Gregoire Nysse, à Olympios - CONCLUSION

CONCLUSION

Et maintenant, à quoi bon prolonger plus avant ce discours qui expose, en les recensant à la suite, tous les termes qui explicitent le Nom du Christ et qui ont le pouvoir de nous conduire vers la vie selon la sainteté, vu que chacun de ses Titres nous aide souverainement pour sa part, grâce à la signification qu'il a en propre, à acquérir la perfection de la vie? Par contre, j'estime avantageux touchant ce qui demeure présent à notre souvenir, que la mémoire le réduise en un condensé, en sorte que nous ayons comme un fil d'Ariane pour nous mener au but de notre traité, établi dès le point de départ par cette interrogation: comment un homme peut-il bien se maintenir dans un état parfait? J'ai, en effet, ce sentiment: si un homme fait de ce condensé l'objet constant de ses méditations, il est solidaire du Nom auquel on rend ses adorations, tandis qu'il prend le nom de chrétien comme il a paru bon aux apôtres, (solidaire) aussi nécessairement des autres noms que la pensée assigne au Christ, dont il manifestera en sa personne la Puissance, puisqu'il est devenu solidaire, toute sa vie durant, de chacune de ses Dénominations.

Je prends un exemple; il y a trois choses qui caractérisent la vie du chrétien: l'action, la parole et la pensée; ce qui, parmi elles, tient le premier rang par rapport aux autres, c'est la pensée. L'activité mentale, en effet, est à l'origine de toute parole; en second après l'opération de l'esprit, vient la parole qui rend compte, par la voix, de l'empreinte, reçue dans l'âme, de l'activité mentale; la troisième place, après l'intelligence et la parole, est occupée par l'action qui amène à se réaliser ce que l'on a conçu. Ainsi, dans le cours de la vie, à chaque impulsion reçue vers quelqu'une de ces activités, il est avantageux touchant chacune d'elles, tant l'expression que la pratique et la pensée, de faire un examen minutieux de ces objets de pensée sacrés que sont les notions et les noms concernant le Christ; car on peut craindre de voir emportées hors de l'influence puissante attachées à ces noms d'en haut, aussi bien nos oeuvres que nos paroles ou que notre pensée. Paul dit en effet: "Tout ce qui ne procède pas d'une conviction de foi est péché"; de même peut-on, par voie de conséquence, mettre en pleine lumière les réflexions qui suivent: tout ce qui ne vise pas Christ dans notre langage, dans nos oeuvres ou dans nos intentions, regarde en totalité le monde hostile au Christ. Non, il est impossible à ce qui se rend étranger à la lumière ou à la vie, de ne pas appartenir en totalité aux ténèbres ou à la mort. Si donc ce qu'un homme accomplit, ce qu'il dit et ce qu'il pense d'une manière non conforme au Christ s'associe au monde hostile au bien, le fruit évident de ce qu'il fait, de ce qu'il pense ou des paroles qu'il prononce, c'est-à-dire: le rejet du Christ par cet homme qui s'est détaché de Lui, sera, pour tout le monde, chose évidente.

Elle est donc véridique, la voix inspirée du psalmiste, qui déclare: "J'ai rangé au nombre de ceux qui méprisent (Dieu), tous les pécheurs de la terre". Car celui qui renie le Christ au sein des persécutions est contempteur du Nom auquel on rend ses adorations; et pareillement quiconque renie la vérité, la justice, la sainteté ou l'incorruptibilité, ou encore rejette de sa vie, s'il vient à subir l'oppression qu'exercent les épreuves, quelque autre disposition ayant une affinité, selon nous, avec la sainteté, cet homme reçoit du psaume le nom de contempteur, puisqu'ii méprise, par sa vie, à travers chacune de ces dispositions, Celui qui est ces dispositions mêmes.

Que lui faut-il donc faire, à celui qui est jugé digne de porter l'excellent surnom de chrétien? Quoi d'autre, sinon d'ordonner continuellement en lui-même ses intentions, ses paroles et ses actes, selon que chacun d'eux aboutit au Christ ou s'oppose à Lui? Or considérable est la facilité qu'il y a à départager semblables opérations; car ce que l'on accomplit, ce qui se forme dans l'esprit ou se que l'on exprime sous l'influence de quelque passion, n'a rien qui s'accorde avec le Christ, mais porte le cachet de son adversaire: à l'égal d'une boue fangeuse, il enduit de passions mauvaises la perle de l'âme, en ternissant gravement l'éclat de la pierre de grand prix. En revanche, ce qui est pur de toute affection passionnelle, se tourne vers le Principe de l'apatheia, qui est le Christ; c'est en Lui, comme dans une source pure et incorruptible, qu'on puise, en vue de son bien propre, les intentions (de ses actes), si bien qu'on manifeste en soi la ressemblance avec le Modèle, comme on trouve la ressemblance avec l'eau, pour l'eau qui jaillit de la source et pour l'eau de la source qui a coulé dans l'amphore. Il n'y a, en effet, par nature, qu'une pureté, celle qui est dans le Christ et celle qui se voit dans celui qui participe de Lui; mais elle est dans le Premier comme en sa source, en celui qui y participe comme en sa dérivation, tandis qu'il fait passer dans la pratique de la vie la grâce incluse dans ses intentions; en sorte que l'accord s'établit entre la part cachée de l'homme et celle qui se voit, puisqu'une vie décente accompagne nos intentions, dont l'affinité au Christ est l'élément moteur.



LA PERFECTION CHRÉTIENNE


En bref, à mon avis du moins, l'essence de la perfection dans la vie chrétienne consiste en la communication, au niveau de l'âme, de l'expression et de la manière de vivre avec l'ensemble des Noms du Christ qui nous donnent la signification de son Nom, en sorte que nous prenions sur nous-mêmes la bénédiction de Paul appelant une sanctification intégrale, en nous gardant constamment au niveau de l'être tout entier, l'esprit, l'âme et le corps, du commerce avec le mal.

Or, si l'on objectait la difficulté que nous avons à atteindre le bien, vu que le Seigneur de la création est seul à ne point changer, tandis que la nature humaine est changeante et que la mobilité est son comportement à elle (comment donc est-il possible de se maintenir ferme et inébranlable dans le bien avec la versatilité de notre nature?), eh bien, nous prétendons répondre à une objection de ce genre: on ne peut être couronné sans avoir respecté les règles de la compétition! Et point de compétition régulière, en absence d'un concurrent. Si donc il manquait un adversaire, la couronne également ferait défaut: la victoire ne tombe point comme cela du ciel, il faut une défaite! Par conséquent, luttons contre l'instabilité même de notre nature, attaquons-nous intérieurement à elle comme à un adversaire pour ainsi dire, et devenons vainqueurs, non par la destruction de notre nature, mais en la sauvegardant de la chute. Et de fait, ce n'est pas uniquement dans le sens du mal que verse la mobilité de l'homme, car il serait impossible assurément à ce dernier de s'engager dans le bien, si le poids de sa nature l'entraînait uniquement du côté opposé; mais, en réalité, la conversion la plus noble qu'elle peut accomplir, c'est la croissance dans les biens spirituels, puisque le mouvement vers un état meilleur opère de façon continue la divinisation progressive de celui qui est mû par une noble fin. Ainsi ce qui paraissait redoutable (je veux dire la mobilité de notre nature) s'est révélé dans mon propos comme l'aile d'un oiseau, donnée pour s'envoler vers des sommets plus élevés; c'eût été pour nous en revanche un châtiment que de nous voir refuser l'aptitude au progrès. Il ne faut donc point qu'il se désole, celui qui constate dans notre nature son inclination propre au changement, mais qu'il se tourne vers un bien supérieur par une évolution continue, "qu'il se transforme d'un moindre degré de gloire en une gloire plus éclatante", qu'il ne laisse pas de s'améliorer par un progrès quotidien, en poursuivant sans cesse la perfection, sans jamais parvenir à son terme.

Car telle est la perfection véritable: ne jamais s'arrêter, accroître son effort vers un nouveau palier et ne mettre aucune borne à la perfection.




Gregoire Nysse, à Olympios - CONCLUSION