Gênes, du Purgatoire - la joie

19. La sainte conclut son exposé sur les âmes du

purgatoire en leur attri

Cette forme de purification que je vois appliquée aux âmes du purgatoire, je l'éprouve dans mon esprit, surtout depuis deux ans. De jour en jour je la ressens et la vois plus clairement.

Mon âme, à ce que je vois, est dans ce corps comme dans un purgatoire, mais à la mesure réduite que le corps peut supporter, pour éviter qu'il ne meure. Néanmoins cela s'aggrave peu à peu, jusqu'à ce qu'enfin mort s'ensuive.

Je vois l'esprit rendu étranger à toute chose, même d'ordre spirituel, où il pourrait trouver quelque aliment, comme serait joie, plaisir, consolation. Il est hors d'état de prendre goût à quelque chose que ce soit, temporelle ou spirituelle, ni par la volonté, ni par l'entendement, ni par la mémoire. Il m'est devenu impossible de dire: je prends plus plaisir à ceci qu'à cela.

Mon intérieur est assiégé. De toute chose qui portait rafraîchissement à sa vie spirituelle et corporelle il a été dépouillé petit à petit. Chaque fois qu'une de ces choses lui est enlevée il reconnaît qu'elle était de nature à lui donner aliment et réconfort. Aussitôt que l'esprit en prend conscience, il les prend en haine et en abomination et elles s'en vont sans aucun remède.

La raison en est que l'esprit porte en soi l'instinct de se débarrasser de toute chose qui puisse faire obstacle à sa perfection. Il s'y acharne au point qu'il irait presque jusqu'à se laisser mettre en enfer pour atteindre à son but.

Il va rejetant toute chose dont l'homme intérieur pourrait se nourrir, il l'investit de façon si subtile que ne peut passer le moindre fétu d'imperfection sans qu'il ne l'aperçoive et ne le prenne en horreur.

Quant à la partie extérieure, puisque l'esprit n'a plus de correspondance avec elle, elle aussi est assiégée étroitement; il lui devient impossible de se rafraîchir au gré de son instinct humain.

Il ne lui reste d'autre soutien que Dieu. C'est lui qui opère tout cela par amour et avec grande miséricorde pour satisfaire à sa justice.

Cette vue donne à l'esprit grande paix et contentement. Mais ce contentement ne diminue en rien la souffrance ni la compression qu'il subit. Jamais la souffrance ne pourrait devenir cruelle au point qu'il puisse désirer de se dégager de ce que Dieu dispose à son sujet. Il ne sort pas de sa prison, il ne cherche pas à en sortir, tant que Dieu n'aura pas accompli en lui tout ce qui est nécessaire. Ce qui me contente c'est que Dieu soit satisfait. Il n'y aurait pas pour moi de souffrance pire que de m'écarter des desseins de Dieu sur moi, tant j'y vois de justice et de miséricorde.

Tout ce qui vient d'être dit, je le vois, je le touche , mais je n'arrive pas à trouver d'expressions satisfaisantes pour le dire comme je voudrais. Ce que j'en ai dit, je le sens s'opérer en moi spirituellement et c'est pour cela que je l'ai dit.

La prison dans laquelle je me vois, c'est le monde; la chaîne, c'est le corps. L'âme illuminée par la grâce, c'est elle qui connaît l'importance d'être retenue ou retardée d'atteindre sa fin, par quelque empêchement que ce soit. Cela lui cause une peine extrême, car elle est d'une sensibilité aiguë.

De plus, cette âme reçoit de Dieu une certaine dignité qui la rend semblable à Dieu même. Il la fait une même chose avec lui en la rendant participante de sa bonté.

Et comme il est impossible qu'une peine quelconque atteigne Dieu, ainsi en advient-il des âmes qui s'approchent de lui. Plus elles s'approchent, plus aussi elles reçoivent de ce qui est propre à la divinité.

Par suite, le retardement qui atteint l'âme lui cause une souffrance intolérable. Cette souffrance et ce retard la rendent dissemblable de ces propriétés qu'elle avait de nature, et que la grâce lui montre; elle est empêchée d'y atteindre, alors qu'elle y est apte, et cela lui cause une souffrance très grande, à la mesure de l'estime qu'elle a de Dieu.

Mieux elle le connaît, plus elle l'estime; plus elle est dégagée du péché, mieux elle le connaît. A mesure aussi, l'empêchement lui devient plus terrible d'autant plus que l'âme est toute recueillie en Dieu et rien ne l'empêche de le connaître sans aucune erreur.

L'homme qui est prêt à se laisser tuer plutôt que d'offenser Dieu ressent la mort et en éprouve toute la peine. Mais dans le zèle que lui donne la lumière divine, il place l'honneur de Dieu au-dessus de la mort.

Ainsi l'âme qui connaît les desseins de Dieu en fait plus de cas que de toute torture intérieure ou extérieure, si grande qu'elle soit. C'est que Dieu qui opère en elle ces choses dépasse tout ce qu'on peut en ressentir ou imaginer.

L'occupation, pour faible qu'elle soit, que Dieu donne de lui-même à une âme l'absorbe en lui au point qu'elle ne peut tenir compte de rien d'autre. Par suite elle perd tout retour sur soi, elle ne voit plus rien en elle-même, ni dommage ni peine, elle n'en parle pas, elle n'en sait plus rien. Un instant seulement elle en a connaissance, comme il a été dit, au moment qu'elle sort de cette vie.

Finalement, tirons cette conclusion: Dieu fait perdre à l'homme tout ce qui est de l'homme, et le purgatoire le purifie.
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Gênes, du Purgatoire - la joie