Catena Aurea 5727

vv. 27-30

5727 Mt 27,27-30

S. Aug. (De l'harm. des Evang., 3, 9). Après les accusations portées contre Jésus-Christ nous arrivons, par une suite naturelle, au récit de la passion proprement dite que saint Matthieu commence ainsi: «Alors les soldats du gouverneur amenèrent Jésus dans le prétoire, et ras semblèrent autour de lui toute la cohorte». - S. Jér. Comme Jésus avait été appelé roi des Juifs, et que les scribes et les prêtres lui avaient fait un crime d'avoir voulu usurper le pouvoir sur le peuple d'Israël, les soldats, pour se moquer de lui, le dépouillent de ses vêtements et le couvrent d'un manteau d'écarlate, pour figurer le manteau bordé de rouge que portaient les anciens rois. Pour diadème, ils lui placent sur la tête une couronne d'épines; pour sceptre royal, ils lui donnent un roseau, et ils se prosternent devant lui comme devant un roi, ce que l'Évangéliste nous raconte en ces termes: «Et après lui avoir ôté ses habits, ils le couvrirent d'un manteau d'écarlate», etc. - S.Aug. (De l'harmonie des Evang., 3, 9). Ainsi s'explique ce que dit saint Marc, qu'on le revêtit de pourpre, car c'est en place du manteau de pourpre qu'ils le couvrirent de ce manteau d'écarlate pour se moquer de lui; et il y a en effet une cer taine pourpre, dont la couleur se rapproche tout à fait de l'écarlate. Il peu t se faire aussi que saint Marc veuille parler de la pourpre qui se trouvait dans ce manteau, quoiqu'il fût de cou leur écarlate.

S. Chrys. (hom. 87). Comment pourrons-nous encore être sensibles aux outrages que nous pourrions recevoir, après que Jésus-Christ s'est soumis à d'aussi indignes traitements? C'était bien là le dernier degré de l'outrage, car ce n'était pas une petite partie de lui-même, mais tout son corps, qui était exposé à ces indignités: la tête, par la couronne d'épines, par le roseau et les soufflets; le visage, par les crachats dont on le couvrait; les joues, par les soufflets qu'ils y déchargeaient, tout le corps, par la flagellation et la nudité à laquelle il fut exposé; les mains, par le roseau qu'ils lui donnèrent pour sceptre, comme s'ils eussent craint d'omettre la moindre partie de ce que l'audace la plus effrontée peut suggérer

S. Aug. (De l'harm. des Evang., 3, 9). Il est certain que saint Matthieu a rapporté ces tristes détails, comme par récapitulation, et non comme ayant eu lieu après que Pilate eut livré Jésus aux Juifs pour être crucifié, car saint Jean les place avant que Jésus fût abandonné aux Juifs par Pilate.

S. Jér. Quant à nous, nous donnons à toutes ces circonstances une signification spirituelle. De même que Caïphe fit cette prophétie sans savoir ce qu'il disait «Il faut qu'un seul homme meure pour tous», de même les Juifs, dans tout ce qu'ils entreprirent contre Jésus, nous of frent a nous, qui avons la foi, bien qu'ils aient eu une intention toute différente, de mystérieux symboles. Jésus, dans ce manteau d'écarlate, porte toutes les oeuvres sanguinaires des Gentils; par sa couronne d'épines, il détruit l'antique malédiction; par son roseau, il tue toutes les bêtes venimeuses; ou bien, il tient ce roseau à l a main, pour écrire l'action sacrilège des Juifs. - S. Hil. (can. 33). Le Seigneur, ayant pris sur lui toutes les infirmités de notre corps, se présente à nous, sous ce manteau d'écarlate, couvert du sang de tous les martyrs qui ont mérité de régner avec lui. Il est aussi couronné d'épines, c'est-à-dire de tous les péchés des peuples qui le trans percent, et lui forment une couronne de victoire; ce roseau représente la faiblesse et l'infirmité des nations, à qui le Sauveur communique, en les prenant par la main, une force toute divine. On le frappe à la tête avec ce roseau, c'est-à-dire que les nations faibles et infirmes, soulevées par la main de Jésus-Christ, se reposent en Dieu le Père, qui. est la tête du Christ. - Orig. Ou bien, ce roseau est un symbole mystérieux de la confiance que nous avions dans le roseau de l'Egypte (2R 18,21) ou de quelque autre puissance contraire à Dieu, avant que nous ayons embrassé la foi. Jésus-Christ prend ce roseau pour en triompher sur le bois de la croix; c'est avec ce ro seau qu'ils frappent la tête du Seigneur Jésus, car la puissance ennemie dirige toujours ses coups contre Dieu le Père, qui est la tête du Sauveur. - Remi. Ou bien, dans un autre sens, ce manteau d'écarlate figure la chair du Seigneur, qui nous apparaît comme rouge, à cause du sang qu'il a répandu, et, la couronne d'épines, nos péchés, qu'il a pris sur lui, parce qu'il s'est revêtu d'une chair semblable à celle du péché. - Rab. Ceux-là donc frappent la tête de Jésus-Christ avec un roseau, qui, osant s'élever contre sa divinité, s'efforcent d'appuyer leur erreur sur l'autorité des Saintes Écritures écrites avec un roseau; ceux qui lui crachent au visage sont ceux qui repoussent, avec des paroles de blasphèmes, la présence de sa grâce, et nient que Jé sus soit venu revêtu d'une chair mortelle. Enfin, ceux-là lui rendent des honneurs mensongers, qui croient en lui, et ne témoignent que du mépris pour lui par la perversité de leur conduite. - S. Aug. (Quest. Evang., 3, vers la fin). Ils ont dépouillé le Sauveur dans sa passion, de ses vêtements, et l'ont revêtu d'un manteau de couleur, et, en cela, ils figurent les hé rétiques, qui soutiennent que le corps de Jésus-Christ n'est point véritable, mais purement fantastique.


vv. 31-34

5731 Mt 27,31-34

La Glose. Après avoir rapporté toutes les railleries et les insultes dont Jésus-Christ fut l'objet, l'Évangéliste en vient aux circonstances de son crucifiement: «Et après s'être ainsi moqués de lui, ils lui ôtèrent le manteau», etc. - S. Aug. (De l'harm. des Evang., 3, 9). Tout ceci s'est passé vers la fin, lorsque Jésus-Christ était emmené pour être crucifié, c'est-à-dire après que Pilate l'eut livré aux Juifs.

S. Jér. Il faut remarquer que, lorsque Jésus est frappé de verges, et couvert de crachats, il n'a pas les vêtements qui lui appartiennent, mais ceux dont il s'est revêtu pour expier nos péchés; mais lorsqu'il est crucifié, et que cette scène de moqueries est passée, il reprend ses premiers vêtements et l'habillement qui lui est propre, et aussitôt les éléments se troublent et la créature rend témoignage au Créateur. - Orig. Il est dit du manteau qu'ils l'en dépouillèrent, tandis qu'aucun des évangélistes ne dit rien de semblable de la couronne d'épines, pour nous apprendre qu'il ne nous reste plus rien de nos anciennes épines, depuis que Jésus-Christ les a prises pour les placer sur sa tête vénéra ble.

S. Chrys. (serm. sur la Pass). Or, le Seigneur ne voulut souffrir ni dans l'intérieur d'une habi tation, ni dans le temple juif, pour ne pas vous laisser croire qu'il n'était mort que pour ce peu ple; mais c'est en dehors de la ville et au delà des murs qu'il est crucifié, pour vous apprendre qu'il offre en sacrifice universel la victime de toute la terre, et qui doit purifier tout le genre humain. C'est ce que l'Évangéliste veut exprimer en ajoutant: «Comme ils sortaient de la ville, ils trouvèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, qu'ils contraignirent de porter la croix de Jésus». - S. Jér. Il ne faut pas croire que le récit de saint Jean est ici contraire à celui de saint Mathieu, parce que saint Jean raconte que Jésus, sortant du prétoire, porta lui-même sa croix, tandis que, d'après saint Mathieu, ils rencontrèrent un homme de Cyrène, qu'ils contraignirent de porter la croix de Jésus; mais il faut entendre qu'en sortant du prétoire, Jésus porta lui-même sa croix, et qu'ayant ensuite rencontré Simon, les soldats le contraignirent de partager ce fardeau avec Jésus. - Orig. Ou bien, c'est en sortant qu'ils contraignirent Si mon (Jn 19,17), et c'est en approchant du lieu du crucifiement qu'ils chargèrent Jésus de la croix, pour qu'il la portât lui-même jusqu'au lieu de son supplice. Or, ce n'est point par hasard que Simon fut ainsi contraint; mais, par une disposition particulière de Dieu, il fut amené à ce point d'être trouvé digne de voir son nom écrit dans les saints Évangiles, et d'être associé au précieux fardeau de la croix de Jésus-Christ, Ce n'était pas seulement le Sauveur qui devait porter sa croix, nous devions aussi la porter nous-mêmes, en obéissant à cette salutaire contrainte, et cependant nous ne pouvions retirer, en la portant, un avantage égal à celui que Jésus nous procure en la portant lui-même.

S. Jér. Dans le sens mystique, nous voyons ici les nations se charger de la croix, et l'obéissance de l'étranger porter l'ignominie du Sauveur. - S. Hil. (can. 33). Le Juif était in digne de porter la croix, et il était réservé à la foi des nations de prendre la croix et de compatir aux souffrances du divin crucifié. - Remi. Ce Simon n'était pas de Jérusalem, mais il était étranger et voyageur; il était de Cyrène, qui est une ville de Libye. Or, le nom de Simon veut dire obéissant, et celui de cyrénéen, héritier, et il est une belle figure du peuple des Gentils, qui était étranger aux alliances et aux testaments de Dieu, mais qui est devenu, par sa foi, le concitoyen des saints, et l'héritier de la maison de Dieu. - S. Grég. (hom. 32). Ou bien, dans un autre sens, Simon, qui porte la croix du Seigneur, parce qu'il y est contraint, est la figure de ceux qui sont à la fois mortifiés et pleins d'orgueil; ils affligent leur chair par les privations extérieures, mais n'ont aucun souci du fruit intérieur de la mortification. C'est ainsi que Si mon porte la croix, mais sans mourir sur la croix, et il représente les chrétiens mortifiés et su perbes, qui châtient leur corps par les oeuvres de la mortification, mais qui vivent encore au monde par le dé sir de la vaine gloire.

«Et ils arrivèrent au lieu appelé Golgotha, c'est-à-dire le lieu du Calvaire». - Rab. Golgo tha est un nom syriaque, qui signifie Calvaire. - S. Jér. J'ai entendu donner cette explication que le Calvaire était le lieu de la sépulture d'Adam, et que ce lieu avait reçu le nom de Cal vaire, parce que la tête du premier homme s'y trouvait ensevelie. C'est une interprétation qui peut obtenir de la vogue et flatte agréablement l'esprit du peuple, mais qui n'est pas fondée, car en dehors de la ville, et au delà des portes, se trouve le lieu où l'on tranche la tête aux condamnés, et c'est de là que lui est venue le nom de Calvaire, ou lieu des décapités. Or Jésus fut crucifié en ce lieu, pour ériger l'étendard du martyre dans l'endroit même où les condamnés souffraient le dernier supplice. Quant au premier homme, il fut enterré, comme nous le lisons dans le livre de Josué (Jos 14,15), près d'Hébron et d'Arbé. - S. Hil. (can. 33). Le lieu du crucifiement fut choisi de manière que, placé au milieu de la terre, il se présentât également à tous les peuples de la terre, pour leur donner la connaissance de Dieu.

«Et ils lui donnèrent à boire du vin mêlé avec du fiel». - S. Aug. (De l'harm. des Evang., 3, 11). Saint Marc dit: «Ils lui donnaient à boire du vin mêlé avec de la myrrhe». Saint Mathieu se sert du mot fiel, pour exprimer l'amertume de ce vin, car le vin mêlé à la myrrhe est fort amer. Il n'est pas impossible non plus que ce fut le fiel et la myrrhe réunis qui rendirent ce vin fort amer. - S. Jér. C'est la vigne amère qui produit le vin amer, dont ils abreuvent le Seigneur Jésus, pour accomplir cette prophétie: «ils ont mêlé le fiel à ma nourriture» (Ps 69,22), et ces autres paroles de Dieu à Jérusalem: «Je vous ai plantée comme une vigne où je n'avais mis que de bon plants, et comment, vigne étrangère, vous êtes-vous changée en amertume ?» (Jr 2,21): «Et, lorsqu'il en eût goûté, il ne voulut pas en boire». Saint Marc dit: «Il n'en prit point», c'est-à-dire: il n'en prit point pour le boire; il en goûta seulement, comme le rapporte saint Matthieu, et cette expression: «Il ne voulut pas le boire», est la même que celle de saint Marc: «Il n'en prit point»,excepté que cet Évangéliste passe sous silence que le Sauveur en a goûté. Après l'avoir goûté, il ne veut pas en boire, pour nous ap prendre qu'il a goûté pour nous l'amertume de la mort, mais qu'il est ressuscité le troisième jour. - S. Hil. (can. 33). Ou bien, il a refusé de boire ce vin mêlé de fiel, parce que l'amertume des péchés ne doit point se mêler à l'incorruptibilité de la gloire éternelle.


vv. 35-38

5735 Mt 27,35-38

La Glose. L'Évangéliste vient de nous raconter comment Jésus-Christ fut conduit au lieu de son crucifiement; il poursuit le récit de sa douloureuse passion, et nous décrit son genre de mort: «Après qu'ils l'eurent crucifié», etc. - S. Aug. (Livre des 83 Quest., quest. 25). La sagesse de Dieu s'est revêtue de notre humanité, pour nous donner l'exemple d'une vie irré prochable. Or, un homme d'une vie irrépréhensible ne doit pas redouter ce qui n'est pas à craindre, Il y a cependant des hommes qui, sans craindre la mort elle-même, redoutent certain genre de mort. Il a donc été nécessaire de leur montrer, par l'exemple de cet homme-Dieu, qu'il n'y a aucun genre de mort redoutable pour un homme juste et vertueux, car la mort sur la croix était de toutes les morts la plus horrible et la plus effroyable. - S.Aug. (serm. sur la Pass). Que votre sainteté considère, mes frères, quelle a été la grande puissance de la croix. Adam n'a tenu aucun cas du commandement de Dieu, en mangeant du fruit de l'arbre; mais tout ce qu'Adam a perdu, Jésus-Christ l'a retrouvé sur la croix. Une arche de bois a sauvé le genre humain des eaux du déluge; Moïse a divisé les eaux de la mer avec sa verge devant les Hébreux qui sortaient de l'Egypte, et, avec cette même verge, il terrassa Pharaon et délivra le peuple de Dieu. Moïse jeta encore du bois dans l'eau et changea ainsi son amertume en dou ceur; c'est encore en frappant avec une verge de bois le rocher spirituel et figuratif qu'il en fit jaillir une eau salutaire, et, pour obtenir la défaite d'Amalech, c'est autour de la verge que Moïse étend les bras. Enfin, la loi de Dieu est confiée à l'arche d'alliance qui est de bois, et c'est par toutes ces figures que nous arrivons, comme par autant de degrés, jusqu'au bois de la croix. - S. Chrys. (hom. sur la croix et le bon larron). Jésus-Christ a voulu souffrir sur un arbre élevé, entre le ciel et la terre, comme pour purifier la nature de l'air; mais la terre elle-même éprouvait un bienfait semblable, purifiée qu'elle était par le sang qui découlait du côté du Sau veur.

La Glose. L'arbre de la croix peut aussi représenter l'Église répandue dans les quatre parties du monde. - Rab. Ou bien, dans le sens moral, la largeur de la croix signifié la joie qui ac compagne les bonnes oeuvres, car la tristesse resserre le coeur; la largeur de la croix, c'est la barre transversale où les mains de Jésus sont clouées, et, par les mains, il faut entendre les oeu vres. Le haut de la croix, où la tête repose, représente l'attente de la récompense que nous réserve la justice sublime de Dieu. La longueur de la croix, sur laquelle le reste du corps est étendu, figure la patience, et de là vient qu'on dit de ceux qui sont patients, qu'ils ont de la longanimité. La partie de la croix qui s'enfonce dans la terre est le symbole des profondeurs que renferme ce mystère.

S. Hil. C'est ainsi que, sur le bois de la croix, nous voyons suspendu la vie et le salut de tous les hommes. «Après qu'ils l'eurent crucifié», etc. - S. Aug. (De l'accord des Evang., 3, 12). Saint Mathieu raconte sommairement la scène du crucifiement; saint Jean entre dans de plus grands détails: «Les soldats, dit-il, après l'avoir crucifié, prirent ses vêtements et en firent quatre parts, une pour chaque soldat»; ils prirent aussi sa tunique; or cette tunique était sans couture.

S. Chrys. (hom. 87). Considérez quelle grande humiliation pour Jésus-Christ. Ils le traitent à l'égal du plus vil scélérat, tandis qu'ils ne font rien de semblable à l'égard des voleurs, car on ne partageait les vêtements que des criminels de la condition la plus vile et la plus abjecte, et qui ne possédaient rien autre chose. - S. Jér. Or, cette circonstance avait été prédite par le Roi-prophète, et c'est pour cela que l'Évangéliste ajoute: «Afin que cette parole de l'Écriture fût accomplie: Ils ont partagé entre eux mes vêtements, et ils ont tiré ma robe au sort» (Ps 22,19) «Et s'étant assis, ils le gardaient», c'est-à-dire les soldats. Le soin que prirent les sol dats et les prêtres de garder Jésus nous a grandement servi, en rendant plus certaine et plus évidente la puissance de sa résurrection: «Et ils mirent au-dessus de sa tête le sujet de sa condamnation écrit en ces termes: Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs». Je ne puis assez admirer ce fait vraiment extraordinaire, qu'après avoir acheté des faux témoins, et cherché à soulever de toute manière, contre Jésus-Christ, ce peuple infortuné, ils n'aient pu trouver d'autre cause de sa mort, si ce n'est qu'il était le roi des Juifs. Peut-être aussi mirent-ils cette inscription par dérision et pour se moquer de lui. - Remi. C'est par l'effet d'un conseil tout divin que cette inscription fut placée au-dessus de la tête de Jésus, afin que les Juifs fussent forcés de recon naître que, même en le mettant à mort, ils n'avaient pu faire qu'il ne fût pas leur roi, car, loin de perdre sa royauté, il l'a bien plutôt consolidée par la mort ignominieuse de la croix. - Orig. Le grand prêtre devait, d'après le texte de la loi, porter écrit sur son front le saint nom de Dieu (Ex 28,36); mais le véritable prince des prêtres et le vrai roi Jésus porte écrit au haut de sa croix: «Celui-ci est le roi des Juifs». En montant vers son Père, au lieu des let tres dont se compose ce nom, et du nom qui lui est donné, il a son Père lui-même. - Rab. Comme il est tout à la fois prêtre et roi, en même temps qu'il offre sur l'autel de la croix sa chair comme victime, l'inscription de cette croix établit sa dignité royale. Cette inscription n'est pas placée au bas, mais au haut de la croix, car, quoique l'infirmité de la chair du Sauveur souffrait sur la croix, l'éclat de la majesté royale ne laissait pas de briller au-dessus de la croix, et loin de la lui faire perdre, sa croix l'affermit d'une manière plus parfaite.

«En même temps, on crucifia avec lui deux voleurs, l'un à sa droite et l'autre à sa gauche». - S. Jér. De même que Jésus s'est rendu malédiction pour nous sur la croix, il consent à être crucifié comme un criminel entre deux criminels. - S. Léon. (serm. 4 sur la Pass). Deux voleurs sont crucifiés, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche, pour nous montrer dans ces suppli ces figuratifs le discernement et la séparation que Jésus-Christ doit faire de tous les hommes au jugement dernier. La passion de Jésus-Christ renferme donc le mystère de notre salut, et la puissance du Rédempteur s'est fait un degré, pour monter dans la gloire, de cet instrument, que l'iniquité des Juifs avait préparé pour son supplice. - S.Hil. (can. 33). Ou bien, dans un autre sens, les deux larrons qui sont crucifiés, l'un à sa gauche, l'autre à sa droite, figurent que l'universalité des hommes est appelée à profiter du bienfait de la passion du Sauveur; mais, comme la différence qui existe entre les fidèles et les infidèles établit entre eux une séparation marquée par la gauche et par la droite, l'un des deux placé à la droite de Jésus est sauvé par la justification qui vient de la foi. - Remi. Ou bien, ces deux voleurs représentent tous ceux qui embrassent la pratique sévère d'une vie mortifiée, ceux qui entrent dans cette vie par le seul désir de plaire à Dieu sont figurés par le voleur qui est crucifié à droite; et ceux qui n'agissent que pour obtenir la gloire qui vient des hommes, ou pour un autre motif aussi peu digne, le voleur qui est crucifié à gauche.


vv. 39-44

5739 Mt 27,39-44

S. Chrys. (hom. 87). Les ennemis du Sauveur ne se contentent pas de le dépouiller de ses vê tements et de le crucifier, ils vont plus loin, et, en le voyant attaché à la croix, ils osent encore le couvrir d'outrages. «Or, les passants le blasphémaient en branlant la tête»,etc. - S. Jér. Ils le blasphémaient, parce qu'ils marchaient en dehors de la voie, et qu'ils ne vou laient pas entrer dans le véritable chemin des Écritures; ils branlaient la tête, parce que leurs pieds chancelaient depuis longtemps et ne s'appuyaient plus sur la pierre (Ps 72,2 Ps 39,3). Le peuple insensé se joint à eux pour l'insulter, en répétant les inventions des faux témoins: «Et ils lui disaient: Vah ! Toi qui détruit le temple de Dieu», etc. - Remi. Vah ! est une interjection qui exprime l'insulte et la moquerie. - S. Hil. (can. 33). Quel pardon pourront-ils espérer lorsqu'après trois jours ils verront le temple de Dieu rebâti dans la résurrection du Sauveur. - S. Chrys. (hom. 87). Ils semblent même vouloir rabaisser ses anciens miracles: «Que ne te sauves-tu toi-même? Situ es le Fils de Dieu, descends de la croix». - S. Chrys. (hom. 87). Mais, au contraire, c'est justement parce qu'il est le Fils de Dieu qu'il ne descend pas de la croix, car il n'est venu sur la terre qu'afin d'être crucifié pour notre salut.

«Les princes des prêtres se moquaient aussi de lui en disant: Il a sauvé les autres»,etc. - S. Jér. Les scribes et les pharisiens sont forcés de confesser qu'il a sauvé les autres. Vous êtes donc condamnés par vos propres paroles, car celui qui a sauvé les autres pourrait se sauver lui-même s'il le voulait. - Suite. «S'il est roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui». - S. Chrys. (serm. sur la Pass). Écoutez cette voix des enfants, quelle fidèle imitation de celle du Père. Le démon disait: «Jettes-toi en bas, si tu es le Fils de Dieu», et les Juifs: «Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix». - S. Léon. (serm. sur la Pass). A quelle source d'erreurs, ô Juifs, avez-vous puisé ces blas phèmes empoisonnés? Quel maître vous a enseigné, quelle doctrine vous a persuadé que vous ne deviez reconnaître pour roi d'Israël et pour Fils de Dieu que celui qui ne permettrait pas qu'on le crucifie, ou qui détacherait son corps des clous qui perçaient ses pieds et ses mains sur la croix? Ce n'est pas ce que vous ont annoncé les oracles prophétiques, car vous y avez vrai ment lu: «Je n'ai point détourné mon visage des crachats ignominieux», et encore: «Ils ont percé mes pieds et mes mains, et ils ont compté tous mes os» (Ps 22,18). Est-ce que vous avez lu quelque part: Le Seigneur est descendu de la croix? N'avez-vous pas lu au contraire: «C'est par le bois que le Seigneur a régné ?» - Rab. S'il eût cédé à cette injurieuse invitation, il ne nous eût pas fait voir toute l'étendue de sa patience; mais il attendit quelque temps, supporta toutes ces railleries, et, après avoir refusé de descendre de la croix, il sortit du tom beau glorieusement ressuscité. - S. Jér. Ils ajoutent: «Et nous croirons en lui», promesse pleine de mensonge, car qui exige plus de puissance, de descendre vivant de la croix, ou de s'arracher aux bras de la mort dans le tombeau? Or, il est ressuscité et vous n'avez pas cru en lui; donc, s'il descendait de la croix, vous ne croiriez pas davantage. Mais, en tenant ce lan gage, ils obéirent à l'inspiration des démons, car, aussitôt que le Seigneur fut crucifié, ils éprouvèrent la vertu de sa croix; ils comprirent que leur puissance était brisée, et ils font tous leurs efforts pour que le Sauveur descende de la croix. Mais Notre-Seigneur, qui connaissait les ruses de ses ennemis, reste attaché sur la croix, pour détruire la puissance du démon. «Il met sa confiance en Dieu; si donc Dieu l'aime, qu'il le délivre maintenant». - S. Chrys. (hom. 87). O hommes profondément corrompus, est-ce que les prophètes et les justes avaient cessé d'être prophètes et justes, parce que Dieu ne les a pas délivrés du danger? Or, si les épreuves et les souffrances, que vous avez accumulées sur leur tête, n'on t pu en rien obscurcir leur gloire, combien moins les souffrances de cet homme devaient-elles vous scandaliser, car toutes ses paroles tendaient à éloigner ces doutes de votre esprit. «Il a dit: Je suis le Fils de Dieu». Ils veulent persuader par là qu'il a été condamné pour avoir voulu séduire et tromper, et comme un homme plein d'orgueil qui se glorifie dans ses vaines préten tions. Or, non-seulement les Juifs et les soldats, qui étaient au bas de la croix, en faisaient l'objet de leurs risées, mais aussi, à ses côtés, les voleurs qui étaient crucifiés avec lui: «Les voleurs qui étaient crucifiés avec lui lui faisaient les mêmes reproches».

S. Aug. (De l'harm. des Evang). Au premier abord, il semblerait que saint Luc est ici en contradiction avec saint Matthieu, puisqu'il rapporte que l'un des voleurs blasphémait contre Jésus, ce que l'autre reprochait à son compagnon. Mais il faut nous rappeler que saint Mat thieu, abrégeant singulièrement son récit, a mis le pluriel pour le singulier, comme nous le voyons dans ce passage de l'Epître aux Hébreux: «ils ont fermé la gueule des lions», alors qu'il ne s'agissait que du seul Daniel (Jg 14,6 1S 17 Da 16). Quelle expression plus ordinaire que celle-ci Ces rustres m'insultent, bien qu'on ne veuille parler que d'un seul? Il y aurait contradiction, si saint Matthieu avait dit que les deux voleurs outrageaient le Seigneur; mais comme il dit simplement: «Les voleurs», sans ajouter: les deux, il faut en conclure que, selon l'usage ordinaire, il s'est servi du pluriel pour le singulier. - S. Jér. Ou bien, on peut dire encore que tous deux commencèrent par blasphémer; mais, qu'après avoir vu le soleil s'obscurcir, la terre trembler, les rochers se fendre ou se renverser, les ténèbres se répandre sur la terre, l'un d'eux crut en Jésus et racheta son incrédulité et ses premiers blas phèmes par la confession qu'il fit ensuite de la divinité du Sauveur.

S.Chrys. (hom. 87). Et ne pensez pas que tout cela soit l'effet d'un arrangement concerté à l'avance, et qu e celui qui passait pour un voleur ne le fût pas en effet; les outrages dont il ne craint pas de couvrir Jésus-Christ prouvent que, jusque sur la croix, il avait les sentiments d'un voleur et d'un ennemi de Jésus-Christ, et cependant il fut changé en un seul instant. - S. Hil. (can. 33). Ces deux voleurs, qui-lui reprochent les humiliations de sa passion, sont un signe que la croix sera aussi un sujet de scandale pour tous les fidèles (1Co 1,23). - S.Jér. Ou bien, ces deux voleurs représentent les deux peuples, Juif et Gentil, qui, tous deux, ont d'abord blasphémé le Seigneur; mais ensuite l'un d'eux, effrayé par la multitude des miracles dont il était témoin, fit pénitence, et, jusqu'à ce jour, il reproche aux Juifs leurs blasphèmes. - Orig. Le larron qui a été sauvé est encore le symbole de ceux qui, après une vie pleine d'iniquités, ont embrassé la foi en Jésus-Christ.


vv. 45-50

5745 Mt 27,45-50

S. Chrys. (serm. sur la passion). La créature ne pouvait supporter la vue des outrages faits au Créateur; aussi le soleil retira-t-il ses rayons pour ne pas être témoin des forfaits de ces im pies: «Depuis la sixième heure, les ténèbres couvrirent toute la terre». - Orig. Il en est qui argumentent de ce texte pour attaquer la vérité de l'Évangile; car depuis le commencem ent du monde, les éclipses de soleil ont toujours eu lieu dans les temps prévus et marqués. Or, ces phénomènes qui arrivent périodiquement à des époques prévues d'avance, n'ont jamais lieu que lorsque le soleil se rencontre avec la lune, et que la lune, s'interposant entre le soleil et la terre, empêche ses rayons de parvenir jusqu'à nous. Or, à l'époque de l'année où la passion de Jésus-Christ eut lieu, il est évident qu'il ne pouvait y avoir de conjonction du soleil et de la lune, puisqu'on était au temps de Pâque, qui se célèbre à l'époque de la pleine lune. Des chré tiens, pour résoudre cette difficulté, ont avancé que cet obscurcissement du soleil avait été un miracle, comme tant d'autres faits qui se produisirent alors en dehors des lois ordinaires de la nature. - S. DENIS (lettre à Polyc). Nous vîmes tout d'un coup et sans y être préparés, la lune s'interposer entre le soleil et la terre (car ce n'était pas le temps de la rencontre naturelle de ces deux astres), nous la vîmes de nouveau depuis la neuvième heure jusqu'au soir, couvrir contrairement aux lois de la nature le diamètre du soleil. Nous vîmes cette éclipse commencer à l'Orient, s'avancer vers le couchant, et puis revenir pour ainsi dire sur ses pas. Nous fûmes encore témoins de ce fait extraordinaire, que ce ne fut pas du même côté du soleil que la lune s'avança sur cet astre, et se retira ensuite, mais dans un sens diamétralement opposé. - S. Chrys. (hom. 87). Les ténèbres durèrent trois heures, tandis qu'une éclipse de soleil ne dure qu'un instant, et n'a point de temps d'arrêt, comme le savent les astronomes.

Orig. Mais les enfants du siècle nous font cette objection: Comment se fait-il qu'aucun écri vain grec ou étranger n'ait rapporté un fait aussi étonnant, alors qu'ils nous ont transmis a vec soin le souvenir de tous les événements extraordinaires dont ils ont été témoins? Il est vrai que Phlégon, dans ses chroniques, rapporte qu'une éclipse eut lieu sous l'empire de Tibère César, mais il ne dit pas que ce fut à l'époque de la pleine lune. C'est ce qui me porte à croire que ce prodige, aussi bien que tous les autres qui eurent lieu pendant la passion du Sauveur, tels que le tremblement de terre et le voile du temple déchiré, furent restreints à la ville de Jéru salem. Ou si l'on veut l'étendre à toute la Judée, il faudra donner à ces paroles le sens qu'elles ont dans ce passage du livre des Rois, où Abdias dit à Elie: «Vive le Seigneur votre Dieu, il n'y à point de nation ni de royaume où mon Seigneur n'ait envoyé vous chercher» (), c'est-à-dire qu'il l'avait cherché dans les contrées voisines de la Judée. Nous devons donc admettre que d'épaisses et profondes ténèbres s'étendirent sur toute la ville de Jérusalem et sur toute la terre de Judée. La terre fut couverte d'épaisses ténèbres depuis la sixième heure jusqu'à la neuvième heure. Car nous lisons que deux espèces différentes d'êtres ont été créés le sixième jour, les animaux avant la sixième heure, et l'homme à cette heure là même. Il convenait donc que celui qui mourait pour le salut du genre humain fût attaché sur la croix à la sixième heure, et que par suite, les ténèbres se répandissent sur toute la terre de la sixième heure à la neuvième. Lorsque Moïse leva ses mains vers le ciel (Ex 10,22), les ténèbres se répandirent sur les Egyptiens qui tenaient le peuple de Dieu en servitude; de même à la sixième heure, alors que le Christ étendait ses mains sur la croix et les levait vers le ciel, les ténèbres enveloppèrent ce peuple qui avait crié: «Crucifiez-le», et il se trouva privé de toute lumière, en signe des ténèbres qui devaient envelopper toute la nation juive. Sous Moïse encore, les ténèbres couvri rent pendant trois jours toute la terre d'Egypte, tandis que tous les enfants d'Israël étaient dans la plus vive lumière; c'est ainsi que pendant la passion de Jésus-Christ, les ténèbres se répandi rent pendant trois heures sur toute la Judée, parce qu'elle était privée, en punition de ses pé chés, de la lumière de Dieu le Père, de la splendeur du Christ, et de la clarté de l'Esprit saint, tandis que la lumière éclairait tout le reste de la terre, figure de cette lumière qui éclaire dans tous les lieux l'Église de Dieu en Jésus-Christ. Et si les ténèbres couvrirent toute la Judée, jus qu'à la neuvième heure, il s'ensuit que la lumière a dû de nouveau briller à leurs yeux: «Car lorsque la plénitude des nations sera entrée, alors tout Israël sera sauvé». (Rm 11,25)

S. Chrys. (hom. 87). Ou bien suivant une autre explication, ce qu'il y avait d'admirable, c'est que ces ténèbres étaient répandues sur toute la face de la terre, ce qui n'était jamais arrivé au paravant. Car les ténèbres ne couvrirent que l'Egypte seule, au moment de la célébration de la Pâque, ténèbres qui étaient la figure de celles qui eurent lieu à la mort de Jésus-Christ. Et re marquez que ces ténèbres se répandent au milieu du jour, au moment où la lumière inonde toute la terre de sa clarté, afin que tous les habitants de la terre en fussent témoins. C'est là ce signe que Jésus promettait de donner aux Juifs qui lui en faisaient la demande, lorsqu'il disait: «Cette génération adultère et perverse demande un signe, et il ne lui en sera pas donné d'autre que celui du prophète Jonas»,figure de sa croix et de sa résurrection; car il était bien plus étonnant qu'il opérât ce prodige, étant attaché sur la croix, que pendant le cours de sa vie. Ce miracle suffisait certainement pour les convertir, non seulement par la grandeur du fait consi déré en lui-même, mais encore parce que le Sauveur l'opéra après qu'ils eurent épuisé contre lui toutes les insultes, tous les outrages que la haine put leur suggérer. Mais comment purent-ils se défendre d'un sentiment d'admiration, et reconnaître qu'il était Dieu? C'est que le genre humain tout entier était livré à une malice prodigieuse, et plongé dans une torpeur inexprima ble; que ce miracle fut de courte durée et qu'ils en ignoraient la cause. Aussi Jésus fait enten dre ensuite sa voix, pour leur montrer qu'il est encore vivant et qu'il est l'auteur de ce miracle: «Et sur la neuvième heure, Jésus jeta un grand cri en disant: Eli ! Eli ! lamma sabacthani ?»c'est-à-dire «Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous abandonné ?» - S. Jér. Notre-Seigneur a cité le commencement du psaume vingt et unième. Ces paroles qui se trouvent au milieu du verset: «Jetez les yeux sur moi», ont été surajoutées, car le texte hébreu porte seu lement: «Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous abandonné ?» Il n'y a donc que des impies qui puissent prétendre que ce psaume a pour objet la personne d'Esther et de Mardo chée, puisque les Évangélistes lui ont emprunté d'autres témoignages qu'ils appliquent au Sau veur, celui-ci en particulier: «Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont percé mes mains». - S. Chrys. (hom. 88). Or, Jésus cite ces paroles du p rophète, pour rendre hommage jus qu'au dernier moment, à l'Ancien Testament, et pour faire voir qu'il honore son Père, et ne lui est pas opposé, et il prononce ces paroles en hébreu, pour être compris des Juifs qui l'entendent.

Orig. Examinons pourquoi Jésus-Christ a été abandonné de Dieu. Quelques-uns, dans l'impossibilité d'expliquer comment le Christ peut être délaissé de Dieu, disent que c'est par humilité qu'il s'est ainsi exprimé; mais vous pourrez comprendre facilement le sens de ces paroles, en comparant la gloire dont le Fils de Dieu jouit dans le sein de son Père avec la honte et l'ignominie qu'il méprise en souffrant la mort de la croix.

S. Hil. (Liv. 10 sur la Trinité). De ces paroles, les hérétiques veulent conclure ou que le Verbe de Dieu s'est comme anéanti en prenant la place de l'âme unie au corps, et en lui donnant la vie qu'il reçoit de l'âme, ou bien que Jésus-Christ n'était pas un homme véritable, parce que le Verbe de Dieu n'habitait en lui que comme il était autrefois dans l'esprit des prophètes. Il sem ble, d'après ces hérétiques, que Jésus-Christ ne soit qu'un homme ordinaire, composé d'un corps et d'une âme comme nous, et qu'il ne date son existence que du jour où il a été fait homme, lui qui, dépouillé de la protection de Dieu qui se retire de lui, s'écrie: «Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous abandonné». Ou bien encore, ajoutent-ils, la nature hu maine s'étant comme confondue avec l'âme du Verbe, Jésus-Christ a été secouru en tout par la puissance de son Père, et maintenant qu'il est privé de ce secours, et abandonné à la mort, il se plaint de cet abandon, et en appelle à celui qui l'a délaissé. Mais au milieu de ces opinions aussi faibles qu'impies, la foi de l'Église, toute pénétrée de la doctrine des Apôtres, ne divise po int Jésus-Christ, et ne laisse point à penser qu'il ne soit pas à la fois Fils de Dieu et Fils de l'homme. En effet, la plainte qu'il fait entendre dans son délaissement, c'est la faiblesse de l'homme qui va mourir, et la promesse qu'il fait du paradis au bon larron, c'est le royaume du Dieu vivant. En se plaignant d'être abandonné au moment de sa mort, il vous prouve qu'il est homme, mais tout en mourant, il assure qu'il règne dans le paradis, et vous montre ainsi qu'il est Dieu. Ne soyez donc pas surpris de l'humilité de ses paroles et des plaintes qu'il fait enten dre dans son délaissement, lorsque sachant bien qu'il a revêtu la forme d'esclave, vous êtes témoin du scandale de la croix. - La Glose. On dit que Dieu a délaissé son Fils au moment de sa mort, parce qu'il l'a exposé au pouvoir de ses persécuteurs, il lui a retiré sa protection, mais n'a point brisé les liens qui l'unissaient à lui.

Orig. Lorsqu'il vit les ténèbres couvrir toute la terre de Judée, Jésus prononça ces paroles dont voici le sens: Vous m'avez abandonné, mon Père, c'est-à-dire vous m'avez livré comme anéanti sous le poids de telles calamités, afin que ce peuple que vous avez comblé d'honneur, reçoive le châtiment de tout ce qu'il a osé entreprendre contre moi, et qu'il soit privé de la lumière de vos regards. Vous m'avez aussi abandonné pour le salut des nations. Mais quel si grand bien ont pu faire les hommes qui ont embrassé la foi parmi les Gentils, pour mériter d'être racheté de l'enfer par tout mon sang répandu sur la croix? Ou comment les hommes pourront-ils reconnaître dignement les supplices que je souffre pour eux? Peut-être que jetant les regards sur les péchés des hommes qu'il expiait sur la croix, il dit à Dieu: «Pourquoi m'avez-vous abandonné ?» Pour que je devinsse comme celui qui ramasse les épis qui restent après la moisson et les grains échappés à la main du vendangeur. (Mi 7,1) Ne pensez pas cependant que ce soit sous l'impression d'un sentiment purement humain et comme vaincu par la douleur, qu'il endure sur la croix que le Sauveur s'exprime de la sorte; si vous l'entendiez ainsi, vous ne comprendriez pas ce grand cri qu'il jette, et qui nous annonce un grand mystère caché. - Rab. Ou bien le Sauveur jette ce cri, parce qu'il s'était comme revêtu de nos senti ments, et que lorsque nous sommes dans le danger, nous nous croyons abandonnés de Dieu. En effet, Dieu avait abandonné la nature humaine par suite du péché, mais comme le Fils de Dieu est devenu notre avocat, il pleure la misère de ceux dont il a pris sur lui les fautes, et il nous apprend par là combien les pécheurs doivent verser de larmes, en voyant ainsi pleurer celui qui n'a jamais commis le péché.

«Quelques-uns de ceux qui étaient présents, entendant cela, disaient: Il appelle Elie». - S. Jér. Ce n'est pas tous, mais quelques-uns, sans doute les soldats romains qui ne compre naient pas l'hébreu, et qui pensaient qu'il appelait Elie, parce qu'il s'était écrié: Eh ! Eh ! Si l'on attribue cette réflexion aux Juifs, il faudra dire que suivant leur habitude, i ls accusent le Seigneur de faiblesse, parce qu'il demande le secours d'Elie.

«Et aussitôt l'un d'eux courut prendre une éponge qu'il emplit de vinaigre», etc. - S. Aug. (de la passion). Ainsi celui qui alimente les fontaines est abreuvé de vinaigre; celui qui nous donne le miel est nourri de fiel; la miséricorde est flagellée; celui qui accorde le pardon est condamné; la majesté est insultée; la vertu tournée en dérision, et celui qui répand les pluies fécondantes est couvert de crachats. - S. Hil. (can. 33). Le vinaigre est un vin qui s'est aigri ou par sa mauvaise qualité, ou par le mauvais état du vase qui le contient, ou par négligence. Le vin représente l'honneur de l'immortalité et de la vertu. Or, lorsque le vin se fut aigri en Adam, le Sauveur en prit et en fut abreuvé par les nations. Ce vin est présenté au moyen d'une éponge placée au bout d'un bâton; c'est-à-dire que le Sauveur reçut du corps des nations les faiblesses qui avaient corrompu en nous le principe de l'immortalité, et qu'il les fit pour ainsi dire passer en lui-même, pour communiquer l'immortalité à tout ce qui avait été altéré et cor rompu. - Remi. Ou bien, les Juifs eux-mêmes étaient ce vinaigre, eux qui étaient comme un vin dégénéré des patriarches et des prophètes, et qui avaient des coeurs creusés par la fraude, comme l'est une éponge par les cavités profond es et tortueuses qu'elle renferme. Le roseau figure la sainte Écriture qui. recevait ainsi son accomplissement; car de même qu'on appelle langue grecque ou hébraïque le langage que ces langues servent à former, ainsi on peut donner le nom de roseau aux lettres où à l'écriture qui sont tracées au moyen d'un roseau. - Orig. Peut-être aussi peut-on dire que tous ceux qui ont la science de la doctrine ecclésiastique, mais dont la vie est mauvaise, donnent à boire à Jésus-Christ du vin mélangé de fiel. Ceux, au contraire, qui appliquent à Jésus-Christ des maximes qui sont opposées la vérité, comme s'il en était l'auteur, ceux-là placent au bout du roseau de l'Écriture une éponge remplie de vinaigre, et la présentent aux lèvres du Sauveur.

«Les autres disaient: Attendez, voyons si Elie viendra le délivrer». - Rab. Les soldats ne comprenaient pas le sens des paroles du Sauveur, aussi ils attendaient, mais bien inutilement, l'arrivée d'Elie. Quant à Notre-Seigneur, il était uni d'une manière indis soluble avec le Dieu qu'il invoquait en langue hébraïque. - S. Aug. (serm. sur la Pâque). Après que Jésus-Christ eut épuisé toutes les peines, la mort s'arrête, car elle sent qu'il n'y a rien en lui qui lui appartienne. La nouveauté est suspecte à la vétusté; c'est le premier, c'est le seul homme qu'elle voit sans péché, pur de tout crime, et n'étant soumis en aucune manière à ses lois. Mais la mort ne laisse pas de s'associer à la fureur des Juifs, et elle se jette en désespé rée sur l'auteur de la vie: «Or, Jésus, jetant encore un grand cri, rendit l'esprit».Qu'y a-t-il donc qui puisse nous déplaire, en ce que Jésus-Christ ait quitté le sein de son Père, pour venir nous délivrer de notre servitude et nous faire partager sa liberté; qu'il se soit soumis à notre mort pour nous en affranchir par sa propre mort, alors qu'en nous inspirant le mépris de la mort, il nous a placés, simples mortels, au rang des dieux, et malgré notre origine terrestre, nous a égalés aux esprits célestes? Car autant sa puissance divine brille dans le spectacle de ses oeuvres, autant il nous donne une preuve éclatante de son immense charité, en consentant à souffrir pour ses sujets, et à mourir pour ses serviteurs. Telle fut la première raison de la pas sion du Seigneur, il voulut faire connaître combien Dieu aimait l'homme, lui qui veut être bien plus aimé que craint des hommes. La seconde cause, ce fut de détruire avec plus de justice la juste sentence de mort qu'il avait portée contre l'homme. Le premier homme avait au jugement de Dieu, encouru la mort par son péché, et l'avait transmise à ses descendants; le second (1Co 15,47) vint du ciel, pur de tout péché, pour condamner la mort qui, n'ayant reçu de droits que sur les coupables, avait osé s'attaquer à la source même de toute sainteté. Il n'est point surprenant qu'il ait quitté pour nous ce qu'il a reçu de nous, c'est-à-dire son âme, lui qui a fait tant pour nous, et qui nous a comblés de tant de bienfaits. - S. Aug. (contre Félic., chap. 14). Que les fidèles se gardent bien de penser que Jésus-Christ ait pu ressentir la mort, de ma nière qu'en ce qui le concerne, la vie ait perdu la vie; car s'il en était ainsi, comment, pendant ces trois jours, pourrions-nous dire que tout ce qui respire ait conservé la vie, si la source même de la vie avait été desséchée? La divinité du Christ n'a donc ressenti la mort que par son union à notre humanité, ou par la communion aux faiblesses de notre nature qu'il avait prises volontairement; mais il n'a point perdu la puissance de sa nature, qui donne la vie à tout ce qui existe. Lorsque nous mourons nous-mêmes, notre corps, privé de la vie, n'en dépouille pas notre âme; l'âme, en se retirant, ne perd point sa vertu, elle ne fait qu'abandonner le corps qu'elle vivifiait, et c'est elle-même qui est la cause de la mort du corps, loin d'en être la vic time. Quant à l'âme du Sauveur, nous dirons que ce n'est ni à cause de la divinité dont elle était le temple, ni par suite de sa pureté extraordinaire, mais d'après les lois ordinaires de la mort, qu'elle a pu abandonner son corps pendant ces trois jours, sans être elle-même exposée aux coups de la mort. Car je crois que le Fils de Dieu est mort, non pour subir la peine due au péché, peine qu'il ne put encourir en aucune façon, mais par une suite de la sentence portée contre tous les hommes, et à laquelle il s'est soumis pour la rédemption du genre humain.

S. Damase. (de la foi orthodoxe 3, 21). Quoique Jésus-Christ soit mort comme homme, et que son âme sainte ait été séparée de son corps exempt de toute souillure, cependant la divinité est restée inséparablement unie à l'une et à l'autre, c'est-à-dire à l'âme et au corps, et l'unité de personne n'a souffert aucune division. Le corps et l'âme ont eu, dès le commencement, leur existence dans la personne du Verbe, et l'ont conservée jusque dans la mort; car ni le corps ni l'âme n'ont eu d'autre personnalité que celle du Verbe.

S. Jér. C'est pour Jésus-Christ un acte de puissance toute divine que de rendre l'esprit, comme lui-même l'avait prédit: «Personne ne peut m'ôter la vie; mais c'est de moi-même que je la quitte, et j'ai le pouvoir de la reprendre». L'esprit, dans ce passage, doit être pris pour l'âme, soit parce qu'il donne la vie au corps et le rend pour ainsi dire spirituel, soit parce que l'esprit est l'essence de l'âme, selon ces paroles: «Vous leur ôterez l'esprit, et ils tomberont dans la défaillance» (Ps 104,29). - S. Chrys. (hom. 88). Il jette un grand cri pour montrer qu'il agit ici en vertu de sa puissance, et en criant ainsi d'une voix forte au moment où il expire, il prouve de la manière la plus évidente, qu'il est le Dieu véritable, puisque les hommes, prêts de rendre le dernier soupir, peuvent à peine faire entendre un souffle de voix. - S. Aug. (de l'accord des Evang., 3, 18) Saint Luc nous apprend quel fut l'objet de ce grand cri: «Et Jésus s'écria d'une voix forte: Mon Père, je remets mon âme entre vos mains». - S. Hil. (can. 33). Ou bien, il expire en jetant un grand cri par la douleur qu'il éprouve de ne pouvoir effacer les pé chés de tous les hommes (Is 53,6 1P 2,24).



Catena Aurea 5727