Ephrem, Discours exégétiques Liv.1



SAINT EPHREM LE SYRIEN



DISCOURS EXÉGÉTIQUES



I. Tout est vanité et affliction d'esprit

Le prophète s'écrie: "L'homme est semblable à une vapeur et les jours de sa vie s'échappent et disparaissent comme une ombre." Et vous, "fils des hommes, pourquoi aimez-vous la vanité et recherchez-vous le mensonge?" Et l'apôtre nous dit: "La figure de ce monde passe".

Une saison chasse l'autre, un âge succède à un autre âge et s'efface sans retour. Les années, les mois et les jours proclament que la vie de ce monde n'est qu'un passage. Le premier pas dans la carrière est un pas vers la fin. Conçu dans le sein de la femme, l'homme s'avance vers le tombeau d'où il ne sortira plus. L'un entre dans la vie quand l'autre l'a déjà quittée. Celui-ci entasse les trésors pour les enfouir quand celui-là part sans rien emporter avec lui. Regarde comme les richesses passent d'une famille à l'autre, et comme la pauvreté frappe tour à tour à la porte de chaque maison. "Vanité des vanités et tout est vanité", comme il a été écrit.

Le monde est une roue qui, dans ses mouvements rapides, entraîne avec elle les saisons et les années. Le mal n'y est qu'un chimère, le bien n'est rien; les maux et les biens n'ont ni réalité ni consistance. L'abondance vient-elle vous sourire un moment, l'indigence la remplace soudain; le plaisir entre, et cet hôte d'un jour fuit devant la douleur qui marche sur ses pas. Tel est aujourd'hui dans les rires, qui demain sera dans les pleurs. Assis au banquet nuptial, l'époux se réjouit dans son coeur en contemplant sa jeune femme; mais la mort vient et frappe, brise ces doux liens, et, plus amère que n'a été vive la joie qui l'a précédée, elle étend son crêpe sur un jour de fête. Les somptueux habits dont il se pare, la pourpre où son orgueil éclate, cet homme va bientôt les quitter, et, couché dans le cercueil avec les insectes qui lui filent un autre vêtement, il apprendra qu'il n'a fait qu'un vain songe. Il l'apprendra aussi, cet autre qui bâtit un palais magnifique, se plaît à en parcourir les vastes appartements, quand à son oreille sonnera la dernière heure, et que, jeté sur un lit étroit, il s'étendra dans l'agonie de la souffrance. Soudain, accourus au dernier cri qu'il a poussé, les ministres de la mort lui lient les pieds et les mains, ferment sa bouche, couvrent ses yeux d'un voile, et l'arrachent à sa brillante demeure. Il n'obtient même pas un demi-jour de grâce dans ce palais où il commandait en maître; on l'emporte à la hâte pour le descendre dans la tombe, son dernier et solitaire asile. Voilà le dénouement de sa vie: "Oui, tout est vanité et affliction d'esprit." Ce haut personnage à qui vient d'être confiée l'administration d'une province, s'enivre de la coupe du pouvoir; insolent et fier, il écrase du poids de son autorité, attaque par la ruse et la violence ceux qui sont placés sous ses ordres, s'enrichit des dépouilles que leur ravit sa main avare; mais, au jour de la mort, tout cela ne sera qu'un peu de cendre, car ses richesses n'étaient que "vanité et affliction d'esprit."

Le monde est l'image de la nuit; ses oeuvres sont des rêves dont les illusions égarent notre esprit. La nuit, pendant le sommeil, nous nous élançons à la poursuite de misérables chimères; le jour, quand nos sens sont éveillés, le monde nous séduit par ses promesses fallacieuses. Est-il endormi, l'homme est le jouet de visions fantastiques et mensongères, de même que le monde amuse sa crédulité par des songes pleins de charmes, par cet appât qu'il lui jette des plaisirs et de la richesse. Ainsi fortune, puissance, honneurs, éclatante parure, esclaves rampants à vos pieds, il semble tout vous donner, mais ce n'est qu'un piège où vous vous laissez prendre. La nuit vient-elle de plier ses voiles, vos yeux se sont-ils ouverts, vous vous réveillez enfin, et le tableau qui s'efface, vous dit que tout cela n'était qu'une déception. Dupes des séductions qui vous entourent, vous les verrez s'envoler sur les ailes des songes, et il n'en restera pas le moindre vestige. Quand l'esprit de vie s'est éteint, quand le corps s'est endormi dans la tombe, l'âme s'éveille, et, au souvenir des enchantements qui l'ont fascinée, elle gémit de ses erreurs, déplore son infortune, s'étonne, s'effraie en voyant se dérouler devant elle ce que les ténèbres lui cachaient dans leurs replis épais. Il lui arrive alors ce qu'éprouvent tous les jours ceux qui, à leur réveil, comparent les ravissantes images qui les ont agités dans leurs songes avec l'indigence et le malheur qui les presse dans sa hideuse réalité. Le passé n'a été qu'un rêve, et à l'aspect de leur situation présente, ils se troublent, ils hésitent; puis, jetant un regard sur leur vie toute souillée de crimes qui l'obscurcissent comme un sombre nuage, ils ne savent où adresser leurs pas. Quelque part qu'ils aillent, en effet, dans quelque endroit qu'ils se cachent, leurs iniquités se dressent contre eux de toute leur hauteur. C'est alors que viendra le démon; exacteur impitoyable, il s'acharnera à tourmenter leur âme; il rappellera ces songes brillants du monde, pour les mettre continuellement sous leurs yeux, ces trésors amoncelés qui les arrachaient au service de Dieu, et son sourire infernal, ses amères railleries insulteront à leur nudité. Il leur reprochera avec aigreur ces désordres abominables qui ne peuvent être expiés que dans les flammes, ces rapines, ces actes de méchanceté et de perfidie qu'il faut enfin payer dans l'horreur des ténèbres, par des grincements de dents, et qui trop longtemps ont défié le châtiment en irritant le courroux du ciel. Leurs crimes, il les étalera à leurs yeux; leurs fautes seront mises à nu; tous les voiles tomberont. C'est ainsi que cet esprit impur leur jettera à la face le tableau des cruelles illusions où s'est perdue leur imagination. Ces rêves qui souriaient à leur âme en seront le supplice. Ah! prenons garde que ce monde d'un jour ne nous entraîne; défions-nous de ses charmes, car ils s'effaceront comme de vains songes.

Réfléchis à la rapidité avec laquelle les jours s'envolent et l'heure s'enfuit; ils se hâtent, rien ne peut les arrêter; le monde se précipite de même vers sa fin. Que fait le jour présent au jour de demain? l'heure n'attend pas l'heure qui doit la suivre; votre bras ne suspendra point le cours du fleuve qui se rit de l'obstacle: ainsi fait la vie. A tout homme qui naît, son temps est mesuré; l'espace qu'il doit parcourir est renfermé dans des limites invariables; il n'a ni le moyen, ni le pouvoir de les déplacer ou de les franchir. C'est Dieu qui les a établies Lui-même pour marquer la succession des instants dont se compose la vie de l'homme. Chaque jour a sa part qu'il te dérobe à ton insu; les heures à leur tour emportent la faible portion qui leur est assignée; ainsi ta vie se morcèle, ainsi la trame s'use jusqu'à ce qu'il n'en reste plus un fil, et, comme s'il y avait en toi autre chose que vanité, tes jours sont livrés en proie aux larrons et aux malfaiteurs. Les saisons les entraînent dans leur course rapide, jusqu'au moment où, altéré insensiblement, leur chaîne venant à se rompre, tous les anneaux en sont dispersés. Les jours étendront un linceul sur ta vie, les heures emporteront un cadavre, parce que les heures et les jours le poussent aux enfers. Cette vie dont tu jouis aujourd'hui s'éteindra avec les derniers feux du jour, elle passera vite, parce que chaque heure en prend sa part qu'elle engloutit à jamais à l'instant même où elle sonne. Dans cette fuite rapide du temps, la vie s'use et s'anéantit. Les jours et les heures viennent en revendiquer la portion qui leur appartient, puis ils disparaissent, et ces vols successifs se renouvellent jusqu'à ce qu'enfin tu n'aies plus rien à donner. C'est Dieu qui a fixé le terme de ta vie, Dieu qui en a divisé l'espace; chacun de tes instants réclame la part qui lui a été dévolue; c'est comme une source où il puise jusqu'à ce qu'elle tarisse. La vie et le temps marchent ensemble et du même pas; tous deux se hâtent, tous deux ne sont bientôt plus. En vain tu tenterais de les retenir. Quand le soleil s'arrêtera dans les cieux, quand la lune ne présentera plus à sa lumière ses différents aspects, c'est alors que les flots qui t'emportaient cesseront de couler. L'ombre va t'apprendre encore combien la vie fuit rapidement. Mets-toi en opposition avec le soleil, trace une ligne; vois l'ombre que ton corps projette, sans cesse elle se déplace, elle décroît ou s'allonge, elle ne reste jamais au même point. Eh bien! le même mouvement t'entraîne, ta vie court à la mort avec la même rapidité. De l'aurore au coucher du soleil, l'ombre de ton corps glisse avec la même vitesse que du sein de ta mère tu te précipites vers le tombeau. Ouvre la main, développe-la tout entière, c'est la mesure de ta vie; quelque longue qu'elle soit, elle ne dépassera point cette étroite limite; sur tes cinq doigts sont marqués tes cinq âges. Du petit au pouce tu vois tracés le commencement et la fin de ta vie. Avec le petit doigt, elle commence, c'est la petite enfance; de ce point au quatrième doigt, c'est l'enfance privée d'intelligence et de jugement; du quatrième au doigt du milieu, voici venir la jeunesse superbe, cet âge des illusions et de l'espérance. Du doigt du milieu au second, tu es homme enfin; mais alors le progrès s'arrête, le déclin commence; il n'y a plus qu'un espace à parcourir, c'est l'intervalle qui sépare le second doigt du pouce; alors c'est la vieillesse, alors la vie est finie. Voilà tout ce qui est donné à l'homme, si toutefois il arrive au terme ordinaire; trop souvent la mort accourt avant le temps; ces divisions que j'ai indiquées, Dieu les rapproche, sa Volonté les resserre, car Il craint qu'en se prolongeant, ta vie ne se charge de nouveaux crimes. Ainsi, sa main qu'il développe est pour l'homme la mesure de sa vie, les cinq doigts sont les cinq degrés qu'il doit parcourir. Examine donc à quelle section du temps tu es déjà parvenu, car tu ne sais à quel point précis la mort doit s'emparer de toi. "Le jour du Seigneur est comme un larron," il te surprendra au moment inattendu.

Vis dans la paix, fais provision de bonnes oeuvres pour le voyage, car chacun désire que sa vie retourne à Dieu, chacun est jaloux de la retrouver. C'est un bonheur dont tu jouiras sans doute, si tu en règles sagement l'emploi; autrement ta vie te sera enlevée sans retour, tu ne la retrouveras plus. Perdue au milieu des déserts, une onde fraîche ne viendra pas mouiller tes lèvres; si tu as eu la précaution d'en conserver dans un vase, elle éteindra ta soif. Eh bien! Ne perds pas ta vie dans les plaisirs; ne la livre point en proie à la haine, à la colère; ne l'use pas dans le vol ou dans l'affliction des pauvres. Si elle s'égare dans ces sentiers honteux, tu la chercheras en vain. Garde-toi aussi de toute impudicité, de tout gain illicite, ou sinon ce ruisseau où tu t'abreuvais se perdra sous la terre comme une eau croupie. Ne souffre pas que le mensonge, l'envie, les querelles, la discorde, ou tout autre fléau l'entraînent et la tuent. Dépouillé de la vie réelle, ne va pas tomber entre les bras d'une mort qui ne sera pas imaginaire. Travaille donc à de bonnes oeuvres; ouvre-toi ainsi des canaux, qui, après la mort, reçoivent les eaux où flotta ta vie, et les portent jusqu'aux Pieds de Dieu. Qu'est-ce, en effet, que la vie? un faible ruisseau; tâche d'en diriger le courant de manière qu'un heureux détour l'amène jusqu'à ton Créateur, et qu'il se change alors pour toi en une vaste mer. La vie encore n'est qu'une goutte d'eau qui du toit tombe aussi vite que passe le monde; mais qu'elle tombe du moins dans le Sein de Dieu, et tu auras échappé à l'abîme. Ta vie s'altère et de jour en jour se raccourcit; renouvelle-la dans le Seigneur afin qu'elle participe à l'éternité. Veille sur toi; ne laisse pas la colère ou quelque autre passion dévorer tes jours, dans la crainte de mourir tout entier, sans espoir d'une autre vie. Si tu livres ton âme aux emportements de la colère, tu perdras le jour présent; sois assez sage pour empêcher qu'ils ne se prolongent jusqu'au lendemain et ne te dépouillent tout à fait. "A chaque jour suffit son mal" - dit notre Sauveur. C'est assez d'avoir sacrifié un seul jour à la colère; qu'elle ne prenne pas place dans ton âme, que ses feux ne te brûlent pas du soir au matin, et que le soleil ne se couche pas avant qu'ils soient éteints. C'est un hôte perfide que tu as reçu; hâte-toi de le congédier; s'il résiste, parle en maître et qu'il sorte à l'instant. Que ton courroux s'efface avec les derniers rayons de l'astre qui éclaire la terre; ne lui accorde aucun délai; rien n'enchaîne le vol des heures, laisse-le donc s'envoler sur leurs ailes légères. Il en est de la colère comme d'un ferment qui aigrit la matière à laquelle on le mêle; qu'elle pénètre ton coeur, et soudain elle l'infectera de son fiel amer. L'aspic et le basilic sont cruels, mais ils le sont moins encore que la colère qui tue l'âme et l'arrache à son Dieu. Si tu apprends qu'un serpent s'est caché dans ta chambre, tu te mets à sa poursuite et tu le tues quand tu l'as pris. Eh bien! La colère habite ton coeur, elle y aiguise contre toi ses armes, tu le vois et cependant tu ne t'empresses pas de l'en chasser. A l'aspect d'un serpent endormi, tu recules d'horreur; tu redoutes son dard; toutefois tu laisses la colère résider en toi, quoique tu saches bien que son poison est mortel. Un serpent se glisse-t-il sous ton vêtement, tu es glacé d'effroi; ton coeur est devenu un repaire de serpents et tu ne trembles pas. L'haleine du basilic corrompt la chair qu'elle effleure; il en est de même de la colère dans ton âme dès qu'elle y entre. La morsure du serpent, la dent du scorpion t'effraient; la morsure de la colère ne t'inspire ni crainte ni inquiétude; la haine déchire ton coeur et tu es tranquille. Quel homme fut jamais assez insensé pour appeler un serpent dans sa demeure, ou pour le laisser dans son sein, s'il vient de s'y introduire? Tu ne le veux pas sans doute; cependant tu y donnes accès à des fléaux plus dangereux, à la colère plus funeste que le basilic, à la haine plus horrible que le serpent. Une parole indiscrète a frappé tes oreilles; ce n'est qu'une suggestion de l'esprit infernal; néanmoins tu ouvres aussitôt la porte de ton âme à la colère, elle s'y précipite et s'y attache. Une cause futile met la division entre toi et ton prochain; tu appelles la haine, elle accourt, et rien ne peut plus l'arracher de la place qu'elle a une fois occupée. Écoute les cris que pousse la colère; comme un chien furieux, à la gueule écumante, elle s'irrite; combats-la, fais taire ses hurlements; oppose-lui un visage calme et riant, qu'elle n'y voie point éclater le ressentiment, et tu l'enchaîneras pour qu'elle ne perde pas deux âmes à la fois.

Mon Dieu, Toi qui as donné la paix aux grands et aux petits au prix de ce Sang précieux qui a coulé de ton Côté, fais qu'elle descende dans les coeurs que la colère enflamme; Toi qui as su rétablir l'harmonie entre des êtres toujours ennemis, unis dans les mêmes sentiments d'amour ceux que divise la haine. Seigneur, Toi qui es "notre Paix", comme l'a dit Ton disciple, puisse ta Paix garder les âmes qui T'en supplient. "Je vous donne ma Paix, Je vous laisse ma Paix," as-Tu dit, Seigneur, à tes apôtres et Tu es remonté vers ton Père; mais quand Tu reviendras dans toute la majesté de ta Gloire, l'effroi se répandra sur la terre; alors les sons éclatants de la trompette retentiront dans le ciel, et la terre sera agitée dans ses fondements, la pierre des tombeaux se brisera, les sépulcres s'ouvriront; d'un regard, Tu en feras sortir les cadavres, le limon dont Tu as formé Adam, la poussière, reprendront un corps, et, tremblants d'effroi, les grands et les petits s'élèveront du fond du cercueil. Que ta Paix, Seigneur, que ta Grâce viennent à nous, qu'elles daignent nous être en aide! Seigneur, gloire à Toi et que ta Miséricorde s'étende jusqu'à tes serviteurs, Dieu clément et plein de bonté. Amen.



II. Malheur à nous, car nous avons péché

Deux pensées amères me plongent dans les plus mortelles frayeurs; tous les jours elles se présentent à moi, et portent dans mon âme le trouble et l'agitation. Quand elles traversent mon esprit, je ne puis me défendre d'une violente émotion, elles ébranlent tout mon être, font couler mes larmes, et me jettent dans tous les abattements de la crainte. Elles sont en même temps le souverain bien et le souverain mal, la source de la joie et de la douleur pour tous les hommes. Chaque fois qu'elles me saisissent le coeur, je suis tout timide et tout tremblant. Je vais m'expliquer clairement, écoutez mes frères; ce qui m'épouvante n'est pas moins redoutable pour chacun de vous, et il n'est pas d'homme qui puisse s'affranchir de l'effroi que j'éprouve. De ces deux pensées, la première, c'est cette longue suite de péchés que je n'ai cessé de commettre, et dans tout le cours de ma vie; la seconde, c'est le compte terrible qui m'en sera demandé. Voilà, mes frères, le double sujet de mes méditations et de mes frayeurs. La liste trop longue de mes crimes et le jugement, voilà ce qui me trouble et m'alarme; l'iniquité, fruit impur de ma lâcheté, et le châtiment qui m'attend, voilà, dis-je, les deux causes qui excitent en moi la plus cuisante inquiétude, qui me brisent les membres et me laissent sans force et sans courage. Voyez d'un côté toutes les fautes dont le poids énorme m'accable, et d'un autre, le supplice affreux auquel je serai impitoyablement condamné. A cette idée qui me poursuit sans cesse, je suis glacé de terreur, et, en repassant en silence, dans l'amertume de mon âme, tous les crimes dont je suis souillé, je gémis, je pleure, et tout mon corps a frissonné d'horreur.

Oui, mes frères, je le répète, ce sont les deux pensées qui torturent mon misérable coeur. Je sens au-dedans de moi les aiguillons du remords; ma conscience déroule devant mes yeux le tableau hideux de ma vie passée, et je frémis soudain. Elle rappelle à mon souvenir mon adolescence pleine de désordres, elle me découvre mes plaies secrètes, et mes yeux se baignent de larmes; une crainte horrible me dévore quand je jette par la pensée un regard inquiet sur les actions de mon enfance, et que rien de ce que j'ai fait ne s'est effacé de mon souvenir. Ah! lorsque mes péchés et l'arrêt de la Justice divine viennent en même temps s'offrir à moi, je m'écrie: Malheur! Malheur! et perdition! des sanglots me suffoquent, la tristesse m'accable. Où irai-je? Je recueillerai sans doute ce que j'ai semé. Puis-je songer au jour fatal de la rétribution sans trembler, sans gémir? Quand je vois étalée devant moi l'image funeste du supplice où seront traînés les pécheurs, mes genoux fléchissent; et quel moment que celui où l'Époux, entrant dans la salle du festin, examinera tous ceux qu'Il a invités à ses noces! qui pourrait retenir ses larmes à l'instant où seront précipités dans les ténèbres ceux qui seront trouvés couverts d'habits souillés de taches! Malheureux! Malheureux que je suis! en considérant qu'à la même heure toutes mes oeuvres seront dévoilées, et que je serai tout couvert de confusion en présence de tout le monde, de ma poitrine s'exhalent les soupirs les plus douloureux, et ma raison s'égare. O tourment insupportable! ces crimes cachés que je me reproche, quelque hideux qu'ils soient, il faudra les montrer au grand jour. Alors, en pensant à cette robe d'innocence et de gloire que j'ai reçue au baptême, je la vois toute flétrie, et mes dents se choquent violemment les unes contre les autres. Puis je contemple de quels honneurs seront revêtus les justes, riche héritage qu'ils ont su mériter, et à l'aspect de ce feu dont les flammes vont dévorer les pécheurs, tout mon coeur consterné frémit, toute ma force s'anéantit devant ces horribles supplices préparés pour les impies.

Tous les jours cette pensée m'assiège et m'investit de ses cruelles étreintes, parce que ma conscience bourrelée de remords ne permet pas qu'elle s'efface de mon esprit. Quelle amertume répandue sur tous les jours de ma vie! Mes péchés se dressent sans cesse devant moi; à ce triste spectacle où n'apparaissent pas néanmoins tous ceux qui sont cachés et dont je me suis rendu coupable, je maudis le jour où je suis né, et je proclame tout le bonheur de ces enfants qui, dès leur entrée dans le monde, ont fermé les yeux à la lumière; car mieux vaut cent fois l'obscurité du sépulcre, qu'un jour dont l'éclat est terni par des vices. L'homme en effet qui a vécu dans le péché sera enseveli dans les ténèbres éternelles. Au temps des égarements de ma jeunesse, je disais dans mon coeur: "Si j'arrive à la vieillesse, je ferai divorce avec le péché; quand mon corps sera glacé par l'âge, le feu des passions s'éteindra." Et cependant la volonté qui m'entraîne au mal n'a rien perdu, avec la vieillesse, de sa brûlante énergie; le corps est changé, la volonté est restée la même; la négligence et l'incurie qui a flétri mes premières années, engourdit encore mon zèle dans la vieillesse. Après la mort m'attend le jugement. Les jours de ma jeunesse sont passés, traînant avec eux le fardeau de mes péchés, les jours de ma vieillesse se sont levés à leur tour dans le cortège des mêmes vices. La voie d'iniquité où s'est égarée mon adolescence est encore celle où marche ma vieillesse.

Contraste déplorable! mes sens sont affaiblis; le feu des passions brûle dans mon âme avec une égale chaleur; mon corps vaincu ne traîne avec lui que des débris; mes désirs ont conservé toute leur impétuosité. L'âge a blanchi mes cheveux, sans refroidir mon coeur; dans un corps vieilli les mêmes pensées renaissent, les mêmes désirs éclatent. Plus mes cheveux tombent flétris par le temps, plus mon coeur se revêt des sombres livrées du péché. Impuissant pour le bien, je suis rempli de force pour le mal. Tel je fus dans ma jeunesse, tel je suis dans l'hiver de la vie; mes dernières années ressemblent à celles que je n'ai plus. La mort va bientôt m'atteindre; après la mort, la résurrection, le formidable jugement, suivi du châtiment réservé aux pécheurs. Mais si c'est à cette condition que je suis venu dans ce monde plein de misère, mieux eût valu n'y jamais entrer, car je n'y ai marché que sur des épines! Quelle espérance d'un bonheur chimérique m'a donc attiré dans ces lieux où je n'ai eu d'autre spectacle que celui des maux qui les désolent, et des vices que j'y ai pris et dont le poids m'accable? Le saint homme Job, après y avoir jeté les yeux, enviait le sort des enfants qui ne s'échappent des entrailles maternelles que pour descendre dans la tombe; de là au moins, et enseveli sous la terre, il n'aurait pas vu les scènes affligeantes dont le monde est le théâtre. Qu'avais-je donc à espérer sur cette terre, en butte, comme je le suis, aux coups de mille ennemis, et à des tentations qui se renouvellent sans cesse? devant moi sont ouverts les livres sacrés, et j'y lis le jugement et la condamnation. Si d'un côté la concupiscence me pousse au mal, d'un autre, l'Écriture m'en détourne; mais que faire, ainsi placé entre la crainte et mes désirs? Dans impossibilité de trouver un remède à mes maux, d'échapper par le salut de mon âme au Jugement de Dieu, j'attends ma sentence avec inquiétude, attente cruelle, dont je ne sais comment écarter les angoisses.

Ces réflexions, mes frères, étendent autour de moi un voile de deuil dont les replis funèbres enveloppent de leurs ombres tous les jours de ma vie. Au souvenir de mes fautes secrètes, les gémissements de mon coeur redoublent, et quand je considère quelle mort viendra mettre un terme à ma vie et à mes crimes et me poussera dans les ténèbres de la tombe, je sens tout mon corps frissonner et mes genoux se dérober sous moi. Toutefois j'ai souvent appelé le trépas qui du moins brisera les liens coupables qui m'enchaînent au péché. Deux grandes douleurs me déchirent le coeur dans le présent; l'avenir m'en réserve une troisième; tout m'accuse, tout s'élève contre moi, tout m'excite à rompre le pacte odieux de l'iniquité; et cependant à chaque instant je retombe dans de nouvelles fautes, qui, alors même que je partirai de ce monde, me suivront: impitoyablement à travers les horreurs du tombeau, jusqu'au jour où je reverrai la lumière, c'est ainsi que je marche droit aux enfers. En réfléchissant sérieusement à cette triple infortune qui tous les jours vient s'offrir à ma vue, j'ai préféré plus d'une fois la mort à tout le reste, parce qu'il m'est moins pénible de rester enseveli sous la terre que de souffrir dans le monde ou dans la géhenne. Il n'y a pas de pensée qui m'obsède plus que celle du siècle présent et du siècle qui doit le suivre; ici le péché, là le châtiment. Sur cette terre la tentation me dresse mille pièges, les mauvais esprits me poursuivent de leurs funestes inspirations, et plus tard le supplice m'attend, le supplice que j'ai mérité par les fautes que j'ai commises ici-bas. Au jour du jugement, tous seront saisis de crainte, le repentir brisera tous les coeurs, et, si vous en exceptez l'ordre des justes, quiconque ne pourra parvenir à sa hauteur, aura à redouter les accusations de sa propre conscience, parce qu'il n'y aura rien en lui qui le rapproche des parfaits. C'est pourquoi tous ceux d'entre les hommes qui ne se seront pas placés sur le même rang que les justes, ou qui en seront descendus faute de persévérance, s'affligeront amèrement alors de n'avoir pas égalé les premiers, et de ne pouvoir partager les honneurs dont ils jouiront.

Avec tous ceux qui me ressemblent, et qui, comme moi, sont à jamais exilés du royaume de Dieu, nous regretterons, en poussant des cris et de profonds soupirs, de n'avoir pas su nous soustraire aux feux de l'enfer. Ne cherchez pas de rapprochement entre la douleur de celui qui a perdu le bonheur éternel, et celle de l'esclave qui gémit sous le fouet qui le déchire. Car, si l'homme qui n'a pas toujours marché dans la voie de la perfection, sera plongé alors dans l'affliction, que ferons-nous, hélas! nous que réclament les flammes de l'enfer! L'expérience de tous les jours nous enseigne que ce feu, dont parlent les divines Écritures, est plus dévorant que celui que nous voyons ici-bas, et que les douleurs qu'il cause sont cent fois plus atroces. Voilà donc le châtiment qui tombera sur ceux que la sentence de Dieu condamnera aux enfers. C'est une vérité dont je suis convaincu et que tous les hommes doivent proclamer avec moi, à savoir que le feu éternel, comme je l'ai dit, est plus actif que le feu de la terre. Celui-ci, plus il est éclatant, plus il a d'énergie; l'autre, toujours ardent, est enveloppé de ténèbres épaisses, et ne dissipe point la nuit profonde qui règne dans le séjour des supplices. Celui-ci dévore ce qu'il reçoit, et s'éteint quand il n'a plus d'aliments; celui des enfers brûle toujours, mais sans détruire la proie qu'on lui a jetée; tel est l'ordre du Tout-Puissant; il ne consume pas, il ne fait que brûler et tourmenter. Celui-là, utile à nos besoins, réchauffe les corps qui s'en approchent. L'autre joint à ses cruelles ardeurs, à l'obscurité, les pleurs et les grincements de dents; il déchire, il désole, il torture; il est sans lumière et sans terme. Car, ainsi qu'il a été écrit, c'est un feu éternel. Ce sont là, mes très chers frères, les pensées qui m'agitent; voilà pourquoi mes larmes coulent, certain que je suis qu'à ces crimes cachés dans mon sein est attachée l'horrible peine que je viens de dire.

Cette sentence d'un juge sévère, je la médite sans cesse et je m'écrie: Malheur à moi! quel châtiment il me faudra subir! Je pense en même temps à la honte dont je serai couvert au moment où mes iniquités secrètes seront produites au grand jour, et ces désordres honteux que j'ai cachés avec tant de soin au monde entier. Ceux qui m'admirent aujourd'hui ne retrouveront plus en moi, en ce terrible jour, l'homme qu'ils croient connaître aujourd'hui: ils s'imaginent que je suis tel que je parais à leurs yeux, et cependant quelle différence! Ils verront à nu ces plaies cachées qu'ils n'avaient jamais aperçues; ils s'étonneront, ils seront comme frappés de stupeur à la vue de ces crimes qu'ils ne soupçonnaient pas même auparavant. Toutes mes oeuvres d'iniquité, ces épines aiguës que j'ai moi-même enfoncées dans mon coeur, ces secrets dont j'étais seul le dépositaire, tout sera découvert, et combien alors ils seront épouvantés de ma criminelle audace! Dans ce moment, ces fautes que je tenais enfermées dans les ténèbres de ma conscience apparaîtront plus claires que la lumière du jour, quand le soleil brille, au milieu de sa course, de l'éclat de tous ses feux. Sur ce vaste théâtre seront exposées aux regards de toutes les nations ces fautes, graves ou légères, que je voulais toujours cacher. C'est alors qu'en déroulant les pages du livre qui les garde fidèlement transcrites, ils liront tous les désordres de ma coupable vie.

Ces fautes que j'ai commises, mes frères, je les redoute, je les pleure, quand je me rappelle le supplice qui m'attend; certain de n'avoir jamais fait le bien, quelle récompense puis-je espérer au jour du jugement, moi qui jusqu'ici n'ai travaillé qu'à me faire un trésor d'iniquité? Malheureux que je suis! quand, à cet instant fatal, je n'aurai plus devant moi que flammes, ténèbres, châtiment et ignominie publique! Malheur! Malheur à moi! Alors que l'Époux promènera ses regards irrités sur les conviés, où fuirai-je? Dans quelle obscure retraite pourrai-je me cacher? Sort déplorable! quand Il ordonnera à ses serviteurs de me lier les pieds et les mains, et de jeter hors de la salle de festin un infâme dont la robe nuptiale sera toute souillée. Il en sera fait de moi, lorsque, séparé des agneaux qui prendront place à sa Droite, je serai réuni au troupeau des boucs impurs repoussés à sa Gauche! lorsque je verrai les saints entrer dans l'héritage qui leur sera échu, tandis que je serai livré aux flammes! Infortuné, que deviendrai-je, lorsque, forcé de me tenir à l'écart, accablé sous le poids de mes humiliations, je ne pourrai lever les yeux pour contempler la Face auguste de mon Juge; quand l'Époux dira qu'Il ne me connaît pas, et, me fermant les portes de la béatitude céleste, m'ouvrira, en dépit de mes vaines prières, les abîmes des enfers; quand, après avoir obtenu la part qui leur aura été assignée, les justes entreront sans obstacle dans la cour céleste; quand, rejeté sur le seuil, je resterai étendu sur les degrés, que j'arroserai des larmes de la douleur et du regret? C'est cette déplorable fin, comme je l'ai dit, que j'ai toujours redoutée; c'est l'image trop vraie de mes crimes, c'est le souvenir des horreurs de ma vie passée, cette pensée incessante de ce jour terrible, qui me font trembler, et bouleversent mon esprit. Quel doit être votre étonnement, mes très chers frères! voilà l'effroyable perspective que j'ai continuellement devant les yeux, et cependant, mon audace effrénée s'emporte à tous les excès! Je sais le sort qui m'attend, de quelles amertumes je serai abreuvé; néanmoins je m'écarte de la bonne voie, je vois le bien et je fais le mal.

Ces livres écrits sous l'inspiration de l'Esprit saint, qui me parlent de jugement et de vengeance, du séjour de la lumière et du bonheur éternel, je les lis, mais je dédaigne leurs sages leçons; je les enseigne aux autres, et je n'apprends rien en instruisant mon prochain. Versé dans la connaissance des saintes Écritures, je m'égare loin du sentier du devoir; de ces préceptes que je transmets aux fidèles, il n'en est pas un qui ait jamais frappé mes oreilles; j'en explique le sens à des esprits simples et grossiers, ma voix les a souvent appelés à la pratique de la vertu, et tout a été perdu pour moi. Je n'ai cessé de lire, de méditer ces pieux enseignements, j'en ai pénétré les mystères; je les ai eu bientôt oubliés; le livre était à peine fermé que déjà le souvenir en était effacé de ma mémoire. Et que ferai-je, mes très chers frères, pour ce monde où je suis entré, pour ce corps rempli de misère, qui sans cesse me sollicite et m'entraîne aux plaisirs? Oui, la lecture des saints oracles m'épouvante et me rappelle le jugement et le salaire que je dois recevoir; d'un autre côté, la violence de mes désirs me rend esclave des voluptés charnelles, et je reste ainsi comme suspendu entre l'arrêt de l'avenir et la crainte du présent. Malheur donc! Maudits soient les jours de ma vie! mais, je le proclame, qu'ils sont heureux ceux qu'a enlevés une mort prématurée, qui n'ont point foulé cette terre de perdition, et qui n'ont point eu à traîner ce pesant fardeau. En effet celui qui veut acquérir la justice ici-bas et l'affranchissement de la crainte qu'inspirent le combat à soutenir et le jugement à attendre, jouir du repos qu'il appelle de tous ses voeux, surpris par une attaque imprévue, tombe vaincu sur le champ de bataille. Ainsi, toujours en révolte contre la détermination que je prends de combattre ici-bas et de me placer au rang des justes, mes sens battent contre ma volonté, en même temps que la pensée du compte rigoureux qu'il me faudra rendre un jour, éteint en moi le désir qui me tourmente de me reposer dans les bras du plaisir. Seigneur, Tu es mon refuge; c'est à Toi que j'ai recours; ne me refuse pas ta Protection et j'échapperai à ce monde pervers et à ce corps, où tous les maux se sont donné rendez-vous, comme il est l'origine et la cause de tous les péchés. C'est pourquoi je ne cesse de répéter ces paroles de l'apôtre Paul: "Quand serai-je délivré de ce corps de mort?"

Occupé de ces tristes réflexions, et lorsque j'étais en proie à de mortelles inquiétudes, tout à coup j'ai senti naître dans mon coeur une pensée qui a ranimé mon courage abattu; elle est venue en silence m'inspirer une heureuse résolution, et m'a conduit, comme par la main, en faisant briller à mes yeux les rayons d'une douce espérance. Oui, j'ai vu sortir, comme d'une retraite profonde, la pénitence, cette tendre consolatrice de l'homme au désespoir, qui, venant avec bonté au devant de mes pas, s'approcha de mon oreille et me fit à voix basse les plus heureuses promesses. Elle me conseilla en même temps de bannir cette tristesse inutile, qui m'enveloppait, comme tous les coupables, de son funèbre manteau. Alors je revins à moi: A quoi bon, me dis-je, ce chagrin stérile, malheureux pécheur? Pourquoi me noyer ainsi dans les larmes, ou, épouvanté de la multitude de mes crimes, perdre toute confiance? La pénitence me répondit: "Écoute avec attention ce que je vais te dire, " et soudain le son flatteur de sa voix charma mes oreilles, et j'entendis ces consolantes paroles: "Écoute, dit-elle, je t'apprendrai en peu de mots comment tu peux mettre à profit ta douleur et tes larmes. D'abord garde-toi de ce désespoir, de ce découragement où te jette le spectacle de tes péchés et qui te fait négliger le soin de ton salut. Le Seigneur est bon et miséricordieux; Il désire te voir habiter sa céleste demeure. Fais pénitence et son Coeur se réjouira en toi, et ses Bras s'ouvriront pour te recevoir. Tes iniquités, quelque grandes qu'elles soient, ne le sont pas autant que sa Clémence. Sa Grâce effacera les taches dont t'a souillé le péché, quand il te tenait enchaîné sous son tyrannique empire. Que le souffle de sa Miséricorde s'élève sur toi quelques instants seulement, et cette mer que le péché a bouleversée se calmera bientôt; tous les crimes du monde ne sauraient épuiser ces flots de bonté qu'Il Se plaît à répandre sans cesse. Cependant, si jusqu'ici tu as porté tes pas hors du sentier de la vertu, rentres-y et ne pèche plus; frappe sans crainte à la porte de ce Dieu plein de bonté, et Il t'ouvrira. Mais, je te le répète, ne va pas croire que plus tu as commis de fautes, moins tu seras accueilli avec indulgence, dans la crainte que, égaré par cette pensée, tu ne te laisses entraîner à l'inertie et tu ne te dérobes aux laborieux combats de la pénitence. Prends garde, te dis-je, que désespéré par l'énormité de tes péchés, tu n'ailles abandonner le soin que demande ton salut; car le Seigneur peut, en purifiant ton coeur, te rendre facilement ton premier éclat et ton ancienne innocence; quand même ta robe serait toute noire de péchés, Il la rendra aussi blanche que la neige, selon l'expression du prophète .

Il te reste encore un soin à prendre, soin fort important sans doute, c'est de ne pas pécher et de te repentir sans cesse d'avoir outragé Dieu par tes vices; il est certain qu'alors, tant sa Miséricorde est grande, Il t'accueillera avec bonté. Purifie-toi donc; à cette condition, Il ne te repoussera pas. Je te demande encore, ajoute la pénitence, de compter sur l'accomplissement de mes promesses, si toutefois tu te conformes à tous mes avis. Je ne doute pas en effet, que tout impur et tout criminel que tu es, Il ne t'entoure, comme son fils, de toute l'affection d'un père, et que, si tu pleures sur les injures qu'Il a reçues de toi, si tu détestes sincèrement tes désordres, et si tu L'implores avec une foi ardente, non seulement Il ne te pardonne, mais encore que, par un heureux effet de sa Libéralité inépuisable, Il ne te comble des dons les plus précieux. Il brûle de te voir, Il t'appelle à Lui, rien ne sera plus agréable pour Lui que de t'entendre frapper à la porte de sa demeure, Lui qui S'est dévoué à l'opprobre et à la mort pour sauver les pécheurs. Tout ce que je t'ai dit est l'expression de la vérité; écarte un doute criminel: mes paroles ne sont ni vaines ni trompeuses. Les plus cruels supplices, des tourments atroces, des flammes éternelles sont réservés aux coupables; un ver rongeur dévorera sans fin les entrailles de ceux qu'aura condamné l'arrêt de la justice. Mais sois bien assuré, dit encore la pénitence, que je ne pourrai venir en aide à ceux qui sont aujourd'hui pleins de mépris pour moi, et qui ne pensent pas à se réfugier sous mes ailes, quand il en est temps encore. Non, je ne pourrai leur être utile dans l'avenir, et le Juge souverain fermera l'oreille aux prières que je Lui adresserai en faveur des insensés qui refusent de venir me demander un asile.

Eh bien! sois docile à ces sages avis que je me plais à te répéter; viens à moi pendant qu'il te reste encore plus d'un jour à vivre, et sois convaincu qu'en me confiant ton salut, tu ne l'auras pas mis entre des mains infidèles. Aie confiance en moi, j'obtiendrai ton pardon de la Miséricorde divine; j'espère que le Seigneur ne refusera pas à mes larmes la grâce que j'implorerai de sa Justice. J'irai avec toi me jeter à ses Pieds, et, par mes prières et mes pleurs, je désarmerai ce Juge sévère, et je calmerai son Courroux. Oui, te dis-je, j'ai l'assurance qu'Il ne me repoussera pas, et que sa Miséricorde fléchira sa Justice. Quoi! tu hésites encore, pécheur? Pourquoi ce doute injurieux? la Miséricorde divine te tendra la main, guidera tes pas. Dès qu'elle t'aura conduit aux pieds du tribunal, c'est elle-même qui plaidera ta cause: "Éternelle Justice, toujours si redoutable à tous les hommes, dira-t-elle, jette les yeux sur ce malheureux pécheur, il T'implore, il avoue ses crimes trop nombreux. Vois-le trembler, couvert de honte et humilié des fautes de sa vie passée; écoute les soupirs que sa poitrine exhale, vois les pleurs qui coulent de ses yeux, vois combien il est contrit et affligé. Fouille dans les trésors de tes Grâces, remets-lui tous ses péchés; il n'en commettra plus à l'avenir. Fais que la tristesse qui l'accable ne le jette pas dans le désespoir. Il est tombé dans la poussière, daigne le relever. Y a-t-il pour toi des charmes dans la perte des malheureux? fais briller l'espérance à ses yeux; qu'il se lève, qu'il reprenne courage, et que l'esclave fugitif soit accueilli à son retour avec bonté par un Maître généreux."




Ephrem, Discours exégétiques Liv.1