Catena Aurea 6535
6601 Mc 6,1-6
Théophyl. Après les miracles que l'Évangéliste vient de raconter, le Seigneur revient dans son pays, bien qu'il sût qu'il y serait l'objet du mépris de ses concitoyens; mais il voulait leur ôter tout prétexte de dire: Si vous étiez venu parmi nous, nous eussions cru en vous. «Et étant parti de là, il vint dans son pays», etc. - Bède. L'Évangéliste appelle Nazareth le pays du Sauveur, parce qu'il y avait été élevé. Mais quel est l'aveuglement extraordinaire dans les habitants de Nazareth que de mépriser, à cause de l'obscurité de sa famille, celui que ses paroles aussi bien que ses actions auraient dû leur faire reconnaître pour le Christ? «Or, un jour de sabbat étant venu, il commença à enseigner», etc. Cette sagesse qu'ils admirent, c'est sa doctrine, et les merveilles, qui sont également l'objet de leur admiration, ce sont les guérisons et les miracles qu'il opérait.
«N'est-ce pas là ce charpentier, fils de Marie ?» - S. Aug. (De l'accord des Evang., 2, 22). D'après le récit de saint Matthieu, ils l'appelèrent le fils du charpentier, et il n'y a en cela rien d'étonnant, puisqu'ils ont pu dire l'un et l'autre, d'autant plus qu'ils ne le croyaient charpentier lui-même que parce qu'ils pensaient qu'il était fils du charpentier. - S. Jér. Jésus est appelé fils du charpentier, mais de ce divin charpentier qui a fait l'aurore et le soleil (Ps 73, 16), c'est-à-dire la première et la seconde Eglise, l'Eglise juive et l'Eglise chrétienne, qui sont figurées dans la femme et dans la jeune fille guéries par Notre-Seigneur. - Bède. Car bien qu'on ne puisse comparer les choses humaines aux choses divines, la figure cependant est ici parfaite, parce que le Père du Christ opère par le feu et par l'Esprit.
«Est-ce qu'il n'est pas le frère de Jacques, de Joseph, de Jude et de Simon? Et ses soeurs ne sont-elles pas ici parmi nous ?» Ils attestent que les frères et les soeurs de Jésus sont avec lui; gardons-nous de voir dans ces frères et dans ces soeurs les enfants de Marie, comme le veulent les hérétiques, ce sont simplement ses parents, suivant la manière de s'exprimer de l'Ecriture; c'est ainsi qu'Abraham et Loth sont appelés frères (Gn 13), parce que Loth était le fils du frère d'Abraham. «Et ils se scandalisaient de lui». Le scandale et l'erreur des Juifs sont pour nous une occasion de salut, et, pour les hérétiques, un sujet de condamnation. Leur mépris pour Notre-Seigneur Jésus-Christ allait jusqu'à l'appeler charpentier et fils de charpentier: «Mais Jésus leur disait: Un prophète n'est sans honneur que dans sa patrie», etc. Notre-Seigneur Jésus-Christ est souvent appelé prophète dans les Écritures, au témoignage de Moïse, qui prédisant l'Incarnation future du Fils de Dieu, s'exprime de la sorte: «Le Seigneur vous suscitera un prophète du milieu de vos frères». Et ce n'est pas seulement le Seigneur des prophètes, mais Elie, mais Jérémie, et les autres prophètes, qui ont été moins considérés dans leur pays que parmi les étrangers, tant il est naturel aux concitoyens de se jalouser entre eux. Ils n'ont aucune considération pour les oeuvres actuelles d'un homme, et ne se souviennent que des faiblesses de son enfance. - S. Jér. Souvent, d'ailleurs, l'origine d'un homme est obscure, et donne lieu à ce langage: «Qu'est-ce que le fils d'Isaï ?» (1R 25,10) parce qu'en effet le Seigneur regarde les choses basses et ne voit que de loin celles qui sont hautes (Ps 137). - Théophyl. Bien plus, alors même qu'un prophète aurait des parents illustres, considérés, ses concitoyens ne laisseraient pas de les haïr et de lui refuser tout honneur. «Et il ne put faire là aucun miracle», etc. Quand l'Évangéliste dit qu'il ne put faire aucun miracle, il faut entendre qu'il ne consentit pas, qu'il ne voulut pas; ce n'était pas impuissance de sa part, leur incrédulité seule en était la cause. Si donc il ne fait point de miracles au milieu d'eux, c'est par ménagement pour des gens qui, en refusant de croire à ces miracles, encourraient un jugement bien plus sévère. On peut encore donner cette raison que, pour faire des miracles, à la puissance de celui qui les opère, il faut joindre la foi de celui qui en est l'objet. Or, cette foi faisait ici défaut, et c'est pourquoi Notre-Seigneur ne voulut faire aucun miracle en cet endroit.
«Et il s'étonnait de leur incrédulité». - Bède. Il s'étonne de leur incrédulité, non pas comme d'une chose inopinée et imprévue pour lui, puisqu'il connaît toutes choses avant même qu'elles existent; mais bien qu'il pénètre les secrets des coeurs, lorsqu'il veut qu'une chose produise en nous un sentiment d'étonnement, il affecte d'en paraître étonné lui-même devant les hommes. Il veut donc que nous soyons étonnés de l'aveuglement des Juifs, qui n'ont voulu croire ni à leurs prophètes qui leur annonçaient le Christ, ni au Christ lui-même qui était né parmi eux. Dans le sens mystique, Jésus est l'objet du mépris dans sa famille et dans son pays, c'est-à-dire au milieu du peuple juif. Il ne fait parmi eux qu'un petit nombre de miracles, pour qu'ils ne soient pas entièrement excusables ;mais il fait tous les jours des miracles plus fréquents et plus considérables au milieu du peuple des Gentils, miracles qui ont moins pour objet la guérison des corps que le salut des âmes.
6607 Mc 6,7-13
Théophyl. Notre-Seigneur ne prêchait pas seulement dans les villes, mais dans les bourgs et dans les villages, pour nous apprendre à ne pas mépriser ce qui est petit et à ne pas rechercher toujours les grandes villes, mais à semer la parole de Dieu dans les villages obscurs et de peu d'importance: «Et il parcourait les villages d'alentour, et il y enseignait».
Bède. Notre-Seigneur, maître plein de bonté et de douceur, n'envie point à ses serviteurs les miracles qu'ils pouvaient opérer, et il communique à ses Apôtres le pouvoir qu'il avait de guérir toute langueur et toute infirmité: «Alors, appelant les douze... il leur donna puissance sur les esprits impurs». Mais il y a une grande différence entre donner et recevoir: tout ce que fait Notre-Seigneur il le fait en vertu de la puissance qui lui est propre, tandis que ses disciples, dans les miracles qu'ils opèrent, sont obligés de confesser leur faiblesse et la puissance du Seigneur, en disant comme saint Pierre: «Au nom de Jésus, lève-toi et marche» (Ac 3).
Théophyl. Il envoie les Apôtres deux à deux, pour leur inspirer plus d'ardeur et d'activité, car comme dit l'Ecclésiaste (Qo 4,9): «Il vaut mieux être deux ensemble que d'être seul». Si, au contraire, il les eût envoyé plus de deux ensemble, le nombre des Apôtres n'eût pas suffi pour tous les bourgs dans lesquels ils devaient prêcher l'Évangile. - S. Grég. (hom. 17 sur les Evang). Le Sauveur les envoie deux par deux, pour figurer que le précepte de la charité a un double objet: l'amour de Dieu et l'amour du prochain, et aussi parce qu'il faut deux termes pour que la charité puisse avoir lieu. Il nous enseigne encore par là que celui qui n'a pas la charité pour le prochain ne doit en aucune façon se charger du ministère de la prédication.
«Et il leur commanda de ne rien porter en chemin», etc. - Bède. Le prédicateur doit avoir dans la providence de Dieu une si grande confiance, que, sans se préoccuper de ce qui est nécessaire à l'entretien de la vie, il doit être assuré que rien ne lui manquera, car si son esprit se laisse prendre par les soucis des choses temporelles, il sera moins en état d'inspirer aux autres l'amour des biens éternels. - S. Chrys. En leur faisant cette recommandation, le Seigneur veut encore que leur extérieur seul fasse comprendre combien ils étaient éloignés du désir des richesses. - Théophyl. Il leur enseigne encore à ne point rechercher les présents, afin qu'en ne possédant rien, ils donnent ainsi plus de force et d'efficacité à leurs prédications sur la pauvreté. - S. Aug. (De l'acc, des Evang., 2, 30). Ou bien enfin, comme, d'après saint Matthieu, Notre-Seigneur ajoute aussitôt: «L'ouvrier est digne de son salaire», nous voyons la raison pour laquelle il leur défend de posséder ou de porter rien avec eux. Ce n'est pas que toutes ces choses ne soient nécessaires à l'entretien de la vie; mais en les envoyant ainsi dépourvus de tout, il voulait apprendre à ceux à qui ils prêchaient l'Évangile que c'était pour eux un devoir de subvenir à l'entretien des Apôtres. Toutefois, il est évident que le Seigneur n'impose pas ici à ses disciples l'obligation de ne vivre que des offrandes qui leur seraient faites par les fidèles qu'ils évangélisaient, ou bien, il faudrait dire que saint Paul s'est mis en contradiction aveu ce précepte en vivant du travail de ses mains (Ac 20,34-35 1Co 4,12 1Th 2,1 1Th 2); mais il donne à ses Apôtres un véritable pouvoir, et veut qu'ils soient convaincus qu'ils ont droit à ces offrandes. On se demande encore comment saint Matthieu et saint Luc rapportent que Notre-Seigneur avait défendu à ses disciples de porter même un bâton, tandis que nous lisons dans saint Marc: «Il leur commanda de ne rien porter eu chemin qu'un bâton seulement». Pour résoudre cette difficulté, il faut admettre que le bâton que les Apôtres peuvent porter avec eux, d'après saint Marc, doit être pris dans un autre sens que celui que le Sauveur leur défend de porter suivant le récit de saint Matthieu et de saint Luc. Notre-Seigneur a donc pu leur dire d'une manière abrégée: «Ne portez avec vous aucune des choses nécessaires à la vie, pas même un bâton ou rien qu'un bâton». Ainsi en disant: «Pas même un bâton», il exclut jusqu'aux moindres choses, et en ajoutant: «Rien qu'un bâton»,il veut que l'on comprenne qu'en vertu du pouvoir qui leur est donné, et qui est figuré par le bâton, aucune des choses qu'il leur défend de porter ne leur fera défaut. Notre-Seigneur a donc exprimé ces deux pensées; mais comme aucun des Évangélistes ne les a rapportées toutes deux à la fois, on est porté à croire que celui qui a parlé du bâton à porter dans un sens, est en contradiction avec celui qui rapporte la défense faite de porter même un bâton, pris dans un autre sens. L'explication que nous venons de donner fait disparaître toute contradiction. Ainsi, lorsque Notre-Seigneur, d'après saint Matthieu, défend à ses Apôtres d'emporter avec eux des chaussures, il leur défend la préoccupation qui les leur ferait emporter, dans la crainte qu'elles ne viennent à leur manquer. Il faut entendre, dans le même sens, la recommandation de ne point porter deux tuniques, Notre-Seigneur veut délivrer ses Apôtres de l'embarras d'en porter une autre que celle qui sert à les couvrir, puisque leur ministère leur donne le droit d'en recevoir, au besoin, une seconde. Donc, lorsque d'après saint Marc, le Sauveur leur recommande de chausser leurs sandales, il fa ut voir, dans ces sandales, une signification symbolique et mystérieuse, c'est-à-dire que la chaussure doit laisser le pied du prédicateur découvert par dessus et protégé par dessous, ce qui signifie que l'Évangile ne doit ni rester caché, ni s'appuyer sur les avantages de la terre. Que signifie encore la défense faite d'avoir et de porter deux tuniques, et la défense plus expresse de se vêtir de plus d'une tunique, si ce n'est que les Apôtres doivent marcher dans la simplicité, sans la moindre duplicité? Et si quelqu'un pense que Notre-Seigneur n'a pu, dans un seul et même discours, mêler le sens figuré au sens propre et littéral, qu'il jette les yeux sur les autres discours du Sauveur, et il verra bientôt qu'il avance cette assertion avec autant de témérité que d'ignorance.
Bède. Ces deux tuniques me paraissent indiquer deux vêtements distincts, car on ne peut admettre que, dans les contrées glaciales de la Scythie toujours couvertes de neige, on doive se contenter d'une seule tunique; la tunique est donc prise ici pour le vêtement tout entier, et Notre-Seigneur nous défend d'en avoir un second en réserve, dans la crainte de ce qui peut arriver. - S. Chrys. Ou bien encore, au rapport de saint Matthieu et de saint Luc, Notre-Seigneur ne permet de porter ni chaussures, ni bâton, et c'est ce qu'il y a de plus parfait; d'après saint Marc, au contraire, il autorise ses disciples à porter un bâton et des sandales, et c'est une simple permission qu'il leur donne.
Bède. Dans le sens allégorique, la besace représente les charges et les embarras du siècle; le pain, les délices de la terre, et l'argent dans la bourse la sagesse qui reste cachée. C'est qu'en effet celui qui est revêtu des fonctions de docteur ne doit ni plier sous le poids des affaires du siècle, ni se laisser amollir par les désirs de la chair, ni cacher le talent de la parole qui lui est confiée sous la négligence d'un corps livré à l'oisiveté: «Et il leur disait: En quelque maison que vous entriez», etc. Il leur donne ici le précepte général de la persévérance dans l'observation des lois de l'hospitalité, et leur déclare qu'il est indigne d'un prédicateur du royaume des cieux d'aller de maison en maison. - Théophyl. Il ne veut pas qu'en changeant ainsi de maison, ils donnent lieu au reproche de sensualité, «Et quant à ceux qui ne vous recevront point et ne vous écouteront point, lorsque vous sortirez, secouez la poussière de vos pieds», etc. Le dessein du Sauveur, en leur faisant ce commandement, est de montrer aux peuples qu'ils évangélisent qu'ils ont entrepris une longue route dans l'intérêt de leurs âmes, ou qu'ils n'ont voulu rien recevoir d'eux, pas même la poussière; et ils doivent secouer cette poussière, pour être on témoignage contre eux, c'est-à-dire une véritable accusation. - S. Chrys. Ou bien, pour être un témoignage des fatigues de la route qu'ils ont supportées pour eux, ou pour signifier que la poussière des péchés des prédicateurs retombe sur eux. «Etant donc partis, ils prêchaient aux peuples de faire pénitence», etc. Saint Marc seul rapporte qu'ils oignaient d'huile les malades; saint Jacques, dans son Epître canonique dit quelque chose de semblable (Jc 5). Or, l'huile repose le corps fatigué, et elle produit tout à la fois la lumière et la joie. L'huile de l'onction figure la miséricorde de Dieu, la guérison des infirmités, la lumière du coeur, toutes choses qui sont le fruit de la prière. - Théophyl. L'huile représente encore la grâce de l'Esprit saint, qui nous fait passer des fatigues du travail à la lumière et à la joie de l'esprit. - Bède. Aussi, il est admis comme certain que c'est des Apôtres eux-mêmes que l'Eglise a reçu la coutume d'oindre les énergumènes et les malades avec de l'huile consacrée par la bénédiction pontificale.
6614 Mc 6,14-16
La Glose. Le récit de la prédication des Apôtres et des miracles que le Sauveur opérait, amène naturellement l'Évangéliste à parler de la réputation de Jésus qui se répandait parmi le peuple: «Or, le roi Hérode entendit parler de lui». - S. Chrys. Cet Hérode était le fils du premier Hérode, sous le règne duquel Joseph avait emmené Jésus en Egypte. Saint Matthieu et saint Luc lui donnent le nom de tétrarque, parce qu'il n'avait plus à gouverner que la quatrième partie du royaume de son père, les Romains, après la mort d'Hérode, son père, ayant divisé son royaume en quatre parties. Saint Marc, au contraire, lui donne le titre de roi, en se conformant à l'usage des Juifs qui l'appelaient ainsi, parce qu'ils avaient donné ce nom à son père, ou parce qu'ils savaient que cela lui était agréable. - S. Jér. «Car son nom était devenu célèbre». Il n'est pas permis en effet de cacher la lampe sous le boisseau. «Et Hérode disait: Jean-Baptiste est ressuscité d'entre les morts; c'est pourquoi des miracles sont opérés par lui». Nous pouvons voir ici combien grande fut l'envie des Juifs. Jean-Baptiste n'a fait aucun miracle, au témoignage de saint Jean l'Évangéliste, et les Juifs, sans aucune preuve, croient qu'il est ressuscité; mais pour Jésus, au contraire, que Dieu avait rendu célèbre p ar toutes sortes de prodiges, de miracles, et à la résurrection duquel les anges, les apôtres, les hommes et les femmes avaient rendu témoignage, plutôt que de croire à sa résurrection, ils ont mieux aimé se l'expliquer en disant qu'on avait secrètement enlevé son corps. Ils attribuent à Jean-Baptiste ressuscité d'entre les morts l'opération des miracles, et en cela ils ont une juste idée de la résurrection qui doit revêtir les saints d'une plus grande puissance que celle qu'ils avaient sur la terre, lorsqu'ils étaient encore sous le poids de l'infirmité de la chair.
«Mais d'autres disaient: C'est Elie». En effet, Jean-Baptiste n'avait pas craint d'adresser de vifs reproches à un grand nombre de ceux qui venaient le trouver, en les appelant race de vipères. «Et d'autres: C'est un prophète», c'est-à-dire l'un des anciens prophètes. - S. Chrys. Ils veulent ici parler de ce prophète dont Moïse a dit: «Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères». Cette idée était juste; mais les Juifs ne tenaient ce langage que parce qu'ils craignaient d'avouer ouvertement que Jésus était le Christ. Ils invoquent le témoignage de Moïse comme pour couvrir le soupçon qu'ils avaient de la divinité de Jésus-Christ, par crainte de ceux qui étaient à leur tête. «Ce qu'Hérode ayant entendu, il dit: Jean, que j'ai décapité, est ressuscité d'entre les morts». Hérode parle ainsi par ironie. - Théophyl. On peut encore dire qu'Hérode, sachant qu'il avait fait mettre à mort Jean-Baptiste sans raison et malgré son innocence, pouvait croire qu'il était ressuscité et qu'il avait reçu par sa résurrection même le pouvoir de faire des miracles.
S. Aug. (De l'ace, des Evang., 2, 34). Saint Luc vient confirmer ici le récit de saint Marc, en ce sens qu'il attribue aussi à d'autres qu'à Hérode lui-même ces paroles: «Jean est ressuscité d'entre les morts»(Lc 9). Mais comme il nous présente Hérode d'abord dans l'hésitation, et puis s'exprimant de la sorte: «J'ai fait décapiter Jean-Baptiste, quel est donc celui dont j'entends dire de telles choses? il faut admettre qu'après ce premier moment d'hésitation Hérode fut convaincu de ce qu'il entendait dire aux autres, lorsqu'il dit à ses serviteurs, selon le récit de saint Matthieu (Mt 14): «Celui-ci est Jean-Baptiste; c'est lui qui est ressuscité des morts». On peut dire aussi que ces paroles expriment encore un reste d'hésitation, d'autant plus que saint Marc, qui avait prêté à d'autres qu'à Hérode ces paroles: «Jean est ressuscité d'entre les morts», finit par faire dire à Hérode lui-même: «Celui que j'ai décapité est ressuscité d'entre les morts». Or, ces paroles peuvent s'entendre de deux manières, ou comme l'expression d'une conviction certaine, ou comme le langage d'un homme qui hésite et doute encore.
6617 Mc 6,17-29
Théophyl. Saint Marc prend occasion de ce qu'il vient de dire pour raconter la mort du saint précurseur: «Hérode avait envoyé prendre Jean et l'avait fait mettre en prison», etc. - Bède. Un historien ancien rapporte que Philippe, fils d'Hérode le Grand, sous le règne duquel Notre-Seigneur s'enfuit en Egypte, et frère de cet Hérode sous lequel eut lieu la passion du Sauveur, épousa Hérodiade, fille du roi Aretas. Plus tard, son beau-père, à la suite de quelques différends qui s'étaient élevés entre lui et son gendre, donna Hérodiade, en haine de son premier mari, à Hérode, ennemi de Philippe. Ce que Jean-Baptiste reprochait à Hérode, c'est donc cette union criminelle, puisqu'il n'est pas permis d'épouser la femme de son frère, du vivant même de son frère. - Théophyl. La loi faisait un devoir au frère de celui qui était mort sans enfants d'épouser sa veuve; mais ici Hérodiade avait une fille, et sous tous rapports ce mariage était un crime.
«Aussi Hérodiade lui tendait des embûches», etc. - Bède. Hérodiade craignait qu'Hérode ne vint à se repentir ou qu'il ne se réconciliât avec son frère, et qu'un divorce ne vînt dissoudre cette union scandaleuse.
«Hérode, sachant que Jean-Baptiste était un homme juste et saint, le craignait». - La Glose. Il le craignait, parce qu'il le vénérait; car il savait qu'il était juste aux yeux des hommes et saint devant Dieu. «Et il le protégeait», contre les embûches d'Hérodiade qui en voulait à sa vie. «Il faisait beaucoup de choses d'après ses conseils», parce qu'il le regardait comme parlant sous l'inspiration de l'Esprit saint. «Il l'écoutait volontiers, parce que ses discours lui paraissaient pleins des leçons les plus utiles». - Théophyl. Voyez à quels excès peut se porter la violence de la concupiscence. Hérode est plein de crainte et de vénération pour Jean-Baptiste, et il oublie tout pour ne penser qu'à sa passion. - Remi. (sur S. Matth). Son inclination voluptueuse le força de faire charger de chaînes celui dont il connaissait la justice et la sainteté, et nous pouvons apprendre de là qu'une faute moins grande conduit à une faute plus grave, selon cette parole de l'Apocalypse: «Que celui qui est souillé se souille encore davantage».
«Or, un jour favorable s'étant présenté, et Hérode ayant donné un grand repas pour l'anniversaire de sa naissance», etc. - Bède. Nous ne voyons dans l'Ecriture que deux hommes, Pharaon (Gn 40, 22) et Hérode, qui aient célébré par des fêtes le jour de leur naissance, et tous deux ont inauguré ces fêtes sous de fâcheux auspices en souillant de sang le jour anniversaire de celui où ils étaient nés. Mais l'impiété d'Hérode surpasse d'autant plus celle de Pharaon qu'il a mis à mort le docteur de la vérité, dont la sainteté et l'innocence lui étaient connues, et qu'il commit ce crime pour satisfaire au désir et à la demande d'une danseuse: «Elle dansa et plut tellement à Hérode et à ceux qui étaient à table avec lui, que le roi dit à la jeune fille: Demandez-moi ce que vous voulez, et je vous le donnerai». - Théophyl. Pendant que le repas s'achève, c'est Satan lui-même qui danse dans la personne de cette jeune fille, et qui inspire à Hérode ce serment criminel: «Et il ajouta avec serment: Quoi que ce soit que vous me demandiez, je vous le donnerai». - Bède. Ce serment ne l'excuse pas d'homicide, car peut-être ne l'a-t-il fait que pour avoir l'occasion de mettre à mort le saint précurseur. Et en effet, si Hérodiade lui eût demandé la mort de son père et de sa mère, nul doute qu'Hérode la lui eût refusée. - «Etant sortie, elle dit à sa mère: Que demanderai-je? Celle-ci lui répondit: La tête de Jean-Baptiste». A une action aussi digne que la danse, il faut du sang pour juste récompense.
«Aussitôt revenant près du roi en grande hâte, elle lui fit cette demande», etc. Cette méchante femme demande qu'on lui donne aussitôt et sur l'heure la tête de Jean-Baptiste, tant elle craint qu'Hérode ne vienne à changer de résolution. - suite. «Le roi en fut contristé». Les écrivains sacrés ont coutume, dans l'appréciation d'un fait, de se conformer à l'opinion générale qui régnait alors; c'est ainsi que Marie elle-même appelle Joseph le père de Jésus (Lc 2, 48); de même l'Évangéliste nous dit qu'Hérode fut contristé, c'est-à-dire que c'était la pensée des convives. Cet hypocrite raffiné affectait un visage triste, alors que son âme était dans la joie, et il cherche à excuser son crime par le serment qu'il vient de faire, comme pour commettre l'action la plus impie sous le masque de la piété: «Néanmoins à cause de son serment, et à cause de ceux qui étaient à table avec lui, il ne voulut pas l'affliger d'un refus». - Théophyl. Hérode ne se possède plus, et la passion qui le domine lui fait accomplir son serment et mettre le juste à mort. Cependant le parjure eût été ici mille fois préférable à un si grand crime. -
Bède. L'auteur sacré ajoute: «Et à cause de ceux qui étaient à table avec lui», c'est-à-dire qu'il les veut rendre tous complices de son crime, en leur faisant servir des mets sanglants dans un festin où l'impureté et la débauche faisaient tous les frais: «Et il envoya un de ses gardes, et lui commanda d'apporter la tête de Jean-Baptiste dans un bassin». - Théophyl. Le mot spiculator, que nous traduisons par garde ou satellite, veut dire bourreau, dont le métier est de mettre les hommes à mort. - Bède. Hérode n'eut point honte de placer sous les yeux des convives la tête d'un homme qu'il venait de tuer; nous ne lisons pas que Pharaon se soit jamais laissé aller à de pareils excès. Quoi qu'il en soit, ces deux exemples nous apprennent qu'il nous est bien plus utile de nous rappeler souvent le jour de notre mort, et de vivre ainsi dans la crainte et dans la chasteté, que de célébrer par des débauches le jour de notre naissance. L'homme, en effet, vient au monde pour le travail, et les élus ne parviennent au repos qu'en sortant du monde par la mort.
«Et il lui trancha la tête dans la prison», etc. - S. Grég. (Moral., 3, 5). Je ne puis considérer sans un profond étonnement cet homme rempli de l'esprit de prophétie dès le sein de sa mère, le plus grand de tous ceux qui sont nés des femmes, et qui est jeté en prison par des hommes pervers, décapité pour payer la danse d'une courtisane, et mis à mort, lui d'une vie si austère, pour égayer des hommes voluptueux et infâmes. Pourrions-nous penser qu'il y eût dans cette vie si humble et si pénitente une seule tache que cette mort dût effacer? Comment aurait-il pu pécher par intempérance, lui qui ne se nourrissait que de sauterelles et de miel sauvage? Quelle faute dans ses rapports avec le monde, lui qui ne quitta jamais son désert? Comment le Dieu tout puissant peut-il abandonner d'une manière si terrible en ce monde ceux qu'il a choisis par une vocation si sublime avant tous les siècles? Donnons-en une raison évidente pour la piété des vrais fidèles, c'est que Dieu éprouve ainsi ses élus dans cette vie si fragile et si courte, parce qu'il sait comment il doit les récompenser dans les hauteurs des cieux; et il les laisse tomber extérieurement dans le mépris et l'abjection, parce qu'il les conduit intérieurement jusqu'aux biens incompréhensibles et immortels. Concluons de là combien souffriront dans la vie future ceux que Dieu réprouve, s'il abandonne à des tourments si cruels ceux qu'il aime.
«Ce que les disciples de Jean ayant appris, ils vinrent prendre son corps, et le déposèrent dans un sépulcre». - Bède. L'historien Josèphe raconte que Jean-Baptiste fut amené chargé de chaînes dans la forteresse de Macheronte, et qu'il y fût décapité, et l'histoire ecclésiastique ajoute qu'il fut enseveli dans Sébaste, ville de Palestine, qui était autrefois appelée Samarie. La décapitation de saint Jean signifie la diminution de cette croyance répandue parmi le peuple qu'il était le Christ, de même que l'élévation de Jésus-Christ sur la croix f igurait le progrès toujours croissant de la foi; et en effet, celui que la multitude ne regardait que comme un prophète, fut bientôt reconnu par tous comme le Fils de Dieu. Et c'est peut-être pour cela que Jean-Baptiste, dont la réputation devait décroître, est né à cette époque de l'année, où la lumière du jour commence à décroître, tandis que Notre-Seigneur est venu au monde à l'époque où les jours commencent à croître.
Théophyl. Dans le sens mystique, Hérode, dont le nom signifie qui est de peau, représente le peuple juif, qui avait aussi une épouse, c'est-à-dire la vaine gloire dont la fille danse et s'agite encore aujourd'hui autour de l'esprit des Juifs, je veux parler de la fausse interprétation des Écritures. Ils ont décapité Jean, c'est-à-dire la parole des prophètes, et ils ont cette parole privée, de Jésus-Christ qui est son chef. - S. Jér. Ou bien encore dans un autre sens: La tête de la loi, c'est-à-dire Jésus-Christ, est retranchée de son corps, c'est-à-dire du peuple juif, et elle est donnée aune jeune fille, qui vient des Gentils, c'est-à-dire à l'Eglise romaine, et la jeune fille la donne à sa mère qui vit dans l'adultère, c'est-à-dire à la synagogue, qui doit embrasser la foi à la fin du monde. Le corps de Jean est enseveli, sa tête est mise dans un bassin; la lettre qui vient des hommes, est recouverte, et l'Esprit reçoit sur l'autel l'adoration des fidèles, et devient leur nourriture.
6630 Mc 6,30-35
La Glose (1). Après le récit de la mort de Jean-Baptiste, l'Évangéliste raconte ce que firent Jésus-Christ et ses disciples après que le saint Précurseur fût mort: «De retour près de Jésus, les Apôtres lui rendirent compte», etc. - S. Jér. Les fleuves reviennent au lieu d'où ils sont sortis (Qo, 1, 7); et les envoyés de Dieu lui rendent toujours grâces des bienfaits qu'ils en ont reçus. - Théophyl. Apprenons nous aussi, lorsqu'on nous envoie remplir quelque ministère, à ne pas trop nous étendre, à ne pas outrepasser l'objet de notre mission, mais à revenir à celui qui nous l'a donnée, pour lui rendre compte de tout ce que nous avons fait et enseigné. - Bède. Il ne suffit pas d'enseigner, il faut encore agir. Or, les Apôtres ne rapportent pas seulement au Seigneur ce qu'ils avaient fait et enseigné, mais encore ce que Jean-Baptiste avait souffert pendant qu'ils étaient occupés du ministère de la prédication; et ici, comme le rapporte saint Matthieu, les disciples de Jean se joignent à eux pour informer le Sauveur de la mort de leur maître.
«Et il leur dit: Venez à l'écart», etc. - S. Aug. (de l'acc. des Evang. 2, 45). L'Évangéliste nous raconte ce fait comme ayant immédiatement suivi la mort de Jean-Baptiste; ce n'est donc qu'après, qu'il faut placer les faits racontés précédemment, et qui impressionnent Hérode au point de lui faire dire: «Celui-ci est Jean à qui j'ai fait trancher la tête». - Théophyl. Jésus se retire dans le désert par un sentiment d'humilité; et il invite ses disciples à prendre un peu du repos, pour apprendre aux supérieurs ecclésiastiques que ceux qui sont livrés aux oeuvres extérieures et à la prédication, ne peuvent continuellement travailler, et qu'ils ont droit à prendre quelques instants de repos.
Bède. Quelle était la raison qui rendait ce repos nécessaire aux disciples, la voici: «Il y avait un tel concours de personnes qui venaient et s'en allaient, que les Apôtres n'avaient pas même le temps de manger». Heureux temps, où tous rivalisaient ainsi de zèle et de fatigues, les uns pour enseigner, les autres pour être instruits. «Et étant montés dans une barque»,etc. Les disciples ne montent pas seuls dans cette barque, ils prennent le Seigneur avec eux pour gagner le désert, comme le raconte saint Matthieu (Mt 14). Le Sauveur veut par là éprouver la foi de la multitude; car en se rendant dans un lieu désert, il veut s'assurer de sa fidélité à le suivre. Or, tout ce peuple en le suivant, sans aucun moyen de transport, et malgré les fatigues d'une longue marche à pied, fait voir le zèle qu'elle a pour son salut. «Mais beaucoup de gens, les ayant vus partir, et ayant connu leur dessein, y accoururent à pied», etc. Puisque cette multitude, qui suit à pied Notre-Seigneur, le précède, il est évident que le Sauveur et ses disciples n'abordèrent point à une rive opposée de la mer et du Jourdain, mais qu'ils s'arrêtèrent dans un lieu voisin de celui d'où ils étaient partis, et où ils furent devancés par ceux qui s'y étaient rendus à pied. - Théophyl. A leur exemple, n'attendez pas que Jésus-Christ vous appelle, mais hâtez-vous de le devancer. - «Et étant sorti de la barque, il vit une grande multitude, et il en eut compassion», etc. Les pharisiens, ces loups ravisseurs, loin de nourrir le peuple, le dévoraient; aussi se presse-t-il en foule autour de Notre-Seigneur, le vrai pasteur qui lui distribue la nourriture spirituelle de la parole de Dieu: «Et il commença à leur enseigner beaucoup de choses». Il voit dette multitude que la vue de ses miracles attire à sa suite malgré les fatigues d'une longue route, il en a compassion, et il satisfait à son désir en l'instruisant. - Bède. Saint Matthieu (Mt 14) rapporte qu'il guérit ceux qui étaient malades; en effet, la vraie compassion pour les pauvres, est de leur ouvrir par l'enseignement la voie de la vérité, et de les délivrer de leurs souffrances corporelles.
S. Jér. Dans le sens mystique, Notre-Seigneur emmène à l'écart ceux qu'il a choisis pour ses disciples, de peur qu'en vivant au milieu des méchants, ils ne soient exposés à imiter leurs exemples; ainsi que Loth le fût dans Sodome (Gn 19), Job dans la terre de Hus (Jb 1), et Abdias dans la maison d'Achah. (1Co 15) Alors que Jésus-Christ s'avance vers le désert des nations, il est suivi d'une multitude innombrable de fidèles qui ont abandonné les habitudes de leur vie ancienne.
Catena Aurea 6535