Catena Aurea 3828
3901 Mt 9,1-8
S. Chrys. (hom. 30 sur S. Matth). Notre-Seigneur Jésus-Christ a montré précédemment sa puissance par sa doctrine, lorsqu'il enseignait comme ayant autorité; dans la guérison du lé preux qu'il guérit par ces seules paroles: «Je le veux, soyez guéri»; dans la personne du centu rion qui lui dit: «Seigneur, dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri»; sur la mer, dont il a enchaîné d'un seul mot la fureur, et sur les démons qui ont confessé sa divinité. Ici par une nouvelle et plus grande manifestation de sa puissance, il force ses ennemis de reconnaître qu'il est l'égal de son Père en dignité. C'est ce que nous lisons dans le passage suivant: «Et Jésus, étant monté dans une barque, traversa la mer, et vint en sa ville». C'est dans une barque qu'il traverse le lac, bien qu'il pût le traverser à pied; mais il ne voulait pas faire continuelle ment des miracles pour ne pas détruire la divine économie de son incarnation. - Jean, évê que. Le Créateur de toutes choses, le Maître de l'univers ayant résolu de se resserrer pour nous dans les limites étroites de la chair, voulut avoir une patrie sur la terre, être citoyen d'une ville juive; lui de qui vient toute paternité, toute parenté, voulut avoir ici-bas des parents, afin d'attirer à lui par l'amour ceux que la crainte en avait éloignés.
S. Chrys. (hom. 30). L'Évangéliste appelle Capharnaüm la ville du Sauveur; car il y avait la ville où il était né, qui était Bethléem; celle où s'étaient écoulées ses premières années, Naza reth, et la ville dont il fit ensuite son séjour ordinaire, c'est-à-dire Capharnaüm. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 25). Il serait plus difficile de concilier saint Matthieu avec saint Marc, si saint Matthieu donnait le nom de Nazareth à la ville que saint Marc appelle Capharnaüm, et que saint Matthieu appelle simplement la cité du Seigneur. On conçoit très bien, au contraire, que de même que l'empire romain, composé de contrées si diverses est quelque fois désigné par le nom de cité romaine; ainsi la Galilée a pu être appelée la cité du Christ, parce que Nazareth en faisait partie. Par la même raison, Notre-Seigneur Jésus-Christ étant venu dans la Galilée, l'Évangéliste a fort bien pu dire qu'il était venu dans sa ville, quelle que fût la cité de la Galilée où il se trouvât, d'autant plus que Capharnaüm était de beaucoup la ville la plus célèbre de cette région et en était considérée comme la métropole. - S. Jér. Ou bien il ne faut entendre par la ville du Christ que la ville de Nazareth, d'où lui est venu le nom de Nazaréen. - S. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 25). D'après cette explication, il faut admettre que saint Matthieu a omis tout ce que Jésus a fait lorsqu'il fut venu dans sa ville, jusqu'à son arrivée à Capharnaüm, et qu'il a placé ici la guérison du paralytique. C'est ce que font souvent les Évangélistes: ils omettent les faits intermédiaires et ils donnent comme faisant suite à ce qui précède le fait qu'ils racontent immédiatement, sans marquer la transition. C'est ainsi que l'Évangéliste nous dit ici: «Et on lui présentait un paralytique couché sur un lit».
S. Chrys. (hom. 30). Ce paralytique n'est pas celui dont parle saint Jean (Jn 5); car celui-là était étendu dans la piscine, celui-ci se trouvait à Capharnaüm. Le premier n'avait personne pour le servir; le second recevait les soins de plusieurs personnes qui l'apportèrent aux pieds de Jésus. - S. Jér. On le lui présenta sur un lit, car il était impossible à cet homme de mar cher. - S. Chrys. (hom. 30). Jésus n'exige pas toujours la foi des malades qui demandent leur guérison, par exemple, lorsqu'ils ont perdu la raison, ou que leur âme est absorbée par l'excès de la douleur; c'est pour cela que l'Évangéliste ajoute: «Or, Jésus voyant leur foi», etc. - S. Jér. Non pas la foi du paralytique qu'on lui présentait, mais la foi de ceux qui le lui présen taient. - S. Chrys. (hom. 30). Pour récompenser cette foi si grande, il fait éclater lui-même sa puissance, et par la plénitude de son pouvoir il remet les péchés au paralytique en lui disant: «Ayez confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis». - S. Jean, évêque. Quel prix n'a pas auprès de Dieu la foi personnelle, puisqu'une foi étrangère en a eu un si grand à ses yeux qu'il accorde à cet homme la guérison de son âme et de son corps? Le paralytique entend le pardon qui lui est accordé, et il se tait, aucune parole de reconnaissance; la guérison de son corps le préoccupait beaucoup plus que celle de son âme. C'est donc avec raison que Jésus-Christ considéra la foi de ceux qui le portaient plutôt que l'insensibilité du paralytique lui-même. - S. Chrys. (hom. 30). On peut dire aussi que la foi de cet homme était grande, car s'il n'avait pas eu la foi, il n'aurait jamais permis qu'on le descendit par le toit, comme le rapporte un autre Évangéliste (Mc 2 Lc 5).
S. Jér. Admirable humilité ! Jésus appelle son fils un homme délaissé, infirme, anéanti dans tous ses membres, et que les prêtres dédaignent de toucher. Il peut encore l'appeler justement son fils, parce qu'il lui a remis ses péchés. Nous pouvons apprendre par là que presque toutes les maladies sont la suite des péchés; et si Jésus commence par remettre les péchés à cet homme, c'est afin que la santé l ui soit plus facilement rendue lorsqu'il aura fait disparaître les causes de la maladie.
S. Chrys. (sur S. Matth). Les scribes, en cherchant à diffamer le Sauveur, ne firent, contre leur volonté, que mettre dans un plus grand jour le miracle qu'il avait opéré, car Jésus se servit de leur jalousie pour le rendre plus éclatant; c'est là, en effet, un des traits de cette inépuisable sagesse, de faire servir la malice de ses ennemis à la manifestation de ses prodiges. C'est ce que l'Évangéliste rapporte en ces termes: «Et voilà que quelques scribes dirent en eux-mêmes: Cet homme blasphème». - S. Jér. Nous lisons dans le Prophète (Is 43,25): «C'est moi qui efface toutes vos iniquités». D'après ces paroles, les scribes, qui ne voyaient dans Jésus qu'un homme, et qui ne comprenaient pas la portée des oracles divins, l'accusent de blasphème. Mais le Seigneur, en dévoilant leurs pensées, leur prouve qu'il est le Dieu qui seul peut connaître le secret des coeurs, et son silence semble leur dire: En vertu de la même puissance qui me fait pénétrer vos pensées, je puis remettre aux hommes leurs péchés; comprenez par vous-mêmes ce que je puis faire pour ce paralytique. C'est ce que signifient ces paroles: «Et Jésus ayant vu leurs pensées, leur dit: Pourquoi pen sez-vous du mal dans vos coeurs ?» - S. Chrys. (hom. 30). Jésus ne détruisit pas le soupçon qu'ils avaient, que c'était comme Dieu qu'il disait: «Vos péchés vous sont remis». S'il n'était pas l'égal de Dieu son Père, il devait dire: Je suis loin d'avoir la puissance de remettre les péchés. Loin de là, il établit le contraire et par ses paroles, et par le prodige qu'il opère. Il ajoute donc: «Qu'est-il plus facile de dire: Vos péchés vous sont remis, ou de dire: Levez-vous et marchez ?» Plus l'âme est supérieure au corps, plus aussi la guérison de l'âme par la rémission des péchés, l'emporte sur la guérison du corps. Mais ce dernier prodige étant visible, tandis que le premier ne l'est pas, Jésus l'opère quoiqu'il soit moindre, pour rendre certain le premier qui est moins évident.
S. Jér. Celui-là seul qui remettait les péchés savait s'ils étaient remis au paralytique. Mais quant à l'effet de ces paroles: «Levez-vous et marchez», chacun pouvait en juger, celui qui se levait comme ceux qui le voyaient. Quoiqu'il appartienne à la même puissance de guérir les infirmités du corps et de l'âme; il y a cependant une grande différence entre dire et faire. Le Sauveur fait donc un miracle extérieur comme preuve de celui qu'il opère à l'intérieur. «Or, ajoute-t-il, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre ce pouvoir de remettre les péchés». - S. Chrys. (hom. 30). Il ne dit pas tout d'abord au paralytique: «Je vous re mets vos péchés»; mais «Vos péchés vous sont remis». Or, comme les scribes se récriaient, il leur révèle qu'il a une puissance plus élevée, et leur déclare «que le Fils de l'homme a le pouvoir de remettre les péchés»; et comme preuve qu'il est égal à son Père, il ne dit pas que le Fils de l'homme a besoin d'un secours étranger pour remettre les péchés, mais qu'il a lui-même ce pouvoir.
La Glose. Ces paroles: «Afin que vous sachiez» peuvent avoir été dites par Jésus-Christ, ou n'être qu'une réflexion de l'Évangéliste, comme s'il disait: «Ils doutaient qu'il pût remet tre les péchés; mais afin que vous sachiez bien que le Fils de l'homme a ce pouvoir, il dit au paralytique», etc. Si au contraire on suppose ces paroles dans la bouche du Sauveur, voici le sens qu'on peut leur donner: «Vous doutez que je puisse remettre les péchés, mais afin que vous sachiez que le Fils de l'homme», etc. La construction grammaticale de la phrase n'est point parfaite; mais l'Évangéliste remplace ce qui devait suivre immédiatement et qu'il sous-entend par l'acte même que Jésus accomplit. Il dit au paralytique: «Levez-vous et emportez votre lit». - Jean, évêque. Afin que ce qui a été la preuve de sa maladie devienne un témoignage de sa guérison. «Et allez dans votre maison». Vous, guéri par la foi au Christ, ne restez pas davan tage au milieu de la perfidie des Juifs. - S. Chrys. (hom. 30). Jésus lui donne cet ordre afin que l'on ne prenne pas pour une simple apparence la guérison qu'il vient d'opérer, et c'est pour en démontrer la vérité que l'Évangéliste dit: «Il se leva et il alla dans sa maison». Et cependant ceux qui en furent témoins se traînent encore dans des idées tout humaines. «Et le peuple voyant cela», etc. Si leurs pensées avaient été justes et droites, est-ce qu'ils n'auraient pas dû reconnaître que Jésus était le Fils de Dieu? Toutefois c'était déjà quelque chose que de le regarder comme supérieur à tous les hommes, et comme l'envoyé de Dieu.
S. Hil. Il y a une signification mystérieuse dans la conduite de Jésus revenant dans sa ville, après avoir été rejeté par la Judée. La cité de Dieu, c'est le peuple fidèle; Jésus-Christ y est entré porté par une barque, c'est-à-dire par son Église. - Jean, évêque. Il n'a pas besoin de cette barque, mais la barque a besoin de Jésus-Christ, car jamais, sans la direction qui vient du Ciel, le vaisseau de l'Église ne pourrait traverser la mer du monde et arriver au port de l'éternité. - S. Hil. La personne du paralytique est la figure de l'universalité des nations dont on de mande la guérison; ce paralytique est présenté au médecin par le ministère des anges, parce qu'il est l'oeuvre de Dieu; il lui remet les péchés dont la loi ne pouvait le délivrer, parce que la foi seule justifie le pécheur. Il est une preuve des merveilleux effets de la résurrection, car en emportant son lit il nous apprend que notre corps sera un jour affranchi de toute infirmité. - S. Jér. Dans le sens tropologique, on peut voir ici l'image d'une âme qui vit sans force au milieu de son corps, après avoir perdu toutes ses vertus, et que l'on présente au Seigneur, le docteur consommé, pour être guérie. Tout homme atteint de cette maladie doit intéresser à son état ceux qui peuvent demander à Dieu sa guérison, et à l'aide de la doctrine céleste rendre la force à ses pas chancelants. Souffrons donc que les conseillers de notre âme l'élèvent vers les choses supérieures, malgré la langueur où la retient la faiblesse de son corps mortel. - Jean, évêque. Le Seigneur sur cette terre ne s'inquiète pas du désir des insensés, mais il a égard à la foi d'autrui; c'est ainsi que le médecin ne s'arrête point à la volonté des malades, lorsqu'ils demandent des choses qui leur sont contraires.
Rab. Se lever, c'est arracher son âme aux désirs de la chair; enlever son lit, c'est élever son corps des désirs de la terre jusqu'aux aspirations de l'esprit; aller dans sa maison, c'est retour ner au paradis, ou a la garde intérieure de soi-même, pour ne plus retomber dans le péché. - S. Grég. (Moral. 23, 15). Ou bien par le lit on peut entendre les voluptés sensuelles; on or donne à celui qui a recouvré la santé de porter ce lit où il était couché pendant sa maladie; car tout homme qui trouve encore son plaisir dans le vice, est comme étendu sans force au milieu des voluptés de la chair. Mais lorsqu'il est guéri, il porte ce lit, parce qu'il supporte les assauts de cette même chair, au lieu de se reposer comme auparavant dans ses désirs coupables. -
S. Hil. (can. 8 sur S. Matth). La foule, à la vue de ce miracle, fut saisie de crainte; en effet, c'est un grand sujet d'effroi de tomber entre les mains de la mort avant que Jésus-Christ nous ait pardonné nos péchés, car sans ce pardon il n'y a point de retour possible dans notre éternelle demeure. Lorsque cette crainte vient à cesser, on rend gloire à Dieu de ce que par le moyen de son Verbe il a donné aux hommes le pouvoir de remettre les péchés, de ressusciter les corps et de rouvrir les portes du ciel.
3909 Mt 9,9-13
S. Chrys. (hom. 31). Après avoir opéré ce miracle, Jésus ne crut pas devoir demeurer dans ce même endroit, pour ne pas donner un n ouvel aliment à la jalousie des pharisiens. Imitons nous-mêmes cet exemple, et n'opposons pas de résistance obstinée à ceux qui nous dressent des embûches. C'est pour cela que l'écrivain sacré ajoute: «Et Jésus partant de là (du lieu où il avait fait le miracle) vit un homme assis au bureau des impôts et qu'on appelait Matthieu». - S. Jér. Les autres Évangélistes n'ont pas voulu, par honneur et par respect pour lui, l'appeler du nom connu de Matthieu; ils l'ont appelé Lévi, car il portait ces deux noms. Mais quant à lui il met en pratique cette maxime de Salomon: «Le juste est son propre accusateur» (Pr 18,17), et se fait connaître sous le nom de Matthieu comme publicain; il apprend ainsi à ceux qui liront son Évangile, que nul ne doit désespérer de son salut, s'il veut rentrer dans les sentiers de la vertu, puisque lui-même a été changé en un instant de publicain en apôtre. La Glose. Il était assis au bureau des impôts, c'est-à-dire dans une de ces maisons où l'on percevait les impôts; car le nom qui lui est donné (teloniarius), receveur des impôts, vient du mot grec ôåëïò, qui signifie impôt.
S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth). Ce qui fait éclater encore davantage la puissance de celui qui l'appelle, c'est qu'il n'attend pas que Matthieu abandonne cette profession pleine de dangers, il l'arrache aux maux qui l'environnaient, comme Paul encore dans la fougue de ses égarements (Ac 9,1-19). Et il lui dit «Suivez-moi». Vous avez vu la puissance de Dieu qui l'appelle, admirez aussi l'obéissance de celui qui est appelé. Il n'oppose aucune résistance; il ne demande pas d'aller chez lui pour faire part de son dessein à sa famille. Remi. Il compte même pour rien le danger qu'il courait de la part de ses chefs, en quittant son emploi sans avoir réglé ses comptes. «Et se levant, il le suivit». Il a sacrifié les gains d'une profession tout humaine; par une juste compensation, il est devenu le dispensateur des talents du Seigneur.
S. Jér. Porphyre et l'empereur Julien accusent ici, ou l'Évangéliste d'avoir menti avec peu d'habileté, ou les disciples d'avoir suivi tout aussitôt le Sauveur sans aucune réflexion, comme s'ils s'étaient rangés contre toute raison sous la conduite du premier venu qui les appelait à le suivre. Mais au contraire, n'est-il pas certain que les Apôtres avant de croire avaient été les témoins des plus grands miracles et des plus grands prodiges? Est-ce que d'ailleurs l'éclat et la majesté de la divinité qui, toute cachée qu'elle était, resplendissait sur la figure du Sauveur, ne suffisaient pas pour attirer à lui au premier abord ceux qui le voyaient? Car si la pierre d'aimant a, dit-on, la force d'attirer à elle le fer, quelle puissance bien plus grande n'avait pas le Seigneur de toutes les créatures pour attirer à lui tous ceux qu'il voulait.
S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth). Mais pourquoi Jésus-Christ ne l'a-t-il pas appelé en même temps que Pierre, Jean et les autres apôtres? C'est qu'alors ses dispositions étaient encore imparfaites, et celui qui voit le fond des coeurs voulut attendre que ses nombreux miracles et l'éclat de sa réputation lui eussent rendu l'obéissance plus facile. - S. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 26). Ou bien il paraît plus probable que saint Matthieu, on parlant ici de sa vocation, rappelle un fait qu'il avait omis précédemment; car on doit admettre qu'elle précéda le sermon sur la montagne, puisque saint Luc (Lc 6,13-16) y fait mention des douze élus auxquels il donne le nom d'apôtres. La Glose. Saint Matthieu place sa vocation parmi les miracles; ce fut en effet un grand miracle qu'un publicain devenu apôtre. - S. Chrys. (hom. 31). Mais pourquoi donc, à l'exception de Pierre, d'André, de Jacques, de Jean et de Matthieu, ne savons-nous pas comment et à quelle époque eut lieu la vocation des autres apôtres? C'est que ceux que nous venons de nommer appartenaient surtout à des professions basses et obscures; car il n'y avait rien de moins honorable alors que la profession d'un receveur d'impôts ou le métier de pêcheur.
La Glose. Matthieu voulant témoigner à Jésus-Christ sa digne reconnaissance pour le céleste bienfait de sa vocation, lui prépare un grand repas dans sa maison; et il offre ainsi les biens de la terre à celui dont il attendait les biens de l'éternité. «Et il arriva, nous dit-il, que comme Jésus était à table dans la maison». - S. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 27). Saint Matthieu n'explique pas ici chez qui Jésus était à table; on pourrait donc supposer que ce fait ne suit pas immédiatement celui qui précède, mais qu'il s'est passé antérieurement, et que saint Matthieu ne le raconte ici que suivant l'ordre de ses souvenirs, si d'ailleurs saint Marc et saint Luc ne nous apprenaient que c'est dans la maison de Lévi ou de Matthieu que Jésus s'est mis à table. - S. Chrys. (hom. 31). Matthieu, honoré de ce que Jésus-Christ daignait entrer dans sa maison, invita avec lui tous les publicains qui étaient de la même profession. «Et voici, nous dit-il, que beaucoup de publicains», etc. - La Glose. On appelle publicains ceux dont la vie se passe au milieu des embarras des affaires publiques, que l'on ne peut jamais ou presque jamais manier sans péché. Et ce fut là un magnifique présage, de voir celui qui devait être l'apôtre et le docteur des nations, dès le premier moment de sa conversion, attirer après lui dans les voies du salut la foule des pécheurs et former déjà par son exemple à la perfection ceux qu'il devait y conduire par sa parole. - S. Jér. Tertullien prétend que ces publicains étaient des païens, et il appuie son sentiment sur cette parole de l'Écriture: «Il n'y aura point d'impôt en Israël», comme si saint Matthieu lui-même n'eût pas été juif. Ajoutons que le Seigneur ne mangeait pas avec les païens; car il évitait avec le plus grand soin de paraître détruire la loi, lui qui avait dit à ses disciples: «N'allez pas dans la voie des nations». Or ces publicains, voyant un des leurs se convertir du péché à la justice, et obtenir ainsi la grâce du repentir, ne désespèrent plus eux-mêmes de leur salut. S. Chrys. (hom. 31). Ils s'approchèrent donc de notre Rédempteur, et ils furent admis non-seulement à lui parler, mais encore à manger avec lui. - Ce n'était pas seulement en discutant avec ses ennemis, en guérissant leurs malades, ou en les reprenant de leur malice, mais en mangeant avec eux qu'il ramenait bien souvent ceux qui étaient mal disposés à son égard. Il nous apprenait ainsi que chacun des instants comme chacune des actions de notre vie peut être pour nous l'occasion d'immenses avantages. Or, les pharisiens à cette vue furent indignés, et c'est d'eux que l'Évangéliste ajoute: «Ce que voyant les pharisiens, ils dirent à ses disciples: Pourquoi votre Maître mange-t-il avec des publicains ?» etc. Il est à remarquer que lorsqu'ils croient surprendre les disciples en faute, ils s'adressent à Jésus-Christ. «Voyez, lui disent-ils, vos disciples font ce qu'il n'est pas permis de faire le jour du sabbat». Ici c'est auprès des disciples qu'ils accusent le Maître. Toute cette conduite témoignait de leur malice et du désir qu'ils avaient de séparer du Maître le coeur de ses disciples. - Rab. Ils étaient sous le coup d'une double erreur: premièrement ils se croyaient justes, eux que leur orgueil plein de faste tenait si loin de la justice; en second lieu, ils regardaient comme coupables ceux qui renonçaient à leur vie criminelle et se rapprochaient de la vertu.
S. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 27). Saint Luc paraît raconter le même fait en termes tant soit peu différents. D'après son récit, les pharisiens disent aux disciples: «Pourquoi mangez-vous avec les publicains et avec les pécheurs ?» faisant ainsi tomber à la fois ce reproche sur Jésus-Christ et sur ses disciples. Mais en adressant ce reproche aux disciples, ne l'adressent-ils pas au Maître lui-même, dont les Apôtres faisaient profession de suivre les exemples? La pensée est donc la même, et elle est d'autant plus certaine qu'elle est exprimée en termes différents, avec le même fond de vérité. - S. Jér. Ceux qui viennent à Jésus ne persévèrent pas dans leurs habitudes criminelles, comme le disent en murmurant les scribes et les pharisiens; mais ils sont conduits par le repentir comme le Seigneur le fait connaître par ces paroles: «Mais Jésus les ayant entendus leur dit: Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin», etc. - Rabanus. Jésus se déclare médecin, lui qui par un traitement vraiment admirable a voulu être blessé pour nos péchés, afin de guérir les blessures de nos iniquités. Il appelle bien portants ceux qui, voulant établir leur propre justice, ne sont pas soumis à la véritable justice de Dieu (Rm 10,3). Il donne le nom de malades à ceux qui, vaincus par le sentiment de leur propre fragilité, et qui persuadés d'ailleurs que la loi est impuissante pour les justifier, se soumettent à la grâce de Dieu par le repentir.
S. Chrys. (hom. 31). Après avoir raisonné avec eux en suivant les principes ordinaires de la raison, il leur cite l'Écriture, et leur dit: «Allez et apprenez ce que veut dire cette parole: Je veux la miséricorde et non pas le sacrifice (Os 6,6) ». - S. Jér. Il emprunte ce témoignage aux prophètes, pour condamner la sévérité des scribes et des pharisiens qui, se regardant comme justes, évitaient tout contact avec les pécheurs et les publicains. - S. Chrys. (hom. 31). C'est comme s'il leur disait: Pourquoi me faites-vous un crime de convertir les pécheurs? Mais alors accusez Dieu le Père lui-même. Car je désire la conversion des pécheurs comme il la désire. C'est ainsi qu'il leur démontre que non-seulement la loi ne défend pas ce qu'ils lui reprochaient, mais qu'elle place même sa manière d'agir au-dessus du sacrifice. Car il ne dit pas: Je veux la miséricorde et le sacrifice; mais il fait un précepte de la miséricorde, en excluant le sacrifice.
La Glose. Ce n'est pas cependant que Dieu rejette le sacrifice séparé de la miséricorde; mais il condamne ici la conduite des pharisiens qui offraient de fréquents sacrifices dans le temple pour paraître justes aux yeux du peuple, sans pratiquer les oeuvres de miséricorde, qui sont la preuve de la véritable justice. - Rab. Il leur enseigne donc à mériter par des oeuvres de miséricorde les récompenses de la miséricorde divine, et à ne pas se flatter que leurs sacrifices seront agréables à Dieu, s'ils y joignent le mépris des besoins du pauvre. C'est pourquoi il ajoute: «Allez», c'est-à-dire quittez ces sentiments de blâme aussi téméraire qu'insensé, et qui font ressortir davantage la miséricorde. Il termine en se proposant lui-même comme exemple de la miséricorde qu'ils doivent pratiquer. «Car je ne suis pas venu, dit-il, pour appeler les justes, mais les pêcheurs». - S. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 27). Saint Luc ajoute: «A la pénitence», ce qui explique clairement la pensée du Sauveur, afin que personne ne croie qu'il aime les pécheurs en tant que pécheurs. D'ailleurs cette comparaison avec les malades nous fait bien connaître les desseins de Dieu; il recherche les pécheurs comme un médecin recherche les malades, pour les délivrer de leurs iniquités, qui sont une véritable maladie, ce qui ne peut se faire que par la pénitence.
S. Hil. (can. 9 sur S. Matth). Est-ce que le Christ n'était pas venu pour tous les hommes? Comment donc peut-il dire qu'il n'est pas venu pour les justes? Il était donc des hommes pour qui sa venue n'était pas nécessaire? Non, mais c'est que personne n'est juste par la loi; Jésus montre donc le néant de cette prétention à la justice, car les sacrifices de l'ancienne loi étant impuissants pour la justification, tous ceux qui vivaient sous la loi avaient besoin de la miséricorde. - S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth). C'est ce qui nous ferait croire à une ironie de la part de Jésus-Christ comme dans ces autres paroles de Dieu: «Voici qu'Adam est devenu comme un de nous», car S. Paul nous déclare positivement que personne n'est juste sur la terre: «Tous ont péché, dit-il, et ont besoin de la gloire de Dieu». (Rm 3,23) Par là même aussi, il calme les inquiétudes de ceux qui étaient appelés, en leur disant: «Je suis si loin d'avoir en horreur les pécheurs, que ce n'est que pour eux que je suis venu». - Rab. Ou bien c'est parce que ceux qui étaient justes (comme Nathanaël et Jean-Baptiste) n'avaient pas besoin qu'on les appelât à la pénitence. Ou bien encore, je ne suis pas venu appeler les faux justes qui, comme les pharisiens, se glorifient de leur justice, mais ceux qui se reconnaissent pécheurs. La vocation de saint Matthieu et celle des publicains représente la vocation des Gentils qui soupiraient avec ardeur après les richesses de la terre, et qui maintenant réparent leurs forces dans la compagnie du Seigneur. L'orgueil des pharisiens est la figure de la jalousie des Juifs à la vue de la conversion des Gentils. Ou bien Matthieu signifie l'homme qui poursuit avidement les biens de la terre, et que Jésus regarde, lorsqu'il jette sur lui les yeux de la miséricorde. Le nom de Matthieu signifie donné; celui de Lévi, choisi, car le pénitent est choisi du milieu de la masse de ceux qui se perdent et il est donné à l'Église par la grâce de Dieu. Et Jésus lui dit: «Suivez-moi». Jésus donne cet ordre au pêcheur, ou par la prédication, ou par la voix des Écritures, ou par une inspiration intérieure.
3914 Mt 9,14-17
La Glose. A peine Notre-Seigneur s'est justifié de fréquenter les pécheurs et de participer à leurs repas qu'on l'attaque sur l'action de manger elle-même. «Alors, dit l'Évangéliste, les disciples de Jean vinrent le trouver, et lui dirent: Pourquoi les Pharisiens et nous, jeûnons-nous ?» etc. S. Jér. Question pleine d'orgueil, et coupable vanité du jeûne ! Les disciples de Jean étaient inexcusables de s'être joints aux pharisiens que leur Maître avait si hautement condamnés, ils le savaient bien, et qui calomniaient celui qu'il avait annoncé. - S. Chrys. (hom. 31). Cette question revient à dire: «Soit, vous agissez de la sorte comme médecin; mais pourquoi vos disciples, laissant là le jeûne, vont-ils s'asseoir à de pareilles ta bles ?» Pour rendre l'accusation plus forte par la comparaison, ils se mettent en regard, eux d'abord, et puis les pharisiens. Car ces derniers jeûnaient pour obéir à la loi, comme ce phari sien qui disait: «Je jeûne deux fois dans la semaine», et les disciples de Jean, d'après la re commandation de leur Maître. - Rab. Car Jean ne but ni vin, ni rien de ce qui peut enivrer, et le mérite de son abstinence est d'autant plus grand, qu'il n'avait aucune puissance sur la na ture. Mais quant au Seigneur qui peut remettre les péchés, pourquoi s'abstiendrait-il de manger avec les pécheurs, puisqu'il peut les rendre plus justes que ceux qui font profession d'abstinence. Jésus-Christ jeûne pour vous apprendre à ne pas éluder le précepte du jeûne, et il mange avec les pécheurs, pour vous faire comprendre sa puissance et l'efficacité de sa grâce.
S. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 27). Saint Matthieu attribue cette question aux disciples de Jean; le récit de saint Marc, au contraire (Mc 2), semblerait indiquer qu'elle fut faite par d'autres, c'est-à-dire par les convives, objectant l'exemple des disciples de Jean et des pharisiens; ce que saint Luc (Lc 5) raconte en termes plus exprès. Si donc saint Matthieu s'exprime ainsi: «Alors les disciples de Jean s'approchèrent», etc., c'est que ces disciples étaient présents, et que tous à l'envi faisaient autant qu'ils le pouvaient, cette objection. - S. Chrys. (hom. 31). Ou bien, si saint Luc place cette question dans la bouche des phari siens, tandis que saint Matthieu l'attribue aux disciples de Jean-Baptiste, c'est que les phari siens les avaient poussés à faire cette question, comme ils firent encore plus tard à l'égard des hérodiens. Il est à remarquer que lorsqu'il s'agit de prendre la défense des étrangers, des publi cains par exemple, Notre-Seigneur, pour consoler leur âme ulcérée par le chagrin, repousse avec force les accusations dont ils sont l'objet, tandis qu'il répond avec une extrême douceur lorsque le blâme tombe sur ses disciples. Et Jésus leur dit: «Les amis de l'Époux peuvent-ils être dans le deuil pendant que l'Époux est avec eux ?» Il vient de se présenter comme méde cin, ici il se donne le nom d'époux, rappelant ainsi ces paroles de Jean-Baptiste (Jn 3): «L'époux est celui qui a l'épouse». - S. Jér. L'époux, c'est Jésus-Christ; l'épouse, c'est l'Église. De cette union spirituelle sont nés les Apôtres, qui ne peuvent pas être dans le deuil tant qu'ils voient l'Époux dans la chambre nuptiale, et qu'ils savent qu'il est avec l'Épouse. Mais lorsque les jours des noces seront passés pour faire place au temps de la passion et de la résurrection, alors les fils de l'Époux jeûneront, comme il est dit: «Viendront des jours», etc.
S. Chrys. (hom. 31). Voici le sens des paroles du Sauveur: «Le temps présent est le temps de la joie et de l'allégresse; il ne faut pas y mêler de cause de tristesse. Car le jeûne est une chose triste, non pas précisément en elle-même, mais pour ceux dont les dispositions sont imparfaites, c'est-à-dire pour ceux qui n'ont pas encore atteint la force de la perfection spirituelle; car il est plein de douceur pour ceux qui veulent se livrer à la contemplation de la sagesse et travailler à leur perfection. Notre-Seigneur se conforme donc à leurs idées, et il montre par là que la conduite de ses disciples était l'effet non point de la sensualité, mais d'une économie pleine de sagesse.
S. Jér. Quelques-uns se fondent sur ces paroles pour conclure que l'on doit consacrer au jeûne les quarante jours qui suivent la passion, quoique les jours de la Pentecôte et la descente de l'Esprit saint qui suivent immédiatement, nous apportent de nouveaux sujets de joie. Mon tan, Prisca et Maximilla prennent occasion des mêmes paroles pour faire le carême après la Pentecôte, en alléguant que les fils de l'Époux doivent jeûner lorsque l'Époux a disparu. Mais la coutume de l'Église est de se disposer à la passion et à la résurrection du Seigneur par l'humiliation de la chair, et de nous préparer par le jeûne du corps à l'abondance spirituelle que les mystères tiennent pour nous en réserve.
S. Chrys. (hom. 31). Le Sauveur appuie de nouveau sa doctrine sur des exemples empruntés à la vie ordinaire: «Personne, dit-il, ne met une pièce de drap neuf à un vieux vêtement», etc., paroles dont voici le sens: Mes disciples ne sont pas encore assez forts, ils ont encore besoin de condescendance, l'Esprit saint ne les a pas encore renouvelés; dans cette disposition, il ne faut point leur imposer le lourd fardeau des préceptes. En parlant de la sorte, il trace à ses apôtres la règle qu'ils devront suivre, de traiter avec douceur les disciples qui leur viendront de toutes les parties de la terre. - Remi. Par ce vieux vêtement il veut désigner ses disciples, car ils n'étaient pas encore entièrement renouvelés; ce morceau d'étoffe forte, c'est-à-dire neuve, signifie la grâce de la nouvelle loi, c'est-à-dire la doctrine de l'Évangile, dont le jeûne est une petite partie. Il ne convenait donc pas qu'il leur imposât la loi dure et pénible du jeûne, qui aurait pu les briser par sa rigueur et leur faire perdre la foi. C'est pour cela qu'il ajoute: «Car le neuf emporte une partie du vieux».
La Glose. C'est comme s'il disait: Une pièce d'étoffe, c'est-à-dire neuve, ne doit pas être cousue à un vieil habit, car souvent elle emporte tout ce qu'elle recouvre, c'est-à-dire le vête ment presque tout entier, et la déchirure est plus grande. C'est ainsi qu'en imposant un lourd fardeau à un homme encore novice, on détruit souvent le bien qui existait auparavant dans son âme.
Remi. A ces deux comparaisons, celle des noces et celle d'une pièce d'étoffe neuve et d'un vêtement usé, il en ajoute une troisième, celle des outres et du vin: «Et l'on ne met point, dit-il, du vin nouveau dans de vieilles outres», etc. Ces vieilles outres ce sont ses disciples, qui n'étaient pas encore parfaitement renouvelés; et le vin nouveau signifie la plénitude de l'Esprit saint et les mystères du ciel, dont les disciples n'étaient pas encore capables de pénétrer la profondeur. Mais après la résurrection, ils devinrent des outres neuves; ils reçurent le vin nou veau lorsque l'Esprit saint vint remplir leur coeur; ce qui fait dire à quelques-uns: «Ils sont tous pleins de vin nouveau». - S. Chrys. (hom. 31). Le Sauveur nous donne ai nsi la raison de tant de paroles simples et familières qu'il disait à ses apôtres, pour s'accommoder à leur faiblesse.
S. Jér. Nous pouvons encore entendre par ce vêtement usé et par ces vieilles outres, les scribes et les pharisiens. Ce morceau de drap neuf et le vin nouveau sont les préceptes de l'Évangile qu'on ne peut imposer aux Juifs, dans la crainte d'une déchirure plus grande. Les Galates vou laient faire quelque chose de semblable, en mêlant les prescriptions de la loi avec celles de l'Évangile, et en mettant du vin nouveau dans de vieilles outres; mais l'Apôtre les en reprit en ces termes: «O Galates insensés, qui vous, a fasciné l'esprit pour vous rendre ainsi rebelles à la vérité ?» Il fallait donc verser d'abord la doctrine de l'Évangile dans le coeur des Apôtres, avant d'en faire part aux scribes et aux pharisiens qui, étant corrompus par les traditions de leurs ancêtres, ne pouvaient conserver la pureté sans mélange des préceptes du Christ. Il y a, en effet, une grande différence entre la pureté d'une âme virginale qu'aucune faute antérieure n'a soufflée, et celle d'une âme qui a traîné dans la fange de toutes les passions. - La Glose. Par là le Sauveur nous apprend que les Apôtres ne devaient pas être retenus captifs des anciennes observances, eux qui devaient être comme inondés des flots d'une grâce toute nou velle.
S. Aug. (serm. du Carême). Ou bien encore, tout chrétien qui jeûne convenablement humilie son âme dans les gémissements de la prière et la mortification du corps, ou la détache des sé ductions de la chair sous le charme d'une sagesse toute spirituelle. Or, le Seigneur embrasse dans sa réponse ces deux espèces de jeûne. Il dit du premier qui tend à humilier notre âme: «Les fils de l'Époux ne peuvent pas être dans le deuil»; et de celui qui offre à l'âme un ali ment tout spirituel: «Personne ne met un morceau de drap neuf», etc. Mais lorsque l'Époux nous est enlevé, c'est alors qu'il faut pleurer, et notre douleur sera véritable si nous brûlons du désir de le voir. Heureux ceux qui ont pu jouir de sa présence avant sa passion, l'interroger suivant leurs désirs, et l'écouter avec le respect qu'ils devaient à ses divines paroles. Nos pères ont désiré le voir avant sa venue, et ils ne l'ont point vu. Dieu leur avait donné une autre mis sion: ils devaient annoncer son avènement, mais ils ne devaient pas entendre sa parole, lors qu'il serait descendu sur la terre. C'est en nous que se sont accomplies ces paroles du Sau veur: «Il viendra un temps où vous désirerez voir un de ces jours, et vous ne le pourrez pas». Qui donc ne consentira à être dans le deuil ici-bas? Qui ne dira: «Mes larmes sont devenues mon pain le jour et la nuit, pendant qu'on me dit tous les jours: Où est ton Dieu ?» C'est donc avec raison que l'Apôtre désirait d'être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ.
S. Aug. (de l'accord des Evan g., liv. 2, chap. 12). Saint Matthieu emploie le mot tristesse là où saint Marc et saint Luc se sont servis de l'expression jeûner, parce que le jeûne dont parle ic i le Seigneur renferme l'humiliation d'une âme affligée, tandis que les dernières comparaisons ont pour objet l'autre espèce de jeûne qui consiste dans la joie de l'âme que les douceurs spi rituelles tiennent comme suspendue et détachée des aliments terrestres. Notre-Seigneur nous apprend ainsi que ceux qui sont trop occupés de leur corps et qui n'ont point dépouillé le vieil homme et ses inclinations, ne sont pas capables de cette espèce de jeûne.
S. Hil. (can. 9 sur S. Matth). Dans le sens mystique, la réponse que Notre-Seigneur fait ici, en déclarant que ses disciples ne doivent point jeûner tant qu'ils jouissent de la présence de l'Époux, nous apprend la joie dont sa présence est pour nous le principe, et nous rappelle le sacrement où il nous donne une nourriture sainte, nourriture qui ne fera défaut à personne pourvu que Jésus-Christ soit présent, c'est-à-dire qu'on le possède au dedans de soi-même. Mais lorsque l'Époux leur sera enlevé, alors ils jeûneront, car aucun de ceux qui ne croiront pas à la résurrection du Christ, ne mangera le pain de vie, puisque le sacrement où nous rece vons le pain du ciel nous est donné comme gage de notre foi en la résurrection. - S. Jér. Ou bien encore, c'est lorsque nos péchés ont forcé l'Époux de s'éloigner, qu'il faut recourir au jeûne et nous abandonner à la tristesse. - S. Hil. (Can. 9 sur S. Matth). Ces exemples nous sont aussi proposés pour nous apprendre que les âmes, aussi bien que les corps affaiblis par d'anciens péchés, sont incapables de recevoir les sacrements de la grâce nouvelle.
Rab. Quoique ces diverses comparaisons n'aient qu'un même objet, elles diffèrent cependant l'une de l'autre. Le vêtement qui couvre notre corps représente les bonnes oeuvres que nous faisons extérieurement; et le vin qui nous fortifie intérieurement signifie la ferveur de la foi et de la charité qui renouvelle l'intérieur de notre âme.
Catena Aurea 3828