Catena Aurea 4923
4923 Mt 19,23-26
La Glose. Notre-Seigneur prend occasion de cet avare, dont il vient d'être question, pour parler de tous ceux qui sont esclaves de l'avarice: «Et Jésus dit à ses disciples: Je vous le dis en vérité», etc. S. Chrys. (hom. 63). Ce ne sont point les richesses qu'il accuse ici, mais ceux qui s'en rendent esclaves, et il enseigne en même temps à ses disciples, qui étaient pauvres, à ne pas rougir de leur pauvreté. - S. Hil. (can. 19). Ce n'est point un crime d'avoir des richesses, mais il faut les posséder avec modération; en effet, comment pourra-t-on soulager les nécessités des saints (Rm 12,13), si l'on ne garde pas de quoi venir à leur secours? - Rab. Mais il y a une grande différence entre posséder les richesses et aimer les richesses; or, le plus sûr est de ne pas les avoir et de ne pas les aimer. - Remi. Aussi le Seigneur, expliquant lui-même, dans saint Marc, le sens de ce passage déclare «qu'il est difficile à ceux qui mettent leur confiance dans les richesses, d'entrer dans le royaume des cieux». Ils mettent leur confiance dans leurs richesses en y pla çant toutes leurs espérances. - S. Jér. Comme il est difficile de mépriser et de sacrifier les richesses qu'on possède, Notre-Seigneur ne dit pas qu'il est impossible, mais qu'il est difficile à un riche d'entrer dans le royaume des cieux, la difficulté n'emporte pas l'impossibilité, mais indique seulement la rareté du fait. - S. Hil. (can. 19). C'est une chose pleine de dangers que de vouloir s'enrichir, et l'innocence qui cherche à accroître ses richesses, se charge d'un lourd fardeau. Dans le service de Dieu, on ne peut acquérir les biens du monde, sans s'exposer à contracter les vices du monde, et c'est ce qui rend difficile aux riches l'entrée du royaume des cieux.
S. Chrys. (hom. 63). Après avoir déclaré qu'il était difficile à un riche d'entrer dans le royaume des cieux, N otre-Seigneur entreprend de prouver que cette difficulté va même jusqu'à l'impossibilité: «Je vous le dis encore une fois, il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux». - S. Jér. D'après ces paroles, personne, ce semble, ne pourra être sauvé. Mais si nous lisons dans le prophète Isaïe (Is 25), comment les chameaux de Madian et d'Epha se rendent à Jérusalem chargés de dons et de présents, et comment ceux qui étaient courbés et contournés sous le poids des vices, entrent par la porte de cette cité, nous comprendrons comment ces chameaux, qui sont la fi gure des riches, pourront entrer par la voie étroite et resserrée qui conduit à la vie, après s'être déchargés du poids si lourd de leurs péchés et de toute la dépravation des sens. - S. Chrys. (sur S. Matth). Les âmes des païens sont comparées ici à des chameaux mal conformés, et qui sont courbés sous la bosse de l'idolâtrie, car c'est la connaissance de Dieu qui relève les âmes. L'aiguille, c'est le Fils de Dieu, dont la première partie, celle qui représente sa divinité, est d'une finesse extrême, tandis que l'autre partie, qui figure son humanité, est beaucoup moins aiguisée. Or, cette aiguille, dans toute sa longueur, est droite, et ne présente aucune déviation, et c'est par la blessure qu'elle a faite dans la passion, que les Gentils sont entrés dans la vie éternelle. C'est cette aiguille qui a cousu la tunique de l'immortalité; c'est cette aiguille qui a cousu et uni la chair à l'esprit, c'est elle qui a uni le peuple juif au peuple des Gentils; c'est elle, enfin, qui a établi des liens étroits entre les anges et les hommes. Il est donc plus facile aux Gentils de passer par le trou de l'aiguille, qu'aux Juifs qui se croient riches, d'entrer dans le royaume des cieux; car si l'on ne peut arracher les Gentils qu'avec peine au culte insensé des idoles, combien sera-t-il plus difficile de détacher les Juifs des cérémonies du culte du vrai Dieu, cérémonies si conformes à la raison. - La Glose. On donne encore cette autre expli cation, qu'il y avait à Jérusalem une porte qu'on appelait le trou de l'aiguille, et par laquelle un chameau ne pouvait passer qu'après avoir déposé son fardeau et plié les genoux. C'était le symbole de cette vérité, que les riches ne peuvent entrer dans la voie étroite qui conduit à la vie, qu'après s'être déchargés des souillures de leurs péchés et de leurs richesses, en cessant, du moins, de les aimer. - S. Grég. (Moral., 35, 11). Ou bien, sous le nom de riches, Notr e-Seigneur veut que nous entendions tout homme orgueilleux, et sous celui de chameau, ses hu miliations personnelles. Le chameau passe par le trou de l'aiguille, lorsque notre Rédempteur a pénétré jusqu'à la mort par la porte étroite et resserrée de ses souffrances, souffrances qui ont été pour lui comme une aiguille, parce qu'elles ont transpercé son corps de douleur. Or, le chameau passe par le trou d'une aiguille, plus facilement que le riche n'entre dans le royaume des cieux, parce que si Jésus n'avait commencé par nous donner l'exemple de l'humilité dans sa passion, jamais notre orgueilleuse raideur n'aurait voulu s'abaisser jusqu'à son humilité.
S. Chrys. (hom. 63). Ces paroles jettent le trouble dans l'âme des Apôtres qui, cependant, menaient une vie pauvre; mais ils sont inquiets pour le salut des autres, et ont déjà les entrail les paternelles qui conviennent aux docteurs et aux maîtres des nations. Ils lui disent donc: «Qui pourra être sauvé ?» - S. Aug. (Quest. évang., 1, 26). Comme le nombre des riches est peu considérable en comparaison de la multitude des pauvres, nous devons comprendre que les disciples mettaient au nombre des riches tous ceux qui désirent les richesses. - S. Chrys. (hom. 63). Notre-Seigneur montre ensuite que c'est là l'oeuvre de Dieu, et qu'il faut à l'homme une grâce signalée pour se bien diriger au milieu des richesses. Aussi l'Évangéliste ajoute: «Or, Jésus, les regardant, leur dit: Cela est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu». Il nous fait remarquer que Jésus regarde ses disciples pour si gnifier que par ce regard plein de bonté, il veut enhardir leur timidité. - Remi. Il ne faut pas, toutefois, entendre les paroles du Sauveur, en ce sens qu'il soit possible à Dieu de faire entrer dans le royaume des cieux un riche cupide, avare et superbe, mais qu'il le convertira d'abord pour qu'il puisse y entrer. - S. Chrys. (hom. 64). Et s'il s'exprime de la sorte, ce n'est pas pour que vous vous découragiez et que vous vous arrêtiez comme devant une impossibilité; mais afin, qu'étant bien convaincu de la grandeur de l'entreprise, vous franchissiez cet obstacle en recourant à Dieu par la prière.
4927 Mt 19,27-30
Orig. (traité 9 sur S. Matth). Pierre avait entendu ces paroles du Sauveur: «Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-en le prix aux pauvres».Il vit en suite ce jeune homme s'en aller tout triste, et combien il était difficile pour un riche d'entrer dans le royaume des cieux. Il interroge donc le Sauveur avec confiance, comme un homme qui a consommé une oeuvre difficile; car si son frère et lui ont quitté des choses de peu d'importance, Dieu ne les a pas estimées de la sorte, mais il a considéré la perfection de l'amour qui a été le principe de leur détachement, et qui leur aurait fait sacrifier les plus gran des richesses, s'ils les avaient possédées. Aussi je pense que c'est en se fondant plutôt sur les sentiments de son coeur que sur la valeur des choses qu'il a quittées, que Pierre s'adresse au Sauveur avec tant de confiance: «Alors Pierre, prenant la parole, lui dit: Voilà que nous avons tout quitté».
S. Chrys. (hom. 63). Quelles sont donc toutes ces choses, ô bienheureux Pierre ! une ligne, un filet, une barque. Il dit: «Nous avons tout quitté», en parlant de ces choses, non pas, sans doute, pour en rehausser le prix, mais pour inspirer de la confiance au pauvre peuple qui l'entend. Car le Seigneur ayant dit: «Si vous voulez être parfait, vendez tout ce que vous avez», etc., les pauvres pouvaient répondre: Mais quoi, nous ne possédons rien, nous ne pou vons donc être parfaits? Or, Pierre fait cette question, afin que vous qui êtes pauvre vous ne vous croyiez ici inférieur en rien à ceux qui sont riches; car celui qui avait reçu les clefs du royaume des cieux, espère avec confiance les autres biens que le ciel renferme, et c'est au nom de l'univers tout entier qu'il interroge son divin Maître. Or, considérez comme il répond avec précision aux deux conditions exigées par Jésus-Christ. Le Sauveur a demandé deux choses à ce riche, de donner aux pauvres tout ce qu'il avait, et de le suivre; c'est pourquoi Pierre ajoute: «Et nous vous avons suivi».
- Orig. C'est-à-dire, d'après la révélation que le Père a faite à Pierre, que Jésus était son Fils, nous vous avons suivi, vous qui êtes la justice, la sancti fication et toute vertu semblable. Il demande donc comme un athlète qui est vainqueur, quel sera le prix du combat.
S. Jér. Comme en effet il ne suffit pas de tout abandonner, Pierre ajoute ce qui est le caractère propre de la perfection: «Et nous vous avons suivi».Nous avons fait ce que vous avez or donné; quelle sera donc notre récompense? C'est ce que signifient ces paroles: «Que nous sera-t-il donc donné ?» Or, Jésus leur dit: «Je vous le dis en vérité, que pour vous qui m'avez suivi», etc. - S. Jér. Il ne dit pas: «Pour vous qui avez quitté toutes choses», car c'est ce qu'a fait le philosophe Cratès, et beaucoup d'autres qui ont méprisé les richesses; mais: «Pour vous qui m'avez suivi»,ce qui est le caractère propre des Apôtres et des vrais fidèles. - S. Hil. (can. 20). Les Apôtres ont suivi Jésus-Christ dans la régénération, c'est-à-dire dans les eaux du baptême et dans la sanctification que donne la foi; c'est cette régénération que les Apôtres ont suivi et que la loi n'avait pu leur donner. - S. Jér. Ces paroles du Sauveur peuvent encore recevoir cet autre sens: «Vous qui m'avez suivi, vous serez assis au jour de la régénération», c'est-à-dire lorsque les morts ressusciteront incorruptibles du sein de la corruption (1Co 15), vous serez assis sur les trônes des juges pour condamner les douze tribus d'Israël, parce que, témoins de votre foi, elles ont refusé d'en être les imitateurs. - S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 5). Car votre corps sera régénéré par le don de l'incorruptibilité, comme votre âme sera régénérée par la foi.
- S. Chrys. (sur S. Matth). Les Juifs auraient pu dire au jour du jugement: «Seigneur, en vous voyant revêtu d'une chair mortelle, nous n'avons pu vous reconnaître pour le Fi ls de Dieu. Et qui, parmi les hommes, pouvait voir ce trésor caché dans la terre, ce soleil couvert de nuages ?» Mais les disciples répondront: «Et nous-mêmes, nous étions des hommes du peuple, sans instruction; vous, au contraire, vous étiez des prêtres et des scribes; mais notre volonté droite a été comme une lampe qui a éclairé notre grossière ignorance, tandis que votre malice a été comme un nuage qui a couvert de ténèbres toute votre science.
S. Chrys. (hom. 64). Il ne dit pas: Pour juger les nations de l'univers, mais: «Pour juger les tribus d'Israël», parce que les Juifs et les Apôtres avaient été élevés suivant les mêmes lois et sous les mêmes institutions. Aussi lorsque les Juifs viendront dire: Nous avons refusé de croire au Christ, parce que la loi le défendait, on leur opposera les disciples de Jésus, qui ont reçu et observé la même loi. Mais on dira peut-être: Quelle si grande récompense leur a-t-il promise, s'ils ne doivent recevoir que ce que la reine du Midi et les Ninivites recevront eux-mêmes? Il leur a déjà promis et il leur promettra encore d'autres récompenses bien plus magnifiques, mais ici-même il indique que ce qui leur est destiné est bien supérieur à ce que recevront les Ninivi tes. En parlant de ces derniers, il dit simplement qu'ils se lèveront contre cette génération pour la condamner, mais lorsqu'il s'agit des Apôtres, il s'exprime en ces termes: «Lorsque le Fils de l'homme siégera sur le trône de sa gloire, vous serez assis vous-mêmes sur douze trônes»,etc. Il est donc certain qu'ils partageront et sa royauté et sa gloire. C'est cet honneur et cette gloire qui sont figurés ici par les trônes. Or, comment s'est accomplie cette promesse? Est-ce que Judas siégera aussi avec les autres Apôtres? Non, assurément, car voici la loi que le Seigneur a établie par le prophète Jérémie: «Je me déclarerai en faveur d'une nation ou d'un royaume pour l'établir et pour l'affermir, mais si ce royaume ou cette nation pêche devant mes yeux, je me repentirai aussi du bien que j'avais résolu de lui faire»; c'est-à-dire: S'ils se ren dent indignes de mes promesses, je me garderai bien de les accomplir. Or, Judas s'est rendu indigne de l'honneur qui lui avait été promis. Aussi n'est-ce pas sans conditions que le Sauveur fait cette promesse à ses disciples; car il ne dit pas d'une manière absolue: «Vous serez assis», mais il fait précéder ces paroles de celles-ci: «Vous qui m'avez suivi», paroles qui ex cluaient Judas, et qui attiraient à lui ceux qui devaient plus tard marcher à sa suite; car ce n'était ni aux disciples seuls, ni à Judas, qui s'en était déjà rendu indigne, que Notre-Seigneur les adressait.
S. Hil. (can. 20). Jésus-Christ, en plaçant ses Apôtres sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël, les associe à la gloire des douze patriarches, et nous devons conclure de ce pas sage que Jésus doit juger un jour, assisté de ses disciples. Aussi dit-il aux Juifs dans un autre endroit: «C'est pourquoi ils seront vos juges» (Mt 12,27 Lc 11,19). Nous ne devons pas croire, toutefois, que ces douze hommes seront les seuls qui jugeront avec lui, parce qu'il est question de douze trônes sur lesquels ils seront assis; le nombre douze représente ici la multi tude de tous ceux qui seront associés à ce jugement, parce qu'il est composé des deux parties du nombre sept, qui signifie souvent l'universalité des choses; en effet, ses deux parties, trois et quatre, multipliées l'une par l'autre, donnent le nombre douze. D'ailleurs, l'apôtre saint Mathias ayant été élu pour remplacer le traître Judas, il s'ensuivrait donc que l'apôtre saint Paul, qui a travaillé plus que les autres, ne trouverait plus de siége pour juger, lui qui nous dé clare qu'il doit un jour faire partie du nombre des juges avec les autres saints: «Ignorez-vous que nous jugerons les anges ?» - S. Aug. (de la pénit).. Il faut donc placer au nombre de ceux qui jugeront alors avec Jésus-Christ, tous ceux qui ont abandonné leurs biens et suivi le Seigneur. - S. Grég. (Moral., 10, 37). Tout homme, en effet, qui pressé par l'aiguillon de l'amour divin, aura sacrifié tout ce qu'il possédait, parviendra au faîte de la puissance judi ciaire, et exercera les fonctions de juge avec le juge souverain, parce qu'il a embrassé ici-bas les rudes privations de la pauvreté volontaire.
S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 5). Il faut entendre de la même manière le nombre douze, appliqué à ceux qui doivent être jugés, car de ce que le Sauveur dit: «Pour juger les douze tribus d'Israël», il ne s'ensuit pas que la tribu de Lévi ne sera pas soumise à ce jugement, ou que le peuple juif seul sera jugé à l'exclusion des autres peuples. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore, par ces paroles: «Au temps de la régénération», Notre-Seigneur a voulu exprimer ces premiers temps du christianisme qui suivirent immédia tement son ascension; car les hommes furent alors régénérés par le baptême, et c'était le temps où lui-même était assis sûr le trône de sa majesté. Et remarquez que ces paroles s'appliquent, non pas au jour du jugement dernier, mais à la voca tion de tous les peuples, car le Sauveur ne dit pas: «Lorsque le Fils de l'homme viendra, assis sur le trône de sa majesté, mais au temps de la régénération, lorsqu'il s'assiera sur le trône de sa majesté. C'est ce qui arriva lorsque les nations commencèrent à croire en Jésus-Christ, selon ces paroles du Roi-Prophète: «Le Seigneur régnera sur les nations, le Seigneur est assis sur son trône qui est saint» (Ps 47,9). Alors aussi les Apôtres furent assis sur leurs douze trônes, c'est-à-dire dans le coeur de tous les chrétiens; car tout chrétien qui reçoit la parole de Pierre, devient le siége de Pierre, et il en est ainsi de tous les autres Apôtres. Or, les Apôtres sont assis sur douze trônes distincts, suivant la différence des dispositions des âmes et des coeurs que Dieu seul connaît. Car le peuple chrétien est divisé en douze tribus comme le peuple juif, de manière que certaines âmes appartiennent à la tribu de Ruben, d'autres âmes aux autres tribus, suivant la différence de leurs vertus. En effet, toutes les vertus ne sont pas au même degré dans tous les hommes, mais tel excelle dans celle-ci, et tel autre dans celle-là. Les Apôtres jugeront donc les douze tribus d'Israël, c'est-à-dire tout le peuple juif, sur ce chef que leur prédication a été reçue par toutes les nations. L'universalité des chrétiens forme les douze trônes des Apôtres, mais l'unique trône de Jésus-Christ. En effet, toutes les vertus sont comme le siége unique de Jésus-Christ; car il est le seul qui soit également parfait dans toutes les vertus. Parmi les Apôtres, chacun d'eux excelle aussi dans une vertu spéciale: Pierre dans la foi, Jean dans l'innocence. Pierre se repose donc dans la foi comme sur un trône, Jean, dans l'innocence, et ainsi des autres Apô tres. Les paroles suivantes montrent que Jésus-Christ voulait aussi parler de la récompense que les Apôtres devaient recevoir en ce monde: «Et quiconque aura quitté pour mon nom sa mai son ou ses frères»,etc.; car s'ils reçoivent le centuple en ce monde; il est certain que le Sau veur leur promettait une récompense même pour cette vie. - S. Chrys. (hom. 64). Ou bien, il ne promet à ses disciples que les biens à venir, parce qu'ils étaient supérieurs aux promesses terrestres, et ne cherchaient rien des biens de la vie présente que le Seigneur promet aux autres hommes. - Orig. Ou bien dans un autre sens, celui qui aura abandonné tous ses biens, et qui aura suivi Jésus-Christ, recevra, lui aussi, tout ce qui a été promis à Pierre; mais si son sacri fice n'a pas été entier, et qu'il n'ait abandonné que ce qui est ici mentionné d'une manière spé ciale, il recevra dès ici-bas une récompense bien supérieure à ce qu'il a quitté, et aura pour héritage la vie éternelle.
S. Jér. Il en est quelques-uns qui ont pris occasion de ces paroles pour avancer qu'après la résurrection il y aurait une durée de mille ans, pendant laquelle nous recevrons le centuple de tout ce que nous avons sacrifié sur la terre, centuple qui sera suivi de la vie éternelle. Ils ne comprenaient pas qu'en supposant que cette promesse fût digne relativement à tout le reste, elle serait une honte en ce qui concerne les épouses, car celui qui en aurait sacrifié une, devrait, d'après cette opinion, en recevoir cent dans la vie future. Voici donc le sens de ces paroles: Celui qui aura abandonné pour Jésus-Christ les biens temporels, recevra les biens spirituels, qui seront aux premiers, en valeur et en mérite, ce qu'est le nombre cent comparé à un nombre de beaucoup inférieur. - Orig. Même dès cette vie pour les frères selon la chair qu'il a quittés, il trouvera un grand nombre de frères selon la foi, il aura pour pères tous les évêques et les prêtres, et pour enfants tous ceux qui sont dans l'âge de l'enfance. Il aura encore pour frères les anges, et pour soeurs toutes les vierges qui ont consacré leur virginité au Seigneur, aussi bien celles qui vivent encore sur la terre, que celles qui jouissent déjà dans le ciel de la vie éternelle. Les champs et les maisons, ce sont les demeures multipliées qui sont préparées dans le repos du paradis et dans la cité de Dieu; et ce qui est au-dessus de toutes ces récompenses, ils rece vront la vie éternelle. - S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 8). L'Apôtre saint Paul, expliquant en quel que manière ces paroles: «Il recevra le centuple»,dit: «Nous sommes comme n'ayant rien, et nous possédons toutes choses»; car le nombre cent est employé quelquefois comme nom bre universel et indéterminé. - S. Jér. Ces autres paroles: «Celui qui abandonnera»,etc. se rapportent à ces autres: «Je suis venu séparer l'homme d'avec son père», etc. Ceux donc qui, pour la foi chrétienne, et pour la prédication de l'Évangile, auront méprisé toutes les ri chesses et les voluptés de la terre, ceux-là recevront le centuple, et posséderont la vie éternelle. - S. Chrys. (hom. 63). Lorsque Notre-Seigneur dit: «Celui qui aura quitté sa femme»,il ne veut pas dissoudre d'une manière absolue le lien du mariage, mais il veut que nous sacrifiions toutes les affections au sentiment de la foi. Il fait ici, d'ailleurs, une allusion indirecte aux temps de persécution, où on devait voir des pères entraî ner leurs enfants dans l'impiété. Or, s'ils en viennent à cet excès, il ne faut plus les considérer comme des pères.
Rab. Comme il en est beaucoup qui ne poursuivent pas la carrière de la vertu avec la même ferveur qu'ils avaient en y entrant, mais qui se laissent aller à la tiédeur, ou qui ne sont pas longtemps sans faire de lourdes chutes, le Sauveur ajoute: «Plusieurs qui étaient les premiers seront les derniers, et plusieurs qui avaient été les derniers seront les premiers». - Orig. Il exhorte par là ceux qui ont fait tout récemment profession d'obéir à la parole de Dieu, à se hâter de s'élever jusqu'à la perfection, en n'imitant point ceux qui paraissent avoir vieilli et s'être affaiblis dans la foi. Ces paroles peuvent aussi servir à humilier ceux qui se glorifient uniquement d'avoir été élevés dans le sein de la religion par des parents chrétiens, et à inspirer de la confiance à ceux qui ont été tout nouvellement initiés aux vérités de la foi. D'après une autre signification, les premiers sont les Israélites qui par leur incrédulité sont devenus les der niers, tandis que les Gentils qui étaient les derniers sont devenus les premiers. C'est avec des sein que le Sauveur emploie l'expression «plusieurs», et non pas «tous».Car tous les pre miers ne seront pas les derniers, et réciproquement tous les derniers ne seront pas les premiers. Enfin, il est un grand nombre d'hommes qui, inférieurs aux anges, et comme les derniers par leur nature, sont devenus supérieurs à quelques-uns des anges par leur vie tout angélique, tan dis que bien des anges, qui étaient les premiers par leur nature, sont devenus les derniers par leur faute. - Remi. On peut encore rapporter d'une manière toute spéciale ces paroles à la tristesse qu'éprouva ce jeune homme riche; il paraissait être le premier par l'accomplissement fidèle des préceptes de la loi, mais il devint le dernier en préférant à Dieu les richesses de la terre. Les saints Apôtres paraissaient, au contraire, être les derniers, mais en abandonnant tout par l'effet de la grâce et de l'humilité, ils sont devenus les premiers. Enfin, il en est un grand nombre qui, après avoir fait preuve d'un grand zèle pour les bonnes oeuvres, en abandonnent tout à fait la pratique, et deviennent les derniers après avoir été les premiers.
5001 Mt 20,1-16
Remi. Notre-Seigneur venait de dire que plusieurs de ceux qui étaient les premiers seraient les derniers, et que plusieurs de ceux qui étaient les derniers deviendraient les premiers; pour confirmer cette vérité, il propose la parabole suivante: «Le royaume des cieux est sembla ble»,etc. - S. Chrys. (sur S. Matth). Le père de famille c'est Jésus-Christ, le ciel et la terre sont comme sa maison; sa famille, ce sont toutes les créatures qui habitent le ciel, la terre et les enfers; la vigne c'est la justice en général qui renferme toutes les différentes espèces de justices comme autant de plants de vigne, la douceur, la patience, et les autres vertus qui sont toutes comprises sous le nom général de justice. Les ouvriers de cette vigne sont les hommes. Le texte ajoute: «Il sortit le matin pour louer des ouvriers»,etc. Dieu a comme répandu la justice dans nos facultés, non pas pour lui, mais pour notre utilité. Nous sommes donc, ne l'oublions pas, des mercenaires qui avons été loués. Or, personne ne loue un mercenaire uniquement pour qu'il travaille à gagner sa nourriture; ainsi Jésus-Christ ne nous a pas appelés à son service pour nous occuper seulement de nos intérêts, mais encore pour travailler à la gloire de Dieu. Et de même que le mercenaire commence par remplir sa tâche avant de songer à la nourriture de chaque jour, ainsi nous devons d'abord nous appliquer à ce qui doit procurer la gloire de Dieu, avant de songer à nos propres intérêts. Le mercenaire, encore, consacre toute sa journée au service de son maître, et ne réserve qu'une heure seulement par jour pour pren dre sa nourriture; ainsi nous devons consacrer toute notre vie à la gloire de Dieu, et n'en don ner qu'une faible partie à nos besoins temporels. Enfin si le mercenaire passe un jour sans tra vailler, il n'ose paraître devant son maître pour demander son pain, et comment ne rougissez-vous pas d'entrer dans l'église de Dieu et de paraître en sa présence le jour où vous n'avez fait aucune bonne action sous ses yeux. - S. Grég. (hom. 15). Dans un autre sens, le père de fa mille, c'est-à-dire notre Créateur, a une vigne, qui est l'Eglise universelle, et qui, depuis le juste Abel jusqu'à la fin du monde, a poussé autant de ceps qu'elle a produit de saints. Or, dans au cun temps, Dieu n'a cessé d'envoyer des ouvriers pour instruire son peuple comme pour culti ver sa vigne; car il l'a cultivée successivement, d'abord par les patriarches, puis par les doc teurs de la loi, ensuite par les prophètes, et enfin par les Apôtres comme par autant d'ouvriers. On peut dire, toutefois, que tout homme qui fait le bien avec une intention droite est en quel que ma nière et dans une certaine mesure un des ouvriers de cette vigne.
Orig. (traité 10 sur S. Matth). Nous pouvons bien dire que toute cette vie n'est qu'un seul jour, jour d'une grande étendue par rapport à nous, mais d'une courte durée si on le compare à la vie de Dieu. - S. Grég. (Hom. 19). Le matin de ce jour du monde fut l'époque qui s'écoula depuis Adam jusqu'à Noé; c'est pour cela que Notre-Seigneur dit: «Il sortit de grand matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne», et il ajoute les conditions dont il est convenu avec eux: «Et étant convenu avec, eux d'un denier», etc. - Orig. Je pense que le denier figure ici le salut éternel. - Remi. Le denier était une pièce de monnaie qui valait dix as, et qui portait l'effigie du roi: le denier désigne donc parfaitement la récompense qui est accordée à l'observation du Décalogue. C'est aussi avec dessein qu'il est dit: «Etant convenu avec eux»,etc.; car dans le champ de la sainte Église, chacun travaille dans l'espoir de la ré compense future. - S. Grég. La troisième heure est le temps qui s'écoula de Noé à Abraham, et c'est de cette époque que le Sauveur veut parler; quand il dit: «Etant sorti vers la troi sième heure, il vit d'autres ouvriers qui se tenaient sans rien faire sur la place publique». - Orig. La place publique, c'est tout ce qui est en dehors de la vigne, c'est-à-dire en dehors de l'Église de Jésus-Christ. - S. Chrys. (sur S. Matth). Dans ce monde, les hommes vivent d'un échange mutuel d'achats et de ventes, et pourvoient à leur subsistance par un commerce de fraudes réciproques. - S. Grég. C'est avec justice que l'on peut adresser le reproche d'oisiveté à celui qui ne vit que pour lui et se nourrit des plaisirs des sens, parce qu'il ne travaille pas à produire les fruits des oeuvres de Dieu. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ces ouvriers oisifs ne sont pas les pécheurs, qui sont bien plutôt morts, mais tous ceux qui n'accomplissent pas les oeuvres de Dieu. Voulez-vous donc ne pas rester oisif? Ne prenez pas le bien d'autrui, et donnez de vos propres biens; vous aurez travaillé dans la vigne du Seigneur, en cultivant le cep de la miséricorde. «Et il leur dit: Allez-vous en aussi dans ma vigne». Remarquez que ce n'est qu'avec les premiers qu'il s'engage de donner un denier; il loue les autres pour un prix indéterminé: «Je vous donnerai ce qui sera juste». Le Seigneur, qui prévoyait la prévarication d'Adam, et qu'après lui tous les hommes devaient périr dans les eaux du déluge, fit avec lui un traité bien précis, afin qu'il ne pût pré texter qu'il avait abandonné la voie de la justice, parce qu'il ignorait quelle en serait la récom pense; mais il ne s'est point engagé de cette manière avec les derniers, parce que son intention était de les récompenser bien au delà de ce que pouvaient espérer des mercenaires. - Orig. Ou bien encore, comme il a loué les ouvriers de la troisième heure pour faire l'ouvrage tout entier, il se réserve d'apprécier leur travail avant de leur donner une juste récompense; car ils pouvaient travailler autant que ceux qui avaient commencé le matin en s'appliquant à leur tra vail dans un court espace de temps avec une laborieuse activité qui compenserait l'inaction du matin. - S. Grég. La sixième heure est celle qui s'étend d'Abraham à Moïse, et la neuvième, celle qui s'est écoulée de Moïse jusqu'à l'avènement du Seigneur. «Et il sortit de nouveau», etc.
S. Chrys. Notre-Seigneur réunit ensemble la sixième et la neuvième heure, parce que c'est alors qu'eut lieu la vocation du peuple juif, et que Dieu renouvela fréquemment ses alliances avec les hommes, comme pour leur annoncer que le temps marqué pour le salut du genre hu main n'était pas éloigné. - S. Grég. La onzième heure c'est le temps qui s'écoulera depuis l'avènement du Seigneur jusqu'à la fin du monde. L'ouvrier du matin, de la troisième, de la sixième et de la neuvième heure, c'est donc cet ancien peuple hébreu qui, dans la personne de ses élus, n'a point cessé de travailler à la vigne du Seigneur depuis le commencement du monde, en s'efforçant d'adorer Dieu avec une foi droite et sincère. A la onzième heure, ce sont les Gentils qui sont appelés. «Vers la onzième heure, il sortit», etc. Ils avaient négligé, dans le cours de tant de siècles, de travailler à la culture de leur âme, et ils passaient ainsi tout le jour sans rien faire. Mais remarquez ce qu'ils répondent à la question qui leur est faite: «Personne, lui dirent-ils, ne nous a loués».Aucun patriarche, en effet, aucun prophète n'était venu vers eux, et que signifient ces paroles: «Personne ne nous a loués»,si ce n'est: «Personne ne nous a fait connaître le chemin de la vie». - S. Chrys. (sur S. Matth). Quelle est donc la nature de cette convention, et quelle ré compense y est promise? C'est la promesse de la vie éternelle; car les Gentils étaient les seuls qui ne connaissaient ni Dieu ni les promesses éternelles de Dieu.
- S. Hil. (can. 20). Le Seigneur les envoie donc à sa vigne. «Et il leur dit: Allez, vous aussi, à ma vigne».
Rab. Après avoir fait connaître les conditions du travail pour la journée, le Sauveur, continuant son récit, arrive à l'heure du salaire, et dit: «Le soir étant venu», etc., c'est-à-dire lorsque le jour, qui comprend toute la durée du monde, était sur son déclin, et approchait de la consom mation de toutes choses. - S. Chrys. (sur S. Matth). Remarquez que c'est le soir du même jour, et non le matin suivant, que le père de famille donne à chacun ce qui lui est dû. Ce sera donc pendant la durée du siècle présent qu'aura lieu le jugement après lequel chacun recevra sa récompense; et cela pour deux raisons: la première, c'est que la bienheureuse éternité doit être la récompense de la justice, et qu'il faut par conséquent que le jugement la précède; la seconde raison pour laquelle le jugement doit précéder le jour de l'éternité, c'est afin que les pécheurs ne soient pas témoins du bonheur de ce jour éternel.
«Et le maître dit à son intendant», c'est-à-dire le Fils à l'Esprit saint. - La Glose. Ou bien, si vous aimez mieux, le Père dit au Fils, car le Père agit par le Fils, et le Fils par l'Esprit saint, sans qu'il y ait entre eux aucune différence de nature ou de dignité. - Orig. Ou bien encore, le maître dit à son intendant, c'est-à-dire à l'ange chargé de la distribution des récompenses, ou à l'un de ces nombreux intendants dont l'Apôtre a dit: «L'héritier est sous la puissance des tuteurs et des curateurs pendant tout le temps de son enfance». (Ga 4,1-2). -
Remi. Ou bien enfin, c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, qui est à la fois le père de famille et l'intendant du maître de la vigne, comme il est lui-même la porte et le portier; car c'est lui qui doit venir juger les hommes, et rendre à chacun selon ses oeuvres. C'est donc au moment où les hommes seront réunis pour le jugement dernier, après lequel chacun recevra selon ses oeu vres, qu'il appellera les ouvriers pour leur donner une récompense.
Orig. Or, les premiers ouvriers, que leur foi avait rendus recommandables, n'ont pas reçu l'effet des promesses, le père de famille ayant voulu, par une faveur particulière pour nous, qu'ils ne reçoivent qu'avec nous l'accomplissement de leur félicité. (He 11,39-40). Et comme nous avons été l'objet d'une miséricorde toute spéciale, nous espérons recevoir les premiers la récompense, tandis que ceux qui ont travaillé avant nous ne la recevront qu'après nous: «Appelez les ouvriers, et payez-les en commençant par les derniers». - S. Chrys. (sur S. Matth). En effet, nous donnons toujours plus volontiers à ceux qui n'ont aucun droit à notre libéralité; car nous donnons alors en vue de l'honneur qui nous en revient. Dieu se montre donc juste en donnant aux saints la récompense qu'il leur a promise, et miséricordieux, en l'accordant aux Gentils selon ces paroles de saint Paul: «Or, les Gentils doivent glorifier Dieu de la miséricorde qu'il leur a faite»; voilà pourquoi le maître ajoute: «En commençant par les derniers jusqu'aux premiers». C'est aussi pour faire éclater son ineffable miséricorde que Dieu récompense ainsi les derniers et les moins dignes, avant de récompenser les premiers; car une miséricorde infinie n'examine pas l'ordre et le rang des personnes. - S. Aug. (de l'esprit et de la lettre, chap. 24). Ou bien, les moins dignes ou les derniers se trouvent les premiers, parce qu'ils ont attendu moins longtemps leur récompense.
«Ceux donc qui n'étaient venus qu'à la onzième heure s'étant approchés», etc. - S. Grég. Les ouvriers qui n'avaient travaillé qu'à la onzième heure reçurent pour salaire, comme ceux qui avaient commencé à la première heure, le même denier qu'ils avaient ardemment désiré; parce que, en effet, ceux qui se sont convertis à Dieu à la fin du monde ont reçu la même ré compense, la même vie éternelle que ceux qui avaient été appelés dès le commencement du monde. - S. Chrys. (sur S. Matth). Or, il n'y a en cela aucune injustice, car que fait à celui qui a vécu dès les premiers jours du monde, et qui n'a pas dépassé le temps qui lui était marqué, que le monde ait continué à exister après lui? Et quant à ceux qui naissent à la fin des temps, ils vi vent nécessairement le nombre de jours qui leur a été assigné. En quoi donc leur travail serait-il allégé, si le monde venait à finir aussitôt, puisqu'ils doivent achever leur tâche avant la fin du monde? D'ailleurs, il ne dépend pas de l'homme, mais de la puissance divine, de naître plus tôt ou plus tard; celui qui est né en premier lieu ne doit pas revendiquer la première place ou l'honneur d'être te premier, et celui qui n'est venu qu'après ne doit pas être considéré comme étant d'un mérite inférieur. «Et en recevant ce denier, ils murmuraient contre le père de fa mille, et disaient», etc. Mais s'il est vrai, comme nous venons de le dire, que les premiers et les derniers aient vécu chacun leur temps, ni plus ni moins, et que la mort ait été pour les uns comme pour les autres la consommation de leur destinée, pourquoi donc les premiers disent-ils: «Nous avons porté le poids du jour et de la chaleur ?» C'est que nous avons besoin d'une plus grande force pour pratiquer la justice, nous qui savons que la fin du monde approche. Aussi est-ce pour nous armer d'un nouveau courage que le Christ disait: «Le royaume des cieux est proche».Au contraire, c'était pour ceux qui ont vécu les premiers une occasion de tiédeur, de savoir que le monde devait durer longtemps encore, et bien que leur vie n'ait pas égalé la durée du monde, ils paraissent cependant en avoir supporté toutes les incommodités. Ou bien, «le poids du jour», ce sont les commandements de la loi; «la chaleur», c'est la tentation brûlante de l'erreur qu'allumaient en eux les esprit de malice en les excitant à la jalou sie contre les Gentils. Les Gentils, au contraire, en embrassant la foi chrétienne, n'ont pas été soumis à ces difficultés, et ont été entièrement sauvés par la grâce qui résume tout dans son mystérieux travail. - S. Grég. Ou bien encore: «Porter le poids du jour et de la chaleur», c'est pendant toute la durée d'une longue vie, supporter les fatigues d'une lutte continuelle contre les ardeurs de la concupiscence. Mais comment donc expliquer les murmures dans ceux qui sont appelés à entrer dans le royaume des cieux? Car aucun murmurateur ne peut y entrer, comme aucun de ceux qui le reçoivent pour récompense, ne peut se laisser aller aux murmures.
S. Chrys. (hom. 64). On ne doit point chercher à concilier exactement tous les détails d'une parabole avec l'ensemble du récit, mais bien comprendre la fin que l'auteur s'y est proposée, et ne pas aller au delà. L'intention du Sauveur n'est donc pas ici de nous montrer ceux qui étaient les premiers atteints d'une violente jalousie, mais de nous faire voir les d erniers en possession d'une gloire si grande qu'elle était capable d'inspirer aux autres de l'envie. - S. Grég. Ou bien encore, les anciens patriarches, quelle que fût d'ailleurs leur justice, n'ayant pu entrer dans le royaume des cieux avant l'avènement du Sauveur, se laissent en quelque sorte aller aux mur mures. Nous, au contraire, qui sommes venus à la onzième heure, nous ne murmurons pas après notre travail, parce qu'étant venus dans le monde après l'avènement du Médiateur, nous entrons dans le royaume des cieux aussitôt que nous sommes sortis de notre corps.
- S. Jér. Ou bien tout homme qui n'est appelé qu'après les Gentils leur porte envie et se fait comme un supplice de la grâce de l'Évangile qu'ils ont reçue avant lui. - S. Hil. (can. 20). Ce murmure des ouvriers avait déjà éclaté sous Moise par la bouche insolente de ce peuple opiniâtre.
«Mais il répondit à l'un d'eux: Mon ami, je ne vous fais point de tort». - Remi. Dans ce seul homme auquel il s'adresse, on peut voir tous ceux d'entre les Juifs qui ont cru en Jésus-Christ et à qui le Sauveur donne le nom d'amis à cause de la foi qu'ils ont embrassée. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ils se plaignaient non pas d'avoir, été frustrés du salaire qui leur était dû, mais de ce que les autres recevaient, à leur avis, plus qu'ils ne méritaient. C'est ainsi que les envieux s'attristent du bien que l'on fait à un autre, comme si l'on diminuait par là celui qu'ils possèdent, preuve évidente que l'envie vient de la vaine gloire; car on ne se plaint d'être le second que parce qu'on a désiré être le premier, et c'est ce mouvement d'envie que le Seigneur combat par ces paroles: «Est-ce que vous n'êtes pas convenu d'un denier avec moi ?» - S. Jér. Le denier porte l'effigie du roi; vous avez donc reçu le salaire que je vous avais promis, c'est-à-dire mon image et ma ressemblance. Que demandez-vous de plus? Ce que vous dési rez, ce n'est pas de recevoir davantage, c'est que l'autre ne reçoive rien du tout: «Prenez ce qui vous appartient, et vous en allez». - Remi. C'est-à-dire, recevez votre récompense et entrez dans la gloire: «Je veux donner à ce dernier venu»,au peuple gentil, «autant qu'à vous»,comme il le mé rite. - Orig. Peut-être est-ce au premier homme que s'adressent ces paroles: «Mon ami, je ne vous fais pas tort: est-ce que vous n'êtes pas convenu d'un denier avec moi ?» Prenez ce qui vous appartient, et allez-vous-en; le denier, c'est-à-dire le salut, vous est acquis. «Pour moi, je veux donner à ce dernier autant qu'à vous».On peut, avec assez de vraisemblance, voir dans cet ouvrier, venu le dernier, l'apôtre saint Paul, qui n'a travaillé qu'une heure, et qui cependant a travaillé peut-être plus que tous ceux qui ont vécu avant lui (1Co 15,9 ?).
S. Aug. (De la Virgin., chap. 26). La vie éternelle sera également accordée à tous les saints, ainsi que le figure ce denier donné à tous comme la récompense commune de leur travail. Mais comme dans la vie éternelle les mérites des saints brilleront d'un éclat différent, il y a aussi plu sieurs demeures dans la maison du Père céleste. Si donc le denier, qui est le même pour tous, signifie que la vie éternelle sera égale en durée pour tous les saints dans le ciel, le grand nom bre de demeures différentes prouve que la gloire sera plus éclatante pour les uns que pour les autres. - S. Grég. Comme nous n'entrons dans le royaume des cieux que par un effet du bon vouloir de Dieu, le Sauveur ajoute avec raison: «Ne m'est-il donc pas permis de faire ce que je veux ?» C'est un acte de folie de la part de l'ho mme, de murmurer contre la volonté de Dieu. Il aurait lieu de se plaindre si Dieu ne donnait point ce qu'il doit; mais qui peut se plain dre de ce qu'il ne donne point ce qu'il ne doit pas? C'est ce que le Maître exprime en termes clairs: «Est-ce que votre oeil est mauvais parce que je suis bon ?» - Remi. L'oeil signifie ici l'intention; les Juifs avaient un oeil mauvais, c'est-à-dire une intention vicieuse, parce qu'ils s'attristaient du salut des Gentils.
Les paroles qui suivent: «Ainsi les premiers seront les derniers, et les derniers seront les pre miers», nous font connaître le but de cette parabole, qui est de nous apprendre que les Juifs ont passé de la tête, où ils étaient, à l'extrémité opposée, tandis que nous, placés à cette extré mité, nous sommes devenus la tête. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien Notre-Seigneur dé clare que les premiers seront les derniers, et les derniers les premiers, non pour donner aux derniers la prééminence sur les premiers, mais pour nous apprendre que l'époque différente de leur vocation n'a établi entre eux aucune différence, et qu'ils sont, sous ce rapport, parfaite ment égaux. Quant aux paroles qui terminent: «Il y en a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus», elles se rapportent, non pas aux saints dont il vient d'être question, mais aux Gentils, parmi lesquels, en effet, beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. - S. Grég. Il en est beaucoup, en effet, qui embrassent la foi, mais il en est peu qui parviennent jusqu'au royaume des cieux, car la plupart font profession de suivre Dieu et s'éloignent de lui par leurs moeurs. Nous devons donc faire ici deux réflexions: la première, c'est que personne ne doit se laisser aller à la présomption, car bien qu'il soit appelé à la foi, il ne sait pas s'il sera du nombre des élus qui entreront en possession du royaume; la seconde, c'est qu'il ne faut jamais désespérer de son prochain quand on le voit croupir dans le vice, car nous ne connaissons pas les trésors de la miséricorde divine. - Et plus haut Ou bien, dans un autre sens, notre matin, c'est notre enfance; la troisième heure, c'est l'adolescence ou la chaleur de l'âge qui se développe et qui est comme le soleil qui s'élève dans les hauteurs des cieux. La sixième heure, c'est la jeunesse, alors que la plénitude de la force s'établit en l'homme, comme le soleil qui semble se fixer au milieu du firmament. La neuvième heure est comme la vieillesse dans laquelle l'âge descend tous les jours des hauteurs brûlantes de la jeunesse, comme le soleil qui descend des points élevés du ciel. La onzième heure, c'est l'âge de la caducité et de la décrépitude.
S. Chrys. (hom. 64). Le père de famille n'a pas loué tous ses ouvriers à la même heure, mais les uns le matin, les autres à la troisième heure et ainsi de tous ceux qui suivent; mais la cause en est dans les différentes dispositions de leur âme; car le Seigneur les appelle lorsqu'ils sont prêts à lui obéir; c'est ainsi qu'il appela le larron au moment où il prévoyait qu'il répondrait à sa vocation. Il est vrai que ces ouvriers disent: «Personne ne nous a loués»; mais, comme nous l'avons dit, il ne faut pas chercher la raison de toutes les circonstances des paraboles. D'ailleurs, ces paroles ne viennent pas du père de famille, mais des ouvriers; et quant à Dieu, au contraire, il appelle tous les hommes dès le premier âge de la vie, comme le prouvent ces paroles: «Il sortit de grand matin pour louer des ouvriers». - S. Grég. Ceux donc qui ont tardé jusqu'au dernier âge à vivre pour Dieu, sont ceux qui se tiennent dans l'oisiveté jusqu'à la onzième heure, et cependant le père de famille ne laisse pas de les appeler, et souvent il les récompense les premiers, parce qu'ils sortent de cette vie pour entrer dans l'éternité avant ceux qui ont été appelés dès leur première enfance. - Orig. Or, ces paroles: «Pourquoi demeu rez-vous ainsi tout le jour sans travailler ?»ne s'adressent pas à ceux qui, après avoir com mencé par l'esprit, finissent par la chair (Ga 3), s'ils veulent revenir plus tard à la vie de l'esprit. En parlant ainsi, notre intention n'est pas de détourner ces enfants voluptueux, qui ont dissipé toute la richesse de la doctrine évangélique en vivant dans la débauche, de revenir dans la maison paternelle; nous voulons simplement dire qu'on ne peut nullement les comparer à, ceux qui ont péché dans leur jeunesse avant d'avoir reçu les enseignements de la foi. - S. Chrys. (hom. 64). Jésus termine en disant: «Les derniers seront les premiers et les premiers les derniers», et il fait ici allusion indirecte tant à ceux qui, après avoir brillé d'abord d'un vif éclat, ont ensuite méprisé les leçons de la vertu, qu'aux autres, qui, ramenés des sentiers du vice, se sont élevés au-dessus d'un grand nombre par la sainteté de leur vie. Cette parabole a donc été composée pour exciter l'ardeur de ceux qui ne se sont convertis que dans leur extrême vieillesse, et les délivrer de la crainte de recevoir une récompense moins grande que les autres.
Catena Aurea 4923