Catena Aurea 4209
4209 Mt 12,9-13
S. Jér. Comme Notre-Seigneur avait victorieusement justifié ses disciples du reproche qu'on leur faisait d'avoir violé le jour du sabbat, les pharisiens s'attachent à le calomnier lui-même. «Étant parti de là, dit l'écrivain sacré, il vint dans leur synagogue». - S. Hil. (can. 12). Ce qui précède s'était passé au milieu des champs, et ce n'est qu'après qu'il entre dans la synago gue. - S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 35). On pourrait croire que le fait des épis et la guérison que saint Matthieu raconte à la suite ont eu lieu le même jour, puisque dans ce dernier cas il fait encore mention du jour du sabbat, si d'ailleurs saint Luc ne nous apprenait qu'il opé ra cette guérison un autre jour de sabbat. Cette manière de s'exprimer de saint Matthieu: «Et partant de là, il vint dans leur synagogue»,signifie donc seulement qu'il ne vint dans la synagogue qu'après avoir quitté le champ, sans indiquer si c'est immédiatement ou plusieurs jours après; et cela suffit pour donner raison au récit de saint Luc, qui rattache cette guérison à un autre jour de sabbat.
S. Hil. (can. 12). A peine est-il entré dans la synagogue, qu'ils lui présentent un homme dont la main est desséchée, et lui demandent s'il est permis de guérir le jour du sabbat, pour trouver dans sa réponse une occasion de le condamner. «Et il se trouva là un homme qui avait une main desséchée, et ils l'interrogeaient», etc.
S. Chrys. (hom. 41). Ils interrogent non pour s'instruire, mais pour trouver occasion de l'accuser, comme l'Évangéliste le dit clairement: «Afin de pouvoir l'accuser». Le fait seul suffisait à leurs mauvais desseins, mais ils veulent le prendre dans ses paroles pour se ménager contre lui un plus grand nombre de sujets d'accusation. - S. Jér. Ils lui demandent s'il est permis de guérir le jour du sabbat, afin de l'accuser de cruauté, d'impuissance s'il s'en abstient, et de transgression de la loi s'il guérit cet homme.
S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 35). On peut être surpris de ce que saint Matthieu dit que ce sont les pharisiens eux-mêmes qui demandent au Seigneur s'il est permis de guérir le jour du sabbat, tandis que saint Marc et saint Luc racontent que c'est le Seigneur lui-même qui leur fait cette question: «Est-il permis de faire du bien le jour du sabbat ou de faire du mal ?»Il faut donc comprendre qu'ils l'interrogèrent les premiers, en lui demandant: «Est-il permis de guérir le jour du sabbat ?» Le Seigneur, voyant dans leur pensée qu'ils cherchaient une occasion de l'accuser, place au milieu d'eux celui qu'il devait guérir, et leur adresse la question rappor tée par saint Marc et saint Luc (Mc 3,4 Lc 6,9); et comme ils gardent le silence, il leur propose la comparaison de la brebis, et il conclut en leur disant: «Il est donc permis de faire du bien les jours du sabbat». Il leur répond donc en ces termes: «Quel est celui qui, parmi vous, ayant une brebis»,etc. - S. Jér. La réponse qu'il fait à cette question est une condamnation de leur avarice. Comment, leur dit-il, vous vous hâtez, le jour du sabbat, de retirer une brebis ou un autre animal de la fosse où ils sont tombés, et cela non point par com passion pour cet animal, mais par un sentiment de vil intérêt, et moi je ne devrais pas délivrer un homme qui vaut mille fois plus qu'une brebis ! - Rab. Cet exemple est parfaitement choisi pour répondre à leur question et pour leur prouver qu'ils violent continuellement le sabbat par esprit de cupidité, eux qui lui reprochent de le violer pour une oeuvre de charité, et qui, par une fausse interprétation de la loi, prétendent que les bonnes oeuvres sont interdites le jour du sabbat, tandis qu'on ne doit s'abstenir que des mauvaises; c'est pour cela qu'il est dit: «Vous ne ferez pas ces jours-là d'oeuvres serviles», c'est-à-dire de péchés. C'est ainsi que dans le repos éternel il y aura cessation du mal et non pas du bien. - S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 35). La conclusion de cette comparaison, c'est qu'il est permis de faire de bonnes oeuvres le jour du sabbat. «Donc, leur dit-il, il est permis de faire du bien les jours du sabbat».
S. Chrys. (hom. 41). Remarquez que d'excuses différentes il apporte pour justifier la violation du sabbat; mais comme la maladie de cet homme était incurable, il en vient à sa guérison. Alors il dit à cet homme: «Étendez votre main». - S. Jér. Dans l'Évangile dont se servent les Nazaréens et les Ébionites, et que plusieurs regardent comme l'Évangile authentique de saint Matthieu, il est dit que cet homme, dont la main était desséchée, était maçon, et qu'il pria Jésus en ces termes: «J'étais maçon, demandant ma nourriture au travail de mes mains; je vous en prie, ô Jésus, rendez-moi la santé, afin que je ne sois pas réduit à mendier honteuse ment mon pain». - Rab. Jésus choisit le jour du sabbat de préférence pour enseigner et pour guérir, non-seulement en vue du sabbat spirituel, mais aussi à cause du grand concours de peuple qui était plus favorable au salut de tous, unique objet de ses désirs.
S. Hil. Dans le sens mystique, après le retour des champs où les Apôtres avaient cueilli les fruits de la moisson, Jésus vient dans la synagogue pour y préparer l'oeuvre d'une nouvelle moisson; car plusieurs de ceux qui furent guéris se joignirent plus tard aux Apôtres. - S. Jér. Jusqu'à l'avènement du Dieu Sauveur, la main dans la synagogue des Juifs demeura desséchée et incapable des oeuvres de Dieu; mais lorsqu'il fut venu sur la terre, les Apôtres rendirent l'usage de cette main droite à ceux qui embrassèrent la foi, et elle recouvra la même force d'action qu'auparavant. - S. Hil. Toute guérison se fait par la parole, et la main redevient semblable à l'autre, c'est-à-dire qu'elle devient propre au ministère du salut comme celle des Apôtres. Au ssi le Sauveur apprend-il aux pharisiens à ne pas voir avec peine l'oeuvre du salut des hommes confiée aux Apôtres, puisqu'eux-mêmes, s'ils veulent croire, deviendront dignes du même ministère. - Rab. Ou bien cet homme, dont la main est desséchée, c'est le genre humain qui est devenu complètement stérile en bonnes oeuvres pour avoir étendu vers le fruit défendu cette main qu'a guérie une autre main innocente étendue sur la croix. C'est dans la synagogue que se trouve cette main desséchée, parce que la science, lorsqu'elle est départie avec abondance, expose à des fautes plus graves et sans excuse. Jésus commande d'étendre cette main desséchée qu'il veut guérir; car l'infirmité d'une âme ne peut être guérie par un re mède plus efficace que par d'abondantes aumônes. Cet homme avait la main droite desséchée, parce qu'elle était comme engourdie pour les oeuvres de charité; sa main gauche était saine, parce qu'elle servait ses intérêts. A l'arrivée du Seigneur, la main droite devient saine comme la gauche, parce qu'elle distribue par un sentiment de charité ce qu'elle avait amassé par esprit d'avarice.
4214 Mt 12,14-21
S. Hil. (can. 12). L'envie soulève contre Jésus l'esprit des pharisiens, parce qu'ils ne voyaient en lui que l'homme, et qu'ils ne voulaient pas y découvrir Dieu dans les oeuvres qu'il opérait. L'Évangéliste ajoute donc: «Mais les pharisiens, étant sortis», etc. - Rab. Ils sortent, parce que leur âme s'est détournée de Dieu; ils tinrent conseil pour prendre les moyens de perdre la vie et non de la trouver pour eux-mêmes. - S. Hil. (can. 42). Jésus, connaissant leurs des seins, se retire pour s'éloigner de ce conseil d'iniquité. «Or, Jésus, le sachant», etc. - S. Jér. Il se retire, parce qu'il connaît les piéges qu'ils veulent lui tendre, et qu'il veut leur ôter l'occasion d'exercer contre lui leurs projets impies. - Remi. Ou bien il se retire comme homme pour se dérober à leurs embûches, ou bien encore parce que ce n'était ni le temps ni le lieu où il devait souffrir; car il ne convenait pas qu'un prophète fût mis à mort hors de Jérusa lem, comme il le dit lui-même (Lc 13). Il s'éloigne encore de ceux qui le haïssent et le per sécutent, pour aller où il trouvera un grand nombre de coeurs qui l'aiment et qui lui sont dé voués. C'est ce que l'Évangéliste nous indique en disant: «Et beaucoup de personnes le sui virent». Ainsi, tandis que les pharisiens réunissent tous leurs efforts pour le perdre, une multi tude sans instruction le suit, en professant pour lui un attachement unanime. Aussi ne tarde-t-il pas à récompenser leurs désirs; il est dit, en effet: «Et il les guérit tous». - S. Hil. Il com mande à ceux qu'il guérit de garder le silence sur leur guérison. «Et il leur commanda de ne point le faire connaître».La santé qu'il avait rendue à chacun d'eux était un témoignage en sa faveur; mais en commandant le silence, ou en faisant une obligation du secret, il évite toute occasion de vaine gloire; et cependant il se fait connaître par cela seul qu'il commande le se cret, puisqu'on ne garde le silence qu'à l'égard d'une chose dont on ne doit point parler. - Hil. Il nous apprend aussi, lorsque nous avons fait quelque action importante, à ne point re chercher les louanges des hommes.
Remi. Un autre motif pour lequel il leur commande de ne point le découvrir, c'est afin de ne point rendre ses persécuteurs plus coupables. - S. Chrys. (hom. 41). De peur que ces actes de folie, incroyables dans les pharisiens, ne vous jettent dans le trouble, Jésus apporte le té moignage du Prophète. Car l'exactitude des prophètes est si grande en ce qui concerne le Christ, qu'ils ont rapporté les moindres détails de sa vie, ses voyages, ses marches, et jus qu'aux intentions qui le faisaient agir, pour vous montrer que toutes ces choses leur étaient dictées par l'Esprit saint. Il est impossible, en effet, de connaître les pensées d'un homme, à plus forte raison les intentions du Christ, à moins que l'Esprit saint ne les révèle. L'Évangéliste ajoute donc: «Afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie: «Voici mon serviteur»,etc. - Remi. Notre-Seigneur est appelé le serviteur du Dieu tout-puissant, non pas comme Dieu, mais suivant l'économie de son incarnation; car par la coopé ration du Saint-Esprit il a pris dans le sein de la Vierge une chair exempte de la tache du péché. Quelques exemplaires portent: «L'élu que j'ai choisi»; car il a été choisi, c'est-à-dire pré destiné par Dieu le Père, pour être non pas son fils adoptif, mais son propre fils. - Rab. Il dit: «Je l'ai choisi» pour une oeuvre que nul autre n'a faite, pour racheter le genre humain, et rétablir la paix entre le monde et Dieu.
Suite. «Mon bien-aimé, en qui j'ai mis mon affection»,car lui seul est cet Agneau sans ta che dont le Père a dit: «Voici mon Fils bien-aimé en qui mon âme a mis ses complaisances». - Remi. Ces paroles: «Mon âme»,ne doivent pas être entendues en ce sens que Dieu le Père ait une âme comme la nôtre; c'est par métaphore que le prophète lui attribue une âme pour exprimer son affection. Et en cela rien d'étonnant, puisque nous lui attribuons de la même manière les différents membres de notre corps. - S. Chrys. (hom. 41). Le Prophète a com mencé par l'énumération de ces deux caractères, pour vous indiquer que tout ce qui suit s'est fait selon le bon plaisir du Père; car celui qui est aimé agit conformément à la volonté de celui qui l'aime. De même celui qui est élu ne détruit pas la loi par opposition à celui qui l'a choisi, il ne se présente pas comme l'ennemi du législateur, mais comme en parfaite harmonie avec lui. Or, c'est parce qu'il est mon bien-aimé que «je ferai reposer mon esprit sur lui». - Remi. Dieu le Père fit reposer son esprit sur lui, lorsque par l'opération du Saint-Esprit il prit un corps dans le sein de la Vierge Marie, et lorsqu'étant fait homme, il fut inondé de la pléni tude de l'Esprit saint.
S. Jér. L'Esprit saint repose non pas sur le Verbe de Dieu, sur ce Fils unique qui sort du sein du Père (Jn 1,18 Jn 8,4), mais sur celui dont il a été dit: «Voici mon serviteur». Que doit-il opérer par son ministère? Écoutez la suite: «Il annoncera la justice aux nations». - S. Aug. (Cité de Dieu, 21, 30). C'est qu'en effet, il est venu annoncer le jugement à venir à ceux qui l'ignoraient. - S. Chrys. (hom. 41). Il fait ensuite connaître son humilité, en ajoutant: «Il ne disputera point», car il s'est offert selon le bon plaisir de son Père, et il s'est livré de lui-même entre les mains de ses persécuteurs. «Il ne criera point»,car il s'est tu comme un agneau devant celui qui le tond. «Personne n'entendra sa voix sur les places publiques». - S. Jér. La voie qui conduit à la perdition est large et spacieuse, et il en est beaucoup qui la prennent; or il en est beaucoup qui n'entendent pas la voix du Sauveur, parce qu'ils sont non dans la voie étroite, mais dans la voie large (Mt 7,13). - Remi. Le mot grec ðëáôåéá, correspondant au mot latin platea, place publique, veut dire étendue; personne donc n'a en tendu sa voix dans les lieux spacieux, parce qu'il a promis à ceux qui l'aiment, non pas les jouissances de la vie, mais de rigoureuses privations.
S. Chrys. (hom. 41). Le Sauveur voulait, par cette douceur, guérir l'esprit des Juifs; mais bien qu'ils aient rejeté les avances de sa bonté, il ne voulut pas leur résister en les détruisant. Aussi le Prophète nous fait-il connaître à la fois sa puissance et leur faiblesse dans les paroles suivantes: «Il ne brisera pas le roseau cassé, et il n'éteindra pas la mèche qui fume encore». - S. Hil. Celui qui ne tend pas la main au pécheur, et qui ne porte point le fardeau dont son frère est chargé, achève de briser le roseau cassé; et celui qui méprise la plus petite étincelle de foi dans le dernier des croyants, éteint la mèche qui fume encore. S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 30). Il ne voulut donc ni briser ni éteindre les Juifs ses persécuteurs, comparés ici au roseau brisé, parce qu'ils n'avaient plus leur intégrité, et à la mèche qui fume, parce qu'ils avaient per du la lumière; cependant il leur pardonne, car il n'était pas encore venu pour les juger, mais pour être jugé par eux. - S. Aug. (Quest. évang., 2, 3). A l'occasion de cette mèche qui fume, remarquez qu'en perdant sa lumière, elle exhale une mauvaise odeur.
S. Chrys. (hom. 41). Ou bien par ces paroles: «Il n'achèvera pas de briser le roseau cassé», il leur fait voir qu'il lui était facile de les briser tous, comme on brise un roseau, et non pas un roseau quelconque, mais un roseau déjà cassé. Ce qui suit: «Il n'éteindra pas la mèche qui fume en core»,nous montre leur fureur allumée contre lui, et la toute-puissance de Jésus-Christ pour éteindre cette fureur avec la plus grande facilité, et c'est en cela qu'il fait paraître l'excès de sa douceur. - S. Hil. (can. 12). Ou bien par ce roseau qu'il n'achève pas de briser, il nous ap prend que les nations fragiles et déjà brisées, n'ont pas été broyées entièrement, mais qu'elles ont été réservées pour le salut; et en ajoutant: «Il n'éteindra pas la mèche qui fume encore»,il nous montre que la dernière étincelle de feu n'est pas éteinte dans cette mèche qui fume en core, c'est-à-dire que l'esprit de la grâce ancienne n'a pas entièrement disparu du milieu des restes d'Israël, parce qu'elles ont conservé, avec la faculté de faire pénitence, le pouvoir de recouvrer la lumière dans tout son éclat. - Rab. Ou bien, au contraire, ce roseau brisé, ce sont les Juifs agités par le vent, et dispersés bien loin les uns des autres. Cependant le Seigneur ne les condamne pas immédiatement, mais il les supporte avec patience. Cette mèche qui fume encore serait alors le peuple, formé des nations, qui, après avoir éteint dans son coeur la cha leur de la loi naturelle, était enveloppé de toutes parts d'erreurs. ténébreuses, semblables à une épaisse fumée qui blesse les yeux. Or, non seulement le Seigneur n'éteignit pas cette mèche fumante, et ne la réduisit pas en cendres, mais au contraire il fit jaillir de cette étincelle la flamme la plus vive et le feu le plus ardent.
S. Chrys. (hom. 41). On pourra peut-être objecter: Quoi donc, en sera-t-il toujours ainsi? supportera-t-il jusqu'à la fin ceux qui se laissent emporter à cet excès de malignité et de folie? Non; mais lorsque sa mission sera terminée, il passera à un autre ordre de choses, et c'est ce qu'il nous déclare par ces mots: «Jusqu'à ce qu'il fasse triompher la justice de sa cause». Comme s'il disait: Lorsqu'il aura accompli l'objet de sa mission, ce sera le tour de la ven geance absolue; car alors ses ennemis seront sévèrement châtiés, lorsqu'il aura rendu son triomphe si éclatant qu'il n'y aura plus de place pour leurs insolentes contradictions. - S. Hil. (can. 12). Ou bien jusqu'à ce qu'il fasse triompher le jugement en dépouillant la mort de toute sa puissance et en faisant revenir avec lui la justice dans son retour triomphant. - Rab. Ou bien encore jusqu'à ce que le jugement dont il était l'objet aboutisse à une victoire écla tante, car après avoir triomphé de la mort par sa résurrection, après avoir chassé le prince de ce monde, il est rentré triomphant dans le royaume des cieux et s'est assis à la droite de son Père, jusqu'à ce qu'il ait réduit tous ses ennemis sous ses pieds (1Co 1,15). - S. Chrys. (hom. 41). Mais sa puissance ne se bornera pas à punir ceux qui auront refusé de croire en lui, il entraînera encore après lui tout l'univers: «Et les nations espéreront en son nom». - S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 30). Nous voyons déjà l'accomplissement de cette dernière par tie de la prophétie, et cet accomplissement qui est incontestable nous garantit l'accomplissement du jugement dernier, que quelques-uns ont la témérité de nier, jugement qui aura lieu sur la terre parce que le Christ descendra lui-même du haut des cieux. En effet, qui aurait jamais cru que les nations espéreraient dans le nom du Christ, alors qu'il était au pou voir de ses ennemis, chargé de chaînes, frappé de verges, bafoué et attaché sur une croix, et quand ses disciples eux-mêmes avaient perdu le peu d'espérance qu'ils avaient placée en lui. Ce qu'alors un voleur seul avait à peine espéré sur la croix, est devenu l'objet de l'espérance de toutes les nations répandues sur la face de la terre, et tous les hommes recourent au signe de cette croix sur laquelle il est mort pour se garantir eux-même de la mort éternelle. Que personne donc ne doute que Jésus-Christ n'accomplisse un jour ce dernier jugement tel qu'il a été prédit.
Remi. Remarquons que ce témoignage du prophète ne vient pas confirmer seulement la vérité de ce passage, mais la vérité d'une multitude d'autres. Ainsi ces paroles: «Voici mon servi teur», se rapportent à cet endroit où le Père dit: «Celui-ci est mon Fils», (Mt 3); et ces autres: «Je placerai mon esprit en lui», au miracle de l'Esprit saint descendant sur le Seigneur au moment de son baptême (Lc 3). Ce qu'il ajoute: «Il annoncera la justice aux na tions»,se rapporte à ce que saint Matthieu dit ailleurs: «Lorsque le Fils de l'homme s'assiéra sur le trône de sa gloire» (Mt 25). Ces autres paroles: «Il ne disputera ni ne criera» se sont vérifiées lorsque le Seigneur ne répondit presque rien au prince des prêtres et à Pilate (Mt 26,27), et qu'il garda un silence absolu devant Hérode (Lc 23). Ce qui suit: «Il n'achèvera pas de briser le roseau cassé»se rapporte à ce trait de la vie du Sauveur où il se dérobe à la fureur de ses ennemis pour leur éviter un plus grand crime (Jn 7 Jn 8); enfin ces paroles: «Les nations espéreront en son nom» peuvent se rapporter à ce passage de saint Matthieu: «Allez, enseignez toutes les nations» (Mt 28).
4222 Mt 12,22-24
La Glose. - Le Seigneur venait de réfuter les calomnies des pharisiens qui lui reprochaient de faire des miracles le jour du sabbat; mais comme, par une méchanceté plus noire encore, ils dénaturaient les miracles eux-mêmes qu'il opérait par une vertu toute divine en les attribuant à l'esprit impur, l'Évangéliste raconte le prodige qui fut pour eux l'occasion de ce blasphème: «Alors on lui présenta un possédé».
Remi. Ce mot alors se rapporte au moment où il sortait de la synagogue après avoir guéri cet homme dont la main était desséchée. Oubien cette expression alors signifie un espace de temps plus étendu et voudrait dire alors qu'il prononçait tous les discours, ou qu'il faisait les oeuvres qui sont ici racontés.
- S. Chrys. (hom. 41). Quelle malice surprenante dans le démon ! il avait fermé les deux passages par lesquels la foi aurait pu entrer dans cet homme, c'est-à-dire la vue et l'ouïe; mais le Seigneur va ouvrir l'un et l'autre: «Et il le guérit», ajoute l'Évangéliste. - S. Jér. Nous voyons ici trois prodiges opérés dans un seul homme: l'aveugle voit, le muet parle, le possédé est délivré du démon, et ce miracle extérieur et sensible se renouvelle tous les jours dans la conversion de ceux qui embrassent la foi; après que le démon est chassé de leur âme ils voient la lumière de la foi, et leur bouche, jusqu'alors muette, s'ouvre pour proclamer les louanges de Dieu. - S. Hil. (can. 12 sur S. Matth). Ce n'est pas sans un des sein particulier de Dieu qu'après avoir parlé d'une multitude de perguéries en commun, l'Évangéliste nous raconte la guérison particulière d'un homme qui était tout à la fois possédé, aveugle et muet. Il convenait en effet qu'après la guérison dans la synagogue de l'homme dont la main était desséchée, celui dont il est ici question devînt la figure de la guérison spirituelle des nations, et qu'après avoir été possédé du démon, aveugle et muet, il devint l'habitation de Dieu, vît et reconnut le vrai Dieu dans la personne du Christ et rendît gloire à Dieu pour les oeuvres qu'il opérait. - S. Aug. (Quest. Evang., 2, 4). Celui qui ne croit point et qui est l'esclave du démon est tout à la fois possédé, aveugle et muet; il ne comprend pas, il ne confesse pas la foi ou il ne rend pas gloire à Dieu. - S. Aug. (De l'accord des Evang., 2, 37). Ce n'est pas dans le même ordre que saint Luc raconte ce fait (Lc 11); il parle d'un muet seulement, sans ajouter qu'il fût aveugle; mais de ce qu'il omet une circonstance de ce genre, on ne peut conclure qu'il veut raconter une guérison diffécar la suite de son récit revient à celui de saint Matthieu.
S. Hil. (can. 12). A la vue de ce miracle, la foule est dans l'étonnement, mais l'envie des pharisiens ne fait que s'accroître: «Et tout le peuple étonné disait: N'est-ce point là le fils de David ?» - La Glose. Ils l'appellent le Fils de David à cause de sa bonté et de ses bienfaits. - Rab. Tandis que le peuple moins instruit ne cessait d'adles prodiges du Sauveur, ceux-ci s'appliquaient toujours à les nier, ou, lorsqu'ils ne le pouvaient, à les révoquer du moins en doute, à les dénaturer par des interprétations malveillantes, comme s'ils étaient l'oeuvre non pas de la divinité, mais de l'esprit immonde, de Beelzébub qui passait pour le dieu d'Accaron. C'est ce qu'ils firent dans cette circonstance. «Les pharisiens entendant cela dirent: Cet homme ne chasse les démons que par Beelzébub, prince des démons».
Remi. Beelzébub n'est autre chose que Beel ou Baal, ou Beelphégor. Beel fut le père de Ninus, roi des Assyriens; il fut appelé Baal parce qu'on l'adorait sur les hauteurs, et Beelphégor à cause de la montagne de Phéga, où son idole était placée. Zébul fut un serviteur d'Abimélech, fils de Gédéon. C'est cet Abimélech qui, après le meurtre de ses soixante-dix frères, éleva un temple à Baal et y établit prêtre Zébub pour chasser les mouches qui s'y rassemblaient en grand nombre à cause de la grande quantité de sang des victimes immoées (cf. Jg 9,28); car Zébub signifie mouche et Beelzébub veut dire l'homme des mouches. Ils l'appelaient prince des démons à cause des impuretés qui déshonoraient son culte. Ne trouvant donc rien de plus infâme à objecter contre le Sauveur, ils disaient que c'était par Beelzébub qu'il chassait les démons. Il faut remarquer que ce nom doit être écrit avec un b à la fin et non avec un t ou avec un d, comme on le voit dans quelques exemplaires fautifs.
4225 Mt 12,25-26
S. Jér. Les pharisiens attribuaient au prince des démons les oeuvres de Dieu; Notre-Seigneur répond non à ce qu'ils disaient mais à ce qu'ils pensaient au-dedans d'eux-mêmes (cf. Ps 7,9 Jr 17,10), pour les forcer de croire à la puissance de Celui qui voyait le fond des coeurs. «Or Jésus connaissant leurs pensées», etc. - S. Chrys. (hom. 42 sur S. Matth). Ils avaient déjà accusé plus haut le Seigneur de chasser les démons par Beelzébub, sans qu'il les en eût repris; il voulait laisser à la multitude de ses miracles de leur faire connaître sa puis sance, et à sa doctrine de révéler sa grandeur; mais comme ils persévéraient dans cette inter prétation calomnieuse, il leur en fait des reproches sévères, bien que cette accusation n'eût pas le moindre fondement, car l'envie n'examine pas la nature de ses accusations, pourvu qu'elle accuse. Cependant Jésus ne leur répond point avec mépris, mais ses paroles sont pleines de douceur et de dignité pour nous apprendre à être doux envers nos ennemis, à ne point nous troubler alors même qu'ils nous accuseraient de choses que nous ne reconnaissons pas en nous et qui n'ont aucun fondement. Cette conduite fait même ressortir l'odieux de leurs calomnies, car un possédé du démon n'aurait pu faire ni paraître une aussi grande douceur, ni connaître les pensées des coeurs. C'est du reste parce que leurs accusations étaient dépourvues de toute raison, qu'ils redoutaient la multitude, et qu'ils n'osaient rendre publique cette accusation contre le Christ; ils se contentaient de l'agiter au fond de leur coeur. C'est pour cela que l'Évangéliste dit: «Or, Jésus connaissant leurs pensées». Le Sauveur, dans sa réponse, ne relève point cette volonté qu'ils avaient de l'accuser; il ne divulgue pas leur méchanceté, il se contente de leur répondre, car son désir était d'être utile aux pécheurs et non pas de dévoiler leurs crimes. Il ne se justifie point non plus à l'aide de témoignages de l'Écriture, car ils n'y auraient fait aucune attention et les auraient expliqués dans un autre sens, mais il tire sa ré ponse des choses qui arrivent ordinairement. Les guerres qui viennent de l'extérieur sont bien moins funestes que les guerres civiles: c'est ce qui se vérifie également pour tous les corps comme pour tous les êtres. Mais le Seigneur emprunte ses exemples aux choses qui sont plus connues: «Tout royaume divisé contre lui-même sera ruiné»,etc. Rien n'est plus puissant sur la terre qu'un royaume, cependant la division est pour lui un principe certain de ruine; que dire après cela d'une ville, d'une maison, divisées contré elles-mêmes. Grand ou petit, tout ce qui combat contre soi-même se détruit nécessairement. - S. Hil. (can. 12). Le sort d'une mai son ou d'une cité est ici le même que celui d'un royaume; c'est pour cela qu'il ajoute: «Toute ville ou toute maison divisée contre elle-même ne pourra subsister». - S. Jér. De même que la concorde fait croître les plus petites choses, ainsi la division fait tomber les plus grandes.
S. Hil. (can. 12) La parole de Dieu est riche et féconde, et soit qu'on l'entende dans le sens le plus simple, soit qu'on pénètre dans ses profondeurs, elle est indispensable à tout progrès de l'âme. Laissons donc de côté l'interprétation commune assez claire d'elle-même, et arrêtons-nous au sens intime de ces paroles. Le Seigneur, ayant à repousser l'accusation de faire des miracles par Béelzébub, fait retomber cette accusation sur ses auteurs. En effet, la loi vient de Dieu et la promesse du royaume d'Israël découle de la loi: si le royaume de la loi est divisé contre lui-même, il faut nécessairement qu'il se détruise, et c'est ainsi que le royaume d'Israël a perdu la loi, alors que le peuple de la loi attaquait dans le Christ l'accomplissement de la loi. C'est la ville de Jérusalem qui est ici désignée, elle qui, après avoir dirigé contre le Christ tous les flots de la fureur populaire et mis en fuite les Apôtres avec la multitude des croyants, ne tiendra pas contre cette division, et le Sauveur prédit ici la ruine de cette ville, qui suivit de près cette division. Il ajoute ensuite: Et si Satan chasse Satan, comment son royaume subsiste ra-t-il? - S. Jér. C'est-à-dire: Si Satan combat contre lui-même et si le démon se déclare l'ennemi du démon, la fin du monde devrait être proche, car il n'y aurait plus de place pour ces puissances ennemies dont les divisions assurent la paix aux hommes. - La Glose. Le Seigneur les renferme donc dans un dilemme dont ils ne peuvent sortir: ou bien le Christ chasse le démon par la puissance de Dieu, ou bien par la vertu du prince des démons. Si c'est par la puissance de Dieu, vos calomnies tombent à faux; si c'est par le prince des démons, le royaume des démons est donc divisé contre lui-même, et il ne peut subsister. C'est pour cela que les pharisiens se retirent de son royaume, et le Sauveur insinue que c'est de leur propre choix, parce qu'ils ont refusé de croire en lui. - S. Chrys. (hom. 42). Ou bien si ce royaume est divisé, il s'est affaibli par cette division et il est perdu; et, s'il est perdu, comment peut-il en renverser un autre? - S. Hil. (can. 12). Ou bien encore si le démon est forcément l'auteur de cette division intestine, et qu'il porte le trouble parmi les démons eux-mêmes, il faut en conclure que celui qui est parvenu à les diviser a plus de puissance que ceux qu'il a divisés; donc le royaume du démon, devenu le théâtre d'une telle division, est détruit. - S. Jér. Si vous pensez, scribes et pharisiens, que les démons se retirent pour obéir à leurs chefs, pour tromper par cette démarche simulée les hommes ignorants, que pouvez-vous dire de ces guérisons miraculeuses dont le Sauveur est l'auteur? A moins que vous ne reconnaissiez aussi dans le démon la puissance de guérir les infirmités du corps et le pouvoir d'opérer des prodiges spirituels.
4227 Mt 12,27-28
S. Chrys. (hom. 42). A cette première réponse, Notre-Seigneur en ajoute une seconde beau coup plus évidente encore: «Et si c'est par Béelzébub que je chasse les démons, par qui vos enfants les chasseront-ils ?»Par les enfants des Juifs, il entend les exorcistes établis par la loi ou les Apôtres sortis de la nation juive. S'il veut parler des exorcistes qui chassaient les dé mons en invoquant le nom de Dieu, il force les pharisiens par cette question adroite de recon naître en eux l'oeuvre de l'Esprit saint? Si le pouvoir de chasser les démons, leur dit-il, est dans vos enfants l'oeuvre de Dieu, et non pas des démons, pourquoi cette puissance aurait-elle en moi un autre principe? Ils seront donc eux-mêmes vos juges, non par la puissance qu'ils exerceront sur vous, mais par l'opposition de leur conduite avec la vôtre, puisque c'est à Dieu qu'ils font remonter le pouvoir de chasser les dénions, tandis que vous l'attribuez au prince des démons. Si au co ntraire ces paroles doivent s'entendre des Apôtres, ce qui est plus probable, ils seront leurs juges, parce qu'ils siégeront sur douze siéges pour juger les douze tribus d'israël (Mt 19). - S. Hil. (can. 12). Or, c'est à juste titre que les Apôtres seront établis leurs juges, eux qui ont été revêtus du pouvoir de chasser les démons, pouvoir que les phari siens ont refusé de reconnaître dans le Christ lui-même. - Rab. Ou bien encore, c'est parce que les Apôtres avaient la conscience que le Christ ne les avait initiés à aucune science funeste.
S. Chrys. (hom. 42). Le Sauveur ne dit pas ici: Mes disciples, ni mes Apôtres, mais «vos enfants», afin de leur donner toute facilité de reprendre leur dignité, ou, s'ils persévéraient dans leur ingratitude, d'ôter toute excuse à leur impudence. Or, les Apôtres chassaient les dé mons en vertu du pouvoir que le Sauveur lui-même leur avait donné; cependant les pharisiens ne songeaient pas à les accuser, car ce n'était pas le fait lui-même qu'ils attaquaient, mais la personne du Christ. Il prend les Apôtres pour exemple, afin de leur prouver que c'était sous l'inspiration de l'envie qu'ils parlaient ainsi de lui. Il les conduit ensuite de nouveau à la connaissance de lui-même, en leur démontrant qu'ils sont les ennemis déclarés de leur propre bonheur, et qu'ils s'opposent à leur salut, tandis qu'ils devraient se réjouir de ce qu'il était ve nu pour leur communiquer des biens ineffables. Or, poursuit-il, si c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc parvenu jusqu'à vous». Il leur montre par là que chasser les démons n'est pas l'effet d'une grâce ordinaire; mais un acte de puissance extraordinaire, et c'est pour établir cette vérité qu'il tire cette conclusion: «Donc le royaume de Dieu est parvenu jusqu'à vous». Comme s'il disait: S'il en est ainsi, vous ne pouvez douter de la venue du Fils de Dieu sur la terre. Mais il laisse cette conséquence dans l'obscurité, pour ne pas leur être insupportable. Au contraire, comme il veut les attirer à lui, il ne se contente pas de dire: Le royaume de Dieu est arrivé, mais «il est arrivé jusqu'à vous». Il semble leur dire: Les biens vous arrivent et se répandent sur vous; pourquoi donc vous déclarer contre ce qui doit être votre salut? Ces oeuvres si grandes de la puissance divine ont été prédites par tous les prophètes comme le signe de la présence du Fils de Dieu sur la terre. - S. Jér. Il se désigne lui-même comme ce royaume de Dieu, dont il est dit ailleurs: «Le royaume de Dieu est au milieu de vous» (Lc 17); Et encore: «Il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas» (Jn 1). Ou bien encore, c'est ce royaume que Jean-Baptiste et le Seigneur lui-même ont annoncé en ces termes: «Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche» (Mt 3). Il est un troisième royaume de la sainte Écriture qui est enlevé aux Juifs pour être donné à une nation qui lui fera porter des fruits (Mt 21). - S. Hil. (can. 12). Si donc les disciples agissent par la vertu du Christ, et que le Christ agisse lui-même par la vertu de l'Esprit saint, le royaume de Dieu arrive, puisqu'il a été communiqué aux Apôtres par le ministère du médiateur lui-même. - La Glose. On peut dire aussi que l'affaiblissement du pouvoir du démon est une augmentation du royaume de Dieu. - S. Aug. (Quest. évang., 1, 5). On peut donc donner aussi cette explication: Si je chasse les démons par Béelzébub, même dans votre pensée, le royaume de Dieu est parvenu jusqu'à vous; car ce royaume du démon qui, de votre aveu, est divisé co ntre lui-même, ne peut subsister. Ce royaume de Dieu dont il parle, c'est celui où les impies subissent leur condamnation, et où ils sont séparés des fidèles qui font maintenant pénitence de leurs péchés.
Catena Aurea 4209