Catena Aurea 3721
3721 Mt 7,21-23
S. Jér. Notre-Seigneur nous a commandé d'éviter ceux qui, sous les dehors de la vertu, professent des doctrines perverses; ici, au contraire, il nous apprend à ne pas nous confier à ceux dont la doctrine est irréprochable, mais qui la détruisent par des oeuvres mauvaises. Les serviteurs de Dieu doivent nécessairement réunir ces deux choses: soutenir leurs oeuvres par leurs discours, appuyer leurs discours par leurs oeuvres. C'est pour cela qu'il ajoute: «Ce n'est pas celui qui me dit: Seigneur», etc. - S. Chrys. (hom. 25). Le Sauveur paraît ici faire allusion aux Juifs, pour qui les croyances étaient tout, et que saint Paul réprimande en ces termes: «Si vous, qui vous appelez Juifs, et qui vous reposez sur la loi», etc.
S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore, après nous avoir appris à reconnaître, d'après leurs fruits, les vrais et les faux prophètes, il nous enseigne ici plus clairement quels sont ces fruits qui peuvent nous servir à discerner les bons et les mauvais docteurs. - S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 39). Il faut prendre garde, en effet, qu'à la faveur du nom du Christ les hérétiques, ceux qui comprennent aussi mal la vérité, ou les partisans de ce monde, ne cherchent à nous tromper. C'est pour cela qu'il ajoute: «Tous ceux qui me disent: Seigneur, Seigneur», etc. Mais ici se présente une difficulté; comment concilier avec cette maxime ces paroles de l'Apôtre: «Personne ne peut dire: Seigneur Jésus, si ce n'est dans l'Esprit saint»; car nous ne pouvons admettre que ceux qui n'entrent pas dans le royaume des cieux aient en eux ce divin Esprit. L'Apôtre saint Paul a employé ici le mot dire dans un sens propre pour exprimer la volonté, l'intelligence de celui qui prononce ces paroles; parce qu'en effet celui-là seul parle dans le sens vrai du mot dont la parole exprime la pensée et l'intention. Le Seigneur, au contraire, a pris le mot dire dans son sens général. Celui, en effet, qui ne veut ni ne comprend ce qu'il dit paraît aussi parler dans un certain sens. - S. Jér. C'est l'ordinaire des Écritures de prendre les paroles pour les actions, et c'est dans ce sens que l'Apôtre dit: «Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs oeuvres».
S. Amb. (cf. 1 Cor 12) On peut dire aussi que toute vérité, quelle que soit la bouche qui la profère, vient de l'Esprit saint. - S. Aug. (serm. sur la mont). N'allons pas croire que pour produire les fruits dont le Sauveur a parlé plus haut, il suffise de dire à Dieu: «Seigneur, Seigneur», et d'avoir par là même l'apparence d'un bon arbre. Ces fruits consistent à faire la volonté de Dieu, comme l'indiquent les paroles suivantes: «Mais celui qui fait la volonté de mon Père», etc. S. Hil. (can. 6 sur S. Matth). C'est l'obéissance à la volonté de Dieu et non l'emploi répété de son nom qui nous fait trouver le chemin qui conduit au ciel. - S. Chrys. (sur S. Matth). Or, quelle est cette volonté de Dieu? Le Seigneur nous l'enseigne lui-même lorsqu'il nous dit: «La volonté de mon Père qui m'a envoyé est que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle». Le mot croire comprend ici la profession extérieure et les oeuvres de la foi. Celui donc dont la foi ou dont la vie n'est pas conforme à la parole du Christ, n'entrera pas dans le royaume de Dieu. - S. Chrys. (hom. 25 sur S. Matth). Il ne dit pas: «Celui qui fait ma volonté», mais: «Celui qui fait la volonté de mon Père», car c'était ce qu'il convenait d'abord de proposer à leur faiblesse; mais par l'une de ces vérités il insinue l'autre indirectement, la volonté du Fils n'étant pas autre que celle du Père.
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 40). On peut rattacher à cette question l'avertissement suivant: Nous ne devons pas nous laisser tromper, d'abord par ceux qui, se couvrant du nom du Christ, invoquent ce nom sans en pratiquer les oeuvres; mais nous devons encore nous défier de certains prodiges, de certains miracles tels que le Seigneur en opère en faveur des infidèles, tout en nous avertissant de ne pas nous laisser surprendre et de ne pas croire que ces miracles soient l'indice certain d'une sagesse intérieure et invisible: c'est pourquoi il ajoute: «Plusieurs me diront en ce jour-là», etc. - S. Chrys. (hom. 10). Voyez comme le Sauveur se produit insensiblement en termes encore voilés. Il a complété son enseignement comme maître; il s'annonce maintenant comme juge. Il a déclaré plus haut que le châtiment était réservé à ceux qui pèchent; il fuit connaître maintenant celui qui doit infliger ce châtiment par ces paroles: «Plusieurs me diront en ce jour-là».
S. Chrys. (sur S. Matth). C'est-à-dire alors qu'il viendra dans la majesté de son Père (cf. Lc 9,26), alors que personne n'osera défendre le mensonge ou contredire la vérité à l'aide de dis cussions bruyantes; alors que les oeuvres de tous les hommes parleront et que leurs bouches seront muettes; alors que personne n'osera intervenir pour un autre, et que tous trembleront pour leur propre compte. Car dans ce jugement, les témoins ne seront pas les hommes enclins à la flatterie, mais les anges amis de la vérité, et le juge sera le Seigneur, la justice même. Le Sauveur a parfaitement exprimé les angoisses et l'effroi qu'éprouveront alors les hommes, en leur faisant répéter deux fois: «Seigneur, Seigneur», car celui qui est en proie à une forte crainte ne se contente pas de dire une seule fois: «Seigneur». - S. Hil. Ils prétendent que leur droit à la gloire leur vient de l'efficacité de leur parole, de leur esprit prophétique, du pou voir qu'ils avaient de chasser les démons, et d'opérer d'autres prodiges semblables, et c'est pour cela qu'ils s'adjugent le royaume des Cieux par ces paroles: «Est-ce que nous n'avons pas prophétisé en votre nom ?»
S. Chrys. (sur S. Matth). Il en est qui croient que ce langage était un mensonge dans leur bouche, et que c'est la raison pour laquelle ils ont été rejetés. Mais on ne peut supposer qu'ils aient porté l'audace jusqu'à mentir devant leur juge; d'ailleurs la question comme la réponse prouvent qu'ils ont réellement opéré ces prodiges. Tandis qu'ils avaient été sur la terre l'objet de l'admiration par les miracles qu'ils opéraient aux yeux de tous, ils se voient punis dans l'autre vie, et dans leur étonnement ils disent: «Seigneur, n'avons-nous pas fait beaucoup de miracles en votre nom, etc? (cf. 1 Cor 12, 10) » Quelques auteurs prétendent que ce n'est pas dans le temps qu'ils opéraient des prodiges, mais par la suite, qu'ils se rendaient coupables d'iniquité. Mais alors que devient cette vérité que le Seigneur veut établir que sans la vertu, ni la foi, ni les miracles n'ont de valeur à ses yeux? C'est ce que saint Paul enseigne par ces paroles: «Quand j'aurais toute la foi possible, jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien». - S. Chrys. (sur S. Matth). Remarquez qu'ils ne disent pas: «dans l'esprit», mais «au nom», car s'ils prophétisent au nom du Christ, c'est dans l'esprit du démon, comme font les devins. Or le signe auquel on peut les reconnaître, c'est que les oracles du démon sont souvent faux, ce qu'on ne peut jamais dire de ceux de l'Esprit saint. Dieu a permis au démon de dire quelquefois la vérité, de manière qu'il pût donner par ce rare mélange quelque valeur à ses mensonges. Ils chassent aussi les démons au nom de Jésus-Christ, tout en ayant l'esprit même de son ennemi; ou plutôt ils les chassent en apparence et non en réalité, les démons étant en parfaite intelligence entre eux; ils opèrent aussi des prodiges, c'est-à-dire des miracles, sans utilité, sans nécessité, et qui ne sont pas moins nuisibles que frivoles. - S. Aug. (serm. sur la mont). Lisez pour vous en convaincre les prodiges que les Mages d'Égypte ont opérés dans un esprit d'opposition à Moïse (Ex 7, 11.22; 8, 7).
S. Jér. Ou bien encore: Prophétiser, faire des miracles, chasser les démons, n'est pas toujours l'effet des mérites de celui qui opère ces prodiges; c'est à l'invocation du nom de Jésus-Christ qu'il faut les attribuer, et Dieu les permet ou pour la condamnation de ceux qui invoquent ce nom, ou pour l'utilité de ceux qui en sont témoins, car tout en méprisant ceux qui font ces miracles, ils honorent Dieu par l'invocation duquel s'opèrent d'aussi grands prodiges. Saül (1S 10), Balaam (Nb 23), Caïphe (Jn 11), n'ont-ils pas prophétisé? Dans les Actes des Apôtres ne voyons-nous pas les enfants de Sceva chasser les démons (Ac 19), et Judas lui-même n'a-t-il pas fait plusieurs miracles avec les autres apôtres, quand son âme était déjà ouverte à la trahison? - S. Chrys. (hom. 25 sur S. Matth). Tous n'avaient pas toutes les qualités au même degré de perfection: les uns menaient il est vrai une vie pure, mais sans avoir une foi aussi grande; pour les autres c'était le contraire. Dieu convertissait donc les premiers par les seconds et les amenait à faire profession d'une foi plus vive; et par le don ineffable des prodiges qu'il accordait aux autres, il les appelait à devenir plus vertueux, et il leur communiquait ce pouvoir avec une grande libéralité, comme eux-mêmes le proclament: «Nous avons fait beaucoup de miracles». Mais parce qu'ils n'ont eu que de l'ingratitude pour celui qui les avait ainsi comblés d'honneur, le Seigneur leur fait cette déclaration: «Alors je leur dirai hautement: Je ne vous ai jamais connus». - S. Jér. C'est avec intention qu'il se sert de cette expression: «Je leur dirai hautement», car il a gardé le silence pendant bien long temps. - S. Chrys. (sur S. Matth). Une aussi grande sévérité devait être précédée par une grande patience, pour rendre ainsi plus juste le jugement de Dieu, et plus mérité le châtiment des pécheurs. Or il faut se rappeler que Dieu ne connaît pas les pécheurs en ce sens qu'ils ne sont pas dignes d'être connus de lui; on ne peut pas dire qu'il ne les connaît pas du tout, mais il ne les connaît pas pour siens. Dieu par sa nature connaît tous les hommes, mais il paraît ne pas connaître ceux qu'il n'aime pas, de même qu'on peut dire de ceux qui ne lui rendent pas le culte qui lui est dû, qu'ils ne le connaissent pas. - S. Chrys. (homél. 25). Il leur dit: «Je ne vous ai jamais connus :» non seulement au jour du jugement, mais alors même qu'ils fai saient des miracles, car il en est beaucoup qui sont pour Dieu un objet de haine dès ici-bas, et dont il se détourne avant de les punir. - S. Jér. Remarquez que ces paroles «Je ne vous ai jamais connus» sont une réfutation de ceux qui prétendent que tous les hommes ont toujours vécu comme il convient à des créatures raisonnables. - S. Grég. (cf. Jb 30) Cette sentence doit nous apprendre que c'est l'humble charité et non l'éclat des miracles qui a droit à notre vénération. Aussi la sainte Église n'a-t-elle que du mépris pour les miracles des hérétiques, parce qu'elle sait qu'ils ne sont pas une marque de sainteté; en effet la preuve de la sainteté n'est pas de faire des miracles, c'est d'aimer le prochain comme soi-même, d'avoir sur Dieu des idées vraies et des autres une opinion plus favorable que de soi-même. - S. Aug. (contre l'ennemi de la loi et des proph., liv. 2, chap. 4). A Dieu ne plaise que nous admettions avec les Manichéens, que le Seigneur ait voulu parler des saints prophètes; il n'est ici question que de ceux qui plus tard, après la prédication de l'Évangile, se sont imaginé qu'ils parlaient en son nom, alors qu'ils ne savaient ce qu'ils disaient. - S. Hil. (can. 6 sur S. Matth). Les hypocrites se glorifient de la sorte comme s'ils étaient les auteurs des choses merveilleuses qu'ils disent ou qu'ils opèrent, et qu'on ne dût pas les attribuer tout entières à la puissance divine qu'ils invoquent. La lecture du saint Évangile mettra cette doctrine dans tout son jour, alors qu'on y verra le nom de Jésus-Christ tourmenter les démons. C'est donc à nous de mériter cette bienheureuse éternité, et nous devons coopérer à notre salut, en voulant le bien, en évitant le mal, et en faisant plutôt ce que demande la volonté de Dieu, que ce que réclame notre gloire personnelle. Il les repousse donc, il les rejette à cause de leurs oeuvres d'iniquité. «Retirez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité». - S. Jér. Comme il ne veut pas détruire le mérite du re pentir il ne dit pas: Vous qui avez commis l'iniquité, mais vous qui la commettez, qui jusqu'à ce jour, jusqu'à l'heure même du jugement, conservez encore l'affection, le désir du péché, alors même que vous n'en avez plus le pouvoir.
S. Chrys. (sur S. Matth). En effet, la mort sépare l'âme du corps, mais elle ne change pas les dispositions de l'âme.
3724 Mt 7,24-27
S. Chrys. (hom. 25). Il devait s'en trouver qui tout en admirant la doctrine du Sauveur refuseraient de se déclarer ses disciples par les oeuvres; il leur inspire donc par avance une salutaire frayeur par ces paroles: «Tout homme donc qui entend mes paroles, et les pratique, sera comparé à l'homme sage». - S. Chrys. (sur S. Matth). Il ne dit pas: Je tiendrai pour un homme sage celui qui entend ces paroles et les pratique, mais il sera comparé à un homme sage. Donc celui qui est comparé, c'est l'homme. A qui est-il comparé? Au Christ. Le Christ est donc cet homme sage qui a bâti sa maison, son Église, sur la pierre, c'est-à-dire sur la force de la foi. L'insensé, c'est le démon, qui a bâti sa maison, l'assemblée des impies, sur le sable, c'est-à-dire sur la terre sans consistance de l'infidélité, ou sur les hommes charnels, qu'il a comparés au sable à cause de leur stérilité, de leur défaut d'union entre eux, de la diversité des opinions qui les divisent, comme aussi de leur multitude innombrable. La pluie, c'est la doctrine dont l'esprit de l'homme est comme arrosé; les nuages sont les sources qui répandent la pluie. Ces nuages sont souvent poussés par l'Esprit saint comme les apôtres et les prophètes; d'autres suivent l'impulsion du démon, ce sont les hérétiques. Les vents favorables sont les esprits qui inspirent les différentes vertus, ou bien les anges qui agissent d'une manière invisible sur les sens de l'homme pour les amener à faire le bien. Les vents mauvais sont les esprits impurs, les fleuves salutaires sont les évangélistes et les docteurs, et les fleuves dont les eaux sont désastreuses, ceux qui sont remplis de l'esprit immonde, dont toute la science consiste dans des discours sans fin, comme les philosophes et les maîtres de la science profane, du sein desquels coulent des fleuves d'une eau morte. Or l'Église que le Christ a fondée n'est ni corrompue par la pluie d'une doctrine de mensonge, ni ébranlée par le souffle du démon, ni agitée par la violence des fleuves impétueux. On ne peut pas opposer à cette doctrine que plusieurs de ceux qui sont dans l'Église s'en séparent et tombent: car tous ceux qui portent le nom de chrétiens n'appartiennent pas à Jésus-Christ, mais le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent (cf. 2Tm 2,19). Quant à la maison bâtie par le démon, la pluie de la vraie doctrine est tombée sur elle; les vents, c'est-à-dire les anges ou les grâces spirituelles; les fleuves, c'est-à-dire les quatre évangélistes et les autres sages sont venus fondre sur elle, et cette maison, c'est-à-dire la gentilité, est tombée pour faire place à Jésus-Christ qui s'est élevé sur ses ruines; et sa ruine a été grande, toutes les erreurs ayant été dissipées, le mensonge confondu, et les idoles détruites sur toute la face de la terre. Celui donc qui écoute les paroles de Jésus-Christ et les met en pratique est semblable au Christ, car il bâtit sur la pierre, c'est-à-dire sur le Christ, qui est le principe de tout bien; de manière que tout homme qui construit sur le bien de quelque nature qu'il soit, construit sur Jésus-Christ. Or de même que l'Église bâtie par Jésus-Christ ne peut être renversée, de même le chrétien dont nous parlons qui a construit sur Jésus-Christ ne peut être renversé par aucune adversité d'après ces paroles: «Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ». Au contraire, celui qui entend les paroles du Sauveur et ne les met pas en pratique, est semblable au démon. Les paroles qu'on écoute sans les mettre en pratique sont bientôt séparées et dispersées, et c'est pour cela qu'on les compare au sable. Le sable, c'est toute espèce de malice, ou encore tous les biens de la terre; or de même que la maison du démon est bientôt renversée, ainsi tombent et sont détruits ceux qui ont assis les fondements de leur édifice sur le sable. La ruine est grande si elle atteint les fondements de la foi; elle est moins grande si on s'est rendu coupable de fornication et d'homicide, car on peut alors se relever par la pénitence, à l'exemple de David.
Rab. Ou bien cette grande ruine c'est celle à laquelle Notre-Seigneur condamne ceux qui auront écouté ses enseignements sans les pratiquer, lorsqu'il leur dira: «Allez au feu éternel» (Mt 25). - S. Jér. Ou bien encore, tout enseignement des hérétiques qui ne s'élève que pour tomber, est bâti sur le sable, qui est mouvant et n'est point capable de cohésion. - S. Hil. (can. 6 sur S. Matth). Ou bien les pluies sont une figure des séductions flatteuses des voluptés qui se glissent insensiblement par toutes les fentes ouvertes, et commencent par rendre la foi moins ferme; puis vient le choc impétueux des fleuves ou des torrents, c'est-à-dire des passions plus criminelles; puis enfin les vents se déchaînent dans toute leur violence, c'est-à-dire que le souffle de la puissance du démon entre tout entier dans l'âme. - S. Aug. (serm. sur la mont). Ou bien encore la pluie, lorsqu'elle est prise au figuré, en mauvaise part, représente la superstition couverte de ténèbres; les bruits confus du monde sont comparés aux vents; et les fleuves aux passions charnelles qui s'écoulent aussi sur la terre; et celui qui se laisse entraîner par la prospérité, se laisse aussi briser par le malheur. Au contraire rien de tout cela n'est à craindre pour celui dont la maison est bâtie sur la pierre, c'est-à-dire qui, non content d'écouter les préceptes du Seigneur, se fait un devoir de les accomplir. Dans toutes ces circonstances on s'expose à de grands dangers lorsqu'on écoute la parole de Dieu sans la pratiquer, car on ne peut affermir dans son âme les vérités que Dieu nous fait connaître, ou les préceptes qu'il nous donne, que par la pratique. Or remarquez qu'en disant: «Celui qui entend ces paroles que je viens de dire», Jésus-Christ nous fait suffisamment entendre que ce discours comprend tous les préceptes destinés à former à la vie chrétienne, à toute perfection, de manière que ceux qui voudront en faire la règle de leur vie sont comparés avec raison à celui qui bâtit sur la pierre.
3728 Mt 7,28-29
La Glose. Jésus-Christ ayant complété son enseignement, l'Évangéliste nous montre l'effet de sa doctrine sur la foule par ces paroles: «Et il arriva lorsqu'il eut achevé», etc. - Rab. Cette dernière expression nous représente la perfection des paroles du Sauveur, et l'excellence de ses préceptes. Cette remarque faite par l'Évangéliste que les peuples étaient dans l'admiration se rapporte ou aux infidèles qui étaient dans l'étonnement, parce qu'ils ne croyaient pas aux paroles du Sauveur, ou tous ceux en général qui admiraient en lui la supériorité d'une sagesse aussi sublime. - S. Chrys. (sur S. Matth). Si les raisons que l'on présente à l'esprit de l'homme sont de nature à le satisfaire, elles obtiennent ses louanges; si elles triomphent de lui, elles excitent son admiration, car tout ce que nous ne pouvons louer comme il le mérite, nous l'admirons. Leur admiration cependant était bien plutôt un témoignage de la gloire de Jésus-Christ que de leur foi, car s'ils avaient cru en Jésus-Christ, ils ne l'auraient pas tant admiré. En effet qu'est-ce qui excite d'ordinaire cette admiration mêlée d'étonnement? Ce qui surpasse la puissance de celui qui agit ou qui parle: aussi ne sommes-nous pas étonnés des paroles ou des oeuvres de Dieu, car elles sont toutes inférieures à sa puissance. C'était la foule qui était dans l'admiration, c'est-à-dire le vulgaire, et non les princes du peuple, qui n'écoutaient pas avec le désir d'apprendre. Le peuple simple au contraire écoutait avec simplicité, et son silence eût été troublé par les contradictions des princes du peuple, s'ils avaient été présents; car plus il y a de science, plus la malice est grande, celui qui s'empresse trop d'être le premier ne pouvant se contenter d'être au second rang.
S. Aug. (De l'acc. des Ev., liv. 2, chap. 19). De ce qui est dit ici on peut conclure que l'Évangéliste veut parler de la foule des disciples, dans le grand nombre desquels il en avait choisi douze à qui il donna le nom d'Apôtres, circonstance qu'omet saint Matthieu (cf. Lc 6,12), car Notre-Seigneur Jésus-Christ paraît n'avoir adressé qu'à ses disciples qui étaient sur la montagne ce discours que saint Matthieu insère ici et sur lequel saint Luc garde le silence. Et lorsque ensuite il fut descendu, il en tint un autre semblable sur lequel saint Matthieu se tait et que rapporte saint Luc. On peut dire aussi comme plus haut que Notre-Seigneur n'a prononcé devant les Apôtres et le reste de la foule qu'un seul et même discours que saint Matthieu et saint Luc rapportent de la même manière, quant aux vérités qu'il renferme quoique sous une forme différente. Ainsi s'explique naturellement l'admiration de la foule.
S. Chrys. (hom. 26). L'Évangéliste indique la cause de cette admiration: «Car il les enseignait», etc. Si lorsque cette puissance se manifestait par des oeuvres, les scribes repoussaient le Christ loin d'eux, combien plus auraient-ils été scandalisés, alors que cette puissance ne se déclarait que par de simples paroles. Mais la foule n'éprouva pas cette impression; car, lors qu'une âme veut le bien, elle se laisse facilement persuader aux enseignements de la vérité. Notre-Seigneur manifestait cette puissance d'enseignement en captivant un grand nombre de ceux qui l'écoutaient, et en excitant leur admiration. Aussi le charme de ses paroles était si grand qu'ils ne voulaient pas le quitter, alors même qu'il avait cessé de parler, et c'est pour quoi ils le suivirent lorsqu'il descendit de la montagne. Ce qui les étonnait davantage dans cette puissance, c'est que Notre-Seigneur ne rapportait pas à un autre l'objet de son enseignement, comme Moïse et les prophètes, mais qu'il déclarait en toute circonstance qu'il était le souve rain Maître; en effet, il ne porte aucune loi sans cette formule: «Pour moi, je vous dis», etc. - S. Jér. C'est comme étant le Dieu et le Maître de Moïse lui-même que, dans la plénitude de sa liberté, il ajoutait à la loi ce qui devait lui donner plus de clarté, ou même qu'il la chan geait dans ses prédications au peuple, ainsi que nous l'avons vu plus haut: «Il a été dit aux anciens: Pour moi, je vous dis». Les scribes, au contraire, ne faisaient qu'enseigner ce que contenaient les écrits de Moïse et des prophètes.
S. Grég. (cf. Jb 33) (Moral., liv. 23, chap. 7). Ou bien Jésus-Christ a eu ce privilège spécial de parler avec un pouvoir légitime, parce qu'il n'y a jamais en chez lui ni faute ni faiblesse. Pour nous, qui sommes faibles, consultons notre faiblesse pour apprendre d'elle ce que nous devons enseigner à nos frères faibles comme nous. - S. Hil. (can. 6 sur S. Matth). Ou bien ils mesuraient l'effet de son pouvoir sur la vertu de ses paroles. - S. Aug. (serm. sur la mont). C'est ce qui est ainsi figuré dans ces paroles des Psaumes: «J'agirai à son égard avec confiance; les paroles du Seigneur sont des paroles chastes, de l'argent éprouvé par le feu, passé par le creuset, purifié sept fois».
C'est ce nombre sept qui m'a donné la pensée de rapporter tous ces préceptes aux sept maxi mes qui forment l'exorde de ce discours, c'est-à-dire aux béatitudes. En effet, qu'un homme se mette en colère contre son frère, qu'il lui dise raca ou qu'il le traite de fou, c'est l'effet d'un grand orgueil contre lequel il n'y a qu'un remède, implorer de Dieu le pardon avec un esprit suppliant qui n'ait aucune enflure, aucun sentiment d'ostentation. «Bienheureux donc les pau vres d'esprit, parce que le royaume de Dieu leur appartient». On se montre d'accord avec son adversaire, c'est-à-dire qu'on rend à la parole de Dieu le respect qui lui est dû en s'approchant pour ouvrir le testament du Père céleste non pas avec amertume et le désir de la chicane, mais avec la douceur qu'inspire la piété: «Bienheureux donc ceux qui sont doux parce qu'ils pos séderont la terre». Que celui qui sent l'attrait des voluptés sensuelles se révolter contre la droite volonté s'écrie: «Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de la mort de ce corps ?» (Rm 7,24) et que par ses larmes il implore le secours de Dieu son consolateur. «Bienheureux donc ceux qui pleurent parce qu'ils seront consolés». Que peut-on imaginer de plus dur que de triompher d'une habitude vicieuse en retranchant en soi les membres qui sont un obstacle à ce royaume des cieux, et cela sans être brisé par la douleur; de supporter dans l'union conjugale toutes les choses qui n'ont pas le caractère de la fornication quoiqu'elles soient souverainement pénibles, de dire toujours la vérité, et de ne point l'appuyer sur des ser ments faits à tout propos, mais sur l'intégrité des moeurs? Mais qui osera se dévouer à de si grands travaux, sans être enflammé de l'amour de la justice, et comme dévoré par la faim et par une soif ardente? Bienheureux sont ceux qui ont faim et soif, parce qu'ils seront rassa siés». Qui sera toujours prêt à suppo rter les outrages de ceux qui sont faibles, à donner à celui qui lui demande, à aimer ses ennemis, à faire du bien à ceux qui le haïssent, à prier pour ceux qui le persécutent, si ce n'est celui qui sera parfaitement miséricordieux? «Bienheureux donc les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde». Pour avoir l'oeil du coeur pur, il ne faut point se proposer pour fin de ses bonnes oeuvres le désir soit de plaire aux hommes, soit de pourvoir aux nécessités de la vie, ni condamner témérairement les intentions du prochain, et dans tout ce qu'on fait pour lui, il faut agir comme on voudrait qu'il agit à notre égard. «Bienheureux donc ceux qui ont le coeur pur», etc. Il faut encore qu'à l'aide d'un coeur pur nous trouvions la voie étroite de la sagesse, que les séductions des esprits pervers veulent nous dérober. Si on parvient à les éviter, on est sûr d'arriver à la paix que donne la sagesse. «Bienheureux donc les pacifiques». Mais soit qu'on admette cette liaison d'idées, soit qu'on en préfère un autre, c'est une obligation pour nous de mettre en pratique les préceptes que nous avons reçus du Seigneur, si nous voulons bâtir sur la pierre.
3801 Mt 8,1-4
S. Jér. Après la prédication et l'exposé de la doctrine, l'occasion se présente de faire des miracles pour confirmer par leur vertu et par leur éclat les enseignements du Sauveur. - S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur enseignait comme ayant autorité; mais pour ôter toute apparence d'ostentation à cette manière d'enseigner, il la con tinue dans ses oeuvres miraculeu ses, où il fait éclater le pouvoir qu'il avait de guérir; c'est pourquoi l'Évangéliste dit: «Jésus étant descendu de la montagne, une grande foule de peuple le suivait». - Orig. Tandis que le Seigneur enseignait sur la montagne il n'avait avec lui que ses disciples auxquels il avait été donné de connaître les secrets de la céleste doctrine; maintenant qu'il descend de la montagne, il est suivi par la foule qui n'avait pu monter avec lui, car celui qui est accablé du fardeau de ses péchés ne peut point gravir les sublimes hauteurs des mystères. Mais lorsque le Seigneur descend et s'abaisse jusqu'à l'infirmité, jusqu'à l'impuissance des autres hommes, et qu'il a pitié de leurs imperfections et de leurs faiblesses, une grande foule de peuple le suit, les uns par un sentiment de charité, la plupart attirés par sa doctrine, quelques-uns parce qu'il les guéris sait et prenait soin d'eux.
Haym. Ou bien encore, par cette montagne sur laquelle le Seigneur s'assied, il faut entendre le ciel dont il est écrit: «Le ciel est mon trône». Lorsque le Seigneur est assis sur la monta gne, ses disciples seuls s'approchent de lui, car avant qu'il se fût revêtu de notre nature fragile, Dieu n'était connu que dans la Judée. Mais lorsqu'il descendit des hauteurs de sa divinité pour prendre les faiblesses de notre humanité, les nations le suivirent en foule. Il apprend ainsi aux docteurs à suivre dans leurs prédications un genre tempéré, et à toujours annoncer la parole de Dieu de la manière qu'ils jugeront plus propre à la faire comprendre. Les docteurs montent sur la montagne lorsqu'ils enseignent aux plus parfaits les préceptes les plus sublimes, et ils en des cendent lorsqu'ils développent à ceux qui sont plus faibles, les devoirs plus faciles de la vie chrétienne.
S. Chrys. (sur S. Matth). Parmi ceux qui ne purent gravir la montagne, se trouvait le lépreux qui ne pouvait monter, accablé sous le poids de ses péchés, car le péché de nos âmes est une véritable lèpre. Notre-Seigneur descend donc des hauteurs du ciel comme d'une montagne élevée pour guérir la lèpre de nos péchés, et le lépreux se présente à lui comme s'il attendait qu'il fût descendu; c'est pourquoi il est dit: «Et voici qu'un lépreux venant à lui». - Orig. (homél. 51). Jésus guérit lorsqu'il est descendu, et il n'opère aucun prodige sur la montagne, car toute chose a son temps sous le ciel; il y a le temps de la doctrine, et le temps de la guéri son des malades. Sur la montagne il a enseigné, il a pris soin des âmes, il a guéri les coeurs; après ces oeuvres spirituelles, comme il est descendu des hauteurs des cieux pour sauver des hommes revêtus d'une chair mortelle, voici qu'un lépreux vient à lui et l'adore. Avant de rien demander, il l'adore, et professe ainsi les sentiments de religion qui l'animent. - S. Chrys. (sur S. Matth). Il ne demandait point sa guérison au Seigneur comme à un homme habile dans l'art de guérir, mais il l'adorait comme Dieu. Ce qui rend la prière parfaite c'est la foi et la confession que nous en faisons; aussi le lépreux satisfait au précepte de la foi en adorant, et il accomplit l'obligation de la confession par le langage qu'il tient. «Il l'adorait en lui disant:» - Orig. (homél. 5). Seigneur, c'est par vous que toutes choses ont été faites; si vous voulez, vous pouvez me guérir; vouloir et faire sont pour vous une même chose, et toutes les oeuvres obéissent à votre volonté. Vous avez autrefois guéri de la lèpre Naaman le Syrien par le prophète Élisée, et si vous le voulez maintenant, vous pouvez aussi me guérir. - S. Chrys. (hom. 26 sur S. Matth). Il ne dit pas: «Si vous le demandez à Dieu», ou bien «si vous recourez à la prière», mais: «si vous le voulez, vous pouvez me guérir», il ne dit pas non plus: «Seigneur, guérissez-moi», mais il s'abandonne entièrement à lui, le proclame maître absolu, et confesse que sa puissance s'étend à toutes choses. - S. Chrys. (sur S. Matth). Au médecin spirituel, il offre une récompense spirituelle; on re connaît les services des médecins avec de l'argent; c'est par la prière qu'on s'acquitte à l'égard de ce divin médecin des âmes, car nous ne pouvons rien offrir à Dieu qui soit plus digne de lui qu'une prière dictée par la foi. Lorsque le lépreux dit à Jésus: «Si vous voulez», ce n'est pas qu'il doute que la volonté du Sauveur ne soit disposée à toute sorte de bonnes oeu vres; mais comme la santé du corps n'est pas utile à tous, il ne savait pas si la guérison lui se rait avantageuse. Il lui dit donc: «Si vous le voulez», c'est-à-dire je crois que vous ne pouvez vouloir que ce qui est bon, mais j'ignore si ce que je demande l'est également.
S. Chrys. (hom. 26). Il pouvait guérir ce lépreux par le seul acte de sa volonté, ou par une seule parole; cependant il veut y employer les mains et le toucher. «Et ayant étendu la main, il le toucha». C'est ainsi qu'il fait voir qu'il n'est pas soumis à la loi, et que rien n'est impur pour celui qui est pur lui-même. Élisée au contraire, pour se conformer aux prescriptions de la loi, ne sortit pas de sa demeure pour toucher Naaman, il se contenta de l'envoyer se laver dans le Jourdain. Le Seigneur prouve que ce n'est pas comme serviteur, mais comme maître qu'il touche et guérit; car sa main ne fut point souillée par l'attouchement de la lèpre, mais le corps souillé de lèpre fut purifié par le contact de cette main si pure. En effet le Sauveur n'est pas venu seulement pour guérir les corps, mais aussi pour conduire les âmes vers la véritable sa gesse. De même donc qu'il ne défendait plus de manger sans s'être lavé les mains, de même il nous apprend ici que nous ne devons redouter que la lèpre de l'âme, c'est-à-dire le pêché, et que la lèpre du corps n'est en aucune façon un obstacle pour la vertu.
S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur paraît violer la lettre de la loi, mais il en respecte l'intention. La loi en effet défendait de toucher la lèpre, parce qu'il était impossible que celui qui la touchait ne fût pas atteint de la contagion. Le but de cette défense n'était donc point de mettre obstacle à la guérison du lépreux, mais de garantir de cette maladie contagieuse ceux qui seraient tentés de le toucher. Or le Sauveur en touchant la lèpre n'en fut pas atteint, au contraire il la guérit par ce contact, et par là même ilnous apprend qu'il n'y a que la lèpre de l'âme qui soit à craindre. - S. Jean Damas.Il n'était pas seulement Dieu, il était homme aussi, et c'est pourquoi il opérait les miracles par l'intermédiaire du toucher et de la parole, car son corps lui servait comme d'instrument pour l'accomplissement de ces actions toutes divines. - S. Chrys. (hom. 24). Personne encore ne l'accuse de toucher un lépreux, car l'envie ne s'était pas encore emparée de ceux qui venaient l'entendre. - S. Chrys. (sur S. Matth). S'il l'avait guéri sans parler, qui aurait pu savoir à quelle puissance était due cette guérison? Notre-Seigneur avait la volonté de guérir, c'était pour le lépreux; il prononce une parole de gué rison, c'est pour ceux qui sont présents: «Je le veux, soyez guéri». - S. Jér. La plupart des interprètes latins unissent ensemble, mais à tort, ces deux mots en leur donnant ce sens: «Je veux guérir»; il faut les séparer de cette manière: Notre-Seigneur dit d'abord: «Je le veux», puis il ajoute cette parole de commandement: «Soyez guéri». En effet l e lépreux avait dit: «Si vous le voulez»; Notre-Seigneur lui répond: «Je le veux»; il avait dit: «Vous pouvez me guérir»; le Sauveur répond: «Soyez guéri».
S. Chrys. (hom. 26). Nous ne voyons pas que dans les actions les plus éclatantes, le Seigneur ait jamais prononcé ce mot: «Je le veux»; il l'emploie dans cette circonstance pour affermir l'opinion que le peuple et le lépreux avaient de sa puissance. -
S. Chrys. (homél. 26). La nature obéit à ce commandement avec une respectueuse promptitude, comme l'indiquent les paroles suivantes: «Et aussitôt sa lèpre fut guérie»; mais ce mot «aussitôt» ne saurait ex primer la rapidité de cette guérison. -
Orig. (homél. 5). Le lépreux n'a point hésité à croire, sa guérison ne se fait pas attendre; il n'a point différé de professer sa foi, il est immédiatement purifié. - S. Aug. (de l'arc. des Evang., liv, 2, chap. 19). Saint Luc rapporte aussi la guérison de ce lépreux, mais dans un autre endroit. Il suit en cela la méthode des Évangélistes qui pla cent plus loin dans leur récit ce qu'ils ont omis précédemment, ou qui racontent par anticipa tion ce qui n'est arrivé que plus tard, suivant en cela l'inspiration divine qui leur faisait écrire de souvenir ce qu'ils avaient appris auparavant.
S. Chrys. (hom. 26). Après avoir opéré cette guérison, Jésus défend au lépreux d'en parler à personne. Et Jésus lui dit: «Gardez-vous de parler de ceci à personne». Quelques-uns préten dent qu'il lui fit cette défense afin que la malignité ne pût s'emparer contre lui de cette guéri son, ce qui n'a pas de sens. En effet en guérissant ce lépreux, a-t-il laissé le moindre doute sur sa guérison? Si donc il lui défend d'en parler, c'est pour nous apprendre à éviter l'ostentation et la vaine gloire. Lors donc qu'il commande à un autre malade qu'il avait guéri de publier sa guérison, c'est pour nous enseigner que nous devons avoir une âme reconnaissante, car ce n'est pas sa propre gloire, mais celle de Dieu, qu'il lui ordonne de publier. Par l'un de ces deux infirmes, le lépreux, il nous apprend donc à fuir la vaine gloire; par l'autre, à éviter l'ingratitude et à tout rapporter à la gloire de Dieu. - S. Jér. Et en effet, quelle nécessité de publier de vive voix ce que la guérison de son corps faisait assez connaître? - S. Hil. (can. 7 sur S. Matth). Ou bien le silence lui est commandé parce que cette guérison ne lui est accordée qu'après qu'il l'a demandée.
«Mais allez, montrez-vous au prêtre». - S. Jér. Il l'envoie se présenter aux prêtres, premiè rement pour lui faire pratiquer l'humilité par cet acte de déférence à leur égard; secondement pour sauver les prêtres eux-mêmes, s'ils voulaient croire au Sauveur du monde, et les rendre inexcusables s'ils ne voulaient pas croire; et en même temps pour prévenir le reproche qu'ils lui firent si souvent de violer la loi. - S. Chrys. (homél. 26). Il ne la violait pas toujours, de même qu'il ne l'observait pas en toute circonstance; mais tantôt il en négligeait les prescriptions pour ouvrir la voie à la sagesse de l'avenir, tantôt il les observait pour réprimer les discours insolents des Juifs, et condescen dre à leur faiblesse. C'est pour la même raison que nous voyons les apôtres garder quelquefois, et quelquefois laisser de côté les observances de la loi. - Orig. (homél. 5). Ou bien il envoie ce lépreux se présenter aux prêtres pour qu'ils reconnaissent que ce n'est point par la vertu ordinaire de la loi, mais par l'efficacité de la grâce, qu'il a obtenu sa guérison.
S. Jér. La loi ordonnait à ceux qui avaient été guéris de la lèpre d'offrir des présents aux prêtres. C'est pour cela que Notre-Seigneur ajoute: «Et offrez le don prescrit par Moïse afin qu'il leur serve de témoignage». - S. Chrys. (sur S. Matth). Il ne faut pas entendre ces paroles en ce sens que Moïse ait prescrit cette offrande pour servir de témoignage aux prêtres. Notre-Seigneur dit: «Allez et offrez ce don pour qu'il leur serve de témoignage. - S. Chrys. (hom. 26). Le Sauveur prévoyait qu'ils ne tireraient aucun profit de ce miracle, aussi ne dit-il pas: «Pour les rendre meilleurs», mais «pour être un témoignage» (c'est-à-dire un chef d'accusation et de preuve) que j'ai fait tout ce que je devais faire. Il a bien prévu en effet qu'ils ne réformeraient pas leur vie, il n'a pas laissé de faire ce qu'il jugeait nécessaire. Mais pour eux ils ont persévéré dans la malice qui leur était propre. Il ne dit pas non plus: «Le don que je prescris», mais, «le don que prescrit Moïse»; il les renvoie ainsi de temps en temps à la loi pour fermer la bouche des méchants. Il ne veut pas qu'on puisse dire qu'il a ravi aux prêtres la gloire qui leur appartenait; il accomplit l'oeuvre de la guérison, mais il leur laisse le soin d'en constater la preuve. - Orig. (homél, 5). Ou bien, offrez votre présent, afin que tous ceux qui vous verront accomplir cette prescription croient au miracle de votre guérison.
S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore, il lui ordonne de faire l'offrande prescrite, afin que si plus tard les prêtres avaient l'intention de le chasser, il pût leur dire: «Vous avez accepté mon offrande, comme venant d'un homme parfaitement guéri; pourquoi donc me chassez-vous aujourd'hui comme lépreux ?» - S. Hil. (can. 7 sur S. Matth). - Ou bien encore, on peut admettre ce sens: «Que Moïse a ordonné comme témoignage pour eux», car ce que Moïse a ordonné dans la loi, n'est pas un effet mais un témoignage.
Bède. (Dimanche 3 après l'Epiph). Peut-être sera-t-on surpris de ce que Notre-Seigneur paraît ici approuver le sacrifice prescrit par Moïse et que l'Église n'admet pas; qu'on se rappelle donc que le Sauveur n'avait pas encore offert par sa passion son corps en holocauste. Or il entrait dans les desseins de Dieu que les sacrifices figuratifs fussent offerts jusqu'au temps où la divinité de celui qu'ils figuraient eût été annoncée par la prédication des Apôtres, et reconnue par la foi de tous les peuples. Or cet homme qui était non-seulement lépreux, mais d'après saint Luc tout couvert de lèpre (Lc 5), est la figure du genre humain; car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu (Rm 3), c'est-à-dire qu'ils ont besoin que le Sauveur étende sur eux la main (par l'incarnation du Verbe de Dieu uni à la nature humaine) pour les guérir des vanités de leurs anciennes erreurs. C'est ainsi qu'après avoir été longtemps un objet d'abomination et d'horreur et rejetés hors du camp du peuple de Dieu, il leur est enfin permis d'entrer dans le temple, et de venir offrir leur corps comme une hostie vivante à celui dont le roi-prophète a dit: «Tu es prêtre pour l'éternité» (Ps 109).
Remi. Le lépreux, au sens moral, signifie le pécheur; car le péché rend l'âme impure et la couvre de mille plaies. Le pécheur se prosterne aux pieds de Jésus-Christ, lorsqu'il est confus des péchés qu'il a commis; cependant il doit les confesser, et demander le remède de la péni tence, à l'exemple du lépreux qui découvre ses plaies et en la guérison. Le Seigneur étend la main lorsqu'il accorde le secours de sa divine miséricorde, qui est immédiatement suivi de la rémission des péchés. Le pécheur toutefois ne doit être réconcilié à l'Église que par le jugement du prêtre.
Catena Aurea 3721