Catena Aurea 3805

vv. 5-9

3805 Mt 8,5-9

S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur, après avoir enseigné ses disciples sur la montagne, et guéri ce lépreux lorsqu'il fut descendu dans la plaine, vient à Capharnaüm pour y accomplir un mystère, celui de la guérison des Gentils, qui vient après celle des Juifs. - Haym. Capharnaüm, dont le nom signifie la terre de l'abondance ou le champ de la consolation, figure l'Église formée par la réunion des Gentils. C'est elle qui est remplie de cette abondance spiri tuelle dont il est dit (Ps 62): «Que mon âme soit remplie et comme rassasiée et comme engraissée»; elle qui au milieu des tribulations de cette vie reçoit les consolations célestes dont parle le même roi-prophète: «Vos consolations ont réjoui mon âme» (Ps 93). C'est pour cela que l'Évangéliste nous dit: «Lorsqu'il fut entré à Capharnaüm, le centurion s'approcha de lui».

S. Aug. (serm. 6 sur les paroles du Seign). Ce centurion était Gentil d'origine, car déjà la Ju dée était occupée par les armées romaines. - S. Chrys. (sur S. Matth). Il fut le premier fruit de la foi chez les Gentils, et en comparaison de sa foi, celle des Juifs ne fut qu'incrédulité. Il n'avait pas entendu les enseignements du Sauveur, il n'avait pas été témoin de la guérison du lépreux, mais à peine l'eut-il apprise que sa foi alla bien au delà de ce qu'on lui racontait. Il était en cela la figure de ces nations qui devaient croire dans la suite sans avoir lu ni la loi ni les prophéties qui annonçaient le Christ, et sans l'avoir vu lui-même opérer des prodiges. Il s'approche donc de lui et lui fait cette prière: «Seigneur, mon serviteur est couché et ma lade de paralysie dans ma maison, et il souffre extrêmement». Voyez la bonté du centu rion qui se hâte plein de sollicitude pour la santé de son serviteur. Ce n'est pas un intérêt d'argent, c'est sa vie même que la mort de son serviteur semble devoir compromettre. Il ne fait aucune différence entre le maître et le serviteur; car quoiqu'ils n'aient ni la même dignité, ni le même rang dans le monde, ils ont une même nature. Mais voyez aussi la foi de ce centurion, qui ne dit pas: «Venez et sauvez-le», car tout en étant pour lors dans cet endroit, le Seigneur était présent en tout lieu; admirez en même temps sa sagesse, car il ne lui dit pas: «Sauvez-le sans quitter d'ici». Il savait en effet que sa puissance peut tout, que sa sagesse comprend tout, et que sa miséricorde est toujours prête à nous exaucer. Il se contente donc de lui exposer l'infirmité de son serviteur en lui disant: «Et il souffre extrêmement», et il laisse le choix du remède à sa puissance miséricordieuse. On voit par là qu'il aimait son serviteur, car on s'imagine toujours que celui qu'on aime, quelque légère que soit son indisposition, est plus mal qu'il ne l'est en réalité. - Rab. Il accumule avec douleur tous ces mots: gisant, paralytique, souffrant, pour exprimer les angoisses de son âme et émouvoir le Seigneur. C'est ainsi que tous les maîtres doivent compatir aux souffrances de leurs serviteurs et en prendre soin.

S. Chrys. (hom. 27). Il en est qui prétendent qu'en parlant de la sorte le centurion donne la raison pour laquelle il n'a point amené son serviteur, car il n'était pas possible de transporter un homme brisé par ses souffrances et presque au dernier soupir. Pour moi je vois dans ces paroles l'indice d'une grande foi: le centurion savait qu'une parole seule suffirait pour guérir ce paralytique, et il regardait comme inutile de l'amener à Jésus. - S. Hil. (can. 7 sur S. Matth). Au sens spirituel on doit regarder les Gentils comme des malades en ce monde, anéan tis sous le poids des maladies suites de leurs péchés, à qui leurs membres languissants et sans vigueur ne permettent ni de se soutenir ni de marcher. Le mystère de leur guérison s'accomplit dans le serviteur du centurion, qui, comme nous l'avons dit suffisamment, est le chef des na tions qui devaient embrasser la foi. Quel est ce chef? Le cantique de Moïse dans le Deutéronome nous l'apprend par ces paroles: «Il a marqué les bornes des nations d'après le nombre des anges de Dieu. (Dt 32,8) - Remi. Ou bien le centurion figure les premiers qui crurent parmi les nations et qui pratiquèrent les vertus chrétiennes dans la perfection. Car on appelle centurion celui qui commande à cent hommes, et le nombre cent est un nombre parfait. C'est donc avec raison que le centurion prie pour son serviteur, de même que les prémices des na tions prièrent le Seigneur pour le salut de toute la Gentilité.

S. Jér. Notre-Seigneur voyant la foi, l'humilité et la prudence du centurion, promit aussitôt d'aller lui-même guérir son serviteur. Et Jésus lui dit: «J'irai et je le guérirai». - S. Chrys. (hom. 27). Jésus fait ici ce qu'il n'a jamais fait jusqu'à présent. Partout ailleurs nous le voyons suivre la volonté de ceux qui s'adressent à lui; ici il la prévient; il promet au centurion non-seulement de guérir, mais d'aller visiter lui-même son serviteur, voulant ainsi nous faire connaître la foi du centurion.

S. Chrys. (sur S. Matth). En effet, si le Sauveur ne lui avait pas dit: «J'irai et je le guéri rai», jamais le centurion n'eût répondu: «Je ne suis pas digne». C'est aussi parce qu'il le prie pour son serviteur, que Notre-Seigneur promet d'aller le visiter, et il nous apprend ainsi à ne pas cultiver l'amitié des grands en méprisant les petits, mais à honorer également les pau vres et les riches. Nous trouvons admirable la foi du centurion qui crut que son serviteur paralytique pouvait être guéri par le Sauveur; son humilité n'est pas moins éclatante lorsqu'il se reconnaît indigne que le Seigneur entre dans sa maison. Et le centurion lui répondit: «Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit». - Rab. (cf. Lc 7) La conscience qu'il avait de sa vie païenne lui fit craindre que cette condescendance du Seigneur ne fût pour lui plutôt un fardeau qu'un secours; car s'il croyait en lui, il n'avait cependant pas encore été re nouvelé par les sacrements. - S. Aug. (serm. 6 sur les paroles du Seign). En proclamant son indignité, il s'est rendu digne de voir entrer non pas dans sa maison, mais dans son coeur, le Christ Verbe de Dieu. Il n'eût point tenu un tel langage, s'il n'avait déjà porté dans son coeur celui qu'il craignait de voir entrer dans sa maison, et son bonheur eût été beaucoup moins grand si Jésus fût entré dans sa maison sans entrer dans son âme.

Sever. Dans le sens mystique, ce toit, cette demeure, c'est le corps qui sert d'enveloppe à l'âme et qui par un dessein du ciel couvre à tous les regards la liberté de l'âme. Or Dieu ne dédaigne pas de faire sa demeure dans notre chair mortelle, ni d'entrer sous le toit de notre corps. - Orig. (homél. 5). Et maintenant encore lorsque de saints et vertueux prêtres entrent dans votre maison, le Seigneur y entre avec eux, et c'est lui-même que vous devez considérer dans leur personne. Et encore lorsque vous mangez le corps du Seigneur et que vous buvez son sang, c'est également le Seigneur qui entre sous votre toit; humiliez-vous donc en sa pré sence, et dites: «Seigneur, je ne suis pas digne», etc. Car lorsqu'il entre dans une âme qui est indigne de le recevoir, il n'y entre que pour sa condamnation. -
S. Jér. Le centurion nous fait voir la sagesse qui l'anime en pénétrant au delà de l'enveloppe du corps pour voir la divinité qu'elle recouvrait; c'est pour cela qu'il ajoute: «Mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri». - S. Chrys. (sur S. Matth). Il savait qu'autour de lui se tenaient invisiblement rangés les anges pour le servir, pour accomplir chacun de ses ordres, et qu'à leur défaut, les maladies disparaissent devant ses paroles pleines de vie. - S. Hil. (can. 7 sur S. Matth). Le centurion dit qu'une seule parole peut guérir son serviteur, parce que le salut des nations dépend tout entier de la foi, et que la vie de tous les hommes est dans l'accomplissement des préceptes du Seigneur; aussi ajoute-t-il: «Car quoique je ne sois moi-même qu'un homme soumis au pouvoir, ayant des soldats sous moi, je dis à l'un: allez, et il va; et à l'autre: venez, et il vient; et à mon serviteur: faites cela, et il le fait», - S. Chrys. (sur S. Matth). Le centurion, sous l'inspiration de l'Esprit saint, retrace ici le mystère des relations du Père et du Fils, comme s'il disait: «Quoique je sois placé sous la puissance d'un autre, j'ai cependant le pouvoir de commander à ceux qui sont sous moi: et vous aussi, quoique soumis à votre Père en tant qu'homme, vous avez cependant le pouvoir de commander aux anges». Sabellius, qui ne veut pas faire de distinction entre le Père et le Fils, voudrait nous donner cette explication: «Si moi, qui suis placé sous la puissance d'un autre, je puis cependant commander; à plus forte raison, vous qui n'êtes sous la puissance de per sonne». Mais le texte lui-même est contraire à cette interprétation: car le centurion ne dit pas: «Si moi qui suis un homme soumis à l'autorité», mais: «car moi qui suis un homme soumis à la puissance d'un autre», paroles qui prouvent qu'il a voulu faire un raisonnement non pas de disparité, mais bien de similitude entre Jésus-Christ et lui. - S. Aug. (serm. sur les paroles du Seig). Si moi qui suis soumis à l'autorité d'un autre, j'ai le pouvoir de commander, que ne pouvez-vous pas, vous de qui relèvent toutes les puissances? - La Glose. Vous pouvez, par le ministère des anges et sans vous rendre présent, dire à la maladie de se retirer et elle se retirera; à la santé de venir, et elle viendra.

Haym. On peut voir dans les serviteurs du centurion les vertus naturelles qui brillaient dans un grand nombre de Gentils, ou bien les pensées bonnes et les pensées mauvaises. Aux unes nous devons dire: retirez-vous, et elles se retireront; aux autres: venez, et elles viendront; nous devons également commander à notre serviteur, c'est-à-dire à notre corps, de se soumet tre à la volonté de Dieu.

S. Aug. (de l'accord des Evang.; liv. 2, chap. 20). Le récit de saint Matthieu paraît ici en opposition avec celui de saint Luc (Lc 7), où nous lisons: «Le centurion, ayant entendu parler de Jésus, lui envoya quelques-uns des anciens d'entre les Juifs, le priant de venir et de guérir son serviteur»; et plus loin: «comme il était peu éloigné de la maison, le centurion lui envoya ses amis pour lui dire: «Seigneur, ne vous donnez pas cette peine, car je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison». - S. Chrys. (hom. 27). Quelques interprètes pen sent que ce n'est pas le même personnage dont il est question dans ces deux récits, et cette opinion ne manque pas de probabilité. En effet, les Juifs parlant de l'un, disent à Jésus: Il a construit notre Synagogue, et il aime notre nation», tandis que le Sauveur lui-même a fait de l'autre cet éloge: «Je n'ai pas trouvé autant de foi dans Israël», paroles qui feraient sup poser qu'il était Juif. Pour moi, je pense que c'est le même dont parlent les deux Évangélistes. (cf. Jn 4,43-54) Lorsque saint Luc raconte qu'il envoya prier Jésus de venir, il a voulu faire ressortir les bonnes dispositions des Juifs pour cet officier: car il est probable que le centurion voulant lui-même faire cette démarche en fut empêché par les Juifs qui s'empressèrent de lui dire: Nous irons nous-mêmes, et nous vous l'amènerons. Mais lorsqu'il fut débarrassé de leurs instances il envoya dire au Sauveur: «Ne pensez pas que c'est par indifférence que je ne suis pas venu en personne, c'est que je me jugeais indigne de vous recevoir dans ma maison». Que saint Matthieu lui fasse tenir ce langage à lui-même sans l'intermédiaire de ses amis, il n'y a pas de contradiction, les deux Évangélistes expriment le vif désir de cet homme, et l'idée juste qu'il se faisait du Christ. On peut encore admettre qu'après avoir envoyé ses amis, il vint en personne exprimer les mêmes sentiments. Si saint Luc omet un détail, et saint Matthieu un autre, ils ne sont pas pour cela en contradiction, mais ils complètent réciproquement leurs récits. - S. Aug. (de l'acc. des Evange., liv. 2, chap. 20). Saint Matthieu ne nous a pas raconté la dé marche que le centurion avait faite près de Jésus par l'intermédiaire d'autres personnes, parce que son dessein était de faire ressortir sa foi (qui donne accès auprès de Dieu) et dont le Sau veur a fait ce magnifique éloge: «Je n'ai pas trouvé même dans Israël une si grande foi». Saint Luc au contraire ra conte le fait dans tous ses détails pour nous faire comprendre de quelle manière cet homme vint trouver Jésus selon le récit de saint Matthieu, qui n'a pu nous tromper. - S. Chrys. (hom. 27). Il n'y a point non plus de contradiction à dire d'un côté que cet homme a élevé une synagogue et de l'autre qu'il n'était pas israélite, car il peut très bien se faire que sans être Juif il eût construit une synagogue et qu'il aimât la nation juive.


vv. 10-13

3810 Mt 8,10-13

S. Chrys. (hom. 27). Le lépreux avait confessé la puissance de Jésus-Christ en lui disant: «Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir», et Notre-Seigneur avait confirmé ces paroles en lui répondant: «Je le veux, soyez guéri»; de même ici, non-seulement il ne blâme pas, mais il relève avec éloge le témoignage que le centurion vient de rendre à sa puissance. Il fait même quelque chose de plus, car l'Évangéliste, voulant faire ressortir l'étendue de cet éloge, ajoute: «Jésus, entendant ces paroles», etc. - Orig. Considérez la grandeur, l'excellence de ce que le Fils unique de Dieu, Dieu lui-même, daigne admirer. L'or, les riches ses, les royaumes, les empires sont devant lui comme une ombre ou comme une fleur qui tombe. Aucune de ces choses n'a droit à l'admiration de Dieu par sa grandeur ou par son prix; la foi seule a ce privilège, il l'admire, il lui rend hommage, il proclame qu'elle lui est agréable.

S. Aug (sur la Genése contre les Manich., liv. 1, chap. 8). Mais qui avait produit en lui cette foi, si ce n'est Dieu même qui l'admirait? Et si un autre que lui en était l'auteur, pourquoi donc admirer ce qu'il avait dû prévoir? Si donc le Seigneur donne ces marques d'admiration, c'est pour nous apprendre à ressentir nous-mêmes ces sentiments d'admiration dont nous avons encore besoin. Pour Jésus-Christ, au contraire, ces mouvements n'étaient pas le signe d'une âme agitée, mais ils tenaient à la forme même de son enseignement. - S. Chrys. (hom. 27). Voilà pourquoi l'Évangéliste nous dit qu'il fut dans l'admiration en présence de tout le peuple, afin de lui donner l'exemple: «Et il dit à ceux qui le suivaient; Je vous le dis en véri té», etc. - S. Aug. (contre Fauste, liv. 22, chap. 74). Il fit l'éloge de sa foi, mais il ne lui commanda pas d'abandonner la carrière des armes. - S. Jér. Notre-Seigneur ne parle ici que de ceux qui vivaient alors, et non pas de tous les patriarches et de tous les prophètes des temps anciens. - S. Chrys. (sur S. Matth). En effet, André crut en Jésus-Christ, mais à la parole de Jean qui lui disait: «Voici l'Agneau de Dieu». Pierre crut également, mais sur le témoignage d'André; Philippe crut aussi, mais après avoir lu les Écritures, et Nathanaël n'offrit à Jésus l'hommage de sa foi qu'après avoir reçu de lui une preuve de sa divinité. - Orig. (hom. 25). Jaïre, un des princes d'Israël, venant prier Jésus pour sa fille, ne lui dit pas: «Dites seulement une parole», mais: «Venez au plus vite». Nicodème, écoutant les divines leçons du Sauveur sur le mystère de la foi, s'écria: «Comment cela peut-il se faire ?» Marthe et Marie disent à Jésus: «Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne fut pas mort», et elles semblent douter que la puissance divine pût s'étendre à tous les lieux.

S. Chrys. (sur S. Matth). Si nous voulons reconnaître dans le centurion une foi plus grande que dans les Apôtres, il nous faut entendre le témoignage de Jésus-Christ en ce sens que le bien dans un homme doit se mesurer à sa position personnelle; c'est ainsi que nous admirons une parole sage dans la bouche d'un homme sans instruction, tandis qu'elle n'aura rien d'étonnant dans celle d'un philosophe. C'est dans ce sens que Jésus a dit du centurion: «Je n'ai trouvé nulle part autant de foi dans Israël». - S. Chrys. En effet, la foi n'avait ni la même facili té, ni le même mérite pour un juif et pour un païen.

S. Jér. Ou bien peut-être dans la personne du centurion, le Sauveur exalte la foi des Gentils au-dessus de celle d'Israël, comme paraissent l'indiquer ces paroles: «Je vous le dis en véri té, plusieurs viendront de l'Orient». - S. Aug (serm. sur les par. du Seig). Il ne dit pas tous, mais un grand nombre, et de l'Orient comme de l'Occident, c'est-à-dire de l'univers en tier, qui est désigné par ces deux parties du monde. - Haym. Ou bien ceux qui viennent de l'Orient sont ceux qui abandonnent le monde immédiatement après avoir été éclairés des lumiè res de la foi; ceux qui viennent de l'Occident sont ceux qui ont souffert persécution pour la foi jusqu'à la mort. Ou bien encore, celui-ci vient de l'Orient parce qu'il a commencé à servir Dieu dès son enfance; celui-là vient de l'Occident lorsqu'il se convertit à Dieu dans son extrême vieillesse. - Orig. (hom. 5). Mais comment Notre-Seigneur dit-il ailleurs qu'il y en a peu d'élus? C'est qu'en effet dans chaque génération il y a un petit nombre d'élus, mais au jour où Dieu visitera le monde, lorsque les élus de toutes les générations seront réunis, le nombre en sera considérable. Et ils s'asseoiront, non pas en étendant leurs membres, mais en reposant leur âme fatiguée, non pas à des tables chargées des boissons de la terre, mais à la table des festins éternels; ils prendront place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, où se trouvent la lumière, l'allégresse, la gloire et la longévité de la vie éternelle. - S. Jér. Comme le Dieu d'Abraham, créateur du ciel, est le Père du Christ, Abraham se trouve dans le royaume des cieux, et avec lui viendront s'asseoir les nations qui ont cru en Jésus-Christ Fils du Créa teur.

S. Aug. (serm. 6 sur les par. du Seig). En même temps que nous voyons les chrétiens appelés au festin du ciel, dont la justice est le pain, la sagesse le breuvage, nous voyons la réprobation des Juifs annoncée dans ces paroles: «Les enfants du royaume, au contraire, seront jetés dans les ténèbres extérieures»; c'est-à-dire les Juifs qui ont reçu la loi, qui célèbrent dans leurs cé rémonies figuratives les mystères futurs, et qui ne les ont point reconnus lorsqu'ils s'accomplissaient. -
S. Jér. Ou bien il appelle les Juifs les enfants du royaume, parce que Dieu avait autrefois régné sur eux.

S. Chrys. (hom. 27). Ou bien ces fils du royaume sont ceux pour qui le royaume était préparé, ce qui devait produire sur eux une plus vive impression. - S. Aug. (cont. Faust, liv. 15, chap. 24). Si donc Moïse n'a fait connaître au peuple d'Israël d'autre Dieu que le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, et que le Christ ne leur en prêche pas d'autre, on ne peut l'accuser d'avoir détourné ce peuple du culte de son Dieu. Donc, lorsqu'il les menace d'être précipités dans les ténèbres extérieures, c'est qu'il les voyait s'éloigner eux-mêmes de leur Dieu, dans le royaume duquel il nous montre toutes les nations appelées à prendre place avec Abraham, Isaac et Jacob, en récompense de la foi qu'ils ont toujours gardée au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Et dans ce témoignage que leur rend le Sauveur, nous ne voyons pas qu'ils aient attendu à la mort pour se convertir à Dieu, ou qu'ils n'aient été justifiés qu'après sa passion.

S. Jér. Il appelle ces ténèbres extérieures, parce que celui qui est chassé dehors par le Sauveur est abandonné par la lumière. - Haym. Que souffre-t-on dans ces ténèbres? Notre-Seigneur nous l'apprend dans les paroles suivantes: «Il y aura là des pleurs et des grincements de dents». Il décrit les tourments des damnés à l'aide d'une métaphore empruntée aux souffran ces du corps. En effet, les yeux atteints par la fumée versent des larmes; de même un froid très vif donne lieu à un grincement de dents; preuve que les réprouvés dans l'enfer auront à sup porter à la fois et une chaleur intolérable, et un froid des plus aigus, selon cette parole de Job: «Ils passeront des eaux de la neige à une excessive chaleur». - S. Jér. Si les pleurs ne peu vent sortir que des yeux, si le grincement de dents prouve l'existence des os, il y aura donc résurrection véritable des corps et des mêmes membres qui auront été soumis à la mort. - Rab. Ou bien ce grincement de dents exprime un sentiment d'indignation, et ce mouvement (le repentir tardif et de colère après coup qu'éprouveront les réprouvés à la vue de leur opiniâ tre persistance dans le mal. - Remi. Ou bien ces ténèbres extérieures figurent les nations étran gères, car au point de vue historique Notre-Seigneur prédit ici la ruine des Juifs, qui en puni tion de leur infidélité, devaient être emmenés captifs, et dispersés dans les différentes contrées de la terre. Or, comme les pleurs naissent ordinairement sous l'impression d'une ardente cha leur, et le grincement des dents sous l'action d'un froid aigu, les pleurs désignent ceux qui ha biteront les contrées brûlantes de l'Inde et de l'Éthiopie, et le grincement de dents ceux qui seront exilés dans des pays plus froids comme l'Hircanie et la Scythie.

S. Chrys. (hom. 27). Les paroles du Sauveur ne sont pas un vain éloge de la foi dont il vient de faire voir la nécessité; aussi sont-elles suivies d'un miracle que l'Évangéliste raconte ainsi: «Et Jésus dit au centurion: Allez, et qu'il vous soit fait comme vous avez cru». - Rab. C'est-à-dire, cette grâce vous est accordée dans la mesure de votre foi». Le mérite du maître peut se conder le mérite du serviteur non seulement sous le rapport de la foi, mais encore dans l'observance de la loi. Voilà pourquoi l'Évangéliste ajoute: «Et le serviteur fut guéri dès ce moment». - S. Chrys. (sur S. Matth). Admirez cette promptitude, car ce n'est pas seule ment la guérison, mais la guérison imprévue, instantanée, qui fait éclater la puissance du Christ. - S. Aug. (serm. sur les par. du Seigneur). Le Seigneur n'est pas entré dans la maison du centurion, il en était absent corporellement, et la présence seule de sa majesté a guéri le servi teur; ainsi n'a-t-il paru sous une forme extérieure qu'au milieu du peuple juif; il n'a point renouvelé pour les autres nations les merveilles de sa naissance virginale, de sa passion, de ses souffrances, de ses miracles, et cependant ce que le roi-prophète avait prédit s'est trouvé ac compli: «Le peuple qui ne me connaissait pas m'a servi, il m'a obéi aussitôt qu'il a entendu ma voix». Le peuple juif l'a connu et l'a crucifié, l'univers n'a fait que l'entendre et a cru en lui.


vv. 14-15

3814 Mt 8,14-15

Rab. Après avoir montré dans ce lépreux la guérison du genre humain tout entier, et dans le serviteur du centenier celle des Gentils, par une suite naturelle, saint Matthi eu nous montre dans la belle-mère de Pierre la guérison de la synagogue. Le Sauveur a commencé par la guéri son du serviteur, parce que la conversion des Gentils a été à la fois un plus grand miracle et une grâce plus signalée, ou parce que ce n'est qu'à la fin des siècles après que la plénitude des nations sera entrée dans l'Église, que la synagogue se convertira tout entière (cf. Rm 11, 24-26). Or, la maison de Pierre était dans Bethsaïde.

S. Chrys. (hom. 28). Mais pourquoi Jésus entra-t-il dans la maison de Pierre? Je pense que c'était pour prendre quelque nourriture, comme paraissent l'indiquer les paroles suivantes: «Elle se leva et elle les servait». Jésus s'arrêtait ainsi chez ses disciples pour leur faire honneur et rendre plus vif le désir qu'ils avaient de le suivre. Considérez ici le respect de Pierre pour Jésus-Christ, quoique sa belle-mère fût malade de la fièvre, il n'entraîna pas Jésus dans sa maison, mais il attendit qu'il eût terminé ses divines le çons et qu'il eût guéri les autres malades, car il avait appris dès le commencement à faire céder ses intérêts à ceux des autres. Aussi n'est-ce pas lui qui amène le Christ, mais le Christ qui vient de lui-même après ces paroles du centurion: «Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison», montrant ainsi toute sa bonté pour son disciple. Il ne dédaigne pas d'entrer sous le pauvre toit d'un pêcheur, pour nous apprendre à fouler aux pieds en toute circonstance l'orgueil et la vanité. Remarquez aussi que tantôt il guérit par sa seule parole, tantôt il étend simultanément la main; c'est ce qu'il fait ici: «Et il lui toucha la main». Il ne voulut pas tou jours faire des miracles extraordinaires, et il était nécessaire de voiler quelquefois sa divinité. En touchant le corps de cette femme, non-seulement il fit cesser la fièvre, mais encore il lui rendit tout à fait la santé. Cette maladie n'étant point naturellement incurable, il manifestait sa puissance par la manière dont il la guérissait, en faisant ce que la science de la médecine ne pouvait faire, c'est-à-dire en rendant aussitôt à cette femme une santé parfaite; c'est ce que l'Évangéliste veut nous exprimer en disant: «Elle se leva et elle les servait». - S. Jér. Nous éprouvons ordinairement après la fièvre un surcroît de lassitude, et dans les commencements de la convalescence nous ressentons encore les douleurs de la maladie. Mais la santé que rend le Seigneur revient tout entière en un moment. L'auteur sacré nous fait remarquer qu'elle se leva et qu'elle le servait: c'est une preuve tout à la fois de la puissance de Jésus-Christ et des dispositions de cette femme à son égard.

Bède. Dans le sens mystique, la maison de Pierre figure la loi ou la circoncision; sa belle-mère est la figure de la synagogue, qui est en quelque sorte la mère de l'Église confiée à Pierre. C'est elle qui est malade de la fièvre, de cette fièvre de jalousie dont elle brûlait en persécutant l'Église. Le Seigneur lui touche la main, en changeant ses oeuvres charnelles et en leur donnant une direction toute spirituelle. - Remi. Ou bien encore, par la belle-mère de Pierre, on peut entendre la loi, qui, selon l'Apôtre (Rm 8), était affaiblie par la chair, c'est-à-dire par le sens charnel qu'on lui donnait. Mais lorsque le Seigneur se fut rendu visible au milieu de la synago gue par le mystère de son incarnation, et qu'il eut fait voir dans ses oeuvres l'accomplissement de la loi, en même temps qu'il en donnait l'intelligence spirituelle, elle reçut bientôt tant de force de cette union avec la grâce de l'Évangile, qu'après avoir été un instrument de mort et de châtiment, elle devint comme le ministre de la vie et de la grâce (2Co 3,9). Rab. Ou bien encore, toute âme qui est en lutte avec les passions de la chair, est comme travaillée par la fiè vre; mais à peine a-t-elle été touchée par la main de la miséricorde divine, elle recouvre la santé, elle réprime les désirs licencieux de la chair, et fait servir à la justice les membres qu'elle avait consacrés à l'impureté. - S. Hil. Ou bien enfin on peut voir dans la belle-mère de Pierre le vice pernicieux de l'infidélité, auquel se trouve toujours jointe la liberté de la volonté, et qui nous attache à lui comme par les liens les plus étroits. Mais aussitôt que le Seigneur entre dans la maison de Pierre c'est-à-dire dans notre corps, il guérit cette infidélité toute brûlante des ardeurs du péché, et débarrassée de l'accablante domination des vices, elle consacre la santé qu'elle recouvre au service du Seigneur.

S. Aug. (de l'accord des Evang. liv. 2, chap. 21). A quel temps cette guérison a-t-elle eu lieu? avant ou après quel événement? Saint Matthieu ne le dit pas, car rien n'oblige à la placer après le récit qui la précède immédiatement. Toutefois saint Matthieu paraît raconter ici ce qu'il avait omis précédemment. En effet, saint Marc raconte cette guérison avant celle du lé preux, qu'il paraît placer après le sermon sur la montagne (dont cependant il ne parle pas). Saint Luc de son côté place la guérison de la belle-mère de Pierre après le même événement que saint Marc, et avant un discours fort long qui paraît être le même que saint Matthieu fait tenir à Jésus sur la montagne. Mais qu'importe la place qu'occupent les faits, ou l'ordre dans lequel ils sont présentés? Qu'importe qu'un évangéliste raconte un fait qu'il avait omis précé demment, ou qu'il en fasse une narration anticipée, pourvu que ce fait ainsi placé ne contredise en rien d'autres faits racontés par lui ou par un autre? Il n'est personne qui puisse raconter dans l'ordre où elles se sont passées, les choses qui lui sont le plus connues. Il est donc proba ble que chaque Évangéliste a cru devoir raconter les événements suivant l'ordre dans lequel Dieu les présentait à son souvenir. Aussi, lorsque la suite chronologique des faits ne nous paraît pas clairement marquée, nous ne devons pas nous préoccuper de l'ordre que chaque Évangéliste a cru devoir adopter dans son récit.


vv. 16-17

3816 Mt 8,16-17

S. Chrys. (hom. 24). La multitude de ceux qui croyaient en Jésus-Christ s'était augmentée, et malgré le temps qui les pressait, i ls ne voulaient pas se séparer du Sauveur; aussi, le soir étant venu, ils lui amènent plusieurs possédés du démon. «Sur le soir, dit l'Évangéliste, on lui pré senta un grand nombre de possédés». - S. Aug. (de l'accord des Evang, liv, 2, chap. 21). Ces expressions: «Le soir étant venu», indiquent assez qu'il s'agit ici du même jour, bien qu'il ne soit pas nécessaire de les entendre toujours du soir de la même journée.

Remi. Or Jésus-Christ, Fils de Dieu, auteur du salut des hommes, source et origine de toute miséricorde, appliquait à tous un remède divin. «Et il chassait les esprits par sa parole, et il guérit tous ceux qui étaient malades». Il mettait en fuite les démons et les maladies d'un seul mot, pour montrer par ces prodiges de sa puissance qu'il était venu pour le salut du genre hu main tout entier.

S. Chrys. (hom. 28). Considérez quelle multitude de guérisons particulières les Évangélistes passent sous silence; ils ne font pas mention de chaque personne guérie, mais d'un seul mot ils nous mettent sous les yeux cet océan inexprimable de miracles. Et afin que la grandeur de ces prodiges ne devienne un motif de ne point admettre qu'une si grande multitude et tant de ma ladies aient été guéries en un instant, l'Évangéliste vous présente le Prophète appuyant de son témoignage ces faits miraculeux. Et ainsi fut accompli ce que le prophète Isaïe avait prédit: «Il a pris lui-même nos infirmités». (cf. Is 53,4 1P 2,24) - Rab. Ce n'est pas sans doute pour les garder, mais pour nous en délivrer, et il s'est chargé de nos maladies afin de porter lui-même en notre place ce qui était un fardeau écrasant pour notre faiblesse. - Remi. Il s'est revêtu de l'infirmité de notre nature pour nous rendre forts et robustes, de faibles que nous étions. - S. Hil. (can. 7 sur S. Matth). Par les souffrances qu'il a endurées dans son corps (selon les oracles des prophètes), il a fait disparaître complètement les infirmités de la faiblesse humaine. - S. Chrys. (hom. 28). C'est surtout des péchés que le Prophète semble avoir voulu parler. Comment donc l'Évangéliste peut-il entendre ces paroles des maladies? C'est qu'il a voulu les appliquer à un fait historique, ou bien nous faire comprendre que la plupart des maladies ont pour cause les péchés de notre âme, et que la mort elle-même n'a point d'autre ori gine.

S. Jér. - Remarquons que toutes ces guérisons s'opèrent non pas le matin, non pas au milieu du jour, mais vers le soir, lorsque le soleil est sur son coucher, et que le grain tombe dans la terre pour y mourir et produire des fruits en abondance. Rab. En effet, le coucher du soleil figure la passion et la mort de celui qui a dit: «Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde»; de celui qui dans le temps de sa vie mortelle n'a enseigné qu'un très petit nombre de Juifs, mais qui après avoir détruit l'empire de la mort a promis les dons de la foi à toutes les nations répandues sur la face de la terre.



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