Catena Aurea 4723
4801 Mt 18,1-6
S. Jér. Les disciples, voyant que le même impôt avait été payé également pour Pierre et pour le Sauveur, en conclurent que Pierre était placé au-dessus de tous les autres Apôtres. - S. Chrys. (homélie 58). Cette pensée leur inspira un sentiment tout naturel et tout humain, que l'Évangéliste nous exprime en ces termes: «En ce même temps, les disciples s'approchèrent de Jésus et lui dirent: Qui pensez-vous qui soit le plus grand dans le royaume des cieux ?»Ils rougissent d'avouer le sentiment de jalousie qui les domine; ils ne demandent pas ouverte ment: Pourquoi avez-vous honoré Pierre plus que nous? mais ils lui font cette question en général: «Quel est le plus grand ?»Lorsqu'ils avaient vu ces marques d'honneur accordées à trois d'entre eux dans la transfiguration, ils n'éprouvèrent rien de semblable; mais ils furent péniblement affectés quand cet honneur sembla se concentrer sur un seul. Remarquez cepen dant qu'ils ne demandent rien des choses de la terre et qu'ils étouffèrent ensuite ce sentiment de jalousie, tandis que pour nous, nous ne pouvons même nous élever jusqu'à leurs défauts, car nous ne cherchons pas à savoir quel est le plus grand dans le royaume des cieux, mais quel est plus grand dans les royaumes de la terre.
Orig. (Traité 5 sur S. Matth). Nous devons imiter la conduite des disciples toutes les fois qu'il s'élève en nous quelques doutes que nous ne pouvons résoudre. Il nous faut venir d'un commun accord trouver Jésus, qui a la puissance d'éclairer le coeur des hommes et de leur faire comprendre la solution de toutes les difficultés; interrogeons aussi un des docteurs qui sont à la tête des églises. Les disciples, en faisant cette question, savaient bien que les saints ne sont pas égaux dans le royaume du ciel, mais ils désiraient savoir par quel moyen on parvenait à être le plus grand et comment on arrivait à être le plus petit. Ou bien encore, d'après ce que Notre-Seigneur leur avait dit précédemment, ils savaient quel était le plus petit et quel était le plus grand; mais ils ignoraient quel était le premier dans le nombre de ceux qui passaient pour grands.
S. Jér. Jésus, voyant leurs pensées, voulut guérir ce désir de vaine gloire en leur proposant un combat tout d'humilité: «Et ayant appelé un petit enfant». - S. Chrys. (hom. 58). Rien de plus sage que la conduite de Notre-Seigneur plaçant au milieu d'eux un tout petit enfant, exempt de toute passion. - S. Jér. Il veut ainsi montrer réunis en lui l'âge et le symbole de l'innocence. Ou bien c'est lui-même qu'il place au milieu d'eux comme un petit enfant, lui qui n'était pas venu pour être servi, afin de leur donner un exemple frappant d'humilité. D'autres entendent par ce petit enfant l'Esprit saint, que Jésus plaça dans le coeur de ses disciples pour changer leur orgueil en humilité. «Et il leur dit: Je vous dis en vérité que si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme de petits enfants», etc. Il ne fait pas un précepte à ses disciples de reprendre l'âge des enfants, mais d'avoir leur innocence et d'atteindre par leurs efforts à ce que les enfants possè dent par le privilège de leur âge, c'est-à-dire d'être petits en malice et non en sagesse (1Co 14). Voici le sens de ces paroles: Voyez cet enfant dont je vous propose l'exemple: il ne persévère pas dans sa colère, il oublie les injures, il ne met pas son plaisir dans la vue d'une belle femme, il ne parle pas autrement qu'il ne pense. Or, à moins d'avoir cette innocence et cette pureté d'âme, vous ne pourrez entrer dans le royaume des cieux. - S. Hil. (can. 14 sur S. Matth). Ces enfants sont aussi tous les fidèles, à cause de leur obéissance à la foi, car ils se font gloire de suivre leur père, d'aimer leur mère; ils ignorent ce que c'est que de vouloir le mal; ils négligent les soucis des affaires, n'ont ni arrogance, ni haine, ni habitude du men songe; ils croient à ce qu'on leur dit et tiennent pour vrai ce qu'ils entendent. Tel est aussi le sens litté ral de ces paroles.
La Glose. (interlin). Si vous ne dépouillez ces sentiments d'orgueil et de secrète irritation qui vous dominent actuellement, pour devenir tous innocents et humbles par vertu, comme les enfants le sont par leur âge, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux, car on n'y entre pas à d'autres conditions. Quiconque donc s'humiliera comme cet enfant, celui-là sera le plus grand dans le royaume des cieux; car plus on s'humiliera, plus aussi on deviendra grand dans le royaume des cieux. - Remi. C'est-à-dire dans la connaissance de la grâce, ou bien dans la hiérarchie ecclésiastique, ou certainement dans l'éternelle félicité. - S. Jn. Ou bien encore, quiconque s'humiliera comme cet enfant, c'est-à-dire celui qui s'humiliera à mon exemple, celui-là entrera dans le royaume des cieux.
«Et quiconque reçoit en mon nom un enfant tel que celui que je viens de dire, c'est moi qu'il reçoit». Paroles dont voici le sens: Ce n'est pas seulement en devenant semblables à cet en fant, mais encore en honorant à cause de moi ceux qui leur ressemblent, que vous aurez droit à la récompense, et je vous assigne comme récompense de l'honneur que vous leur aurez témoi gné, le royaume des cieux. Mais une récompense bien supérieure encore, c'est ce qui suit: «C'est moi qu'il reçoit». - S. Jér. Car c'est Jésus-Christ que l'on reçoit en recevant celui qui reproduit dans toute sa vie l'humilité et l'innocence du Sauveur. Mais de peur que les Apôtres ne s'attribuent d'eux-mêmes cet honneur qu'on pourra leur rendre, le Sauveur ajoute avec sagesse que ce n'est pas à cause de leur mérite, mais en considération de leur Maître qu'ils recevront cet honneur.
S. Chrys. (hom. 58). Pour leur faire recevoir et pratiquer plus facilement ces vérités, il leur donne ensuite la sanction des châtiments: «Si quelqu'un scandalise», etc., c'est-à-dire: de même que ceux qui honorent ces petits à cause de moi seront jugés dignes de récompense, ainsi, ceux qui les méprisent seront punis des derniers châtiments. Ne soyez pas surpris de l'entendre appeler les outrages un scandale, car bien souvent les caractères faibles sont scanda lisés par le mépris qu'on fait d'eux. - S. Jér. Remarquez que ce sont les petits qui sont scan dalisés, car ceux qui sont plus forts ne se scandalisent pas si facilement. Or, bien que cette condamnation, prononcée par le Sauveur, atteigne en général tous ceux qui sont pour les au tres une occasion de scandale, la suite du discours nous permet aussi de l'appliquer aux Apô tres eux-mêmes; car cette question: Quel est le plus grand dans le royaume des cieux, parais sait être entre eux une question de prééminence, et s'ils avaient persévéré dans cette mauvaise disposition, ils auraient pu perdre, par ce scandale, ceux qu'ils appelaient à la foi et qui les au raient vus divisés par une question de préséance. - Orig. Mais comment expliquer que celui qui s'est converti et qui est devenu semblable à un enfant soit donné comme petit et susceptible d'être scandalisé? Voici comment on peut résoudre cette difficulté. Celui qui croit au Fils de Dieu et vit d'une manière conforme à l'Évangile s'est transformé jusqu'à devenir semblable à un enfant. Celui au contraire qui n'a point subi cette bienheureuse transformation, ne peut en trer dans le royaume des cieux. Or, dans la multitude innombrable de ceux qui ont embrassé la foi, il en est qui sont nouvellement convertis et qui travaillent à devenir semblables à des enfants, mais qui ne le sont pas encore devenus; ces derniers sont faibles en Jésus-Christ et peuvent être facilement scandalisés.
S. Jér. En ajoutant: «Il vaudrait mieux pour lui qu'on lui attachât une meule de moulin au cou», etc., Notre-Seigneur parle d'après l'usage de ces contrées, car chez les anciens Juifs la peine infligée aux plus grands crimes était d'être précipité dans la mer après avoir été attaché à une pierre. Or, il lui serait avantageux qu'il en fût ainsi, car il vaut beaucoup mieux subir pour sa faute une peine de courte durée que d'être réservé à des châtiments éternels. - S. Chrys. (homélie 58). Il était ce semble naturel et logique que le Sauveur terminât cette seconde partie en disant: «C'est moi qu'il ne reçoit pas», ce qui était de tous les châtiments le plus sensible; mais comme les disciples étaient encore peu avancés et qu'une peine semblable ne pouvait les impressionner, il leur fait connaître, par la comparaison d'un fait qui leur est connu, le supplice qui leur est préparé, et il leur déclare qu'il vaudrait mieux pour eux subir ce châtiment temporel, parce qu'un supplice bien plus terrible leur est réservé.
S. Hil. Dans le sens mystique, le supplice de la meule, c'est la peine de l'aveuglement spirituel; car c'est après qu'on leur a couvert les yeux que l'on fait tourner la meule aux animaux. Nous voyons aussi souvent les Gentils désignés sous le symbole de l'âne, parce qu'ils sont renfermés dans l'ignorance d'un travail dont ils ne peuvent voir la fin. Pour les Juifs, au contraire, la loi leur a tracé le chemin de la science, et, s'ils viennent à scandaliser les Apôtres du Christ, il aurait mieux valu pour eux qu'on leur eût attaché une meule de moulin au cou et qu'on les eût précipités dans la mer; c'est-à-dire qu'il leur eût été plus avantageux d'être condamnés aux durs travaux des Gentils et de rester ensevelis dans les ténèbres du siècle, car c'eût été pour eux un moindre crime de ne pas connaître Jésus-Christ que de refuser de rece voir le Seigneur et le Maître des prophètes.
S. Grég. (Moral., 6, 17). Ou bien, dans un autre sens, que doit-on entendre par la mer, si ce n'est le siècle, et par cette meule de moulin, si ce n'est l'action des choses de la terre qui, en étreignant l'âme et en la prenant comme au cou par des désirs insensés, la condamne à tourner péniblement dans le même cercle? Or, il en est plusieurs qui, en se séparant des actions terres tres et en voulant s'élever jusqu'à l'exercice de la contemplation, sans prendre conseil de l'humilité, non-seulement se précipitent dans l'erreur, mais encore détachent les faibles du sein de la vérité. Celui-là donc qui scandalise un de ces petits, il vaudrait mieux qu'il fût précipité dans la mer avec une meule au cou, car il eut été plus avantageux à cette âme dépravée de se livrer aux affaires du monde, que de faire servir les saints exercices de la contemplation à la perte d'un grand nombre. - S. Aug. (Quest. évang., 1, 24). Ou bien encore, celui qui scandalisera un de ces petits, c'est-à-dire un des humbles, tels que doivent être ses disciples, en refusant d'obéir ou en résistant à l'autorité, comme l'Apôtre le dit d'Alexandre d'Ephèse (2Tm 4,14 1Tm 4): «il vaudrait mieux qu'on lui attachât une meule de moulin au cou et qu'il fût précipité dans le fond de la mer»; c'est-à-dire qu'il serait préférable pour lui que la passion pour les biens de la terre, passion qui est comme le poids auquel sont attachés les in sensés et les aveugles, l'entraînât à la mort.
4807 Mt 18,7-9
La Glose. Notre-Seigneur venait de dire qu'il vaudrait mieux pour celui qui scandalise, qu'on lui attachât une meule de moulin au cou; il en donne maintenant la raison. «Malheur au monde, à cause de ses scandales !» - Orig. (Traité 3 sur S. Matth). Ce que Notre-Seigneur appelle ici le monde, ce ne sont pas les éléments du monde extérieur, mais les hommes qui sont dans le monde. Or, les disciples de Jésus-Christ ne sont pas du monde; par conséquent, cette malédiction, qui tombe sur les scandales, ne les atteint pas, car les scandales ont beau être mul tipliés, ils ne touchent point celui qui n'est pas du monde. S'il est encore du monde, parce qu'il aime le monde et les choses qui sont dans le monde, les scandales n'auront de prise sur lui qu'en proportion de ce qu'il serait engagé dans les liens du monde.
«Il est nécessaire que les scandales arrivent». - S. Chrys. (homélie 59). En disant: Il est nécessaire, le Sauveur ne détruit pas le libre arbitre et ne le soumet à aucune fatalité; il ne fait que prédire ce qui arrivera. Les scandales, c'est tout ce qui fait obstacle dans la voie droite. Or, ce n'est point la prédiction de Jésus-Christ qui est la cause des scandales, ce n'est point parce qu'il les a prédits que les scandales arrivent, mais c'est parce qu'ils devaient certainement arri ver qu'ils les a prédits. On me dira peut-être: Si tous viennent à se corriger de leurs défauts et qu'il n'y ait plus personne pour donner de scandale, comment établir la vérité de cette parole de Jésus-Christ? Rien de plus facile, car c'est justement parce qu'il a prévu qu'il y aurait des hommes qui ne se corrigeraient pas, qu'il a dit: «Il est nécessaire qu'il arrive des scandales»,c'est-à-dire: ils arriveront nécessairement. Or, si tous les hommes avaient dû réformer leur conduite, il n'aurait pas tenu ce langage. - La Glose. Ou bien il faut qu'il arrive des scandales, parce qu'ils sont nécessaires ou du moins utiles pour faire connaître ceux qui sont d'une vertu éprouvée (1Co 11,19). - S. Chrys. (hom. 59). En effet, les scandales réveillent les hommes, les rendent plus attentifs et plus sur leurs gardes et relèvent aussitôt celui qui tombe, en lui inspirant pour l'avenir une plus grande vigilance.
S. Hil. (can. 18 sur S. Matth). Ou bien encore, c'est l'humilité de la passion qui a été un scan dale pour le monde. En effet, ce qui retient le plus les hommes dans l'ignorance des mystères du salut, c'est qu'ils n'ont pas voulu reconnaître le Dieu de la gloire éternelle sous les dehors ignominieux de la croix. Or, qu'y a-t-il au monde de plus dangereux que de ne pas recevoir Jésus-Christ? Il déclare donc qu'il est nécessaire qu'il arrive des scandales, parce qu'il fallait qu'il subît toutes les humiliations de sa passion pour accomplir le mystère qui devait nous ren dre la bienheureuse éternité. - Orig. Ou bien ces scandales qui arrivent sont les anges de Satan. Gardez-vous de croire cependant que ces anges soient scandales par leur nature ou par leur substance; c'est leur libre arbitre qui a produit le scandale dans quelques-uns qui n'ont pas voulu supporter l'épreuve à laquelle Dieu avait soumis leur vertu, il n'y a de bien véritable que celui qui est combattu par le mal. Il est donc nécessaire que les scandales arrivent, comme il est nécessaire que nous ayons à souffrir de la malice des esprits célestes dont la haine s'enflamme d'autant plus que le Verbe de Dieu le Christ établit plus solidement son empire parmi les hom mes et chasse loin d'eux toutes les malignes influences. Aussi ces mauvais anges cherchent-ils des instruments pour produire des scandales, et c'est à eux surtout que le Sauveur dit: Mal heur, car le jugement sera bien plus sévère pour celui qui scandalise que pour celui qui est scandalisé; c'est pour cela qu'il ajoute: «Malheur à l'homme par qui arrive le scandale». - S. Jér. C'est-à-dire: Malheur à l'homme qui, par sa propre faute, devient cause de ce qui doit arriver nécessairement dans le monde. Cette sentence, qui est générale, atteint en particulier Judas, qui avait déjà préparé son âme à la trahison. - S. Hil. Ou bien, sous cette dénomina tion générale, il veut désigner le peuple juif, auteur de ce scandale qui a eu pour objet la pas sion de Jésus-Christ et qui a exposé le monde au danger de renoncer, à cause même de sa pas sion, à Jésus-Christ, dont la loi et les prophètes avaient annoncé les souffrances.
S. Chrys. (hom. 59). Pour vous faire comprendre que les scandales ne sont pas d'une absolue nécessité, écoutez ce qui suit: «Si votre pied ou votre main vous scandalise», etc. Il ne veut point parler ici des membres du corps, mais des amis que nous regardons comme nous étant aussi nécessaires que nos membres, car rien n'est plus nuisible que de mauvaises fréquenta tions. - Rab. Le mot scandale est un mot grec qu'on peut traduire par pierre d'achoppement, ou par chute ou choc des pieds. Celui-là donc scandalise son frère qui, par une parole ou par une action contraire à la règle, devient pour lui une occasion de chute. - S. Jér. Notre-Seigneur retranche donc d'une manière absolue tout prétexte fondé sur les liens du sang ou de l'amitié, pour que les fidèles ne soient pas exposés aux scandales par suite d'un sentiment d'affection quelconque. Si quelqu'un, leur dit-il, vous est aussi étroitement uni que votre main, votre pied, votre oeil, s'il est pour vous d'une utilité incontestable, plein de vigilance et de sol licitude pour vos intérêts, mais qu'il vous soit une cause de scandale et vous entraîne dans l'abîme par le contraste de ses moeurs déréglées, il vous est beaucoup plus avantageux de rompre toute liaison avec lui et de renoncer aux avantages temporels que vous en retiriez, que de conserver près de vous une cause certaine de ruine en tenant aux avantages que vous procu rent ces parents et ces amis. Chaque fidèle connaît ce qui peut lui nuire, ce qui est pour son âme une cause de séduction ou de tentation fréquente. Or, il vaut mieux qu'il vive dans la so litude que de perdre la vie éternelle pour les biens si fragiles de la vie présente. - Orig. Ou bien, dans un autre sens également raisonnable, on peut entendre par l'oeil les prêtres, qui sont comme l'oeil de l'Église, parce qu'ils en sont comme les sentinelles; par la main, les diacres et les autres ministres par qui s'accomplissent les oeuvres spirituelles. Les fidèles, au contraire, sont comme les pieds du corps de l'Église. Et aucun d'eux ne doit être épargné s'il devient une cause de scandale pour l'Église. Ou bien encore, l'action de l'âme, c'est la main qui pêche; la marche de l'âme, c'est le pied; la vue de l'âme, c'est l'oeil coupable; il faut les couper et les arracher s'ils nous sont un sujet de scandale, car souvent les actions des membres désignent dans la sainte Écriture les membres eux-mêmes.
4810 Mt 18,10-14
S. Jér. Notre-Seigneur venait de déclarer par la comparaison de la main, du pied et de l'oeil qu'il fallait couper tous les liens du sang et de l'amitié qui pouvaient être un sujet de scandale; il adoucit maintenant ce que ce précepte pouvait avoir de sévère par les paroles suivantes: «Prenez garde de ne mépriser aucun de ces petits», c'est-à-dire Gardez-vous en toute occa sion de les mépriser, et, en faisant votre salut, cherchez à les sauver eux-mêmes; mais s'ils persévèrent dans leurs péchés, il vaut mieux que vous vous sauviez seuls, que de périr avec la multitude. - S. Chrys. (hom. 59). Ou bien, dans un autre sens, il est souverainement avanta geux et de fuir les méchants, et d'honorer les bons. Aussi, après nous avoir enseigné à rompre tout commerce avec ceux qui nous scandalisent, il nous apprend ici à rendre à ceux qui sont saints l'honneur et les devoirs qui leur sont dus. - La Glose. Ou bien encore, puisque c'est un si grand mal que le scandale donné à nos frères, prenez garde de ne mépriser aucun de ces petits. - Orig. Ces petits sont ceux qui sont nouvellement nés en Jésus-Christ ou ceux qui ne font aucun progrès et qui sont toujours comme des enfants qui viennent de naître. Mais Jésus-Christ n'a pas cru nécessaire de défendre de mépriser les fidèles plus parfaits; il ne parle que des petits, comme précédemment: «Si quelqu'un scandalise un de ces petits»,etc.; Peut-être donne-t-il ici le nom de petits à ceux qui sont parfaits, d'après ce qu'il dit dans un autre en droit: «Celui qui aura été le plus petit parmi vous sera le plus grand» (Lc 22). - S. Chrys. Ou bien encore, est-ce parce que ceux qui sont parfaits sont regardés par un grand nombre comme petits, c'est-à-dire comme pauvres et méprisables. - Orig. Cependant cette interprétation ne s'accorde pas avec ces paroles: «Si quelqu'un scandalise un de ces petits»,etc., car l'homme parfait ne se laisse ni scandaliser, ni entraîner à sa perte. Toutefois si on veut admettre cette interprétation comme vraie, on peut dire que l'âme du juste est soumise à la mutabilité, et par là soumise, bien que difficilement, au scandale.
La Glose. La raison pour laquelle il ne faut pas mépriser ces petits, c'est qu'ils sont tellement chers à Dieu, qu'il a député des anges pour veiller sur eux. C'est pour cela que Notre-Seigneur ajoute: «Car je vous déclare»,etc. Quelques auteurs prétendent que Dieu donne aux hommes un ange gardien aussitôt qu'ils ont reçu dans le bain sacré de la régénération une nouvelle nais sance en Jésus-Christ; et ils ajoutent qu'il n'est pas croyable qu'un des saints anges soit prépo sé à la garde des incrédules et des pécheurs qui, dans le temps de leur infidélité et de leurs égarements, sont sous la puissance des anges de Satan. D'autres veulent que Dieu donne un ange gardien, aussitôt leur naissance, à tous ceux qui ont été l'objet de la prescience divine. - S. Jér. Qu'elle est grande la dignité des âmes, puisqu'à chacune d'elles, aussitôt son entrée dans la vie, Dieu donne un ange pour veiller à sa garde !
S. Chrys. (hom. 59). Le Sauveur ne parle pas ici de tous les anges indistinctement, mais de ceux qui ont la prééminence sur les autres. Ces paroles: «Ils voient la face de Dieu», signifient qu'ils jouissent d'un accès plus facile près de Dieu, et de plus grands honneurs dans la cour céleste. - S. Grég. (hom. 34 sur les Evang). On dit que Denis l'Aréopagiste, un des Pères les plus anciens et les plus vénérables, prétend (comme il l'enseigne en effet, liv. des célestes hiér., chap. 42), que Dieu choisit dans les rangs inférieurs des anges pour les missions extérieures ou intérieures qu'il leur confie, mais qu'il n'en est point dans les hiérarchies supé rieures qui soient employés dans des ministères extérieurs. - S. Grég. (Moral., 2, 2). Les anges ne cessent jamais de voir la face du Père, même quand ils sont envoyés vers nous; ils descendent jusqu'à nous pour nous protéger de leur présence toute spirituelle, et cependant ils demeurent par la contemplation intérieure dans le lieu qu'ils viennent de quitter, car ils conser vent, en venant à nous, le don de la vision divine, et ne sont point privés, par conséquent, des joies de la contemplation intérieure. - S. Hil. Tous les jours les anges offrent à Dieu les priè res de ceux qui doivent être sauvés par Jésus-Christ; il est donc souverainement dangereux de mépriser celui dont les désirs et les prières montent jusqu'au trône du Dieu éternel et invisible, par l'entremise et par le ministère des anges. - S. Aug. (Cité de Dieu, 22, 29). Ou bien, nous appelons nos anges ceux qui sont les anges de Dieu; ils sont les anges de Dieu, parce qu'ils ne quittent pas sa présence, ils sont nos anges, parce que nous sommes déjà leurs concitoyens. De même donc qu'ils jouissent maintenant de la vue de Dieu, ainsi nous le verrons nous-mêmes un jour face à face, selon ces paroles de saint Jean: «Nous le verrons tel qu'il est» (1Jn 3,2). La face de Dieu c'est la manifestation de son être, et non la partie du corps que nous appelons de ce nom.
S. Chrys. (hom. 59). Le Sauveur nous donne une nouvelle raison de ne pas mépriser les petits, et cette raison est plus forte que celle qui précède: «Car le Fils de l'homme est venu», etc. - Remi. C'est-à-dire ne méprisez pas les petits, car j'ai daigné me faire homme pour eux. En effet, après ces mots: «Ce qui était perdu»,nous devons sous-entendre le genre humain; car tous les éléments gardent fidèlement l'ordre dans lequel ils ont été placés, mais l'homme s'est égaré, parce qu'il est sorti de l'ordre qui lui avait été tracé. - S. Chrys. (hom. 59). Il ajoute à cette raison une parabole qui met dans tout son jour la volonté qu'a le Père céleste de sauver le genre humain: «Si un homme a cent brebis, et qu'une seule vienne à s'égarer, que pensez-vous qu'il fasse alors ?» etc. - S. Grég. (hom. 24 sur les Evang). Cet homme c'est le Créa teur des hommes; car le nombre cent étant un nombre parfait, il fut le pasteur de cent brebis lorsqu'il eut créé la nature des anges et celle des hommes. - S. Hil. Dans cette seule brebis qui s'égare, il faut voir l'homme, et dans ce seul homme se trouve compris le genre humain tout entier; car tout le genre humain a péché dans la faute du seul Adam. Celui qui est à la recherche de cet homme, c'est Jésus-Christ, et les quatre-vingt-dix-neuf brebis qui sont lais sées, c'est la multitude des esprits qui jouissent de la gloire des cieux. - S. Grég. (hom. 34 sur S. Matth). L'Évangéliste dit que ces quatre-vingt-dix-neuf brebis sont laissées sur les montagnes, c'est-à-dire sur les lieux élevés, parce que les brebis qui ne se sont point égarées se tenaient sur les hauteurs spirituelles de la foi. - Bède. Le Seigneur a donc retrouvé la brebis perdue, quand il eut accompli l'oeuvre de la réparation de l'homme, et il y a dans le ciel une joie bien plus grande pour cette seule brebis qui est retrouvée, que pour les quatre-vingt dix-neuf autres. En effet, la réparation du genre humain donne beaucoup plus de gloire à Dieu que la création des anges; car, si la création des anges est une oeuvre admirable de la puissance de Dieu, la rédemption des hommes est bien plus admirable encore. - Rab. Remarquez qu'il manque une unité au nombre neuf pour atteindre le nombre dix, et à quatre-vingt-dix-neuf, pour atteindre le nombre cent. Les nombres auxquels il manque une unité pour arriver à un nombre parfait, peuvent varier par leur quantité plus ou moins grande, mais l'unité invariable en elle-même perfectionne les autres nombres en venant s'y ajouter; et c'est pour que le nom bre des brebis fût complet dans le ciel que le Sauveur est venu chercher sur la terre l'homme qui s'était égaré. - S. Jér. D'autres pensent que les quatre-vingt-dix-neuf brebis représentent le nombre des justes, et cette brebis qui s'égare, le nombre des pécheurs, selon ce que le Sauveur dit ailleurs: «Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs» (Mt 9,13).
S. Grég. (hom. 34). Mais pourquoi Notre-Seigneur déclare-t-il que la conversion des pécheurs cause dans le ciel une plus grande joie que la persévérance des justes? C'est que ceux qui ont une très grande confiance de n'avoir point commis de fautes graves sont presque toujours pleins de tiédeur pour la pratique des vertus élevées. Au contraire, il arrive souvent que ceux qui ont la conscience d'avoir commis quelque grande faute, sous l'impression de la douleur qu'ils en ressentent, s'embrasent du feu de l'amour divin. Comme ils ont toujours leurs égare ments devant les yeux, ils réparent les pertes précédentes par les gains qu'ils réalisent ensuite. C'est ainsi que, dans une bataille, un général préfère le soldat qui, après s'être enfui, revient presser vigoureusement l'ennemi, à celui qui n'a jamais tourné le dos, mais qui aussi n'a jamais fait d'action d'éclat. Mais il est cependant des justes qui donnent à Dieu une si grande joie, qu'on ne pourrait leur préférer aucun pécheur repentant; car bien qu'ils n'aient conscience d'aucune faute, on les voit renoncer à toutes les jouissances permises, et s'humilier en toutes choses. Combien grande sera donc la joie, lorsque le juste gémira dans l'humiliation, alors qu'il y a sujet de se réjouir, de ce que le pécheur condamne hautement le mal qu'il a commis.
Bède. Ou bien encore, les quatre-vingt-dix-neuf brebis qui sont laissées sur la montagne, sont les orgueilleux auxquels il manque l'unité pour arriver à la perfection désignée par le nombre cent. Lorsque le Sauveur aura retrouvé le pécheur qui s'égarait, il se réjouira donc davantage, c'est-à-dire qu'il fera éprouver aux siens plus de joie de cette conversion, que de la prétendue persévérance des faux justes.
S. Jér. Les paroles suivantes: «Ainsi votre Père qui est dans les cieux, ne veut pas qu'un seul de ces petits périsse», etc., se rapportent à ce qu'il a dit plus haut: «Prenez garde de mépriser un seul de ces petits», et le Sauveur nous enseigne par là que cette parabole a pour but de nous enseigner à ne pas mépriser les petits; en ajoutant: «Votre Père ne veut pas», il nous apprend que toutes les fois qu'il périt un de ces petits, ce n'est point par la volonté du Père qu'il périt.
4815 Mt 18,15-17
S. Chrys. (hom. 60). Le Sauveur s'était exprimé avec force contre les auteurs du scandale, et avait rempli leur âme d'une vive crainte; mais il veut empêcher aussi ceux à qui le scandale était donné, tout en évitant une faute, de tomber dans une autre, c'est-à-dire dans la négli gence; car en s'imaginant qu'on doit avoir pour eux toute sorte d'égards, ils pourraient se laisser facilement dominer par l'orgueil; il étouffe donc ces sentiments dans leur âme, et leur fait un devoir de reprendre leur frère lorsqu'il est en faute: «Si votre frère pèche contre vous», etc. - S. Aug. (serm. 16 sur les par. du Seig). Notre-Seigneur nous recommande de ne pas rester indifférents aux péchés les uns des autres, en cherchant non pas précisément à reprendre, mais à corriger; car c'est l'amour qui doit inspirer la correction, et non pas le désir de faire de la peine. Mais si vous négligez ce devoir, vous devenez plus coupable que celui qui avait besoin de correction; il vous avait offensé, et il s'était par là même profondément blessé; mais vous méprisez cette blessure de votre frère, et vous êtes plus coupable par votre silence qu'il ne l'est par l'outrage qu'il vous a fait. - S. Aug. (Cité de Dieu, 1, 9). Souvent, en effet, on dissimule d'une manière coupable la vérité, en négligeant d'instruire ou d'avertir, quelque fois de reprendre et de corriger ceux qui font mal, soit qu'on recule devant la difficulté, soit qu'on veuille éviter leur inimitié, dans la crainte qu'ils ne cherchent à nous traverser ou à nous nuire dans la jouissance de ces biens temporels que notre cupidité désire encore trop vivement acquérir, ou que notre faiblesse redoute de se voir enlever. Mais si nous nous abstenons du devoir de la réprimande et de la correction à l'égard de ceux qui font mal, soit pa rce que nous attendons une occasion plus favorable, soit parce que nous avons obtenu ainsi qu'ils ne devien nent plus mauvais, ou qu'ils ne nous empêchent de former les autres chrétiens faibles à une vie vertueuse et fervente, et ne les influencent pour les détourner de la foi, alors ce n'est plus par un motif de cupidité, mais par un principe de charité que nous agissons. Or, ceux qui sont placés à la tête des églises pour les diriger, ont une obligation bien plus rigoureuse de ne point négliger le devoir de la correction; et, toutefois, lors même qu'on ne serait pas à la tête des autres, dès lors qu'on leur est uni par les relations ordinaires de la vie, et que l'on remarque en eux bien des choses qu'il faut reprendre ou corriger, on n'est pas entièrement exempt de faute lorsqu'on néglige de le faire, parce qu'on veut éviter de les offenser dans la crainte d'être troublé dans la jouissance des biens de cette vie qu'on possède légitimement, mais pour lesquels on éprouve un attachement beaucoup trop vif.
S. Chrys. (hom. 60). Remarquons que quelquefois Notre-Seigneur amène celui qui a été l'auteur de l'offense à celui qu'il a offensé, par exemple, lorsqu'il dit: «Si vous vous rappelez que votre frère a quelque chose contre vous, allez vous réconcilier avec votre frère», et que d'autres fois il ordonne à celui qui a été offensé de pardonner à son prochain, comme dans ces paroles: «Pardonnez-nous nos offenses, comme nous les pardonnons», etc. Ici il nous pro pose un nouveau mode de réconciliation, il conduit celui qui a reçu l'offense à celui qui l'a faite; il prévoit, en effet, que celui qui a commis l'injustice, ne viendrait pas facilement excuser sa conduite, retenu qu'il serait par la honte; il lui amène donc celui qui a souffert l'offense, et ce n'est pas de sa part une simple démarche qu'il veut ici, mais il demande la réparation du mal qui a été fait: «Allez et reprenez-le». - Ran, Il ne commande pas de pardonner indistincte ment à tout homme qui pèche, mais à celui qui est disposé à écouter, c'est-à-dire à obéir et à faire pénitence, afin que le pardon ne soit pas trop difficile, ou que l'indulgence ne soit excessive. - S. Chrys. (hom. 60). Il ne dit pas: Accusez, faites de vifs reproches, tirez vengeance; mais: «Reprenez-le», c'est-à-dire rappelez-lui sa faute, dites-lui ce qu'il vous a fait souffrir. Pour lui, il est plongé dans sa colère comme dans un profond sommeil causé par l'ivresse, il faut donc que vous qui êtes affranchi de cette infirmité, vous alliez trouver celui qui est malade.
S. Jér. Il faut vous rappeler cependant, que si votre frère a péché contre vous, et vous a of fensé de quelque manière que ce soit, non-seulement vous avez le pouvoir, mais vous êtes dans l'obligation de lui pardonner; car il nous est commandé de remettre leurs dettes à ceux qui nous doivent. C'est pourquoi Notre-Seigneur nous dit ici «Si votre frère a péché contre vous». S'il a péché contre Dieu (cf. 1S 2,25), il n'est pas en notre pouvoir de lui pardonner; mais nous, au contraire, nous sommes pleins d'indulgence pour les offenses commises contre Dieu, et remplis d'animosité pour venger celles qui s'adressent à nous. - S. Chrys. (hom. 60). C'est à celui qui a reçu l'injure, et non pas à un autre, que Notre-Seigneur impose le devoir de la correction, car c elui qui a commis l'offense est disposé à rece voir plus facilement de sa part la réprimande, surtout lorsqu'elle se fait sans témoin; et rien n'est plus propre à l'apaiser que de voir celui qui avait le droit d'exiger une réparation sévère, montrer tant de zèle pour son salut. - S. Aug. (serm. 16 sur les par. du Seig). Lors donc qu'un de nos frères pèche contre nous, montrons-nous empressés, non pas de défendre nos droits (car rien n'est plus glorieux que d'oublier une offense), mais d'oublier l'injure qui nous est faite, sans oublier la blessure qu'elle a faite à notre frère. Reprenez-le donc entre vous et lui, en ne vous appliquant qu'à le corriger et en ménageant sa honte. Car il pourrait arriver que sous l'impression de ce sentiment, il entreprit de justifier la faute qu'il a commise, et ainsi en voulant le corriger, vous le rendriez plus coupable. - S. Jér. Il faut reprendre votre frère en secret, de peur que, s'il vient à perdre tout sentiment de honte et de crainte, il ne persévère dans son péché.
S. Aug. (serm. 16), etc. L'Apôtre nous fait cette recommandation: «Reprenez devant tout le monde le pécheur scandaleux, afin que les autres aient de la crainte». Il faut donc que vous sachiez qu'il est des circonstances où il faut reprendre votre frère seul à seul, et d'autres où il faut le reprendre devant tout le monde. Mais que devons nous faire avant d'en arriver là? Écoutez et retenez: «Si votre frère, dit-il, a péché contre vous, reprenez-le entre vous et lui seul». Pourquoi? Parce qu'il a péché contre vous. Que veulent dire ces paroles: «il a péché contre vous ?» Vous savez qu'il a péché, et puisque son offense contre vous a été secrète, que votre correction le soit également; car si vous êtes le seul pour connaître qu'il a pêché contre vous, et que vous vouliez cependant le reprendre publiquement, ce n'est plus une correction, mais une accusation publique. Votre frère a donc pêché contre vous, mais si vous êtes le seul pour le savoir, c'est vraiment contre vous seul qu'il a péché; s'il vous a offensé devant un grand nombre de personnes, il a péché contre tous ceux qu'il a rendu témoins de sa faute. Il faut donc reprendre publiquement les fautes publiques, et en secret les fautes secrètes, Apprenez à discerner les temps et les occasions, et vous concilierez les Écritu res. Or, pourquoi reprenez-vous le prochain? Est-ce parce que vous éprouvez de la peine d'en avoir été offensé? A Dieu ne plaise, si vous le faites par amour pour vous, vous ne faites rien; si, au contraire, vous le reprenez dans son intérêt, vous agissez dans la perfection. Or, appre nez des paroles elles-mêmes de Notre-Seigneur, dans qu'elle intention vous devez faire cette réprimande, si c'est dans votre intérêt, ou dans celui de votre frère: «S'il vous écoute, vous aurez gagné votre frère», etc. Faites-le donc pour lui, afin de le gagner. Reconnaissez qu'en péchant contre votre frère, vous vous êtes perdu, car, autrement, comment vous aurait-il ga gné? Que personne donc ne regarde comme indifférente l'offense faite à un de ses frères. - S. Chrys. (hom. 60). Ces paroles nous prouvent encore que l'inimitié porte dommage aux deux parties, aussi ne dit-il pas: il s'est gagné lui-même, mais vous l'avez gagné, preuve que tous deux, vous et lui vous avez souffert de ce désaccord. - S. Jér. En procurant le salut d'un autre, nous assurons ainsi notre propre salut.
S. Chrys. (hom. 60). Mais que devez-vous faire si vous ne pouvez persuader votre frère? Les paroles suivantes vous l'apprennent: «S'il ne vous écoute point, prenez encore avec vous une ou deux personnes»; car plus il montrera d'impudence et d'opiniâtreté, plus il faut s'appliquer à le guérir sans se laisser aller à la colère ou à la haine. Ainsi, lorsqu'un médecin voit que la maladie s'aggrave, loin d'abandonner son malade, il redouble d'efforts pour triompher de l'extrémité du mal. Remarquez aussi que cette réprimande ne doit point se faire sous l'inspiration de la vengeance, mais dans le seul but de corriger notre frère. C'est pour cela que le Sauveur ne nous commande pas de prendre d'abord deux témoins, mais alors seulement que notre frère refuse d'écouter notre réprimande; et encore n'est-ce pas un grand nombre de per sonnes, mais une ou deux qu'il faut prendre avec soi; mesure qu'il appuie du témoignage de la loi: «Tout sera assuré par la déposition de deux ou de trois témoins (Dt 19,15) »; comme s'il disait: Vous pouvez alors vous rendre le témoignage que vous avez fait tout ce qui dépen dait de vous. - S. Jér. Ou bien, on peut admettre cette autre interprétation: S'il ne veut pas vous écouter, prenez d'abord avec vous un seul témoin; s'il refuse encore de l'écouter, pre nez-en un troisième, afin que votre admonition ou du moins la honte, le force de reconnaître sa faute, ou qu'alors il soit convaincu devant témoins. - La Glose. Ou bien encore, pour lui prouver qu'il a péché, s'il venait à le nier.
S. Jér. Or, s'il refuse encore de les écouter, il faut alors déclarer sa faute à un plus grand nombre, afin de leur inspirer pour lui une vive horreur, et essayer de sauver par l'opprobre celui qui n'a pu être sauvé par la honte: «Que s'il ne les écoute pas non-plus, dites le à l'Église». - S. Chrys. (hom. 60). C'est-à-dire à ceux qui sont à la tête de l'Église. - La Glose. Ou bien, dites-le à toute l'Église, pour lui faire essuyer une plus grande honte. Tous ces moyens épuisés, il faut en venir à l'excommunication qui doit être prononcée par la bouche de l'Église, c'est-à-dire par le prêtre qui est l'organe de toute l'Église, lorsqu'il prononce la sentence d'excommunication: «S'il n'écoute pas l'Église», etc. - S. Aug. (serm. 16 sur les par. du Seig). Ne le comptez plus dès lors au nombre de vos frères; cependant ne négligez pas son salut; car si nous ne regardons pas comme nos frères les étrangers, c'est-à-dire les Gentils et les païens, nous ne laissons pas de chercher à les sauver. - S. Chrys. (hom. 60). Toutefois le Seigneur, à l'égard de ceux qui sont hors de l'Église, ne nous a rien commandé de semblable à ce que nous devons faire pour reprendre et corriger nos frères. Voici ce qu'il nous ordonne de faire à l'égard de ceux qui sont en dehors de l'Église (Mt 5): «Si quelqu'un vous frappe sur une joue, présentez-lui l'autre joue», et saint Paul: «Pourquoi voudrais-je juger ceux qui sont hors de l'Église ?»Mais pour nos frères, il faut les reprendre et les retirer du mal, et, s'ils ne veulent point obéir, les séparer de l'Église pour les couvrir de confusion. - S. Jér. En nous disant: «Qu'il soit à votre égard comme un païen et comme un publicain», le Sauveur nous apprend à concevoir plus d'horreur pour celui qui, sous le nom de chrétien, se conduit en infidèle, que pour ceux qui sont ouvertement connus pour païens. Ou appelait pu blicains ceux qui étaient avides d'argent, et qui exigeaient les impôts en recourant au trafic, aux fraudes, au vol et à des parjures horribles.
Orig. (Traité 6 sur S. Matth). Il faut remarquer ici que cette conduite que nous recommande le Sauveur, ne doit pas être appliquée à toute espèce de péché. Car si un de nos frères vient à commettre un de ces péchés qui conduisent à la mort, et qu'il soit, par exemple, abominable et infâme, adultère, homicide ou efféminé, est-ce qu'il serait raisonnable de le réprimander seul à seul, et s'il se montrait docile à vos observations, de dire aussitôt: Je l'ai gagné? Ou bien s'il ne voulait pas vous écouter, serait-il convenable pour le chasser du sein de l'Église d'attendre que, malgré la réprimande faite devant les témoins et devant l'Église, il ait persévéré dans son crime? Il en est qui, considérant l'immense miséricorde de Jésus-Christ, prétendent que c'est aller contre cette miséricorde que de restreindre ces paroles aux seuls péchés plus légers, parce que Notre-Seigneur ne fait aucune distinction de péchés. D'autres, examinant plus attentive ment ces paroles, soutiennent qu'elles ne s'appliquent pas à toute sorte de péchés; car, disent-ils, celui qui se rend coupable de crimes énormes n'est plus notre frère, il n'en a plus que le nom, et l'Apôtre nous défend même de manger avec lui. Or, de même que ceux qui n'appliquent pas ce passage à toute espèce de péchés, favorisent la négligence, et l'invitent, pour ainsi dire, au péché; ainsi, celui qui enseigne que le fidèle qui n'est coupable que de fau tes légères et vénielles, doit être regardé comme un païen et un publicain après avoir subi la réprimande devant témoins ou devant l'Église, me paraît introduire une doctrine par trop sé vère. Car enfin nous ne pouvons pas prononcer que cet homme est tout à fait perdu, parce que d'abord, s'il a résisté à trois réprimandes, il peut se rendre à la quatrième; en second lieu, parce que souvent on ne lui rend pas selon ses oeuvres, mais au delà de ce que méritent ses fautes, ce qui est souvent avantageux en ce monde; enfin, Jésus-Christ n'a point dit absolu ment: Qu'il soit comme un païen et un publicain, mais: «Qu'il soit pour vous». Si donc après l'avoir repris trois fois d'une faute légère, il ne s'en corrige pas, nous devons le considérer comme un païen et un publicain, afin de le couvrir de confusion eu nous abstenant de le voir; mais que Dieu le juge aussi comme un païen et un publicain, ce n'est pas à nous de l'affirmer; c'est au jugement de Dieu lui-même.
Catena Aurea 4723