Catena Aurea 4310

vv. 10-17

4310 Mt 13,10-17

La Glose. Les disciples, remarquant qu'il y avait de l'obscurité dans le discours que le Seigneur adressait au peuple, voulurent lui conseiller de ne plus parler en paraboles: «Et ses disciples, s'approchant de lui, lui dirent»,etc. - S. Chrys. (hom. 46). La conduite des Apô tres est vraiment digne d'admiration; malgré le désir qu'ils ont de s'instruire, ils choisissent le moment pour interroger, et ils ne le font pas publiquement, ce que saint Matthieu nous indique par ces paroles: «Alors ses disciples s'approchant»,etc. Saint Marc est encore plus explicite, et dit clairement qu'ils vinrent le trouver en particulier. - S. Jér. On peut se demander com ment ils purent s'approcher du Seigneur, puisqu'il se trouvait alors dans la barque. Il faut l'entendre dans ce sens qu'ils étaient montés avec lui dans cette barque, et que c'est là qu'ils lui demandèrent l'explication de la parabole. - Remi. L'Évangéliste dit qu'ils s'approchèrent pour marquer qu'ils l'interrogèrent; ou bien ils ont pu s'approcher réellement de lui, bien qu'il n'y eût qu'une légère distance qui les en séparât.

S. Chrys. (hom. 46). Remarquez aussi avec quelle vive affection ils se préoccupent du soin et des intérêts du prochain, avant de penser à ce qui les concerne, car ils ne lui disent pas: «Pourquoi nous parlez-vous en paraboles», mais: «Pourquoi leur parlez-vous en paraboles ?» «C'est, leur répond-il, que pour vous autres, il vous a été donné de connaître les mystè res du royaume des cieux». - Remi. Pour vous, dis-je, qui me suivez, et qui croyez en moi. Les mystères du royaume des cieux, c'est la doctrine évangélique; mais pour eux, c'est-à-dire pour ceux qui sont au dehors et ne veulent pas croire en lui (les scribes, les pharisiens et tous les autres qui persévèrent dans leur infidélité), il ne leur a pas été donné de les comprendre. Joignons-nous donc aux disciples pour approcher du Seigneur avec un coeur pur, afin qu'il daigne nous expliquer la doctrine de l'Évangile, selon cette parole du Deutéronome (Dt 33): «Ceux qui se tiennent à ses pieds recevront sa doctrine». - S. Chrys. (hom. 46). En parlant de la sorte, Notre-Seigneur n'établit pas le système de la nécessité ou de la fatalité; il veut simplement montrer que ceux qui n'ont pas reçu cette faveur sont eux-mêmes la cause de tous leurs maux, et que la connaissance des mystères divins est un don de Dieu et une grâce qui descend du ciel. Cependant le libre arbitre n'est pas pour cela détruit, ces paroles et celles qui suivent le prouvent évidemment. En effet, pour ne pas jeter dans le désespoir ceux qui n'ont pas reçu cette grâce, ou dans la négligence ceux à qui elle a été donnée, il nous dit clairement que la raison première de ces dons vient de nous: «Celui qui a déjà, on lui donnera encore»,etc., parole s dont voici le sens: Celui qui est plein d'ardeur et de zèle recevra en abondance tous les dons de Dieu, mais s'il en est dépourvu et qu'il ne prête en aucune manière son concours, il ne recevra pas les dons de Dieu, et il perdra même ce qu'il a; non pas que Dieu le lui enlève, mais parce qu'il se rend indigne de conserver ce qu'il possède. Si donc nous voyons un de nos frères entendre la parole de Dieu avec négli gence, et que nos efforts soient impuissants pour réveiller son attention, gardons le silence; car en insistant davantage, nous ne ferions qu'accroître sa négligence. Mais pour celui qui a le désir de s'instruire, nous l'attirons facilement, et nous ne craignons pas de prolonger nos dis cours. Notre-Seigneur a bien raison de dire: «Ce qu'il paraît avoir»; car il ne possède pas même ce qu'il a.

Remi. Celui qui a le désir de la lecture recevra le don de l'intelligence, et celui qui n'a pas ce désir, se verra enlever jusqu'aux dons qu'il tenait de la nature. Ou bien, celui qui a la charité recev ra toutes les autres vertus; mais celui qui n'a pas la charité en sera dépouillé, parce qu'il n'y a pas de bien possible sans la charité. - S. Jér. Ou bien encore, les Apôtres qui ont cru en Jésus-Christ, n'eussent-ils qu'une vertu médiocre, en recevront l'accroissement; mais les Juifs, qui n'ont pas voulu croire en lui, bien qu'il fût le Fils de Dieu, se verront enlever même les biens naturels qu'ils paraissent avoir; car ils ne peuvent rien comprendre avec sagesse, parce qu'ils n'ont pas en eux le principe de la sagesse. - S. Hil. (can. 13). Ajoutons que les Juifs, n'ayant pas la foi, ont perdu la loi qu'ils avaient reçue; car la foi chrétienne renferme tout don parfait; dès qu'on l'a reçue, elle s'enrichit de nouveaux fruits; mais si on la rejette, elle enlève jusqu'aux dons qu'on avait reçus précédemment.

S. Chrys. (hom. 46). Notre-Seigneur veut rendre encore plus claire cette vérité, et il ajoute: «Je leur parle en paraboles, parce qu'en voyant ils ne voient point». Si cet aveuglement ve nait de la nature, le Sauveur aurait dû leur ouvrir les yeux; mais comme il était volontaire, il ne dit pas simplement: Ils ne voient pas, mais «en voyant, ils ne voient pas». Ils l'ont vu, en effet, chasser les démons, et ils ont dit: «C'est par Béelzébub qu'il chasse les démons» (Mt 12,24). Ils entendaient dire qu'il attirait tout le monde à Dieu, et ils disaient: «Cet homme ne vient pas de Dieu» (Jn 9,16). Mais comme ils affirmaient le contraire de ce qu'ils voyaient et de ce qu'ils entendaient, ils perdent la faculté de voir et d'entendre. En effet, cette faculté, ne leur a servi de rien qu'à rendre leur condamnation plus terrible. Aussi dans le commencement il ne leur parlait pas en paraboles, mais en termes clairs et sans énigme, et il ne se sert de paraboles que parce qu'ils dénaturent tout ce qu'ils voient et tout ce qu'ils entendent. - Remi. Et remarquez que non-seulement ses paroles, mais encore ses actions elles-mêmes, étaient autant de paraboles, c'est-à-dire des symboles des choses spirituelles, ce que prouvent évidemment les paroles suivantes: «Parce qu'en voyant ils ne voient point»; car on ne peut voir les paroles, mais seulement les entendre. - S. Jér. Notre-Seigneur parle ainsi de ceux qui sont sur le rivage, et qui, autant par suite de la distance qui les sépare de Jésus, que du bruit des flots, n'entendaient pas clairement ce qu'il disait.

S. Chrys. (hom. 46). Afin qu'ils ne pussent dire: C'est notre ennemi qui nous accuse, il leur cite le Prophète qui rend pleinement témoignage à ce qu'il vient de dire: «Et la prophétie d'Isaïe s'accomplit en eux: vous entendrez de vos oreilles, et vous ne comprendrez pas, et en voyant, vous ne verrez pas», c'est-à-dire vous entendrez de vos oreilles des paroles, mais vous n'en comprendrez pas le sens; vous verrez de vos yeux mon humanité, et vous ne verrez pas, c'est-à-dire vous ne comprendrez pas ma divinité. - S. Chrys. (hom. 46). Il leur parle de la sorte, parce qu'ils se sont privés eux-mêmes de la faculté de voir et d'entendre en fermant leurs oreilles et leurs yeux, et en laissant leur coeur s'appesantir; car leur crime n'était pas seulement de ne pas entendre, mais d'être contrariés d'entendre; c'est pour cela qu'il ajoute: «Leur coeur s'est appesanti». - Rab. Le coeur des Juifs s'est appesanti sous le poids de leur malice, et c'est la multitude de leurs péchés qui leur a fait entendre avec peine les paroles du Seigneur qu'ils recevaient avec une superbe ingratitude. - S. Jér. De peur que nous ne pensions que cet appesantissement du coeur et cette surdité de l'ouïe étaient un vice de la nature et non de la volonté, il prouve que c'était la suite du mauvais usage de leur liberté en ajoutant: «Et ils ont fermé les yeux».

S. Chrys. (hom. 46). Jusqu'ici il a fait voir l'étendue de leur malice et leur éloignement affecté à l'égard de Dieu; mais comme son désir est de les attirer à lui, il ajoute: «Et que s'étant convertis, je ne les guérisse», paroles qui prouvent que s'ils voulaient se convertir, il les guéri rait. Ainsi lorsqu'on dit d'une personne quelconque: S'il m'en avait prié, je lui aurais immédia tement pardonné, on déclare à quelles conditions le pardon est offert; de même en disant: «De peur que s'étant convertis je ne les guérisse»,Notre-Seigneur montre et qu'il leur est possible de se convertir, et qu'en faisant pénitence ils seront sauvés.

S. Aug. (Quest. évang).. Ou bien encore, ils ont fermé les yeux afin de ne pas voir de leurs yeux, c'est-à-dire qu'eux-mêmes ont été cause que Dieu leur a fermé les yeux, comme le dit un autre Évangéliste (Jn 12,40): «Il a aveuglé leurs yeux». Est-ce de telle sorte qu'ils ne voient jamais, ou bien est-ce afin qu'ils ne voient point en regrettant et en déplorant leur aveuglement, de manière qu'étant profondément humiliés de cet état, ils soient amenés à confesser leurs pé chés et à chercher Dieu avec amour? C'est ainsi que saint Marc l'entend: «De peur qu'ils ne viennent à se convertir, et que leurs péchés ne leur soient pardonnés» (Mc 4,12). Nous voyons donc clairement que par leurs péchés ils se sont rendus indignes de comprendre, et que cependant, par un effet de la miséricorde de Dieu, ils ont pu connaître leurs péchés, et en obte nir le pardon par leur conversion. Mais la manière dont saint Jean rapporte ce passage: «Ils ne pouvaient croire, parce que, Isaïe a dit encore: Il a aveuglé leurs yeux, et il a endurci leur coeur, de peur qu'ils ne voient de leurs yeux, et ne comprennent du coeur, et qu'ils se conver tissent, et que je les guérisse», paraît contredire cette explication, et nous force d'entendre ces paroles: «De peur qu'ils ne voient de leurs yeux», non pas d'un aveuglement qui leur per mettra de voir un jour, mais dans ce sens que cet aveuglement sera perpétuel. En effet, saint Jean dit clairement: «Afin qu'ils ne voient pas de leurs yeux», et en ajoutant: «C'est pour cela qu'ils ne pouvaient pas croire»,il montre assez que cet aveuglement n'a pas eu lieu, afin que, vivement touchés de cet état et regrettant de ne pas comprendre, ils se convertissent en faisant pénitence (car c'est ce qu'ils ne pourraient faire sans croire tout d'abord, puisque la foi est ce principe de leur conversion, comme la conversion est le principe de leur guérison, et leur guérison la condition nécessaire pour comprendre); mais cet Évangéliste nous déclare, au contraire, qu'ils ont été aveuglés, de manière que la foi leur fût impossible, puisqu'il dit ouvertement: «C'est pour cela qu'ils ne pouvaient croire». Or, s'il en est ainsi, qui ne prendrait la défense des Juifs et ne proclamerait qu'ils ne sont nullement coupables de n'avoir pas cru? Car s'ils n'ont pas cru, c'est que Dieu a aveuglé leurs yeux. Mais comme nous ne devons point supposer l'ombre de faute en Dieu, il nous faut reconnaître que certains autres péchés ont été causes de cet aveuglement qui leur a rendu la foi impossible. Car voici comme s'exprime saint Jean: «Ils ne pouvaient croire, parce qu'Isaïe a dit encore: Il a aveuglé leurs yeux».C'est donc en vain que nous nous efforçons de comprendre qu'ils ont été aveuglés à cette fin qu'ils pussent se conver tir, puisqu'au contraire ils ne pouvaient pas se convertir parce qu'ils ne croyaient pas, et qu'ils ne pouvaient croire parce qu'ils étaient aveugles. Toutefois on peut dire, avec quelque appa rence de raison, qu'un certain nombre de Juifs auraient pu être guéris, mais que cependant l'excès de leur orgueil était monté à un tel point, qu'il leur était avantageux de ne pas croire tout d'abord. Ils ont donc été aveuglés pour ne pas comprendre les paraboles du Seigneur; ne les comprenant pas, ils ne crurent pas en lui, et ne croyant pas en lui, ils le crucifièrent avec les autres Juifs qui étaient perdus sans espoir. Mais après la résurrection ils se convertirent, alors que profondément humiliés du crime du déicide qu'ils avaient commis, ils aimèrent avec plus d'ardeur celui qu'ils reconnaissaient avec joie leur avoir pardonné un si grand crime; car il fallait que la grandeur de leur orgueil fût abattue par cet excès d'humiliation. Cette explication pourrait paraître singulière si les faits ne lui donnaient raison, comme nous le lisons expressé ment au livre des Actes (2, 37). La manière dont saint Jean s'exprime: «C'est pour cela qu'ils ne pouvaient croire, parce qu'il a aveuglé leurs yeux, afin qu'ils ne voient point»,ne lui est pas contraire; nous disons, en effet, qu'ils ont été aveuglés, afin qu'ils pussent se convertir, c'est-à-dire que les paroles du Seigneur leur furent d'abord cachées sous le voile des paraboles, afin qu'après sa résurrection, ils fussent ramenés à lui par une pénitence salutaire. Aveuglés d'abord par l'obscurité de ce langage, ils ne comprirent pas les paroles du Seigneur; ne les comprenant pas, ils ne crurent pas en lui, et ne croyant pas en lui, ils le crucifièrent. Mais après sa résurrection, saisis d'épouvante à la vue des miracles qui se faisaient en son nom, ils furent touchés jusqu'au fond du coeur de l'énormité d'un si grand crime, et donnèrent les preuves du plus humble repentir, et lorsqu'ils eurent reçu le pardon de leurs péchés, leur obéissance fut d'autant plus grande que leur amour était plus ardent; mais cet aveuglement ne fût pas ainsi pour tous le principe de leur conversion. - Remi. Cette phrase peut être entendue en ce sens qu'à chaque membre on sous-entende la particule négative; afin qu'ils ne voient pas de leurs yeux, qu'ils n'entendent pas de leurs oreilles, qu'ils ne comprennent pas de leur coeur, et qu'ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse.

La Glose. Les yeux de ceux qui voient et ne veulent pas croire sont donc bien malheureux. Mais pour vous, vos yeux sont heureux, parce qu'ils voient, et vos oreilles, parce qu'elles en tendent».
- S. Jér. Si nous n'avions pas lu plus haut que, pour exciter l'attention de ceux qui l'écoutaient, le Sauveur avait dit: «Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre», nous aurions pu croire que ce sont les yeux et les oreilles du corps qu'il proclame bienheureux. Mais pour moi, ces yeux sont heureux qui peuvent connaître les mystères de Jésus-Christ, et heureuses ces oreilles dont Isaïe a dit: «Le Seigneur m'a donné une oreille pour l'écouter».La Glose. En effet, l'âme est véritablement un oeil, parce qu'elle s'applique par son énergie naturelle à l'intelligence des choses; l'âme est aussi l'oreille parce qu'elle peut recevoir les enseignements des autres. - S. Hil. (can. 43). Ou bien il veut parler ici du bonheur des Apô tres, à qui il fut donné de voir de leurs yeux et d'entendre de leurs oreilles le salut de Dieu, que les prophètes et les justes avaient désiré voir et entendre, et qui ne devait être révélé que dans la plénitude des temps, comme Notre-Seigneur le dit en termes exprès: «Car je vous dis en vérité, que beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous ent endez, et ne l'ont point entendu.

S. Jér. Ce que le Sauveur dit ici paraît contraire à ce qu'il dit ailleurs: «Abraham a désiré voir mon jour, et il l'a vu, et il en a été réjoui». - Rab. Isaïe lui-même, Michée et d'autres prophètes ont vu la gloire du Seigneur, et c'est pour cela qu'ils ont été appelés voyants. - S. Jér. Aussi ne dit-il pas: Tous les prophètes et tous les justes, mais plusieurs, car dans ce nombre, les uns ont pu voir, et les autres être privés de cette faveur. Toutefois cette interpréta tion n'est pas sans danger, car elle paraît établir entre les saints différents degrés de mérite (quant à la foi qu'ils avaient en Jésus-Christ). Abraham vit sous des emblèmes, sous des nua ges obscurs; mais vous avez sous vos yeux et vous possédez votre Seigneur, vous l'interrogez comme vous voulez, et vous vivez avec lui. - S. Chrys. (hom. 46). Ce que les Apôtres voient et entendent, c'est sa présence, ses miracles, sa voix, sa doctrine, et en cela il proclame leur sort préférable non-seulement à celui des méchants, mais encore à celui des bons qui les ont précédés, et il les déclare plus heureux que les anciens justes, parce qu'ils voient non-seulement ce que les Juifs ne voient point, mais encore ce que les prophètes et les justes ont désiré voir et n'ont pas vu. En effet, les anciens justes n'ont vu le Christ que par la foi, tandis que les Apô tres le voient de leurs yeux et sans obscurité. Admirez le parfait accord de l'Ancien Testament avec le Nouveau. Si les prophètes avaient été les serviteurs d'un dieu étranger ou opposé au vrai Dieu, jamais ils n'auraient désiré voir le Christ.


vv. 18-23

4318 Mt 13,18-23

La Glose. Notre-Seigneur avait déclaré plus haut qu'il n'a pas été donné aux Juifs, mais seulement aux Apôtres, de connaître le royaume de Dieu. Comme conséquence de ces paroles, il leur dit: «Pour vous, écoutez donc la parabole de celui qui sème»,vous à qui sont commu niqués les mystères du ciel.

S. Aug. (sur la Genèse, 8, 4). Ce que l'Évangéliste raconte, c'est-à-dire que le Seigneur a parlé de la sorte, a véritablement eu lieu; mais le récit du Seigneur n'a été qu'une parabole, et dans ce genre de récit on n'exige pas que toutes les circonstances qui le composent aient leur application littérale. - La Glose. Notre-Seigneur explique ensuite cette parabole: «Celui qui écoute la parole du royaume et ne la comprend pas», phrase qu'il faut entendre ainsi: «Tout homme qui entend la parole», c'est-à-dire ma prédication, laquelle donne les moyens de mériter le royaume des cieux, et qui ne comprend pas. Or, d'où vient ce défaut d'intelligence? Le voici: «L'esprit malin, c'est-à-dire le démon, vient, et il enlève ce qui avait été semé dans son coeur. Or, tout homme à qui ce malheur arrive, c'est celui qui a été semé le long du chemin. Remarquez aussi que le mot semer s'entend de différentes manières: on dit d'une semence qu'elle a été semée, et aussi d'un champ qu'il a été semé, et nous voyons ici cette double signification. Dans cette phrase: «Il enlève ce qui a été semé»,c'est de la se mence qu'il est ques tion; dans cette autre: «Celui qui a été semé le long du chemin», ce n'est pas de la semence, mais du lieu où elle été répandue, c'est-à-dire de l'homme, qui est le champ ensemencé par la parole de Dieu.

Remi. Dans ces paroles, Notre-Seigneur nous explique ce que c'est que la semence, c'est-à-dire la parole du royaume ou de la doctrine évangélique. Il en est qui reçoivent la parole de Dieu sans aucune affection; aussi les démons enlèvent aussitôt la semence de la parole divine répandue dans leur coeur, comme une semence tombée sur un chemin battu. «Celui qui est semé sur la pierre écoute la parole, mais il n'a pas de racines». En effet, la semence ou la pa role de Dieu qui tombe sur la pierre, c'est-à-dire sur un coeur dur et indompté, ne peut fructi fier; sa dureté est trop grande, son désir du ciel trop faible, et cette excessive dureté ne lui permet pas d'avoir de racines. - S. Jér. Faites attention à cette parole: «Il est aussitôt scan dalisé». Il y a donc une différence entre celui que l'excès des tribulations et de la douleur force pour ainsi dire de renier Jésus-Christ, et celui que le premier vent de la persécution scandalise et fait tomber. - «Celui qui est semé au milieu des épines», etc. Ce qui a été dit autrefois à Adam dans un sens littéral: «Tu mangeras ton pain au milieu des ronces et des épines (Gn 3,18-19) » s'entend ici dans le sens allégorique de tout homme qui se livre aux voluptés du siècle et aux soins de ce monde et qui par là mange le pain céleste et l'aliment de la vérité au milieu des épines. - Rab. C'est avec raison que Notre-Seigneur appelle ces plaisirs des épines, parce qu'ils déchirent l'âme avec les pointes aiguës de leurs pensées, étouffent dans leur germe les fruits spirituels des vertus et ne leur permettent pas de se développer. - S. Jér. Cette expression: «La séduction des richesses étouffe la parole»est aussi élégante que vraie, car les richesses sont séduisantes, et elles ne tiennent pas ce qu'elles ont promis. Rien de plus fragile que leur possession; elles portent tantôt d'un côté, tantôt de l'autre leur faveur inconstante, ou bien elles abandonnent celui qui les possédait, ou bien elles viennent enrichir ceux qui en étaient dépourvus: aussi le Seigneur affirme-t-il qu'il est difficile aux riches d'entrer dans le royaume des cieux (Mc 10,23 Lc 15,34), parce que les richesses étouffent la parole de Dieu et amollissent la vigueur des vertus. - Remi. Ces trois natures de terre différentes représentent tous ceux qui peuvent entendre la parole de Dieu, mais qui ne peuvent lui faire produire des fruits de salut, à l'exception des Gentils, qui n'ont pas même mérité de l'entendre. «Enfin celui qui reçoit la semence dans la bonne terre». La bonne terre, c'est la conscience pure des élus, l'âme des saints qui reçoit la parole de Dieu avec joie, avec désir, avec amour, qui la conserve courageusement dans la prospérité comme dans l'adversité, et lui fait produire des fruits. «Et il porte du fruit, et rend cent, ou soixante, ou trente pour un».

S. Jér. Remarquez que comme il y a trois sortes de mauvaises terres, le chemin, la pierre et le champ couvert d'épines, il y a de même trois espèces différentes de bonnes terres: celle qui rend cent pour un, celle qui rend soixante, celle qui rend trente. Et ce qui fait cette différence, ce n'est pas la nature de la terre, qui est la même d'un côté comme de l'autre, mais la volonté. Or, dans les incrédules comme dans ceux qui croient, c'est le coeur qui reçoit la semence; c'est pour cela que Notre-Seigneur a dit de la première espèce de terre: «L'esprit malin vient et enlève ce qui a été semé dans son coeur»,et des deux autres: «C'est celui qui reçoit la parole».Lorsqu'il en vient à la bonne terre, il dit également: «C'est celui qui reçoit la parole». Nous devons donc d'abord entendre, puis comprendre, et, après avoir compris, produire les fruits des enseignements que nous avons reçus, et rendre ou cent, ou soixante, on trente pour un. - S. Aug. (Cité de Dieu, 2, chap. dern). Il en est qui entendent ce passage dans ce sens que les saints, suivant la diversité de leurs mérites, pourront délivrer, les uns trente âmes, les autres soixante, d'autres enfin cent, au jour du jugement, et non dans les temps qui suivront. Or, un sage, voyant que les hommes abusaient pour faire le mal de cette opinion et se promettaient l'impunité au jour du jugement, parce que tous pourraient être sauvés par cette voie, leur répondit qu'il était bien plus prudent de vivre de manière à se trouver parmi ceux dont l'intercession devait délivrer les autres. En effet, ils pourraient être si peu nombreux que, lorsque chacun d'eux aurait délivré le nombre qui lui est assigné, il en restât un plus grand nombre qui ne pourraient être sauvés par leur intercession, et parmi ces derniers se trouve raient tous ceux qui, par une témérité sans fondement, avaient mis toute leur confiance dans les mé rites des autres.

Remi. Celui qui prêche la foi en la sainte Trinité rend trente pour un; soixante pour un, celui qui recommande la perfection dans les bonnes oeuvres, car c'est en six jours que l'oeuvre de la création fut achevée (Gn 2); et cent pour un, celui qui promet la vie éternelle, car le nom bre cent passe de la gauche à la droite. Or, par la gauche, il faut entendre la vie présente, et par la droite la vie future. Da ns un autre sens, la parole de Dieu rend trente pour un lorsqu'elle fait germer les bonnes pensées; soixante, lorsqu'elle produit les bonnes paroles; cent, lors qu'elle fait arriver jusqu'aux fruits des bonnes oeuvres.

S. Aug. (Quest. évang., 1, 10). Ou bien le nombre cent, c'est le fruit que produisent les mar tyrs ou par la sainteté de leur vie ou par le mépris qu'ils font de la mort; le nombre soixante, c'est le fruit que rendent les vierges qui, goûtant les douceurs du repos intérieur, n'ont plus à soutenir les combats de la chair; en effet, on donne la retraite après l'âge de soixante ans aux soldats ou aux fonctionnaires publics; le nombre trente est celui des époux, car c'est l'âge de ceux qui sont appelés à combattre, et ils ont en effet les plus rudes assauts à soutenir pour ne pas être vaincus par leurs passions. Ou bien il faut lutter contre l'amour des biens temporels pour lui disputer la victoire; ou bien il faut le tenir dompté et soumis pour réprimer avec faci lité ses moindres mouvements, lorsqu'il veut se soulever; ou enfin, il faut l'éteindre entière ment de manière à ce qu'il ne puisse plus exciter la moindre émotion dans notre âme. Voilà pourquoi nous voyons les uns affronter la mort avec courage pour la défense de la vérité, les autres sans s'émouvoir, d'autres enfin avec joie. Ces trois degrés de vertu correspondent aux fruits que peuvent donner les trois espèces de terre: l'une trente, l'autre soixante, l'autre cent pour un, et il faut au moment de la mort faire partie d'une de ces trois espèces de terre si l'on veut sortir de cette vie dans les conditions qui assurent la récompense.

S. Jér. - Ou bien encore la terre qui rend cent pour un, signifie les vierges; celle qui rend soixante, les veuves; celle qui rend trente ceux qui mènent une vie chaste dans l'état du ma riage. Ou bien enfin le nombre trente est une figure du mariage, parce que ce nombre, qui s'exprime par le rapprochement des doigts qui s'unissent par un doux embrassement, repré sente l'union de l'homme et de la femme. Le nombre soixante représente les veuves qui vivent dans les larmes et dans la tribulation (aussi le nombre soixante s'exprime en abaissant le doigt inférieur), car leur récompense est d'autant plus grande qu'il leur est plus difficile de résister aux séductions de la volupté dont elles ont déjà fait l'épreuve. Enfin, le nombre cent, pour le quel la main droite remplace la main gauche et qui s'exprime par le cercle que forment les mê mes doigts de cette main, représente la couronne de la virginité.


vv. 24-30

4324 Mt 13,24-30

S. Chrys. (hom. 47 sur S. Matth). Dans la parabole précédente, le Seigneur s'est proposé ceux qui ne reçoivent pas la parole de Dieu; ici il veut parler de ceux qui reçoivent une parole de corruption, car c'est un des artifices du démon de mêler toujours l'erreur à la vérité: «Il leur proposa une autre parabole», etc. - S. Jér. Notre-Seigneur agit comme un homme riche qui sert à ses convives une table couverte de mets variés, où chacun peut choisir dans cette variété ce qui convient à son estomac. L'Évangéliste ne dit pas «l'autre parabole», mais «une autre parabole», car s'il avait dit «l'autre», nous n'aurions pu en espérer une troisième, tandis qu'en disant «une autre», il nous fait entendre que d'autres paraboles doivent la suivre. Il nous explique ensuite le sujet de cette parabole en disant: «Le royaume des cieux est sem blable à un homme qui sème de bon grain»,etc. - Remi. Le royaume des cieux, c'est le Fils même de Dieu, et le royaume est semblable à un homme qui a semé de bon grain dans son champ. - S. Chrys. (hom. 47). Il nous apprend ensuite de quelle manière le démon tend ses embûches: «Pendant que les hommes dormaient, son ennemi vint et sema de l'ivraie au milieu du blé, et il s'en alla». Notre-Seigneur nous en seigne par là que l'erreur ne vient qu'après la vérité, ce que l'expérience ne prouve que trop. En effet, ce n'est qu'après les prophètes que sont venus les faux prophètes; après les Apôtres, les faux apôtres; après le Christ, l'Antéchrist. Si le démon ne voit rien qu'il puisse imiter, s'il ne voit personne qu'il puisse faire tomber dans le piége, il s'abstient de tenter; mais comme il voit ici que l'un rend cent pour un, l'autre soixante, l'autre trente, et qu'il n'a pu enlever ou étouffer ce qui a pris racine, il a recours à d'autres artifices, il mêle les erreurs à la vérité; il leur en donne autant qu'il peut la couleur et la ressemblance pour tromper plus facilement ceux sur qui la séduction exerce depuis longtemps son empire. C'est pour cela que Notre-Seigneur ne dit pas qu'il y sème une autre semence, mais de l'ivraie, parce qu'elle a quelque ressemblance pour la forme avec le grain de froment. Le démon fait éclater encore sa malignité en ne répan dant l'ivraie que lorsque les semailles étaient terminées, afin de nu ire davantage aux travaux du la boureur.

S. Aug. (Quest. évang). Il ajoute: «Lorsque les hommes dormaient».C'est en effet lorsque les premiers pasteurs de l'Église se laissèrent aller à la négligence, ou bien lorsque les Apôtres se sont endormis du sommeil de la mort, que le démon est venu et qu'il a semé par-dessus la bonne semence ceux que le Seigneur appelle les mauvais enfants. On peut demander avec rai son s'il a voulu désigner par là les hérétiques, ou bien les catholiques dont la vie n'est pas conforme à leur foi. Il nous dit qu'ils ont été semés au milieu du froment, il semble donc qu'il a voulu désigner ceux qui appartiennent à une même communion. Cependant, comme lui-même nous déclare que ce champ est non-seulement l'Église, mais le monde entier, on peut très-bien voir dans cette ivraie les hérétiques qui dans ce monde se trouvent mêlés aux justes. Ceux qui conservent la vraie foi tout en la déshonorant par leur vie sont plutôt semblables à la paille qu'à l'ivraie, parce que la paille a la même origine et la même racine que le froment. Quant aux schismatiques, ils ressemblent bien plus aux pailles brisées ou coupées que l'on sépare de la moisson. Il ne faut pas en conclure cependant que tout hérétique et tout schismatique soient extérieurement séparés de l'Église; l'Église en renferme un grand nombre dans son sein qui n'attirent pas l'attention de la multitude en défendant leurs erreurs d'une manière éclatante. S'ils le faisaient, l'Église les retrancherait de la communion. - Et plus bas: Lors donc que le démon en répandant ses détestables erreurs et ses fausses doctrines eut semé de l'ivraie au mi lieu du blé, c'est-à-dire eut jeté les hérésies sur la vérité en se couvrant du nom du Christ, il se cacha avec plus de soin et se rendit invisible; c'est ce que Notre-Seigneur veut exprimer par ce mot: «Et il s'en alla». Il faut cependant admettre, comme il l'explique lui-même, que sous le nom d'ivraie il a voulu comprendre non pas seulement quelques scandales, mais tous les scan dales et tous ceux qui opèrent l'iniquité.

S. Chrys. (hom. 47). Notre-Seigneur, dans ce qui suit, nous trace avec soin le portrait des hérétiques: «Lorsque l'herbe eut poussé et qu'elle fut montée en épis, alors l'ivraie parut elle-même». Les hérétiques dissimulent d'abord leur présence, mais lorsque leur confiance s'est accrue, qu'ils sont parvenus à se faire écouter, et qu'ils ont fait quelques prosélytes, ils répandent leur venin. - S. Aug. (Quest. évang). (cf. 1Co 2,15). Ou bien dans un autre sens, lorsque l'homme spirituel commence à juger toutes choses, alors les erreurs se dessinent à ses yeux, il voit clairement que ce qu'il a entendu, ce qui a fait l'objet de ses lectures s'éloignait de la règle de la vérité; mais tant qu'il n'a pas atteint la perfection spirituelle, la vue de tant d'erreurs, de tant d'hérétiques qui se sont couverts du nom du Christ, peut faire impression sur lui, comme nous le voyons dans la suite de la parabole: «Alors les serviteurs du père de famille vinrent le trouver, et lui dirent: Seigneur, n'avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ? D'où vient donc qu'il y a de l'ivraie ?» Ces servi teurs sont-ils les moissonneurs dont il sera bientôt question? Notre-Seigneur lui-même, dans l'explication de la parabole, nous dit que les moissonneurs sont les anges, et comme on ne peut dire que les anges ignoraient quel était celui qui avait semé l'ivraie au milieu du blé, il faut en tendre par ces serviteurs les fidèles eux-mêmes; et il n'y a rien d'étonnant s'il les désigne en même temps comme étant la bonne semence, car une même chose peut être représentée sous différentes figures, suivant le rapport sous lequel on la considère; c'est ainsi que le Sauveur a dit de lui-même qu'il était la porte, et aussi qu'il était le pasteur.

Remi. Ils s'approchent de Dieu, non par le mouvement du corps, mais par le coeur et par le désir de l'âme, et Notre-Seigneur leur apprend que cela est arrivé par la malice du démon: «C'est l'homme ennemi qui a fait cela». - S. Jér. Le démon est appelé l'homme ennemi, parce qu'il a cessé d'être Dieu; et c'est de lui qu'il est écrit au psaume neuvième: «Levez-vous, Seigneur, que l'homme ne s'affermisse pas dans sa puissance».Aussi celui qui est placé à la tête de l'Église ne doit pas se laisser aller au sommeil, de peur que l'homme ennemi ne profite de sa négligence pour semer par dessus le bon grain l'ivraie, c'est-à-dire les erreurs des hérétiques. - S. Chrys. (hom. 47). Notre-Seigneur l'appelle l'homme ennemi, à cause du mal qu'il fait aux hommes. C'est sur nous que tombent les effets de sa haine, quoique la cause du mal qu'il nous fait soit non pas son inimitié contre nous, mais son opposition contre Dieu. - S. Aug. (Quest. évang). Lorsque le serviteur de Dieu aura compris que le démon n'avait recours à cette manoeuvre frauduleuse que parce qu'il sentait qu'il ne pouvait rien contre la puissance d'un nom si grand, et qu'il était obligé de couvrir ses fourberies du prestige de ce nom, il peut sentir en lui le désir de faire disparaître de tels hommes du commerce des choses humaines, s'il en avait le temps; mais il consulte la justice de Dieu, pour savoir s'il doit le faire. «Les servi teurs lui dirent Voulez-vous que nous allions l'arracher ?» - S. Chrys. (hom. 47). Nous pouvons admirer ici le zèle et la charité de ces serviteurs: ils ont hâte d'aller arracher l'ivraie, preuve de leur sollicitude pour la semence; ils n'ont en vue qu'une chose, ce n'est pas de faire punir qui que ce soit, mais que les semences ne soient pas perdues. Quelle fut la réponse du Seigneur? «Et il leur répondit: Non». - S. Jér. Dieu veut laisser le temps au repentir, et il nous enseigne à ne pas nous hâter de retrancher un de nos frères de la communion des fidèles, car il peut arriver que celui-là même, dont l'esprit est perverti par un e erreur dangereuse, se convertisse et devienne un zèle défen seur de la vérité; c'est pour cela qu'il ajoute: «De crainte qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez en même temps le froment». S. Aug. (Quest. évang). Cette réponse est des plus propres à les calmer et à leur inspirer une grande patience. Le père de famille répond de la sorte, parce que les bons qui sont encore faibles ont besoin dans certaines circonstances d'être mêlés aux méchants, soit afin que ce mélange serve d'épreuve à leur vertu, ou afin que ce rap prochement soit pour les méchants une exhortation puissante à devenir meilleurs. Ou bien peut-être le blé est déraciné lorsqu'on arrache l'ivraie, parce qu'il en est beaucoup qui ne sont d'abord que de l'ivraie et qui deviennent ensuite froment. Or, si on ne les supportait avec pa tience lorsqu'ils sont mauvais, on ne verrait jamais en eux ce changement admirable; si donc on les arrache, on déracine en même temps le froment, puisqu'ils devaient devenir froment si on les eût épargnés. Dieu veut donc qu'on ne les arrache pas de cette vie, car en s'efforçant de faire périr les méchants on s'exposerait à faire périr les bons, puisqu'ils deviendront peut-être bons; ou à nuire aux bons eux-mêmes puisque les méchants sont pour eux une occasion invo lontaire de vertu. Ce retranchement se fera donc bien plus à propos lorsqu'à la fin ils n'auront plus le temps de changer de vie, et que le spectacle de leurs erreurs ne pourra plus être pour les bons une occasion de progrès dans la vérité; c'est pour cela qu'il ajoute: «Laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson», c'est-à-dire jusqu'au jugement.

S. Jér. Cette recommandation paraît en opposition avec ce précepte: «Faites disparaître le mal du milieu de vous» (1Co 5,13). Car s'il nous est défendu d'arracher, et si nous devons attendre avec patience la moisson, comment pouvons-nous en retrancher quelques-uns du mi lieu de nous? Le froment et l'ivraie (en latin lolium) se ressemblent beaucoup tant qu'ils sont en herbe et que leur tige n'est pas encore couronnée d'épis, et il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de les distinguer. Le Seigneur nous recommande donc de ne pas nous hâter de prononcer la sentence sur ce qui est douteux, et de laisser le jugement à Dieu, qui, au jour du jugement, rejettera de l'assemblée des saints, non pas sur de simples conjectures, mais pour des crimes évidents. - S. Aug. (contre la lettre de Parmen., 3, 2). Lorsqu'un chrétien, dans le sein de l'Église, est reconnu coupable d'un crime qui mérite anathème, et qu'on n'a pas à craindre le schisme, qu'il soit soumis à l'anathème, avec un sentiment de charité qui se pro pose, non pas de le déraciner, mais de le corriger. S'il ne reconnaît pas sa faute, s'il n'en fait pas pénitence, il sera mis hors de l'Église, et séparé par sa propre volonté de la communion des fidèles. C'est pour cela que le Seigneur, après avoir dit: «Laissez croître l'un et l'autre jus qu'à la moisson», en donne cette raison: «De crainte qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraci niez en même temps le froment».Il est donc évident que, lorsqu'on n'a pas à craindre cet in convénient, et qu'on est tout à fait certain que le bon grain ne court aucun danger, c'est-à-dire lorsque le crime est connu de tous, et qu'il inspire une telle horreur qu'il ne trouve point de défenseur, ou au moins de défenseur qui puisse devenir l'auteur d'un schisme, on ne doit pas laisser dormir la sévérité de la discipline. La répression du crime sera d'autant plus efficace, que les lois de la charité auront été plus respectées; mais si le mal a gagné la multitude, la seule chose utile à faire, c'est de s'affliger et de gémir. Il faut donc reprendre avec miséricorde ce qu'on peut corriger; et ce qui est incorrigible, il faut le supporter avec patience, pleurer et gémir par un sentiment de charité jusqu'à ce que Dieu lui-même se charge de reprendre et de corriger, et attendre jusqu'à la moisson pour arracher l'ivraie et pour jeter la paille au vent. Mais lorsqu'on peut élever la voix au milieu du peuple, il faut atteindre la multitude des coupa bles par des reproches généraux, surtout si un fléau envoyé du Ciel nous offre l'occasion favo rable de leur rappeler qu'ils ont reçu le châtiment qu'ils méritaient. Alors le malheur qui les frappe leur fait écouter avec humilité la parole qui leur démontre la nécessité de changer de vie, et cette parole inspire à leurs coeurs affligés les gémissements d'une confession pleine de re pentir plutôt que les murmures de la résistance. Mais alors même qu'aucune calamité ne serait venu frapper les coupables, on peut, toutes les fois que l'occasion s'en présente, reprendre les vices de la multitude en s'adressant à elle directement; car de même que les hommes s'irritent de ce qui leur est reproché en particulier, les reproches qui sont adressés à la multitude dont ils font partie excitent en eux des gémissements salutaires.

S. Chrys. (hom. 47). Le Seigneur fait cette recommandation pour défendre les meurtres; car mettre à mort les hérétiques, ce serait donner naissance à une guerre implacable dans l'univers. Et c'est pour cela qu'il a dit: «De peur que vous n'arrachiez le blé», c'est-à-dire si vous re courez aux armes, si vous mettez à mort les hérétiques, vos coups atteindront nécessairement un grand nombre de saints. Ce qu'il défend, ce n'est donc point de jeter en prison les héréti ques, et de s'opposer à la licence de leurs prédications, à la réunion de leurs synodes, et de rendre inutiles leurs efforts, mais de les mettre à mort. - S. Aug. (Lettre 18 à Vinc). C'était d'abord mon sentiment qu'il ne fallait forcer personne d'embrasser l'unité du Christ, mais agir simplement par la parole, combattre par la discussion, vaincre par la raison, afin d'éviter d'avoir pour catholiques hypocrites ceux que nous avions pour hérétiques déterminés. Cependant mon opinion était combattue, si non par des raisons, du moins par des exemples contraires. En effet, la frayeur qu'inspirent ces lois promulguées par des rois qui servent le Seigneur avec crainte, produit les plus heureux effets (cf. Ps 2,10-11). Ainsi les uns disent: C'était depuis longtemps notre volonté, mais grâces soient rendues à Dieu qui nous a fourni l'occasion favorable, et ôté tout prétexte de différer; d'autres: Nous savions que c'était la vérité, mais nous étions retenus par je ne sais quelles habitudes; grâces à Dieu qui a brisé nos liens; d'autres: Nous ne savions pas que telle était la vérité et nous n'avions aucun désir de l'apprendre, mais la crainte nous a forcés d'y être atten tifs et de prendre les moyens de la connaître; grâces au Seigneur qui a secoué notre négligence avec l'aiguillon de la terreur; d'autres encore: Nous craignions d'entrer dans l'Église, retenus par de faux bruits dont nous n'aurions pas reconnu la fausseté si nous n'y étions pas entrés, et nous n'y serions pas entrés si une contrainte salutaire ne nous eût forcés; grâces à Dieu qui par cette sévérité a fait cesser nos hésitations et nous a fait connaître par expérience la futilité et la fausseté des bruits que des voix trompeuses répandaient sur son Église; d'autres enfin: Nous pensions qu'il importait peu de croire en Jésus-Christ dans une religion ou dans une autre; mais grâces au Seigneur qui a mis un terme à notre séparation et nous a enseigné que le seul culte agréable à Dieu est celui qui lui est rendu dans l'unité. Que les rois de la terre se montrent donc les serviteurs du Christ en publiant des lois en faveur de la religion du Christ. - S. Aug. (Lettre 50 au comte Bonif). Quel est celui d'entre vous qui voudrait, je ne dis pas qu'un hérétique périsse, mais qu'il éprouvât même la moindre perte? Cependant la maison de David ne put recouvrer la paix qu'après que son fils Absalon eut été enseveli dans la guerre impie qu'il faisait contre son père (2S 18); quoique David eût recommandé avec le plus grand soin aux chefs de son armée de prendre tous les moyens pour conserver la vie à son fils et que son coeur de père n'attendît que son repentir pour lui pardonner. Mais lorsqu'il fut tombé victime de sa rébellion, que resta-t-il à son père que de pleurer sa mort et de se consoler par la pensée que son royaume avait recouvré la paix? C'est ainsi que notre mère, la sainte Église catholique, lorsqu'elle rassemble dans son sein un grand nombre de ses enfants au prix de la perte de quel ques-uns, adoucit et ca lme la douleur de son coeur maternel par le spectacle de tant de peuples affranchis et délivrés de l'erreur. Que veut donc dire ce qu'ils ne cessent de crier: N'est-on pas libre de croire ou de ne pas croire? A qui donc le Christ a-t-il fait violence? Quel est celui qu'il a contraint d'embrasser la vérité? Nous leur répondons par l'exemple de l'apôtre saint Paul, qui les force de reconnaître que Jésus-Christ a usé de violence à son égard avant de l'enseigner, qu'il l'a frappé avant de le consoler. Et il est remarquable que celui que Dieu a forcé par un châtiment extérieur de se soumettre à l'Évangile a travaillé à la propagation de l'Évangile plus que ceux dont la vocation n'avait été déterminée que par une seule parole. Pourquoi donc l'Église ne forcerait-elle pas ses enfants égarés de revenir dans son sein, alors que ces mêmes enfants en ont forcé tant d'autres à périr ?

«Et au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs: Ramassez d'abord l'ivraie et liez-la en bottes pour la brûler». - Remi. La moisson c'est le temps où l'on recueille, c'est-à-dire le jour du jugement où les bons seront séparés d'avec les mauvais. - S. Chrys. (hom. 47). Mais pourquoi dit-il: «Arrachez d'abord l'ivraie ?» C'est pour ôter aux bons toute crainte que le blé ne partage le sort de l'ivraie. - S. Jér. Or, en commandant d'arracher l'ivraie pour la jeter au feu, et d'amasser le blé dans les greniers, il déclare ouvertement que les hérétiques et les hypocrites sont destinés à brûler dans les feux de l'enfer, et que les saints qu'il appelle le blé ou le bon grain seront recueillis dans les greniers, c'est-à-dire dans les demeures éternelles. - S. Aug. (Quest. évang). On peut demander pourquoi il ne commande pas de faire une seule botte ou un seul tas de toute l'ivraie; c'est peut-être à cause des différentes sortes d'hérétiques qui non-seulement sont séparés du bon grain, mais qui sont encore séparés entre eux. Il a donc voulu exprimer par ces bottes d'ivraie les conventicules de chaque hérésie, dont tous les mem bres sont unis entre eux par des liens communs. Or, ils sont liés ensemble et destinés au feu du moment qu'ils se séparent de la communion catholique et qu'ils commencent à former des Églises particulières. Mais ils ne seront jetés au feu qu'à la fin des temps, bien que depuis, longtemps ils soient réunis en bottes. Cependant s'il en était ainsi, il n'y en aurait pas un si grand nombre qui regretteraient leurs erreurs et les abjureraient pour rentrer dans l'Église ca tholique. Ce n'est donc qu'à la fin que les bottes seront liées, afin que leur opiniâtreté ne soit point punie sans discernement, mais que chacun d'eux soit puni d'une manière proportionnée à sa perversité.

Rab. Remarquez qu'en disant: «Il a semé du bon grain», il nous fait connaître la bonne volonté dont les élus sont l'objet et qui est en eux; en ajoutant: «L'ennemi vient»,etc., il nous avertit d'avoir à nous tenir sur nos gardes; lorsque l'ivraie ayant crû, il dit: «C'est l'homme ennemi qui a fait cela»,il nous recommande la patience; et en ajoutant plus bas: «De peur qu'en arrachant l'ivraie», il nous donne l'exemple du discernement dont nous devons faire usage. Les paroles suivantes: «Laissez-les croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson»,nous font un devoir de la longanimité, et il nous recommande la justice par celles qui terminent: «Liez-la en bottes pour la brûler».



Catena Aurea 4310