1965 Gaudium et Spes 80
80 Le progrès de l'armement scientifique accroît démesurément l'horreur et la perversion de la guerre. Les actes belliqueux, lorsqu'on emploie de telles armes, peuvent en effet causer d'énormes destructions, faites sans discrimination, qui du coup vont très au-delà des limites d'une légitime défense. Qui plus est, si l'on utilisait complètement les moyens déjà stockés dans les arsenaux des grandes puissances, il n'en résulterait rien de moins que l'extermination presque totale et parfaitement réciproque de chacun des adversaires par l'autre, sans parler des nombreuses dévastations qui s'ensuivraient dans le monde et des effets funestes découlant de l'usage de ses armes.
Tout cela nous force à reconsidérer la guerre dans un esprit entièrement nouveau (2). Que les hommes d'aujourd'hui sachent qu'ils auront de lourds comptes à rendre de leurs actes de guerre. Car le cours des âges à venir dépendra pour beaucoup de leurs décisions d'aujourd'hui.
Dans une telle conjoncture, faisant siennes les condamnations de la guerre totale déjà prononcées par les derniers papes (3), ce saint Synode déclare:
Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre Dieu et contre l'homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation.
Le risque particulier de la guerre moderne consiste en ce qu'elle fournit pour ainsi dire l'occasion à ceux qui possèdent des armes scientifiques plus récentes de commettre de tels crimes; et, par un enchaînement en quelque sorte inexorable, elle peut pousser la volonté humaine aux plus atroces décisions. Pour que jamais plus ceci ne se produise, les évêques du monde entier, rassemblés et ne faisant qu'un, adjurent tous les hommes, tout particulièrement les chefs d'Etat et les autorités militaires, de peser à tout instant une responsabilité aussi immense devant Dieu et devant toute l'humanité.
Notes:
(2) cf. XXIII, Pacem in terris, 11.04.63: AAS 55 (1963), p.291."C'est pourquoi, en cette époque, la nôtre, qui se glorifie de la force atomique, il est déraisonnable de penser que la guerre est encore un moyen adapté pour obtenir justice de la violation des droits".
(3) cf. Pie XII, alloc. du 30.09.54: AAS 46 (1954), p. 589. 24.12.54: AAS 47 (1955), pp. 15 ss. XXIII, Pacem in terris: AAS 55 (1963), pp. 286-291. Paul VI, Alloc. au Conseil des N.U. 4.10.65: AAS 55 (1965), pp.877-885.
81 Les armes scientifiques, il est vrai, n'ont pas été accumulées dans la seule intention d'être employées en temps de guerre. En effet, comme on estime que la puissance défensive de chaque camp dépend de la capacité foudroyante d'exercer des représailles, cette accumulation d'armes, qui s'aggrave d'année en année, sert d'une manière paradoxale à détourner des adversaires éventuels. Beaucoup pensent que c'est là le plus efficace des moyens susceptibles d'assurer aujourd'hui une certaine paix entre les nations.
Quoi qu'il en soit de ce procédé de dissuasion, on doit néanmoins se convaincre que la course aux armements, à laquelle d'assez nombreuses nations s'en remettent, ne constitue pas une voie sûre pour le ferme maintien de la paix et que le soi-disant équilibre qui en résulte n'est ni une paix stable, ni une paix véritable. Bien loin d'éliminer ainsi les causes de guerre, on risque au contraire de les aggraver peu à peu. Tandis qu'on dépense des richesses fabuleuses dans la préparation d'armes toujours nouvelles, il devient impossible de porter suffisamment remède à tant de misères présentes de l'univers. Au lieu d'apaiser véritablement et radicalement les conflits entre nations, on en répand plutôt la contagion à d'autres parties du monde. Il faudra choisir des voies nouvelles en partant de la réforme des esprits pour en finir avec ce scandale et pour pouvoir ainsi libérer le monde de l'anxiété qui l'opprime et lui rendre une paix véritable.
C'est pourquoi il faut derechef déclarer: la course aux armements est une plaie extrêmement grave de l'humanité et lèse les pauvres d'une manière intolérable. Et il est bien à craindre que, si elle persiste, elle n'enfante un jour les désastres mortels dont elle préparer déjà les moyens.
Avertis des catastrophes que le genre humain a rendues possibles, mettons à profit le délai dont nous jouissons et qui nous est concédé d'en haut pour que, plus conscients de nos responsabilités personnelles, nous trouvions les méthodes qui nous permettront de régler nos différents d'une manière plus digne de l'homme. La Providence divine requiert instamment de nous que nous nous libérions de l'antique servitude de la guerre.0 Où nous conduit la voie funeste sur laquelle nous nous sommes engagés si nous nous refusons à faire cet effort, nous l'ignorons.
82 Il est donc clair que nous devons tendre à préparer de toutes nos forces ce moment où, de l'assentiment général des nations, toute guerre pourra être absolument interdite. Ce qui assurément, requiert l'institution d'une autorité publique universelle, reconnue par tous, qui jouisse d'une puissance efficace, susceptible d'assurer à tous la sécurité, le respect de la justice et la garantie des droits. Mais, avant que cette autorité souhaitable puisse se constituer, il faut que les instances internationales suprêmes d'aujourd'hui s'appliquent avec énergie à l'étude des moyens les plus capables de procurer la sécurité commune. Comme la paix doit naître de la confiance mutuelle entre peuples au lieu d'être imposée aux nations par la terreur des armes, tous doivent travailler à mettre enfin un terme à la course aux armements. Pour que la réduction des armements commence à devenir une réalité&, elle ne doit certes pas se faire d'une manière unilatérale, mais à la même cadence, en vertu d'accords, et être assortie de garanties véritables et efficaces (4).
En attendant, il ne faut pas sous-estimer les efforts qui ont déjà été faits et qui continuent de l'être en vue d'écarter le danger de la guerre. Il faut plutôt soutenir la bonne volonté de ceux qui, très nombreux, accablés par les soucis considérables de leurs hautes charges, mais poussés par la conscience de leurs très lourdes responsabilités, s'efforcent d'éliminer la guerre dont ils ont horreur, tout en ne pouvant cependant pas faire abstraction de la complexité des choses telles qu'elles sont. D'autre part, il faut instamment prier Dieu de leur donner l'énergie d'entreprendre avec persévérance et de poursuivre avec force cette oeuvre d'immense amour des hommes qu'est la construction virile de la paix. De nos jours, ceci exige très certainement d'eux qu'ils ouvrent leur intelligence et leur coeur au-delà des frontières de leur propre pays, qu'ils renoncent à l'égoïsme national et au désir de dominer les autres nations, et qu'ils entretiennent un profond respect envers toute l'humanité, qui s'avance avec tant de difficultés vers une plus grande unité.
En ce qui regarde les problèmes de la paix et du désarmement, il faut tenir compote des études approfondies, courageuses et inlassables déjà effectuées et des congrès internationaux qui ont traité de ce sujet, et les regarder comme un premier pas vers la solution de si graves questions; à l'avenir, il faut les poursuivre de façon encore plus vigoureuse si l'on veut obtenir des résultats pratiques. Que l'on prenne garde cependant de ne point s'en remettre aux seuls efforts de quelques-uns, sans se soucier de son état d'esprit personnel. Car les chefs d'Etat, qui sont les répondants du bien commun de leur propre nation et en même temps les promoteurs du bien universel, sont très dépendants des opinions et des sentiments de la multitude. Il leur est inutile de chercher à faire la paix tant que les sentiments d'hostilité, de mépris et de défiance, tant que les haines raciales et les partis pris idéologiques divisent les hommes et les opposent. D'où l'urgence et l'extrême nécessité d'un renouveau dans la formation des mentalités et d'un changement de ton dans l'opinion publique. Que ceux qui se consacrent à une oeuvre d'éducation, en particulier auprès des jeunes, ou qui forment l'opinion publique, considèrent comme leur plus grave devoir celui d'inculquer à tous les esprits de nouveaux sentiments générateurs de paix. Nous avons tous assurément à changer notre coeur et à ouvrir les yeux sur le monde, comme sur les tâches que nous pouvons entreprendre tous ensemble pour le progrès du genre humain.
Ne nous leurrons pas de fausses espérances. En effet, si, inimitiés et haines écartées, nous ne concluons pas des pactes solides et honnêtes assurant pour l'avenir une paix universelle, l'humanité, déjà en grand péril, risque d'en venir, malgré la possession d'une science admirable, à cette heure funeste où elle ne pourra plus connaître d'autre paix que la paix redoutable de la mort. Mais au moment même où l'Eglise du Christ, partageant les angoisses de ce temps, prononce de telles paroles, elle n'abandonne pas pour autant une très ferme espérance. Ce qu'elle veut, c'est encore et encore, à temps et à contretemps, présenter à notre époque le message qui lui vient des apôtres: "Le voici maintenant le temps favorable" de la conversion des coeurs "le voici maintenant le jour du salut"(5).
Notes:
(4) cf. XXIII, Pacem in terris où il est question de la réduction des armements AAS 55 (1963), p. 287.
(5) cf. 2Co 6,2
83 Pour bâtir la paix, la toute première condition est l'élimination des causes de discorde entre les hommes: elles nourrissent les guerres, à commencer par les injustices. Nombre de celles-ci proviennent d'excessives inégalités d'ordre économique, ainsi que du retard à y apporter les remèdes nécessaires. D'autres naissent de l'esprit de domination, du mépris des personnes et, si nous allons aux causes plus profondes, de l'envie, de la méfiance, de l'orgueil et des autres passions égoïstes. Comme l'homme ne peut supporter tant de désordres, il s'ensuit que le monde, même lorsqu'il ne connaît pas les atrocités de la guerre, n'en est pas moins continuellement agité par des rivalités et des actes de violence. En outre, comme ces maux se retrouvent dans les rapports entre les nations elles-mêmes, il est absolument indispensable que, pour les vaincre ou les prévenir, et pour réprimer le déchaînement des violences, les institutions internationales développent et affermissent leur coopération et leur coordination; et que l'on provoque sans se lasser la création d'organismes promoteurs de paix.
84 Au moment où se développent les liens d'une étroite dépendance entre tous les citoyens et tous les peuples de la terre, une recherche adéquate et une réalisation plus efficace du bien commun universel exigent dès maintenant que la communauté des nations s'organise selon un ordre qui corresponde aux tâches actuelles - principalement en ce qui concerne ces nombreuses régions souffrant encore d'une disette intolérable.
Pour atteindre ces fins, les institutions de la communauté internationale doivent, chacune pour sa part, pourvoir aux divers besoins des hommes aussi bien dans le domaine de la vie sociale (alimentation, santé, éducation, travail s'y rapportent), que pour faire face à maintes circonstances particulières qui peuvent surgir ici où là: par exemple, la nécessité d'aider la croissance générale des nations en voie de développement, celle de subvenir aux misères des réfugiés dispersés dans le monde entier, celle encore de fournir assistance aux émigrants et à leurs familles.
Les institutions internationales déjà existantes, tant mondiales que régionales, ont certes bien mérité du genre humain. Elles apparaissent comme les premières esquisses des bases internationales de la communauté humaine tout entière pour résoudre les questions les plus importantes de notre époque: promouvoir le progrès en tout lieu de la terre et prévenir la guerre sous toutes ses formes. Dans tous ces domaines, l'Eglise se réjouit de l'esprit de fraternité véritable qui est en train de s'épanouir entre chrétiens et non-chrétiens et tend à intensifier sans cesse leurs efforts en vue de soulager l'immense misère.
85 La solidarité actuelle du genre humain impose aussi l'établissement d'une coopération internationale plus poussée dans le domaine économique. En effet, bien que presque tous les peuples aient acquis leur indépendance politique, il s'en faut de beaucoup qu'ils soient déjà libérés d'excessives inégalités et de toute forme de dépendance abusive, et à l'abri de tout danger de graves difficultés intérieures.
La croissance d'un pays dépend de ses ressources en hommes et en argent. L'éducation et la formation professionnelle doivent préparer les citoyens de chaque nation à faire face aux diverses tâches de la vie économique et sociale. Ceci demande l'aide d'experts étrangers; ceux qui l'apportent ne doivent pas se conduire en maîtres, mais en assistants et en collaborateurs. Quant à l'aide matérielle aux nations en voie de développement, on ne pourra la fournir sans de profondes modifications dans les coutumes actuelles du commerce mondial. D'autres ressources doivent en outre leur venir des nations évoluées, sous formes de dons, de prêts ou d'investissements financiers; ces services doivent être rendus généreusement et sans cupidité d'un côté, reçus en toute honnêteté de l'autre.
Pour édifier un véritable ordre économique mondial, il faut en finir avec l'appétit de bénéfices excessifs, avec les ambitions nationales et les volontés de domination politique, avec les calculs des stratégies militaristes ainsi qu'avec les manoeuvres dont le but est de propager ou d'imposer une idéologie. Une grande diversité des systèmes économiques et sociaux se présentent: il est à souhaiter que les hommes compétents puissent y trouver des bases communes pour un sain commerce mondial, ce qui sera bien facilité si chacun renonce à ses propres préjugés et se prête sans retard à un dialogue sincère.
86 En vue de cette coopération, les règles suivantes paraissent opportunes:
a) Les nations en voie de développement auront très à coeur d'assigner pour fin au progrès le plein épanouissement humain de leurs propres citoyens, et cela d'une manière explicite et non équivoque. Elles se souviendront que le progrès prend sa source et son dynamisme avant tout dans le travail et le savoir-faire des pays eux-mêmes; car il doit s'appuyer non pas sur les seuls secours étrangers, mais en tout premier lieu sur la pleine mise en oeuvre des ressources de ces pays ainsi que sur leur culture et leurs traditions propres. En cette matière, ceux qui exercent la plus grande influence sur les autres doivent donner l'exemple.
b) Les nations développées ont le très pressant devoir d'aider les nations en voie de développement à accomplir ces tâches. Qu'elles procèdent donc aux révisions internes, spirituelles et matérielles, requises pour l'établissement de cette coopération universelle.
Ainsi, dans les négociations avec les nations plus faibles et plus pauvres, elles devront scrupuleusement tenir compte du bien de celles-ci; en effet, les revenus qu'elles tirent de la vente de leurs produits sont nécessaires à leur propre subsistance.
c) C'est le rôle de la communauté internationale de coordonner et de stimuler le développement, en veillant cependant à distribuer les ressources prévues avec le maximum d'efficacité et d'équité. En tenant compte, assurément, du principe de subsidiarité, il lui revient aussi d'ordonner les rapports économiques mondiaux pour qu'ils s'effectuent selon les normes de la justice.
Que l'on fonde des institutions capables de promouvoir et de régler le commerce international - en particulier avec les nations moins développées - en vue de compenser les inconvénients qui découlent d'une excessive inégalité de puissance entre les nations. Une telle normalisation, accompagnée d'une aide technique, culturelle et financière, doit mettre à la disposition des nations en voie de développement les moyens nécessaires pour poursuivre l'essor harmonieux de leur économie.
d) Dans bien des cas il est urgent de procéder à une refonte des structures économiques et sociales. Mais il faut se garder des solutions techniques insuffisamment mûries, tout particulièrement de celles qui, tout en offrant à l'homme des avantages matériels, s'opposent à son caractère spirituel et à son épanouissement. Car "l'homme ne vit pas seulement de pain, mais aussi de toute parole qui sort de la bouche de Dieu" (Mt 4,4). Et tout élément de la famille humaine porte, en lui-même et dans ses meilleures traditions, quelque élément de ce trésor spirituel que Dieu a confié à l'humanité, même si beaucoup en ignorent l'origine.
87 La coopération internationale devient tout à fait indispensable lorsqu'il s'agit des peuples qui, assez souvent aujourd'hui, en plus de tant d'autres difficultés, souffrent particulièrement de celles qui proviennent de la croissance rapide de la population. Il est urgent de rechercher comment, grâce à la collaboration entière et assidue de tous, surtout des nations riches, on peut préparer ce qui est nécessaire à la subsistance et à l'instruction convenable des hommes, et en faire bénéficier l'ensemble de la communauté humaine. Bon nombre de peuples pourraient sérieusement améliorer leur niveau de vie si, instruits comme il convient, ils passaient de méthodes archaïques d'exploitation agricole à des techniques modernes et les appliquaient avec la prudence nécessaire à leur situation, tout en instaurant aussi un meilleur ordre social et en procédant à un partage plus équitable de la propriété terrienne.
En ce qui concerne les problèmes de la population dans chaque nation, les gouvernements, dans les limites de leurs compétences propres, ont assurément des droits et des devoirs: par exemple pour tout ce qui regarde la législation sociale et familiale, l'exode des populations rurales vers les villes, l'information relative à la situation et aux besoins du pays. Comme aujourd'hui les esprits se préoccupent si fort de ce problème, il faut aussi souhaiter que des catholiques compétents en toutes ces matières, dans les universités en particulier, poursuivent assidûment les études entreprises et leur donnent encore plus d'ampleur.
Puisque beaucoup affirment que l'accroissement démographique mondial, en tout cas celui de certaines nations, doit être freiné d'une manière radicale par tous les moyens et par n'importe quelle mesure de l'autorité publique, le Concile exhorte tous les hommes à se garder de solutions, préconisées en public ou en privé, et parfois imposées, qui sont en contradiction avec la loi morale. Car en vertu du droit inaliénable de l'homme au mariage et à la procréation, la décision relative au nombre d'enfants à mettre au monde dépend du jugement droit des parents et ne peut en aucune façon être laissée à la discrétion de l'autorité publique. Mais, comme le jugement des parents suppose une conscience bien formée, il est très important de permettre à tous d'accéder à un niveau de responsabilité conforme à la morale et vraiment humain qui, sans négliger l'ensemble des circonstances, tienne compte de la loi divine. Cela suppose, un peu partout, une amélioration des moyens pédagogiques et des conditions sociales et, en tout premier lieu, la possibilité d'une formation religieuse ou, à tout le moins, d'une éducation morale sans faille. Il faut, en outre, que les populations soient judicieusement informées des progrès scientifiques réalisés dans la recherche de méthodes qui peuvent aider les époux en matière de régulation des naissances, lorsque la valeur de ces méthodes est bien établie et leur accord avec la morale chose certaine.
88 Les chrétiens collaborent de bon gré et de grand coeur à la construction de l'ordre international qui doit se faire dans un respect sincères des libertés légitimes et dans l'amicale fraternité de tous. Ils le feront d'autant plus volontiers que la plus grande partie du globe souffre encore d'une telle misère que le Christ lui-même, dans la personne des pauvres, réclame comme à haute voix la charité de ses disciples. Qu'on évite donc ce scandale: alors que certaines nations, dont assez souvent la majeure partie des habitants se parent du nom de chrétiens, jouissent d'une grande abondance de biens, d'autres sont privées du nécessaire et sont tourmentées par la faim, la maladie et toutes sortes de misères. L'Esprit de pauvreté et de charité est, en effet, la gloire et le signe de l'Eglise du Christ.
Il faut donc louer et encourager ces chrétiens, les jeunes en particulier, qui s'offrent spontanément à secourir d'autres hommes et d'autres peuples. Bien plus, il appartient à tout le peuple de Dieu, entraîné par la parole et l'exemple des évêques, de soulager, dans la mesure de ses moyens, les misères de ce temps; et cela, comme c'était l'antique usage de l'Eglise, en prenant non seulement sur ce qui est superflu, mais aussi sur ce qui est nécessaire.
Sans être organisée d'une manière rigide et uniforme, la manière de collecter et de distribuer les secours doit être cependant bien conduite dans les diocèses, dans les nations et au plan mondial. Partout où la chose semble opportune, on conjuguera l'action des catholiques avec celle des autres frères chrétiens. En effet, l'esprit de charité, loin d'empêcher un exercice prévoyant et ordonné de l'action sociale et de l'action caritative, l'exige plutôt. C'est pourquoi il est nécessaire que ceux qui veulent s'engager au service des nations en voie de développement reçoivent une formation adéquate, et dans des instituts spécialisés.
89 Lorsque l'Eglise, en vertu de sa mission divine, prêche l'Evangile à tous les hommes et leur dispense les trésors de la grâce, c'est partout qu'elle contribue à affermir la paix et à établir entre les hommes et les peuples le fondement solide d'une communauté fraternelle: à savoir la connaissance de la loi divine et naturelle. Pour encourager et stimuler la coopération entre tous, il est donc tout à fait nécessaire que l'Eglise soit présente dans la communauté des nations; et cela tant par ses organes officiels que par l'entière et loyale collaboration de tous les chrétiens - collaboration inspirée par le seul désir d'être utile à tous.
Ce résultat sera plus sûrement atteint si, déjà dans leur propre milieu, les fidèles eux-mêmes, conscients de leur responsabilité humaine et chrétienne, travaillent à susciter le désir d'une généreuse coopération avec la communauté internationale. A cet égard, tant dans l'éducation religieuse que dans l'éducation civique, on sera particulièrement attentif à la formation des jeunes.
90 Pour les chrétiens, une excellente forme d'activité internationale est assurément le concours qu'ils apportent, individuellement ou en groupe, aux institutions qui visent à étendre la collaboration internationale, que ces institutions existent ou qu'elles soient à créer. Les diverses associations catholiques internationales peuvent, en outre, rendre de multiples services pour l'édification d'une communauté mondiale pacifique et fraternelle. Il faut les consolider, en les dotant d'un personnel plus nombreux et bien formé, en augmentant les moyens matériels dont elles ont besoin, et en coordonnant harmonieusement leurs forces. De nos jours, en effet, l'efficacité de l'action et les nécessités du dialogue réclament des initiatives collectives. De plus, de telles associations contribuent largement à accroître le sens de l'universel, qui convient sans nul doute aux catholiques, et à donner naissance à la conscience d'une solidarité et d'une responsabilité vraiment mondiales.
Enfin, il faut souhaiter que les catholiques, pour bien remplir leur rôle dans la communauté internationale, recherchent une collaboration active et positive, soit avec leurs frères séparés qui, unis à eux, professent l'amour évangélique, soit avec tous les hommes en quête d'une paix véritable.
Considérant l'immense misère qui accable, aujourd'hui encore, la majeure partie du genre humain, pour favoriser partout la justice et en même temps pour allumer en tout lieu l'amour du Christ à l'endroit des pauvres, le Concile, pour sa part, estime très souhaitable la création d'un organisme de l'Eglise universelle, chargé d'inciter la communauté catholique à promouvoir l'essor des régions pauvres et la justice sociale entre les nations.
91 Tirées des trésors de la doctrine de l'Eglise, les propositions que ce saint Synode vient de formuler ont pour but d'aider tous les hommes de notre temps, qu'ils croient en Dieu ou qu'ils ne le reconnaissent pas explicitement, à percevoir avec une plus grande clarté la plénitude de leur vocation, à rendre le monde plus conforme à l'éminente dignité de l'homme, à rechercher une fraternité universelle, appuyée sur des fondements plus profonds, et, sous l'impulsion de l'amour, à répondre généreusement et d'un commun effort aux appels les plus pressants de notre époque.
Certes, face à la variété extrême des situations et des civilisations, en de très nombreux points, et à dessein, cet exposé ne revêt qu'un caractère général. Bien plus, comme il s'agit assez souvent de questions sujettes à une incessantes évolution, l'enseignement présenté ici - qui est en fait l'enseignement déjà reçu dans l'Eglise - devra encore être poursuivi et amplifié. Mais, nous en avons l'espoir, bien des choses que nous avons énoncées, en nous appuyant sur la parole de Dieu et sur l'esprit de l'Evangile, pourront apporter à tous une aide valable; surtout lorsque les fidèles, sous la conduite de leurs pasteurs, auront réalisé l'effort d'adaptation requis par la diversité des nations et des mentalités.
92 En vertu de la mission qui est la sienne, d'éclairer l'univers entier par le message évangélique et de réunir en un seul Esprit tous les hommes, à quelque nation, race, ou culture qu'ils appartiennent, l'Eglise apparaît comme le signe de cette fraternité qui rend possible un dialogue loyal et le renforce.
Cela exige en premier lieu qu'au sein même de l'Eglise nous fassions progresser l'estime, le respect et la concorde mutuels, dans la reconnaissance de toutes les diversités légitimes, et en vue d'établir un dialogue sans cesse plus fécond entre tous ceux qui constituent l'unique peuple de Dieu, qu'il s'agisse des pasteurs ou des autres chrétiens. Ce qui unit en effet les fidèles est plus fort que tout ce qui les divise: unité dans le nécessaire, liberté dans le doute, en toutes choses la charité (1).
En même temps, notre pensée embrasse nos frères et leurs communautés, qui ne vivent pas encore en totale communion avec nous, mais auxquels nous sommes cependant unis par la confession du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint et par le lien de la charité. Nous nous souvenons aussi que l'unité des chrétiens est aujourd'hui attendue et désirée, même par un grand nombre de ceux qui ne croient pas au Christ. Plus en effet cette unité grandira dans la vérité et dans l'amour, sous l'action puissante de l'Esprit-Saint, et plus elle deviendra un présage d'unité et de paix pour le monde entier. Unissons donc nos énergies et, sous des formes toujours mieux adaptées à la poursuite actuelle et effective de ce but, dans une fidélité sans cesse accrue à l'Evangile, collaborons avec empressement et fraternellement au service de la famille humaine, appelée à devenir dans le Christ Jésus la famille des enfants de Dieu.
Nous tournons donc aussi notre pensée vers tous ceux qui reconnaissent Dieu et dont les traditions recèlent de précieux éléments religieux et humains, en souhaitant qu'un dialogue confiant puisse nous conduire tous ensemble à accepter franchement les appels de l'Esprit et à les suivre avec ardeur.
En ce qui nous concerne, le désir d'un tel dialogue, conduit par le seul amour de la vérité et aussi avec la prudence requise, n'exclut personne: ni ceux qui honorent de hautes valeurs humaines, sans en reconnaître encore l'auteur, ni ceux qui s'opposent à l'Eglise et la persécutent de différentes façons. Puisque Dieu le Père est le principe et la fin de tous les hommes, nous sommes tous appelés à être frères. Et puisque nous sommes destinés à une seule et même vocation divine, nous pouvons aussi et nous devons coopérer, sans violence et sans arrière-pensée, à la construction du monde dans une paix véritable.
Notes:
(1) cf. XXIII, encycl. Ad Petri Cathedram, 29.06.59 AAS 55 (1959) p.513.
93 Se souvenant de la parole du Seigneur: "En ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres" (Jn 13,35), les chrétiens ne peuvent pas former de souhait plus vif que celui de rendre service aux hommes de leur temps, avec une générosité toujours plus grande et plus efficace. Aussi, dociles à l'Evangile et bénéficiant de sa force, unis à tous ceux qui aiment et pratiquent la justice, ils ont à accomplir sur cette terre une tâche immense, dont ils devront rendre compte à celui qui jugera tous les hommes au dernier jour. Ce ne sont pas ceux qui disent "Seigneur, Seigneur !" qui entreront dans le royaume des cieux, mais ceux qui font la volonté du Père (2) et qui, courageusement, agissent. Car la volonté du Père est qu'en tout homme nous reconnaissions le Christ notre frère et que nous nous aimions chacun pour de bon, en action et en parole, rendant ainsi témoignage à la vérité. Elle est aussi que nous partagions avec les autres le mystère d'amour du Père céleste. C'est de cette manière que les hommes répandus sur toute la terre seront provoqués à une ferme espérance, don de l'Esprit, afin d'être finalement admis dans la paix et le bonheur suprêmes, dans la patrie qui resplendit de la gloire du Seigneur.
"A celui qui, par la puissance qui agit en nous, est capable de tout faire, bien au-delà de ce que nous demandons et concevons, à lui la gloire dans l'Eglise et dans le Christ Jésus, pour tous les âges et tous les siècles. Amen" (Ep 3,20-21).
Notes:
(2) cf. Mt 7,21
Tout l'ensemble et chacun des points qui ont été édictés dans cette Constitution ont plu aux Pères du Concile. Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que Nous tenons du Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous les approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint-Esprit, et Nous ordonnons que ce qui a été établi en Concile soit promulgué pour la gloire de Dieu.
Rome, à Saint-Pierre, le 7 décembre 1965.
Moi, PAUL, évêque de l'Eglise catholique.
suivent les signatures des Pères
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