Catena Aurea 4120
4120 Mt 11,20-24
La Glose. Jusqu'ici les reproches du Sauveur s'étaient adressés indistinctement à tous les Juifs, maintenant il les fait tomber en particulier sur quelques villes qu'il avait évangélisées d'une manière plus spéciale, et qui, cependant, n'avaient pas voulu se convertir. «Alors, dit l'Évangéliste, il commença à faire des reproches aux villes»,etc. - S. Jér. Ce chapitre s'ouvre par les reproches qu'il fait aux villes de Bethsaïde et de Capharnaüm, de ce qu'après tant de prodiges et de miracles opérés au milieu d'elles, elles n'ont pas fait pénitence. «Malheur à vous, Corozaïm ! malheur à vous, Bethsaïde !» - S. Chrys. (hom. 38). C'est pour vous apprendre que les habitants de ces villes n'étaient pas mauvais par leur nature qu'il nomme la ville de Bethsaïde, qui avait donné le jour à plusieurs d'entre les Apôtres. En effet, Philipp e, et les deux principaux couples du collège apostolique, Pierre et André, Jacques et Jean, étaient de Bethsaïde. - S. Jér. Cette expression, «malheur», nous montre que le Sauveur déplore le triste sort de ces villes, de ce qu'après tant de miracles et de prodiges opérés sous leurs yeux, elles n'ont pas fait pénitence. - Rab. Coro zaïm qui veut dire mon mystère, et Bethsaïde, la maison des fruits ou la maison des chasseurs, sont des villes de Galilée assises sur les bords de la mer de Galilée. Le Seigneur déplore le triste sort de ces villes, à qui le mystère de Dieu a été révélé, qui auraient dû produire des fruits de vertu, et dans lesquelles il avait envoyé des chasseurs spirituels. - S. Jér. Le Sauveur leur préfère Tyr et Sidon, villes adonnées à l'idolâtrie et à tous les vices. «Car, ajoute-t-il, si les merveilles qui ont été opérées au milieu de vous avaient été faites au milieu de Tyr et de Sidon, il y a longtemps qu'eues auraient fait pénitence dans la cendre et le cilice». - S. Grég. (Moral., 35, 2). Le cilice signifie la componction et l'austérité de la pénitence; la cendre, la poussière des morts. Tous deux sont mis en usage dans la pénitence, afin que les pointes du cilice nous rappellent ce que nous avons fait en péchant, et que la cendre nous fasse réfléchir sur ce que nous sommes devenus par le jugement de Dieu.
- Rab. Tyr et Sidon sont des villes de Phénicie. Tyr veut dire angoisse, et Sidon, chasse; elles représentent les nations que le démon a prises comme un chasseur dans les détroits resser rés du péché, mais que le Sauveur Jésus a délivrées par son Évangile.
S. Jér. Où donc voyons-nous que le Sauveur ait fait des miracles dans Corozaïm et dans Bethsaïde? Nous lisons dans un des chapitres précédents: «Il parcourait toutes les villes et les villages, guérissant toutes les maladies», etc. Il est donc à croire que Corozaïm et Bethsaïde étaient du nombre de ces villes et bourgades dans lesquelles le Sauveur avait opéré des miracles.
- S. Aug. (de la persév., chap. 9). Il n'est donc pas vrai de dire que l'Évangile n'ait pas été prêché dans les temps et dans les lieux où le Seigneur prévoyait l'inutilité de ses prédications pour tous ceux qui l'entendraient, aussi bien que pour un grand nombre de ceux qui n'ont pas voulu croire en lui, même après qu'ils l'eurent vu ressusciter des morts; car voici le Seigneur qui nous assure que les habitants de Tyr et de Sidon eussent fait une pénitence pleine d'humilité, s'ils avaient été témoins des miracles de la puissance divine. Or, si les morts sont jugés sur ce qu'ils auraient fait s'ils avaient vécu, comme les habitants de ces villes se seraient convertis à la foi si l'Évangile leur eût été annoncé et confirmé par tant de miracles éclatants, il faudrait en conclure qu'ils seront exempts de tout châtiment; et cependant ils seront punis au jour du jugement, d'après les paroles qui suivent: «Néanmoins je vous le dis, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous». La peine des derniers sera donc plus légère, et le châtiment des autres plus rigoureux. - S. Jér. Et la raison, c'est que Tyr et Sidon ont foulé aux pieds la loi naturelle seule, tandis que ces villes, à la transgression de la loi écrite, ont joint le mépris des miracles qui ont été faits au mi lieu d'elles. - Rab. Nous sommes aujourd'hui témoins de l'accomplissement des paroles du Sauveur: Corozaïm et Bethsaïde ne voulurent pas croire en lui lorsqu'il les honorait de sa présence, tandis que Tyr et Sidon crurent plus tard à la prédication des Apôtres. - Remi. Capharnaüm était la métropole de la Galilée, et la ville la plus célèbre de cette province; c'est pour cela que le Seigneur en fait une mention spéciale: «Et toi Capharnaüm, t'élèveras-tu jusqu'au ciel? tu seras abaissée jusqu'aux enfers». - S. Jér. On peut entendre ces paroles de deux manières: ou bien tu descendras jusqu'aux enfers, parce que tu as résisté avec orgueil à mes prédications; ou bien, parce que élevée jusqu'au ciel par le séjour que j'ai daigné faire au milieu de toi, aussi bien que par les prodiges et pa r les merveilles que j'ai opérés dans ton sein, tu seras condamnée à de plus grands supplices pour avoir abusé de grâces si privilégiées, en refusant de croire en moi. -
Remi. Ce ne sont pas seulement les péchés de Tyr et de Sidon, mais les crimes de Sodome et de Gomorrhe qui sont légers en comparaison. Car, ajoute-t-il, si les merveilles qui ont été opé rées au milieu de toi eussent été faites dans Sodome, peut-être cette ville existerait encore. - S. Chrys. (hom. 39). C'est ce qui rend leur accusation plus rigoureuse, car la plus forte preuve de méchanceté, c'est d'être plus mauvais non-seulement que les méchants qui existent, mais que ceux qui ont jamais existé.
S. Jér. Dans la ville de Capharnaüm, qui veut dire très belle maison de plaisance, se trouve condamnée Jérusalem, à qui Ézéchiel a dit: Sodome a été trouvée juste auprès de toi. - Remi. Le Seigneur qui connaît toutes choses, s'est servi ici du mot dubitatif peut-être, pour montrer que les hommes ont reçu de lui le don du libre arbitre. Il ajoute: «C'est pourquoi je vous déclare qu'au jour du jugement le pays de Sodome sera traité moins rigoureusement que vous». Il faut se rappeler que sous le nom d'une ville ou d'une contrée, les reproches du Seigneur s'adressent non pas aux édifices ou aux mu railles des maisons, mais aux hommes qui les habitent, d'après la figure appelée métonymie, qui exprime le contenu pour le contenant. Les paroles suivantes: «La peine sera plus légère au jour du jugement»,démontrent jusqu'à l'évidence qu'il y a dans l'enfer divers degrés de pei nes, de même qu'il y a divers degrés de gloire dans le royaume des cieux. - S. Jér. Un lecteur attentif me dira peut-être: Si les villes de Tyr, de Sidon et de Sodome auraient pu faire pénitence en entendant les prédications du Seigneur et devant l'éclat de ses miracles, elles ne sont pas coupables de n'avoir pas cru, mais la faute doit être imputée au si lence de celui qui n'a pas voulu leur prêcher dans le temps où elles étaient disposées à faire pénitence. La réponse à cette difficulté est facile et claire: c'est que nous ignorons les juge ments de Dieu, et les mystérieuses dispositions de sa providence. Notre-Seigneur s'était pro posé de ne point sortir des frontières de la Judée, ne voulant pas fournir aux pharisiens et aux prêtres un motif ou un prétexte pour le persécuter. C'est pour cela qu'il fait cette recomman dation aux Apôtres: «Vous n'irez pas dans le chemin des nations». Or, Corozaïm et Bethsaïde sont condamnées, parce qu'elles ont refusé de croire à la parole du Seigneur lui-même présent au milieu d'elles; Tyr et Sidon sont justifiées pour avoir cru à la parole de ses Apôtres. Pourquoi faire ici une question de temps alors que vous voyez que ceux qui croient sont sauvés? - Remi. Voici une autre solution de cette difficulté: dans Corozaïm, il y en avait probablement plusieurs qui devaient croire, de même que dans Tyr et dans Sidon il en était plusieurs qui devaient rester dans l'incrédulité, et qui, par conséquent, n'étaient pas dignes de l'Évangile. Notre-Seigneur a donc évangélisé les habitants de Corozaïm et de Bethsaïde, afin que ceux qui devaient croire pussent embrasser la foi; et il ne voulut point porter la prédication de l'Évangile aux habitants de Tyr et de Sidon, dans la crainte que ceux qui refuseraient de croire, devenus plus coupables par le mépris de l'Évangile, ne fussent aussi plus rigoureusement punis.
S. Aug. (de la persévér., chap. 10). Un controversiste catholique qui n'est pas à dédaigner explique ce passage de l'Évangile en disant que le Seigneur avait prévu que les Tyriens et les Sidoniens devaient plus tard abandonner la foi qu'ils auraient embrassée sur l'autorité des miracles opérés sous leurs yeux; et c'est par miséricorde qu'il n'a point voulu faire de miracles au milieu d'eux, parce que en abandonnant la foi qu'ils avaient professée, ils se seraient rendus dignes de châtiments plus rigoureux que s'ils ne l'avaient jamais reçue. (Evang., chap. 12). On peut dire encore que le Seigneur prévoit avec certitude les grâces auxquelles il a daigné atta cher notre délivrance: c'est la prédestination des saints, c'est-à-dire la prescience et la prépa ration des grâces qui doivent infailliblement sauver ceux qui doivent l'être; les autres, par un juste jugement de Dieu, sont laissés dans la masse de perdition, comme les habitants de Tyr et de Sidon qui auraient pu croire également s'ils avaient été témoins des nombreux miracles de Jésus-Christ; mais comme le don de la foi ne leur a pas été accordé, les moyens de croire leur ont été refusés. On peut conclure de là qu'il y a des hommes qui ont naturellement dans leur esprit un don particulier d'intelligence qui les porterait vers la foi, s'ils voyaient des miracles ou s'ils entendaient des paroles conformes aux dispositions de leur âme; et cependant si, par un profond jugement de Dieu, ils ne sont pas séparés de la masse de perdition par la grâce de la prédestination, ils n'entendront jamais ces paroles divines, ils ne verront jamais ces faits mira culeux qui deviendraient pour eux, s'ils en étaient témoins, des moyens assurés de parvenir à la foi. C'est dans cette masse de perdition que furent laissés les Juifs eux-mêmes qui ne purent croire aux miracles si éclatants qui furent opérés sous leurs yeux, et l'Évangile ne nous a pas caché la raison pour laquelle ils n'ont pu croire: «Bien que le Sauveur eût opéré sous leurs yeux d'aussi grands miracles, ils ne pouvaient pas croire, selon ce qu'Isaïe a dit: «Il a aveuglé leurs yeux (Is 6,9 Ac 28,18), et il a endurci leurs coeurs» (Jn 12). Les yeux des Tyriens et des Sidoniens n'étaient donc pas aveuglés de manière à ne pouvoir croire, s'ils avaient vu de semblables miracles; mais comme ils n'étaient pas prédestinés, il ne leur servit de rien d'avoir pu croire, de même que ce n'eût pas été pour eux un obstacle de ne pouvoir croire si Dieu les eût prédestinés à recevoir la lumière de la loi malgré leur aveuglement, et s'il avait voulu leur ôter leur coeur le pierre, cause de leur endurcissement.
S. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 32). Saint Luc rapporte ces mêmes paroles, en les donnant comme la suite d'un discours du Seigneur. Cet Évangéliste paraît avoir suivi dans sa narration l'ordre dans lequel ces paroles ont été dites, tandis que saint Matthieu ne suit d'autre ordre que celui de ses souvenirs. Ou bien, la manière dont saint Matthieu s'exprime: «Alors il commença à faire des reproches», etc., devrait être entendue en ce sens que le mot «alors» indiquerait le moment précis du temps où ces paroles ont été prononcées, et non l'espace de tem ps plus long dans lequel on pourrait placer un grand nombre d'autres actions, ou d'autres discours du Sauveur. En admettant cette opinion, il faut admettre que ces paroles ont été dites deux fois; car, puisque dans un seul et même Évangile on trouve répétées comme dites dans deux circonstances différentes les mêmes paroles du Seigneur, par exemple, la recommandation qu'il fait de ne pas porter de sac en voyage (Lc 9 Lc 10), qu'y a-t-il d'étonnant que des paroles dites deux fois par le Sauveur soient rapportées par deux Évangélistes dans l'ordre où elles ont été prononcées? Et la raison pour laquelle cet ordre est différent, c'est justement parce que chacun d'eux rattache ces paroles au temps où elles ont été dites.
4125 Mt 11,25-26
La Glose. Le Seigneur savait qu'un grand nombre douteraient de la vérité qu'il venait de leur révéler, c'est-à-dire que les Juifs ont rejeté le Christ, tandis que les Gentils l'ont retenu avec empressement; il répond donc à ces doutes intérieurs: «Et Jésus, répondant, dit ces paroles: Je vous rends gloire, mon Père», etc. C'est-à-dire vous qui faites les cieux, et qui lais sez dans l'attachement aux choses de la terre ceux que vous voulez. Ou bien dans le sens litté ral: - S. Aug. (serm. 9 sur les paroles du Seig). Puisque Jésus-Christ dit: «Je vous confesse», lui si éloigné de tout péché, la confession n'est donc pas toujours l'aveu des pé chés, mais quelquefois aussi l'expression de la louange. Nous confessons donc soit en louant Dieu, soit en nous accusant nous-mêmes; et ces mots: Je vous confesse, signifient non pas: je m'accuse, mais: je vous loue, je vous rends gloire.
S. Jér. Que ceux qui osent calomnier le Sauveur en niant sa naissance éternelle et en soutenant qu'il a été créé dans le temps, entendent et méditent ces paroles. Ils appuient leur opinion sur ce qu'il appelle ici son Père le Seigneur du ciel et de la terre. Mais s'il n'est qu'une simple créature, et qu'une créature puisse donner le nom de Père à son Créateur, il a fait une chose déraisonnable en ne l'appelant pas son Maître ou son Père comme il l'appelle le Maître et le Père du ciel et de la terre. Or il rend grâces à Dieu de ce qu'il révèle le mystère de son avène ment aux Apôtres, mystère qu'il a laissé ignorer aux scribes et aux pharisiens qui étaient sages et prudents à leurs propres yeux. C'est le sens de ces paroles: «De ce que vous avez caché aux sages», etc. - S. Aug. (serm. 9 sur les paroles du Seig). Sous le nom de ces sages et de ces prudents on peut entendre les orgueilleux, comme Notre-Seigneur l'explique lui-même, en ajoutant: «Et que vous les avez révélés aux petits».En effet, que veut dire «aux petits», si ce n'est aux humbles? - S. Grég. (Moral. 27, 7). Il n'ajoute pas: vous les avez révélés aux insensés, mais aux petits, pour nous montrer qu'il ne condamne pas la pénétration, mais seulement l'enflure de l'esprit. S. Chrys. (hom. 39). Ou bien encore, en nommant ici des sages, il n'a point voulu parler de la véritable sagesse, mais de celle que les scribes et les pharisiens ne tenaient que de leur éloquence; c'est pour cela qu'il ne dit pas: «Vous les avez révélés aux insensés», mais: «aux petits»,c'est-à-dire aux gens sans instruc tion et sans éducation. C'est ainsi qu'il nous apprend à fuir en tout l'orgueil, et à rechercher la pratique de l'humilité. - S. Hil. (can. 11). Les secrets et la vertu des paroles célestes demeu rent cachés pour les sages, c'est-à-dire pour ceux qui sont pleins d'une folle présomption, et dont la sagesse n'est pas le fruit de la prudence; et ces mêmes secrets sont révélés aux petits, c'est-à-dire à ceux qui sont petits en malice, et non en intelligence. - S. Chrys. (hom. 39). Que ces mystères aient été révélés aux uns, c'est un légitime sujet de joie, mais qu'ils restent cachés pour les autres, c'est un trop juste sujet de larmes. Aussi la joie du Sauveur vient-elle exclusivement de ce que les petits ont connu ce que les sages ont ignoré.
S. Hil. (can. 11). Il confirme l'équité de cette conduite par le jugement de la volonté de son Père; suivant ce jugement, ceux qui refusent d'être petits devant Dieu deviennent insensés dans leur propre sagesse; c'est pour cela qu'il ajoute: «Oui, je vous bénis, ô mon Père, parce qu'il vous a plu ainsi». - S. Grég. (Moral., liv. 25, chap. 13). Ces paroles renferment pour nous une leçon d'humilité, et nous apprennent à ne pas discuter témérairement les jugements de Dieu sur la vocation des uns, et sur la réprobation des autres, en nous montrant qu'il ne peut y avoir d'injustice dans ce qui a plu à celui qui est souverainement juste. - S. Jér. Notre-Seigneur tient encore ce langage affectueux à son Père, pour l'engager à consommer l'oeuvre qu'il a commencée dans ses Apôtres. - S. Chrys. (hom. 39). Ces paroles de Jésus-Christ à ses Apôtres leur inspirèrent une plus grande vigilance; le pouvoir qu'ils avaient reçu de chasser les démons était de nature à leur donner une haute idée d'eux-mêmes, il réprime donc cette idée en leur apprenant que les faveurs qui leur ont été accordées ne sont pas le fruit de leurs efforts, mais l'effet d'une révélation divine. Aussi les scribes et les pharisiens, infatués de leur sagesse et de leur prudence, sont-ils tombés victimes de leur orgueil. Si donc ils ont mérité pour cela que les mystères de Dieu demeurent cachés pour eux, craignez vous aussi, et appli quez-vous à rester petits, car c'est ce qui vous a donné droit à la révélation de ces mystères. Ces paroles: «Vous avez caché ces choses aux sages»,doivent être entendues dans le sens de ces autres de saint Paul: «Dieu les a livrés au sens réprouvé».L'intention de l'Apôtre n'est pas d'attribuer à Dieu immédiatement cet effet, mais à ceux qui en ont posé la cause. C'est dans le même sens qu'il faut entendre ces paroles du Sauveur «Vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents». Et pourquoi ces vérités sont-elles demeurées cachées pour eux? Écoutez saint Paul qui vous répond: «Parce que, s'efforçant d'établir leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu».
4127 Mt 11,27
S. Chrys. (hom. 39). Ce que le Sauveur vient de dire: «Je vous rends gloire, mon Père, de ce que vous avez caché ces choses aux sages», pouvait laisser penser qu'il rendait grâces à son Père, comme s'il était lui-même privé de cette puissance; il ajoute donc pour prévenir cette idée: «Mon Père m'a mis toutes choses entre les mains». Que ces paroles: «Toutes choses m'ont été données par mon Père», ne vous fassent soupçonner rien de naturel et d'humain; Notre-Seigneur ne s'en est servi que pour détruire la pensée qu'il existe deux dieux non en gendrés; car c'est en même temps qu'il a été engendré qu'il est devenu le Maître de toutes choses. - S. Jér. Si nous entendions ces paroles d'après nos faibles idées, il faudrait admet tre que celui qui donne cesse d'avoir au moment où celui qui reçoit commence à posséder. Ou bien par les choses qui lui sont remises entre les mains, il faut entendre non pas le ciel, la terre, les éléments, et toutes les autres choses qu'il a faites et créées, mais ceux qui, par le Fils ont accès auprès du Père. - S. Hil. (can. 11). Ou bien encore, il s'exprime de la sorte, pour pré venir toute pensée qu'il soit en rien inférieur à son Père. - S. Aug. (cont. Maximin). S'il était en quelque chose moins puissant que son Père, il n'aurait pas à lui tout ce qu'à son Père; mais le Père, en engendrant son Fils, lui a donné la puissance, comme aussi par le même acte il a donné tout ce qui fait partie de sa substance à celui qu'il a engendré de sa propre substance.
S. Hil. (can. 11). Ensuite, dans cette mutuelle connaissance du Père et du Fils, il nous donne à comprendre qu'il n'y a pas autre chose dans le Fils que dans le Père qui soit resté inconnu. «Et personne ne connaît le Fils si ce n'est le Père, comme nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils». - S. Chrys. (hom. 39). En disant que seul il connaît le Père, il nous démontre indirectement qu'il lui est consubstantiel, comme s'il disait: «Qu'y a-t-il d'étonnant que je sois le Maître de toutes choses, alors que j'ai en moi quelque chose de plus grand encore, c'est-à-dire que je connais mon Père, et que j'ai avec lui une seule et même substance? - S. Hil. Il nous enseigne que l'identité de nature, dans l'un et dans l'autre, est renfermée dans cette mutuelle connaissance de l'un et de l'autre, de manière que celui qui connaît le Fils connaîtra le Père dans le Fils; car toutes choses lui ont été données par le Père. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ces paroles: «Personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils»,signifient non pas que tous ignorent le Père absolument, mais que personne ne le connaît de la même manière qu'il le connaît lui-même, ce que l'on doit dire du Fils également; car il n'est pas question ici d'un Dieu inconnu, comme le prétend Marcion.
S. Aug. (de la Trinité, liv. 1, chap. 8). Enfin, comme la nature divine est inséparable, il suffit quelquefois de nommer le Père seul, ou le Fils seul, sans qu'on sépare pour cela l'Esprit de l'un et de l'autre, Esprit qu'on appelle proprement Esprit de vérité (Jn 14,17 Jn 15,26 Jn 16,13). - S. Jér. Que l'hérétique Eunomius rougisse donc de son orgueilleuse prétention, qu'il a lui-même du Père et du Fils une connaissance aussi étendue que le Père et le Fils l'ont eux-mêmes l'un de l'autre; qu'il cherche à soutenir et à consoler sa folle prétention, en s'appuyant sur le s paroles suivantes: «Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler», toujours est-il vrai qu'autre chose est de connaître par égalité de nature, autre chose de ne connaître que par la grâce d'une révélation. - S. Aug. (de la Trinité, liv. 7, chap. 3). Or, le Père se révèle par son Fils, c'est-à-dire par son Verbe; car si ce verbe que nous proférons, tout passager et transitoire qu'il est, se révèle lui-même et révèle notre propre pensée, à combien plus forte raison le Verbe de Dieu par qui tou tes choses ont été faites ! Il fait donc connaître le Père tel qu'il est, parce qu'il est lui-même ce qu'est le Père. - S. Aug. (Quest. évang., liv. 2, chap. 1) En prononçant ces paroles: «Personne ne connaît le Fils, si ce n'est le Père», il n'a pas dit: Et celui à qui le Père aura voulu le révéler; mais après avoir dit: «Personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils», il ajoute: «Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler»; paroles qu'il ne faut pas entendre dans le sens que le Fils ne puisse être connu autrement que par le Père. Quant au Père, il peut être connu non-seulement par le Fils, mais encore par ceux à qui le Fils l'aura révélé. S'il a choisi de préférence cette manière de s'exprimer, c'est pour nous faire comprendre que le Père et le Fils nous sont connus par la révélation du Fils, parce qu'il est lui-même la lumière de notre intelligence. Les paroles suivantes: Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler, doivent s'entendre non-seulement du Père, mais encore du Fils; car elles se rapportent à tout ce qui précède. C'est par son Verbe, en effet, que le Père se fait connaître; mais le Verbe ne révèle pas seulement ce qu'il est chargé de faire connaître, il se révèle encore lui-même. - S. Chrys. (hom. 39). Si donc il fait connaître le Père, il se fait connaître en même temps lui-même, mais il passe sous silence comme assez claire cette dernière vérité, et il s'attache à la première sur laquelle il pouvait y avoir des doutes. Il nous enseigne en même temps qu'il est tellement d'accord avec son Père, qu'il n'est pas possible d'arriver au Père si ce n'est par le Fils; car ce qui scandalisait surtout les Juifs, c'est qu'il leur paraissait en opposition avec Dieu, et il s'applique de toute manière à détruire cette erreur.
4128 Mt 11,28-30
S. Chrys. (hom. 39). Le discours qui précède, et qui est plein de l'ineffable puissance du Sau veur, avait excité dans le coeur de ses disciples un vif désir de s'unir à lui; il les appelle main tenant lui-même en leur disant: «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes char gés». - S. Aug. (serm. 10 sur les paroles du Seig). Pourquoi tous, tant que nous sommes, nous fatiguons-nous? C'est parce que nous sommes des hommes mortels, portant des vases de boue (2Co 4,7), cause pour nous de mille anxiétés. Mais si ces vases de chair nous tiennent à l'étroit, dilatons du moins en nous les espaces de la charité. Car pourquoi vous dit-il: «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués», si ce n'est pour que vous cessiez de l'être. - S. Hil. (can. 11). Il appelle aussi à lui ceux qui souffraient des difficultés de la loi, et qui étaient accablés sous les lourds fardeaux du péché. - S. Jér. Que le péché soit un fardeau accablant, le prophète Zacharie l'atteste lorsqu'il nous représente l'iniquité assise sur une masse de plomb (Za 5); et le Psalmiste le confirme par son exemple (Ps 27), quand il dit: «Mes iniquités se sont appe santies sur moi».
S. Grég. (Moral. 30, 12). C'est un joug bien rude, c'est un bien dur esclavage que de se sou mettre volontairement aux choses du temps, de rechercher avec empressement les biens de la terre, de s'efforcer de retenir ce qui nous échappe, de vouloir se fixer sur un terrain sans consistance, de désirer les choses passagères, et de ne pas vouloir passer avec elles. Car, tandis qu'elles fuient toutes contre notre volonté, nous sommes profondément affectés et accablés de leur perte, après avoir été tourmentés du désir de les posséder.
S. Chrys. (hom. 39). Il ne dit pas: Que celui-ci ou celui-là vienne à moi, mais: Venez, vous tous qui vivez dans l'anxiété, dans la tristesse, dans le péché; venez, non pour recevoir le châ timent de vos péchés, mais pour en être délivrés; venez, non pas que j'ai besoin de la gloire que vous pouvez me procurer, mais parce que je veux votre salut; c'est pour cela qu'il ajoute: «Et je vous rétablirai». Il ne dit pas simplement: Je vous sauverai, mais ce qui est beaucoup plus je vous rétablirai, c'est-à-dire je vous ferai jouir d'un repos complet. - Rab. Non-seulement je vous déchargerai, mais je vous rassasierai de mes consolations intérieures. - Remi. «Venez», nous dit-il, non en dirigeant vos pas vers moi, mais toute votre vie, par le mouvement de la foi et non par celui du corps; car l'accès que Dieu nous donne près de lui est tout spirituel. Il ajoute: «Prenez mon joug sur vous». - Rab. Le joug du Christ, c'est son Évan gile qui unit et associe les Juifs et les Gentils. Il nous ordonne de prendre ce joug sur nous, c'est-à-dire de le traiter avec honneur, de peur qu'en le mettant au-dessous de nous, c'est-à-dire en n'ayant que du mépris pour lui, nous ne venions à le fouler sous les pieds fangeux des vices; c'est pour cela qu'il ajoute: «Apprenez de moi». S. Aug. (serm. 10 sur les paroles da Seig). Apprenez de moi, non pas à créer l'univers, à faire des miracles dans ce monde, mais apprenez que je suis doux et humble de coeur. Voulez-vous devenir grand? commencez par les plus petites choses. Vous proposez-vous de construire un édifice d'une hauteur prodi gieuse? occupez-vous tout d'abord d'asseoir les fondements à une grande profondeur; plus l'édifice doit être élevé, plus les fondements que l'on creuse doivent être profonds. Or, jus qu'où doit s'élever le sommet de l'édifice que nous voulons construire? Jusque sous les re gards de Dieu.
Rab. Il nous faut donc apprendre de notre Sauveur à avoir des moeurs douces et des senti ments humbles, à ne blesser personne, à ne mépriser personne et à posséder dans le fond de notre coeur les vertus dont nous pratiquons les oeuvres au dehors. - S. Chrys. (hom. 39). C'est pour cela que Notre-Seigneur a commencé l'exposition de ses lois divines par l'humilité, et qu'il lui promet une magnifique récompense enajoutant: «Et vous trouverez le repos de vos âmes». C'est là, en effet, la plus grande récompense; car c'est ainsi que non-seulement vous deviendrez utiles aux autres, mais que vous vous procurerez à vous-mêmes le repos intérieur. Il vous donne dès maintenant cette récompense, en attendant le repos éternel qu'il vous réserve dans l'avenir. - S. Chrys. (hom. 39). Pour bannir tout sentiment de crainte que pourrait inspirer l'idée seule de joug et de fardeau, il s'empresse d'ajouter: «Mon joug est doux, et mon fardeau léger». - S. Hil. (can. 11). Il nous propose l'image souriante d'un joug suave et d'un fardeau léger, pour donner à ceux qui croiront en lui comme un pressentiment du bonheur que lui seul a vu dans le sein de son Père. - S. Grég. (Moral. 4). Quel fardeau si lourd impose-t-il donc à nos âmes en nous commandant de fuir tout désir qui porte le trouble dans notre coeur, et en nous avertissant d'éviter les sentiers si difficiles de ce monde? - S. Hil. Qu'y a-t-il, au contraire, de plus doux que ce joug, de plus léger que ce fardeau: s'abstenir de tout crime, vouloir le bien, repousser le mal, aimer tous les hommes, n'avoir de haine pour personne, chercher à mériter les biens éternels, ne pas se laisser séduire par les cho ses présen tes, et ne jamais faire à un autre ce qu'on ne voudrait pas souffrir soi-même ?
Rab. Mais comment le joug du Christ peut-il être plein de douceur, alors que lui-même nous dit plus haut (Mt 7): «La voie qui conduit à la vie est étroite ?»C'est que ce sentier étroit dans le commencement, s'élargit avec le temps par les ineffables délices de la charité. - S. Aug. (serm. sur les paroles du Seig). Disons encore que ceux qui ont pris sur eux avec cou rage le joug du Seigneur, ont à courir des dangers si considérables, qu'on peut dire avec vérité qu'ils ne passent jamais du travail au repos, mais toujours du repos au travail, ainsi que l'Apôtre le dit de lui-même (2Co 6). Cependant l'Esprit saint était avec lui pour renouveler de jour en jour l'homme intérieur, au milieu des ruines toujours croissantes de l'homme exté rieur, et grâce au repos spirituel qu'il fait goûter à l'âme, à l'abondance des délices toutes divi nes qu'il répand dans les coeurs, à l'espérance du bonheur éternel qu'il nous donne, il adoucis sait pour lui toutes les rigueurs, et allégeait tous les fardeaux accablants de la vie présente. Les hommes consentent à être déchirés ou brûlés pour racheter, au prix de douleurs aiguës, non-seulement les douleurs éternelles, mais les souffrances prolongées de cette vie. Quelles tempê tes, quelles tourmentes n'ont pas affrontées les marchands pour acquérir des richesses grosses elles-mêmes d'orages? D'ailleurs ceux qui ne les aiment pas ont à supporter les mêmes peines, et ceux qui les aiment, tout en les supportant, ne s'en trouvent pas accablés. Il en est ainsi de toutes les autres épreuves; car l'amour rend facile et réduit presque à rien ce qu'il y a de plus terrible et de plus affreux. Combien plus sera-t-il donc vrai de dire que la charité rend facile le chemin qui conduit au vrai bonheur, lorsque la cupidité rend facile autant qu'elle le peut celui qui n'aboutit qu'à la misère? - S. Jér. Comment peut-on dire que l'Évangile est un joug plus léger que la loi, alors qu'il punit la colère et la simple convoitise, tandis que la loi n'atteint que l'homicide et l'adultère? C'est que la loi renferme un grand nombre de préceptes dont l'Apôtre déclare ouvertement l'accomplissement impossible. La loi exige les oeuvres; l'Évangile demande surtout la volonté, et, n'eût-elle pas son effet, elle ne perd pas sa récom pense. L'Évangile nous commande ce qui nous est possible, c'est-à-dire de ne pas nourrir de mauvais désirs, ce qui dépend de notre volonté; la loi, qui n'atteint pas la volonté, punit seu lement le fait pour vous détourner de l'adultère. Supposez qu'une vierge soit outragée dans une persécution, l'Évangile la recevra comme vierge, parce que sa volonté n'a pas consenti au péché, tandis que la loi la rejettera comme ayant perdu son honneur.
4201 Mt 12,1-8
La Glose. Après avoir raconté les prédications et les miracles qui eurent lieu l'année qui précéda le supplice de Jean-Baptiste, l'Évangéliste passe aux événements de l'année qui suivit la mort du saint précurseur, alors que Jésus-Christ commence à être en butte à toutes sortes de contradictions, et il ouvre son récit par ces paroles: «Dans ce temps-là», etc.
S. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 34). Ce qui suit est raconté par saint Marc (Mc 2) et par saint Luc (Lc 6)
sans l'ombre même de contradiction; mais ils ne disent pas: «En ce temps là»; d'où l'on peut conclure que saint Matthieu suit dans sa narration l'ordre des faits, et les autres l'ordre de leurs souvenirs, à moins qu'on ne donne un sens plus large à ces paroles: «En ce temps là», c'est-à-dire dans le temps où toutes ces choses et une foule d'autres faits avaient lieu. Toutes ces choses se seraient donc passées après la mort de Jean; car on croit qu'il fut décapité peu de temps après qu'il eut envoyé ses disciples consulter Jésus-Christ. Cette locution: «Dans ce temps-là», exprimerait alors un temps indéterminé.
S. Chrys. (hom. 40). Mais pourquoi le Sauveur, dont la prescience s'étendait à tout, conduisait-il ses Apôtres le long des blés un jour de sabbat si son intention n'était pas que le sabbat fût violé? Il le voulait en effet, mais non pas absolument, c'est-à-dire sans raison, et il choisis sait une occasion légitime de mettre fin à la loi, sans paraître la violer. Aussi pour adoucir les esprits des Juifs prévenus contre lui, il met en avant la nécessité: «Ses disciples ayant faim».Ce n'est pas, sans doute, qu'il puisse y avoir jamais d'excuse, pour ce qui est évidemment pé ché; ainsi ni l'homicide ne peut s'excuser par l'excès de la colère, ni l'adultère par la violence de ses désirs ou par toute autre cause; ici néanmoins, en alléguant la nécessité de la faim, il délivre ses disciples de toute culpabilité.
S. Jér. Nous lisons dans un autre Évangéliste, que les disciples, importunés par la foule, n'avaient même pas le temps de manger: ils avaient donc naturellement faim. Ils apaisent cette faim en broyant entre leurs mains des épis de blé, preuve de l'austérité de leur vie; ils n'ont pas besoin d'aliments recherchés, la plus simple nourriture leur suffit. - S. Chrys. (Hom. 40). Ad mirez ces disciples, qui dans une aussi dure nécessité, n'ont aucun souci de leur corps, oublient la nourriture qu'il réclame, et qui, bien que pressés par la faim, ne se séparent pas de Jésus-Christ; car ils n'auraient pas eu recours à ce moyen s'ils n'y avaient été poussés par une faim violente. Que trouvèrent donc à reprendre les pharisiens dans cette action? L'Évangéliste nous l'apprend: «Ce que les pharisiens voyant, ils lui dirent: Voilà que vos disciples font ce qu'il n'est pas permis de faire le jour du sabbat». - S. Aug. (du trav. des moines, chap. 23). L'accusation des Juifs contre les disciples du Seigneur porte plutôt sur la violation du sab bat que sur le vol qu'ils auraient commis; car la loi défendait aux enfants d'Israël, de ne saisir comme voleur dans leurs champs, que celui qui voulait emporter quelque chose avec lui, et ils devaient laisser aller en liberté, et sans lui infliger aucune peine, celui qui n'y avait pris que ce qu'il voulait manger (cf. Dt 23).
S. Jér. Remarquez que les premiers Apôtres du Sauveur, en détruisant l'observation littérale du sabbat, condamnent les Ébionites, qui reçoivent tous les Apôtres à l'exception de saint Paul, qu'ils rejettent comme transgresseur de la loi. Or, quelle excuse le Sauveur donne-t-il de leur conduite: «N'avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu'il avait faim ?» Pour détruire l'accusation calomnieuse des pharisiens, il leur rappelle ce fait de l'histoire ancienne, alors que David, fuyant la colère de Saül, vint à Nobé, où il fut reçu par le grand-prêtre Achimélech, et lui demanda de lui donner à manger (1S 21). Achimélech, n'ayant pas de pain ordinaire, lui donna les pains sanctifiés, qu'il n'était permis de manger qu'aux prêtres seuls et aux lévites (Lv 24); il jugea qu'il valait mieux arracher des hommes au danger de la faim que d'offrir un sacrifice à Dieu, car sauver les hommes, c'est une hostie qui lui est on ne peut plus agréable. C'est cette raison que le Seigneur leur oppose par ce raisonnement: si vous regardez David comme un saint, si vous n'osez incriminer la conduite du grand-prêtre Achimélech, alors que tous deux ont transgressé la loi pour une raison plausible, tirée de la faim qu'il éprouvait, pourquoi ne pas accepter en faveur de mes disciples le motif d'excuse que vous approuvez dans les autres? Il y avait d'ailleurs une grande différence entre ces deux faits: les uns ne fai saient que broyer quelques épis entre leurs mains le jour du sabbat, tandis que les autres avaient mangé des pains destinés aux seuls lévites dans un jour où les fêtes des Néoménies (cf. Nomb., 28, 11.15; 10, 10) venaient s'ajouter à la solennité du sabbat. C'était, en effet, à l'occasion de ces fêtes que David, qui devait s'asseoir à la table du roi, s'était enfui de la cour.
S. Chrys. (hom. 40). Notre-Seigneur cite l'exemple de David pour excuser ses disciples, car l'autorité du Roi-Prophète était grande parmi les Juifs. Et ils ne pouvaient lui objecter que Da vid était prophète, car ce titre ne lui donnait aucun droit de manger des pains réservés aux prêtres seuls. Or, plus l'exemple qu'il choisit est grand, plus le motif d'excuse qu'il invoque en faveur de ses disciples est péremptoire. D'ailleurs si David était prophète, les gens de sa suite ne l'étaient pas. - S. Jér. Remarquez cependant que ni David ni les gens de sa suite ne man gèrent des pains de proposition qu'après avoir affirmé qu'ils étaient purs de tout contact avec les femmes. - S. Chrys. (hom. 41). Mais on me dira: Que fait cet exemple à la question qui nous occupe? car David n'a pas transgressé le sabbat. Notre-Seigneur nous montre ici son admirable sagesse, en choisissant l'exemple d'une transgression plus grande que la violation du sabbat, car on est beaucoup moins coupable de transgresser le sabbat, ce qui est bien souvent arrivé, que de toucher à cette table sainte, ce qui n'était permis à personne. Il donne ensuite une solution différente et plus directe en ajoutant: «Est-ce que vous n'avez pas lu dans la loi que les prêtres violent le sabbat dans le temple, et ne sont pas néanmoins coupables ?» - S. Jér. Comme s'il disait: Vous accusez mes disciples de ce qu'étant pressés par la faim ils ont broyé quelques épis le jour du sabbat, lorsque vous-mêmes vous violez le sabbat dans le temple en immolant des victimes, en égorgeant des taureaux, en brûlant des holocaustes sur des bû chers enflammés; et d'après le texte d'un autre Évangéliste (Jn 7), vous donnez la circoncision à vos enfants le jour du sabbat, violant ainsi la loi du sabbat pour en observer une autre. Les lois de Dieu ne se détruisent pas réciproquement, et c'est avec une sagesse vraiment admirable que pour justifier ses Apôtres de les avoir transgressées, il montre qu'ils n'ont fait que suivre les exemples d'Achimélech et de David. Il fait voir en même temps que les auteurs de cette calomnie sont eux-mêmes coupables d'une transgression du sabbat bien plus réelle, sans avoir pour eux l'excuse de la nécessité.
S. Chrys. (hom. 40). Et ne me dites pas que ce n'est pas se justifier que de s'appuyer sur l'exemple d'un autre qui est également coupable; car lorsque l'auteur d'un fait n'est pas accusé, ce fait peut être invoqué comme moyen de justification. Mais Notre-Seigneur ne se contente pas de cette raison, et il en apporte une bien plus forte en ajoutant que ceux qu'il a choisis pour exemples ne sont point coupables. Et voyez que de circonstances réunies: le lieu, c'est dans le temple; le temps, c'est le jour du sabbat; le fait lui-même, ce n'est pas une simple infraction, c'est une violation de la loi, et cependant non-seulement ils ne sont soumis à aucune peine, mais ils sont exempts de toute faute; ce qu'il exprime en ces termes: «Et ils ne sont pas cou pables». Or, ce second exemple n'est cependant point semblable au premier. Le premier n'a eu lieu qu'une fois, il a été donné par David qui n'était pas prêtre, et qui avait pour lui l'excuse de la nécessité; le second, au contraire, se reproduit tous les jours du sabbat dans la personne des prêtres, et il est selon la loi, et ainsi ce n'est plus seulement par indulgence, mais en suivant la rigueur de la loi, que la conduite de ses disciples est justifiée. Mais est-ce que les disciples sont prêtres? Ils sont plus que prêtres, car ils avaient avec eux le Seigneur du temple, qui n'est plus une figure, mais bien la vérité; c'est pour cela qu'il ajoute: «Je vous dis qu'il y a ici quelqu'un plus grand que le temple». - S. Jér. Le mot hic doit être pris ici non pas comme pronom, mais comme adverbe de lieu, c'est-à-dire que le lieu où se trouvait le maître du temple était plus grand que le temple lui-même.
S. Aug. (Quest. évang., liv. 2, chap. 40). Il faut remarquer que Notre-Seigneur emprunte le premier exemple à la puissance royale dans la personne de David, et le second au ministère sacerdotal dans la personne des prêtres qui violent le sabbat pour le service du temple. L'accusation tirée des épis froissés le jour du sabbat ne pouvait donc en aucune manière peser sur lui, qui était vrai roi et le prêtre véritable. - S. Chrys. (hom. 40). Ce qu'il venait de dire pouvait paraître dur à ceux qui l'entendaient; il les ramène de nouveau à la pensée de la misé ricorde, et en parle avec une certaine force de langage en leur disant: «Si vous saviez bien ce que signifie cette parole: Je veux la miséricorde et non le sacrifice, vous n'auriez jamais condamné des innocents». - S. Jér. Nous avons déjà expliqué plus haut (Mt 9, 13) ce que signifient ces paroles: «J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice».Quant à celles qui sui vent: «Jamais vous n'auriez condamné des innocents», elles doivent s'entendre des Apôtres dans ce sens: «si vous approuvez la commisération d'Achimélech qui donne du pain à David pressé par la faim, pourquoi condamnez-vous mes disciples ?» - S. Chrys. (hom. 40). Voyez comment il revient de nouveau sur la nécessité de la miséricorde, et comment il prouve que les disciples sont au-dessus du pardon, en déclarant qu'ils sont innocents, comme il l'avait dit plus haut des prêtres. Il donne ensuite une nouvelle raison de leur innocence, en ajoutant: «Le Fils de l'homme est maître même du sabbat». - Remi. Or, le Fils de l'homme, c'est lui-même, et voici le sens de ces paroles: Celui que vous regardez comme un simple mortel est Dieu, le Seigneur de toutes les créatures, et le maître du sabbat; il peut donc changer la loi à son gré, puis que c'est lui qui l'a faite. - S. Aug. (cont. Faust, 16, 28). Il ne défend pas à ses disciples de broyer des épis le jour du sabbat, pour condamner les Juifs d'alors et les Manichéens qui de vaient venir plus tard, et qui n'osent arracher l'herbe, de peur de commettre un homicide.
S. Hil. (can. 12 sur S. Matth). Dans le sens mystique, remarquons tout d'abord que ce dis cours commence par ces paroles: «Dans ce temps-là», c'est-à-dire dans le temps où il rendit grâces à Dieu son Père du salut auquel il appelait les Gentils. Ce champ que traversent les dis ciples, c'est le monde; le sabbat, c'est le repos; la moisson, le progrès de ceux qui doivent embrasser la foi et s'avancer vers la maturité. Donc cette entrée dans le champ le jour du sab bat, c'est l'avènement du Seigneur dans le monde, lorsque la loi était comme frappée d'inactivité; cette faim, c'est le désir qu'il avait du salut des hommes. - Rab. Ils cueillent des épis, lorsqu'ils attachent les hommes aux désirs de la terre; ils broient ces épis lorsqu'ils dé pouillent les âmes de la concupiscence de la chair; ils mangent les grains, lorsqu'ils incorporent à l'Église les âmes qu'ils viennent de purifier. - S. Aug. (Quest. évang., 2, 2). Personne ne peut faire partie du corps de Jésus-Christ, s'il ne s'est dépouillé de ses vêtements charnels, selon cette recommandation de l'Apôtre: «Dépouillez-vous du vieil homme». (Col 3). - La Glose. Les Apôtres font cette action le jour du sabbat, c'est-à-dire dans l'espérance du repos éternel auquel ils invitent tous les hommes. - Rab. On peut dire aussi que ceux qui trouvent leurs délices dans la méditation des Écritures, marchent le long des blés avec le Seigneur; ils ont faim, parce qu'ils ont le désir d'y trouver le pain de vie, c'est-à-dire l'amour de Dieu; ils arrachent les épis et ils les broient lorsqu'ils discutent les témoignages de l'Écriture pour y trouver ce qui est caché sous la lettre, et ils font cela le jour du sabbat, alors qu'ils sont plus libres des pensées tumultueuses du monde.
S. Hil. Les pharisiens, qui croyaient avoir entre leurs mains la clef des cieux, reprochent aux disciples d'avoir fait ce que la loi leur défendait. Le Seigneur leur répond en leur donnant un avertissement qui contient une espèce de prophétie; et pour montrer que ce genre d'actions renfermait une souveraine efficacité, il ajoute: «Si vous saviez ce que signifient ces paroles: Je préfère la miséricorde au sacrifice». En effet, l'oeuvre de notre salut ne dépend pas du sa crifice, mais de la miséricorde; et, la loi cessant d'exister, nous sommes sauvés par la bonté de Dieu. Or, s'ils avaient compris la grandeur de ce don, jamais ils n'auraient condamné des inno cents, c'est-à-dire les Apôtres, qu'ils accusaient par jalousie d'avoir transgressé la loi. Car les anciens sacrifices étant abrogés, la loi nouvelle, loi de miséricorde, venait au secours de tous les hommes par le moyen des Apôtres.
Catena Aurea 4120