Catena Aurea 6822

vv. 22-26

6822 Mc 8,22-26

La Glose. Le miracle de la multiplication des pains est suivie de la guérison de l'aveugle: ce Lorsqu'ils furent arrivés à Bethsaïde, on lui amena un aveugle, qu'on le pria de toucher». Bède. - Ceux qui lui firent cette prière savaient que le toucher du Seigneur est aussi puissant pour rendre la vue à un aveugle, que pour guérir un lépreux.

«Et prenant la main de l'aveugle, il le conduisit hors du bourg». - Théophyl. La ville de Bethsaïde était, il paraît, infectée d'incrédulité au premier chef, ce qui lui attira ces reproches du Seigneur: «Malheur à toi, Bethsaïde ! car si les miracles qui ont été faits au milieu de toi, avaient été faits dans Tyr et Sidon, elles auraient fait pénitence», etc. (Mt 11). Il fait donc sortir de ce bourg cet aveugle qu'on y avait fait entrer, car la foi de ceux qui l'avaient amené, n'était pas véritable.

«Il lui mit de sa salive sur les yeux, et lui ayant imposé les mains, il lui demanda s'il voyait quelque chose». - S. Chrys. Jésus lui met de la salive sur les yeux, et lui impose les mains; il veut ainsi montrer que c'est le Verbe divin joint à l'action extérieure qui opère le miracle; car la main est le signe de l'action, et la salive le symbole de la parole qui sort de la bouche. Il demande à cet homme s'il voyait quelque chose (ce qu'il n'a jamais fait pour les autres guérisons), et il nous apprend ainsi que c'est la foi imparfaite de l'aveugle et de ceux qui l'ont amené, qui est cause que ses yeux ne sont pas tout à fait ouverts: «Et regardant, il dit: Je vois les hommes qui marchent semblables à des arbres». Il était encore dans les ténèbres de l'incrédulité, et c'est pour cela que de son aveu, il ne voyait les hommes que d'une manière confuse. - Bède. Il aperçoit bien les formes vagues des corps qui se détachent sur les ombres, mais sa vue encore trouble ne peut en saisir les traits et les contours. C'est ainsi que dans le lointain, ou dans l'obscurité de la nuit, les massifs d'arbres apparaissent d'une manière indéterminée, de manière qu'on ne peut distinguer facilement si ce sont des arbres ou des hommes. - théoph. Jésus n'accorde pas aussitôt à sa foi une guérison complète; il ne recouvre la vue qu'en partie, parce que sa foi était encore imparfaite; car le Sauveur mesure la guérison sur le degré de la foi. - S. Chrys. Mais de ce premier degré de guérison, le Sauveur le conduite une foi parfaite, qui lui obtient l'usage complet de ses yeux: «Jésus lui mit de nouveau les mains sur les yeux, et il commença à voir, et il fut guéri, de sorte qu'il voyait clairement toutes choses».

«Et il le renvoya dans sa maison, en disant: Allez dans votre maison, et si vous entrez dans le bourg, ne parlez de ceci à personne». - théoph. Il lui fait cette défense, à cause de l'incrédulité des habitants de Bethsaïde dont nous avons déjà parlé, il ne voulait pas exposer cet homme à voir sa foi attaquée, ni les habitants de cette ville à devenir plus coupables par une incrédulité plus obstinée. - Bède. Il apprend aussi par là à ses disciples à ne point se servir des actions éclatantes qu'ils peuvent faire pour rechercher l'estime et la faveur des hommes.

S. Jér. Dans le sens allégorique, Bethsaïde veut dire la maison de la vallée, c'est-à-dire le monde, qui est vraiment une vallée de larmes. On amène au Sauveur un aveugle, c'est-à-dire un homme qui ne voit pas ce qu'il a été, ce qu'il est, et ce qu'il sera. On le prie de toucher cet homme; et quel est celui que le Seigneur touche, si ce n'est celui dont le coeur est brisé par la componction? - Bède. En effet, le Seigneur nous touche lorsqu'il répand la lumière dans notre âme par le souffle de son Esprit, et qu'il nous excite à reconnaître notre propre faiblesse et à nous livrer avec zèle à la pratique des bonnes oeuvres. Il prend la main de l'aveugle, pour lui donner la force de mènera bonne fin les oeuvres qu'il doit entreprendre. -
S. Jér. Il le conduit hors du bourg, c'est-à-dire de la cité, et il lui met de la salive sur les yeux pour qu'il voie la volonté de Dieu par le souffle de l'Esprit saint. Après lui avoir imposé les mains, il lui demande s'il voit, parce que c'est comme au travers des oeuvres de Dieu qu'on voit sa majesté. - Bède. Une autre raison pour laquelle le Sauveur lui met de la salive sur les yeux, et lui impose les mains pour lui rendre l'usage de la vue, c'était de montrer qu'il a dissipé l'aveuglem ent du genre humain par ses dons invisibles, et par le mystère de son incarnation. La salive qui vient de la tête de l'homme, signifie la grâce de l'Esprit saint. Notre-Seigneur pouvait guérir cet homme d'une seule parole, cependant il ne lui rend la vue que graduellement, pour nous montrer combien grand était l'aveuglement de la nature humaine qui ne peut rouvrir les yeux à la lumière qu'avec peine et comme par degrés, et aussi pour nous apprendre la marche de sa grâce qui nous prête son secours pour franchir les différents degrés de perfection. Or, tout homme qui a été si longtemps enseveli dans une si profonde obscurité qu'il ne pouvait plus discerner le bien du mal, aperçoit les hommes qui marchent comme des arbres, parce qu'il voit sans la lumière du discernement les actions de la multitude qui l'entoure. - S. Jér. Ou bien encore, il voit les hommes comme des arbres, parce qu'il les considère comme lui étant supérieurs. Jésus lui met de nouveau les mains sur les yeux pour rendre à sa vue toute sa netteté, c'est-à-dire pour lui faire voir les choses invisibles comme à travers les choses visibles, et pour que les yeux de son coeur purifié puissent contempler ce que l'oeil de l'homme n'a jamais vu, la clarté brillante d'une âme purifiée de la rouille du péché. Notre-Seigneur le renvoie dans sa maison, c'est-à-dire dans son coeur, afin qu'il pût voir en lui ce qu'il n'y avait jamais vu, car l'homme qui désespère de son salut regarde comme absolument impossible ce qui paraît on ne peut plus facile à l'âme que la grâce inonde de ses lumières. - Théophyl. Ou bien encore, après l'avoir guéri, le Sauveur le renvoie dans sa maison, c'est-à-dire dans le ciel, car le ciel où il y a plusieurs demeures (Jn 14, 2) est la maison de chacun de nous.
- S. Jér. «Jésus lui dit: Et si vous entrez dans le bourg, ne parlez de ceci à personne»,c'est-à-dire ne cessez de raconter à ceux avec, qui vous vivez votre aveuglement passé, mais ne parlez jamais de vos vertus.


vv. 27-33

6827 Mc 8,27-33

Théophyl. Après avoir conduit ses disciples loin de la foule, Notre-Seigneur leur demande ce qu'ils pensent de lui, afin qu'ils puissent répondre la vérité sans aucune crainte des Juifs: «Et Jésus étant entré avec ses disciples dans les villages qui sont aux environs de Césarée de Philippe». - Bède. Ce Philippe fut le frère d'Hérode, et nous en avons parlé plus haut; c'est lui qui en l'honneur de Tibère César appela Césarée de Philippe, la ville qui porte aujourd'hui le nom de Paneas.

«Et en chemin il leur adressa cette question. Qui dit-on que je suis ?» - S. Chrys. Il les interroge, bien qu'il sût ce qu'ils pensaient, parce qu'il était juste que ses disciples lui rendissent un plus glorieux témoignage que la foule. - Bède. C'est pour cela qu'il leur demande d'abord ce que les hommes pensent de lui pour éprouver leur foi, et afin qu'elle ne repose point sur les fausses opinions du peuple.

«Ils répondirent: Les uns disent que vous êtes Jean-Baptiste, les autres Elie, les autres un des prophètes». - Théophyl. Plusieurs croyaient en effet, à l'exemple d'Hérode, que Jean était ressuscité des morts et qu'il avait opéré des miracles après sa résurrection. Mais après qu'il leur a demandé les différentes opinions des hommes à son sujet, il les interroge sur ce qu'ils pensent eux-mêmes de lui: «Alors il leur dit: Pour vous, qui dites-vous que je suis ?»

S. Chrys. (hom. 55 sur S. Matth). La manière même dont il les interroge élève leur esprit dans une sphère plus haute et les dispose à se faire de sa personne une idée plus grande et plus juste que celle de la foule. Mais écoutons ce que répond à cette question faite à tous le chef des Apôtres, celui qui était comme leur bouche et leur oracle: «Pierre, prenant la parole, lui dit: Vous êtes le Christ». Théophyl. Il confesse qu'il est le Christ prédit par les prophètes; mais saint Marc passe sous silence la réponse que lui fit le Sauveur, et comment il le proclama bienheureux; il craignit peut-être de paraître agir en cela par complaisance pour Pierre qui était son maître, tandis que saint Matthieu, an contraire, raconte cette circonstance dans toute son étendue. - Orig. (Traité 1 sur S. Matth). Peut-être encore saint Marc et saint Luc ont-ils passé sous silence la réponse que fit le Sauveur à la confession de saint Pierre, parce qu'à ces paroles: «Vous êtes le Christ» ils n'ont pas ajouté comme saint Matthieu: «Le Fils du Dieu vivant».

«Et il leur défendit avec menace de le dire à personne». - Théophyl. Il voulait pour le moment cacher sa gloire, pour ne pas exposer un grand nombre au scandale de sa passion et à un châtiment plus sévère. - S. Chrys. Ou bien encore, il voulait attendre que le scandale de sa croix fût passé pour établir dans leur coeur une foi pure et entière à sa divinité; aussi n'est-ce qu'après sa passion et immédiatement avant son ascension qu'il leur dit: «Allez, enseignez toutes les nations». - Théophyl. Après avoir reçu la profession de foi de ses disciples, qui le reconnaissent comme vrai Dieu, le Sauveur leur révèle le mystère de sa croix: «En même temps, il commença à leur enseigner qu'il fallait que le Fils de l'homme souffrît beaucoup, etc». Il leur parle ouvertement des souffrances qu'il doit endurer; mais les Apôtres ne comprenaient pas encore la suite des desseins de Dieu, l'idée de la résurrection ne pouvait encore entrer dans leur esprit, et ils croyaient que le mieux pour leur divin Maître était d'échapper à toute souffrance. - S. Chrys. Et cependant il leur faisait cette prédiction pour leur apprendre qu'après sa mort sur la croix et sa résurrection, ils devraient lui rendre témoignage par leur prédication. Or, Pierre, toujours bouillant de zèle, est le seul parmi tous les disciples qui ose ici discuter avec son maître: «Et Pierre, le prenant à part, commença à le reprendre: A Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne vous arrivera pas». - Bède. Pierre parlait ainsi par un vif sentiment d'affection et le désir d'éviter la souffrance au Sauveur. Non, cela ne peut être, lui dit-il, et mes oreilles ne peuvent admettre que le Fils de Dieu doive être mis à mort.

S. Chrys. (hom. 55 sur S. Matth). Mais comment se fait-il que Pierre, à qui le Père avait révélé le mystère de la divinité de son Fils, soit descendu si vite de ces hauteurs et qu'il ait fait preuve d'une si grande inconstance? Rien d'étonnant qu'il ait ignoré le mystère des souffrances du Sauveur, puisqu'il ne lui avait pas été révélé. C'est par révélation qu'il avait appris que le Christ était le Fils du Dieu vivant, mais aucune révélation ne l'avait instruit des mystères de la croix et de la résurrection. Or, Notr e-Seigneur, pour apprendre à ses disciples que sa passion était une chose nécessaire, adresse à Pierre un vif reproche: «Mais Jésus se retournant et regardant ses disciples, gourmanda Pierre, disant: Retire-toi de moi, Satan», etc. - Théophyl. Le Seigneur voulait que ses disciples fussent convaincus que sa passion était nécessaire au salut des hommes, et comme Satan seul s'opposait à ses souffrances dans la crainte que le genre humain fût sauvé, il appelle Pierre Satan, parce qu'il partageait les idées de Satan, en s'opposant ouvertement à la passion du Christ, car Satan veut dire qui s'oppose. - S. Chrys. Jésus n'avait point dit au démon qui le tentait: Retire-toi derrière moi; mais il le dit à Pierre, c'est-à-dire: Suis-moi, et cesse de l'opposer au dessein d'une mort que je n'endure que parce que je le veux. «Car tu n'as pas le goût des choses de Dieu, mais des choses des hommes». - Théophyl. Jésus reproche à Pierre d'avoir le goût des choses des hommes, c'est-à-dire le goût des affections terrestres, puisqu'il voulait que le Christ préférât une vie tranquille à sa mort sur la croix.


vv. 34-39

6834 Mc 8,34-39

Bède. Après que Notre-Seigneur a prédit à ses disciples le mystère de sa passion et de sa résurrection, il les exhorte conjointement avec la multitude à imiter les exemples qu'il leur donnera dans sa passion: «Et appelant le peuple avec ses disciples, il leur dit: Si quelqu'un veut me suivre, qu'il se renonce lui-même». - S. ghrys. (hom. 56 sur S. Matth). Jésus semble dire à Pierre: Vous me reprochez d'aller volontairement au-devant des souffrances. Or, je vous déclare qu'en cela vous faites une chose-nuisible, mais que vous-même vous ne pouvez être sauvé que par les souffrances et par la mort. Il leur dit: «Si quelqu'un veut venir après moi», c'est-à-dire je vous appelle à la possession de biens qui doivent être l'objet des désirs de tous les hommes, et non pas comme vous le pensez, à souffrir des choses pénibles et intolérables. En effet, celui qui cherche à forcer la volonté l'empêche souvent de se déterminer; mais celui qui laisse à son auditeur toute sa liberté l'attire bien plus sûrement. Or, on se renonce soi-même quand on professe une souveraine indifférence pour son corps, et qu'on est disposé à souffrir avec patience les coups ou tout autre m auvais traitement semblable. - Théophyl. Celui qui, par exemple, renonce son frère ou son père, n'éprouve aucun sentiment de pitié au d'indignation, bien qu'il les voie couverts de blessures et mis à mort; telle est l'indifférence, tel le mépris que nous devons professer pour notre corps; qu'il soit aussi couvert de plaies et l'objet des plus mauvais traitements; nous ne devons pas nous en mettre en peine. - S. Chrys. Remarquez que le Sauveur ne dit pas que l'homme doit s'épargner lui-même, mais ce qui est bien plus considérable, qu'il doit se renoncer comme s'il n'avait rien de commun avec lui-même, qu'il doit s'exposer aux dangers et les supporter, comme si un autre que lui en était la victime. Et c'est vraiment là s'épargner soi-même, de même que les parents font preuve d'indulgence envers leurs enfants lorsqu'on les remettant entre les mains de leurs maîtres, ils leur recommandent de ne point les épargner. Or, jusqu'où doit aller ce renoncement? Le voici: «Et qu'il porte sa croix», c'est-à-dire jusqu'à la mort la plus ignominieuse. - Théophyl. La croix était alors un supplice honteux et infâme, parce qu'on n'y attachait que d'insignes malfaiteurs.

S. Jér. Ou bien encore, Notre-Seigneur agit comme un pilote habile qui, prévoyant la tempête lorsque le temps est calme, veut y préparer ses matelots, et c'est dans ce sens qu'il leur dit: «Si quelqu'un veut me suivre, qu'il se renonce lui-même», etc. -
Bède. En effet, nous nous renonçons nous-mêmes lorsque nous évitons toutes les actions qui appartenaient au vieil homme, et que nous nous efforçons de pratiquer cette sainte nouveauté à laquelle nous sommes appelés. Nous portons notre croix, ou lorsque nous mortifions notre corps par la privation des biens sensibles, ou lorsque notre esprit s'attriste en compatissant aux maux du prochain.

Théophyl. Mais il ne suffit pas de porter sa croix, il faut s'élever à une vertu plus grande: «Et qu'il me suive». - S. Chrys. Ce n'est pas sans raison que Notre-Seigneur ajoute cette recommandation, car il peut arriver que tout en portant sa croix, on ne suive pas Jésus-Christ, lorsque, par exemple, ce n'est pas pour Jésus-Christ qu'on souffre. Suivre Jésus-Christ, c'est marcher véritablement à sa suite, c'est se conformer à sa mort, c'est mépriser ces puissances, ces princes dos ténèbres sous l'empire desquels on se livrait au péché avant l'avènement de Jésus-Christ: «Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie pour l'amour de moi et de l'Évangile la sauvera». Jésus semble leur dire: «C'est dans une pensée toute d'indulgence que je vous fais cette recommandation, car celui qui veut trop ménager son fils devient la cause de sa perte, et celui qui ne le ménage pas le sauve. Il nous faut donc être continuellement préparés à la mort, car si dans les combats où la vie naturelle est enjeu, le plus brave soldat est celui qui a fait le sacrifice de sa vie (bien que personne ne puisse le ressusciter après sa mort), à combien plus forte raison eu doit-il être ainsi dans les combats spirituels, où nous avons l'espérance certaine de la résurrection, et l'assurance; que qui sacrifie son âme la sauve. - Rémi. L'âme doit s'entendre ici de la vie présente, et non de la substance même de l'âme. - S. Chrys. Comme Notre-Seigneur avait dit: «Celui qui voudra sauver son âme la perdra», et qu'on aurait pu croire qu'il était égal de la sauver ou de la perdre, il ajoute: «Et que sert à l'homme de gagner le monde entier, et de se perdre soi-même ?» C'est-à-dire: ne dites pas qu'un homme a sauvé sa vie, parce qu'il a échappé au supplice de la croix, car quand même à la conservation de son âme, c'est-à-dire de cette vie, il joindrait la conquête du monde entier, quel fruit lui en reviendra-t-il, s'il vient à perdre son âme? En a-t-il une autre qu'il puisse donner en échange? On peut recevoir pour une maison une somme d'argent, mais celui qui vient à perdre son âme ne peut donner une autre âme en échange. C'est avec dessein que le Sauveur se sert de cette expression; «Et que donnera l'homme en échange de soi-même ?» Car Dieu a donné en échange pour notre salut le sang précieux de Jésus-Christ. - Bède. Ou bien cette recommandation est pour les temps de persécution, où Dieu demande le sacrifice de notre vie. Dans les temps de paix, nous devons mortifier les désirs terrestres, et c'est ce que veulent dire les paroles suivantes: «Que sert à l'homme de gagner tout l'univers ?» Mais souvent une fausse honte nous empêche d'exprimer de vive voix les sentiments que nous avons dans notre âme, et c'est contre ce sentiment coupable que le Sauveur s'élève en disant: «Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles», etc. - Théophyl. Ne regardons pas comme suffisante la foi qui est renfermée dans l'âme; Dieu demande de plus la confession extérieure, car si l'âme est sanctifiée par la foi, c'est par la profession de foi extérieure que le corps est lui-même sanctifié.

S. Chrys. Celui qui est pénétré de ces divins enseignements attend avec un vif désir le moment où il pourra sans aucune honte confesser Jésus-Christ. Le Sauveur appelle génération adultère celle qui a osé abandonner Dieu, son véritable époux, qui n'a point suivi la doctrine de Jésus-Christ, mais qui s'est rendue l'esclave des démons, et a reçu d'eux les semences de l'impiété, et c'est pour cela qu'il l'appelle génération criminelle. Celui donc qui, au milieu de cette génération, aura nié le légitime empire de Jésus-Christ et les paroles du Dieu qu'il nous a révélées dans son Évangile, recevra le juste châtiment de son impiété, en entendant lors du second avènement ces paroles terribles: «Je ne vous connais pas». - Théophyl. Celui, au contraire, qui aura confessé que Jésus crucifié est son Dieu, Jésus-Christ aussi le reconnaîtra pour sien, non pas en cette vie où Jésus est regardé comme pauvre et misérable, mais dans sa gloire et au milieu de la multitude des anges. - S. Grég. (hom. 32 sur les Evang). Il en est quelques-uns qui confessent sans difficulté Jésus-Christ, parce qu'ils voient que tout le monde est devenu chrétien; car si le nom de Jésus-Christ n'était pas environné d'une si grande gloire, l'Eglise ne compterait pas tant de fidèles qui font profession de lui appartenir. La foi légitime et véritable ne doit donc pas consister seulement dans ce témoignage extérieur que l'on peut donner sans rougir au milieu de tout un peuple qui fait profession de christianisme. Mais même dans les temps de paix, nous aurons des occasions du nous faire connaître à nous-mêmes; nous craignons souvent le mépris du prochain, nous regardons comme une faiblesse de supporter patiemment les outrages; s'il s'élève un différend avec un de nos frères, nous rougissons défaire les premières avances, car le coeur étant dominé par les affections charnelles ne peut rechercher la gloire qui vient des hommes, sans repousser la vertu d'humilité.

Théophyl. Notre-Seigneur venait de parler de sa gloire; il veut montrer à ses disciples que ce ne sont pas là de vaines promesse: «Et il ajouta: En vérité, je vous le dis, parmi ceux qui sont ici quelques-uns ne goûteront point la mort qu'ils n'aient vu le royaume de Dieu venant dans sa puissance». C'est-à-dire: Il en est quelques-uns (Pierre, Jacques et Jean) qui ne mourront pas, avant que je leur ai découvert dans ma transfiguration, une image de la gloire dont je serai environné lors de mon second avènement. En effet, la transfiguration était comme l'annonce du second avènement où Jésus-Christ et les saints paraîtront au milieu d'une gloire éclatante. - Bède. C'est par un dessein providentiel plein de bonté que Dieu fait apercevoir cl goûter pour quelques instants aux apôtres une partie des joies de l'éternité, afin de les encourager au milieu des épreuves qui les attendent. - S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth). Le Sauveur ne fait pas connaître le nom de ceux qui devaient l'accompagner sur le Thabor, pour ne pas éveiller dans l'âme des autres disciples un sentiment de jalousie. Mais il ne laisse pas de prédire cet événement pour les rendre plus attentifs à contempler ce mystère. - Bède. Ou bien encore le royaume de Dieu, c'est l'Eglise de la terre. Quelques-uns des Apôtres devaient prolonger leur vie assez longtemps pour voir de leurs yeux l'établissement de l'Eglise, élevée sur les ruines de la gloire du monde. Il fallait, en effet, donner aux disciples encore grossiers quelques consolations pour la vie présente, afin de les rendre plus forts pour l'avenir. - S. Chrys. Dans le sens allégorique, la vie, c'est Jésus-Christ, et la mort, le démon. Celui qui persévère dans le péché, goûte la mort, de même que tout homme qui s'attache à une doctrine bonne ou mauvaise, goûte le pain de la vie ou de la mort, c'est un moindre mal de voir la mort; c'est un mal plus grand de la goûter, un plus grand encore de la suivre, et le plus grand de tous les malheurs de s'en rendre l'esclave.


CHAPITRE IX


vv. 1-7

6901 Mc 9,1-7

S. Jér. Après avoir confirmé le grand mystère de la croix, Jésus révèle la gloire de la résurrection, afin que, témoins de l'état triomphant de sa résurrection future, ses Apôtres fussent à l'épreuve des opprobres de la croix. «Et six jours après», etc.
- S. Chrys. Saint Luc, en disant: «Huit jours après», n'est point en contradiction avec, saint Marc; car il comprend dans ces huit jours celui où si-lit cette prédiction et celui où elle s'accomplit. Or, pourquoi le Sauveur laissa-t-il s'écouler un intervalle de six jours? C'était afin que dans cet intervalle le désir des Apôtres devînt plus vif et leur inspirai une vigilance et une attention plus grande pour les grandes choses qu'ils allaient contempler. - Théophyl. Le Sauveur prend avec lui les trois têtes du collège apostolique: Pierre, qui a proclamé la divinité de Jésus et qui brûle d'amour pour lui; Jean, le disciple bion-aimé; enfin Jacques, le prédicateur courageux et le théologien que sa sainteté rendait tellement odieux aux Juifs qu'Hérode le fit mourir pour leur être agréable.

S. Chrys. Ce n'est pas dans une maison que Jésus révèle sa gloire à ses disciples; il les conduit sur une haute montagne qui, par son élévation, était le symbole de la sublimité de la grandeur qu'il allait manifester. - Théophyl. Jésus-Christ les conduit à l'écart, parce qu'il allait leur révéler des vérités mystérieuses. Le mot transfiguration ne signifie pas que les traits de sa figure furent modifiés; son visage resta le même, mais resplendit d'une lumière que la parole humaine ne peut exprimer. - S. Chrys. Qu'on ne s'imagine donc pas voir un jour dans le ciel, soit dans la personne du Sauveur, soit dans celle des saints qui partageront l'éclat de sa gloire une transformation quelconque dans les traits du visage; une clarté resplendissante viendra simplement s'ajouter à leur nature. - Bède. Le Sauveur, dans sa transfiguration, n'a rien perdu de sa nature corporelle; il nous a seulement découvert quelle sera la gloire que la résurrection devait communiquer, soit à son corps, soit aux nôtres. Après le jugement, tous les élus le verront tel qu'il a apparu à ses Apôtres sur le Thabor.

«Ses vêtements devinrent éclatants», etc. - S. Grég. (Moral., 22, 7). C'est-à-dire que les justes qui auront brillé sur la terre de l'éclat d'une vie sainte seront unis intimement au Sauveur dans la clarté immortelle du ciel; car les vêtements figurent ici les justes que Jésus s'est attaché.

«Elie leur apparut avec Moïse». - S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth). Notre-Seigneur fait paraître Moïse et Elie, pour plusieurs raisons. L'opinion du peuple était que Jésus était Elie ou un des prophètes. Le Sauveur se montre à ses Apôtres conjointement avec Moïse et Elie pour leur apprendre la différence qui sépare le Maître de ses serviteurs. - Les Juifs avaient reproché à Jésus-Christ de violer la loi: ils l'avaient traité de blasphémateur, s'attribuant la gloire de Dieu son Père; il fait paraître deux hommes célèbres par des vertus opposées à ces deux crimes: Moïse, qui a donné la loi; Elie, qui a été l'Apôtre zélé de la gloire de Dieu, et la présence de ces deux hommes prouve que Jésus ne s'est rendu coupable ni contre Dieu, ni contre la Loi. - Moïse, qui a subi la mort, Elie qui en a été préserve jusqu'alors, déclarent en se rendant à l'appel du Sauveur qu'il est le Maître de la vie et de la mort. Leur présence signifie encore que l'enseignement des prophètes a été l'introduction à la doctrine de Jésus-Christ. Enfin elle met en évidence l'union des deux Testaments, ci montre comment, lors de la résurrection générale, les Apôtres se joindront aux prophètes et s'avanceront d'un commun accord au-devant de leur commun Maître.

«Et Pierre dit à Jésus: Maître, il fait bon pour nous d'être ici», etc. Bède. L'humanité transfigurée de Jésus et la présence de deux saints pendant un instant seulement a tant de charmes que Pierre s'efforce par ses prières d'obtenir la prolongation de ce bonheur; que sera donc la félicité du ciel, où nous contemplerons la Divinité elle-même au milieu des choeurs angéliques. «Car il ne comprenait point ce qu'il disait». Quoique Pierre, plongé dans un étonnement qu'explique la faiblesse de la nature humaine, ne sache pas ce qu'il dit, ses paroles ne laissent pas de manifester les sentiments de son âme: Car s'il ne comprend point ce qu'il dit, c'est parce qu'il oublie que le royaume que Dieu a promis à ses saints n'est point sur la terre, mais dans le ciel; c'est qu'il ne s'est point rappelé que tant qu'ils seront enveloppés d'un corps mortel, ni lui ni les autres Apôtres ne pourront entrer en participation de cette vie immortelle; c'est qu'il a oublié enfin que dans la maison du Père céleste toute construction humaine est inutile. Ajoutons qu'aujourd'hui encore ce serait une folie de prétendre faire une distinction entre la loi, les prophètes et l'Évangile, puisque ces trois objets forment un tout indivisible.

S. Chrys. Pierre ne comprenait pas non plus que la transfiguration n'avait pour objet que de donner à ceux qui en étaient les témoins une preuve de la véritable gloire du ciel; que Moïse n'était point présent en corps et en urne; que ce qui se passait là était une leçon donnée aux chrétiens qui devaient un jour s'éloigner du monde et habiter dans le désert. «La frayeur les avait jetés hors d'eux-mêmes». - S. Chrys. Cette frayeur avait fait sortir leur âme de son état ordinaire pour l'élever dans une région supérieure; ils voyaient deleurs yeux Moïse et Elie, mais en même temps leur âme, comme soustraite par la contemplation aux impressions des sens, était tout absorbée par un sentiment tout céleste.

Théophyl. Ou bien Pierre craint de descendre de la montagne, parce que le temps approchait où Jésus-Christ devait être crucifié, et il lui dit: «Il nous est bon de demeurer ici», dit-il, et de ne point nous aller mêler de nouveau à ce peuple. Si sa fureur contre votre personne les fait monter ici, nous comptons sur la puissance de Moïse lui a triomphé des Egyptiens, et sur celle d'Elie qui à sa parole a vu le feu descendre du ciel et consumer cinquante hommes. - Orig. (Traité. sur S. Matth). C'est de lui-même que saint Marc dit: «Pierre ne comprenait point ce qu'il disait». Ces paroles signifient que dans l'égarement où se trouvait son esprit, Pierre était sans doute poussé par un esprit étranger, peut-être par cet esprit môme qui fit de lui un objet de scandale pour Jésus-Christ, lorsqu'il entreprit de détourner son divin Maître de souffrir la mort qui devait sauver le monde; cet esprit séducteur veut encore ici, sous l'apparence du bien, détourner Jésus-Christ d'avoir compassion de la misère dus hommes, de venir à eux et de mourir pour les sauver.

Bède. Pierre avait demandé une tente matérielle; Dieu lui donne pour abri un nuage, il lui apprend ainsi qu'après la résurrection les élus sont abrités sous les rayons glorieux de l'Esprit saint, et non plus sous le toit d'une habitation faite par la main des hommes. «Et il survint une nuée qui les couvrit». Ils ont fait une demande indiscrète, et ils ne méritent pas que le Sauveur leur réponde; c'est Dieu le Père, qui répond à la place de son Fils: «Une voix sortit de la nuée, et fit entendre ces paroles: Celui-ci est mon Fils bien-aimé», etc. - S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth). C'est afin de bien persuader aux Apôtres que cette voix venait de Dieu lui-même, qu'elle sort d'une nuée dans laquelle Dieu avait coutume d'apparaître. Ces paroles: «Voici mon Fils bien-aimé», attestent que le Père et le Fils ont une même volonté, et que, sauf la filiation, le Fils ne fait qu'un avec le Père qui l'a engendré. - Bède. C e grand prophète qui, d'après la parole de Moïse (Dt 18), doit venir au monde, et dont l'enseignement doit être écouté par tout homme qui veut être sauvé, c'est lui qui est venu, revêtu de notre chair et dont Dieu le Père recommande à ses disciples d'écouter la doctrine: «Et aussitôt, regardant autour d'eux, ils ne virent plus personne». Le Fils vient d'être révélé, les serviteurs disparaissent aussitôt, afin que la parole du Père ne parût point s'adresser à eux (Ex 13,21 Ex 16,10 Ex 19,9 Ex 34,9 Ex 40,32 Lv 16,2 Nb 11,25 Nb 12,5 Dt 31,15).

Théophyl. Dans le sens mystique, après la consommation de ce monde qui a été fait en six jours, Jésus, si nous sommes ses disciples, nous transportera sur une montagne élevée, c'est-à-dire dans le ciel, et là nous jouirons de la magnificence de sa gloire divine. - Bède. Les vêtements du Seigneur, ce sont les saints qui, au ciel, brilleront d'un éclat tout nouveau. Le foulon, c'est celui à qui le Psalmiste adresse cette prière: «Lavez-moi de plus en plus clé mon iniquité, et purifiez-moi de mon péché» (Ps 1); car Dieu ne peut donner à ses fidèles sur la terre l'éclat qu'il leur réserve dans le ciel. - Rémi. (sur S. Matth). Ou bien par le foulon, nous pouvons entendre les saints prédicateurs et ceux qui purifient les âmes sur la terre; aucun d'eux ne peut vivre si saintement que la pureté de son âme ne soit ternie par quelque tache; mais après la résurrection, ils seront purifiés de toutes les souillures du péché. La grâce de Dieu les revêtira d'une sainteté que ni les rigueurs de la pénitence, ni les exemples, ni l'enseignement des prédicateurs ne pourraient leur donner. - S. Chrys. O u bien encore, ces vêtements blancs, ce sont les écrits des Évangélistes et des Apôtres, écrits plus lumineux que tous les écrits des hommes, dont les interprètes ne pourront jamais atteindre la clarté. - Orig. (Traité 3 sur S. Matth). Enfin, nous pouvons désigner sous le nom de foulons sur la terre les sages de ce monde qui embellissent de l'éclat de leur génie leurs honteuses inventions ou leurs dogmes menteurs; mais jamais les ressources de leur art ne pourront réaliser une oeuvre égale à la parole qui enseigne aux ignorants la splendeur des pensées divines renfermées dans les Écritures, qui sont méprisées pourtant d'un si grand nombre.

Bède. La présence de Moïse et d'Elie, dont l'un a subi la mort (Dt 34) et l'autre a été transporté vivant dans le ciel (IV R 2) est le symbole de la gloire future de tous les saints. Le jour du jugement les trouvera ou vivants dans leurs corps, ou sur le point de sortir du tombeau où la mort les retenait depuis longtemps; tous régneront avec Jésus-Christ. - Théophyl. Ou bien leur présence signifie que dans la gloire céleste nous verrons la loi et les prophètes s'entretenant avec Jésus-Christ; c'est-à-dire nous contemplerons la conformité des événements avec les prédictions inspirées par Jésus-Christ à Moïse et aux autres prophètes, et nous entendrons la voix du Père qui nous fera connaître son Fils en nous disant: «Celui-ci est mon Fils», et en même temps une nuée lumineuse, c'est-à-dire l'Esprit saint, source de toute sagesse, nous couvrira de son ombre.

Bède. Il est à remarquer que le mystère de la sainte Trinité qui avait d'abord été révélé au baptême de Notre-Seigneur dans le Jourdain, est ici proclamé de nouveau dans sa glorification sur le Thabor, Dieu nous apprend ainsi que nous verrons et que nous louerons après la résurrection la gloire que nous professons par la foi dans le baptême. Et ce n'est pas sans raison que l'Esprit saint, qui avait d'abord apparu sous la forme d'une colombe, manifeste ici sa présence dans une nuée éclatante; il veut nous enseigner dans quelle éclatante lumière nous contemplerons l'objet de notre foi, si nous avons fidèlement pratiqué ses enseignements dans la simplicité de notre coeur. Pendant que la voix du Père céleste se faisait entendre sur son Fils, les disciples ne voient plus que Jésus seul, parce qu'en effet, lorsque Jésus se sera manifesté à ses élus, Dieu sera tout en tous, comme le dit saint Paul (1Co 15): «De même que le Fils ne fait qu'un avec le corps, Jésus-Christ brillera éternellement en tout, et ne fera plus qu'un avec ses saints.



Catena Aurea 6822