qu'on s'y propose; il en est qui ne sont point par elles-mêmes péchés, qui sont indif férentes et deviennent bonnes ou mauvaises, selon le motif bon ou mauvais qui les détermine; ainsi nourrir les pauvres, c'est une bonne action si on la fait par un principe de miséricorde, c'est une mauvaise action si on la fait pour satisfaire sa vanité. Quand des actions sont évi demment péchés en elles-mêmes, comme le vol, les crimes contre la pudeur et autres de ce genre, qui oserait dire qu'on peut les faire pour un bon motif, sans qu'il y ait aucune faute? Qui oserait dire: «Volons les riches, pour avoir de quoi donner aux pauvres».

S. Grég. (Moral., 28). Ou bien encore: «Si la lumière qui est en vous n'est que ténèbres, etc».,c'est-à-dire, si une intention droite et bonne au commencement de notre action vient à l'obscurcir en devenant elle-même mauvaise, combien seront ténébreuses les actions dont nous ne pouvons nous dissimuler le mal lorsque nous les faisons? - Remi. Ou bien c'est la foi qui est ici comparée à une lampe; car c'est elle qui éclaire les pas de l'homme intérieur (c'est-à-dire ses actions), pour les préserver de tout danger selon cette parole du Psalmiste (Ps 118): «Votre parole, Seigneur, est la lumière de mon âme». Si donc notre foi est pure et simple, tout notre corps sera lumineux; si elle est obscure, il sera tout entier dans les ténèbres. Ou bien enfin, par la lumière il faut entendre celui qui est chargé de diriger les fidèles, et c'est avec rai son qu'il est appelé l'oeil du corps, car il est chargé de veiller à ce que le peuple qui lui est soumis et qui est ici figuré par le corps ne manque d'aucune des choses qui peuvent être utiles à son salut. Si donc celui qui gouverne l'Église vient à s'égarer, combien plus le peuple qui est sous sa conduite sera exposé à une perte certaine.


v. 24

3624 Mt 6,24

S. Chrys. (sur S. Matth). Le Seigneur venait de dire que celui dont l'âme est soumise à l'esprit peut facilement conserver tout son corps dans la pureté, tandis que cela est impossible à celui qui n'obéit pas à l'esprit, Il en donne maintenant la raison: «Personne ne peut servir deux maîtres». - La Glose. Voici une autre manière de rattacher cette pensée à ce qui précède: «Notre-Seigneur a déclaré plus haut qu'une intention terrestre rendait mauvais ce qui était bon. On pouvait en conclure qu'il était permis de faire le bien, en vue des biens de la terre aussi bien qu'en vue des biens du ciel». Le Sauveur détruit cette erreur en ajoutant: «Personne ne peut servir deux maîtres à la fois». - S. Chrys. (hom. 22). On peut encore donner cette ex plication: Dans ce qui précède, le Sauveur a combattu la tyrannie de l'avarice par des raisons fortes et nombreuses, il lui en oppose ici de plus pressantes encore. En effet, les richesses nous sont visibles non-seulement en armant contre nous les voleurs et en répandant les ténèbres sur notre intelligence, mais encore en nous arrachant au service de Dieu, ce que Notre-Seigneur prouve par cette maxime si connue: «Personne ne peut servir deux maîtres à la fois». Il dit deux maîtres qui donnent des ordres contraires, car la bonne intelligence ne fait qu'un seul homme de plusieurs. Aussi Notre-Seigneur ajoute-t-il: «Ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il se soumettra à l'un et méprisera l'autre». Il met les deux maîtres en présence pour nous apprendre que l'on peut facilement quitter le mauvais pour le bon. Vous dites par exemple: «Je suis l'esclave des richesses par l'affection que j'ai pour elles», Le Sauveur vous montre qu'il vous est possible de changer de maître, en vous dérobant à cette servitude, et en n'ayant pour elle que du mépris.

La Glose. Ou bien encore Notre-Seigneur paraît ici faire allusion a deux espèces de servitude, l'une qui est noble et naît de l'amour, l'autre qui est servile et qui vient de la crainte. Si donc un chrétien sert par un principe d'amour l'un de ces deux maîtres opposés, il faut nécessairement qu'il ait de la haine pour l'autre; s'il agit au contraire par un motif de crainte, il ne peut supporter l'un sans mépriser l'autre. Que ce soit un objet terrestre, que ce soit Dieu, si l'un ou l'autre domine dans le coeur de l'homme, il se trouve entraîné dans une direction contraire à l'un des deux, car Dieu attire son serviteur vers les régions élevées, les choses de la terre l'entraînent vers la terre; et voilà pourquoi il conclut en disant :«Vous ne pouvez pas à la fois servir Dieu et l'argent». - S. Jér. Mammon est un mot syriaque qui signifie richesse. Que l'avare qui porte le nom de chrétien apprenne ici qu'il ne peut à la fois servir Jésus-Christ et les richesses. Et remarquez que le Sauveur ne dit pas: «Celui qui a des richesses», mais «celui qui est le serviteur et l'esclave des richesses», car celui qui en est l'esclave les garde comme fait un esclave; celui au contraire qui est affranchi de leur servitude, les distribue comme en étant le maître. - La Glose. Par Mammon on peut entendre aussi le démon qui a l'empire sur les richesses, non pas qu'il puisse les distribuer à son gré, sans que Dieu le lui permette, mais parce qu'il les fait servir à tromper les hommes. - S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 14 ou 22). Ce lui qui est l'esclave de Mammon ou des richesses devient aussi l'esclave de celui qui par sa perversité a été préposé au gouvernement des choses de la terre, et appelé par le Seigneur le prince de ce monde. Ou bien encore par ces paroles: «Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent», le Seigneur nous montre quels sont les deux seigneurs, Dieu et le démon. Or il faut nécessairement que l'homme haïsse l'un et qu'il aime l'autre, qu'il se soumette à l'un et méprise l'autre. En effet celui qui est l'esclave de l'argent souffre une dure servitude, car enchaîné par sa cupidité, il subit l'esclavage du démon, mais il ne l'aime pas; de même que celui que sa passion unit à la servante d'un autre, est soumis à une cruelle servitude, sans qu'il ait aucune affection pour celui dont il aime la servante. Remarquez que le Sauveur dit: «Et il méprisera l'autre, et non pas il le haïra». Car il n'est peut-être pas un homme qui puisse haïr Dieu dans sa conscience. Mais on peut le mépriser, c'est-à-dire ne pas le craindre lorsque sa bonté nous inspire une confiance présomptueuse.


v. 25

3625 Mt 6,25

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 22). Notre-Seigneur nous a enseigné plus haut que celui qui veut aimer Dieu et fuir ce qui l'offense, ne doit pas se flatter de pouvoir servir deux maîtres à la fois, dans la crainte que le coeur ne vienne à se partager par la recherche non du superflu, mais du nécessaire, et que pour se le procurer, l'intention ne soit détournée de sa véritable fin, il ajoute: «C'est pourquoi je vous le dis, ne soyez pas inquiets pour votre vie, de ce que vous mangerez», etc. - S. Chrys. (homél. 22). En parlant ainsi le Sauveur ne suppose pas que l'âme ait besoin de nourriture (car elle est incorporelle), mais il se sert ici d'un langage reçu; d'ailleurs l'âme ne peut rester dans le corps qu'à la condition pour celui-ci de prendre de la nourriture. - S. Aug. Ou bien l'âme est mise ici pour la vie animale. - S. Jér. Dans quelques exemplaires on lit cette addition: «Ni de ce que vous boirez». Nous ne sommes donc pas délivrés entièrement de tout soin en ce qui concerne les biens que la na ture accorde également à tous les êtres, et qui sont communs aux animaux sauvages et domes tiques aussi bien qu'aux hommes. Mais Dieu nous défend d'avoir de l'inquiétude à l'égard de notre nourriture. C'est à la sueur de notre front que nous préparons notre pain; il faut pour cela du travail, mais point de sollicitude. Ce qui est dit ici doit s'entendre de la nourriture et du vêtement de notre corps. Quant aux vêtements et à la nourriture de l'âme, ils doivent être l'objet constant de notre sollicitude.

S. Aug. (des hérés., chap. 57). On appelle Euchites (åõéôáé) certains hérétiques qui prétendent qu'il n'est pas permis à un moine de travailler pour le soutien de sa vie, et qu'ils n'embrassent eux-mêmes l'état monastique que pour s'affranchir de tout travail. - S. Aug. (Du travail des moines, chap. 1). Ils disent donc: ce n'est pas des oeuvres corporelles auxquelles se livrent les laboureurs et les artisans dont l'apôtre a voulu parler lorsqu'il a dit: «Celui qui ne veut pas travailler ne doit pas manger», (2Th 2), car il ne pouvait se mettre en contradiction avec ces paroles de l'Évangile: «C'est pourquoi je vous dis ne soyez pas inquiets»,etc. Le travail dont veut parler ici l'Apôtre, ce sont donc les oeuvres spirituelles dont il a dit ailleurs: «J'ai planté, Apollon a arrosé».Ces hérétiques prétendent ainsi obéir à la fois à la recommandation de l'Évangile et à celle de l'Apôtre en soutenant que l'Évangile nous a commandé de ne point nous inquiéter des besoins matériels de cette vie, et que c'est de la nourriture et des oeuvres spirituelles que l'Apôtre a dit: «Que celui qui ne veut pas travailler ne mange point». Il faut donc leur démontrer tout d'abord que ce sont des oeuvres corporelles que l'Apôtre recom mande aux serviteurs de Dieu. Il venait de leur dire précédemment: «Vous savez vous-mêmes ce qu'il faut faire pour nous imiter, puisque nous n'avons point causé de troubles parmi vous, nous n'avons mangé gratuitement le pain de personne, mais nous avons travaillé nuit et jour pour n'être à charge à aucun de vous, non pas que nous n'en eussions le droit, mais nous avons voulu vous donner en nous un modèle à imiter». C'est pour cela que lorsque nous étions au près de vous, nous vous déclarions que celui qui ne veut pas travailler ne doit pas manger. Que peut-on répondre à des paroles si claires, lorsque nous voyons l'Apôtre consacrer cette doc trine par son exemple, c'est-à-dire par le travail de ses mains. Ne le voyons-nous pas en effet travailler des mains dans ce passage des Actes des Apôtres (Ac 18), où il est dit: «Il resta auprès d'Aquila et de son épouse Priscilla et travailla chez eux, car leur métier était de faire des tentes ?» Et cependant le Seigneur avait établi que ce grand Apôtre, comme prédicateur de l'Évangile, comme soldat du Christ, comme planteur de la vigne et pasteur du troupeau, devait vivre de l'Évangile. Toutefois, il n'exigea pas le salaire auquel il avait droit, pour donner dans sa personne un exemple sans réplique à ceux qui étaient portés à exiger ce qui ne leur était pas dû.

Qu'ils prêtent donc l'oreille ceux qui n'ont pas le pouvoir dont l'Apôtre était revêtu, et qui ne pouvant présenter aucune oeuvre spirituelle, voudraient manger un pain qu'ils n'ont gagné par aucun travail corporel. Ils ont ce droit, s'ils sont prédicateurs de l'Évangile, ou ministres de l'autel, ou dispensateurs des sacrements. Si du moins ils possédaient dans le monde des biens qui pouvaient les faire vivre facilement sans travail, et qu'au moment de leur conversion, ils les aient distribués aux pauvres, il faut croire à leur faiblesse, y condescendre, et la supporter, sans faire attention à l'endroit qui a profité de leurs dons, puisque les chrétiens ne forment entre eux qu'une seule société. Mais quant à ceux qui viennent des champs, ou de l'atelier, ou d'une profession vulgaire pour se consacrer à Dieu dans l'état religieux, ils n'ont aucune excuse pour se dispenser du travail des mains. Est-il convenable que les artisans restent oisifs là où les sé nateurs se livrent au travail? Convient-il que des campagnards soient délicats là où les possesseurs de grands domaines ne viennent qu'après avoir quitté toutes les jouissances de la terre? Ainsi lorsque Notre-Seigneur a dit: «Ne soyez pas inquiets», son dessein n'est pas qu'on ne puisse chercher à se procurer les biens indispensables à une vie honnête, mais il défend d'avoir l'oeil fixé constamment sur ces biens, et que les prédicateurs de l'Évangile n'en fassent le but de leurs travaux évangéliques, car c'est cette intention qu'il avait appelée plus haut l'oeil du corps.

S. Chrys. (hom. 22). On peut encore établir autrement la liaison des paroles du Sauveur. Comme il venait d'enseigner le mépris des richesses, on pouvait donc dire: «Comment pour rons-nous vivre si nous abandonnons tout ce que nous possédons ?»Il répond en ajoutant: «C'est pourquoi je vous dis: Ne vous laissez pas préoccuper», etc. - La Glose. Par les soins temporels qui vous détourneraient des biens de l'éternité.

S. Jér. Il nous est défendu d'avoir de l'inquiétude à l'égard de notre nourriture, car c'est à la sueur de notre front que nous devons assurer notre subsistance. Il faut donc du travail, mais point de sollicitude. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ce ne sont pas les préoccupations de l'esprit, mais le travail de nos bras qui doit nous procurer notre pain; Dieu le donne libéralement au travail comme récompense, mais il le retire à la négligence pour la punir. Le Seigneur affermit notre espérance à cet égard, premièrement, par ce raisonnement du plus au moins, en disant: «Est-ce que la vie n'est pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement ?» - S. Jér. Celui qui vous a donné les choses les plus élevées vous refuserait-il celles qui sont de moindre importance? - S. Chrys. (sur S. Matth). S'il n'avait pas voulu conserver les êtres qui existent, il ne les aurait pas créés. Or, en leur donnant l'existence, il a établi qu'elles se conserveraient au moyen de la nourriture; il doit donc leur procurer cette nourriture, tant qu'il veut que se prolonge l'existence qu'il leur a donnée. - S. Hil. Ou bien encore, comme les pensées des infidèles sont perverties à l'égard des choses de l'autre vie et qu'ils demandent avec mauvaise foi quelle sera la forme de nos corps à la résurrection, quelle sera leur nourriture pendant l'éternité, le Seigneur met à néant ces questions aussi sottes qu'inutiles par cette ré ponse: «Est-ce que l'âme n'est pas plus que la nourriture ?»Il ne veut pas que l'espérance que nous avons de la résurrection s'arrête à ces misérables inquiétudes sur le manger, le boire et le vêtement; il ne veut pas qu'on lui fasse outrage en le croyant incapable de nous accorder ces choses si minimes, alors qu'il nous rendra et notre corps et notre âme.


vv. 26-27

3626 Mt 6,26-27

S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur vient d'affermir notre espérance par une raison du plus au moins, il la confirme maintenant par un argument du moins au plus: «Considérez les oiseaux du ciel, ils ne sèment ni ne moissonnent». - S. Aug. (Du travail des moines, chap. 23). Il en est qui prétendent n'être pas obligés au travail, parce que, disent-ils, les oiseaux du ciel ne sèment ni ne moissonnent. Pourquoi donc ne pas faire attention à ce qui suit: «Et ils n'amassent rien dans les greniers ?» Pourquoi veulent-ils avoir les mains oisives et leurs gre niers pleins? Pourquoi moudre leur blé et cuire leur pain? Car les oiseaux du ciel ne le font pas. S'ils trouvent des personnes qu'ils détermineront à leur apporter chaque jour leur nourri ture toute préparée, encore faudra-t-il qu'ils se procurent eux-mêmes de l'eau en allant la pui ser à une fontaine, à une citerne ou à un puits. S'ils ne sont même pas obligés à remplir d'eau leurs vases, ils ont vraiment un degré de perfection de plus que les fidèles de Jérusalem qui, ayant reçu le blé qui leur était envoyé de la Grèce, ont pris soin d'en faire du pain ou au moins d'en faire préparer, ce que ne font pas les oiseaux. On ne peut pas assujettir à ne rien réserver pour le lendemain ceux qui se séparent pour longtemps du commerce des hommes sans aucune relation avec eux, et qui s'enferment pour vivre appliqués tout entiers à la prière. On peut dire même que plus leur perfection est grande, plus leur conduite diffère de celle des oiseaux. Si donc Notre-Seigneur prend les oiseaux pour terme de comparaison, c'est pour ne laisser à personne la pensée que Dieu puisse refuser le nécessaire à ses serviteurs, puisque sa providence s'étend jusque sur les oiseaux. Car il ne faut pas croire que ce n'est pas Dieu lui-même qui nourrit ceux qui travaillent de leurs propres mains. Ainsi, parce que Dieu dit: «Invoquez-moi au jour de la tribulation et je vous en délivrerai», on ne doit pas en conclure que l'Apôtre ne devait pas recourir à la fuite, mais qu'il devait attendre qu'il fût saisi et que Dieu vînt le déli vrer, comme il avait délivré les trois jeunes hommes de la fournaise. Les saints pourraient ré pondre à ceux qui leur feraient cette difficulté, qu'ils ne doivent pas tenter Dieu, mais que c'est à lui, s'il le veut, de les délivrer, comme il a délivré Daniel des lions et saint Pierre de ses liens, alors qu'ils étaient eux-mêmes dans l'impossibilité de le faire. Que si Dieu, au contraire, leur donne les moyens de fuir et qu'ils échappent ainsi au danger, c'est encore à lui seul qu'ils attri buent leur délivrance. Par la même raison, si des serviteurs de Dieu sont capables de gagner leur vie de leur travail personnel et que l'Évangile en main on vienne leur objecter l'exemple les oiseaux du ciel qui ne sèment ni ne moissonnent, ils répondront facilement: «Si nous étions réduits à l'impuissance de travailler par suite de quelque maladie ou de quelque occupation, Dieu sans doute nous nourrirait comme les oiseaux du ciel qui ne travaillent pas. Mais puisque nous pouvons travailler, nous ne devons pas tenter Dieu, car cette puissance même que nous avons vient de sa bonté; tant que nous vivons, notre vie vient de la même source que cette puissance, et nous sommes nourris par celui qui nourrit les oiseaux du ciel, comme Notre-Seigneur le dit: «Et votre Père céleste les nourrit; n'êtes-vous pas beaucoup plus qu'eux ?» etc. - S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 22). C'est-à-dire, vous êtes d'un prix plus élevé, parce que l'homme, animal raisonnable, occupe dans la nature un rang supérieur aux animaux sans raison, comme les oiseaux.

S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 11, chap. 16). Cependant un cheval coûte ordinairement plus cher qu'un esclave, et une pierre précieuse plus cher qu'une servante; mais ce n'est pas une appréciation raisonnable, c'est la nécessité ou le plaisir qui leur donne cette valeur. - S. Chrys. (sur S. Matth). Tous les animaux ont été faits pour l'homme; mais l'homme a été fait pour Dieu et Dieu prend d'autant plus soin de l'homme qu'il occupe un rang plus élevé dans la création. Si donc les oiseaux trouvent leur nourriture sans travailler, pourquoi l'homme ne la trouverait-il pas, lui à qui Dieu a donné la science du travail et l'espérance du succès ?

S. Jér. Il en est qui, en voulant dépasser les limites respectées par nos pères et s'élever vers les hauteurs, tombent dans les abîmes. Ils prétendent que les oiseaux du ciel sont les anges et les autres puissances célestes qui exécutent les ordres de Dieu et qui sont nourris par la Provi dence divine sans aucun souci de leur part. S'il en est ainsi, comment expliquer les paroles suivantes qui s'appliquent nécessairement aux hommes: «Est-ce que vous n'êtes pas plus qu'eux ?» Il faut donc entendre ce passage tout simplement en ce sens que si, sans peine et sans préoccupation de leur part, la Providence de Dieu nourrit les oiseaux qui sont aujourd'hui et demain ne seront plus, elle fera bien plus pour les hommes à qui l'éternité est promise.

S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth). On peut dire aussi que dans cette comparaison des oiseaux le Sauveur nous instruit par l'exemple des esprits impurs qui, sans aucun travail pour chercher ou amasser leur nourriture, reçoivent cependant leur subsistance par un effet des conseils éternels de Dieu, et c'est pour confirmer ce rapport aux esprits impurs qu'il ajoute: «N'êtes vous pas plus qu'eux ?»montrant ainsi par une comparaison frappante la différence qui existe entre la malice et la sainteté.

La Glose. Ce n'est pas seulement par l'exemple des oiseaux, c'est encore par notre propre expérience que le Sauveur nous enseigne que pour exister et pour vivre, nos soins personnels ne suffisent pas, mais qu'il faut encore l'action de la divine Providence. «Qui donc d'entre vous peut ajouter par son intelligence une coudée à sa taille ?» - S. Chrys. (sur S. Matth). C'est Dieu qui chaque jour donne l'accroissement à votre corps sans que vous puissiez vous en rendre compte. Si donc la Providence de Dieu travaille tous les jours en vous à l'accroissement de votre corps, c omment restera-t-elle inactive devant de véri tables nécessités? Mais comment vous-mêmes, si tous les efforts de votre pensée ne peu vent ajouter la plus petite partie à votre corps, pourrez-vous le sauver tout entier ?
- S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 23). Ou bien ces paroles se rapportent à ce qui suit de cette manière: «Une preuve que ce n'est pas votre sollicitude qui a fait parvenir votre corps à sa taille ac tuelle, c'est que, même quand vous le voudriez, vous ne pourriez lui ajouter une coudée; lais sez donc le soin de couvrir votre corps à celui qui a su lui donner une taille aussi élevée». - S. Hil. De même qu'il s'est servi de l'exemple des esprits pour appuyer notre foi en la Provi dence à l'égard des nécessités de la vie, ainsi c'est en invoquant l'opinion commune qu'il nous fait connaître l'état qui nous attend après la résurrection. Puisque Dieu doit un jour ressusciter tous les corps qui ont en vie et en ramener la diversité à l'unité d'un homme parfait, et que seul il peut ajouter à la taille de chacun, une, deux ou trois coudées, n'est-ce pas lui faire outrage que d'être inquiet à l'égard du vêtement, c'est-à-dire de l'extérieur de notre corps, alors qu'il doit ajouter à la taille de tous les corps humains ce qui sera nécessaire pour établir l'égalité entre tous les hommes.

S. Aug. (Cité de Dieu, chap. 15). Si le Christ est ressuscité avec cette taille qu'il avait au mo ment de sa mort, on ne peut dire qu'au jour de la résurrection générale il paraîtra avec une taille gigantesque, différente de celle qui était connue des Apôtres. Si, au contraire, nous pré tendons que tous les corps d'une taille plus grande ou plus petite seront élevés ou raccourcis à sa taille, un grand nombre de corps perdront de leur volume, contrairement à la promesse qu'il nous a faite que pas un cheveu de notre tête ne périrait. Disons donc que chacun ressuscitera avec la taille qu'il avait dans sa jeunesse, s'il est mort dans un âge avancé, et avec celle qu'il aurait eue s'il est mort auparavant. L'Apôtre n'a pas dit: «Dans la mesure de la taille», mais: «Dans la mesure de l'âge parfait du Christ (Ep 4,13)», parce que, en effet, les corps ressusciteront dans cet âge de jeunesse et de force auquel nous savons que le Christ est parve nu.


vv. 28-30

3628 Mt 6,28-30

S. Chrys. (hom. 23). Après nous avoir enseigné à bannir toute sollicitude pour la nourriture, Notre-Seigneur passe à une autre nécessité moins importante, le vêtement; car le vêtement n'est pas d'une aussi pressante nécessité que la nourriture. «Et pourquoi vous inquiétez-vous pour le vêtement ?» il ne se sert plus ici de la comparaison tirée des oiseaux, bien que quel ques-uns, comme le paon et le cygne, eussent pu lui servir d'exemple, mais il choisit les lis en disant: «Considérez les lis des champs». Il veut faire ressortir l'inépuisable richesse de la Providence divine à l'aide de ces deux choses :la magnificence et l'éclat des lis, et la faiblesse de ces êtres que Dieu revêt d'une si éclatante splendeur.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 14 ou 23). Il ne faut point interpréter trop subtilement ces divins enseignements dans un sens allégorique et rechercher ce que signifient ici les oiseaux du ciel ou les lis des champs. Le Sauveur n'a recours aux comparaisons qu'il emprunte à la nature extérieure que pour nous aider à comprendre des choses d'un ordre plus élevé. - S. Chrys. (sur S. Matth). Au temps marqué par la Providence, les lis déploient leurs feuilles, se revêtent de blancheur, se remplissent de parfums, et ce que la terre n'avait pu donner à la racine, Dieu le lui communique par une opération invisible. Tous reçoivent avec une égale abondance, pour qu'on n'y voie pas un effet du hasard, mais le résultat d'une disposition de la Providence de Dieu. Par ces paroles: «Ils ne labourent pas»,Notre-Seigneur encoura ge les hommes; par ces autres: «Ni ils ne filent point», il ranime la confiance des femmes (cf. Pv 30) ».

S. Chrys. (hom. 23). Cette doctrine du Sauveur ne tend pas à interdire le travail, mais la solli citude, comme lorsqu'il a dit plus haut: «Les oiseaux ne sèment point». - S. Chrys. (sur S. Matth). Et pour faire ressortir davantage cette Providence qui surpasse toutes les inventions de l'industrie humaine, il ajoute: «Je vous déclare que Salomon», etc. - S. Jér. En effet, quelle soierie, quelle pourpre royale, quel riche tissu peut soutenir la comparaison avec les fleurs? Quel rouge plus vif que celui de la rose et quelle blancheur plus éclatante que celle du lis? Aucune pourpre ne peut l'emporter sur la violette, c'est une vérité qui n'a pas besoin de démonstration, il suffit d'avoir des yeux pour s'en convaincre. - S. Chrys. (hom. 23). Il y a en tre la richesse des vêtements et celle des fleurs, la différence qui sépare le mensonge de la ré alité. Si donc la magnificence de Salomon, le plus splendide des rois, a été surpassée par celle des fleurs, comment la richesse de vos vêtements pourra-t-elle effacer leur éclat? Et cet éclat des fleurs a triomphé de la magnificence de Salomon, non pas une ou deux fois, mais pendant toute la durée de son règne; c'est ce qu'indiquent ces mots: «Dans toute sa gloire»,car pas même un seul jour il ne put atteindre la riche parure des fleurs. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien Notre-Seigneur parle ainsi parce que Salomon, sans travailler pour se procurer des vê tements, donnait cependant des ordres en conséquence. Or, le commandement est presque toujours accompagné de colère dans celui qui le fait, et de froissement dans celui qui l'exécute; les fleurs, au contraire, reçoivent leur riche parure sans même qu'elles y pensent. - S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth). Ou bien, par les lis, on peut entendre les célestes clartés des an ges, que Dieu lui-même revêt d'une gloire éblouissante. Ils ne travaillent ni ne filent, car la grâce qui a, dès leur origine, assuré le bonheur des anges, se répand sur tous les moments de leur existence, et comme après la résurrection les hommes seront semblables aux anges, Notre-Seigneur, en faisant briller à nos yeux l'éclat des vertus célestes, a voulu nous faire espérer ce vêtement de gloire éternelle.

S. Chrys. (sur S. Matth). Si Dieu revêt avec tant de magnificence les fleurs qui ne naissent que pour satisfaire un instant les yeux et périr presque aussitôt après, pourra-t-il oublier les hommes, qu'il a créés non pour apparaître un instant, mais pour exister éternellement. C'est cette vérité dont il veut nous convaincre en ajoutant: «Si donc Dieu prend soin de vêtir ainsi l'herbe des champs qui est aujourd'hui et qui demain sera jetée au four, combien prendra-t-il plus soin de vous, hommes de peu de foi ?» - S. Jér. Le mot demain, dans l'Écriture, signi fie le temps qui suit: «Ma justice m'exaucera demain (Gn 30) », dit Jacob. - La Glose. D'autres exemplaires portent: «Dans le feu, ou dans un de ces tas d'herbes enflam mées qui ressemblent à un four. - S. Chrys. (homél. 23).» Le Sauveur ne leur donne déjà plus le nom de lis, c'est l'herbe des champs, pour montrer leur chétive nature. Il la fait encore ressortir davantage, en ajoutant, non pas: «Qui ne seront plus demain», mais ce qui exprime bien plus leur peu de valeur. «Qui seront jetés au four». Ces paroles: «A combien plus forte raison» nous donnent à entendre ce qui fait l'honneur du genre humain, comme si le Sauveur disait: «Vous à qui Dieu a donné une âme, dont il a formé le corps, à qui il a envoyé ses prophètes et livré son Fils unique». Il dit: «De peu de foi», car la foi qui ne s'étend pas même à des choses aussi minimes est une foi bien faible. - S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth). Ou bien encore, sous cette figure de l'herbe des champs, on peut voir les Gentils. Si donc l'existence éternelle ne leur est accordée que pour devenir les victimes du feu du jugement, que les saints sont coupables de douter de l'éternité glorieuse, alors que Dieu donne aux méchants, pour leur punition, une existence éternelle ?

Remi. Dans le sens spirituel, on peut entendre ici par les oiseaux du ciel les saints qui sont régénérés dans les eaux sacrées du baptême, et que la piété porte à mépriser les choses de la terre et à soupirer après celle du ciel. Notre-Seigneur dit que les Apôtres sont plus que les oi seaux du ciel, parce qu'ils sont les chefs de tous les saints. Les lis figurent encore les saints qui, par la foi seule et sans le travail des cérémonies légales, ont su plaire à Dieu, et on peut leur appliquer ces paroles: «Mon bien-aimé qui se nourrit parmi les lis».Les lis sont encore la figure de l'Église à cause de la blancheur éblouissante de la foi et du parfum de la bonne vie, et c'est d'elle qu'il est dit: «Elle est comme le lis parmi les épines». L'herbe des champs figure les infidèles dont il est écrit: «L'herbe s'est desséchée et la fleur est tombée»; et le four, la damnation éternelle en ce sens: «Si Dieu n'a pas refusé aux infidèles les biens du temps, à combien plus forte raison nous accordera-t-il ceux de l'éternité ?»



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