Catena Aurea 6724

vv. 24-30

6724 Mc 7,24-30

Théophyl. Après les enseignements que Notre-Seigneur vient de donner aux Juifs sur les aliments, la vue de leur incrédulité lui fait franchir les confins des pays idolâtres, et puisqu'ils persévèrent dans leur infidélité, le salut va trouver les Gentils: «Et partant ensuite de là, il s'en alla sur les confins de Tyr et de Sidon». - S. Chrys. Tyr et Sidon étaient des villes habitées par des Chananéens. Le Seigneur vient donc les trouver, non comme des alliés, mais comme des gens qui n'avaient rien de commun avec les patriarches auxquels les promesses avaient été faites. Aussi en arrivant au milieu d'eux, il fait en sorte que les Tyriens et les Sidoniens ne connussent pas son arrivée: «Et étant entré dans une maison, il voulut que personne ne le sût». En effet, l e temps n'était pas encore venu où il devait habiter ouvertement au milieu des Gentils, et leur apporter la foi, ce temps ne devait arriver qu'après sa mort sur la croix et sa résurrection. - Théophyl. Ou bien il vient secrètement dans ce pays pour ne point donner lieu aux Juifs de l'accuser d'être entré en relation avec des peuples qu'ils considéraient comme immondes.

«Et il ne put demeurer caché». - S. Aug. (Quest. sur l'Anc. et le Nouv. Test., 2, 77). S'il ne l'a pu, et cependant qu'il l'ait voulu, sa volonté a donc été impuissante. Mais il est impossible que la volonté du Sauveur n'ait pas son effet, et il ne peut d'ailleurs vouloir que ce qui doit se faire; il faut donc admettre qu'il a voulu tout ce qui s'est fait. Il faut remarquer que cette action se passa sur les confins de la Gentilité, à laquelle l'Évangile ne devait pas encore être prêché; cependant on ne pouvait, sans être accusé de jalousie, ne pas accueillir ceux qui venaient spontanément pour embrasser la foi. Voilà pourquoi ce ne furent pas les disciples qui firent connaître la venue du Sauveur; mais ceux qui le virent entrer dans la maison et qui répandirent le bruit de son arrivée. Il ne voulait pas que ses disciples le fissent connaître, mais il voulait être recherché, et c'est ce qui eut lieu en effet. - Bède. Lorsqu'il fut entré dans cette maison, il défendit à ses disciples de dire à aucun habitant de ce pays inconnu qui il était. Il voulait ainsi leur apprendre, en leur donnant le pouvoir de guérir les malades, à fuir autant qu'ils le pourraient la gloire humaine dans les miracles qu'ils pourraient faire, et cependant à ne point refuser le pieux exercice de leur puissance, lorsqu'il serait justement réclamé par la foi des âmes justes, ou que l'infidélité des méchants les forcerait d'en faire usage. C'est ainsi qu'il fit connaître son arrivée dans ce pays à cette femme et à tous ceux qu'il en avait jugé dignes.

S. Aug. (Quest. sur le Nouv. et l'Anc. Test). Aussitôt que cette femme connut son arrivée, elle s'empressa de venir le trouver, et certainement elle n'eût pas obtenu cette grâce, si elle ne se fût auparavant soumise par la foi au Dieu des Juifs: «Cette femme, aussitôt qu'elle eut appris», etc. - S. Chrys. (comme précéd). Le Sauveur enseignait à ses disciples, dans sa conduite à l'égard de cette femme, qu'il ouvrait aux païens eux-mêmes la porte du salut. C'est pour cela que l'Évangéliste prend soin de faire connaître le peuple auquel elle appartenait: «C'était une femme païenne syrophénicienne de nation; elle le priait de chasser le démon hors de sa fille», etc. - S. Aug. (De face, des Evang., 2, 49). Il semble qu'il y ait une espèce de contradiction entre saint Marc, qui rapporte que cette femme vint trouver le Seigneur dans la maison pour le prier; et saint Matthieu, dans lequel nous lisons que les disciples disaient à Jésus: «Renvoyez-la, parce qu'elle crie derrière nous» (Mt 15). Or, saint Matthieu ne veut dire ici qu'une chose: c'est que cette femme suivait le Sauveur en lui adressant ses supplications. Mais comment saint Marc remarque-t-il de son côté que c'était dans la maison? Le voici: Saint Marc rapporte que cette femme entra dans la maison où était Jésus, parce qu'il venait de dire que Jésus s'y trouvait; mais saint Matthieu, en faisant remarquer que le Sauveur ne lui répondit pas un seul mot, nous donne à entendre que Jésus sortit de la maison sans lui avoir répondu, et c'est ainsi qu'on peut lier au récit de saint Marc celui de saint Matthieu, qui ne présente plus l'ombre même de contradiction.

«Jésus lui dit: Laissez d'abord rassasier les enfants». - Bède. C'est-à-dire: Un jour viendra ou vous aurez part aussi vous-mêmes au salut; mais il faut d'abord rassasier du pain céleste les Juifs qui, par suite du choix ancien que Dieu a fait de leurs pères, sont appelés les enfants de Dieu, et ce n'est qu'ensuite que la nourriture de la vie sera distribuée aux Gentils: «Car il n'est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens», etc. - S. Chrys. Ce refus n'est pas un aveu de l'impuissance où il était de répandre ses faveurs sur tous les hommes, mais il craignait qu'en distribuant également ses bienfaits aux Juifs et aux Gentils qui n'avaient entre eux aucun rapport, il n'augmentât la rivalité qui les séparait. - Théophyl. Il donne le nom de chiens aux Gentils, que les Juifs regardaient comme coupables de tous les crimes, et le pain dont il parle, ce sont les grâces que le Seigneur a promises aux enfants, c'est-à-dire aux Juifs. Le véritable sens de ces paroles, c'est donc qu'il ne convenait pas de donner d'abord aux Gentils ce qui avait été promis surtout aux Juifs. Notre-Seigneur n'exauce pas aussitôt la prière de cette femme; il diffère de lui accorder la grâce qu'elle sollicite. Il veut ainsi faire éclater la persévérance de sa foi et nous apprendre à ne pas nous décourager quand nous prions, et à persévérer jusqu'à ce que nous soyons exaucés. S. Chrys. Il voulait encore montrer aux Juifs qu'il ne traitait pas les étrangers comme eux dans la distribution de ses grâces, et rendre plus visible l'incrédulité des Juifs en l'opposant à la foi de cette femme. En effet, elle ne s'offensa pas de la réflexion du Sauveur, mais elle la reçut avec un profond respect: «Elle répondit, et lui dit: Il est vrai, Seigneur, cependant les petits chiens m angent sous la table les miettes des enfants». - Théophyl. C'est-à-dire: Les Juifs possèdent tout entier le pain qui est descendu du ciel et la plénitude de vos grâces; moi, je ne demande que les miettes de ce pain, c'est-à-dire la plus petite partie de vos bienfaits. - S. Chrys. (comme précéd). C'est par un sentiment de respect qu'elle consent à descendre au rang des chiens, et elle semble dire: Je regarde comme une faveur d'être du nombre des chiens et de manger les restes non d'une table étrangère, mais de la table de mon maître.

Théophyl. Cette réponse pleine de sagesse lui mérite la grâce qu'elle demandait: «Et il lui dit: A cause de cette parole, allez, le démon est sorti de votre fille». Il ne lui dit pas: C'est ma puissance qui vous a sauvée; mais: «A cause de ces paroles (c'est-à-dire pour récompenser votre foi qui vous a inspiré ce langage), allez, le démon est sorti de votre fille».

«Et lorsqu'elle revint dans sa maison, elle trouva que le démon était sorti». - Bède. C'est le langage plein d'humilité et de foi de la mère qui fit sortir le démon du corps de sa fille: exemple qui confirme l'usage de catéchiser et de baptiser les enfants qui dans le baptême sont délivrés de la puissance du démon par la foi et la vie chrétienne de leur s parents dans un âge où ils sont incapables par eux-mêmes de connaître ou de faire le bien ou le mal.

S. Jér. Dans le sens allégorique, cette femme païenne qui vient prier le Sauveur pour sa fille; c'est notre mère l'Eglise romaine; sa fille, qui est sous l'empire du démon, ce sont les peuples barbares de l'Occident, dont la foi a fait des brebis, de chiens qu'ils étaient; ce qu'ils désirent pour leur nourriture, c'est non pas les morceaux de pain que la lettre pourrait leur rompre, mais les miettes de l'interprétation spirituelle. - Théophyl. Cette femme représente encore l'âme de chacun de nous lorsqu'elle vient à pécher; sa fille malade, ce sont les actions coupables, et cette fille est possédée du démon, parce que les actions vicieuses appartiennent au démon. Les pécheurs sont comparés à des chiens couverts de souillures; et c'est ce qui nous rend indignes de recevoir le pain de Dieu et de participer aux mystères si purs de la religion immaculée. Mais si nous reconnaissons humblement que nous méritons d'être comparés à des chiens, et que nous confessions sincèrement nos péchés, alors notre fille, c'est-à-dire nos oeuvres mauvaises seront guéries.


vv. 31-37

6731 Mc 7,31-37

Théophyl. Notre-Seigneur ne voulut pas rester plus longtemps parmi les Gentils, pour ne pas donner occasion aux Juifs de l'accuser d'être un transgresseur de la loi, en se mêlant aux idolâtres: «Et quittant de nouveau les confins de Tyr», etc. La Décapole est une contrée qui comprend dix villes situées au delà et à l'est du Jourdain en face de la Galilée. Lors donc que l'Évangéliste rapporte que Notre-Seigneur est venu à la mer de Galilée, au milieu du pays de la Décapole, il ne veut pas dire qu'il est entré sur les confins de la Décapole même, puisqu'il ne lui fait pas traverser la mer, mais qu'il est venu jusqu'au bord de la mer, dans un endroit d'où au delà de la mer il pouvait apercevoir les confins de la Décapole.

«Et on lui amena un sourd-muet», etc. - Théophyl. Ce fait trouve sa place naturelle après la délivrance du possédé, car cette infirmité venait du démon.

«Et le tirant à part hors de la foule»,etc. - Jésus mène hors de la foule ce sourd-muet qui lui est présenté, parce qu'il ne veut pas opérer ce miracle aux yeux de tous, et il nous apprend ainsi à fuir la vaine gloire et tout sentiment d'orgueil, car il n'y a rien qui puisse attirer davantage la grâce de faire des miracles, comme l'humilité et la modestie. Il met ses doigts dans les oreilles de cet homme, lui qui pouvait le guérir d'une seule parole, pour montrer que ce corps qui était uni à la divinité, était revêtu ainsi que ses actions d'une puissance toute divine. Par suite du péché d'Adam, la nature humaine avait été condamnée à de nombreuses infirmités, et l'homme était profondément blessé dans ses membres et dans ses sens; Jésus-Christ est donc venu pour nous montrer en lui-même la nature humaine rétablie dans sa perfection; et c'est la raison pour laquelle il ouvre les oreilles avec ses doigts, et lui rend l'usage de la parole au moyen de la salive: «Il toucha sa langue avec de la salive». - Théophyl. Il prouvait ainsi que tous les membres de son corps sacré étaient saints et divins, et qu'il en était de même de cette salive qui délia la langue du sourd-muet; toute salive, en effet, est une superfluité; mais dans le Sauveur, tout revêtait une puissance divine.

«Et levant les yeux au ciel, il poussa un soupir», etc. - Bède. Il lève les yeux au ciel pour nous apprendre que c'est de là que les muets doivent attendre la parole, les sourds l'ouïe, et tous les malades leur guérison. Il gémit, non que ce gémissement fût nécessaire pour obtenir ce qu'il demandait à son Père, avec lequel il exauce lui-même toutes les prières, mais pour nous apprendre que c'est avec des gémissements qu'il faut implorer le secours de la miséricorde divine pour nos péchés ou pour les péchés des autres. - S. Chrys. (comme precéd). Il gémit encore, parce qu'il s'est chargé de nos intérêts, et qu'il est touché de compassion pour notre nature, en voyant la profonde misère dans laquelle le genre humain était tombé. - Bède. Cette parole: Ephphetha (c'est-à-dire ouvrez-vous) s'applique plus particulièrement aux oreilles, puisqu'il fallait les ouvrir pour les rendre capables d'entendre, tandis que la langue, pour recouvrer l'usage de la parole, devait voir tomber les liens qui la retenaient captive: «Et aussitôt ses oreilles s'ouvrirent, sa langue se délia, et il parlait distinctement». Nous voyons ici clairement les deux natures distinctes dans la seule personne de Jésus-Christ; il lève les yeux au ciel en tant qu'il est homme; mais aussitôt d'un seul mot, auquel il communique une puissance toute divine, il rend à cet homme l'usage de l'ouïe et de la parole.

«Et il leur défendit d'en rien dire à personne». - S. Jér. Il nous apprenait ainsi à no us glorifier, non dans notre puissance ou dans notre vertu, mais dans la croix et l'humiliation. - S. Chrys. (comme précéd). Il défend encore de publier ce miracle, pour ne pas exciter avant le temps marqué dans les Juifs l'envie qui devait les rendre coupables de déicide. - S. Jér. Mais une ville qui est située sur une montagne et qui est aperçue de tous côtés ne peut rester cachée, et l'humilité est toujours suivie de la gloire (Pr 15, 33). Aussi: «Plus il le leur défendait, et plus ils le publiaient», etc. - Théophyl. Apprenons de là, lorsque nous avons fait quelque bien à l'un de nos frères, à ne point rechercher les applaudissements et les louanges; et au contraire, quand nous recevons un bienfait à proclamer et à louer nos bienfaiteurs, même malgré leur volonté. - S. Aug. (De l'acc. des Evang). Mais puisque Jésus, qui connaît comme présentes les intentions futures des hommes, savait qu'ils publieraient d'autant plus ce miracle qu'il le leur défendait; pourquoi leur faisait-il cette défense? C'était pour apprendre aux âmes négligentes avec quel zèle et quel empressement elles doivent publier ses bienfaits, quand il leur en fait un devoir, puisque ceux mêmes à qui il défend d'en parler ne peuvent garder le silence. - La Glose. A mesure que le bruit des guérisons opérées par Jésus-Christ se répandait, l'admiration de la foule croissait, et elle proclamait hautement ses bienfaits: «Et leur admiration allait toujours croissant, et ils disaient: Il a bien fait toutes choses, il a fait parler les muets et entendre les sourds».

S. Jér. Dans le sens allégorique, Tyr, qui signifie endroit resserré, représente la Judée à qui le Seigneur dit par son prophète: «La couche est trop étroite»; et c'est ce qui le force de se transporter chez d'autres nations. Sidon veut dire chasse. L'animal indompté qu'il faut prendre, c'est notre nation, et la mer figure l'inconstance et la mobilité du monde. C'est au milieu de la Décapole qui représente les dix commandements, que le Sauveur vient pour sauver les nations. - Le genre humain, composé d'une multitude de membres et semblable à un homme affecté de diverses infirmités, se trouve figuré dans le premier homme; il devient aveugle tout en voyant, sourd en entendant, muet tout en parlant. On vient prier le Seigneur de lui imposer les mains; ce sont les patriarches et les justes qui désiraient si vivement voir s'accomplir son incarnation. - Bède. Ou bien encore, cet homme sourd-muet, c'est celui qui n'a point d'oreilles pour entendre les paroles de Dieu, ni l'usage de la langue pour les annoncer aux autres; et ceux qui depuis longtemps ont appris à entendre et à parler ce langage divin doivent s'empresser d'amener ces infirmes au Seigneur pour qu'il les guérisse. - S. Jér. Mais il faut tout d'abord s'arracher aux pensées tumultueuses, aux actions coupables et aux paroles déréglées, si l'on veut obtenir sa guérison. Les doigts que le Sauveur met dans les oreilles du sourd-muet sont les paroles ou les dons de l'Esprit saint dont il est dit: «Le doigt de Dieu est ici». La salive, c'est la divine sagesse qui ouvre les lèvres longtemps fermées du genre humain, de manière à ce qu'il puisse dire: «Je crois en Dieu le Père tout-puissant». Il pousse un soupir en levant les yeux au ciel, et il nous enseigne la pratique des saints gémissements, et aussi à élever vers le ciel les trésors de notre coeur, car ce sont les gémissements de la componction qui purifient les joies frivoles de la chair. Les oreilles s'ouvrent aux hymnes, aux cantiques et aux psaumes. Le Seigneur délie la langue pour qu'elle puisse faire entendre la bonne parole sans crainte ni des menaces, ni des supplices.


CHAPITRE VIII


vv. 1-9

6801 Mc 8,1-9

Théophyl. Après le premier miracle de la multiplication des pains, Notre-Seigneur profite d'une occasion convenable pour faire un miracle semblable: «En ce jour-là, comme la multitude était grande», etc. L'objet de ses miracles n'était pas toujours de procurer de la nourriture au peuple qui l'aurait alors suivi pour un motif trop intéressé. Et dans cette circonstance même, il n'eut pas fait ce miracle, s'il n'eût pas vu ce peuple en danger: «Et si je les renvoie sans leur donner de nourriture, ils tomberont de défaillance en chemin; car plusieurs d'entre eux sont venus de loin». - Bède. Saint Matthieu nous donne plus clairement la raison pour laquelle ils étaient venus de si loin, et restaient depuis trois jours près du Sauveur: «Et étant monté sur la montagne, nous dit-il, il s'y assit, et une grande multitude s'approcha de lui, ayant avec elle des muets, des aveugles, des boiteux, des infirmes, et beaucoup d'autres malades; et on les mit à ses pieds et il les guérit».

Théophyl. Ses disciples ne comprenaient pas encore, et malgré les premiers miracles, ils ne croyaient pas encore à sa puissance divine: «Et ses disciples lui répondirent: Comment pourrait-on les rassasier de pain dans le désert ?»Toutefois, le Sauveur ne leur fait point de reproche, et il nous apprend à ne pas nous laisser aller à l'indignation et à la colère contre les ignorants et ceux qui n'ont point d'intelligence, mais plutôt à compatir à leur ignorance: «Et il les interrogea: Combien avez-vous de pains? Ils répondirent, sept». - Rémi. (sur S. Matth). S'il les interroge, ce n'est pas qu'il ignorât lui-même ce qu'ils avaient de pains, mais il voulait que leur réponse, en constatant le petit nombre de pains qu'ils avaient, rendit le miracle plus digne de foi et plus éclatant: «Et il commanda à la multitude de s'asseoir sur la terre». Lors de la première multiplication des pains, il la fit asseoir sur le gazon (Mt 14, 18; Lc 9, 13; Jn 6), ici il la fait asseoir sur la terre: «Et prenant sept pains, il les rompit en rendant grâces», etc. En rendant ainsi grâces, il nous apprend par son exemple à toujours rendre grâces à Dieu de toutes les faveurs que nous en recevons. Remarquons encore que ce n'est pas entre les mains de la foule, mais dans celles des disciples que Notre-Seigneur remet les pains, afin qu'ils les distribuent à la multitude: «Il les rompit et les donna à ses disciples, et les disciples les distribuèrent au peuple. Ce ne sont pas seulement les pains, mais les poissons qu'il leur ordonne de distribuer après les avoir bénis: «Ils avaient en outre quelques petits poissons», etc. - Bède. Le récit de ce miracle nous donne lieu de constater les opérations distinctes de la divinité et de l'humanité dans la seule et même personne de notre Rédempteur, et par conséquent, de rejeter bien loin du symbole des chrétiens et du sein même du christianisme, l'erreur d'Eutichès, qui osait avancer qu'il n'y avait en Jésus-Christ qu'une seule opération. Qui ne voit en effet que le sentiment de pitié que Notre-Seigneur éprouve pour cette multitude, est un sentiment de compassion propre à la nature humaine? Mais qui ne voit en même temps que rassas ier quatre mille hommes avec sept pains et quelques poissons, est une oeuvre de la puissance divine ?

«Et de ce qui restaient de morceaux, ils remportèrent sept corbeilles». Cette multitude qui vient de manger et de se rassasier n'emporte pas avec elles les restes des pains, mais elle les laisse recueillir par les disciples dans des corbeilles, comme précédemment, et cette circonstance expliquée dans le sens littéral, nous apprend à être contents du nécessaire, et à ne jamais rechercher rien au delà. L'Évangéliste nous fait ensuite connaître le nombre de ceux qui ont été rassasiés: «Or ceux qui mangeaient étaient environ quatre mille, et il les renvoya». Considérons ici que Notre-Seigneur Jésus-Christ ne veut renvoyer personne à jeun, car il veut au contraire donner à tous les hommes la nourriture de sa grâce. - Bède. Dans le sens figuré, il y a cette différence entre ce second miracle et la première multiplication des cinq pains et des deux poissons, que la première figure la lettre de l'Ancien Testament qui était comme pleine de la grâce spirituelle du nouveau, tandis que la seconde représentait la vérité et la grâce du Nouveau Testament abondamment communiquées aux fidèles. La multitude qui, au témoignage de saint Matthieu, attend trois jours la guérison de ses malades (Mt 15) représente les élus dans la foi de la sainte Trinité qui implorent le pardon de leurs péchés par une prière persévérante, ou ceux qui se convertissent au Seigneur par leurs pensées, leurs paroles et leurs actions. - theoph. Ou bien encore, ce peuple qui attend trois jours, figure ceux qui ont reçu le baptême, car le baptême est appelé illumination, et on l'administre par une triple immersion.

S. Grég. (Moral, 1, 8). Il ne veut point renvoyer cette multitude sans qu'elle ait mangé de peur que plusieurs ne succombent en route: Il faut en effet que l'homme reçoive par la prédication la parole de la consolation, ou alors n'étant plus soutenu par la nourriture de la vérité, il est exposé à succomber sous le poids des fatigues de cette vie. - S. ambr. (sur S. Luc, 9) Le Seigneur, plein de bonté, demande le zèle, mais il donne la force nécessaire, il ne veut pas les renvoyer sans nourriture, de peur qu'ils ne succombent en chemin, c'est-à-dire, ou dans le cours de cette vie, ou avant d'arriver au terme de leur course, c'est-à-dire, au Père, et de comprendre que c'est du Père qu'est sorti le Christ, car il est à craindre qu'en croyant qu'il est né de la Vierge, ils ne reconnaissent en lui que la puissance de l'homme, et non la toute puissance de Dieu. Notre-Seigneur Jésus-Christ partage donc la nourriture, il veut la distribuer à tous sans exception, il en est le dispensateur universel; mais lorsqu'il rompt les pains et les donne à ses disciples, si vous n'étendez pas les mains pour recevoi r votre nourriture, les forces vous manqueront en chemin, et vous ne pourrez en accuser celui qui, dans un sentiment de compassion, vous avait préparé le pain qui devait vous soutenir.

Bède. Ceux qui après les crimes de chair, après les vols, les violences et les homicides, reviennent à Dieu par la pénitence, viennent de loin trouver le Seigneur; car plus ils se sont égarés dans la voie du vice, plus ils se sont éloignés du Dieu tout-puissant. Ceux qui parmi les gentils ont embrassé la foi, sont venus de loin à Jésus-Christ, tandis que les Juifs, à qui la loi et les prophètes avaient donné la connaissance du Christ, sont venus de près. Lors de la multiplication des cinq pains, la multitude s'assied sur le gazon, ici elle s'assied sur la terre; cela signifie au figuré, que la loi commandait de comprimer les désirs de la chair, mais dans le Nouveau Testament, nous devons y ajouter le mépris de la terre et des biens temporels.

Théophyl. Les sept pains sont tous les discours qui viennent de l'Esprit saint, car le nombre sept qui partage toute notre vie en périodes égales et parfaites, est le symbole de l'Esprit saint qui est le principe de toute perfection. - S. Jér. Ou bien les sept pains représentent les dons de l'Esprit saint, et les morceaux qui restent sont les significations mystiques de ces sept dons du Saint-Esprit. - Bède. Notre-Seigneur rompt les pains en figure des mystères qu'il devait révéler. Il rend grâces, pour nous montrer combien le salut du genre humain lui cause de joie; il donne les pains à ses disciples pour qu'ils les distribuent au peuple, parce qu'en effet, c'est aux apôtres qu'il a fait part des dons spirituels de la science sacrée, et c'est par leur ministère qu'il a voulu distribuer à son Eglise la nourriture de vie. - S. Jér. Les poissons qu'il bénit sont les livres du Nouveau Testament, parce que Notre-Seigneur, après sa résurrection, demande une partie du poisson que ses disciples avaient fait rôtir (Lc 24, 42), ou bien encore, les poissons figurent les saints dont la foi, la vie et les souffrances sont contenues dans les écrits du Nouveau Testament, et qui, retirés des flots tumultueux du siècle, donnent à notre âme par leurs exemples la nourriture intérieure qui lui convient. - Bède. Lorsque la foule est rassasiée, les Apôtres rec ueillent les morceaux qui restent; c'est qu'en effet, les préceptes de perfection éminente que la foule ne peut atteindre, s'adressent à ceux qui s'élèvent au-dessus de la vie ordinaire du peuple, de Dieu. Cependant l'Évangéliste fait remarquer que le peuple était rassasié, car bien qu'il ne puisse abandonner ce qu'il possède, et pratiquer la perfection qui est propre aux vierges, cependant il parvient à la vie éternelle par l'accomplissement des commandements de Dieu. - S. Jér. Les sept corbeilles sont les sept Eglises (Jn 1, 4); les quatre mille personnes représentent l'année du Nouveau Testament partagée en quatre saisons. C'est par un dessein particulier que cette multitude est composée de quatre mille personnes, car ce nombre seul indique qu'ils étaient nourris de la doctrine des Évangiles. - Théophyl. Ou bien encore, ces quatre mille personnes figurent ceux qui sont parfaits dans les quatre vertus, et qui, mangeant en proportion de leur force, laissent peu de la nourriture qui leur est servie. Dans ce second miracle, les Apôtres remportent sept corbeilles des morceaux qui restèrent; dans le premier où Notre-Seigneur multiplia miraculeusement cinq pains, ils en remportèrent douze corbeilles, parce que la foule était composée de cinq mille personnes qui figuraient ceux qui sont esclaves de leurs sens, et c'est pour cela qu'ils mangèrent beaucoup moins, et qu'il resta une si grande quantité de morceaux.


vv. 10-21

6810 Mc 8,10-21

Théophyl. Après ce second miracle de la multiplication des pains, Notre-Seigneur Jésus-Christ se retire dans un autre endroit, dans la crainte qu'à la suite de ce miracle, le peuple ne se saisit de sa personne pour le faire roi: «Et montant aussitôt dans une barque avec ses disciples, il vint dans le pays de Dalmanutha (Mc 8, 10; Mt 15, 39) ». - S. Aug. (De l'acc. des Evang., 20, 51). On lit dans saint Matthieu, qu'il vint sur les confins de Magedan, mais nul doute que ce ne soit le même lieu sous un nom différent, car la plupart des manuscrits de l'Évangile selon saint Marc portent le nom de Magedan.

«Et les pharisiens l'étant venu trouver, commencèrent à disputer avec lui, lui demandant pour le tenter, un signe du ciel», - Bède. Les pharisiens lui demandent un signe du ciel, c'est-à-dire, que puisqu'il a nourri avec quelques pains plusieurs milliers de personnes, il renouvelle dans les derniers temps le miracle de Moïse, en nourrissant le peuple avec la manne qu'il ferait tomber du ciel et qui couvrirait toute l'étendue de la contrée. C'est cette demande qu'ils lui font aussi dans l'Évangile selon saint Jean, lorsqu'ils lui disent: «Quel miracle faites-vous, pour que le voyant, nous croyions en vous? Nos pères ont mangé la manne dans le désert, selon qu'il est écrit (Ex 6, 15; Ps 77, 24; 104, 40). Il leur a donné à manger le pain du ciel». - Théophyl. Ou bien le miracle qu'ils lui demandent du ciel, c'est qu'il arrête le cours du soleil et de la lune, qu'il fasse tomber de la grêle et change l'état de l'atmosphère, car ils ne croyaient pas qu'il pût opérer un prodige de ce genre, et ils pensaient qu'il ne pouvait faire de miracles que sur la terre et encore à l'aide de Béelzébub.

Bède. Nous avons vu précédemment le Sauveur rendre grâces à Dieu avant de nourrir cette multitude qui croyait en lui; ici cette demande insensée des pharisie ns lui arrache un profond soupir. C'est qu'en effet, il a pris sur lui les sentiments de notre nature, et qu'il s'attriste des erreurs des hommes, comme il se réjouit de leur salut: «Et poussant un profond soupir, il dit: Pourquoi cette génération demande-t-elle un prodige? en vérité, je vous le dis, s'il sera donné un prodige à cette génération», c'est-à-dire, il ne lui en sera point donné, comme dans ces paroles du Roi-prophète: «Je l'ai juré une fois par ma sainteté, si je mens à David», (Ps 88), c'est-à-dire, je ne lui mentirai pas. - S. Aug. (De l'acc. des Evang). Saint Marc ne prête pas à Notre-Seigneur la même réponse que saint Matthieu, d'après lequel il leur déclare qu'ils n'auront point d'autre prodige que celui de Jonas, tandis qu'ici il leur répond qu'il ne leur en sera donné aucun, c'est-à-dire, il ne leur en sera point donné comme ils en demandaient, et cette explication fait disparaître toute difficulté; saint Marc a tout simplement omis de parler du miracle de Jonas, dont saint Matthieu a fait mention.

Théophyl. Notre-Seigneur ne se rend pas à leur demande, parce que le temps des prodiges qui auront lieu dans le ciel sera tout autre, ce sera le temps du second avènement où les vertus des cieux seront ébranlées, et où la lune ne donnera plus sa lumière (Mt 24, 29), tandis que le premier avènement ne doit point être accompagné de prodiges semblables, car tout y est plein de mansuétude. - Bède. D'ailleurs, cette génération qui venait tenter le Seigneur, ne méritait pas d'obtenir ce prodige du ciel, et le Sauveur le réservait à la génération qui cherche le Seigneur (Ps 23, 6), c'est-à-dire, à ses apôtres, qu'il rendit témoins de son ascension au plus haut des cieux.

«Et les laissant, il remonta dans la barque, et passa de l'autre côté de la mer». - Théophyl. Il abandonne les pharisiens comme incapables d'être ramenés au bien; il faut insister en effet tant qu'il y a espoir de retour, mais quand le mal est irrémédiable, il n'y a plus qu'à se retirer.

«Or, les disciples oublièrent de prendre des pains, et ils n'avaient qu'un seul pain avec eux». - bjède. Mais comment peut-il se faire qu'ils n'avaient pas de pain, eux qui montèrent dans la barque aussitôt après en avoir rempli sept corbeilles. Il faut nous en tenir à la sainte Ecriture, qui atteste qu'ils oublièrent de prendre des pains avec eux (Mt 16); preuve du peu de soin que les Apôtres prenaient en général de leur corps, puisque le zèle avec lequel ils suivent le Seigneur, ne laisse dans leur âme aucune place aux préoccupations du besoin le plus légitime, celui de la nourriture.

Théophyl. C'est du reste par suite d'un dessein providentiel qu'ils oublièrent de prendre des pains avec eux. Jésus voulait que le reproche qu'il leur ferait, les rendit meilleurs, et les fît parvenir à une connaissance plus exacte de sa divine puissance: «Et Jésus leur donna cet avertissement: Gardez-vous avec soin du levain des pharisiens et du levain d'Hérode». - S. Chrys. Saint Matthieu dit: «Du levain des pharisiens et des sadducéens» (Mt 16); saint Marc: «Du levain des pharisiens et d'Hérode»; saint Luc: «Du levain des pharisiens seulement» (Lc 12) Ces trois Évangélistes ont donc fait une mention expresse des pharisiens, comme étant les premiers dont il fallait se garder; saint Matthieu e t saint Marc se sont partagé ceux qui avaient un rôle secondaire, et saint Marc ajoute: «Du levain d'Hérode»,saint Matthieu ayant laissé à saint Marc de compléter son récit en parlant des hérodiens. Par cet avertissement, le Sauveur découvre peu à peu à ses disciples le sens et le but de cette recommandation. - Théophyl. Le levain des pharisiens et des hérodiens, c'est leur doctrine remplie d'un venin corrupteur et mortel, et toute pleine d'une malice invétérée; car il y avait des docteurs hérodiens qui prétendaient qu'Hérode était le Christ. - Bède. Ou bien le levain des pharisiens consiste à préférer les traditions humaines aux préceptes de la loi divine, à exalter la loi en paroles, et à la combattre par ses actions, à tenter le Seigneur et à refuser toute croyance à sa doctrine comme à ses oeuvres. Le levain d'Hérode, c'est l'adultère, l'homicide, le serment téméraire, l'hypocrisie en matière de religion, la haine de Jésus-Christ et de son saint précurseur.

Théophyl. Mais les disciples crurent que le Seigneur leur parlait du levain ordinaire: «Et ils s'entretenaient entre eux en disant: Nous n'avons pas de pains». En tenant ce langage, ils montraient qu'ils ne comprenaient pas la puissance de Jésus-Christ qui peut tirer des pains du néant, aussi le Sauveur leur en fait-il un reproche: «Ce qu'ayant connu, Jésus leur dit: Pourquoi vous entretenez-vous de ce que vous n'avez point de pains ?» - Bède. L'occasion qui a donné lieu à cette recommandation: Gardez-vous du levain des pharisiens et des hérodiens, nous donne en même temps l'explication allégorique des cinq pains et des sept pains multipliés par le Sauveur, ce qu'il rappelle en leur disant: «Ne vous souvenez-vous pas quand je rompis les cinq pains entre les cinq mille hommes», etc. En effet, si le levain dont il vient déparier signifie les mauvaises traditions, pourquoi ces pains qui servirent à la nourriture du peuple de Dieu, ne seraient-ils pas la figure de la véritable doctrine ?



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