1998 Fides et Ratio 15


CHAPITRE II CREDO UT INTELLEGAM


" La Sagesse sait et comprend tout " (@Sg 9,11@)

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La profondeur du lien entre la connaissance par la foi et la connaissance par la raison est déjà exprimée dans la Sainte Ecriture en des termes d'une clarté étonnante. Le problème est abordé surtout dans les Livres sapientiaux. Ce qui frappe dans la lecture faite sans préjugés de ces pages de l'Ecriture est le fait que dans ces textes se trouvent contenus non seulement la foi d'Israël, mais aussi le trésor de civilisations et de cultures maintenant disparues. Pour ainsi dire, dans un dessein déterminé, l'Egypte et la Mésopotamie font entendre de nouveau leur voix et font revivre certains traits communs des cultures de l'Orient ancien dans ces pages riches d'intuitions particulièrement profondes.

Ce n'est pas un hasard si, au moment où l'auteur sacré veut décrire l'homme sage, il le dépeint comme celui qui aime et recherche la vérité: " Heureux l'homme qui médite sur la sagesse et qui raisonne avec intelligence, qui réfléchit dans son coeur sur les voies de la sagesse et qui s'applique à ses secrets. Il la poursuit comme le chasseur, il est aux aguets sur sa piste; il se penche à ses fenêtres et écoute à ses portes; il se poste tout près de sa demeure et fixe un pieu dans ses murailles; il dresse sa tente à proximité et s'établit dans une retraite de bonheur; il place ses enfants sous sa protection et sous ses rameaux il trouve un abri; sous son ombre il est protégé de la chaleur et il s'établit dans sa gloire " (
Si 14,20-27).

Pour l'auteur inspiré, comme on le voit, le désir de connaître est une caractéristique commune à tous les hommes. Grâce à l'intelligence, la possibilité de " puiser l'eau profonde " de la connaissance (cf. Pr 20,5) est donnée à tous, croyants comme non-croyants. Dans l'ancien Israël, la connaissance du monde et de ses phénomènes ne se faisait certes pas abstraitement, comme pour le philosophe ionien ou le sage égyptien. Le bon israélite appréhendait encore moins la connaissance selon les paramètres de l'époque moderne, qui est davantage portée à la division du savoir. Malgré cela, le monde biblique a fait converger son apport original vers l'océan de la théorie de la connaissance.

Quel est cet apport? La particularité qui distingue le texte biblique consiste dans la conviction qu'il existe une profonde et indissoluble unité entre la connaissance de la raison et celle de la foi. Le monde et ce qui s'y passe, de même que l'histoire et les vicissitudes du peuple, sont des réalités regardées, analysées et jugées par les moyens propres de la raison, mais sans que la foi demeure étrangère à ce processus. La foi n'intervient pas pour amoindrir l'autonomie de la raison ou pour réduire son domaine d'action, mais seulement pour faire comprendre à l'homme que le Dieu d'Israël se rend visible et agit dans ces événements. Par conséquent, connaître à fond le monde et les événements de l'histoire n'est pas possible sans professer en même temps la foi en Dieu qui y opère. La foi affine le regard intérieur et permet à l'esprit de découvrir, dans le déroulement des événements, la présence agissante de la Providence. Une expression du livre des Proverbes est significative à ce propos: " Le coeur de l'homme délibère sur sa voie, mais c'est le Seigneur qui affermit ses pas " (Pr 16,9). Autrement dit, l'homme sait reconnaître sa route à la lumière de la raison, mais il peut la parcourir rapidement, sans obstacle et jusqu'à la fin, si, avec rectitude, il situe sa recherche dans la perspective de la foi. La raison et la foi ne peuvent donc être séparées sans que l'homme perde la possibilité de se connaître lui-même, de connaître le monde et Dieu de façon adéquate.



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Il ne peut donc exister aucune compétitivité entre la raison et la foi: l'une s'intègre à l'autre, et chacune a son propre champ d'action. C'est encore le livre des Proverbes qui oriente dans cette direction quand il s'exclame: " C'est la gloire de Dieu de celer une chose, c'est la gloire des rois de la scruter " (
Pr 25,2). Dans leurs mondes respectifs, Dieu et l'homme sont placés dans une relation unique. En Dieu réside l'origine de toutes choses, en Lui se trouve la plénitude du mystère, et cela constitue sa gloire; à l'homme revient le devoir de rechercher la vérité par sa raison, et en cela consiste sa noblesse. Un autre élément est ajouté à cette mosaïque par le Psalmiste quand il prie en disant: " Pour moi, que tes pensées sont difficiles, ô Dieu, que la somme en est imposante! Je les compte, il en est plus que sable; ai-je fini, je suis encore avec toi " (Ps 139,17-18 Ps 138). Le désir de connaître est si grand et comporte un tel dynamisme que le coeur de l'homme, même dans l'expérience de ses limites infranchissables, soupire vers l'infinie richesse qui est au-delà, parce qu'il a l'intuition qu'en elle se trouve la réponse satisfaisante à toutes les questions non encore résolues.



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Nous pouvons donc dire que, par sa réflexion, Israël a su ouvrir à la raison la voie vers le mystère. Dans la révélation de Dieu, il a pu sonder en profondeur tout ce qu'il cherchait à atteindre par la raison, sans y réussir. A partir de cette forme plus profonde de connaissance, le peuple élu a compris que la raison doit respecter certaines règles fondamentales pour pouvoir exprimer au mieux sa nature. Une première règle consiste à tenir compte du fait que la connaissance de l'homme est un chemin qui n'a aucun répit; la deuxième naît de la conscience que l'on ne peut s'engager sur une telle route avec l'orgueil de celui qui pense que tout est le fruit d'une conquête personnelle; une troisième règle est fondée sur la " crainte de Dieu ", dont la raison doit reconnaître la souveraine transcendance et en même temps l'amour prévoyant dans le gouvernement du monde.

Quand il s'éloigne de ces règles, l'homme s'expose au risque de l'échec et finit par se trouver dans la condition de l'" insensé ". Dans la Bible, cette stupidité comporte une menace pour la vie; l'insensé en effet s'imagine connaître beaucoup de choses, mais en réalité il n'est pas capable de fixer son regard sur ce qui est essentiel. Cela l'empêche de mettre de l'ordre dans son esprit (cf.
Pr 1,7) et de prendre l'attitude qui convient face à lui-même et à son environnement. Et quand il en arrive à affirmer " Dieu n'existe pas " (cf. Ps 14,1 Ps 13), il montre en toute clarté que sa connaissance est déficiente et combien elle est loin de la pleine vérité sur les choses, sur leur origine et sur leur destinée.



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Le Livre de la Sagesse comporte des textes importants qui projettent une autre lumière sur ce sujet. L'auteur sacré y parle de Dieu qui se fait connaître aussi à travers la nature. Pour les anciens, l'étude des sciences naturelles correspondait en grande partie au savoir philosophique. Après avoir affirmé que par son intelligence l'homme est en mesure de " connaître la structure du monde et l'activité des éléments (...), les cycles de l'année et les positions des astres, la nature des animaux et les instincts des bêtes sauvages " (
Sg 7,17 Sg 7,19-20), en un mot, qu'il est capable de philosopher, le texte sacré accomplit un pas en avant de grande importance. Retrouvant la pensée de la philosophie grecque, à laquelle il semble se référer dans ce contexte, l'auteur affirme qu'en raisonnant sur la nature, on peut remonter au Créateur: " La grandeur et la beauté des créatures font, par analogie, contempler leur Auteur " (Sg 13,5). Un premier stade de la Révélation divine, constitué du merveilleux " livre de la nature ", est donc reconnu; en le lisant avec les instruments de la raison humaine, on peut arriver à la connaissance du Créateur. Si l'homme ne parvient pas, par son intelligence, à reconnaître Dieu créateur de toute chose, cela est dû non pas tant au manque de moyen adéquat, qu'aux obstacles mis par sa libre volonté et par son péché.



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De ce point de vue, la raison est valorisée, mais non surestimée. Tout ce qu'elle atteint, en effet, peut être vrai, mais elle n'acquiert une pleine signification que si son contenu est placé dans une perspective plus vaste, celle de la foi: " Le Seigneur dirige les pas de l'homme: comment l'homme comprendrait-il son chemin? " (
Pr 20,24). Pour l'Ancien Testament la foi libère donc la raison en ce qu'elle lui permet d'atteindre d'une manière cohérente son objet de connaissance et de le situer dans l'ordre suprême où tout prend son sens. En un mot, l'homme atteint la vérité par la raison, parce que, éclairé par la foi, il découvre le sens profond de toute chose, en particulier de sa propre existence. L'auteur sacré met donc très justement le commencement de la vraie connaissance dans la crainte de Dieu: " La crainte du Seigneur est le principe du savoir " (Pr 1,7 Si 1,14).



" Acquiers la sagesse, acquiers l'intelligence "

(Pr 4,5)
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La connaissance, pour l'Ancien Testament, ne se fonde pas seulement sur une observation attentive de l'homme, du monde et de l'histoire. Elle suppose nécessairement un rapport avec la foi et avec le contenu de la Révélation. On trouve ici les défis que le peuple élu a dû affronter et auxquels il a répondu. En réfléchissant sur sa condition, l'homme biblique a découvert qu'il ne pouvait pas se comprendre sinon comme un " être en relation ": avec lui-même, avec le peuple, avec le monde et avec Dieu. Cette ouverture au mystère, qui lui venait de la Révélation, a finalement été pour lui la source d'une vraie connaissance, qui a permis à sa raison de s'engager dans des domaines infinis, ce qui lui donnait une possibilité de compréhension jusqu'alors inespérée.

Pour l'auteur sacré, l'effort de la recherche n'était pas exempt de la peine due à l'affrontement aux limites de la raison. On le saisit, par exemple, dans les paroles par lesquelles le Livre des Proverbes révèle la fatigue que l'on éprouve lorsqu'on cherche à comprendre les desseins mystérieux de Dieu (cf.
Pr 30,1-6). Cependant, malgré la peine, le croyant ne cède pas. La force pour continuer son chemin vers la vérité lui vient de la certitude que Dieu l'a créé comme un " explorateur " (cf. Qo 1,13), dont la mission est de ne renoncer à aucune recherche, malgré la tentation continuelle du doute. En s'appuyant sur Dieu, il reste tourné, toujours et partout, vers ce qui est beau, bon et vrai.



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Saint Paul, dans le premier chapitre de sa Lettre aux Romains, nous aide à mieux apprécier à quel point la réflexion des Livres sapientiaux est pénétrante. Développant une argumentation philosophique dans un langage populaire, l'Apôtre exprime une vérité profonde: à travers le créé, les " yeux de l'esprit " peuvent arriver à connaître Dieu. Celui-ci en effet, par l'intermédiaire des créatures, laisse pressentir sa " puissance " et sa " divinité " à la raison (cf.
Rm 1,20). On reconnaît donc à la raison de l'homme une capacité qui semble presque dépasser ses propres limites naturelles: non seulement elle n'est pas confinée dans la connaissance sensorielle, puisqu'elle peut y réfléchir de manière critique, mais, en argumentant sur les donnés des sens, elle peut aussi atteindre la cause qui est à l'origine de toute réalité sensible. Dans une terminologie philosophique, on pourrait dire que cet important texte paulinien affirme la capacité métaphysique de l'homme.

Selon l'Apôtre, dans le projet originel de la création était prévue la capacité de la raison de dépasser facilement le donné sensible, de façon à atteindre l'origine même de toute chose, le Créateur. À la suite de la désobéissance par laquelle l'homme a choisi de se placer lui-même en pleine et absolue autonomie par rapport à Celui qui l'avait créé, la possibilité de remonter facilement à Dieu créateur a disparu.

Le Livre de la Genèse décrit de manière très expressive cette condition de l'homme, quand il relate que Dieu le plaça dans le jardin d'Eden, au centre duquel était situé " l'arbre de la connaissance du bien et du mal " (Gn 2,17). Le symbole est clair: l'homme n'était pas en mesure de discerner et de décider par lui-même ce qui était bien et ce qui était mal, mais il devait se référer à un principe supérieur. L'aveuglement de l'orgueil donna à nos premiers parents l'illusion d'être souverains et autonomes, et de pouvoir faire abstraction de la connaissance qui vient de Dieu. Ils entraînèrent tout homme et toute femme dans leur désobéisssance originelle, infligeant à la raison des blessures qui allaient alors l'entraver sur le chemin vers la pleine vérité. Désormais, la capacité humaine de connaître la vérité était obscurcie par l'aversion envers Celui qui est la source et l'origine de la vérité. C'est encore l'Apôtre qui révèle combien les pensées des hommes, à cause du péché, devaient devenir " vaines " et les raisonnements déformés et orientés vers ce qui est faux (cf. Rm 1,21-22). Les yeux de l'esprit n'étaient plus capables de voir avec clarté: progressivement la raison est demeurée prisonnière d'elle-même. La venue du Christ a été l'événement de salut qui a racheté la raison de sa faiblesse, la libérant des chaînes dans lesquelles elle s'était elle-même emprisonnée.



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Par conséquent, le rapport du chrétien avec la philosophie demande un discernement radical. Dans le Nouveau Testament, surtout dans les Lettres de saint Paul, un point ressort avec une grande clarté: l'opposition entre " la sagesse de ce monde " et la sagesse de Dieu révélée en Jésus Christ. La profondeur de la sagesse révélée rompt le cercle de nos schémas habituels de réflexion, qui ne sont pas du tout en mesure de l'exprimer de façon appropriée.

Le commencement de la première Lettre aux Corinthiens pose radicalement ce dilemme. Le Fils de Dieu crucifié est l'événement historique contre lequel se brise toute tentative de l'esprit pour construire sur des argumentations seulement humaines une justification suffisante du sens de l'existence. Le vrai point central, qui défie toute philosophie, est la mort en croix de Jésus Christ. Ici, en effet, toute tentative de réduire le plan salvifique du Père à une pure logique humaine est vouée à l'échec. " Où est-il, le sage? Où est-il, l'homme cultivé? Où est-il, le raisonneur de ce siècle? Dieu n'a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde? " (
1Co 1,20), se demande l'Apôtre avec emphase. Pour ce que Dieu veut réaliser, la seule sagesse de l'homme sage n'est plus suffisante; c'est un passage décisif vers l'accueil d'une nouveauté radicale qui est demandé: " Ce qu'il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages; (...) ce qui dans le monde est sans naissance et ce que l'on méprise, voilà ce que Dieu a choisi; ce qui n'est pas, pour réduire à rien ce qui est " (1Co 1,27-28). La sagesse de l'homme refuse de voir dans sa faiblesse la condition de sa force; mais saint Paul n'hésite pas à affirmer: " Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort " (2Co 12,10). L'homme ne réussit pas à comprendre comment la mort peut être source de vie et d'amour, mais, pour révéler le mystère de son dessein de salut, Dieu a choisi justement ce que la raison considère comme " folie " et " scandale ". Paul, parlant le langage des philosophes ses contemporains, atteint le sommet de son enseignement ainsi que du paradoxe qu'il veut exprimer: Dieu a choisi dans le monde ce qui n'est pas, pour réduire à rien ce qui est (cf. 1Co 1,28). Pour exprimer la nature de la gratuité de l'amour révélé dans la Croix du Christ, l'Apôtre n'a pas peur d'utiliser le langage plus radical que les philosophes employaient dans leurs réflexions sur Dieu. La raison ne peut pas vider le mystère d'amour que la Croix représente, tandis que la Croix peut donner à la raison la réponse ultime qu'elle cherche. Ce n'est pas la sagesse des paroles, mais la Parole de la Sagesse que saint Paul donne comme critère de Vérité et, en même temps, de salut.

La sagesse de la Croix dépasse donc toutes les limites culturelles que l'on veut lui imposer et nous oblige à nous ouvrir à l'universalité de la vérité dont elle est porteuse. Quel défi est ainsi posé à notre raison et quel profit elle en retire si elle l'accepte! La philosophie, qui déjà par elle- même est en mesure de reconnaître le continuel dépassement de l'homme vers la vérité, peut, avec l'aide de la foi, s'ouvrir pour accueillir dans la " folie " de la Croix la critique authentique faite à tous ceux qui croient posséder la vérité, alors qu'ils l'étouffent dans l'impasse de leur système. Le rapport entre la foi et la philosophie trouve dans la prédication du Christ crucifié et ressuscité l'écueil contre lequel il peut faire naufrage, mais au-delà duquel il peut se jeter dans l'océan infini de la vérité. Ici se manifeste avec évidence la frontière entre la raison et la foi, mais on voit bien aussi l'espace dans lequel les deux peuvent se rencontrer.



CHAPITRE III INTELLEGO UT CREDAM


Avancer dans la recherche de la vérité

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L'évangéliste Luc rapporte dans les Actes des Apôtres que, durant ses voyages missionnaires, Paul arriva à Athènes. La cité des philosophes était remplie de statues représentant différentes idoles. Un autel frappa son attention et, saisissant aussitôt cette occasion, il définit un point de départ commun pour lancer l'annonce du kérygme: " Athéniens - dit-il -, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes. Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j'ai trouvé jusqu'à un autel avec l'inscription: "Au dieu inconnu". Eh bien! ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l'annoncer " (
Ac 17,22-23). À partir de là, saint Paul parle de Dieu comme créateur, comme de Celui qui transcende toute chose et qui donne la vie à tout. Il continue ensuite son discours ainsi: " Si d'un principe unique il a fait tout le genre humain pour qu'il habite sur toute la face de la terre, s'il a fixé des temps déterminés et les limites de l'habitat des hommes, c'était afin qu'ils cherchent la divinité pour l'atteindre, si possible, comme à tâtons et la trouver; aussi bien n'est-elle pas loin de chacun de nous " (Ac 17,26-27).

L'Apôtre met en lumière une vérité dont l'Eglise a toujours fait son profit: au plus profond du coeur de l'homme sont semés le désir et la nostalgie de Dieu. La liturgie du Vendredi saint le rappelle aussi avec force quand, invitant à prier pour ceux qui ne croient pas, elle nous fait dire: " Dieu éternel et tout-puissant, toi qui as créé les hommes pour qu'ils te cherchent de tout leur coeur et que leur coeur s'apaise en te trouvant ".(22) Il y a donc un chemin que l'homme peut parcourir s'il le veut; il part de la capacité de la raison de s'élever au-dessus de ce qui est contingent pour s'élancer vers l'infini.


(22) Ut te semper desiderando quaererent et inveniendo quiescerent: Missel romain.



De plusieurs façons et en des temps différents, l'homme a montré qu'il sait exprimer cet intime désir. La littérature, la musique, la peinture, la sculpture, l'architecture et tous les autres produits de son intelligence créatrice sont devenus des canaux par lesquels il exprime les aspirations de sa recherche. La philosophie, de façon particulière, a épousé ce mouvement et a exprimé, avec ses moyens et selon les modalités scientifiques qui lui sont propres, ce désir universel de l'homme.



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" Tous les hommes aspirent à la connaissance ",(23) et l'objet de cette aspiration est la vérité. La vie quotidienne elle-même montre que chacun éprouve de l'intérêt pour découvrir, au-delà du simple ouï-dire, comment sont vraiment les choses. L'homme est l'unique être dans toute la création visible qui, non seulement est capable de savoir, mais qui sait aussi connaître et, pour cela, il s'intéresse à la vérité réelle de ce qui lui apparaît. Personne ne peut être sincèrement indifférent à la vérité de son savoir. S'il découvre qu'il est faux, il le rejette; s'il peut, au contraire, en vérifier la vérité, il se sent satisfait. C'est la leçon de saint Augustin quand il écrit: " J'ai rencontré beaucoup de gens qui voulaient tromper, mais personne qui voulait se faire tromper ".(24) On pense à juste titre qu'une personne a atteint l'âge adulte quand elle peut discerner, par ses propres moyens, ce qui est vrai de ce qui est faux, en se formant un jugement sur la réalité objective des choses. C'est là l'objet de nombreuses recherches, en particulier dans le domaine des sciences, qui ont conduit au cours des derniers siècles à des résultats très significatifs, favorisant un authentique progrès de l'humanité tout entière.


(23) Aristote, Métaphysique, I, 1.
(24) Confessions, X, 23,33: CCL 27, p. 173.



La recherche réalisée dans le domaine pratique est aussi importante que celle qui est faite dans le domaine théorique : je veux parler de la recherche de la vérité sur le bien à accomplir. Par son agir éthique, en effet, la personne qui suit son libre et juste vouloir s'engage sur le chemin du bonheur et tend vers la perfection. Dans ce cas, il s'agit aussi de vérité. J'ai déjà exprimé cette conviction dans l'encyclique Veritatis splendor: " Il n'y a pas de morale sans liberté. (...) S'il existe un droit à être respecté dans son propre itinéraire de recherche de la vérité, il existe encore antérieurement l'obligation morale grave pour tous de chercher la vérité et, une fois qu'elle est connue, d'y adhérer ".(25)


(25) N. 34: AAS 85 (1993), p. 1161
VS 34.



Il est donc nécessaire que les valeurs choisies et poursuivies dans la vie soient vraies, parce que seules des valeurs vraies peuvent perfectionner la personne en accomplissant sa nature. Cette vérité des valeurs, l'homme la trouve non pas en se renfermant sur lui-même mais en s'ouvrant pour l'accueillir également dans les dimensions qui le dépassent. C'est là une condition nécessaire pour que chacun devienne lui-même et grandisse comme personne adulte et mûre.



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La vérité se présente initialement à l'homme sous une forme interrogative: la vie a-t-elle un sens? quel est son but? À première vue, l'existence personnelle pourrait se présenter comme radicalement privée de sens. Il n'est pas nécessaire d'avoir recours aux philosophes de l'absurde ni aux questions provocatrices qui se trouvent dans le livre de Job pour douter du sens de la vie. L'expérience quotidienne de la souffrance, la sienne propre et celle d'autrui, la vue de tant de faits qui à la lumière de la raison apparaissent inexplicables, suffisent à rendre inéluctable une question aussi dramatique que celle du sens.(26) Il faut ajouter à cela que la première vérité absolument certaine de notre existence, outre le fait que nous existons, est l'inéluctabilité de notre mort. Face à cette donnée troublante s'impose la recherche d'une réponse complète. Chacun veut - et doit - connaître la vérité sur sa fin. Il veut savoir si la mort sera le terme définitif de son existence ou s'il y a quelque chose qui dépasse la mort; s'il lui est permis d'espérer une vie ultérieure ou non. Il n'est pas sans signification que la pensée philosophique ait reçu de la mort de Socrate une orientation décisive et qu'elle en soit demeurée marquée depuis plus de deux millénaires. Il n'est donc pas du tout fortuit que, devant le fait de la mort, les philosophes se soient sans cesse reposé ce problème en même temps que celui du sens de la vie et de l'immortalité.


(26) Cf. Jean-Paul II, Lettre apostolique Salvifici doloris (11 février 1984), n. 9: AAS 76 (1984), pp. 209-210 SD 9.



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Personne ne peut échapper à ces questions, ni le philosophe ni l'homme ordinaire. De la réponse qui leur est donnée dépend une étape décisive de la recherche: est-il possible ou non d'atteindre une vérité universelle et absolue? En soi, toute vérité, même partielle, si elle est réellement une vérité, se présente comme universelle. Ce qui est vrai doit être vrai pour tous et pour toujours. En plus de cette universalité, cependant, l'homme cherche un absolu qui soit capable de donner réponse et sens à toute sa recherche: quelque chose d'ultime, qui se place comme fondement de toute chose. En d'autres termes, il cherche une explication définitive, une valeur suprême, au-delà de laquelle il n'y a pas, et il ne peut y avoir, de questions ou de renvois ultérieurs. Les hypothèses peuvent fasciner, mais elles ne satisfont pas. Pour tous vient le moment où, qu'on l'admette ou non, il faut ancrer son existence à une vérité reconnue comme définitive, qui donne une certitude qui ne soit plus soumise au doute.

Au cours des siècles, les philosophes ont cherché à découvrir et à exprimer une vérité de cet ordre, en donnant naissance à un système ou à une école de pensée. Toutefois, au-delà des systèmes philosophiques, il y a d'autres expressions dans lesquelles l'homme cherche à donner forme à sa propre " philosophie ": il s'agit de convictions ou d'expériences personnelles, de traditions familiales et culturelles ou d'itinéraires existentiels dans lesquels on s'appuie sur l'autorité d'un maître. En chacune de ces manifestations, ce qui demeure toujours vif est le désir de rejoindre la certitude de la vérité et de sa valeur absolue.



Les différents visages de la vérité de l'homme

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Il faut reconnaître que la recherche de la vérité ne se présente pas toujours avec une telle transparence et une telle cohérence. La nature limitée de la raison et l'inconstance du coeur obscurcissent et dévient souvent la recherche personnelle. D'autres intérêts d'ordres divers peuvent étouffer la vérité. Il arrive aussi que l'homme l'évite absolument, dès qu'il commence à l'entrevoir, parce qu'il en craint les exigences. Malgré cela, même quand il l'évite, c'est toujours la vérité qui influence son existence. Jamais, en effet, il ne pourrait fonder sa vie sur le doute, sur l'incertitude ou sur le mensonge; une telle existence serait constamment menacée par la peur et par l'angoisse. On peut donc définir l'homme comme celui qui cherche la vérité.



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Il n'est pas pensable qu'une recherche aussi profondément enracinée dans la nature humaine puisse être complètement inutile et vaine. La capacité même de chercher la vérité et de poser des questions implique déjà une première réponse. L'homme ne commencerait pas à chercher ce qu'il ignorerait complètement ou ce qu'il estimerait impossible à atteindre. Seule la perspective de pouvoir arriver à une réponse peut le pousser à faire le premier pas. De fait, c'est bien ce qui arrive normalement dans la recherche scientifique. Quand un savant, à la suite d'une intuition, se met à la recherche de l'explication logique et vérifiable d'un phénomène déterminé, il est convaincu dès le commencement qu'il trouvera une réponse et il ne cède pas devant les insuccès. Il ne juge pas inutile son intuition première seulement parce qu'il n'a pas atteint l'objectif; avec raison il dira plutôt qu'il n'a pas encore trouvé la réponse adéquate.

La même chose doit valoir aussi pour la recherche de la vérité dans le domaine des questions ultimes. La soif de vérité est tellement enracinée dans le coeur de l'homme que la laisser de côté mettrait l'existence en crise. En somme, il suffit d'observer la vie de tous les jours pour constater que chacun de nous porte en lui la hantise de quelques questions essentielles et en même temps garde dans son esprit au moins l'ébauche de leurs réponses. Ce sont des réponses dont on est convaincu de la vérité, notamment parce que l'on constate qu'en substance elles ne diffèrent pas des réponses auxquelles sont arrivés beaucoup d'autres. Certes, toute vérité acquise ne possède pas la même valeur. Cependant, la capacité que l'être humain a de parvenir, en principe, à la vérité est confirmée par l'ensemble des résultats atteints.



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Il peut être utile, maintenant, de faire une brève allusion aux diverses formes de vérité. Les plus nombreuses sont celles qui reposent sur des évidences immédiates ou qui sont confirmées par l'expérience. C'est là l'ordre de vérité de la vie quotidienne et de la recherche scientifique. À un autre niveau se trouvent les vérités de caractère philosophique, que l'homme atteint grâce à la capacité spéculative de son intelligence. Enfin, il y a les vérités religieuses, qui en quelque mesure s'enracinent aussi dans la philosophie. Elles sont contenues dans les réponses que les différentes religions offrent aux questions ultimes selon leurs traditions.(27)


(27) Cf. Conc. Oecum. Vat. II, Déclaration sur les relations de l'Eglise avec les religions non chrétiennes Nostra aetate, n. 2
NAE 2.



Quant aux vérités philosophiques, il faut préciser qu'elles ne se limitent pas aux seules doctrines, parfois éphémères, des philosophes de profession. Tout homme, comme je l'ai déjà dit, est, d'une certaine manière, un philosophe et possède ses conceptions philosophiques avec les quelles il oriente sa vie. D'une façon ou d'une autre, il se constitue une vision globale et une réponse sur le sens de son existence: il interprète sa vie personnelle et règle son comportement à cette lumière. C'est là que devrait se poser la question du rapport entre la vérité philosophico-religieuse et la vérité révélée en Jésus Christ. Avant de répondre à ce problème, il est opportun de tenir compte d'un donné ultérieur de la philosophie.



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L'homme n'est pas fait pour vivre seul. Il naît et grandit dans une famille, pour s'introduire plus tard par son travail dans la société. Dès la naissance, il se trouve donc intégré dans différentes traditions, dont il reçoit non seulement son langage et sa formation culturelle, mais aussi de multiples vérités auxquelles il croit presque instinctivement. En tout cas, la croissance et la maturation personnelles impliquent que ces vérités elles-mêmes puissent être mises en doute et soumises à l'activité critique de la pensée. Cela n'empêche pas que, après ce passage, ces mêmes vérités soient " retrouvées " sur la base de l'expérience qui en est faite ou, par la suite, en vertu du raisonnement. Malgré cela, dans la vie d'un homme, les vérités simplement crues demeurent beaucoup plus nombreuses que celles qu'il acquiert par sa vérification personnelle. Qui, en effet, serait en mesure de soumettre à la critique les innombrables résultats des sciences sur lesquels se fonde la vie moderne? Qui pourrait contrôler pour son compte le flux des informations qui jour après jour parviennent de toutes les parties du monde et que l'on tient généralement pour vraies? Qui, enfin, pourrait reparcourir les chemins d'expérience et de pensée par lesquels se sont accumulés les trésors de sagesse et de religiosité de l'humanité? L'homme, être qui cherche la vérité, est donc aussi celui qui vit de croyance.



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Dans son acte de croire, chacun se fie aux connaissances acquises par d'autres personnes. On peut observer là une tension significative: d'une part, la connaissance par croyance apparaît comme une forme imparfaite de connaissance, qui doit se perfectionner progressivement grâce à l'évidence atteinte personnellement; d'autre part, la croyance se révèle souvent humainement plus riche que la simple évidence, car elle inclut un rapport interpersonnel et met en jeu non seulement les capacités cognitives personnelles, mais encore la capacité plus radicale de se fier à d'autres personnes, et d'entrer dans un rapport plus stable et plus intime avec elles.

Il est bon de souligner que les vérités recherchées dans cette relation interpersonnelle ne sont pas en premier lieu d'ordre factuel ou d'ordre philosophique. Ce qui est plutôt demandé, c'est la vérité même de la personne: ce qu'elle est et ce qu'elle exprime de son être profond. La perfection de l'homme, en effet, ne se trouve pas dans la seule acquisition de la connaissance abstraite de la vérité, mais elle consiste aussi dans un rapport vivant de donation et de fidélité envers l'autre. Dans cette fidélité qui sait se donner, l'homme trouve pleine certitude et pleine sécurité. En même temps, cependant, la connaissance par croyance, qui se fonde sur la confiance interpersonnelle, n'est pas sans référence à la vérité: en croyant, l'homme s'en remet à la vérité que l'autre lui manifeste.

Que d'exemples on pourrait apporter pour illustrer ces données! Mais ma pensée se tourne d'emblée vers le témoignage des martyrs. Le martyr, en réalité, est le témoin le plus vrai de la vérité de l'existence. Il sait qu'il a trouvé dans la rencontre avec Jésus Christ la vérité sur sa vie, et rien ni personne ne pourra jamais lui arracher cette certitude. Ni la souffrance ni la mort violente ne pourront le faire revenir sur l'adhésion à la vérité qu'il a découverte dans la rencontre avec le Christ. Voilà pourquoi jusqu'à ce jour le témoignage des martyrs fascine, suscite l'approbation, rencontre l'écoute et est suivi. C'est la raison pour laquelle on se fie à leur parole; on découvre en eux l'évidence d'un amour qui n'a pas besoin de longues argumentations pour être convaincant, du moment qu'il parle à chacun de ce que, au plus profond de lui- même, il perçoit déjà comme vrai et qu'il recherche depuis longtemps. En somme, le martyr suscite en nous une profonde confiance, parce qu'il dit ce que nous sentons déjà et qu'il rend évident ce que nous voudrions nous aussi trouver la force d'exprimer.



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On peut voir ainsi que les termes de la question se complètent progressivement. L'homme, par nature, recherche la vérité. Cette recherche n'est pas destinée seulement à la conquête de vérités partielles, observables, ou scientifiques; l'homme ne cherche pas seulement le vrai bien pour chacune de ses décisions. Sa recherche tend vers une vérité ultérieure qui soit susceptible d'expliquer le sens de la vie; c'est donc une recherche qui ne peut aboutir que dans l'absolu.(28) Grâce aux capacités inhérentes à la pensée, l'homme est en mesure de rencontrer et de reconnaître une telle vérité. En tant que vitale et essentielle pour son existence, cette vérité est atteinte non seulement par une voie rationnelle, mais aussi par l'abandon confiant à d'autres personnes, qui peuvent garantir la certitude et l'authenticité de la vérité même. La capacité et le choix de se confier soi-même et sa vie à une autre personne constituent assurément un des actes anthropologiquement les plus significatifs et les plus expressifs.


(28) C'est là une argumentation que je poursuis depuis longtemps et que j'ai exprimée en différentes occasions: " "Qu'est-ce que l'homme? À quoi sert-il? Quel est son bien et quel est son mal?" (
Si 18,8) (...) Ces questions sont au coeur de tout homme, comme le montre bien le génie poétique de tout temps et de tous les peuples qui, comme prophétie de l'humanité, repose continuellement la question sérieuse qui rend l'homme vraiment homme. Elles expriment l'urgence de trouver un pourquoi à l'existence à chacun de ses moments, à ses étapes importantes et décisives ainsi qu'à ses moments les plus ordinaires. Ces questions témoignent du bien-fondé profond de l'existence humaine car l'intelligence et la volonté de l'homme y sont sollicitées pour qu'elles cherchent librement la solution capable d'offrir un sens plein à la vie. Ces interrogations constituent donc l'expression la plus haute de la nature de l'homme et, par conséquent, la réponse qu'il leur donne est la mesure de la profondeur de son engagement à travers sa propre existence. En particulier, lorsqu'il cherche à connaître intégralement le pourquoi des choses et qu'il va à la recherche de la réponse ultime et la plus exhaustive, alors la raison humaine touche son sommet et s'ouvre à la religiosité. En effet, la religiosité représente l'expression la plus élevée de la personne humaine car elle est le sommet de sa nature rationnelle. Elle jaillit de l'aspiration profonde de l'homme à la vérité et elle est à la base de la recherche libre et personnelle qu'elle fait du divin " (Audience générale du 19 octobre 1983, nn. 1-2: La Documentation catholique 80 (1983), pp. 1071-1072).



Il ne faut pas oublier que la raison elle-même a besoin d'être soutenue dans sa recherche par un dialogue confiant et par une amitié sincère. Le climat de soupçon et de méfiance, qui parfois entoure la recherche spéculative, oublie l'enseignement des philosophes antiques, qui considéraient l'amitié comme l'un des contextes les plus adéquats pour bien philosopher.

De ce que j'ai dit jusqu'ici, il résulte que l'homme est engagé sur la voie d'une recherche humainement sans fin: recherche de vérité et recherche d'une personne à qui faire confiance. La foi chrétienne lui vient en aide en lui donnant la possibilité concrète de voir aboutir cette recherche. Dépassant le stade de la simple croyance, en effet, elle introduit l'homme dans l'ordre de la grâce qui lui permet de participer au mystère du Christ, dans lequel lui est offerte la connaissance vraie et cohérente du Dieu Un et Trine. Ainsi, en Jésus Christ, qui est la Vérité, la foi reconnaît l'ultime appel adressé à l'humanité, pour qu'elle puisse accomplir ce qu'elle éprouve comme désir et comme nostalgie.



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Cette vérité que Dieu nous révèle en Jésus Christ n'est pas en contradiction avec les vérités que l'on atteint en philosophant. Les deux ordres de connaissance conduisent au contraire à la vérité dans sa plénitude. L'unité de la vérité est déjà un postulat fondamental de la raison humaine, exprimé dans le principe de non contradiction. La Révélation donne la certitude de cette unité, en montrant que le Dieu créateur est aussi le Dieu de l'histoire du salut. Le même et identique Dieu, qui fonde et garantit l'intelligibilité et la justesse de l'ordre naturel des choses sur lesquelles les savants s'appuient en toute confiance,(29) est celui-là même qui se révèle Père de notre Seigneur Jésus Christ. Cette unité de la vérité, naturelle et révélée, trouve son identification vivante et personnelle dans le Christ, ainsi que le rappelle l'Apôtre: " La vérité qui est en Jésus " (
Ep 4,21 Col 1,15-20). Il est la Parole éternelle en laquelle tout a été créé, et il est en même temps la Parole incarnée, que le Père révèle dans toute sa personne (cf. Jn 1,14 Jn 1,18).(30) Ce que la raison humaine cherche " sans le connaître " (cf. Ac 17,23) ne peut être trouvé qu'à travers le Christ: ce qui se révèle en lui est, en effet, la " pleine vérité " (cf. Jn 1,14-16) de tout être qui a été créé en lui et par lui et qui ensuite trouve en lui son accomplissement (cf. Col 1,17).


(29) " (Galilée) a déclaré explicitement que les deux vérités, de foi et de science, ne peuvent jamais se contredire, "l'Ecriture sainte et la nature procédant également du Verbe divin, la première comme dictée par l'Esprit Saint, la seconde comme exécutrice très fidèle des ordres de Dieu", comme il l'a écrit dans sa lettre au Père Benedetto Castelli le 21 décembre 1613. Le Concile Vatican II ne s'exprime pas autrement; il reprend même des expressions semblables lorsqu'il enseigne: "La recherche méthodique, dans tous les domaines du savoir, si elle (...) suit les normes de la morale, ne sera jamais réellement opposée à la foi: les réalités profanes et celles de la foi trouvent leur origine dans le même Dieu" (GS 36). Galilée ressent dans sa recherche scientifique la présence du Créateur qui le stimule, qui prévient et aide ses intuitions, en agissant au plus profond de son esprit " (Jean-Paul II, Discours à l'Académie pontificale des sciences, 10 novembre 1979: La Documentation catholique 76 (1979), p. 1010).
(30) Cf. Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 4 DV 4.



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A partir de ces considérations générales, il faut maintenant examiner de façon plus directe le rapport entre la vérité révélée et la philosophie. Ce rapport impose une double considération, du fait que la vérité qui nous provient de la Révélation est en même temps une vérité comprise à la lumière de la raison. En effet, c'est seulement dans cette double acception qu'il est possible de préciser la juste relation de la vérité révélée avec le savoir philosophique. Nous considérerons donc en premier lieu les rapports entre la foi et la philosophie au cours de l'histoire. De là il sera possible de discerner quelques principes qui constituent les points de référence auxquels se rapporter pour établir la relation juste entre les deux ordres de connaissance.




1998 Fides et Ratio 15