Catena Aurea 4229

v. 29

4229 Mt 12,29

S. Chrys. (hom. 42). A cette seconde réponse, Notre-Seigneur en ajoute encore une troi sième: «Comment quelqu'un peut-il entrer dans la maison du fort ?» etc. Que Satan ne puisse chasser Satan, c'est chose évidente d'après ce qui précède, et il est également hors de doute que personne ne peut le chasser sans l'avoir tout d'abord vaincu. Notre-Seigneur reproduit donc, mais avec une nouvelle force, la raison qu'il a donnée précédemment: Je suis si loin de demander au démon son appui, que je suis en guerre avec lui et que je le tiens captif, et la preuve, c'est que j'enlève tout ce qu'il possède. C'est ainsi qu'il établit le contraire de ce que ses ennemis cherchaient à lui reprocher. Que voulaient-ils en effet? Persuader que ce n'était point par sa propre puissance qu'il chassait les démons. Or, il leur démontre qu'il a fait captifs, non-seulement les démons, mais leur chef lui-même. Ce qu'il a fait le prouve suffisamment. Car comment, sans l'avoir réduit le premier, aurait-il pu se rendre maître des démons qui sont sous ses ordres? Ces paroles contiennent, à mon avis, une prophétie; car non-seulement il chasse actuellement les démons, mais il fera disparaître l'erreur de toute la face de la terre, et détruira tous les artifices du démon. Il ne dit pas: Il enlèvera, mais: «Il arrachera», pour montrer la puissance avec laquelle il agit. - S. Jér. La maison du démon, c'est le monde qui est soumis à l'empire du malin esprit, non par la volonté de son Créateur, mais par la grandeur de sa faute. Le fort a été chargé de chaînes, relégué dans l'enfer et brisé sous les pieds du Seigneur. Toutefois nous ne devons pas être sans crainte; car notre adversaire est proclamé «le fort» par la bouche même de son vainqueur. - S. Chrys. (hom. 42). Il l'appelle le fort, pour expri mer son antique tyrannie, due tout entière à notre lâcheté.
- S. Aug. (Quest. évang., 1, 5). Satan tenait les hommes captifs, et ils ne pouvaient s'arracher de ses mains par leurs propres forces, si la grâce de Dieu n'était venu les délivrer. Ce qu'il appelle ses armes, ce sont les infi dèles. Il a lié le fort en lui enlevant le pouvoir qu'il avait de s'opposer à la volonté des fidèles qui veulent suivre le Christ, et conquérir le royaume de Dieu. - Rab. Il a pillé sa maison, parce qu'il a délivré des pièges du démon, pour les réunir à son Église, ceux qu'il avait prévus devoir être à lui, ou bien lorsqu'il a donné le monde entier à convertir à ses Apôtres et à leurs successeurs. Par cette comparaison si claire, il leur montre donc qu'il n'est point associé aux opérations mensongères du démon, comme ils l'en accusaient faussement, mais que c'est par la puissance divine qu'il a délivré les hommes de la tyrannie des démons.


v. 30

4230 Mt 12,30

S. Chrys. (hom. 42). A cette troisième raison en succède une quatrième: «Celui qui n'est pas avec moi est con tre moi». - S. Hil. (can. 12). Jésus fait connaître combien il s'en faut qu'il ait emprunté la moindre puis sance au démon, et il nous laisse entrevoir combien il est dangereux de se faire une mauvaise idée de lui, puisque ne pas être avec lui c'est être contre lui. - S. Jér. Il ne faut pas croire cependant que ces paroles se rapportent aux hérétiques et aux schismatiques, quoiqu'on puisse les leur appliquer par extension; car le contexte et la suite du récit nous forcent de les entendre du démon, en ce se ns qu'on ne peut comparer les oeuvres du Seigneur aux oeuvres de Béelzé bub. Le désir du démon, c'est de tenir les âmes captives; le désir du Seigneur, c'est de les délivrer; l'un prêche le culte des idoles, l'autre la connaissance du vrai Dieu; le démon en traîne au mal, le Sauveur rappelle à la pratique des vertus. Or, quel accord est possible entre ceux dont les oeuvres sont si contraires ?

S. Chrys. (hom. 42). Comment donc celui qui n'amasse pas avec moi et qui n'est pas avec moi, peut-il être d'accord avec moi pour chasser les démons? il désire bien plutôt disperser et détruire ce qui m'appartient. Mais dites moi, si vous aviez un combat à livrer, celui qui ne voudrait pas venir à votre secours ne serait point par là même contre vous. Car le Seigneur lui-même a dit dans un autre endroit: «Celui qui n'est pas contre vous est pour vous». Il n'y a point ici de contradiction entre ces deux passages: d'un côté le Seigneur veut parler du démon qui est en guerre ouverte avec lui; de l'autre, d'un homme qui était en partie avec les disciples, et dont ils disaient: «Nous avons vu un homme chasser les démons en votre nom». Ce sont les Juifs qu'il paraît surtout avoir ici en vue, et qu'il range dans le parti du démon; ils étaient en effet contre lui, et ils dispersaient ce qu'il cherchait à réunir. On peut admettre aussi qu'il veut parler de lui-même, car il était l'ennemi déclaré du démon, et s'efforçait de détruire ses oeu vres.


vv. 31-32

4231 Mt 12,31-32

S. Chrys. (hom. 42). Le Seigneur a répondu aux pharisiens en justifiant sa conduite; il leur inspire maintenant une salutaire frayeur. Car une partie importante de la correction, c'est non-seulement de justifier sa manière d'agir, mais aussi d'y ajouter les menaces. - S. Hil. (can. 12). Il prononce un jugement sévère contre l'opinion injuste des pharisiens et contre la perversité de ceux qui la partagent, en promettant le pardon de tous les péchés, mais en le refusant au blasphème contre l'Esprit. «C'est pourquoi je vous déclare que tout péché et tout blasphème sera remis». - Remi. Remarquons, toutefois, que le pardon n'est pas accor dé indistinctement à tout le monde, mais à ceux qui auront fait une pénitence proportionnée à leurs péchés. Ces paroles sont la condamnation de l'erreur de Novatien, qui prétendait que les fidèles ne pouvaient se relever de leurs chutes par la pénitence, ni mériter le pardon de leurs péchés, surtout ceux qui avaient renoncé la foi dans les persécutions.

«Mais le blasphème contre le Saint-Esprit ne leur sera point remis». - S. Aug. (serm. sur les paroles du Seig). Quelle différence entre cette locution: «Le blasphème contre l'Esprit ne sera pas pardonné»,et cette autre que nous lisons dans saint Luc: «Si quelqu'un blasphème contre l'Esprit saint, il ne lui sera pas remis» (Lc 11), si ce n'est que la pensée est rendue plus clai rement d'une façon que de l'autre, et que le second Évangéliste explique le premier sans le contredire? En effet, cette expression: le blasphème de l'Esprit, a quelque obscurité, parce qu'on ne dit pas de quel esprit il s'agit, et c'est pour la faire disparaître que Notre-Seigneur ajoute: «Et quiconque aura dit une parole contre le Fils de l'homme». Après avoir parlé en général de toute espèce de blasphème, il veut spécifier en particulier le blasphème contre le Fils de l'homme, blasphème qui nous est représenté comme un péché très grave dans l'Évangile de saint Jean, où nous lisons: «Il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement; de péché, parce qu'ils n'ont pas cru en moi» (Jn 16). - Le Sauveur ajoute: «Mais celui qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit, il ne lui sera point pardonné».Ces paroles ne signi fient donc pas que dans la Trinité l'Esprit saint est supérieur au Fils, erreur que n'a jamais soutenue personne, pas même les hérétiques.

S. Hil. (can. 12). Qu'y a-t-il de plus impardonnable que de nier la nature divine dans le Christ, que de le dépouiller de la substance de l'Esprit du Père qui demeure en lui, alors qu'il opère toutes ses oeuvres par l'Esprit de Dieu, et que Dieu est en lui pour se réconcilier le monde? - S. Jér. Ou bien ce passage doit être entendu ainsi: Si quelqu'un dit une parole contre le Fils de l'homme, scandalisé qu'il est par la chair dont je suis revêtu, et ne voyant en moi qu'un homme, cette opinion, bien qu'elle soit un blasphème et une erreur coupable, sera cependant digne de pardon, à cause de la faiblesse de la nature humaine qui paraît en moi; mais celui qui, en présence d'oeuvres incontestablement divines dont il ne peut nier la puissance, osera cepen dant me calomnier sous l'inspiration de l'envie, et dire que le Christ, le Verbe de Dieu, et les oeuvres de l'Esprit saint doivent être attribuées à Béelzébub, ne peut espérer de pardon ni dans ce monde ni dans l'autre. - S. Aug. (serm. 2 sur les paroles du Seig). Si tel était le sens de ces paroles, il ne serait question d'aucun autre blasphème, et le seul qui serait irrémissible serait le blasphème contre le Fils de l'homme, c'est-à-dire celui qui ne veut voir en lui qu'un homme. Mais comme il a commencé par dire: «Tout péché et tout blasphème sera remis aux hom mes», il est hors de doute que le blasphème contre le Père lui-même est compris dans cette proposition générale; et le seul blasphème qu'il déclare irrémissible est celui qui attaque l'Esprit saint. Est-ce que le Père lui-même a pris la forme d'un esclave, de manière que sous ce rapport l'Esprit saint lui soit supérieur? Et quel est celui qu'on ne pourrait convaincre d'avoir parlé contre l'Esprit saint avant qu'il devint chrétien et catholique? Est-ce que d'abord les païens, lorsqu'ils osent attribuer les miracles de Jésus-Christ à des opérations magiques, ne sont pas semblables à ceux qui lui reprochaient de chasser les démons au nom du prince des démons? Et les Juifs eux-mêmes, et tous les hérétiques qui confessent l'Esprit saint, mais qui nient sa présence perpétuelle dans le corps du Christ, qui est l'Église catholique, ressemblent aux pharisiens qui niaient que l'Esprit saint fût en Jésus-Christ. D'ailleurs, il y a eu des héréti ques, comme les Ariens, les Eunomiens et les Macédoniens, qui ont osé soutenir que l'Esprit saint n'était qu'une créature, ou qui ont nié son existence, jusqu'à prétendre que le Père seul était Dieu, et qu'on lui donnait tantôt le nom de Fils, tantôt le nom de l'Esprit saint; ce sont les Sabelliens. Les Photiniens soutiennent aussi que le Père seul est Dieu, que le Fils n'est qu'un homme, et ils nient complètement l'existence de la troisième personne, de l'Esprit saint. Il est donc évident que les païens, les hérétiques et les Juifs blasphèment contre l'Esprit saint. Faut-il donc les abandonner ou les considérer comme n'ayant plus d'espérance? Si le blasphème qu'ils ont proféré contre l'Esprit saint, ne doit pas leur être remis, c'est donc inutilement qu'on leur promet qu'ils recevront la rémission de leurs péchés dans le baptême, ou par leur entrée dans l'Église? Car Notre-Seigneur ne dit pas: Ce péché ne lui sera remis que dans le baptême, mais: «Il ne lui sera remis ni dans ce monde ni dans l'autre»,et ainsi il n'y aurait pour être exempts de ce crime énorme que ceux qui sont catholiques dès leur enfance. - Et au chap. 15: Il en est quelques-uns qui prétendent que le blasphème contre l'Esprit saint est le péché exclusif de ceux qui, après avoir été purifiés dans l'Église par l'eau régénératrice, et après avoir reçu l'Esprit saint, répondent par l'ingratitude, à ce bienfait inestimable du Sauveur, et se plon gent de nouveau dans l'abîme du péché mortel, tels que les adultères, les homicides, ou les apostats du nom chrétien ou de l'Église catholique. Mais je ne sais quelle preuve on peut ap porter à l'appui d'un pareil sentiment, alors que l'Église ne ferme à aucun crime les portes de la pénitence, et que l'Apôtre nous avertit de reprendre les hérétiques eux-mêmes (2Tm 2), dans l'espérance que Dieu les amènera par la pénitence à la connaissance de la vérité. Enfin le Seigneur n'a pas dit: «Le fidèle catholique qui aura proféré une parole contre l'Esprit saint, mais: «Celui qui aura dit», c'est-à-dire: Quiconque aura dit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle ni dans l'autre.

S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 43). Nous lisons dans l'apôtre saint Jean (1Jn 5): «Il est un péché qui conduit à la mort; je ne dis pas que quelqu'un doive prier pour ce péché».Or, je dis que ce péché du frère qui engendre la mort, est le péché de celui qui, après avoir connu Dieu par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, attaque la sainte fraternité, ou qui, poussé par une ardente jalousie, se déclare contre la grâce elle-même à laquelle il doit sa réconciliation avec Dieu. L'énormité de ce crime est telle, qu'elle ne laisse plus de place à l'humilité de la prière, alors même que les remords de la conscience forcent le pécheur de reconnaître et d'avouer son crime. Il faut croire que cette disposition de l'âme, à cause de la grandeur du péché, produit déjà quelque chose de l'impénitence finale et de la damnation, et c'est peut-être là ce qu'on peut appeler pécher contre l'Esprit saint, c'est-à-dire par malice et par envie, attaquer la charité fraternelle après avoir reçu la grâce de l'Esprit saint. C'est ce péché qui, selon la déclaration du Seigneur, ne sera remis ni dans ce monde ni dans l'autre. Cette explication nous amène à exa miner si les Juifs commirent ce péché contre l'Esprit saint lorsqu'ils accusèrent Notre-Seigneur de chasser les démons au nom de Béelzébub, prince des démons, c'est-à-dire si nous devons regarder cette accusation comme dirigée personnellement contre le Seigneur, parce qu'il dit de lui-même dans un autre endroit: «S'ils ont appelé le père de famille Béelzébub, à combien plus forte raison ses serviteurs». Ou bien, comme ils ne parlaient de la sorte que par un excès de jalousie, et qu'ils n'avaient que de l'ingratitude pour de si grands bienfaits, ne peut-on pas croire que par l'excès même de leur jalousie ils ont péché contre l'Esprit saint, quoiqu'ils ne fussent pas encore chrétiens? Cette explication ne ressort pas des paroles du Seigneur, mais on peut dire cependant qu'il les avertit de recevoir la grâce qui leur est offerte, et après l'avoir reçue, de ne plus retomber dans le péché qu'ils avaient déjà commis. Ils avaient proféré contre le Fils de l'homme une parole pleine de méchanceté; elle aurait pu leur être pardonnée s'ils avaient voulu se convertir et croire en lui; mais si après avoir reçu l'Esprit saint ils avaient continué à porter envie à leurs frères, et à se déclarer contre la grâce qu'ils avaient reçue, ce péché ne leur sera pardonné ni dans ce monde ni dans l'autre. Et en effet, si le Sauveur les avait considérés comme déjà condamnés, sans nulle espérance de retour, il n'aurait pas conti nué de leur donner des conseils en ajoutant immédiatement: «Ou faites un arbre bon»,etc. - S. Aug. (Rétract., 1, 19). Je n'ai pas appuyé cette interprétation, parce que j'ai dit que tel était mon sentiment, en ajoutant, toutefois, pourvu que l'on arrive à la fin de cette vie dans cette disposition d'esprit si criminelle. Il ne faut, en effet, désespérer pendant cette vie d'aucun pécheur, quelque dépravé qu'il soit, et ce ne sera jamais témérité de prier pour celui dont il est permis encore d'espérer le salut.

S. Aug. (serm. 2 sur les paroles du Seig., chap. 1 et 5). Ce passage renferme un grand mys tère, et il faut demander à Dieu la lumière nécessaire pour bien l'exposer. Je vous le déclare, mes très chers frères, peut-être dans toutes les saintes Écritures ne trouve-t-on pas une ques tion plus importante et plus difficile. Remarquez d'abord que Notre-Seigneur n'a pas dit: Au cun blasphème contre l'Esprit saint ne sera remis, ni: Celui qui aura dit une parole quelconque contre l'Esprit saint, mais: «Celui qui aura dit la parole». - Et au chap. 6: Il n'est donc point nécessaire de regarder comme irrémissible tout blasphème, toute parole contre l'Esprit saint, il faut seulement reconnaître qu'il y a une parole qui dite contre l'Esprit saint, ne peut obtenir de pardon. Les saintes Écritures ont, en effet, l'habitude de s'exprimer de manière que lorsqu'une chose n'a été dite ni du tout ni de la partie, il n'est pas nécessaire qu'elle puisse s'appliquer à la totalité pour nous défendre de l'entendre de la partie. Ainsi le Seigneur dit aux Juifs (Jn 15): «Si je n'étais pas venu, et si je ne leur avais point parlé, ils ne seraient pas coupables»; Notre-Seig neur n'a pas voulu nous dire que les Juifs eussent été absolument sans péché, mais qu'il y avait un péché que les Juifs n'auraient pas eu si le Christ n'était pas venu. - Et au chap. 18: L'ordre que nous nous sommes prescrit nous fait un devoir d'expliquer quelle est donc cette espèce de blasphème contre l'Esprit saint. Le caractère particulier sous lequel nous est représenté le Père, c'est l'autorité; pour le Fils, c'est la nais sance; pour le Saint-Esprit, c'est l'union du Père et du Fils. Or le lien qui unit le Père et le Fils est aussi dans leurs desseins, celui qui doit nous unir tous ensemble entre nous et avec eux: «Car sa charité a été répandue en nos coeurs par l'Esprit saint qui nous a été donné». Nos péchés nous ayant privés de la possession des biens véritables, la charité couvre la multitude des péchés (1P 1). Que ce soit, en effet, dans l'Esprit saint que Jésus-Christ nous remette les péchés, nous pouvons le conclure de ce qu'après avoir dit à ses Apôtres: «Recevez l'Esprit saint»,il ajoute aussitôt: «Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez». La première grâce que reçoivent ceux qui croient, c'est donc la rémission des péchés dans l'Esprit saint; c'est contre ce don gratuit que s'élève le coeur impénitent. Donc l'impénitence est ce blasphème contre l'Esprit saint qui ne sera remis ni dans ce monde ni dans l'autre. Car celui qui, «par sa dureté et par l'impénitence de son coeur, amasse un trésor de colère pour le jour de la colère», (Rm 2) celui-là, soit dans sa pensée, soit verbalement, prononce une pa role criminelle contre l'Esprit saint par lequel les péchés sont remis. Or, cette impénitence ne peut espérer aucun pardon, ni dans ce monde ni dans l'autre, parce que la pénitence obtient dans ce monde le pardon qui nous ouvre les portes de l'autre vie. - Et au chap. 13: Or, cette impénitence ne peut être définitivement jugée pendant cette vie, car on ne doit désespé rer de personne tant que la patience de Dieu peut l'amener à se repentir (Rm 2). Car enfin qu'arrivera-t-il si ceux que vous voyez livrés à toute sorte d'erreurs, et que vous condamnez comme ayant perdu tout espoir, font pénitence avant le moment de leur mort? Quoique ce blasphème se compose de plusieurs paroles et qu'il puisse être très étendu, l'Écriture, suivant sa coutume, en parle comme si ce n'était qu'une seule parole. Ainsi, bien que Dieu ait adressé plusieurs paroles aux prophètes, on lit cependant: «Parole qui fut adressée à tel ou à tel prophète». - Et au chap. 15: Si l'on nous fait ici cette question: Est-ce l'Esprit saint qui seul remet les péchés, ou est-ce le Père et le Fils? nous répondrons que c'est également le Père et le Fils, car le Fils dit du Père: «Votre Père vous remettra vos péchés» (Mt 6) et il dit de lui-même: «Le Fils a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés».Pourquoi donc cette impénitence qui demeure sans pardon n'a-t-elle pour cause que le blasphème contre l'Esprit saint, comme si celui qui se trouve lié par ce péché d'impénitence résistait au don de l'Espri t saint, don qui nous confère la rémission des péchés? - Et au chap. 17: C'est que les péchés qui ne peuvent être remis en dehors de l'Église ne doivent être remis que par la vertu de cet Esprit qui est le principe de l'unité de l'Église, etc. Donc la rémission des péchés, qui est l'oeuvre de la Trinité tout entière, est attribuée spécialement à l'Esprit saint; car il est cet Esprit d'adoption des enfants dans lequel nous crions: Mon Père, mon Père (Rm 8), afin que nous puissions lui dire: «Pardonnez-nous nos offenses». Et comme le dit saint Jean, c'est en cela que nous connaissons que le Christ demeure en nous, parce qu'il nous a rendus participants de son Esprit (1Jn 4,13). C'est ce même Esprit qui est l'auteur de cette société qui ne fait de nous qu'un seul corps, le corps du Fils unique de Dieu. - Et au chap. 20.: Car l'Esprit saint est lui-même en quelque sorte la société du Père et du Fils, etc. Et au chap. 22: Celui donc qui se rendra coupable d'impénitence contre l'Esprit saint, qui réunit toute l'Église dans les liens d'une même communion et d'une seule unité, il ne lui sera jamais pardonné.

S. Chrys. (hom. 43). On peut encore dire, suivant la première interprétation, que les Juifs ne connaissaient pas la personne du Christ, mais ils avaient de l'Esprit saint une connaissance suf fisante, car c'est lui qui avait inspiré les prophètes. Voici donc le sens des paroles du Sauveur: J'admets que la chair dont je suis revêtu soit pour vous une cause de scandale; mais quant à l'Esprit saint, pouvez-vous dire: Nous ne le connaissons pas? Et vous en subirez le châti ment dans cette vie et dans l'autre; car chasser les démons et guérir les maladies est une oeu vre de l'Esprit saint; ce n'est donc pas à moi seul que vous faites outrage, mais à l'Esprit saint: c'est pourquoi votre condamnation est inévitable dans ce monde et dans l'autre. Il en est qui ne sont punis que dans cette vie, comme ceux qui ont participé indignement aux saints mystères chez les Corinthiens (1Co 11,29-30); il en est qui ne reçoivent leur châtiment que dans l'autre monde, comme le mauvais riche dans l'enfer. Il en est enfin qui sont punis dans ce monde et dans l'autre, comme les Juifs qui furent cruellement châtiés lors de la prise de Jéru salem, et qui auront encore à endurer d'affreux supplices dans l'enfer.

Rab. L'autorité divine de ces paroles condamne l'erreur d'Origène, qui assure qu'après bien des siècles, tous les pécheurs obtiendront leur pardon; et Notre-Seigneur l'a détruite par ces seuls mots: «Il ne lui sera pardonné ni dans cette vie ni dans l'autre». - S. Grég. (Dialog. 4, 34). Ce passage nous donne à entendre que certaines fautes sont pardonnées en ce monde, tandis que d'autres ne sont remises que dans l'autre; car ce qui n'est nié que pour une seule chose est affirmé pour quelques autres. Et cependant on ne peut espérer ce pardon que pour les fautes les plus légères, comme des paroles oiseuses, des rires immodérés, ou les fautes que l'on commet dans la gestion de ses affaires, fautes que peuvent à peine éviter, ceux même qui savent comment on doit se garder de tout péché; ou bien enfin l'ignorance en matière légère. Il est encore d'autres fautes dont nous demeurons chargés après la mort, si elles ne nous ont pas été remises pendant cette vie, etc. Mais il ne faut pas oublier que personne n'obtiendra le par don de ses fautes légères après la mort, à moins d'avoir mérité dans cette vie par ses bonnes oeuvres que ce pardon lui soit accordé.


vv. 33-35

4233 Mt 12,33-35

S. Chrys. (hom. 43). Notre-Seigneur ne se contente pas de cette première réfutation, il veut les confondre par de nouvelles raisons. Ce n'est pas sans doute pour se justifier à leurs yeux, il l'avait fait suffisamment, mais pour changer les dispositions de leur coeur. Il leur dit donc: «Ou dites qu'un arbre est bon», etc., paroles qui veulent dire: Personne d'entre vous n'a osé dire qu'il était mal de délivrer les hommes du démon. Toutefois, comme ils n'attaquaient pas les oeuvres elles-mêmes, mais qu'ils prétendaient que le démon en était l'auteur, il leur dé montre que cette accusation est contraire à toutes les règles du raisonnement ainsi qu'à toutes les idées reçues, et que de pareilles inventions sont le comble de l'impudence. - S. Jér. Il les tient resserrés dans un raisonnement que les Grecs appellent áöõôïí et que nous pouvons ap peler raisonnement qu'on ne peut éluder. Il les renferme comme dans un cercle d'où ils ne peu vent sortir et les presse par les deux faces de cet argument: Si le démon est mauvais, leur dit-il, il ne peut faire des actions qui soient bonnes; et si les actions dont vous avez été témoins sont bonnes, le démon ne peut en être l'auteur, car il n'est pas possible que le bien puisse naître du mal ou le mal venir du bien. - S. Chrys. (hom. 43). En effet, on juge l'arbre à son fruit, et non pas le fruit par l'arbre, comme le dit Notre-Seigneur lui-même: «Car c'est par le fruit que l'on connaît l'arbre». - Bien que ce soit l'arbre qui produise le fruit, c'est cependant le fruit qui détermine l'espèce de l'arbre. Mais pour vous, vous faites le contraire. Vous ne trouvez rien à reprendre dans les oeuvres, et vous condamnez l'arbre en m'appelant possédé du démon.

S. Hil. (can. 12). Il réfute donc les calomnies des Juifs qui, tout en comprenant que les oeuvres du Christ exigeaient une pu issance divine, ne voulurent pas cependant reconnaître sa divinité; mais en même temps il condamne tous ceux dont la foi pervertie devait dans la suite embrasser avec ardeur les différentes hérésies qui ont nié sa divinité et son unité de nature avec le Père, malheureux qui ne pouvaient, comme les Gentils, s'excuser sur leur ignorance, et qui cepen dant n'avaient pas la connaissance de la vérité. Cet arbre, c'est le Sauveur lui-même revêtu de la nature humaine, parce qu'en effet la fécondité intérieure de sa puissance se répand au dehors en fruits abondants et variés. Il faut donc faire un bon arbre avec de bons fruits, ou un arbre mauvais avec de mauvais fruits, non pas qu'un bon arbre puisse être mauvais ou qu'un mauvais arbre puisse être bon, mais par cet te comparaison le Sauveur veut nous faire comprendre qu'il faut abandonner le Christ comme étant inutile, ou s'attacher à lui comme étant la source fé conde de tout bon fruit. Vouloir prendre un moyen terme, attribuer quelques privilèges au Christ et nier ses qualités essentielles, le vénérer comme Dieu, et le dépouiller de son union substantielle avec Dieu, c'est un blasphème contre l'Esprit saint. Saisi d'admiration à la vue de la grandeur de ses oeuvres, vous n'osez pas lui refuser le nom de Dieu, et par je ne sais quelle mauvaise disposition de votre esprit vous lui contestez la noblesse de son origine en niant son unité de nature avec le Père. - S. Aug. (serm. 12 sur les paroles du Seigneur). Ou bien encore le Seigneur nous rappelle ici l'obligation d'être de bons arbres si nous voulons produire de bons fruits, car ces paroles: «Faites un bon arbre et que ses fruits soient bons» renferment un précepte salutaire auquel nous devons obéir, tandis que les paroles suivantes: «Faites un arbre mauvais et que ses fruits soient mauvais» ne nous imposent pas l'obligation d'agir de la sorte, mais nous avertissent d'éviter une pareille conduite. Notre-Seigneur avait ici en vue des hommes qui, tout mauvais qu'ils étaient, prétendaient pouvoir dire de bonnes choses ou faire de bonnes actions; il leur déclare que cela est impossible, car il faut changer l'homme si l'on veut changer ses oeuvres; si l'homme persiste dans ce qui le rend mauvais, il ne peut faire de bonnes oeuvres; s'il persévère dans ce qui le rend bon, il ne peut en faire de mauvaises. Or, le Christ a trouvé tous les arbres mauvais, mais il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu à tous ceux qui croyaient en lui.

S. Chrys. (hom. 43). Comme il défendait ici non pas ses intérêts, mais les oeuvres de l'Esprit saint, il leur adresse ces reproches justement mérités: «Race de vipères, comment pouvez-vous dire de bonnes choses, vous qui êtes mauvais ?»En leur parlant de la sorte, il accuse leur conduite et tout à la fois il la fait servir de preuve de ce qu'il vient de dire. Vous qui êtes de mauvais arbres, semble-t-il leur dire, vous ne pouvez pas porter de bons fruits: je ne suis donc pas étonné que vous parliez de la sorte, car vos pères étaient vicieux, votre éducation a été mauvaise, et vous avez une âme portée au mal. Remarquez qu'il ne dit pas: «Comment pou vez-vous dire de bonnes choses alors que vous êtes une race de vipères ?» car voici la cons truction naturelle de la phrase: «Comment pouvez-vous dire de bonnes choses, étant mauvais comme vous l'êtes ?» Il les appelle race de vipères parce qu'ils se glorifiaient de leurs ancêtres et, pour anéantir leur orgueil, il les sépare de la race d'Abraham et leur déclare que leurs aïeux leur ressemblaient. - Rab. Ou bien en les appelant race de vipères il veut dire qu'ils sont les enfants et les imitateurs du démon, eux qui interprètent ses actions en mauvaise part, ce qui est le propre du démon.

«La bouche parle de l'abondance du coeur». Un homme parle de l'abondance du coeur quand il connaît l'intention qui le fait parler, vérité que le Sauveur développe plus clairement en ajoutant: «L'homme qui est bon tire de bonnes choses de son bon trésor, et celui qui est mauvais tire de mauvaises choses d'un trésor mauvais».Le trésor du coeur c'est l'intention que l'âme se propose et d'après laquelle le juge intérieur détermine le mérite de l'action; c'est elle qui fait que des actions éclatantes ne reçoivent quelquefois qu'une légère récompense, et que, par suite de la négligence d'un coeur que la tiédeur domine, des actes de vertus héroïques sont faiblement récompensés par le Seigneur. - S. Chrys. (hom. 43). Il donne encore ici une preuve de sa divinité qui pénètre le fond des coeurs, et il nous apprend que non-seulement les paroles coupables, mais les mauvaise pensées, recevront leur châtiment. Du reste, c'est une conséquence naturelle que l'excès de la malice du coeur se répande au dehors par les paroles qui sortent de la bouche. Aussi, lorsque vous entendez un homme proférer de mauvais dis cours, tenez pour certain que la malice de son âme est bien plus grande que ne l'indiquent ses paroles, car elles ne sont que l'exubérance de la corruption de son coeur; c'est en cela que ce reproche est plus sévère et plus sensible pour les Juifs, car si leurs parol es sont si mauvaises, jugez combien la source d'où elles découlent doit être corrompue. Voici en effet ce qui arrive ordinairement: c'est que la langue, retenue par la honte, ne répand pas immédiatement tout son venin, tandis que le coeur, qui n'a aucun homme pour témoin de ses actes, se livre sans crainte à tout le mal qui se présente à la volonté, car Dieu est son moindre souci, et lors que le mal déborde à l'intérieur, il se répand à l'extérieur par les paroles, ce qui fait dire au Seigneur: «C'est de l'abondance du coeur que la bouche parle»; et encore: «L'homme tire ses paroles du trésor de son coeur».

S. Jér. En disant: «L'homme qui est bon tire de bonnes choses d'un bon trésor», le Sauveur fait voir aux Juifs coupables de blasphème à l'égard de Dieu dans quel trésor ils ont puisé ces blasphèmes; ou bien cette pensée se rapporte à ce qui précède et leur montre que de même qu'un homme qui est bon ne peut dire de mauvaises choses, de même celui qui est mauvais ne peut en dire de bonnes; ainsi le Christ ne peut faire de mauvaises oeuvres et le démon ne peut en faire de bonnes.


vv. 36-37

4236 Mt 12,36-37

S. Chrys. (hom. 43). A la suite de ces reproches, le Seigneur cherche à inspirer aux Juifs une grande crainte en leur apprenant que ceux qui se seront rendus coupables de crimes semblables seront punis du dernier supplice: «Or, je vous déclare que les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole inutile qu'ils auront dite». - S. Jér. Voici le sens de ces paroles: Si une parole oiseuse qui n'édifie en rien ceux qui l'entendent n'est point sans danger pour celui qui la dit, et si au jour du jugement chacun doit rendre compte de ses discours, à combien plus forte raison vous qui calomniez les oeuvres de l'Esprit saint, et qui dites que je chasse les démons par Beelzéhub, rendrez-vous compte de semblables calomnies. - S. Chrys. (hom. 43). Il ne dit pas: «La parole inutile que vous aurez dite», car son dessein est d'enseigner tout le genre humain et de rendre son discours moins dur pour les Juifs. Or, la parole oiseuse est celle qui contient un mensonge ou une calomnie; quelques-uns l'étendent à la parole vaine, à celle par exemple qui excite un rire immodéré ou qui est contraire à la dé cence et à la pudeur. - S. Grég. (hom. 9, sur les Evang). Ou bien la parole oiseuse est celle qui n'est motivée ni par une véritable utilité, ni par une juste nécessité.

S. Jér. C'est une parole qui est sans utilité pour celui qui parle comme pour celui qui écoute; par exemple, lorsqu'au lieu d'entretiens sérieux no us nous entretenons de choses frivoles ou que nous racontons les récits fabuleux de l'antiquité. Quant à celui qui se livre aux bouffonne ries, rit à gorge déployée et blesse la pudeur dans ses discours, il n'est pas seulement coupable d'une parole oiseuse, mais de discours criminels. - Remi. A cette vérité se rattache la maxime suivante: «C'est d'après vos paroles que vous serez condamnés; c'est d'après vos paroles que vous serez justifiés».Nul doute qu'on ne soit condamné pour les mauvaises paroles qu'on aura di tes; mais quant aux bonnes paroles, elles ne pourront justifier que celui qui les aura dites avec une conviction intime et une intention vertueuse.
- S. Chrys. (hom. 43). Remarquez que ce jugement n'a rien de trop sévère: vous serez jugés non point sur ce qu'on aura dit de vous, mais sur ce que vous aurez dit vous-même; ce ne sont donc pas ceux qui sont accusés qui doi vent craindre, mais ceux qui accusent les autres, car personne ne sera forcé de s'accuser du mal qu'il aura entendu et dont il aura été l'objet, il ne sera responsable que du mal qu'il aura dit lui-même.



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