Catena Aurea 9637

vv. 37-38

9637 Lc 6,37-38

S. Ambr. Notre-Seigneur condamne ensuite le jugement téméraire, et vous défend de vous rendre les juges des aut res, alors que votre conscience vous accuse vous-même: «Ne jugez point». - S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr). Ne jugez pas ceux qui sont placés au-dessus de vous; disciples, ne jugez pas vos maîtres; pécheurs, ne jugez pas ceux qui sont innocents; contentez-vous, sans leur faire de reproches, de les avertir et de les corriger avec charité. Gardez-vous aussi de juger dans les choses incertaines et douteuses qui n'ont pas le caractère du mal, où qui ne sont ni graves ni défendues. - S. Cyr. Notre-Seigneur veut réprimer ici cette détestable passion qui domine nos âmes, et qui est le principe et l'origine de nos superbes mépris. On en voit, en effet, un grand nombre qui, au lieu de s'observer eux-mêmes, et de vivre selon les prescriptions de la loi de Dieu, ne s'occupent qu'à examiner la conduite des autres; et dès qu'ils y surprennent quelques faiblesses, oubliant leurs propres passions, ils en font le sujet de leurs conversations malignes. - S. Chrys. (lettre à Démét). A peine trouverez-vous un seul homme (père de famille ou vivant dans le cloître), qui soit exempt de ce défaut; cependant, ce sont là autant de tentations dangereuses du démon; car celui qui juge sévèrement les fautes d'autrui, n'obtiendra jamais le pardon de ses propres fautes: «Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés». En effet, celui qui est doux et miséricordieux pour les autres, a beaucoup moins à craindre pour ses péchés; mais celui qui est dur et sévère pour ses frères, ajoute à ses propres crimes. - S. Grég. de Nysse. Ne vous hâtez donc pas de juger rigoureusement vos serviteurs, si vous ne voulez être traités de même; car par ce jugement sévère vous vous attirez une condamnation plus rigoureuse: «Ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés». Notre-Seigneur ne défend donc pas le jugement accompagné de clémence et suivi du pardon. - Bède. Le Sauveur résume ensuite, dans une courte sentence, tous les commandements qu'il avait faits sur les rapports que nous devons avoir avec nos ennemis: «Pardonnez, et il vous sera pardonné», etc. C'est-à-dire qu'il nous ordonne de pardonner les injures, et de répandre des bienfaits sur nos ennemis, si nous voulons obtenir le pardon de nos péchés, et la vie éternelle pour récompense.

S. Cyr. Il nous montre ensuite avec quelle munificence, avec quelle libéralité nous serons récompensés par le Dieu qui donne avec largesse à ceux qui l'aiment: «Ils verseront dans votre sein une bonne mesure, pressée et remuée, et se répandant par dessus les bords». - Théophyl. C'est-à-dire: De même que pour mesurer largement une mesure de farine, vous la pressez, vous l'agitez, et vous en versez jusqu'à la faire déborder; de même le Seigneur versera dans votre sein une mesure abondante, et qui, pour ainsi dire, se répandra par dessus les bords. - S. Aug. (Quest. évang., 2, 8). Il dit: «Ils verseront», car ils recevront la récompense céleste par les mérites de ceux auxquels ils auront donné, ne fût-ce qu'un verre d'eau froide, parce qu'ils étaient disciples de Jésus-Christ (Mt 10,42).

«On usera pour vous de la même mesure dont vous aurez usé pour les autres», etc. - S. Bas. La mesure dont chacun de vous se sert dans le bien qu'il opère, comme dans le mal qu'il commet, sera aussi la mesure des récompenses ou des châtiments qu'il recevra. - Théophyl. Mais peut-être nous fera-t-on cette question tant soit peu subtile: Si la récompense est si abondante, comment peut-on dire qu'elle est égale à la mesure dont nous nous sommes servi? Nous répondons que Notre-Seigneur ne dit point: Il vous sera donné dans une mesure égale en quantité, mais: «Dans la même mesure». Vous avez bien agi, on agira bien à votre égard, ce qui est rendre la même mesure; mais Notre-Seigneur dit que cette mesure sera surabondante, parce qu'il rendra mille fois plus de bien qu'on en a fait. Il en est de même pour le jugement; celui qui juge, et qui est ensuite jugé, reçoit dans la même mesure, mais il sera jugé plus sévèrement qu'il n'a jugé lui-même son semblable; en cela la mesure est surabondante. - S. Cyr. L'Apôtre résoud cette difficulté, lorsqu'il dit: «Celui qui sème peu (c'est-à-dire en petite quantité et d'une main avare), moissonnera peu (c'est-à-dire une moisson peu abondante); et celui qui sème dans les bénédictions, moissonnera aussi dans les bénédictions (c'est-à-dire avec abondance) » (2Co 9,6). Si on ne possède rien, on n'est pas coupable en ne donnant point; car Dieu nous tient compte des biens que nous avons, et non de ceux qui ne sont pas en notre possession.


vv. 39-42

9639 Lc 6,39-42

S. Cyr. Notre-Seigneur ajoute aux enseignements qui précèdent une parabole bien nécessaire: «Il leur faisait aussi cette comparaison». En effet, ses disciples étaient appelés à devenir les docteurs du monde; ils devaient donc connaître toutes les règles d'une vie sainte, et répandre les clartés d'une lumière toute divine, pour éviter d'être des aveugles servant de guide à d'autres aveugles. Il leur dit donc: «Un aveugle peut-il conduire un autre aveugle ?» S'il arrive à quelques-uns d'atteindre au même degré de vertu que ceux qui les enseignent, qu'ils se contentent de cette mesure, et marchent toujours sur les traces de leurs maîtres; car, dit Notre-Seigneur: «Le disciple n'est pas au-dessus du maître». Aussi saint Paul dit aux Philippiens: «Soyez mes imitateurs, comme je le suis de Jésus-Christ» (Ph 3,17). Pourquoi donc voulez-vous juger les autres, alors que Jésus-Christ ne juge pas? Car il n'est pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver (Jn 3). - Théophyl. Ou encore, si vous jugez les autres, et que vous soyez coupable des mêmes fautes, ne ressemblez-vous pas à l'aveugle qui conduit un autre aveugle? Comment le conduirez-vous au bien, alors que vous suivez la voie du mal? Le disciple n'est point au-dessus du maître. Si donc vous ne savez éviter le péché, vous qui vous décernez le titre de maître et de conducteur, que deviendra celui qui devient votre disciple et se place sous votre conduite? Car tout disciple sera parfait, s'il est comme son maître. - Bède. Ou bien le sens de ces paroles dépend des enseignements qui précèdent, où Notre-Seigneur recommande de donner l'aumône et de pardonner les injures. Si vous vous laissez aveugler par la colère contre celui qui vous fait violence, et par l'avarice à l'égard de celui qui vous demande du secours, comment, dans cette disposition coupable de votre âme, pourrez-vous les guérir de leurs propres vices? Voyez Jésus-Christ, notre Maître; il était Dieu, il pouvait venger les injures qui lui étaient faites, et cependant il a préféré adoucir la fureur de ses ennemis en les supportant avec patience; n'est-il donc pas nécessaire que ses disciples, qui ne sont que des hommes, suivent la même règle de perfection. - S. Aug. (Quest. évang., 2, 9). Ou bien encore, Notre-Seigneur, par ces paroles: «Est-ce qu'un aveugle peut conduire un autre aveugle ?» veut leur ôter l'espoir de recevoir des lévites cette mesure dont il a dit: «Ils verseront dans votre sein», etc. En effet, ils payaient les décimes à ceux que le Sauveur appelle des aveugles, parce qu'ils ne recevaient pas l'Évangile. Il veut donc que le peuple commence à attendre cette récompense des disciples du Seigneur, qu'il déclare être ses imitateurs en disant: «Le disciple n'est point au-dessus du maître».

Théophyl. Le Seigneur ajoute une autre parabole qui a le même objet: «Pourquoi voyez-vous une paille (c'est-à-dire une faute légère dans l'oeil de votre frère), tandis que vous n'apercevez pas la poutre, (c'est-à-dire les fautes énormes) qui sont dans votre oeil ?» - Bède. Cette comparaison fait suite à la précédente, où le Sauveur nous déclare qu'un aveugle ne peut servir de guide à un autre aveugle, (c'est-à-dire qu'un pécheur ne peut être repris par un autre pécheur); Notre-Seigneur ajoute donc: «Comment pouvez-vous dire à votre frère: Mon frère, laissez-moi ôter la paille de votre oeil, vous qui ne voyez pas la poutre qui est dans le vôtre ?» - S. Cyr. C'est-à-dire: Comment celui dont la conscience est chargée de crimes énormes (figurés par la poutre) peut-il condamner celui qui n'en a que de légers, ou même qui n'en a aucun à se reprocher? car c'est ce que la paille signifie. - Théophyl. Cette leçon s'adresse à tous, mais surtout aux docteurs qui punissent sévèrement, dans leurs disciples, les moindres fautes, tout en s'accordant le bénéfice de l'impunité pour les plus grandes; c'est ce qui leur attire de la part du Seigneur le reproche d'hypocrisie, parce qu'ils jugent sévèrement les péchés d'autrui pour faire ressortir leur propre justice: «Hypocrites, ôtez d'abord la poutre de votre oeil», etc. - S. Cyr. C'est-à-dire purifiez-vous d'abord de ces crimes énormes qui souillent votre conscience, et alors vous pourrez vous montrer zélé pour corriger votre frère de ses fautes légères. - S. Bas. (hom. 9 sur l'Hexam). La connaissance de soi-même est en effet de la dernière importance; l'oeil qui considère les choses extérieures, ne peut voir ce qui se passe en lui-même; ainsi en est-il de notre esprit, lorsqu'il est prompt à juger les péchés d'autrui, il devient lent à découvrir ses propres défauts.


vv. 43-45

9643 Lc 6,43-45

Bède. Notre-Seigneur continue à parler ici contre les hypocrites: «L'arbre qui produit de mauvais fruits, n'est pas bon», etc.; paroles dont voici le sens: Si vous voulez avoir une vertu véritable et sincère, montrez-vous dans les oeuvres ce que vous êtes en paroles; car l'hypocrite qui se couvre du masque de la vertu, n'est cependant pas vertueux, s'il fait le mal; et s'il ose reprendre un innocent, ses reproches ne le rendent pas pour cela mauvais, puisqu'il fait le bien. - Tite de Bost. Que ces paroles ne favorisent point votre négligence, un arbre est soumis aux lois qui régissent la nature végétale; pour vous, au contraire, vous avez l'usage de votre libre arbitre; tout arbre stérile a été créé pour une fin particulière; pour vous, vous avez été créé pour pratiquer la vertu. - S. Isid. (Liv. 4, lettre 81). Ce n'est point le repentir, mais la persévérance dans le mal, que le Sauveur condamne par ces paroles; tant que la disposition de l'âme reste mauvaise, elle ne peut produire de bons fruits; mais si elle se tourne du côté du bien, alors elle produit des fruits de vertu. La nature de l'arbre s'appelle en nous l'affection, aussi elle peut ce qui est impossible à un arbre mauvais, c'est-à-dire produire de bons fruits.

S. Chrys. (Hom. 43 sur S. Matth). Quoique le fruit naisse de l'arbre, il le fait néanmoins connaître, en ce sens, que la nature, l'espèce d'un arbre se distinguent par ses fruits. - S. Cyr. Ainsi la vie de tout homme est l'expression véritable de ses moeurs, car ce n'est point aux ornements extérieurs, aux dehors d'une feinte humilité qu'on reconnaît l'éclat du vrai bonheur, mais par les oeuvres que chacun opère; vérité que le Sauveur confirme par ces paroles: «On ne cueille point de figues sur des épines». - S. Ambr. Ce n'est point parmi les épines de ce monde qu'on peut trouver ce figuier qui est l'image de la résurrection, parce que les seconds fruits en sont meilleurs que les premiers, ou encore, parce que, selon ces paroles du livre des Cantiques (Ct 2): «Les figuiers ont donné leurs premières figues», les fruits qu'ils ont donnés au temps de la synagogue, n'étaient ni mûrs, ni durables, ni utiles; ou bien encore, parce que notre vie ne parvient pas à sa maturité dans ce corps mortel, mais seulement dans sa résurrection. Nous devons donc rejeter loin de nous les sollicitudes de la terre qui déchirent l'âme et consument l'esprit, afin d'obtenir par nos soins assidus des fruits d'une maturité parfaite. Ainsi ces paroles se rapportent à la vie présente et à la résurrection, et les suivantes à l'âme et au corps. «On ne vendange point de raisin sur des ronces», c'est-à-dire, que le péché ne peut faire produire aucun fruit à l'âme qui, semblable au raisin, se corrompt si elle est trop près de la terre, et ne peut mûrir que dans les hauteurs; ou bien que personne ne peut échapper à la damnation de la chair, s'il n'est racheté par Jésus-Christ, qui, comme le raisin, a été suspendu sur le bois. - Bède. Ou bien encore, les épines et les ronces signifient les soucis du siècle et les atteintes perçantes des vices, tandis que les figues et le raisin représentent les douceurs de la vie nouvelle et l'ardeur de la charité. Or, on ne cueille point de figues sur les épines, ni de raisin sur les ronces, parce que l'âme qui est encore courbée sous le poids des habitudes du vieil homme, peut bien avoir l'apparence trompeuse de la fécondité, mais ne peut produire les fruits de l'homme nouveau. Remarquons encore que, de même que la branche féconde de la vigne, s'appuie et s'enlace aux buissons, de sorte que les épines supportent et conservent pour l'usage de l'homme, un fruit qui n'est pas le leur; ainsi les paroles ou les actions des méchants peuvent quelquefois être utiles aux bons, ce qui doit être attribué, non à la volonté des méchants, mais aux desseins providentiels de Dieu qui sait tirer le bien du mal.

S. Cyr. Après avoir montré que le bon et le méchant peuvent se reconnaître à leurs oeuvres, comme on reconnaît un arbre à ses fruits, Notre-Seigneur enseigne la même vérité sous une autre figure: «L'homme bon tire le bien du bon trésor de son coeur, et l'homme mauvais tire le mal du mauvais trésor de son coeur». - Bède. Le trésor du coeur est comme la racine de l'arbre; celui donc qui possède dans son coeur un trésor de patience et d'amour parfait, produit des fruits excellents en aimant ses ennemis et en pratiquant tous les divins enseignements qui précèdent; mais celui qui n'a dans son coeur qu'un trésor de méchanceté, agit d'une manière tout opposée. - S. Bas. De plus, la nature des paroles est un indice certain de l'état du coeur d'où elles sortent, et en révèle clairement les dispositions les plus intimes: «Car la bouche parle de l'abondance du coeur». - S. Chrys. (hom. 43 sur S. Matth). Lorsque la source intérieure du mal est abondante, par une conséquence naturelle, les paroles mauvaises s'exhalent des lèvres; aussi quand vous entendez un homme proférer des paroles coupables, ne croyez pas que la méchanceté de son coeur est simplement égale à la malignité de ses discours, mais concluez sans crainte de vous tromper, que la source est beaucoup plus abondante que le ruisseau. - Bède. Par les paroles qui sortent de la bouche, Notre-Seigneur a voulu désigner tout ce qui prend sa source dans notre coeur, c'est-à-dire, les paroles, les actions ou les pensées, car c'est la coutume des Écritures, d'employer les paroles pour les actes.


vv. 46-49

9646 Lc 6,46-49

Bède. Notre-Seigneur ne veut pas qu'on se fasse illusion sur le sens de ces paroles: «La bouche parle de l'abondance du coeur», comme s'il n'exigeait des vrais chrétiens que les paroles et non pas les oeuvres; il ajoute donc: «Pourquoi m'appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous point ce que je dis», c'est-à-dire: Pourquoi vous glorifiez-vous de produire les feuilles des louanges de Dieu, vous qui ne produisez aucun fruit de bonnes oeuvres. - S. Cyr. Celui qui a le souverain domaine sur toute la nature, a droit au nom et à la chose exprimée par le nom. - S. Athan. (Disc. cont. les sectat. de Sabell). Ce langage n'est pas celui d'un homme, mais celui d'un Dieu qui fait voir qu'il est engendré par le Père, car celui-là seul est Seigneur, qui tire son origine de l'unique et seul Seigneur; cependant ne craignez pas de dualité, car tous deux ont une seule et même nature.

S. Cyr. Le Sauveur nous fait ensuite connaître quels sont les avantages attachés à l'observation des commandements, et quel malheur menace ceux qui les transgressent: «Celui qui vient à moi et qui écoute mes paroles, est semblable à un homme qui bâtit sa maison sur la pierre». - Bède. Cette pierre, c'est Jésus-Christ; creuser bien avant, c'est à l'aide des préceptes de l'humilité, enlever du coeur des fidèles tout ce qui est terrestre, afin qu'ils servent Dieu pour des motifs tout spirituels. - S. Bas. (commenc. des Prov). Poser le fondement sur la pierre, c'est s'appuyer sur la foi de Jésus-Christ, pour demeurer ferme dans l'adversité, soit qu'elle vienne des hommes, soit qu'elle vienne de Dieu. - Bède. Ou bien encore, le fondement de la maison, c'est l'intention de mener une vie vertueuse, que le parfait disciple conçoit et place dans son âme pour accomplir fidèlement les préceptes de Jésus-Christ. - S. Ambr. Ou enfin, il veut nous enseigner que le fondement de toutes les vertus est l'obéissance aux commandements de Dieu, obéissance qui fait que la maison que nous bâtissons, ne peut être ébranlée ni par le torrent impétueux des passions, ni par la violence des esprits de malice, ni par les eaux entraînantes du monde, ni par les disputes ténébreuses des hérétiques, c'est pourquoi il ajoute: «Les eaux s'étant débordées», etc. - Bède. Ce débordement arrive de trois manières: sous l'influence des esprits immondes, par l'agitation des méchants, par le trouble de l'âme ou de la chair; plus les hommes mettent leur confiance dans leurs propres forces, plus aussi leur chute est grande, et plus ils s'appuient sur la pierre invincible, plus ils sont inébranlables.

S. Chrys. (Hom. 25 sur S. Matth). Notre-Seigneur nous enseigne encore que la foi ne sert de rien si la vie est souillée par des vices qui la déshonorent: «Celui qui écoute mes paroles sans les pratiquer, est semblable à un homme qui bâtit sa maison sur la terre sans fondement», etc. - Bède. Le monde qui est tout entier fondé sur le malin esprit (1Jn 5), est la maison du démon; il la bâtit sur la terre, parce qu'il détourne du ciel pour les ramener vers la terre ceux qui se rendent ses esclaves. Il bâtit sans fondement, parce que le péché n'a pas de fondement, il ne subsiste pas en lui-même et par sa propre nature; le mal, en effet, n'a point d'existence propre, c'est une négation, et de quelque manière qu'il arrive, il s'unit à la nature du bien; comme le mot fondement a pour étymologie le mot fond, on peut lui donner cette dernière signification; ainsi, de même que celui qui tombe dans un puits s'arrête nécessairement au fond, de même l'âme qui tombe dans le mal, s'arrête comme dans un espèce de fond, si elle ne dépasse pas une certaine mesure dans le mal qu'elle commet, mais lorsque, non contente du péché où elle est tombée, elle fait tous les jours de nouvelles et plus lourdes des chutes, elle ne trouve plus, pour ainsi dire, de fond qui l'arrête dans le puits où elle est tombée. Ainsi les méchants et ceux qui n'ont que l'apparence du bien, deviennent plus mauvais à chaque tentation qui vient fondre sur eux, jusqu'à ce qu'enfin ils tombent dans les châtiments éternels: «Le torrent est venu fondre sur cette maison et elle est tombée aussitôt», etc. Par ce fleuve qui se précipite avec violence, on peut entendre les suites du jugement dernier, alors que l'une et l'autre de ces deux maisons étant détruites, les impies iront à l'éternel supplice, et les justes dans la vie éternelle. - S. Cyr. Ou bien encore, ceux-là bâtissent sur la terre sans aucun fondement, qui posent sur le sable mouvant du doute et des opinions humaines, le fondement de l'édifice spirituel que quelques gouttes de tentations suffisent pour renverser.

S. Aug. (de l'acc. des Evang., 2, 14). L'exorde de ce long discours du Sauveur est le même dans saint Matthieu et dans saint Luc: «Bienheureux les pauvres». La plupart des enseignements qui suivent, sont également les mêmes dans les deux Évangélistes, et le discours se termine absolument de la même manière, par la comparaison de l'homme qui bâtit sur la pierre ou sur le sable. On serait donc autorisé à croire que saint Luc a rapporté ici le même discours que saint Matthieu, en omettant certaines maximes que saint Matthieu avait développées, pour en rapporter lui-même d'autres que saint Matthieu avait omises; mais on est arrêté par cette difficulté que, suivant saint Matthieu, lorsque le Seigneur fit ce discours, il était assis sur une montagne, tandis que d'après saint Luc, le Sauveur était alors debout dans la plaine. Cependant il est probable que ces deux discours eurent lieu à des époques peu éloignées, par la raison que les deux Évangélistes placent immédiatement avant et après ce discours des faits semblables ou même identiques. On peut aussi supposer que Notre-Seigneur s'est tenu d'abord seul avec ses disciples sur la partie la plus élevée de la montagne, lorsqu'il fit choix parmi eux des douze Apôtres, et qu'il est ensuite descendu du sommet de la montagne dans la plaine, c'est-à-dire, sur un plateau qui se trouvait à mi-côte et qui pouvait contenir une grande multitude. C'est là qu'il s'est tenu debout jusqu'à ce que la foule fût assemblée autour de lui, puis lorsqu'il se fut assis, ses disciples s'approchèrent de lui, et c'est devant eux et en présence de tout le peuple réuni, qu'il fit ce seul et même discours qui est rapporté par les deux Évangélistes.


CHAPITRE VII


vv. 1-10

9701 Lc 7,1-10

Tite de Bostr. Après avoir nourri ses disciples des leçons de la perfection chrétienne, Notre-Seigneur vient à Capharnaüm pour y opérer des prodiges: «Après qu'il eut achevé tout ce discours, il vint à Capharnaüm». - S. Aug. (de l'acc. des Ev., 2, 20). Nous voyons ici que le Sauveur n'entra dans Capharnaüm qu'après avoir terminé son discours, mais l'Évangéliste ne dit pas quel temps s'est écoulé entre la fin du discours et l'entrée de Jésus dans la ville, car c'est dans cet intervalle que fut guéri le lépreux, dont saint Matthieu place ici la guérison. - S. Ambr. Par un admirable rapprochement, Notre-Seigneur, après avoir fait connaître les obligations de la vie chrétienne, enseigne la manière de les accomplir; en effet, on vient aussitôt lui demander la guérison du serviteur d'un centurion: «Or, un centurion avait un serviteur malade», etc. L'Évangéliste ne s'est pas trompé, en disant qu'il allait mourir; il serait mort en effet, si Jésus ne l'avait guéri. - Eusèbe. Le Centurion était renommé par sa bravoure dans les combats, et commandait une compagnie de soldats romains. Un de ses serviteurs, attaché spécialement à sa personne, était tombé malade; ce centurion, considérant la puissance que Jésus déployait pour guérir d'autres maladies, et jugeant bien que ces miracles étaient supérieurs aux forces de la nature humaine, envoie vers lui quelques-uns des anciens des Juifs comme à un Dieu, sans être arrêté par les dehors de l'humanité dont le Sauveur s'était revêtu pour entrer en communication avec les hommes: «Ayant entendu parler de Jésus, il envoya vers lui quelques-uns des anciens», etc. - S. Aug. (de l'acc. des Ev., 2, 20). Mais comment concilier ces paroles avec le récit de saint Matthieu, où nous lisons «Un centurion s'approcha de lui», puisqu'en réalité il ne vint point le trouver? En examinant sérieusement cette difficulté, nous sommes amenés à conclure que saint Matthieu s'est conformé ici au langage ordinaire; si, en effet, on peut dire qu'on parvient jusqu'à quelqu'un par le moyen d'autres personnes, à plus forte raison, on peut dire qu'on s'en approche par l'intermédiaire de ces mêmes personnes. Ainsi, quoique le centurion ait député vers Jésus quel ques-uns des anciens des Juifs, saint Matthieu a pu dire, pour abréger, que le centurion s'était plus approché lui-même de Jésus-Christ, que ceux qu'il avait chargés de sa requête, car plus sa foi fut vive, plus aussi il s'approcha de Jésus. - S. Chrys. (hom. 27 sur S. Matth). Comment concilier encore le récit de saint Matthieu, où le centurion dit lui-même à Jésus: «Je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit», avec le récit de saint Luc, où il prie Jésus de venir chez lui? Je réponds que saint Luc, à mon avis, a voulu nous représenter les flatteries des Juifs. Il est probable, en effet, que le centurion voulait aller lui-même trouver Jésus, et qu'il en fut détourné par le langage flatteur des Juifs qui lui dirent: «Nous irons et nous vous l'amènerons chez vous». Voyez, en effet, comme ils mêlent à la prière qu'ils font à Jésus, l'éloge du centurion: «Et étant venus trouver Jésus, ils le prièrent avec grande instance en disant: il mérite que vous lui fassiez cette grâce». Ils auraient dû bien plutôt dire: Il voulait venir vous trouver et vous prier lui-même, mais nous l'en avons détourné en voyant son affliction et ce pauvre malade étendu chez lui sur son lit de douleur; ils auraient ainsi fait ressortir la grandeur de sa foi. Mais ils se gardent bien de tenir un pareil langage, ils ne voulaient pas faire connaître la foi de cet homme, retenus par l'envie qui les dévorait, dans la crainte de faire éclater la grandeur de celui à qui une semblable prière était adressée. Il n'y a du reste auc une contradiction entre ce que rapporte saint Matthieu, que ce Centurion n'était point Israélite, et ce que disent ici les anciens des Juifs d'après saint Luc: «Il nous a bâti une synagogue», car il pouvait bâtir une synagogue sans être du peuple juif. - Bède. Nous voyons ici que les Juifs appelaient synagogue, comme nous appelons Église, non seulement l'assemblée des fidèles, mais encore le lieu où ils se réunissaient.

Eusèbe. Les anciens des Juifs demandent cette grâce pour le centurion, en reconnaissance des sommes modiques qu'il avait pu donner pour la construction de la synagogue; mais le Seigneur se rend à des motifs d'un ordre plus élevé, il veut engendrer la foi dans le coeur des hommes par la manifestation de sa puissance: «Jésus s'en alla donc avec eux». - S. Ambr. S'il agit de la sorte, ce n'est point qu'il ne pût guérir cet homme sans aller le trouver, mais parce qu'il voulait nous donner un exemple d'humilité. Il ne voulut point aller dans la maison de l'officier du roi qui l'en priait po ur son fils, afin de ne point paraître céder à l'influence de sa position et de ses richesses; il consent ici à se rendre dans la maison du centurion, pour qu'on ne prit supposer qu'il méprisait l'humble condition de son serviteur. Le centurion, de son côté, dépose toute fierté militaire, plein de respect et de foi, il s'empresse de rendre au Sauveur l'honneur qui lui est dû: «Il n'était plus loin de la maison, lorsque le centurion envoya lui dire: Ne prenez pas tant de peine, car je ne suis pas digne», etc. Il savait, en effet, que ce n'était point par une puissance naturelle, mais par la toute-puissance de Dieu que Jésus-Christ guérissait les hommes. Les Juifs, en pressant Jésus de venir, avaient donné pour motif qu'il était digne de cette grâce; le centurion se reconnaît indigne, non-seulement du bienfait qu'il sollicite, mais encore de recevoir le Seigneur: «Je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit». - S. Chrys. (hom. 27). Aussitôt qu'il fut délivré de l'ennuyeuse importunité des Juifs, il envoie dire à Jésus: Ce n'est point par négligence que je ne suis pas venu vous trouver moi-même, mais parce que je me suis cru indigne de vous recevoir dans ma maison.

S. Ambr. Saint Luc rapporte que le centurion envoya ses amis à la rencontre de Jésus, pour ne point paraître blesser par sa présence la modestie du Sauveur, et provoquer sa bonté par cette démarche: «C'est pourquoi, dit-il, je ne me suis pas cru digne d'aller moi-même vous trouver, mais dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri». - S. Chrys. (hom. 27 sur S. Matth). Considérez quelle idée juste et convenable le Centurion a du Seigneur, il ne lui dit pas: Priez, mais: «Ordonnez», et dans la crainte qu'il ne refusât par un sentiment d'humilité, il ajoute: «Car moi qui suis soumis à la puissance d'un autre», etc.
- Bède. Il déclare qu'il n'est qu'un homme soumis à l'autorité du tribun ou du gouverneur, et que cependant il commande à d'autres qui sont au-dessous de lui; donc, à plus forte raison, celui qui est Dieu, peut faire ce qu'il veut, non seulement par sa présence corporelle, mais encore par le ministère des anges; car c'est par la parole du Seigneur et par le ministère des anges, que les maladies du corps devaient être guéries, et les puissances ennemies mises en fuite.

S. Chrys. (de la nat. incompréhens. de Dieu, disc. 6). Remarquons encore que cette parole «Faites», exprime un ordre donné à un serviteur; aussi, lorsque Dieu voulut créer l'homme, il ne dit point à son Fils unique: Faites l'homme, mais: «Faisons l'homme», indiquant ainsi l'égalité de rang et d'honneur par cette parole de conseil et d'accord mutuel. C'est donc parce qu'il reconnaissait dans Jésus-Christ la souveraine puissance, qu'il s'exprime de la sorte: «Dites seulement une parole, car moi, je dis à mon serviteur», etc. Aussi Jésus, loin de le reprendre, le confirme dans cette pensée: «Ce qu'ayant entendu, Jésus fut dans l'admiration». - Bède. Qui donc avait produit dans le centurion cette foi vive, si ce n'est celui-là même qui l'admirait; et quand un autre en eût été l'auteur, pourquoi cette admiration dans celui qui connaissait par avance la foi de cet homme? Si donc le Seigneur se laisse aller à l'admiration, c'est pour nous faire partager le même sentiment, car toutes ces émotions de l'âme, lorsqu'on les attribue à Dieu, ne sont point un signe de trouble intérieur, mais une leçon salutaire qu'il nous donne.

S. Chrys. (hom. 27 sur S. Matth). Pour vous rendre plus certain que Notre-Seigneur, en parlant de la sorte, voulait instruire ceux qui étaient présents, l'Évangéliste exprime clairement ce but en ajoutant; «Je vous le dis en vérité, je n'ai pas trouvé une si grande foi, même en Israël». - S. Ambr. Si vous lisez: «Je n'ai trouvé chez personne autant de foi dans Israël», le sens est simple et facile, mais si vous lisez selon le texte grec: «Je n'ai pas trouvé une si grande foi, même dans Israël», la foi de cet homme est mise au-dessus même des élus et de ceux qui voient Dieu. - Bède. Notre-Seigneur ne veut point parler ici de tous les patriarches et des prophètes des siècles passés, mais des hommes du temps présent, dont la foi est mise bien au-dessous de celle du centurion, parce qu'ils avaient reçu les enseignements de la loi et des prophètes, tandis que cet homme avait cru spontanément, et sans avoir aucun maître. - S. Amb. En même temps que le Sauveur donne des éloges à la foi du maître, il rend la santé au serviteur: «De retour à la maison, ceux que le centurion avait envoyés, trouvèrent le serviteur qui avait été malade, guéri». Le mérite du maître peut donc profiter aux serviteurs, non seulement le mérite de la foi, mais encore le zèle pour la vertu. - Bède. Saint Matthieu s'étend davantage sur les circonstances de la guérison de ce serviteur, au moment même où Jésus dit à son maître: «Allez, qu'il vous soit fait selon ce que vous avez cru»; mais saint Luc a pour habitude d'abréger ou même d'omettre entièrement ce qu'il trouve suffisamment exposé par les autres Évangélistes, et de développer lui-même avec plus de soin ce qu'ils ont omis ou ce qu'ils n'ont fait qu'indiquer.

S. Ambr. Dans le sens mystique, le serviteur du centurion représente le peuple des nations qui, enchaîné dans les liens de la servitude du monde, en proie à la maladie mortelle de ses passions, attend sa guérison de la miséricorde du Seigneur. - Bède. Le centurion, dont la foi est mise au-dessus de la foi d'Israël, représente les élus d'entre les Gentils, qui, entourés des vertus spirituelles comme d'une cohorte de cent soldats, s'élèvent à une perfection sublime, car le nombre cent, qui s'écrit de gauche à droite, figure ordinairement la vie céleste. Il faut de semblables intercesseurs à ceux que l'esprit de servitude tient courbés sous le joug de la crainte (Rm 8); pour nous qui avons embrassé la foi parmi les Gentils, nous ne pouvons aller nous-mêmes au Seigneur, que nous ne pouvons voir dans sa chair, mais nous devons nous approcher de lui par la foi. Députer vers Jésus les anciens des Juifs, c'est conjurer les saints personnages de l'Église qui nous ont précédés de vouloir bien être nos patrons, et d'intercéder pour nos péchés, en nous rendant le témoignage que nous prenons soin d'édifier l'Église. L'Évangéliste fait remarquer que Jésus n'était pas loin de la maison, parce que son salut est près de ceux qui le craignent, et le fidèle observateur de la loi naturelle s'approche d'autant plus de celui qui est bon par essence, qu'il pratique plus exactement le bien qu'il connaît. - S. Ambr. Le centurion ne veut pas qu'on tourmente Jésus par des instances, parce que le peuple des nations désire préserver de tout mal celui que le peuple juif a crucifié. Enfin (dans un sens mystérieux), il vit que le Christ ne pouvait encore pénétrer dans le coeur des Gentils. - Bède. Les soldats et les serviteurs qui obéissent au centurion, sont les vertus naturelles dont un grand nombre de ceux qui viennent trouver le Seigneur, portent avec eux la riche abondance.

Théophyl. Ou bien encore, ce centurion représente l'intelligence, qui est comme le chef d'une foule d'actions mauvaises, chargée qu'elle est en cette vie d'une multitude de choses et d'affaires qui l'absorbent tout entier. Elle a pour serviteur la partie de l'âme qui est dépourvue de raison (c'est-à-dire, la partie irascible et concupiscible). Elle envoie vers Jésus des Juifs comme médiateur, c'est-à-dire, des pensées et des paroles de confession et de louange, et elle obtient aussitôt la guérison de son serviteur.



Catena Aurea 9637