Catena Aurea 4705

vv. 5-9

4705 Mt 17,5-9

S. Jér. Ceux qui désiraient une tente matérielle faite avec des branches ou des tentures, sont enveloppés et couverts d'un nuage brillant. «Lorsqu'il parlait encore, une nuée lumineuse les couvrit», etc. - S. Chrys. (hom. 56). Quand le Seigneur menace, il fait apparaître une nuée ténébreuse, comme sur le mont Sinaï; mais ici il fait briller une nuée lumineuse, parce qu'il veut, non pas épouvanter, mais instruire. - Orig. Cette nuée qui couvre et protège les saints, c'est la vertu du Père, ou bien l'Esprit saint; je dirai même que notre Sauveur est la nuée lumineuse qui couvre l'Évangile, la loi et les prophètes, comme le comprennent bien ceux qui peu vent y contempler sa lumière. - S. Jér. La demande de Pierre était imprudente: aussi le Seigneur ne lui fait pas de réponse, mais c'est le Père lui-même qui répond pour le Fils, afin d'accomplir cette parole du Seigneur: «Celui qui m'a envoyé, c'est lui-même qui me rend témoignage» (Jn 8,18).

S. Chrys. (hom. 56). Ce n'est ni Moïse ni Élie qui prennent la parole, mais c'est le Père, qui est au-dessus d'eux tous, qui fait entendre sa voix du sein de la nuée, afin que les disciples ne puissent douter que cette voix vient de Dieu, car Dieu apparaît ordinairement dans une nuée, comme il est écrit dans le livre des Psaumes (Ps 97): «Une nuée est autour de lui, et l'obscurité l'environne», c'est ce que nous voyons ici: «Et une voix vint de la nuée», etc. - S. Jér. Le Père fait entendre sa voix du haut du ciel, pour rendre témoignage à son Fils, pour dissiper l'erreur de Pierre, et lui enseigner la vérité, ainsi qu'aux autres Apôtres par son inter médiaire; c'est pour cela qu'il dit: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé». C'est pour lui qu'il faut dresser une tente, c'est à lui qu'il faut obéir, c'est lui qui est le Fils, les autres ne sont que les serviteurs; ils doivent, à votre exemple, préparer au Seigneur une tente dans le secret de leur coeur. - S. Chrys. (hom. 56). Soyez donc sans crainte, Pierre: si Dieu est puissant, il est évident que son Fils a une puissance égale à la sienne; s'il en est aimé, n'ayez aucune crainte; personne ne trahit et n'abandonne celui qu'il aime. Or, vous ne l'aimez pas autant que l'aime son Père; car il n'aime pas seulement son Fils parce qu'il l'a engendré, mais parce qu'il n'a qu'une seule et même volonté avec lui. «Dans lequel j'ai mis toute mon affection». C'est-à-dire dans lequel je repose et que j'ai pour agréable, parce qu'il remplit avec zèle toutes les vo lontés de son Père. Sa volonté est la même que celle de son Père; si donc il veut souffrir la mort de la croix, ne vous y opposez pas. - S. Hil. La voix qui sort de la nuée proclame non-seulement qu'il est le Fils, qu'il est le bien-aimé, celui en qui le Père met son affection, mais encore celui qu'il faut écouter, afin qu'il fût regardé comme le Maître de tels docteurs, lui qui, après sa mort, devait confirmer par un exemple éclatant la gloire du royaume céleste. - Remi. Il dit donc: «Écoutez-le», c'est-à-dire en d'autres termes: Que les ombres de la loi disparaissent, ainsi que les figures des prophètes, et ne suivez plus que la lumière brillante de l'Évangile. - Ou bien encore, ces paroles: «Écoutez-le», signifient qu'il est celui que Moïse avait prédit en ces termes: «Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères: vous l'écouterez comme moi» (Dt 18). C'est ainsi que le Seigneur se procure des témoins de tous côtés, la voix du Père du haut du ciel, Élie qui vient du paradis, Moïse sortant des limbes, les Apôtres choisis parmi les hommes: «Afin qu'au nom de Jésus, tout genou fléchisse, sur la terre, dans le ciel et dans les enfers» (Ph 2). - Orig. La voix qui sort de la nuée s'adressait à Moïse et à Élie qui désiraient voir et entendre le Fils de Dieu, ou bien aux Apôtres pour les instruire.

La Glose. Remarquons le rapport admirable qui existe entre le mystère de cette seconde régénération, qui doit avoir lieu à la résurrection, lorsque notre corps ressuscitera, et le mys tère de la première qui a lieu dans le baptême, où l'âme renaît à une vie nouvelle. Dans le bap tême de Jésus-Christ, nous voyons concourir les trois personnes de la Trinité: le Fils s'y mon tre revêtu d'une chair comme la nôtre, l'Esprit saint y apparaît sous la forme d'une colombe, et le Père s'y déclare dans la voix qui se fait entendre. De même dans la transfiguration, qui est un symbole mystérieux de la seconde régénération, toute la Trinité apparaît, le Père dans la voix, le Fils sous la forme de l'homme, l'Esprit saint dans la nuée. On se demande pourquoi l'Esprit saint apparut d'un côté dans une nuée, et de l'autre sous la forme d'une colombe; la raison en est que l'Esprit saint manifeste ses dons sous des formes sensibles; c'est ainsi que dans le baptême il donne l'innocence figurée par l'oiseau, symbole de la simplicité; dans la résurrection, il nous donnera l'éclat et le rafraîchissement; le rafraîchissement, figuré par la nuée; l'éclat des corps ressuscités, figuré par ce nuage de lumière.

«Et ses disciples, entendant ces paroles, tombèrent le visage contre terre, et furent saisis de crainte». - S. Jér. Ils sont saisis d'effroi pour trois raisons: ou bien parce qu'ils ont reconnu leur erreur, ou bien parce que cette nuée lumineuse les avait enveloppés, ou bien enfin parce qu'ils avaient entendu la voix de Dieu le Père; car la fragilité humaine ne peut supporter la vue d'une gloire bien au-dessus d'elle; l'épouvante s'empare de tout son être, et elle tombe la face contre terre; en effet plus l'homme veut étendre et agrandir ses recherches, plus il fait de lour des chutes, quand il méconnaît ses forces. - Remi. Les saints Apôtres tombent la face contre terre (Gn 17,3 Nb 16,4 Nb 16,52 Tb 12,16 Gn 49,17 Is 28,13 Jn 18,26), circonstance qui est une preuve de leur sainteté; car dans les saintes Écritures, nous voyons les saints tomber le visage contre terre, tandis que les impies sont renversés en arrière. - S. Chrys. (hom. 56). Mais comment se fait-il que les disciples tombent ainsi sur la montagne, alors qu'au baptême de Jésus-Christ, quand une voix semblable se fit entendre, personne, dans la multitude qui était présente, n'éprouva cette impression extraordinaire de crainte? C'est que la solitude, l'élévation de la montagne, le silence profond qui s'étendait au loin, la transfiguration elle-même, si propre à saisir l'imagination, et cette lumière si pure, et cette nuée lumineuse, toutes ces circonstances réunies impressionnaient vive ment les disciples.

S. Jér. Comme ils étaient étendus à terre et ne pouvaient se relever, il s'approcha avec bonté et les toucha, pour dissiper ainsi leur crainte, et fortifier leurs membres affaiblis: «Mais Jésus s'étant approché, les toucha». Il les avait guéris en les touchant, il complète leur guérison par cette parole de commandement: «Levez-vous, et ne craignez point». Il chasse d'abord la crainte, afin de pouvoir ensuite les instruire. «Alors, levant les yeux, ils ne virent plus que Jé sus seul». Effet d'une conduite pleine de sagesse; car si Moïse et Élie étaient restés avec le Seigneur, on n'aurait pas su d'une manière certaine à qui la voix du Père rendait témoignage. Ils voient Jésus debout, alors que la nuée est dissipée, et que Moïse et Élie ont disparu; car après que l'ombre de la loi et des prophètes s'est retirée, on les retrouve tous deux dans l'Évangile. - Suite. «Et lorsqu'ils descendaient de la montagne, Jésus leur fit ce commandement et leur dit: Vous ne direz à personne ce que vous avez vu». Il ne veut pas que cet évé nement soit prêché au peuple, dans la crainte que la grandeur même du prodige ne le rendît incroyable, et que la croix qui devait suivre la manifestation d'une si grande gloire ne fut un scandale pour les esprits grossiers. - Remi. Ou bien encore, si ce mystère de sa gloire avait été publié parmi le p euple, il se serait opposé à l'économie de sa passion, et la rédemption du genre humain aurait pu être ainsi retardée. - S. Hil. Il leur ordonne encore de garder le si lence sur les choses qui viennent de s'accomplir, il veut qu'ils soient remplis de l'Esprit saint avant de rendre témoignage aux faits spirituels qui se sont passés sous leurs yeux.


vv. 10-13

4710 Mt 17,10-13

S. Jér. Suivant une tradition des pharisiens, fondée sur un passage du prophète Malachie (Ml 4,5), la venue d'Élie doit précéder l'avènement du Sauveur pour ramener le coeur des pères à leurs enfants, et le coeur des enfants à leurs pères, et pour tout rétablir dans le premier état. Les disciples pensèrent donc que cette transformation glorieuse était celle dont ils ve naient d'être témoins sur la montagne; comme nous le voyons par la question qu'ils lui adres sent: «Les disciples l'interrogèrent alors et lui dirent: Pourquoi donc les scribes disent-ils qu'il faut qu'Élie vienne auparavant ?» C'est-à-dire: Vous êtes déjà venu dans votre gloire, pourquoi votre précurseur ne paraît-il point? Et ce qui les porte à parler ainsi, c'est la dispari tion d'Élie.

S. Chrys. (hom. 57). Ce n'est point d'après les Écritures que les disciples savaient qu'Élie devait venir, mais parce que les scribes le leur avaient appris, et cette opinion sur Élie et sur le Christ était répandue dans la classe ignorante, du peuple. Or, les scribes n'expliquaient point d'une manière conforme à la vérité l'avènement du Christ et d'Élie. En effet, les Saintes Écritu res annoncent deux avènements du Christ, celui qui a déjà eu lieu et celui qui doit s'accomplir plus tard. Mais les scribes, pour tromper le peuple, ne lui parlaient que d'un seul avènement, et lui disaient que si Jésus était le Christ promis, il devait être précédé par Élie. Le Sauveur donne ici à ses disciples la solution de cette difficulté: «Mais Jésus leur répondit Il est vrai qu'Élie doit venir et rétablir toutes choses. Or, je vous déclare qu'Élie est déjà venu», etc. Ne croyez pas que Notre-Seigneur commette une erreur en disant d'une part qu'Élie doit venir, et de l'autre qu'il est déjà venu. En effet, lorsqu'il prédit qu'Élie doit venir et rétablir toutes choses, il parle d'Élie lui-même en personne. Élie rétablira toutes choses en guérissant l'infidélité des Juifs qui existeront alors, c'est-à-dire, suivant l'Écriture, en réunissant les coeurs des pères avec leurs enfants, ce qui doit s'entendre du coeur des Juifs avec les Apôtres. - S. Aug. (Quest. évang., 1, 21). Ou bien, il rétablira toutes choses, c'est-à-dire ceux que la persécution de l'Antéchrist aura ébranlés; ou bien, il rétablira toutes choses, c'est-à-dire il acquittera sa dette eu mourant. -
S. Chrys. (hom. 57). Si la présence d'Élie doit produire de si grands biens, pourquoi Dieu ne l'a-t-il pas envoyé alors? Nous répondons que les Juifs ont pris le Christ pour Élie et qu'ils n'ont pas cru en lui. Mais alors ils croiront en lui, car lorsqu'après une si longue attente, il viendra leur annoncer Jésus, ils seront plus disposés à recevoir sa pa role. Mais lorsque le Sauveur dit qu'Élie est déjà venu, il donne le nom d'Élie à Jean-Baptiste à cause du ministère qui lui était confié; car de même qu'Élie sera le précurseur du second avè nement, Jean-Baptiste a été le précurseur du premier. Il appelle Jean-Baptiste Élie, pour mon trer le rapport de son premier avènement avec l'Ancien Testament et avec les prophéties.

S. Jér. Celui donc qui doit venir en personne lors du second avènement du Sauveur est déjà venu en esprit et en vertu dans la personne de Jean-Baptiste. «Et ils ne l'ont pas connu», etc. C'est-à-dire qu'ils l'ont méprisé et mis à mort. - S. Hil. Ainsi, celui qui était le précurseur de l'avènement du Sauveur le fut aussi de sa passion, dans les outrages et les persécutions qu'il endura; ce que Notre-Seigneur indique par les paroles suivantes: «C'est ainsi qu'ils feront souffrir le Fils de l'homme». - S. Chrys. (hom. 57). Le Sauveur choisit l'occasion favorable pour leur parler de sa passion, en leur faisant trouver une puissante consolation dans le rappro chement qu'il en fait avec celle de Jean-Baptiste. - S. Jér. Comment peut-on dire qu'Hérode et Hérodias qui ont fait décapiter Jean-Baptiste, ont aussi crucifié Jésus-Christ, alors que nous lisons dans l'Évangile que ce furent les scribes et les pharisiens qui le mirent à mort? Nous répondrons en peu de mots que la faction des pharisiens fut complice de la mort de Jean, et qu'Hérode joignit sa volonté à celle des Juifs qui crucifièrent le Sauveur en le renvoyant à Pi late pour qu'il fût crucifié, après s'en être moqué et l'avoir couvert de son mépris.

Rab. En rapprochant la pensée de la passion du Seigneur, qu'il leur avait souvent prédite, de la mort du précurseur, qui était un fait accompli, les disciples comprirent que c'était de Jean-Baptiste qu'il leur avait parié sous le nom d'Élie. «Alors les disciples comprirent», etc. - Orig. Quant à ce que Notre-Seigneur dit de Jean: «Élie est déjà venu», etc, il ne faut pas l'entendre de l'âme d'Élie, pour ne pas tomber dans la croyance à la métempsycose, qui est contraire à la doctrine de l'Église, mais comme l'ange l'a expliqué à Zacharie, c'est-à-dire qu'il est venu dans l'esprit et la vertu d'Élie.


vv. 14-17

4714 Mt 17,14-17

Orig. Pierre, qui désirait cette vie glorieuse qui venait de lui être révélée, et préférait ses inté rêts aux intérêts du grand nombre, disait: «Nous sommes bien ici». Mais la charité ne cherche pas ses intérêts personnels (1 Co 13); aussi Jésus n'accéda point au désir de son disciple, il descendit vers le peuple comme de la montagne élevée de sa divinité, afin de secourir ceux qui ne pouvaient monter jusqu'à lui, par suite des infirmités de leur âme. C'est ce que signifient ces paroles: «Et lorsqu'il fut venu vers le peuple». Car s'il n'était pas venu le premier vers ce peuple avec les disciples qu'il avait choisis, il n'eût pas vu s'approcher de lui cet homme dont il est dit: «Un homme s'approcha de lui, et se jetant à ses pieds, il lui dit: Seigneur, ayez pitié de mon fils». Remarquons ici que tantôt ce sont les malades eux-mêmes dont la foi sollicite la guérison; tantôt ce sont d'autres personnes qui la demandent pour eux, comme cet homme prosterné aux genoux de Jésus le prie pour son fils; tantôt, enfin, le Sauveur guérit de lui-même sans en avoir été prié. Or, exa minons d'abord ce que signifient ces paroles: «Il est lunatique, et il souffre beaucoup». Les médecins interprètent cette maladie à leur manière, ils ne veulent point y voir l'action de l'esprit impur, mais l'effet d'une douleur matérielle; ils prétendent que les humeurs sont mises en mouvement dans la tête d'après certain rapport d'influence exercé par la lune. Pour nous, qui croyons à l'Évangile, nous disons que c'est l'esprit impur qui est l'auteur de cette maladie dans les hommes. Il observe certaines phases de la lune, et il agit de manière à faire adopter aux hommes cette erreur que leurs maladies sont la suite des influences lunaires, et à leur faire conclure que les créatures de Dieu sont mauvaises. C'est ainsi que d'autres démons observent d'autres signes dans les étoiles pour tendre des pièges aux hommes, et proférer contre le ciel des paroles d'iniquité, c'est-à-dire qu'il existe des étoiles malfaisantes, et d'autres douées de qualités contraires, quand il est vrai de dire que Dieu n'a créé aucune étoile qui puisse faire du mal aux hommes.

«Car souvent il tombe dans le feu», etc. - S. Chrys. (hom. 57). Remarquons que si cet homme n'avait pas été protégé par la Providence, il fût mort depuis longtemps; car le démon qui le précipitait dans le feu et dans l'eau l'aurait fait périr, si Dieu n'eût mis frein à sa fureur. - S. Jér. «Je l'ai présenté à vos disciples, et ils n'ont pu le guérir». Il accuse indirectement les Apôtres, bien que cependant le défaut de guérison ne vienne pas toujours de l'impuissance de ceux qui essaient de guérir, mais du peu de foi de ceux. qui veulent être guéris. - S. Chrys. (hom. 57). Voyez, d'ailleurs, comme cet homme est imprudent; c'est en présence de la foule qu'il cherche à indisposer Jésus contre ses disciples; mais Jésus les justifie aussitôt en rejetant sur lui seul le défaut de guérison. Nous avons, en effet, plusieurs preuves de son peu de foi. Cependant le Sauveur, pour ne pas le décourager, ne fait pas tomber sur lui seul ses reproches, mais sur tous les Juifs; car il est probable que plusieurs d'entre eux avaient mauvaise opinion de ses disciples. Or, Jésus répondit: «Jusques à quand serai-je avec vous ?» etc., paroles qui nous montrent le désir qu'il avait de sortir de la vie et de souffrir la mort.

Remi. Il faut se rappeler que ce n'est pas seulement de ce jour, mais de longtemps auparavant, que le Seigneur avait à souffrir de la méchanceté des Juifs; c'est pour cela qu'il dit: «Jusques à quand serai-je avec vous ?» C'est-à-dire j'ai souffert depuis trop longtemps de vos injustices, et vous êtes indignes de ma présence. - Orig. Ou bien, ses disciples n'ayant pu guérir cet homme par suite de leur peu de foi, c'est à eux qu'il adresse ce reproche: «O génération incré dule !» Il ajoute: «Et dépravée», pour nous apprendre que le mal a pour cause sur la terre la perversité des hommes, et non leur nature, et c'est, je pense, cette perversité de tout le genre humain qui le fait s'écrier comme accablé sous le poids de tant de malice: «Jusques à quand serai-je avec vous ?» - S. Jér. N'allons pas croire que le Sauveur se soit laissé abattre par l'ennui, et que lui, si doux et si pacifique, ait éclaté en paroles de colère; non, il agit ici comme un médecin qui, voyant un malade aller contre ses ordonnances, dirait: Jusques à quand vien drai-je ici? jusques à quand perdrai-je mes soins et mes peines, puisque vous faites le contraire de ce que je vous ordonne? Une preuve qu'il n'est pas irrité contre cet homme, mais seule ment contre sa mauvaise disposition, et que dan s sa personne il veut reprendre l'incrédulité de tous les Juifs, c'est qu'il ajoute: «Amenez-moi ici cet enfant». - S. Chrys. (hom. 57). Après avoir excusé, ses disciples, il inspire au père de cet enfant l'espérance douce et certaine de la guérison de son fils, et pour amener le père à croire à ce miracle, il menace le démon qu'il voit s'agiter et trembler au seul son de sa voix. «Et Jésus le menaça», non pas celui qui souf frait, mais le démon. - Remi. Il laisse en cela un exemple aux prédicateurs, c'est de reprendre et de poursuivre les vices, mais de soulager les hommes. - S. Jér. Ou bien il réprimande cet en fant, parce que ses péchés étaient cause qu'il était tourmenté par le démon.

«Et le démon sortit de lui». - Rab. Car aucune infirmité ne résiste à l'action du Tout-Puissant qui donne la guérison.

S. Jér. Pour moi, je crois que dans le sens figuré le lunatique est celui qui, par moment, re tourne au vice, et qui tantôt se précipite dans le feu, parce que le coeur des adultères est comme une fournaise embrasée (Os 7,4 Os 7,6); tantôt se jette dans les eaux des voluptés et des désirs charnels qui ne peuvent éteindre la charité. - S. Aug. (Quest. évang., 1, 22). Ou bien, le feu signifie la colère, parce qu'il tend à s'élever en haut; et l'eau les voluptés de la chair. - Orig. L'Esprit saint, parlant de l'inconstance du pécheur, dit: «L'insensé est changeant comme la lune» (Si 27,11). On voit, en effet, ces hommes se livrer avec une espèce d'impétuosité à la pratique des bonnes oeuvres, et puis soudain, comme emportés par un mauvais esprit, devenir les esclaves de leurs passions, et déchoir du haut degré de vertu où on les croyait inébranlables. Peut-être est-ce l'ange à qui Dieu a confié la garde de ce lunati que, qui est appelé ici son père, et c'est lui qui prie le médecin des âmes comme pour son fils, et lui demande de délivrer celui que n'a pu guérir la parole impuissante des disciples du Christ, parole qu'il n'a point voulu entendre, comme s'il était atteint de surdité; il faut la parole du Christ pour qu'il agisse désormais suivant les inspirations de la raison.


vv. 18-20

4718 Mt 17,18-20

S. Chrys. (hom. 57). Les Apôtres avaient reçu le pouvoir de chasser les esprits immondes, et comme cependant ils n'avaient pu délivrer le démoniaque qui leur avait été présenté, on peut supposer qu'ils doutaient s'ils avaient encore le pouvoir qui leur avait été donné. C'est ce que l'Évangéliste nous exprime en disant: «Alors les disciples vinrent trouver Jésus», etc. Ils l'interrogent en particulier, non par un sentiment de crainte ou de honte, mais parce qu'ils avaient à lui demander l'explication d'une chose extraordinaire et mystérieuse.

«Jésus leur répondit: A cause de votre incrédulité». - S. Hil. Les Apôtres avaient la foi, sans doute; mais elle était loin d'être parfaite; car pendant le séjour du Seigneur sur la monta gne, elle s'était bien affaiblie au contact de la foule, au milieu de laquelle ils étaient restés. - S. Chrys. (hom. 57). Il est donc évident, d'après ces paroles, que quelques-uns des disci ples, mais non pas tous, avaient faibli dans la foi; car ceux qui étaient comme les colonnes (Ga 2,9), c'est-à-dire Pierre, Jacques et Jean, n'étaient pas alors avec eux. - S. Jér. C'est cette vérité que le Seigneur leur rappelle dans un autre endroit (Jn 15): «Tout ce que vous demanderez en mon nom, vous le recevrez, si vous avez la foi». Donc toutes les fois que nous ne recevons pas, ce n'est pas l'impuissance de celui qui accorde, mais la faute de ceux qui demandent qui en est cause.

S. Chrys. (hom. 57). Il faut cependant se rappeler que souvent la foi de celui qui prie suffit pour obtenir le miracle qu'il demande, que bien des fois aussi la puissance de celui qui opère le miracle suffit également, lors même que ceux qui demandent ce miracle n'ont pas la foi. Car si d'un côté ceux qui vinrent trouver Pierre en faveur du centurion Corneille attirèrent sur lui la grâce de l'Esprit saint par la foi personnelle; d'un autre côté, le mort qui fut jeté dans le tom beau d'Elisée ressuscita par la vertu seule du corps du saint prophète (2R 13,21). Or, il arriva que les disciples faiblirent ici dans la foi, parce que leurs dispositions étaient imparfaites avant la passion du Sauveur. C'est pour cela qu'il donne ici la foi comme la cause des miracles: «Je vous le dis en vérité, si vous aviez de la foi», etc. - S. Jér. Il en est qui pensent que la foi qui est ici comparée au grain de senevé, est petite et faible; mais qu'ils écoutent le grand Apôtre s'écriant: «Quand j'aurais une foi si grande, que je pourrais transporter les montagnes» (1Co 13,2). C'est donc une grande chose que la foi que le Sauveur compare ici à un grain de senevé.

S. Grég. (Moral. 1, 2 ou 4, Pref). Si le grain de sénevé n'est broyé, il ne fait point sentir sa vertu; ainsi, c'est lorsque la persécution accable et broie pour ainsi dire l'homme juste, que tout ce qui paraissait en lui de méprisable et d'informe se change en vertu pleine de ferveur. - Orig. (Traité 4 sur S. Matth). Ou bien encore, la foi est comparée au grain de sénevé, parce que les hommes n'ont pour elle que du dédain et la regardent comme une chose de peu d'importance et sans aucune valeur. Mais lorsque cette semence trouve une âme bonne, comme une terre bien disposée, elle devient un grand arbre. Or, la maladie de ce lunatique est si forte et si difficile à guérir parmi toutes les autres, qu'elle est comparée ici à une montagne et qu'elle ne peut être guérie que par toute la foi de celui qui entreprend cette guérison. - S. Chrys. (hom. 57). C'est pour cela que le Sauveur la compare indirectement au transport d'une montagne, et qu'il va même au delà en ajoutant: «Et rien ne vous sera impossible». - Rab. Ainsi la foi rend notre âme capable de recevoir tous les dons du Ciel et d'obtenir avec la plus grande facilité tout ce que nous pouvons demander au Seigneur, fidèle dans ses promesses.

S. Chrys. (hom. 57). Si vous me demandez: Quand donc les Apôtres ont-ils transporté des montagnes? je vous répondrai qu'ils ont opéré des prodiges bien plus grands en ressuscitant plusieurs fois des morts. Mais l'histoire nous apprend qu'après les Apôtres, des saints qui leur étaient inférieurs ont réellement transporté des montagnes dans des nécessités pressantes. Si les Apôtres eux-mêmes n'ont pas fait de miracles de ce genre, ce n'est point impuissance de leur part, mais parce qu'ils ne l'ont pas voulu, n'y voyant aucune nécessité. Le Seigneur ne dit pas d'ailleurs qu'ils feraient ce miracle, mais qu'ils pourraient le faire. Il est probable cepen dant qu'ils ont opéré ce prodige, mais les Évangélistes ne nous en ont point conservé le souvenir, car ils n'ont pas rapporté tous les miracles faits par les Apôtres. - S. Jér. Ou bien encore, la montagne qu'il s'agit ici de transporter n'est point une de ces montagnes qui peut être aperçue des yeux du corps, mais cette montagne qui fut enlevée de l'âme du lunatique et dont Jérémie a dit qu'elle corrompait toute la terre (Jr 51,25).

La Glose. Voici donc le sens de ces paroles: Vous direz à cette montagne, c'est-à-dire au démon plein d'orgueil: Transporte-toi d'ici, c'est-à-dire de ce corps que tu obsèdes, dans les profondeurs de la mer, c'est-à-dire dans les abîmes de l'enfer; et il s'y transportera, et rien ne vous sera impossible, c'est-à-dire qu'il n'y aura point de maladie que vous ne puissiez guérir. - S. Aug. (De l'acc. des Ev., 1, 22). Ou bien, dans un autre sens, de peur que les Apôtres ne vinssent à s'enorgueillir des miracles qu'ils opéraient, Notre-Seigneur les avertit de chercher plutôt à remplacer la vanité naturelle à l'homme, figurée ici par une montagne élevée, par l'humilité de la foi, qu'il compare à un grain de sénevé.

Rab. En enseignant aux Apôtres ce qu'ils doivent faire pour chasser les démons, il nous apprend à tous les règles de la vie spirituelle, c'est-à-dire que nous pouvons surmonter les plus fortes tentations, qu'elles viennent des esprits impurs ou des hommes, par la prière et par le jeûne, et que c'est encore un des moyens les plus efficaces d'apaiser la colère de Dieu; c'est pour cela qu'il ajoute: «Cette sorte de démon ne se chasse que par la prière et par le jeûne». - S. Chrys. (homélie 57). Le Sauveur ne parle pas ici seulement de l'espèce des lunatiques, mais de tous les démons, quels qu'ils soient; car le jeûne est une source abondante de sagesse; il rend l'homme semblable à un ange descendu du ciel et le revêt d'une force toute divine pour combattre les puissances invisibles. Mais la prière lui est encore plus nécessaire, car celui qui joint le jeûne à une prière bien faite est affranchi de bien des nécessités; il n'est plus esclave de l'avarice; au contraire, sa main se répand facilement en aumônes. De même celui qui jeûne est beaucoup plus dégagé, sa prière est plus attentive et plus recueillie; il éteint dans son coeur les mauvais désirs, se rend Dieu propice et humilie l'orgueil de son âme. Celui donc qui sait unir la prière au jeûne a, pour ainsi dire deux ailes plus rapides que les vents; il ne se laisse atteindre dans la prière ni par l'ennui, ni par la tiédeur, défauts si communs dans un grand nombre; m ais il est plus ardent que le feu et plus élevé que la terre, et un tel homme est pardessus tout re doutable au démon. Rien n'est plus fort que l'homme qui sait bien prier. Si la faiblesse de votre tempérament ne vous permet pas de jeûner continuellement, au moins vous permet-elle de prier, et si vous ne pouvez jeûner, vous pouvez au moins ne pas vous livrer à la volupté. Or, c'est là un acte de haute importance et qui égale presque le mérite du jeûne. - Orig. Si donc nous devons, un jour entreprendre et poursuivre la guérison d'un mal semblable, n'adjurons pas l'esprit impur, ne l'interrogeons pas comme s'il nous entendait; mais chassons ces esprits malins par nos jeûnes et par nos prières. - La Glose. Ou bien encore on ne peut vaincre cette espèce de démon, c'est-à-dire cette inconstance des voluptés charnelles, qu'en fortifiant son esprit par la prière et en macérant son corps par les jeûnes. - Remi. Ou bien enfin, le jeûne doit s'entendre ici dans un sens plus étendu, non-seulement de l'abstinence des aliments, mais du renoncement à toute volupté charnelle et à toutes les passions qui portent au péché; il faut entendre également la prière dans un sens général en tant qu'elle comprend les oeuvres de la piété et de la charité, prière que l'Apôtre recommande quand il dit: «Ne cessez point de prier».


vv. 21-22

4721 Mt 17,21-22

Remi. Notre-Seigneur prédit souvent à ses disciples les mystères de sa passion, afin que la connaissance plus grande qu'il leur en donne par avance les aide à supporter plus facilement cette épreuve lorsqu'elle sera arrivée; c'est pour cela que nous lisons ici: «Comme ils étaient en Galilée, Jésus leur dit: Le Fils de l'homme doit être livré», etc. - Orig. Au premier abord, ces paroles paraissent être les mêmes que celles qui ont été rapportées plus haut, et on pourrait dire qu'elles n'en sont qu'une répétition, mais il n'en est pas ainsi; en effet, dans les paroles qui précèdent, il n'est pas dit que le Fils de l'homme sera livré; ici, au contraire, nous voyons que non-seulement il sera livré, mais qu'il sera livré entre les mains des hommes. L'Apôtre déclare que le Fils a été livré par Dieu le Père (Rm 8); mais il est également vrai qu'il fut livré entre les mains des hommes par les puissances ennemies.

S. Jér. Notre-Seigneur entremêle toujours des pensées consolantes aux souvenirs affligeants; en effet, si la prédiction de sa mort est de nature à les contrister, la pensée de sa résurrection doit les combler de joie. - S. Chrys. (hom. 57). Il leur prédit qu'il ne restera pas longtemps dans le sein de la mort, mais qu'il ressuscitera le troisième jour. - Orig. Cependant cette prédiction du Seigneur les jette dans la tristesse, comme le remarque l'Évangéliste: «Et ils furent pro fondément affligés». Ils ne firent point attention aux paroles suivantes: «Et il ressuscitera le troisième jour», et ne réfléchirent point quel était celui qui n'avait besoin que de trois jours pour triompher de la mort. - S. Jér. Or, cette tristesse profonde qu'ils éprouvent ne vient pas de l'incrédulité, mais de l'amour qu'ils avaient pour leur Maître et qui ne leur permettait d'entendre rien qui lui fût contraire ou qui parût indigne de lui.


vv. 23-26

4723 Mt 17,23-26

La Glose. Comme les disciples avaient été attristés en entendant parler des souffrances du Sauveur, afin que personne n'attribuât sa passion à la nécessité plutôt qu'à son humilité, l'Évangéliste rapporte un fait qui démontre à la fois la liberté et l'humilité de Jésus-Christ: «Et étant venu à Capharnaüm, ceux qui recevaient le tribut de deux drachmes s'approchèrent», etc. S. Hil. On vient demander au Seigneur de payer l'impôt de deux drachmes, c'est-à-dire de deux deniers. La loi commandait à tous les Israélites, pour le rachat de leur corps et de leur âme, cet impôt destiné à l'entretien des ministres du temple. - S. Chrys. (hom. 58). Lorsque le Seigneur immola les premiers-nés des Égyptiens, il prit la tribu de Lévi en souvenir de cet événement. Mais comme le nombre des premiers-nés des Juifs était plus considérable que le nombre des membres de la tribu de Lévi, il ordonna de payer un sicle pour le prix de ceux qui dépassaient ce nombre; et de là vint la coutume de payer cet impôt pour les premiers-nés. Or, comme Jésus-Christ était premier-né et que Pierre paraissait être le premier des disciples, ils s'adressent à lui. Je ne crois pas du reste qu'ils demandaient ce tribut dans toutes les villes, et s'ils viennent trouver Jésus à Capharnaüm, c'est qu'ils pensaient que c'était sa patrie.

S. Jér. Ou bien encore on peut dire qu'après César-Auguste, la Judée, étant devenue tribu taire, l'impôt personnel atteignait tous les individus; c'est pour cela que Joseph et Marie, qui étaient de la même tribu, partirent pour Bethléem, afin de s'y faire inscrire. Mais comme Notre-Seigneur avait été élevé à Nazareth, qui est un bourg de la Galilée, voisin de Capharnaüm, on lui demande de payer le tribut dans cet endroit; ceux qui percevaient cet impôt, n'osant pas le demander à Jésus-Christ lui-même, intimidés qu'ils étaient par la grandeur de ses miracles, ils s'adressent à son disciple. - S. Chrys. (hom. 58). Ils l'interrogent sans arrogance, mais avec douceur et sans formuler d'accusation. C'est une simple question qu'ils lui posent: «Votre maître ne paie-t-il pas le tribut des deux drachmes ?» - S. Jér. Ou bien ils l'interrogent avec malice pour savoir s'il paie les impôts et s'il n'est pas en opposition avec les ordres de César.

S. Chrys. (hom 58). Or, quelle est la réponse de Pierre? «Et il leur répondit: Oui».C'est à eux que s'adresse sa réponse et non pas à Jésus-Christ, car il rougissait d'avoir à lui parler de choses semblables. - La Glose. Ou bien dans un autre sens, Pierre répond oui, c'est-à-dire: il est vrai qu'il ne le paie pas. Pierre voulait faire connaître indirectement au Sauveur que les hérodiens exigeaient cet impôt; mais le Seigneur va au devant: «Et lorsqu'il fut entré dans la maison, il le prévint». - S. Jér. Avant même que Pierre lui ait fait part de cette question, Notre-Seigneur l'interroge, afin que ses disciples ne soient pas scandalisés de ce qu'on lui de mande de payer l'impôt, en voyant qu'il sait parfaitement ce qui s'est passé en son absence.

«Et il répondit: Des étrangers; Jésus lui dit: Donc les enfants en sont exempts». - Orig. Cette réponse peut s'entendre de deux manières différentes. Dans le premier sens, les fils des rois de la terre sont libres et exempts chez les rois de la terre et les étrangers qui habitent au delà des frontières sont libres aussi; mais ceux qui les oppriment comme les Égyptiens oppri maient les enfants d'Israël, les rendent esclaves. Dans le second sens, bien que quelques-uns soient étrangers aux fils des rois de la terre, par cela même qu'ils sont les enfants de Dieu, ils sont libres; ce sont ceux qui persévèrent dans les enseignements de Jésus, qui ont connu la vérité et que la vérité a délivrés de la servitude du péché. Au contraire, dans ce sens, les fils des rois de la terre ne sont pas libres, car quiconque commet le péché est esclave du péché (Jn 8,34). - S. Jér. Quant à Notre-Seigneur, il était fils de roi et selon la chair et selon l'esprit, étant tout à la fois sorti de la souche de David, et le Verbe du Père tout-puissant; donc, comme fils de roi, il ne devait pas les impôts. - S. Aug. (Quest. évang., 1, 23). Le Sauveur dit que dans tout royaume les enfants sont libres, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas soumis à l'impôt; donc à plus juste titre, les fils de ce roi de qui relèvent tous les royaumes doivent être libres de l'impôt dans tous les royaumes de la terre. - S. Chrys. (hom. 58). Or, s'il n'était pas le fils, ce langage serait sans raison. On me dira peut-être: Il est le fils, mais non pas le propre fils; il est donc étranger, et ainsi cet exemple n'a au cune force. Je réponds que le Sauveur parle ici des fils proprement dits, par opposition aux étrangers qui ne sont pas nés de la substance même des parents. Or, voyez comme Jésus-Christ confirme ici la vérité que le Père céleste avait révélée à Pierre et qui lui avait dicté ces paroles: «Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant».

S. Jér. Cependant, quoiqu'il fût libre, comme il avait pris toutes les humiliations de notre na ture, il dut accomplir toute justice. Il ajoute donc: «Mais, afin que nous ne les scandalisions pas», etc. - Orig. Comme conséquence naturelle de ces paroles, nous devons comprendre que toutes les fois que des hommes se présentent pour nous prendre les biens de la terre au nom de la justice, ce sont les rois de la terre qui leur transmettent l'ordre d'exiger de nous ce qui leur appartient, et le Seigneur nous défend par son exemple de donner aucun scandale à ceux qui sont chargés de cette mission, ou pour ne pas les exposer à de plus grandes fautes, ou pour les amener au salut. C'est ainsi que le Fils de Dieu, qui ne fit jamais aucune oeuvre servile, paya cependant l'impôt et la capitation, parce qu'il avait revêtu la forme d'esclave par amour pour les hommes. - S. Jér. Je ne sais ce que je dois en premier lieu admirer ici, ou la prescience ou la puissance du Sauveur: la prescience, qui lui fit connaître qu'un poisson avait une pièce de monnaie dans la bouche et que ce poisson devait être le premier pris; sa puissance, si une seule parole a suffi pour créer cette pièce de monnaie dans la bouche d'un poisson et s'il a été ainsi l'auteur de ce qui devait arriver. Jésus-Christ, dans son excessive charité, a donc souffert la mort de la croix et payé les impôts, et nous, malheureux que nous sommes, qui portons le nom du Christ et qui n'avons jamais rien fait de digne d'une si grande majesté, nous sommes affranchis du tribut par honneur pour lui, et exempts d'impôts comme les fils des rois. Ces paroles, comprises dans leur sens le plus simple, sont encore un sujet d'édification pour ceux qui les entendent et qui apprennent ainsi que Notre-Seigneur fut si pauvre, qu'il n'avait pas de quoi payer l'impôt pour lui et pour son disciple. On nous objectera peut-être: Mais alors comment Judas pouvait-il porter de l'argent dans une bourse? Nous répondons que Jésus regarda comme un crime d'appliquer à son usage l'argent destiné aux pauvres et qu'il nous a donné cet exemple à imiter. - S. Chrys. Ou bien il ne veut pas qu'on prenne de l'argent qui est en réserve pour montrer que son empire s'étend sur la mer et sur les poissons qui l'habitent. - Orig. Ou bien, comme Jésus ne portait pas de pièce de monnaie à l'effigie de César, parce que le prince de ce monde n'avait aucun droit sur lui, il prit une pièce de monnaie à l'image de César non dans ce qui pouvait lui appartenir, mais dans le sein de la mer; et encore il n'alla pas la chercher lui-même et n'en fit pas sa propriété, afin qu'on ne pût trouver l'effigie de César auprès de l'image du Dieu invisible. Voyez quelle prudence dans la conduite de Jésus-Christ: il ne refuse pas le tribut, il ne veut pas non plus qu'on le paie de la manière ordinaire; mais il fait d'abord remarquer qu'il n'y est pas soumis, et c'est alors seulement qu'il le paie. Ainsi, d'un côté il commande de payer l'impôt pour ne pas scandaliser ceux qui sont chargés de le perce voir, et il montre, de l'autre, qu'il n'y est pas soumis pour ne pas scandaliser ses disciples. Dans une autre circonstance, nous le voyons mépriser le scandale que pouvaient prendre les pharisiens de sa doctrine sur les aliments, et il nous enseigne par là à discerner les circonstances où il faut ne faire aucune attention à ceux qui se scandalisent et celles où il faut en tenir compte. - S. Grég. (hom. 7 sur Ezech). Remarquons, en effet, que nous devons, autant que nous le pouvons sans péché, éviter de scandaliser le prochain; mais si c'est la vérité même qui donne lieu au scandale, il vaut mieux le permettre que de sacrifier la vérité. - S. Chrys. (hom. 58). La puissance du Christ vous paraît ici admirable; mais admirez égale ment la foi de Pierre, qui obéit dans une chose aussi difficile. Aussi Notre-Seigneur, voulant récompenser sa foi, daigne se l'associer dans le paiement de l'impôt, ce qui fut pour Pierre un témoignage insigne d'honneur. «Ouvrez la bouche de ce poisson, lui dit-il; vous y trouverez une pièce d'argent de quatre drachmes; donnez-la pour vous et pour moi». - La Glose. C'était la coutume que chacun payât pour soi un didrachme, et le statère valait deux drachmes.

Orig. Dans le sens figuré, Notre-Seigneur, dans le champ de la consolation (car c'est ce que signifie le mot Capharnaüm), console tous ses disciples, les déclare des enfants libres et leur donne le pouvoir de pêcher ce premier poisson dans lequel Pierre trouve sa consolation, comme dans le fruit de sa pêche. -
S. Hil. En commandant à Pierre d'aller pêcher le premier poisson, le Seigneur nous déclare que d'autres viendront à la suite. Le bienheureux Etienne, le premier des martyrs, est le premier tiré de l'eau, et il a dans la bouche le didrachme de la prédi cation nouvelle, de la valeur de deux deniers, car il prêchait en contemplant dans son martyre la gloire de Dieu et Notre-Seigneur Jésus-Christ. - S. Jér. Ou bien le premier poisson qui est tiré de l'eau, c'est le premier Adam qui est délivré par le second Adam; et ce qui est trouvé dans sa bouche, c'est-à-dire dans sa confession, est donné à la fois pour Pierre et pour le Seigneur. - Orig. Lorsque vous verrez un avare corrigé par quelque nouveau Pierre qui lui aura retiré de la bouche le langage des intérêts de la terre; vous pourrez dire qu'il a été tiré à l'aide du hameçon de la raison du sein de la mer, c'est-à-dire des flots des sollicitudes de l'avarice, et qu'il a été pris et sauvé par ce nouvel Apôtre qui lui a enseigné la vérité, et lui a donné à la place des deux drachmes l'image de Dieu, c'est-à-dire sa parole. - S. Jér. Il est à remarquer que c'est la même somme qui est payée, mais dans un sens différent; car pour Pierre elle est payée comme pour un pécheur. Notre-Seigneur, au contraire, n'a commis aucun péché. Cependant, comme preuve qu'il avait une chair semblable à la nôtre, la même somme est payée pour le Seigneur et pour le serviteur.


Catena Aurea 4705