Catena Aurea 3935
4001 Mt 10,1-4
La Glose. Depuis la guérison de la belle-mère de Pierre jusqu'à cet endroit, les miracles opérés par Jésus-Christ sont racontés sans interruption, et ils ont tous eu lieu avant le sermon sur la montagne, ainsi que le prouve jusqu'à l'évidence la vocation de saint Matthieu qui s'y trouve comprise, car saint Matthieu a été un des douze que Jésus a élus sur la montagne pour l'apostolat. Ici l'Évangéliste reprend son récit en suivant l'ordre dans lequel les faits se sont passés, après la guérison du serviteur du centurion. «Et Jésus ayant appelé les douze disci ples». - Remi. L'Évangéliste venait de raconter que Notre-Seigneur avait engagé ses disci ples à prier le Maître de la moisson d'envoyer les ouvriers dans sa moisson, et il accomplit lui-même ce qu'il les a engagés à demander. Le nombre douze en effet, est un nombre parfait; puisqu'il vient du nombre six qui est parfait lui-même, parce qu'il se compose de ses fractions qui sont un, deux trois. Or, ce nombre six étant doublé, forme le nombre douze. La Glose. Cette multiplication par deux peut signifier ou les deux préceptes de la charité ou les deux Testaments. - Raban. Le nombre douze, composé du nombre trois multiplié par quatre, signifie que les Apôtres prêcheront la foi en la sainte Trinité dans les quatre parties du monde. Ce nombre se trouve aussi figuré par avance de plusieurs manières dans l'Ancien Testament; dans les douze enfants de Jacob (Gn 35); dans les douze chefs des enfants d'Israël (Nb 1); dans les douze sources d'eau vive d'Hélim (Ex 15); dans les douze pierres précieuses qui brillaient sur le rational d'Aaron (Ex 39); dans les douze pains de proposition (Lv 24); dans les douze hommes envoyés par Moïse pour examiner la terre promise (Nb 13); dans les douze pierres qui servirent à élever un autel (1R 18); dans les douze autres pierres qui furent retirées du Jourdain (Jos 4); dans les douze boeufs qui supportaient la mer d'airain (1R 7); et pour le Nouveau Testament, dans les douze étoiles qui forment la couronne de l'épouse (Ap 12); dans les douze pierres fondamentales; dans les douze portes de la Jérusalem céleste qui fut révélée à saint Jean (Ap 21).
S. Chrys. (hom. 33). Ce n'est pas seulement en leur représentant leur ministère comme une moisson prête à recueillir que le Sauveur inspire à ses Apôtres une vive confiance, mais encore en leur donnant d'exercer ce ministère avec puissance. «Et il leur donna puissance sur les es prits impurs, pour les chasser et pour guérir toutes les langueurs et tou tes les infirmités». - Remi. Nous avons ici une preuve évidente que l'accablement de cette multitude ne venait pas d'une seule cause, mais que leurs infirmités étaient nombreuses et variées, et c'est en donnant à ses disciples le pouvoir de les traiter et de les guérir que Jésus prend pitié d'elles. - S. Jér. Car le Seigneur est plein de bonté et de clémence; c'est un Maître qui n'est pas jaloux de la puissance de ses serviteurs et de ses disciples; aussi leur donne-t-il libéralement le même pou voir qu'il avait exercé de guérir toutes les langueurs et toutes les infirmités. Mais il y a une grande différence entre posséder et accorder aux autres ce qu'on possède soi-même, entre donner et recevoir. Tout ce que fait Jésus-Christ, c'est avec un pouvoir souverain, tandis que les Apôtres, dans toutes leurs oeuvres, sont forcés de confesser leur propre faiblesse et la puis sance du Seigneur, comme lorsqu'ils disent: «Au nom de Jésus, levez-vous et marchez (Ac 3,6 Ac 20,34). L'Évangéliste nous donne ici le nombre des Apôtres pour en exclure comme faux apôtres ceux qui n'y sont pas compris; c'est pour cela qu'il ajoute: «Or, voici les noms des douze Apôtres: le premier, Simon qui s'appelle Pierre, et André son frère». Il n'appartenait qu'à celui qui pénètre le secret des coeurs d'assigner à chacun des Apôtres la place qu'il méritait. Le premier nommé, c'est Simon, et Jésus lui donne le surnom de Pierre pour le distinguer d'un autre Simon, le Chananéen, du bourg de Cana, ou Jésus changea l'eau en vin. - Rab. Le nom grec Ðåôñïò, en latin Petrus, correspond au nom syriaque Cephas, dans chacune de ces trois langues, ce nom est dérivé du mot pierre. Or, il est hors de doute que cette pierre est celle dont saint Paul a dit: «La pierre était le Christ».
Remi. - Quelques-uns ont voulu trouver dans ce nom, qui en grec comme en latin veut dire pierre, la signification d'un mot hébreu qui selon eux signifie dissolvant, ou déchaussant, ou connaissant. Mais cette interprétation a contre elles deux raisons, qui la rendent impossible, la première, c'est que dans la langue hébraïque la lettre P n'existe pas, et qu'elle est remplacée par la lettre F: ainsi on dit Philate ou Filate pour Pilate; la seconde, c'est l'interprétation de l'Évangéliste qui raconte que le Seigneur dit à Pierre: Tu t'appelleras Cephas, et ajoute de lui-même: «c'est-à-dire Pierre» (Jn 1). Or Simon signifie obéissant, car il obéit à la voix d'André, et vint avec lui trouver le Christ (Jn 1). Peut-être aussi est-ce parce qu'il se mon tra plein d'obéissance pour la volonté divine, et que sur une seule parole du Sauveur il se mit à sa suite (Mt 4). Ce nom, selon quelques autres interprètes, peut encore signifier celui qui dépose son chagrin, et qui entend une chose triste. En effet, à la résurrection du Sauveur, Pierre bannit la tristesse que lui avaient causé la passion du Sauveur et son propre reniement, et il entendit avec tristesse le Sauveur lui dire: «Un autre te ceindra, et te conduira là où tu ne veux pas».
«Et André son frère». C'est un grand honneur pour André que cette dénomination. Pierre est désigné par sa vertu, et André par la noblesse qui lui vient d'être le frère de Pierre. Saint Marc, au contraire, ne nomme André qu'après Pierre et Jean, les deux sommités du collège des Apô tres; et en cela différant de saint Matthieu, il les classe suivant leur dignité. - Remi. André signifie viril, car de même que le mot virilis, en latin, vient du mot vir, ainsi en grec le nom d'André vient d'áíçñ. C'est à juste titre qu'on lui donne le nom de viril, parce qu'il a tout quitté pour suivre le Christ, et qu'il a persévéré avec courage dans la voie de ses commande ments.
S. Jér. L'Évangéliste nous présente les Apôtres associés deux par deux. Il joint ensemble Pierre et André, beaucoup moins unis par les liens du sang que par ceux de l'esprit; Jacques et Jean qui abandonnèrent leur père selon la nature pour suivre leur véritable Père qui est au ciel. «Jacques, est-il dit, fils de Zébédée, et Jean son frère». Jacques est ainsi désigné à cause d'un autre Ja cques qui est fils d'Alphée. - S. Chrys. (homél. 33). Vous voyez que ce n'est point par rang de dignité qu'il les place, car Jean ne l'emporte pas seulement sur les autres, mais sur son frère. - Remi. Jacques veut dire supplantateur, ou celui qui supplante; en effet non-seulement il supplanta les vices de la chair, mais encore il méprisa cette même chair jusqu'à la livrer au glaive d'Hérode (Ac 12). Jean signifie la grâce de Dieu, parce qu'il mérita d'être aimé de Dieu plus que tous les autres, et c'est ce privilège d'amour particulier qui lui valut de repo ser pendant la Cène sur la poitrine du Sauveur (Jn 13). Viennent ensuite Philippe et Bar thélemy : Philippe signifie l'ouverture de la lampe ou des lampes, parce qu'il s'empressa de répandre sur son frère, par le ministère de la parole, cette lumière dont le Sauveur l'avait éclai ré lui-même. Barthélemy est un nom plutôt syriaque qu'hébreu; il veut dire le fils de celui qui suspend le cours des eaux, c'est-à-dire le fils de Jésus-Christ, qui élève le coeur de ses prédi cateurs au-dessus des choses de la terre et les suspend pour ainsi dire aux choses célestes, afin que plus ils pénètrent les secrets du ciel, plus aussi la rosée de leur prédication sainte puisse enivrer et pénétrer les coeurs de ceux qui les entendent.
«Thomas et Matthieu le publicain». - S. Jér. Les autres Évangélistes en réunissant les deux noms mettent d'abord celui de Matthieu, ensuite celui de Thomas, et ils suppriment cette épi thète de publicain pour éviter l'apparence même de l'outrage à l'égard de saint Matthieu en rappelant son ancienne profession. Mais lui-même se place après saint Thomas, et se dit hau tement publicain, pour montrer que la grâce a surabondé là où le péché avait abondé (Rm 5). Remi. Le nom de Thomas signifie abîme ou gémeau; en grec il revient à celui de Didyme. Thomas mérite à la fois le nom d'abîme et de Didyme, car plus ses doutes se prolongèrent, plus aussi furent profondes et sa foi dans les effets de la passion du Seigneur et la connaissance qu'il eut de sa divinité, ce qu'il prouva en s'écriant: «Mon Seigneur et mon Dieu !» Matthieu signifie donné, car c'est par la grâce de Dieu que de publicain il devint évangéliste. «Et Jac ques fils d'Alphée, et Thadée». - Raban. Jacques, fils d'Alphée, est celui qui dans l'Évangile et dans l'Épître aux Galates est appelé le frère du Seigneur (Mt 13, 55; Mc 5, 3; Gal 1, 19), parce que Marie épouse d'Alphée était la soeur de Marie, mère du Seigneur. Saint Jean l'appelle Marie, épouse de Cléophas, ou peut-être parce qu'Alphée portait aussi le nom de Cléophas, ou bien parce qu'après la naissance de Jacques, Marie ayant perdu Alphée, épousa Cléophas en secondes noces. - Remi. Ce n'est pas sans raison qu'il est appelé fils d'Alphée, c'est-à-dire de celui qui est juste ou savant, car non-seulement il triompha des vices de la chair, mais encore il méprisa tous les soins qu'elle réclame; et il eut pour témoins de sa vertu les apôtres qui l'ordonnèrent évêque de l'Église de Jérusalem. L'histoire ecclésiastique raconte de lui, entre autres choses que jamais il ne mangea de viande, et qu'il ne but jamais ni vin ni bière. Il ne faisait point usage de bains, ne portait pas d'habits de lin; nuit et jour il priait, les genoux en terre. Ses vertus étaient si éclatantes que tous unanimement l'appelaient le Juste. Thaddée est celui que saint Luc appelle Judas de Jacques, c'est-à-dire frère de Jacques. Dans son Épître que l'Église reçoit comme canonique, il s'appelle lui-même frère de Jacques. - S. Aug. (de l'acc. des Evang., 1. 2, ch. 30). Quelques manuscrits lui donnent le mon de Lebbée; mais qui empêche que le même homme porte simultanément deux ou trois noms différents? - Remi. Judas signifie celui qui a confessé, parce qu'il a confessé la divinité du Fils de Dieu. - Rab. Thaddée ou Lebbée signifie sensé, ou celui qui s'applique à la culture du coeur.
«Simon le Chananéen et Judas Iscariote, qui le trahit». - S. Jér. Simon le Chananéen est celui qui est appelé Zélotés par un autre Évangéliste, parce que Chana signifie zèle. Judas Isca riote est ainsi nommé ou du bourg où il a pris naissance, ou de la tribu d'Issachar, et il semble que ce soit par une espèce de prophétie qu'il soit né pour sa condamnation; car Issachar signi fie récompense, et ce nom semble indiquer le prix de sa trahison. - Remi. Le nom d'Iscariote signifie souvenir du Seigneur, parce qu'il se mit à la suite du Sauveur; ou bien mémorial de la mort, signification qui se rapporte au dessein prémédité de la mort du Seigneur; ou bien suffocation, parce qu'il s'étrangla de ses propres mains. Il est à remarquer que ce nom de Judas fut porté par deux des disciples de Jésus, qui sont la figure de tous les chrétiens: Judas frère de Jacques représente tous ceux qui persévèrent dans la foi; Judas Iscariote, ceux qui abandon nent la foi pour retourner en arrière.
La Glose. Les Apôtres sont nommés deux par deux, comme témoignage d'approbation de la société conjugale prise dans le sens figuré. - S. Aug. (Cité de Dieu, 18). Jésus les choisit donc pour disciples et donna le nom d'apôtres à ces hommes de naissance obscure, sans dis tinction, sans instruction, afin que lui seul fût reconnu pour l'unique auteur de ce qui paraîtrait de grand dans leur personne comme dans leurs actions. Parmi ces douze apôtres il s'en trouva un mauvais; mais Jésus fit servir sa méchanceté même au bien, en accomplissant par elle le mystère de sa passion, et enseignant à son Église à supporter comme lui les méchants dans son sein. - Rab. Le choix de Judas pour apôtre n'est point le résultat d'une imprudence; le Seigneur nous apprend par là combien grande est la vérité qui ne peut être affaiblie par la trahison même d'un de ses ministres. Il a voulu encore être trahi par un de ses disciples, pour vous ap prendre lorsque vous serez trahi vous-même par un de vos amis, à supporter avec patience les suites de votre erreur et la perte de vos bienfaits.
4005 Mt 10,5-8
La Glose. Comme toute manifestation de l'Esprit, d'après l'Apôtre, est donnée pour l'utilité de l'Église, après avoir donné ce pouvoir aux Apôtres, le Sauveur les envoie pour qu'ils puis sent l'exercer dans l'intérêt des hommes; c'est ce que nous indique l'Évangéliste par ces mots: «Jésus envoya ces douze». - S. Chrys. (hom. 33). Voyez comme Jésus choisit bien le moment pour leur donner cette mission, il les envoie après qu'ils l'ont vu ressusciter un mort, commander à la mer et faire d'autres prodiges semblables, et après qu'il leur a donné par ses paroles et par ses oeuvres des preuves suffisantes de sa divinité.
La Glose. En les envoyant, il leur enseigne où ils devaient aller, ce qu'ils doivent dire, et ce qu'ils doivent faire. Et d'abord où doivent-ils aller? Il leur donne les instructions suivantes: «Vous n'irez point vers les Gentils, et vous n'entrerez pas dans les villes des Samaritains; mais allez plutôt aux brebis perdues de la maison d'Israël». - S. Jér. Ce commandement n'est pas contraire à celui qu'il leur donna plus tard: «Allez, enseignez toutes les nations», car le premier a été donné avant, et le second après la résurrection du Sauveur. Il fallait en effet que l'Évangile fût d'abord annoncé aux Juifs, pour leur ôter cette excuse qu'ils avaient rejeté le Seigneur, parce qu'il avait envoyé ses Apôtres aux Samaritains et aux Gentils. - S. Chrys. (hom. 33). Une autre raison pour laquelle il les envoie d'abord vers les Juifs, c'est pour les préparer dans la Judée comme dans une arène aux combats qu'ils devaient livrer à l'univers entier, et il les excite à prendre leur vol (cf Dt 32) comme de petits oiseaux encore faibles. -
S. Grég. (hom. 4 sur les Evang). Ou bien il voulut d'abord être annoncé aux Juifs seuls, et puis ensuite aux Gentils, de manière que la prédication du Rédempteur repoussée par les siens, s'adressât ensuite aux Gentils comme à des étrangers. Il y en avait cependant parmi les Juifs qui devaient être appelés, comme il y en avait parmi les Gentils qui ne devaient avoir part ni à cette vocation, ni au bienfait de la régénération, sans toutefois mériter un jugement sévère pour le mépris qu'ils avaient fait de la prédication évangélique. - S. Hil. (can. 10 sur S. Matth). La loi devait avoir le privilège des prémices de l'Évangile, et l'incrédulité d'Israël de vait être d'autant moins excusable, que les avertissements lui avaient été prodigués avec un plus grand zèle. - S. Chrys. (hom. 33). Le Sauveur ne veut pas leur donner à penser qu'il nourrissait contre eux de la haine, parce qu'ils l'accablaient d'outrages et l'appelaient possédé du démon; il s'applique donc à les rendre meilleurs, et il détourne ses disciples de toute autre occup ation pour les leur envoyer comme des médecins et comme des docteurs. Il ne se contente pas de leur défendre de prêcher à d'autres qu'aux Juifs, il ne leur accorde même pas de prendre la route qui les aurait conduits chez les Gentils: «N'allez pas dans la voie qui mène aux na tions». Et parce que les Samaritains étaient les ennemis des Juifs, bien qu'ils fussent plus faci les à convertir à la foi, il ne permet pas à ses disciples de leur annoncer l'Évangile avant de l'avoir prêché aux Juifs. «Vous n'entrerez pas dans les villes des Samaritains». - La Glose. Les Samaritains étaient des Gentils que le roi d'Assyrie laissa dans la terre d'Israël après en avoir emmené les habitants en captivité. Sous la pression des dangers aux quels ils furent exposés, ils se convertirent au judaïsme (2R 13), se soumirent à la circoncision, admirent les cinq livres de Moïse, mais rejetèrent tout le reste avec horreur, ce qui empêcha les Juifs de se mêler jamais aux Samaritains. - S. Chrys. (hom. 33). Jésus détourne donc ses disciples d'aller vers les Samaritains, et il les envoie aux enfants d'Israël, qu'il appelle des brebis qui périssent, et non pas des brebis qui s'éloignent d'elles-mêmes; cherchant ainsi par tous les moyens à leur ménager le pardon et à gagner leur coeur. - S. Hil. (can. 40 sur S. Matth). Le Sauveur les appelle des brebis; mais ils ne s'en déchaînèrent pas moins contre lui avec la méchanceté des vipères et la férocité des loups. - S. Jér. Dans le sens tropologique il nous est ordonné à nous qui portons le nom du Christ, de ne pas suivre la voie des Gentils et des hérétiques, et de ne point imiter la vie de ceux dont la religion nous sépare.
La Glose. Après leur avoir appris où ils doivent aller, il leur enseigne quel doit être le sujet de leurs prédications. «Allez et prêchez, en disant que le royaume des cieux approche». - Rab. Notre-Seigneur dit que le royaume des cieux approche, non pas sans doute par aucun mouvement extérieur des éléments, mais par la foi qui nous est donnée au Créateur invisible. C'est à juste titre que les saints sont appelés les cieux parce qu'ils possèdent Dieu par la foi et qu'ils l'aiment par la charité. - S. Chrys. (homél. 33). Vous voyez la sublimité de ce mystère et la dignité des Apôtres; ce ne sont pas des choses extérieures et sensibles qu'ils doivent an noncer comme Moïse et les prophètes, mais des vérités nouvelles et tout à fait inattendues. Moïse et les prophètes avaient annoncé des biens terrestres; les Apôtres annoncent le royaume des cieux, et tous les biens qu'ils renferment.
S. Grég. (hom. 4 sur les Evang). Au ministère sacré de la prédication, le Sauveur ajoute le pouvoir de faire des miracles, afin que la manifestation de cette puissance ouvrît les coeurs à la foi, et qu'une prédication toute nouvelle fût accompagnée d'oeuvres d'un ordre tout nouveau. C'est pour cela qu'il leur dit: «Rendez la santé aux malades, ressuscitez les morts, guérissez les lépreux, chassez les démons». - S. Jér. Dans la crainte que personne ne voulût croire à ces hommes simples et grossiers, sans science, sans lettres, sans éloquence, qui venaient pro mettre le royaume des cieux, il leur donne le pouvoir d'opérer ces miracles, pour que la gran deur des prodiges fût une preuve de la grandeur des promesses. - S. Hil. (can. 10 sur S. Matth). Le Seigneur communique toute sa puissance, toute sa vertu aux Apôtres, afin que ceux qui avaient été crées à l'image d'Adam et à la ressemblance de Dieu, reçoivent maintenant une ressemblance parfaite avec le Christ, et qu'ils puissent guérir par cette participation à la puis sance divine tous les maux dont l'instinct infernal du démon avait frappé le corps d'Adam. - S. Grég. (hom. 29 sur l'Evang). Ces miracles étaient nécessaires alors que l'Église était à son berceau, car pour que la foi pût s'accroître, il fallait la nourrir avec des prodiges. - S. Chrys. Plus tard, ces miracles cessèrent lorsque la foi fut répandue en tous lieux, ou s'il y en eut encore, ce fut en très petit nombre. Car Dieu opère ordinairement ces prodiges lorsque le mal est arrivé à son comble, et c'est alors qu'il fait éclater sa puissance. - S. Grég. (hom. 29 sur l'Evang). Cependant la sainte Église renouvelle tous les jours pour les âmes ces miracles extérieurs et sensibles des Apôtres, miracles d'autant plus grands qu'ils ont pour objet de ren dre la vie non pas au corps, mais à l'âme. - Remi. Ces infirmes sont les âmes sans énergie, qui n'ont pas la force de mener une vie chrétienne; les lépreux ceux qui sont couverts des souillures des oeuvres et des plaisirs de la chair; les morts, ceux qui font des oeuvres de mort, les possédés, ceux que le démon a soumis à son empire. - S. Jér. Et parce que les dons spi rituels s'avilissent toujours lorsqu'ils deviennent le prix d'une récompense temporelle, Notre-Seigneur condamne cette avarice en ces termes: «Vous avez reçu gratuitement, donnez gra tuitement; moi qui suis votre maître et votre Seigneur, je vous ai donné cette grâce sans vous la faire payer; vous devez la donner de même. - La Glose. Son but ici est de détourner Judas qui portait la bourse de se servir de cette puissance pour amasser de l'argent, et de condamner en même temps la pernicieuse hérésie des Simoniaques. - S. Grég. (homél. 29). Car il prévoyait qu'il y en aurait pour qui les dons de l'Esprit saint seraient un objet de trafic, et qui mettraient le don des miracles au service de leur avarice. - S. Chrys. (hom. 33). Voyez comme le Seigneur, en même temps qu'il sauvegarde la dignité des miracles, prend soin de régler la conduite de la vie en faisant voir que sans une vie réglée les miracles ne sont rien. En effet, il étouffe dans leur coeur tout sentiment d'orgueil par ces paroles: «Vous avez reçu gratuitement»; et par ces autres: «Donnez gratuitement», il leur commande de se garder purs de toute affection aux richesses. Ou bien en leur disant: «Vous avez reçu gratuitement», il veut leur apprendre qu'ils ne sont pas les auteurs des bienfaits qu'ils répandent; comme s'il leur disait: «Vous ne donnez rien de ce qui vous appartient», vous ne l'avez reçu ni comme récompense, ni comme prix de votre travail, c'est une grâce que je vous ai accordée, donnez-la donc comme vous l'avez reçue, car jamais vous ne pourrez en trouver un prix qui réponde à sa valeur.
4009 Mt 10,9-10
S. Chrys. (hom. 33). Après avoir défendu à ses Apôtres le trafic des choses spirituelles, le Seigneur veut arracher de leur coeur la racine de tous les maux. «Ne possédez, dit-il, ni or, ni argent». - S. Jér. Si la fin qu'ils se proposent, en prêchant l'Évangile, n'est point de rece voir une récompense pécuniaire, pourquoi auraient-ils d'ailleurs de l'or, de l'argent ou d'autre monnaie, puisque alors ce n'est plus le salut des hommes, mais l'amour de l'argent qui semble rait être le mobile de leurs prédications? - S. Chrys. (hom. 33). En leur donnant ce précepte, il élève d'abord ses disciples au-dessus de tout soupçon; en second lieu, il les affranchit de toute sollicitude pour qu'ils puissent se donner tout entiers à la parole de Dieu, et il leur enseigne enfin jusqu'où va sa puissance, car il leur dira plus tard: «Lorsque je vous ai envoyés sans sac et sans bourse, vous a-t-il manqué quelque chose ?» (Lc 22). - S. Jér. Ce n'est pas assez d'avoir coupé jusque dans sa racine l'amour des richesses représentées par l'or, l'argent et la monnaie courante, il semble vouloir retrancher jusqu'au soin des choses nécessaires à la vie. C'est qu'il veut que les Apôtres, prédicateurs de la vraie religion, qui devaient enseigner que le gouvernement de la providence divine s'étend à tout, se montrent eux-mêmes sans pré occupation pour le lendemain: et c'est pour cela qu'il ajoute: «Ni monnaie dans vos bour ses». - La Glose. Il y a deux sortes de choses nécessaires: l'une qui sert à acheter le né cessaire, c'est l'argent dans la bourse; l'autre le nécessaire lui-même, qui est ici représenté par le sac. - S. Jér. Par ces paroles: «Ni sac dans la route», le Sauveur condamne certains philosophes qu'on appelait Bactropérates, qui méprisant le monde, et comptant tout pour rien, portaient avec eux toutes leurs provisions. «Ni deux tuniques». Ces deux tuniques dont parle le Seigneur signifient, à mon avis, deux vêtements différents. Il ne défend donc pas à ceux qui sont exposés au froid glacial de la Scythie où qui vivent sous d'autres climats rigoureux, de porter deux tuniques; mais par la tunique il entend le vêtement, et dès lors que nous en avons un, il nous défend d'en avoir un autre en réserve, par un sentiment de crainte pour l'avenir. «Ni chaussures». Platon lui-même a défendu de couvrir les deux extrémités du corps pour ne pas rendre trop délicats la tête et les pieds, car lorsque ces deux parties ont de la vigueur et de la fermeté, les autres parties du corps en deviennent elles-mêmes plus robustes. «Ni bâton». Pourquoi chercher l'appui d'un bâton, nous qui avons pour soutien le Seigneur lui-même? -
Remi. Le Seigneur nous montre encore par ces paroles, qu'il rappelle les saints prédicateurs de la loi nouvelle à la dignité du premier homme, car tant qu'il posséda les trésors du ciel il ne désira point les trésors de la terre, et il n'y pensa que lorsqu'il eut perdu les richesses du ciel par son péché.
S. Chrys. (hom. 33). Heureux échange ! au lieu de l'or, de l'argent et d'autres choses de même nature, ils ont reçu le pouvoir de guérir les malades, de ressusciter les morts, et de faire d'autres semblables miracles. Aussi le Sauveur ne leur a pas tout d'abord fait cette défense: «Ne possédez ni or ni argent», mais il a commencé par leur dire: «Guérissez les lépreux, chassez les démons». On voit ici que d'hommes qu'ils étaient, le Sauveur en fait pour ainsi dire des anges, qu'il affranchit de tout soin de la vie présente pour ne leur laisser qu'une seule préoccupation, celle de la doctrine. Et encore veut-il les délivrer de cette sollicitude, lors qu'il leur dit: «Ne vous mettez pas en peine de ce que vous direz» (Lc 12,11). C'est ainsi qu'il leur rend léger et facile ce que l'on regarde comme une tâche lourde et pénible. Car quoi de plus doux que d'être affranchi de tout soin, de toute inquiétude, surtout lors que avec cela on n'éprouve aucun dommage, parce que Dieu est présent et que son action remplace la nôtre? - S. Jér. Comme il venait d'envoyer prêcher ses Apôtres dépouillés de tout, et sans leur rien laisser, et que la condition de ces maîtres de l'univers paraissait bien dure, il adoucit la sévérité de ces commandements en ajoutant: «Car l'ouvrier est digne de son salaire», ce qui revient à dire: «Recevez tout ce qui vous est nécessaire pour le vêtement et pour la nourriture». C'est ce que recommande aussi l'apôtre S. Paul: «Dès lors que nous avons la nourriture et le vête ment, soyons-en contents (1Tm 6); et ailleurs: «Que celui que l'on instruit des choses de la foi fasse part de tous ses biens à celui qui l'instruit» (Ga 6); c'est-à-dire que les disciples qui moissonnent les biens spirituels de ceux qui les enseignent, les fassent participer à leurs biens temporels, non pour satisfaire à leur avarice, mais pour subvenir à leurs besoins.
S. Chrys. (hom. 33). Il était nécessaire que les Apôtres fussent nourris par leurs disciples, car ils auraient pu s'élever au-dessus de ceux qu'ils enseignaient, parce qu'ils leur donnaient tout sans en rien recevoir; et les disciples, à leur tour, auraient pu se croire méprisés, et s'éloigner de leurs maîtres. Il ne veut pas non plus que les Apôtres rougissent de leur mission et viennent dire: «Il veut donc que nous vivions comme des mendiants ?» Il leur montre que cette nour riture leur est due, en leur donnant le nom d'ouvriers, et en appelant salaire ce qu'ils reçoivent. Les Apôtres ne devaient pas regarder comme un léger bienfait l'Évangile qu'ils annonçaient, parce que ce ministère est tout entier dans la parole; et c'est pour cela qu'il ajoute: «L'ouvrier mérite de recevoir sa nourriture». Ce n'est pas qu'il veuille cependant leur donner une idée exagérée de leurs travaux et de la récompense qu'ils méritent; mais son dessein est de tracer aux Apôtres une règle de conduite, et d'apprendre à ceux qui fournissent à leurs besoins qu'ils ne font en cela que s'acquitter de ce qu'ils doivent. - S. Aug. L'Évangile n'est pas une chose vénale et on ne doit point l'annoncer pour obtenir des biens temporels. Ceux qui trafi quent ainsi de l'Évangile vendent à vil prix une chose bien précieuse. Les prédicateurs peuvent donc recevoir des peuples qu'ils évangélisent la nourriture nécessaire à leur vie, et attendre de Dieu seul la récompense de leur ministère. Ce n'est pas un salaire que les fidèles donnent à ceux que la charité porte à leur annoncer l'Évangile, c'est un subside qui leur permet de continuer leurs travaux. S. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 30). Après avoir dit à ses Apôtres: «Ne possédez point d'or», le Sauveur ajoute immédiatement: «L'ouvrier mérite qu'on le nourrisse»; paroles qui font connaître la raison pour laquelle il ne veut pas qu'ils aient ou qu'ils portent avec eux de l'or ou de l'argent. Ce n'est pas que l'un et l'autre ne soient nécessaires à l'entretien de la vie; mais il veut, en les envoyant prêcher l'Évangile, que l'on comprenne bien que ce salaire leur est dû par les fidèles qu'ils allaient évangéliser, comme la solde est due à ceux qui combattent. Nous voyons encore ici que l'intention du Seigneur n'est pas de défendre à celui qui annonce l'Évangile d'avoir d'autres moyens de subsistance que les offrandes des fidèles, car alors saint Paul aurait été contre cette défense, lui qui vivait du travail de ses mains (Ac 20, 34; 1 Th 2, 9). Mais il leur donne simplement le pouvoir de recevoir ces offrandes comme une chose qu i leur est due. Ne pas faire ce que le Seigneur commande, c'est une désobéissance formelle; mais il est permis de ne pas user d'un pouvoir qu'il donne, et d'y renoncer comme à un droit qui nous est acquis. Le Sauveur veut donc établir que ceux qui annoncent l'Évangile ont le droit de vivre de l'Évangile, et il recommande à ses Apôtres d'être sans inquiétude lorsqu'ils ne posséderont ni ne porteront aucune des choses nécessaires à la vie, quelle que soit leur importance; c'est pourquoi il ajoute: «ni bâton», pour apprendre aux fidèles qu'ils doivent tout aux ministres de l'Évangile, pourvu qu'ils ne demandent rien de su perflu. D'après l'évangéliste saint Marc, Notre-Seigneur leur défend de rien emporter avec eux pour le chemin, si ce n'est un bâton, et le bâton est l'emblème de ce pouvoir qu'il leur donne. Lorsque d'après saint Matthieu il défend de porter même des chaussures, il veut qu'ils soient libres de toute inquiétude, car on ne songe à s'en pourvoir que dans la crainte qu'on vienne à en manquer. Il faut entendre dans le même sens ce qu'il dit des deux tuniques; il leur défend d'en porter d'autre que celle dont ils sont revêtus, pour se prémunir contre les nécessités du voyage, puisqu'ils ont le droit d'en recevoir au besoin. Dans saint Marc, Notre-Seigneur leur permet d'avoir pour chaussures des sandales, et cette chaussure a nécessairement une signifi cation mystique; comme elle laisse le pied découvert par dessus, tandis qu'elle le garantit par dessous, elle signifie que l'Évangile ne doit pas être tenu dans le secret, et qu'il ne doit pas s'appuyer sur des intérêts temporels. Il leur défend expressément dans le même endroit non-seulement de porter deux tuniques, mais même de s'en revêtir; c'est pour les avertir de fuir toute duplicité, et d'être toujours simples dans leur conduite. Il est donc incontestable que le Seigneur a dit tout ce que les Évangélistes ont rapporté, tant au sens littéral, qu'au sens figuré; mais qu'ils ont rapporté les uns une partie de son discours, les autres une autre. Maintenant que celui qui prétendrait que le Sauveur n'a pu, dans le même passage, parler tantôt au sens figuré, tantôt au sens propre, jette les yeux sur d'autres parties de l'Évangile, et il se convain cra que cette opinion est aussi téméraire qu'elle est peu éclairée. Car lorsque le Seigneur re commande de laisser ignorer à la main gauche ce que fait la main droite, il sera forcé de pren dre dans un sens figuré les aumônes et tout ce qui fait la matière de ce commandement.
S. Jér. Nous avons donné le sens historique, voyons maintenant le sens anagogique. Il est défendu aux docteurs de l'Évangile d'avoir ni or, ni argent, ni monnaie dans leur bourse. Nous voyons que l'or est souvent pris pour l'intelligence, l'argent pour la parole, la monnaie pour la voix. Or, nous ne pouvons recevoir ces trois choses de personne, si ce n'est de Dieu qui nous les donne, ni emprunter rien aux enseignements des hérétiques, des philosophes ou d'autres doctrines également perverses. - S. Hil. (can. 10 sur S. Matth). La ceinture est une des cho ses nécessaires à celui qui remplit quelque office, et elle rend son action plus libre; nous défen dre d'avoir de l'argent dans nos ceintures, c'est nous défendre toute vénalité dans l'exercice de notre ministère. Nous ne devons point porter de sac pour le chemin, c'est-à-dire qu'il nous faut laisser toute préoccupation des soins matériels; car tout trésor sur la terre ne peut que nous être funeste, parce que notre coeur sera nécessairement là où notre trésor est enfoui. Il ajoute: «Ni deux tuniques». Il nous suffit, en effet, de nous être revêtus une fois de Jésus-Christ, et après avoir reçu l'intelligence de la vérité, nous devons rejeter les vêtements que nous présen tent l'hérésie ou la loi ancienne. «Ni chaussures», c'est-à-dire que, marchant sur une terre sainte et débarrassée d'épines et de ronces, ainsi qu'il fut dit à Moïse (Ex 3), nous ne devons couvrir nos pieds d'autre chaussure que de celle que nous avons reçue de Jésus-Christ. - S. Jér. Ou bien le Seigneur nous enseigne à ne pas enchaîner nos pieds dans les liens de la mort, mais à les dépouiller de tout pour entrer dans la terre sainte, à laisser même ce bâton qui pourrait se changer en serpent; à ne nous appuyer sur aucun secours humain, car un bâton ou une baguette ne sont jamais que des roseaux qui, pour peu qu'on les presse, se brisent et déchi rent la main de ceux qui s'y appuient. - S. Hil. (can. 10). Nous n'avons besoin, du reste, d'aucun secours étranger, nous qui avons en main le rejeton qui est sorti de la tige de Jessé (Is 11,1).
Catena Aurea 3935