Catena Aurea 4818
4818 Mt 18,18-20
S. Jér. Notre-Seigneur venait de dire: «S'il n'écoute pas l'Église, qu'il soit pour vous comme un païen et comme un publicain». Celui qui se trouvait ainsi rejeté, aurait pu répondre ou du moins penser: Vous me méprisez, et moi aussi je vous méprise; vous me condamnez, je vous condamne également; il donne donc ici aux Apôtres un pouvoir vraiment extraordinaire, de manière à faire comprendre à ceux qui sont frappés par leur condamnation, que la sentence de la terre est confirmée par le jugement de Dieu; c'est pour cela qu'il ajoute: «Je vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez», etc. - Orig. Il ne dit pas: «dans les cieux», comme dans le pouvoir qu'il a donné à pierre, mais «dans le ciel» au singulier; car les Apôtres n'étaient pas aussi parfaits que Pierre. - S. Hil. L'intention du Sauveur dans ces paroles est d'inspirer à tous les hommes la crainte la plus vive, pour les contenir ici-bas dans le devoir; c'est pour cela qu'il déclare irrévocable le jugement prononcé par le tribunal sévère des Apôtres, jusque là que tous ceux qu'ils auront liés sur la terre, c'est-à-dire qu'ils auront laissés dans les liens du péché, et ceux qu'ils auront déliés en leur donnant dans la rémission des péchés le gage du salut, seront liés ou déliés dans les cieux. - S. Chrys. (hom. 60). Et remarquez qu'il ne dit pas à celui qui est à la tête de l'Église: Liez un tel, mais: «Si vous liez, les liens ne pourront être rompus». Il laisse ainsi à son propre jugement la conduite qu'il doit tenir. Voyez encore comme il a chargé d'une double chaîne le pécheur incorrigible, d'abord par une peine actuelle, c'est-à-dire sa séparation de l'Église, dont il a parlé plus haut en ces termes: «Qu'il soit pour vous comme un païen», et par le supplice de l'autre vie, qui est d'être lié dans le ciel; et c'est par cette multitude de jugements qu'il veut éteindre l'indignation du frère coupa ble. - S. Aug. (serm. 16 sur les par. du Seig). Ou bien dans un autre sens: Vous avez com mencé à regarder votre frère comme un publicain, vous le liez sur la terre, mais faites attention de le lier pour des motifs justes; car l'éternelle justice brise les liens qui sont imposés injuste ment. Lorsqu'au contraire vous aurez corrigé votre frère, et rétabli l'accord entre vous et lui, vous l'avez délié, et lorsque vous l'aurez délié sur la terre, il sera également délié dans le ciel. Or, en cela, vous rendez un service signalé, non pas à vous, mais à votre frère, parce qu'il s'est fait à lui-même un tort immense plutôt qu'à vous. - La Glose. Ce n'est pas seulement l'efficacité de l'excommunication, mais encore la puissance de toute prière des fidèles priant de concert dans l'unité de l'Église, que Notre-Seigneur confirme en ajoutant: «Je vous dis encore que si deux d'entre vous s'unissent ensemble sur la terre (soit pour recevoir un pénitent, soit pour rejeter un orgueilleux ou pour toute autre chose qu'ils demanderont et qui ne sera pas contraire à l'unité de l'Église), ce qu'ils demandent leur sera accordé par mon Père qui est dans les cieux».Par ces paroles: «Qui est dans les cieux», il nous montre que son Père est au-dessus de toutes choses, et qu'il peut ainsi exaucer les prières qui lui sont adressées. Ou bien: «Il est dans les cieux», c'est-à-dire dans les saints, ce qui prouve qu'il leur accordera certainement l'objet de leurs prières, si toutefois cet objet est digne de Dieu, parce qu'ils ont en eux-mêmes celui à qui s'adressent leurs demandes; et voilà pourquoi Dieu exauce et ratifie les désirs de ceux qui sont unis entre eux, parce qu'il habite au milieu d'eux, suivant ces paroles: «Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis moi-même au milieu d'eux». - S. Chrys. (hom. 60). Comme il avait dit: «Ce qu'ils demandent leur sera accordé par mon Père», il veut leur apprendre que c'est également de lui-même comme de son Père que dé coulent ces faveurs, et il ajoute; «Là où sont réunis deux ou trois, je suis moi-même au mi lieu d'eux». - Orig. Il ne dit pas: «Je serai au milieu d'eux», mais au présent: «Je suis»; car aussitôt que quelques personnes s'unissent entre elles, Jésus-Christ se trouve au milieu d'elles. - S. Hil. Il est lui-même la paix et la charité, et il établira son trône et son habitation dans les volontés droites et pacifiques. - S. Jér. Ou bien encore, tout ce qui précède était une invitation à la charité et à la concorde; le Sauveur sanctionne cet appel par la récompense qu'il promet, et pour nous faire embrasser plus promptement la paix fraternelle, il nous déclare qu'il sera au milieu de deux ou trois personnes dès lors qu'elles seront unies entre elles.
S. Chrys. (hom. 60). Il ne dit pas simplement: «Là où seront réunis», mais il ajoute: «En mon nom», comme s'il disait: Si je suis le motif principal de l'affection qu'un chrétien a pour son frère, je serai avec lui, pourvu qu'il ait d'ailleurs toutes les autres v ertus. Mais comment donc se fait-il que des personnes parfaitement unies entre elles n'obtiennent pas ce qu'elles demandent? Premièrement, parce qu'elles demandent des choses qu'il ne leur est pas avanta geux d'obtenir; en second lieu, parce qu'elles sont personnellement indignes d'être exaucées, et qu'elles n'apportent pas à la prière les dispositions convenables; aussi Notre-Seigneur prend-il soin de dire: «Si deux d'entre vous», c'est-à-dire de ceux dont la vie est conforme à l'Évangile; troisièmement, parce qu'elles prient contre ceux qui les ont offensés, ou quatriè mement, enfin parce qu'elles implorent la miséricorde divine pour des pécheurs sans repentir. - Orig. Voici encore une autre cause qui détruit l'effet de nos prières; nous ne sommes par faitement unis entre nous, ici-bas, ni par la foi, ni par la conformité de la vie. Car de même que la musique ne peut charmer les oreilles, s'il y a défaut d'accord dans les voix, de même si l'harmonie ne règne dans l'Église, Dieu ne peut ni s'y complaire ni écouter les voix de ses en fants. - S. Jér. Nous pouvons encore entendre ces paroles dans un sens spirituel) et dire que là où l'esprit, l'âme et le corps sont unis entre eux, et n'offrent pas le spectacle de volontés opposées, ils obtiendront tout ce qu'ils demanderont au Père céleste; car nul ne doute que là ou le corps a la même volonté que l'esprit, la prière n'ait pour objet des choses agréables à Dieu. - Orig. Ou bien encore, celui en qui les deux Testaments s'accordent et s'unissent entre eux, peut être certain que sa prière, quel qu'en soit l'objet, devient agréable à Dieu.
4821 Mt 18,21-22
Notre-Seigneur avait fait plus haut cette recommandation: «Prenez garde de mépriser aucun de ces petits»; il avait ajouté: «Si votre frère pèche contre vous, recevez-le»,etc., et il avait promis de récompenser cette conduite en leur disant: «Si d'eux d'entre vous sont unis entre eux, tout ce qu'ils demanderont leur sera accordé» Pierre, excité par ces paroles, interroge le Sauveur comme l'Évangéliste le rapporte: «Alors Pierre s'approchant, lui dit: Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu'il péchera contre moi ?» Et, tout en faisant cette question, il donne son avis: «Est-ce jusqu'à sept fois ?» - S. Chrys. (hom. 61). Pierre croit avoir fait un acte héroïque; mais que lui répond Jésus, le tendre ami des hommes? «Jésus lui dit: Je ne vous dis pas jusqu'à sept fois»,etc. - S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur). J'ose le dire, quand même il aurait péché septante fois huit fois, pardonnez-lui; eût-il péché cent fois, pardonnez-lui encore; en un mot, toutes les fois qu'il pèche, ne cessez de lui pardonner. Car si Jésus-Christ, bien qu'il ait trouvé en nous des milliers de péchés, nous les a tous pardonnés, ne refusez donc pas de faire vous-mêmes miséricorde, ainsi que l'Apôtre vous le recommande en ces termes (Col 3,13): «Vous pardonnant entre vous les sujets de plainte que vous pourriez avoir les uns contre les autres, comme Dieu vous a pardonné en Jésus-Christ (cf. 2Co 5,10) ». - S. Chrys. (hom. 61). En disant: «Jusqu'à septante fois sept fois, le Sauveur ne précise pas un nombre et ne circonscrit pas le pardon dans un chiffre quelconque, mais il veut dire qu'il ne faut mettre aucune restriction, aucune limite à ce pardon. - S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur). Cependant ce n'est point au hasard que le Sauveur choisit le nombre de septante fois sept fois; car la loi a été donnée en dix commandements. Si la loi est représentée par le nombre dix, le péché l'est par le nombre onze, car il va au delà du nombre dix. Le nombre sept se prend ordinairement pour un tout complet, car le temps fait sa révolution en sept jours. Or, onze fois sept font soixante-dix-sept; le Sauveur, en choisissant ce nombre soixante-dix-sept, a donc voulu que tous les péchés que nos frères pourraient commettre fussent pardonnés. - Orig. (Traité 6 sur S. Matth). Ou bien encore, comme le nombre six paraît désigner l'action et le travail, et le nombre sept le repos et la tranquillité, on peut dire que celui qui aime le monde et qui fait les oeuvres du monde, pèche sept fois en se livrant à ces actions toutes mondaines. Pierre croyait sans doute qu'il était question de ces oeuvres, quand il pensait qu'il fallait par donner sept fois; mais comme Jésus-Christ savait qu'il en est dont les péchés s'étendent bien au delà, il ajoute le nombre septante au nombre sept pour nous apprendre que nous devons pardonner à nos frères qui vivent dans le monde et qui pèchent dans l'usage qu'ils font des choses du monde. Mais si quelqu'un multiplie les transgressions au delà de ce nombre, il n'a point de pardon à espérer. - S. Jér. Ou bien il faut entendre ces septante fois sept fois dans le sens de. quatre cent quatre-vingt-dix fois, c'est-à-dire que vous devez pardonner à votre frère autant de fois qu'il pourra pécher. - Rab. Toutefois, il y a une différence entre le par don que nous accordons à un frère qui le demande et avec lequel nous renouons les liens étroits qui nous unissaient (comme Joseph avec ses frères), et le pardon que nous accordons à un ennemi qui nous persécute, à qui nous voulons, et à qui même, s'il est possible, nous faisons du bien, comme David lorsqu'il fuyait devant Saül.
4823 Mt 18,23-35
S. Chrys. (hom. 61). Notre-Seigneur ajoute une parabole à ce qu'il vient de dire pour montrer par un exemple que ce n'était point une chose héroïque de pardonner septante fois sept fois. -
S. Jér. C'est l'usage en Syrie et en Palestine d'entremêler à tous les discours des paraboles, afin de graver plus facile ment dans l'esprit des auditeurs, à l'aide de comparaisons et d'exemples, le précepte qu'ils ne pourraient retenir s'il était présenté dans sa simplicité. C'est pour cela que Notre-Seigneur dit ici: «Le royaume des cieux est semblable», etc. - Orig. (Traité 7 sur S. Matth). De même que le Fils de Dieu est la sagesse, la justice (1Co 1,30 1Jn 5,6 Jn 8,22 Jn 14,6) et la vérité, il est aussi le royaume, non pas de ceux dont les affec tions rampent sur la terre, mais de tous ceux qui tiennent leur coeur eu haut, qui font régner la justice et les autres vertus dans leurs âmes, et qui deviennent pour ainsi dire comme les cieux en portant l'image de l'homme céleste (1Co 15,49). Ce royaume des cieux, c'est-à-dire le Fils de Dieu, est devenu semblable à un homme roi, lorsqu'il s'est uni notre humanité et qu'il a été fait à la ressemblance de la chair du péché. - Remi. Ou bien encore, ce royaume des cieux, c'est la sainte Église dans laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ fait lui-même ce qu'il exprime dans cette parabole. Sous le nom d'un homme, c'est quelquefois le Père qui nous est désigné, comme dans cette parabole: «Le royaume des cieux est semblable à un homme roi qui fit les noces de son fils»; quelquefois c'est le Fils: ici on peut l'entendre de l'un et de l'autre, du Père et du Fils qui sont un seul Dieu. Or, Dieu est appelé roi, parce qu'il dirige et gouverne tout ce qu'il a créé. - Orig. Les serviteurs, dans ces paraboles, sont exclusivement les dispensateurs de la parole et ceux à qui Dieu a confié la charge de négocier et de faire produire des intérêts pour le ciel. - Remi. Ou bien les serviteurs de ce roi représentent tous les hommes qu'il a créés pour le louer et à qui il a donné la loi naturelle. Il leur fait rendre compte à chacun, lorsqu'il examine leur vie, leurs moeurs, leurs actions, pour rendre à chacun suivant ses oeuvres (Rm 2,6). «Et ayant commencé à faire rendre compte»,etc. - Orig. Nous de vrons rendre compte au roi de toute notre vie, lorsqu'il nous faudra tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ (2Co 5,10). Si nous nous exprimons de la sorte, qu'on se garde de croire que ce jugement demandera beaucoup de temps, car lorsque Dieu voudra passer au crible les âmes de tous les hommes, par un effet admirable de sa puissance, il fera revivre en un seul instant dans le souvenir de chacun toutes les actions qui ont rempli le cours de sa vie. Notre-Seigneur ajoute: «Et lorsqu'il eut commencé à faire rendre compte, parce que le jugement doit commencer par la maison de Dieu (1P 4,17). Lorsqu'il commençait donc à se faire rendre compte, on lui présenta un homme qui lui devait une somme incalculable de talents; il avait fait des pertes énormes et, sous le poids de grandes obligations, il n'avait fait aucun pro fit. Peut-être cet homme nous est-il représenté comme ayant perdu autant de talents qu'il avait perdu d'hommes, et il est ainsi devenu débiteur de cette somme énorme de talents, parce qu'il avait suivi cette femme assise sur un talent de plomb dont le nom est l'iniquité (Za 5,7).
S. Jér. Il en est, je le sais, qui prétendent que cet homme qui devait dix mille talents est la fi gure du démon; ils entendent par cette femme et par ses enfants qui sont vendus, parce qu'il persévère dans sa méchanceté, l'extravagance de sa conduite et les mauvaises pensées. Car, de même que la femme de l'homme juste est l'image de la sagesse, la femme. de l'homme injuste et pécheur est la figure de la folie. Mais comment le Seigneur peut-il remettre au démon dix mille talents, et ne nous remet-il pas à nous, ses compagnons, cent deniers? C'est une interprétation contraire à celle de l'Église et qu'aucun homme sage n'admettra jamais. - S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur). Il faut donc dire que la loi ayant été donnée en dix préceptes, cette h omme devait dix mille talents qui représentent tous les péchés que l'on peut commettre contre la loi.
Remi. L'homme qui peut bien pécher de lui-même et par sa propre volonté ne peut en aucune manière se relever par ses propres forces, et il n'a pas de quoi rendre ce qu'il doit, parce qu'il ne trouve rien en soi qui puisse l'affranchir de ses péchés; c'est pour cela que Notre-Seigneur ajoute: «Mais comme il n'avait pas le moyen de les lui rendre»,etc. Or, la femme de l'insensé est la folie et la volupté ou la convoitise. - S. Aug. (Quest. Evang., 1, 25). Cette circonstance nous apprend que celui qui transgresse les préceptes du décalogue doit subir des châtiments sévères pour ses passions et ses mauvaises actions représentées ici par la femme et par les en fants. Or, le prix de cet homme qui est vendu, c'est le supplice du damné. - S. Chrys. (hom. 61). Si ce roi donne cet ordre, ce n'est point par cruauté, mais par un sentiment d'ineffable affection; il veut simplement l'effrayer par ces menaces pour le porter à demander en grâce de ne pas être vendu; c'est en effet ce qui arrive: «Ce serviteur, se jetant à ses pieds, le conjurait», etc. - Remi. Nous voyons dans ces paroles l'humiliation et la satisfaction du pécheur; ces autres: «Ayez un peu de patience», sont l'expression de la prière du pécheur qui demande à Dieu de le laisser vivre et de lui accorder le temps de faire pénitence. Or, la bonté et la clé mence de Dieu $ont sans bornes à l'égard des pécheurs qui se convertissent, car il est toujours prêt à pardonner les péchés par le baptême ou par la pénitence. «Alors son maître, touché de compassion»,etc. - S. Chrys. (hom. 61). Voyez l'excès de l'amour de Dieu: le serviteur demande un simple délai; son maître lui accorde bien plus qu'il ne demande: il lui fait remise entière et absolue de tout ce qu'il lui devait. C'était ce qu'il désirait faire dès le commence ment; mais il ne voulait pas que tout dans ce don vînt de lui seul; il voulait que ce serviteur y contribuât par sa prière pour ne poi nt le laisser aller sans mérite. Il ne lui remit pas ce qu'il de vait avant de lui avoir fait rendre compte, pour lui faire comprendre l'énormité des dettes dont il le déchargeait, et le disposer à user lui-même de douceur à l'égard de son compagnon. Jus que là, en effet, sa conduite fut digne d'éloges, car il avoua sa dette et promit de la payer; il se jeta à genoux pour demander du temps et reconnut la grandeur des sommes qu'il devait; mais ce qu'il fit ensuite fut indigne d'un si beau commencement: «Or, ce serviteur étant sorti, trouva un de ses compagnons qui lui devait cent deniers, et, le prenant à la gorge, il l'étouffait», etc.
S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur). Cette somme de cent deniers qu'il devait à son compagnon vient du même nombre dix, qui est le nombre des préceptes de la loi, car cent mul tiplié par cent fait dix mille et dix fois dix font cent; ainsi ces dix mille talents et ces dix deniers ne s'éloignent pas du nombre des commandements qui sont la matière aux transgressions; ces deux serviteurs sont donc tous deux débiteurs, tous deux dans la nécessité de demander par don, car tout homme est débiteur de Dieu, et a son frère pour débiteur. - S. Chrys. Il y a autant de différence entre les péchés commis contre Dieu et ceux que l'on commet contre son frère, qu'il y en a entre dix mille talents et cent deniers, différence que rend encore plus sensi ble la distance qui sépare les personnes et l'a continuité des offenses. En effet, si nous avons l'oeil de l'homme pour témoin, nous nous abstenons et nous craignons même de pécher; mais, placés que nous sommes sous les yeux de Dieu, nous ne laissons passer aucun jour sans l'offenser, nous parlons et nous agissons en tout contre lui sans la moindre crainte. Et ce n'est pas le seul caractère de gravité que présentent nos péchés contre Dieu, ils en ont un autre qui vient des bienfaits dont il nous a comblés. C'est lui, en effet, qui nous a donné l'être, et qui a créé pour nous tout cet univers; il a répandu sur nous par son souffle divin une âme raisonna ble; il a envoyé son Fils sur la terre, il nous a ouvert le ciel et nous a fait ses enfants. Et quand même nous donnerions tous les jours notre vie pour lui, pourrions-nous reconnaître dignement ses bienfaits? Non, sans doute, car ce sacrifice lui-même tournerait à notre avantage. Mais nous, bien au contraire, nous ne cessons de transgresser ses lois. - Remi. Ainsi donc le ser viteur qui doit dix mille talents représente ceux qui tombent dans les grands crimes, et celui qui doit cent deniers ceux qui commettent des fautes moins graves. - S. Jér. Rendons cette vé rité plus sensible par un exemple: si quelqu'un parmi vous a commis un adultère, un homicide, un sacrilège, crimes énormes, ces dix mille talents lui seront remis sur sa demande, s'il par donne lui-même les légères offenses commises contre lui.
S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur). Mais ce serviteur méchant, ingrat, inique, ne voulut pas accorder ce qu'on lui avait remis malgré son indignité: «Et le saisissant à la gorge, il l'étouffait, en disant: Rends ce que tu dois». - Remi. C'est-à-dire qu'il le pressait avec violence pour en tirer vengeance. - Orig. Il l'étouffait, ce qui doit faire supposer qu'il était sorti de chez le roi, car il n'aurait pas osé, en la présence du roi, se porter à cette extrémité sur son compagnon. - S. Chrys. (hom. 60). Ces paroles mêmes «Il ne fut pas plus tôt sorti» nous montrent que ce ne fut pas longtemps après, mais immédiatement, alors qu'il entendait encore retentir à son oreille le pardon bienfaisant de son maître, qu'il abuse indignement, pour se venger, de la liberté qui vient de lui être rendue; or, que fit alors son compagnon? «Et se jetant à ses pieds, il le conjurait en disant: Prenez patience»,etc. - Orig. Remarquez le choix admirable des expressions dans l'Écriture: le serviteur, qui devait une somme énorme de talents, se jette aux pieds du roi pour l'adorer, tandis que celui qui ne devait que cent deniers s'était bien jeté aux pieds de son compagnon, mais sans l'adorer, il le conjurait seulement en lui disant: «Prenez patience». - S. Chrys. (hom. 60). Mais cet ingrat serviteur n'eut même pas le moindre respect pour ces paroles auxquelles il devait son salut, comme nous l'indique la suite du récit: «Mais il ne voulut pas l'écouter». - S. Aug. (Quest. évang., 1, 35). C'est-à-dire qu'il persévéra dans la volonté de le livrer à la justice et au châtiment: «Et il s'en alla». - Remi. Il poursuivit avec une colère plus violente le projet qu'il avait de se venger, et il le fit jeter en prison jusqu'à ce qu'il eût payé sa dette, c'est-à-dire que, s'étant saisi de son frère, il en tira une cruelle vengeance.
S. Chrys. (hom. 60). Voyez la charité du maître et la cruauté de ce serviteur. Il a le premier demandé grâce pour dix mille talents, son compagnon pour cent deniers; l'un priait son maître, l'autre son compagnon; l'un obtint la remise totale de sa dette, l'autre ne demandait qu'un délai et ne put l'obtenir. Les autres serviteurs, voyant ce qui se passait, en furent vivement at tristés, selon la remarque de l'auteur sacré. - S. Aug. (Quest. évang). Par ces compagnons, il faut entendre l'Église qui exerce le pouvoir de lier l'un et de délier l'autre. - Remi. Ou bien les compagnons de ce serviteur représentent peut-être les anges ou les prédi cateurs de la sainte Église, ou tous ceux des fidèles qui, en voyant un de leurs frères sans com passion pour son frère après qu'il a obtenu lui-même le pardon de ses péchés, s'affligent sensi blement de sa perte: «Et ils vinrent, et ils av ertirent leur maître»,etc. Ils viennent non pas d'une manière sensible, mais par les sentiments de leur coeur. Raconter au Seigneur, c'est lui exposer par les mouvements de l'âme les douleurs et la tristesse du coeur. - Suite. «Alors son maître l'ayant fait venir». - Il le fit venir en prononçant la sentence de mort et en lui or donnant de sortir de ce monde, et il lui dit: «Méchant serviteur, je vous avais remis tout ce que vous me deviez, parce que vous m'en aviez prié». - S. Chrys. (hom. 61). Lorsque ce serviteur lui devait dix mille talents, il ne l'a point appelé de la sorte; il ne lui a dit aucune pa role outrageante, mais il a eu pitié de lui. Lorsqu'au contraire il voit son ingratitude à l'égard de son compagnon, il l'appelle: «Méchant serviteur», et lui reproche l'indignité de sa conduite: «Ne fallait-il pas avoir pitié vous-même», etc. - Remi. Remarquons qu'on ne voit pas que ce serviteur ait osé faire aucune réponse à son maître, ce qui nous apprend, qu'au joui du ju gement et cette vie une fois terminée, tout moyen de justification nous sera ôté.
S. Chrys. (hom. 60). Le bienfait ne l'a pas rendu meilleur; c'est donc au châtiment de le corriger: «Et son maître irrité le livra entre les mains des bourreaux», etc. Notre-Seigneur ne dit pas simplement: Il le livra, mais: «il le livra tout en colère», remarque qu'il n'a point faite lorsque le maître commanda de vendre ce serviteur, car il n'agissait pas alors par colère, mais plutôt par amour, et dans le dessein de le rendre meilleur. Ici, au contraire, c'est une sentence qui emporte condamnation au supplice et à la peine. - Remi. Dans le langage de l'Écriture, Dieu se met en colère, lorsqu'il exerce sa juste vengeance contre les pécheurs. Les bourreaux, ce sont les démons, qui sont toujours prêts à se saisir des âmes perdues et condamnées, et à les tourmenter dans les supplices de l'enfer. Mais une fois plongé dans cet abîme d'éternelle damnation, le pécheur pourra-t-il trouver le moyen de devenir meilleur et d'échapper à ces suppli ces? Non; le mot «jusqu'à ce que» exprime ici une durée infinie, et veut dire qu'il paiera toujours sans pouvoir jamais s'acquitter et que son supplice sera éternel. - S. Chrys. (hom. 60). Ces paroles sont une preuve qu'il sera toujours, c'est-à-dire éternellement puni, sans qu'il puisse jamais acquitter sa dette. Quoique les dons et la vocation de Dieu soient irrévocables (Rm 11,29), cependant l'excès de la malice a été si loin qu'elle a détruit jusqu'à cette loi de miséricorde. - S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur). Dieu nous a dit: «Remettez, et il vous, sera remis».Or, je vous ai remis le premier, remettez du moins à mon exemple, car si vous ne remettez pas, je vous rappellerai devant moi et je reviendrai sur le pardon que je vous ai accordé. En effet, Jésus-Christ ne peut ni se tromper, ni nous tromper, lorsqu'il ajoute: «C'est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si vous ne pardonnez chacun à vos frères du fond de vos coeurs. Il vaut mieux que vous soyez sévère et emporté dans vos paroles, tout en pardonnant du fond du coeur, que d'avoir un langage caressant avec une âme implacable. C'est pourquoi Notre-Seigneur ajoute: «Du fond de vos coeurs; il veut que, si la charité vous fait un devoir de punir, vous conserviez toujours la douceur au fond de votre âme. Qu'y a-t-il de plus compatissant que le médecin qui approche du malade le fer à la main? Il sévit contre la plaie pour guérir le malade, car, s'il use de ménagements à l'égard de la blessure, l'homme est perdu. - S. Jér. Le Sauveur ajoute: «Du fond de vos coeurs» pour prévenir toute hypocrisie et tout faux semblant de réconciliation. Par cette comparaison du roi et du serviteur qui avait demandé et obtenu la remise des dix mille talents qu'il devait à son maître, le Seigneur fait une obligation à Pierre de remettre à ses frères les légères offenses dont ils se rendront coupables à son égard. - Orig. Il veut aussi nous enseigner à pardonner facilement à ceux qui nous ont fait du tort, surtout s'ils réparent leur faute et viennent im plorer leur pardon.
Rab. Dans le sens allégorique, ce serviteur, qui devait dix mille talents, c'est le peuple juif soumis au décalogue de la Loi, et à qui Dieu a souvent remis ses dettes lorsque, réduit aux dernières extrémités, il faisait pénitence et implorait miséricorde; mais une fois délivré de ces épreuves, il n'avait aucune commisération et exigeait avec une rigueur implacable tout ce qui pouvait lui être dû. Il ne cessait de tourmenter les Gentils, comme s'ils lui étaient soumis; il exigeait d'eux l'observation de la circoncision et des prescriptions légales et massacrait impi toyablement les prophètes et les Apôtres qui lui apportaient la parole de réconciliation. C'est pour cela que Dieu les livra aux Romains qui détruisirent leur cité de fond en comble, ou plutôt aux esprits mauvais pour être tourmentés par eux dans les supplices éternels.
4901 Mt 19,1-8
S. Chrys. (hom. 62). Notre-Seigneur était précédemment sorti de la Judée à cause de la jalou sie de ses ennemis; il y revient maintenant fixer son séjour, parce que le temps de sa passion n'était plus éloigné. Cependant il ne s'avance pas au coeur de la Judée, mais il s'arrête sur ses frontières. «Et il arriva, dit l'auteur sacré, que lorsque Jésus eut achevé tous ces discours», etc. - Rab. L'Évangéliste commence donc à raconter les actions, les enseignements de Jésus et aussi ce qu'il eut à souffrir, d'abord au delà du Jourdain, à l'Orient, ensuite en deçà du Jourdain, lorsqu'il vint à Jéricho, à Bethphagé et à Jérusalem: «Et il vint aux confins de la Judée». - S. Chrys. (sur S. Matth). Il agit en cela avec justice, comme le Seigneur de tous les hommes, qui aime les uns sans délaisser les autres. - Remi. Il faut se rappeler que tout le pays habité par les Israélites portait le nom général de Judée, mais que ce nom était donné d'une manière spéciale à la partie méridionale habitée par la tribu de Juda et par celle de Benjamin, pour la distinguer des autres pays renfermés dans la même province, comme la Samarie, la Galilée, la Décapotle et d'autres encore.
«Et de grandes troupes le suivirent». - S. Chrys. (sur S. Matth). ils l'accompagnaient, comme de jeunes enfants conduisent leur père partant pour un long voyage. Et le Sauveur, comme un père, qui est sur son départ, leur laissa pour gages de sa tendresse la guérison de leurs maladies, comme l'indique l'auteur sacré: «Et il les guérit». - S. Chrys. (hom. 63). Remarquons ici que le Seigneur ne s'applique continuellement ni à enseigner le peuple, ni à faire des miracles, mais il fait alternativement l'un et l'autre pour confirmer par les miracles l'autorité de ses paroles, et montrer, par la nature de ses enseigne ments, l'utilité des miracles.
Orig. (traité 7 sur S. Matth). Notre-Seigneur guérissait tout ce peuple au delà du Jourdain où le baptême était donné, car c'est vraiment dans le baptême que tous les hommes sont délivrés de leurs infirmités spirituelles; et s'il en est beaucoup qui suivent Jésus-Christ comme la mul titude, tous cependant n'imitent pas la conduite de saint Matthieu, qui se leva aussitôt et quitta tout pour suivre le Christ. - Rab. Il guérit aussi les Galiléens sur les confins de la Judée, pour montrer qu'il comprend les Gentils dans le pardon qu'il préparait à la Judée. - S. Chrys. (hom. 62). Jésus-Christ gué rissait les hommes, et les bienfaits dont ils étaient l'objet se répandaient par eux sur une foule d'autres, car leur guérison était pour un grand nombre une occasion d'acquérir la connaissance de sa divinité. Ce n'était pas toutefois pour les pharisiens, que ses miracles ne faisaient qu'endurcir comme l'indiquent les paroles suivantes: «Et les pharisiens s'approchèrent de lui pour le tenter, et ils lui dirent: Est-il permis à un homme de renvoyer sa femme», etc.
- S. Jér. Ils veulent le prendre dans ce dilemme sans réplique, et le faire tomber dans le piège, quelle que soit sa réponse: S'il dit qu'on peut renvoyer sa femme pour toute sorte de raisons et en prendre une autre, il se trouvera en contradiction avec sa doctrine sur la pureté des moeurs; s'il répond, au contraire, qu'il est défendu de la renvoyer pour toute espèce de motifs, il sera convaincu de sacrilège et d'opposition à la doctrine de Moïse et de Dieu lui-même. - S. Chrys. (Hom. 62). Voyez comme leur méchanceté paraît jusque dans la manière dont ils l'interrogent. Le Sauveur avait déjà eu occasion d'expliquer ce commandement, et ils viennent le questionner comme s'ils n'en avaient jamais parlé, s'imaginant sans doute qu'il avait oublié ce qu'il avait pu dire. - S. Chrys. (sur S. Matth). Lorsque vous voyez un homme cultiver avec soin l'amitié des médecins, vous en concluez qu'il est atteint de quelque infirmité; de même, lorsque vous voyez un homme et une femme qui viennent questionner sur les moyens de renvoyer sa femme ou son mari, concluez sûrement que cet homme, que cette femme mè nent une vie dissolue; car la chasteté se plaît dans les liens du mariage, mais le libertinage re garde ces liens comme un esclavage et un supplice. Les pharisiens savaient bien qu'ils n'avaient aucune raison valable pour renvoyer leurs femmes, si ce n'est des motifs honteux, et ils ne lais saient pas de contracter avec l'une et avec l'autre de nouveaux engagements. Ils n'osèrent pas demander à Jésus pour quels motifs il était permis de renvoyer sa femme, afin de ne pas se trouver resserrés dans les limites étroites de raisons claires et précises; mais ils lui demandent s'il est permis de la renvoyer pour toute espèce de raisons, car ils savaient bien que la passion ne sait ni s'arrêter ni se contenir dans les bornes d'un seul mariage, mais que plus on la satis fait, plus elle s'enflamme.
Orig. (Traité 7 sur S. Matth). En voyant que Notre-Seigneur a voulu être ainsi tenté, qu'aucun de ses disciples, chargé d'enseigner les autres, ne s'attriste d'être éprouvé de la même manière, mais qu'il considère le Sauveur, faisant à ceux qui le tentent, une réponse pleine de religion et de piété. - S. Jér. Il pèse tous les termes de sa réponse, de manière à évi ter le piége qu'ils lui tendent, et il produit tout à la fois le témoignage de l'Écriture et de la loi naturelle, pour mettre ainsi en comparaison la première déclaration de Dieu avec la seconde: «Et il leur répondit: N'avez-vous pas lu que Celui qui a créé l'homme dès le commencement créa un seul homme et une seule femme ?» C'est ce qui est écrit au commencement de la Ge nèse. Or, ces paroles: «Un seul homme et une seule femme», prouvent qu'on doit éviter de s'engager dans les liens d'un second mariage. En effet, Notre-Seigneur n'a pas dit: mâle au singulier et femelle au pluriel, ce que les Juifs avaient en vue en répudiant leur première épouse, mais mâle et femelle, tous deux au singulier, afin qu'on ne s'engageât dans les liens que d'un seul mariage. - Rab. C'est par un dessein salutaire de Dieu qu'il a été établi que l'homme devrait aimer dans la femme une partie de son propre corps et ne pas regarder comme lui étant étrangère une chair qu'il reconnaîtrait avoir été tirée de lui. - S. Chrys. (sur S. Matth). Or, si Dieu a créé d'une seule et même chose l'homme et la femme pour établir entre eux une parfaite unité, pourquoi l'homme et la femme ne naissent-ils pas simultanément du même sein, comme il arrive pour certains oiseaux? Parce que, bien que Dieu ait créé l'homme et la femme en vue de la génération des enfants, cepe ndant il est tou jours l'ami de la chasteté et l'auteur de la continence. C'est pourquoi Dieu n'a pas suivi la même règle dans la génération humaine. D'après cette règle, si l'homme veut se marier selon l'ordre établi dès la création, il doit comprendre parfaitement ce qu'est l'homme et la femme, et, s'il ne veut pas se marier, il n'y est point comme forcé par une union qui daterait de sa naissance, et il ne devient point ainsi, en gardant la continence, la perte d'un autre qui ne s'y croi rait pas appelé. C'est ainsi que le Seigneur, le mariage une fois contracté, défend aux époux de se séparer l'un de l'autre, si ce n'est d'un consentement mutuel. -
S. Chrys. (hom. 60). Ce n'est pas seulement d'après la règle suivie dans la création, mais d'après une loi formelle qu'il établit, que le mariage est l'union indissoluble d'un seule avec une seule; c'est pour cela qu'il ajoute: «L'homme abandonnera son père et sa mère et s'attachera à son épouse». - S. Jér. Il dit encore ici «à son épouse», et non «à ses épouses», et il ajoute expressément: «ils seront deux dans une seule chair»; car un des principaux avantages de l'union conjugale, c'est de réunir deux corps en une seule chair. - La Glose. Ou bien ces paroles: «dans une seule chair» signifient l'union elle-même des deux sexes. - S. Chrys. (sur S. Matth). Si donc parce que la femme vient de l'homme et qu'ils sont tous deux d'une même chair, l'homme doit abandonner son père et sa mère, on doit voir exister une plus grande affection entre les frères et soeurs qui sortent des mêmes parents, tandis que les époux viennent de familles différentes. Cependant l'affection des époux est de beaucoup supérieure, parce que l'institution divine est plus forte que la force même de la nature; en effet, les préceptes divins ne sont point soumis à la nature, tandis que la nature obéit aux commandements de Dieu. D'ailleurs, les frères sortent d'une seule et même union pour suivre des routes différentes; l'homme et la femme, au contraire, naissent de parents divers pour accomplir ensemble la même destinée. L'ordre que suit la nature vient ici confirmer l'ordre établi de Dieu; car ce que la sève est dans les arbres, l'amour l'est dans les hommes. Or, la sève monte de la racine pour former le corps de la plante, et de là s'élève encore plus haut pour se transformer en semence. C'est ainsi que les parents aiment leurs enfants et n'en sont pas également aimés, car l'homme applique surtout son affec tion non pas à aimer ceux qui lui ont donné le jour, mais aux enfants qui naissent de son union, comme il est écrit: «L'homme abandonnera son père et sa mère et s'attachera à son épouse».
S. Chrys. (hom. 62). Admirez la sagesse de ce divin Maître. On lui demande: «Est-il per mis ?» Il ne répond pas aussitôt: «Il n'est pas permis», pour ne pas les troubler et les dé concerter, mais il appuie cette défense sur des preuves. Dieu, en effet, dès le commencement, fit l'homme et la femme, et il ne les unit pas d'une manière ordinaire, mais il leur ordonna d'abandonner leur père et leur mère. Il ne se contente pas non plus de commander à l'homme d'aller trouver la femme, il veut qu'il lui soit uni, et, par la manière dont il s'exprime, il établit l'indivisibilité du mariage. Mais il montre encore plus fortement combien cette union est étroite en ajoutant: «Et ils seront deux dans une seule chair». - S.Aug. (sur la Genèse dans le sens littér., 9). Ces paroles, au témoignage de l'Écriture, ont été dites par le premier homme; le Seigneur, cependant, les attribue à Dieu lui-même. Nous d evons donc comprendre qu'Adam, par suite de l'extase qui avait précédé, a pu dire ces paroles par inspiration et comme prophète. - Remi. L'Apôtre saint Paul nous enseigne que c'est là un grand mystère en Jésus-Christ et en son Église (Ep 5,32). En effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ abandonna en quelque sorte son Père, lorsqu'il descendit des cieux sur la terre; il abandonna sa mère, c'est-à-dire la syna gogue, en punition de son infidélité, et il s'attacha à son épouse, c'est-à-dire à la sainte Église, et ils sont deux dans une chair, c'est-à-dire Jésus-Christ et l'Église dans un seul corps.
S. Chrys. (hom. 62,) Après avoir rapporté les paroles et les faits de la loi ancienne, Jésus les interprète lui-même avec autorité, et il établit la loi en ces termes: «Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair». De même qu'on dit de ceux qui s'aiment d'un amour spirituel, qu'ils ne font qu'une seule âme, comme l'atteste l'Écriture: «Tous les croyants n'avaient qu'un coeur et qu'une âme» (Ac 4,32); ainsi on dit de l'homme et de la femme qui s'aiment d'un amour selon la chair, qu'ils ne sont qu'une même chair; or, si c'est une chose horrible de couper ou de déchirer sa propre chair, il ne l'est pas moins de séparer la femme de son mari. - S. Aug. (Cité de Dieu, 14, 22). Notre-Seigneur dit qu'ils ne font qu'un, ou bien à cause de leur union, ou à cause de l'origine de la femme, qui a été tirée du côté de l'homme. - S. Chrys. (hom. 62) Enfin, il fait intervenir l'autorité de Dieu lui-même en disant: «Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni; paroles qui démontrent que renvoyer sa femme, c'est agir à la fois contre la nature et contre la loi: contre la nature, en divisant une seule et même chair; contre la loi, parce que renvoyer sa femme, c'est rompre des liens que Dieu lui-même avait assemblés et déclarés indissolubles. - S. Jér. Dieu a formé cette union en ne faisant qu'une chair de l'homme et de la femme; ce n'est donc pas à l'homme, mais à Dieu seul de la séparer; or, l'homme sépare, lorsqu'il ren voie sa première femme par le désir d'en prendre une autre; Dieu sépare, lui qui avait uni, lorsque, d'un mutuel consentement et en vue du service de Dieu, nous avons une femme; mais que nous sommes comme n'en ayant pas (1Co 7,29). - S. Aug. (contre Fauste, 19, 29). Voilà donc les Juifs convaincus par les livres de Moïse qu'on ne doit pas renvoyer son épouse, eux qui croyaient agir conformément à la loi de Moïse, lorsqu'ils répudiaient leurs femmes. Nous apprenons en même temps par le témoignage de Jésus-Christ que Dieu a fait l'homme et la femme, et les a unis entre eux, doctrine qui condamne les Manichéens qui nient cette vérité et se mettent ainsi en opposition avec l'Évangile de Jésus-Christ.
S. Chrys. (sur S. Matth). Une déclaration aussi conforme à la chasteté est accablante pour des fornicateurs; ils ne peuvent rien opposer à la raison, mais ils ne se rendent pas pour cela à la vérité. Ils s'appuient donc de l'autorité de Moïse, comme des hommes qui ayant une mauvaise cause à défendre ont recours à des personnages haut placés, pour remporter par leur influence un triomphe qu'ils ne peuvent espérer de la justice de leur cause. «Mais pourquoi donc, lui disent-ils, Moïse a-t-il commandé», etc. - S. Jér. Ils découvrent l'accusation calomnieuse qu'ils avaient préparée, bien que le Sauveur n'ait point donné son propre sentiment, mais qu'il n'ait fait que rappeler un fait de l'histoire ancienne et les commandements de Dieu. - S. Chrys. (hom. 62). Si Notre-Seigneur eût été en opposition avec l'Ancien Testament, il n'eût point pris la défense de Moïse; il n'aurait pas non plus montré le rapport des faits an ciens avec ce qui le concernait. Cependant l'ineffable sagesse du Sauveur va jusqu'à justifier ses accusateurs dans sa réponse: «Et il leur répondit: C'est à cause de la dureté de votre coeur que Moïse vous a permis»,etc. C'est ainsi qu'il justifie MoIse de l'accusation qu'ils semblaient vouloir lui intenter, tour la faire retomber tout entière sur leur tête. - S. Aug. (contre Fauste, 19, 29). Quelle n'était pas en effet leur dureté, puisque l'acte de répudiation qui offrait un moyen de séparation aux hommes justes et prudents, ne pouvait ni les fléchir, ni ramener dans leurs coeurs l'affection qui doit régner entre les époux. Mais quelle est donc la fourberie des Manichéens, qui reprochent à Moïse d'avoir détruit le mariage en autorisant le billet de répudiation et qui louent Jésus-Christ d'avoir confirmé l'indissolubilité du lien conju gal? Dans leur opinion sacrilège, ils devraient, au contraire, louer Moïse d'avoir séparé ce que le démon avait uni, et blâmer Jésus-Christ d'avoir resserré des liens formés par le démon.
S. Chrys. (hom. 62). Comme cette réponse pouvait produire une impression fâcheuse, le Sauveur en revient aussitôt à la loi et ajoute: «Mais au commencement, il n'en a pas été ainsi». - S. Jér. Paroles dont voici le sens: Est-ce que Dieu peut être en contradiction avec lui-même, à ce point d'établir une loi et de la détruire par un Commandement contraire? c'est ce qu'on ne peut admettre. Mais Moïse, voyant que le désir d'épouser d'autres femmes, ou plus riches ou plus jeunes ou plus belles, était pour les premières épouses une cause de mauvais traitements et de mort, ou pour les maris de conduite licencieuse, aima mieux permettre le divorce, que de laisser persister les haines et les homicides. Remarquez encore qu'il ne dit pas: A cause de la dureté de votre coeur, Dieu vous a permis, mais: «Moïse vous a permis»; car, selon la remarque de l'Apôtre (1Co 7,12), c'était un conseil de l'homme et non pas un commandement de Dieu.
- S. Chrys. (sur S. Matth). Aussi est-ce avec dessein qu'il dit: «Moïse vous a permis», et non: Moïse vous a commandé; car ce que nous commandons est l'expression d'une volonté qui persévère, tandis que ce que nous permettons, nous l'accordons malgré nous, parce que nous ne pouvons pas arrêter entièrement la mauvaise volonté des hommes. Moïse vous a donc permis de faire mal, pour vous empêcher de faire plus mal en core; donc, en nous accordant cette permission, il ne vous a pas fait connaître ce qu'exige la justice de Dieu; il a simplement déchargé le péché de culpabilité, de manière qu'en paraissant agir d'après votre loi, ce qui était péché cessât de l'être pour vous.
Catena Aurea 4818