Catena Aurea 9929
9929 Lc 9,29-31
Eusèbe. Notre-Seigneur ne se contente pas de prédire le grand mystère de sa seconde appariti on, il ne veut pas que la foi de ses disciples repose uniquement sur des paroles, et il lui donne encore pour fondement le témoignage des faits, en découvrant aux yeux de leur foi une image de son royaume: «Environ huit jours après qu'il leur eut dit ces paroles, il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et s'en alla sur une montagne pour prier». - S. Jean Damasc. (disc. sur la transf). Saint Matthieu et saint Marc placent la transfiguration six jours après la promesse faite aux disciples, tandis que saint Luc rapporte que ce fut huit jours après. Il n'y a toutefois aucune contradiction dans leur récit; les deux Évangélistes qui ne parlent que de six jours, n'ont pris que les jours intermédiaires, sans compter les extrêmes, le premier et le dernier; c'est-à-dire celui où la promesse fut faite, et celui de son accomplissement, tandis que saint Luc, qui compte huit jours, comprend les deux dont nous venons de parler. Or, pourquoi le Sauveur n'admet-il pas tous ses disciples, mais quelques-uns seulement à j ouir de cette vision? Il n'y en avait qu'un parmi eux (c'était Judas), qui fût indigne de voir cette révélation de la divinité, selon ces paroles: «Faites disparaître l'impie, pour qu'il ne voie point la gloire de Dieu (Is 26) ». Or, si Notre-Seigneur l'avait seul excepté, sa jalousie eût donné un nouvel aliment à sa méchanceté; le Sauveur enlève donc à ce traître un prétexte à sa trahison, en laissant avec lui tous les autres disciples au bas de la montagne. il en prend trois avec lui, pour que toute parole soit confirmée par deux ou trois témoins. Il choisit Pierre, pour qu'il entendît le Père confirmer par son témoignage celui qu'il avait rendu lui-même à la divinité du Christ, et aussi parce qu'il devait être le chef de toute l'Église. Il prend Jacques, parce que le premier de tous les Apôtres, il devait donner sa vie pour Jésus-Christ; enfin il choisit Jean comme l'interprète le plus pur des secrets divins qui, après avoir été témoin de la gloire éternelle du Fils, devait faire entendre ces paroles sublimes: «Au commencement était le Verbe». - S. Ambr. Ou bien encore, Pierre monte avec Jésus sur la montagne, parce qu'il devait recevoir les clefs du royaume des cieux; Jean, parce que le Sauveur devait lui confier sa mère; Jacques, parce qu'il devait souffrir le martyre le premier. (Ac 12). - Théophyl. Ou bien encore, il choisit ces trois disciples, comme plus capables de tenir caché ce miracle et de ne le révéler à personne. Or, il monta sur une montagne pour prier; il nous enseigne ainsi à chercher la solitude et à nous élever au-dessus des choses terrestres pour assurer le succès de nos prières.
S. Jean Damasc. Toutefois, la prière du Seigneur est différente de la prière des serviteurs; la prière du serviteur est une élévation de l'esprit vers Dieu, mais la sainte intelligence du Christ (unie hypostatiquement à Dieu), qui nous conduit comme par la main et par degrés, au moyen de la prière, jusqu'à Dieu, nous enseigne par là, que loin d'être l'adversaire de Dieu, il honore son Père comme le principe de toutes choses. Par cette conduite, il tend aussi un piège au démon qui cherchait à savoir s'il était Dieu, ce que l'éclat de ses miracles attestait suffisamment. Il cachait ainsi le hameçon sous l'appât de la nourriture, pour prendre, comme avec un hameçon, par l'humanité dont il était revêtu, celui qui avait séduit le premier homme par l'appât trompeur de la divinité. La prière est une révélation de la gloire divine; aussi l'Évangéliste ajoute «Et pendant qu'il priait, l'aspect de sa face devint tout autre». - S. Cyr. Ce n'est pas que son corps ait changé de forme, mais il fut environné d'une gloire éclatante. - S. Jean Damasc. A la vue de cet éclat qui environnait le Sauveur au milieu de sa prière, le démon se ressouvint de Moïse, dont le visage fut aussi rayonnant de gloire; mais cette gloire venait à Moïse d'un principe extérieur, tandis que pour le Seigneur, c'était la splendeur innée de la gloire divine. En effet, comme en vertu de l'union hypostatique, le Verbe et la nature humaine ont une seule et même gloire, la transfiguration du Sauveur n'est point l'usurpation de ce qu'il n'était pas, mais la manifestation, aux yeux de ses disciples, de ce qu'il était véritablement. C'est pour cela que saint Matthieu rapporte qu'il fut transfiguré devant eux, et que sa face resplendit comme le soleil; car Dieu est dans l'ordre des choses spirituelles, ce que le soleil est dans l'ordre des choses sensibles. Or de même que le soleil, qui est la source de la lumière, ne peut être regardé facilement, tandis que nous pouvons contempler sa lumière, parce qu'elle se répand sur la terre; ainsi le visage de Jésus-Christ resplendit du plus vif éclat, comme le soleil; et ses vêtements deviennent blancs comme la neige: «Et ses vêtements devinrent d'une éclatante blancheur»,éclairés comme par un reflet de la gloire divine.
En même temps, Moïse et Élie se tiennent comme des serviteurs près du Seigneur dans sa gloire, afin de montrer que le Seigneur du Nouveau Testament est le même que celui de l'Ancien, pour fermer la bouche aux hérétiques, établir la foi à la résurrection, et prouver que celui qui était transfiguré, devait être regardé comme le Seigneur des vivants et des morts: «Et voici que deux hommes s'entretenaient avec lui», etc. Le Sauveur voulait que le spectacle de la gloire et du bonheur de ces pieux serviteurs, fît admirer à ses disciples sa miséricordieuse bonté, et qu'étant témoins de la douceur des biens à venir, ils fussent excités à marcher sur les traces de ceux qui les avaient précédés, et à soutenir avec plus de force les combats de la foi, car celui qui connaît la récompense promise à ses travaux, les supporte bien plus facilement. - S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth). Un autre motif de cette apparition, c'est que le peuple affirmait du Sauveur, qu'il était Elle ou Jérémie, il fallait donc distinguer le Maître du serviteur, faire voir d'ailleurs que le Sauveur n'était ni l'ennemi de Dieu, ni violateur de la loi, car autrement, ni Moïse, qui avait donné la loi, ni Elle, qui avait soutenu avec tant de zèle les intérêts de la gloire de Dieu, n'eussent paru à ses côtés. C'était encore pour manifester les vertus de ces deux grands hommes, car tous deux s'étaient plusieurs fois exposés à la mort pour la défense des commandements de Dieu. Le Sauveur vo ulait aussi les proposer comme modèles à ses disciples dans le gouvernement du peuple, en leur inspirant la douceur de Moïse et le zèle d'Élie. Enfin il les fait paraître pour montrer la gloire de la croix, et consoler ainsi Pierre, et tous ceux qui craignaient les souffrances: «Ils s'entretenaient de sa fin qu'il devait accomplir en Jérusalem. -
S. Cyr. C'est-à-dire, du mystère de son incarnation et aussi de sa passion qui devait être le salut du monde et qu'il devait accomplir sur sa croix adorable.
S. Ambr. Dans un sens mystique, c'est après avoir enseigné à ses disciples la doctrine du renoncement et de la croix, que le Sauveur les rend témoins de sa transfiguration, parce que celui qui entend et croit les paroles du Christ, verra la gloire de la résurrection, car c'est le huitième jour qu'eut lieu la résurrection, et la plupart des psaumes sont intitulés, pour le huitième jour. Peut-être aussi, comme Notre-Seigneur avait dit précédemment, que celui qui perdra sa vie pour le Verbe de Dieu, veut-il nous montrer qu'il accomplira ses promesses au temps de la résurrection. - Bède. Il est ressuscité des morts après le septième jour de la semaine où il avait été mis dans le sépulcre; et nous aussi, après les six âges du monde écoulés, et le septième, qui est celui du repos des âmes dans l'autre vie, nous ressusciterons pour ainsi dire au huitième âge du monde. - S. Ambr. Saint Matthieu et saint Marc rapportent que le Sauveur prit avec lui ses disciples six jours après, ce qui nous autoriserait à dire que nous ressusciterons après six mille ans, car mille ans sont comme un jour devant Dieu (Ps 89); mais on compte plus de six mille ans jusqu'à la résurrection, et nous préférons voir dans ces six jours la figure des six jours de la création du monde, en ce sens que par le temps, il faut entendre les oeuvres, et par les oeuvres, le monde. Aussi la résurrection ne doit s'accomplir qu'après que les temps marqués pour l'existence du monde seront écoulés. Peut-être encore, est-ce pour figurer que celui qui se sera élevé au-dessus du monde, et aura traversé la courte durée de la vie de ce siècle, sera placé comme en un lieu sublime pour attendre le fruit de la résurrection qui dure éternellement. - Bède. Aussi, voyez le Sauveur monter sur une montagne pour y prier et y être transfiguré, et en même temps nous apprendre que ceux qui attendent le fruit de la résurrection et désirent voir le roi dans sa gloire (Is 13, 17), doivent habiter les cieux en esprit, et faire de leur vie une prière continuelle.
S. Ambr. Dans ces trois disciples que le Sauveur conduit sur la montagne, je serais porté à voir la figure du genre humain tout entier, qui est descendu des trois enfants de Noé, si ces disciples n'avaient été expressément choisis. Ceux qui sont jugés dignes de monter sur la montagne, sont au nombre de trois, parce que personne ne peut voir la gloire de la résurrection, s'il n'a conservé dans toute son intégrité, la foi au mystère de la Trinité.
Bède. Dans sa transfiguration, le Sauveur nous donne une idée de sa gloire, ou de sa résurrection future, ou de la notre, car après le jugement, il apparaîtra à tous les élus tel qu'il est apparu aux Apôtres. Le vêtement du Seigneur, c'est le choeur des saints qui l'environnent; tandis qu'il était sur la terre, ce vêtement paraissait méprisable, mais aussitôt qu'il monte sur la montagne, il brille d'un éclat nouveau; c'est ainsi que, «bien que nous soyons les enfants de Dieu, ce que nous serons un jour ne paraît pas encore, mais nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui». (1Jn 3).
S. Ambr. Ou bien dans un autre sens: Le Verbe de Dieu se rapetisse ou s'agrandit selon la mesure de vos dispositions, et si vous ne montez au sommet le plus élevé de la sagesse, vous ne pouvez voir toute la grandeur de Dieu qui est dans le Verbe. Les vêtements du Verbe sont les paroles de l'Écriture et comme l'enveloppe de l'intelligence divine, et le sens des divins enseignements se dévoile aux yeux de votre âme dans toute sa clarté, de même que les vêtements du Sauveur devinrent d'une blancheur éclatante.
9932 Lc 9,32-36
Théophyl. Pendant que Jésus priait, Pierre se laisse gagner par le sommeil, car il était faible, et il cède ici à la faiblesse propre à la nature humaine: «Cependant Pierre, et ceux qui étaient avec lui, étaient appesantis par le sommeil», mais aussitôt qu'ils sont réveillés, ils voient la gloire qui l'environne, et les deux hommes qui étaient avec lui: «Et se réveillant, ils le virent dans sa gloire, et les deux hommes qui étaient avec lui». - S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth). On peut encore entendre par ce sommeil, la grande stupeur dont cette vision frappa les Apôtres, car il n'était pas nuit, mais l'éclat de la lumière blessait la faiblesse de leurs yeux. - S. Ambr. En effet, la splendeur ineffable de la divinité est un poids accablant pour la faiblesse de nos sens, car si les yeux qui nous servent à voir les corps ne peuvent regarder en face l'éclat des rayons du soleil, comment les sens corruptibles de l'homme pourraient-ils contempler la gloire de Dieu? Peut-être aussi, Jésus permit qu'ils fussent appesantis par le sommeil, afin de voir l'image de la résurrection qui suivit le sommeil. ils virent donc le Seigneur dans sa gloire, lorsqu'ils se furent réveillés, car ce n'est qu'à cette condition qu'on peut voir la gloire du Christ. Pierre en fut ravi de joie, et la gloire de la résurrection captiva celui que les délices du siècle ne devaient pas séduire: «Et comme ils le quittaient», etc. - S. Cyr. Peut-être Pierre pensait-il que le temps du royaume de Dieu approchait, et c'est pourquoi il demande à rester sur la montagne. - S. Jean Damasc. (Disc. sur la transfig). Il ne vous est pas avantageux, ô Pierre, que Jésus reste sur la montagne, car s'il y fut resté, la promesse qu'il vous a faite n'aurait pas eu son accomplissement, vous n'auriez pas reçu les clefs du royaume, et l'empire de la mort n'eût pas été détruit. Ne cherchez pas le bonheur avant le temps marqué, comme Adam, qui cherchait à devenir semblable à Dieu. Viendra un jour où vous contemplerez éternellement cette sublime vision, et où vous habiterez avec celui qui est la lumière et la vie.
S. Ambr. Cependant Pierre, toujours prompt, non seulement à manifester son amour, mais à donner des preuves de son dévouement, offre dans sa pieuse activité, au nom de ses compagnons, de construire trois tentes: «Faisons trois tentes, une pour vous», etc. - S. Jean Dam. Le Seigneur vous a donné la mission de construire, non point des tentes, mais l'Église universelle; vos disciples, vos brebis ont acc ompli votre désir en construisant une tente pour le Christ et aussi pour ses serviteurs. Du reste, saint Pierre ne parlait pas ainsi de lui-même, mais par une inspiration de l'Esprit saint, qui lui révélait les choses futures, c'est pour cela que l'Évangéliste ajoute: «Ne sachant ce qu'il disait». - S. Cyr. Il ne savait ce qu'il disait, car on n'était pas encore à la fin des siècles, et le temps n'était pas encore venu pour les saints, de participer au bonheur qui leur était promis. Et alors que l'oeuvre de la rédemption ne faisait que commencer, comment Jésus-Christ aurait-il cessé d'aimer le monde et de vouloir mourir pour lui? - S. Jean Damasc. Il était d'ailleurs de la bonté comme de la justice de Dieu, de ne point restreindre le fruit de l'incarnation à ceux qui étaient sur la montagne avec Jésus, mais de L'étendre à tous ceux qui embrasseraient la foi, ce qui ne devait s'accomplir que par les souffrances de sa passion et par sa croix. - Tite de Bostr. Pierre ne savait pas ce qu'il disait, pour une autre raison, c'est qu'il n'était pas besoin de trois tentes pour les trois dont il parle, car on ne peut mettre les serviteurs sur le même rang que leur maître, ni comparer la créature au Créateur. - S. Ambr. D'ailleurs la condition naturelle à l'homme dans ce corps corruptible, ne lui permet d'élever un tabernacle à Dieu, ni dans son âme, ni dans son corps, ni dans tout autre lieu. Cependant, quoiqu'il ne sût pas ce qu'il disait, Pierre offre ses services au Sauveur, et son zèle ne vient pas ici d'une vivacité irréfléchie, mais d'un dévouement prématuré qui était comme le fruit de son amour pour Jésus; son ignorance venait de sa condition, sa proposition de son dévouement. - S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth). Ou bien encore, il entendait le Sauveur déclarer qu'il lui fallait mourir, et ressusciter le troisième jour, et comme il contemplait l'étendue de l'espace et de la solitude où il se trouvait, il jugea que ce lieu offrait plus de sûreté, ce qui lui fait dire: «Il est bon pour nous d'être ici». Ajoutez qu'il voyait Moïse, qui entra autrefois dans la nuée (Ex 24), et Élie, qui fit descendre le feu du ciel (), et vous comprendrez le trouble de son esprit, que l'Évangéliste veut exprimer par ces paroles: «Il ne savait ce qu'il disait». - S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 56). Saint Luc, dit de Moïse et d'Élie: «Comme ils se séparaient de Jésus, Pierre lui dit: Maître, il nous est bon d'être ici», ce qui n'est nullement en contradiction avec le récit de saint Matthieu et de saint Marc, d'après lequel Pierre tint ce langage, alors que Moïse et Élie s'entretenaient encore avec le Seigneur, car ces deux Évangélistes ne se sont pas expliqués, mais ont gardé le silence sur ce que dit saint Luc, que Pierre parla ainsi, alors que Moïse et Élie se retiraient.
Théophyl. Pendant que Pierre disait: «Faisons trois tentes», le Seigneur se construit une tente qui n'est pas faite de main d'homme, et il y entre avec les prophètes: «Il parlait encore, lorsqu'une nuée se forma et les enveloppa de son ombre», Le Sauveur montre ainsi qu'il n'est pas inférieur à son Père, car de même que dans l'Ancien Testament, nous lisons que Dieu habitait dans une nuée, ainsi le Seigneur est enveloppé d'une nuée non plus ténébreuse mais éclatante. - S. Bas. C'est, qu'en effet, les obscurités de la loi étaient dissipées, car de même que la fumée est produite par le feu, la nuée est produite par la lumière; et comme la nuée est un symbole de tranquillité, cette nuée qui enveloppe Jésus et les prophètes, figure le repos de la demeure éternelle. - S. Ambr. Cette nuée qui voile le Sauveur, a pour auteur l'Esprit saint, et loin de répandre les ténèbres sur les affections du coeur de l'homme, elle lui révèle les choses cachées. - Orig. (Trait. 3 sur S. Matth). Les disciples, ne pouvant supporter l'éclat de cette gloire, sont saisis de crainte, et se prosternent en s'humiliant sous la main puissante de Dieu, car ils se rappelaient ces paroles dites à Moïse: «L'homme qui verra ma face, ne vivra point». Et ils furent saisis de frayeur en les voyant entrer dans la nuée.
S. Ambr. Remarquez que cette nuée n'est point formée par les noires vapeurs d'un air condensé, et ne couvre point le ciel d'épaisses ténèbres, c'est une nuée lumineuse qui, au lieu de nous inonder de torrents de pluie, répand la rosée de la foi et arrose les âmes des hommes à la voix du Dieu tout-puissant: «Et une voix sortit de la nuée, qui disait: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé», ce n'est point Moïse, qui est ce fils, ce n'est point Élie, mais celui-là seul est mon Fils, que vous voyez seul sur la montagne. - S. Cyr. Comment donc pourrait-on croire que celui qui est le vrai Fils de Dieu, ait été fait ou créé, alors que Dieu le Père fait retentir cette voix du haut des cieux: «Celui-ci est mon Fils», c'est-à-dire, ce n'est pas un de mes fils, mais celui qui est mon Fils en vérité et par nature, et c'est par ressemblance avec lui que les autres sont nies fils adoptifs. Or, Dieu le Père nous commande d'obéir à ce Fils par ces paroles: «Écoutez-le», et écoutez-le plus que Moïse et Élie, car le Christ est la fin de la loi et des prophètes (Rm 10, 4; Mt 11, 13), aussi est-ce avec un dessein marqué, que l'Évangéliste ajoute: «Pendant que la voix parlait, Jésus se trouva seul». Théophyl. C'était afin que personne ne pût penser que ces paroles: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé», s'appliquaient à Moïse ou à Élie. Ces deux personnages disparaissent aussitôt que Dieu le Père proclame la divinité du Sauveur, ils étaient trois au commencement de la transfiguration, il n'en reste plus qu'un seul à la fin; la perfection de la foi produit cette unité. Ils sont donc comme reçus dans le corps de Jésus-Christ, pour nous apprendre que nous aussi nous ne ferons qu'un avec Jésus, ou peut-être encore, parce que la loi et les prophètes ont le Verbe pour auteur. - Théophyl. Ce qui doit son existence au Verbe prend également fin dans le Verbe, et Dieu nous apprend pat cette conduite que la loi et les prophètes ne devaient apparaître que, pour un temps, comme Moïse et Élie, dans la transfiguration, et qu'ils devaient ensuite disparaître pour laisser la place à Jésus seul; en effet, la loi a cessé d'exister pour faire place à l'Évangile, qui demeure éternellement. - Bède. Remarquez que le mystère de la Trinité tout entière est révélé dans la transfiguration de Jésus sur la montagne, comme il l'avait été lors de son baptême dans le Jourdain, et parée qu'en effet, nous verrons dans la résurrection la gloire de celui que nous avons confessé dans le baptême. Et ce n'est pas sans raison que l'Esprit saint apparaît ici sous la forme d'une nuée lumineuse, tandis qu'au baptême du Sauveur, il apparaît sous la forme d'une colombe, pour nous apprendre que celui qui conserve dans la simplicité de son coeur la foi qu'il a reçue, contemplera un jour dans la lumière d'une vision manifeste les vérités qui ont été l'objet de sa foi.
Orig. (Traité 3 sur S. Matth). Jésus ne veut point qu'on fasse connaître avant sa passion ces glorieuses manifestations:» Et ils se turent, et en ces jours-là ils ne dirent rien à personne de ce qu'ils avaient vu», car on eût été scandalisé (le peuple surtout), de voir crucifié celui que Dieu avait ainsi glorifié. - S. Jean Damas. (disc. sur la Transfig). Le Sauveur leur fit aussi cette recommandation, parce qu'il connaissait l'imperfection de ses disciples, qui n'avaient pas encore reçu la plénitude de l'Esprit saint, il ne voulait ni exposer aux sentiments d'une profonde tristesse ceux qui n'avaient pas été témoins de sa gloire, ni exciter contre lui la jalouse fureur de son traître disciple.
9937 Lc 9,37-44
Bède. Nous voyons ici un parfait rapport entre les lieux et les choses; sur la montagne, Notre-Seigneur prie, se transfigure, et dévoile à ses disciples les secrets de sa Majesté. Lorsqu'il descend dans la plaine, la foule s'empresse autour de lui: «Le jour suivant, comme ils descendaient de là montagne, une foule nombreuse vint au-devant d'eux». Sur la montagne, il fait entendre la voix du Père, dans la plaine, il chasse les mauvais esprits: «Et voilà que de la foule, un homme s'écria: Maître, je vous en supplie, jetez un regard sur mon fils». - Tite de Bostr. J'admire la sagesse de cet homme, il ne dit pas au Sauveur: Faites ceci ou cela, mais: «Jetez un regard», car cela suffit pour sa guérison; c'est dans le même sens que le Roi-prophète disait: «Jetez les yeux sur moi, et ayez pitié de moi» (Ps 24, 16; Ps 85, 15; Ps 118, 132). Cet homme dit à Jésus: «Jetez un regard sur mon fils», pour motiver la hardiesse qui le portait à crier seul au milieu de cette multitude. Il ajoute: «Car c'est le seul que j'aie», c'est-à-dire, je ne puis espérer d'autre consolation de ma vieillesse. Il expose ensuite la nature de sa maladie, pour émouvoir la compassion du Sauveur: «Un esprit se saisit de lui», etc. Enfin, il semble accuser les disciples, mais il paraît bien plus vouloir excuser sa hardiesse. Ne pensez pas, semble-t-il dire au Sauveur, que je viens à vous avec légèreté, votre dignité impose, et je me suis bien gardé de vous importuner tout d'abord; j'ai commencé par m'adresser à vos disciples, mais comme ils n'ont pu guérir mon fils, je suis forcé de recourir à vous. Aussi les reproches du Seigneur ne s'adressent pas à cet homme, mais à cette génération incrédule: «Et Jésus prenant la parole, leur dit: O race infidèle», etc.
S. Chrys. (hom. 58 sur S. Matth). Cependant nous voyons par plusieurs expressions rapportées dans le saint Évangile, que cet homme était encore bien faible dans la foi; ainsi il dit au Sauveur: «Aidez mon incrédulité» (Mc 9, 23). Et encore: «Si vous pouvez» (Mc 9, 21). Et Notre-Seigneur même lui dit: «Tout est possible à celui qui croit» (vers. 22). - S. Cyr. Le motif le plus probable du reproche d'incrédulité que le Sauveur fait à cet homme, est donc l'accusation portée contre les saints Apôtres, qu'ils ne pouvaient commander aux démons; il aurait dû bien plutôt honorer Dieu en implorant son secours, car Dieu exauce ceux qui lui rendent l'honneur qui lui est dû. Mais accuser ceux qui ont reçu de Jésus-Christ le pouvoir de chasser les démons d'impuissance sur ces esprits mauvais, c'est attaquer la grâce de Dieu elle-même, plutôt encore que ceux qui l'ont reçue et par lesquels Jésus-Christ manifeste ses divines opérations. C'est donc offenser Jésus-Christ que d'accuser les saints auxquels il a confié la prédication de la parole sainte, aussi voyez comment le Seigneur réprimande cet homme et tous ceux qui partagent ses sentiments: «O génération infidèle et perverse», comme s'il lui disait: C'est à cause de votre infidélité que la grâce n'a pas produit son effet.
S. Chrys. (hom. 58 sur S. Matth). Jésus ne s'adresse pas seulement à cet homme, pour ne point le jeter dans le trouble, mais àtous les Juifs, car il est vraisemblable qu'un grand nombre d'entre eux s'étaient scandalisés, et avaient conçu des soupçons injustes contre les disciples. - Théophyl. Le Sauveur, en les appelant génération perverse, démontre qu'ils n'étaient pas mauvais par principe et par nature, car en qualité de fils d'Abraham, ils étaient droits par nature, et c'est par leur malice qu'ils s'étaient volontairement pervertis. - S. Cyr. Ils étaient comme des hommes qui né savent point suivre la voie droite. Or, Jésus-Christ dédaigne de demeurer avec ceux qui sont ainsi disposés: «Jusques à quand serai-je avec vous et vous supporterai-je ?» Leur commerce lui devient comme insupportable, à cause de la dépravation de leur coeur. - S. Chrys. Il nous fait voir en même temps combien il désirait la mort, et qu'il redoutait moins le supplice de la croix que de rester plus longtemps avec eux. - Bède. Ce n'est point que le Sauveur, si plein de mansuétude et de douceur, se soit laissé dominer par un sentiment d'aigreur et d'ennui, mais il parle ici comme un médecin qui, voyant un malade agir contre ses prescriptions, lui dirait: «A quoi bon venir plus longtemps vous visiter, puisque vous faites tout le contraire de ce que j'ordonne». Il est si vrai que ce n'est pas contre cet homme, mais contre la mauvaise disposition de son âme qu'il est irrité, qu'il ajoute aussitôt: «Amenez ici votre fils». - Tit. de Bostr. Le Sauveur pouvait le délivrer d'un seul mot, mais il veut faire constater sa maladie, en l'exposant aux regards de tous ceux qui l'entouraient. Aussitôt que le démon sentit la présence du Seigneur, il agita convulsivement l'enfant: «Et comme l'enfant s'approchait, le démon le jeta contre terre et l'agita violemment». Le Sauveur voulait que sa maladie fût bien établie avant d'y apporter remède. - S. Chrys. Gardons-nous de croire cependant que Je Seigneur obéisse ici à un motif d'ostentation, il agit ainsi dans l'intérêt du père, qu'il veut amener à croire le miracle qu'il va opérer, en lui faisant voir le démon rempli de trouble à sa seule parole: «Et Jésus commanda avec menace à l'esprit impur, et il guérit l'enfant, et il le rendit à son père». - S. Cyr. Jusque-là, en effet, il n'appartenait pas à son père, mais au démon qui le possédait. L'Évangéliste ajoute, que tous étaient stupéfaits à la vue de ces grandes choses que Dieu opérait: «Et tous étaient stupéfaits de la puissance de Dieu». L'auteur sacré veut ici relever l'excellence du don que Jésus-Christ avait fait aux saints Apôtres, en leur accordant le pouvoir divin de faire des miracles et de commander aux démons.
Bède. Dans le sens mystique, nous voyons ici que le Seigneur agit tous les jours avec les hommes, selon le degré de leurs mérites, il monte avec les uns, en élevant sur les hauteurs les plus sublimes les âmes parfaites, dont la vie est tout entière dans le ciel (Ph 3, 20), les instruisant des secrets de l'éternité, et en leur enseignant des vérités qui ne peuvent être entendues de la foule; il descend avec les autres, c'est-à-dire, avec les âmes qui ont encore les goûts de la terre et sont privés de la véritable sagesse, en les fortifiant, en les enseignant et en les châtiant. Saint Matthieu fait remarquer que ce possédé était lunatique (Mt 18); saint Marc, qu'il était sourd et muet (Mc 9). Il est ainsi la figure de ceux qui sont inconstants comme la lune (Qo 27, 12), et que l'on voit successivement croître et décroître dans les vices auxquels ils sont livrés; de ceux encore qui sont muets, parce qu'ils ne confessent pas la foi, et de ceux qui sont sourds, parce qu'ils n'entendent pas la parole de la foi. A peine l'enfant s'est-il approché du Seigneur, qu'il est violemment agité; c'est qu'en effet, le démon soumet à de plus rudes tentations ceux qui se convertissent à Dieu, pour leur inspirer l'éloignement de la vertu, ou pour venger l'affront qu'on lui fait en le chassant. C'est ainsi que dans les commencements de l'Église, il lui livra autant de combats acharnés qu'il eut à souffrir de coups portés à son empire. Ce n'est point l'enfant qui souffrait cette violence que le Sauveur reprend avec menace, mais le démon qui en était l'auteur, parce qu'en effet, celui qui désire ramener au bien un pécheur doit poursuivre le vice de ses reproches et de sa haine, mais donner à l'homme pécheur les témoignages d'un amour sincère, jusqu'à ce qu'il l'ait remis guéri de ses infirmités entre les mains des pères spirituels de l'Église.
9944 Lc 9,44-45
S. Cyr. Tout ce que faisait Jésus excitait l'admiration générale, car chacune de ses oeuvres brillait d'un éclat surnaturel et divin, selon cette parole du Roi-prophète: «Vous l'avez environné de gloire et de beauté» (Ps 20). Cependant, quoique cette admiration fût commune à tous ceux qui étaient témoins de ses oeuvres, ce n'est qu'à ses disciples qu'il adresse les enseignements qui suivent: «Et comme ils admiraient tout ce que faisait Jésus, il dit à ses disciples», etc. Il avait découvert à ses disciples sur la montagne une partie de sa gloire, puis il avait délivré un possédé du malin esprit, mais il fallait qu'il se dévouât pour notre salut aux souffrances de sa passion. Or, les disciples pouvaient lu i dire dans le trouble où les jetait cette triste prédiction: Est-ce que nous avons été trompés en croyant que vous étiez Dieu? C'est donc afin de leur faire connaître ce qui devait lui arriver, qu'il leur commande de garder comme un dépôt dans leur âme le mystère de sa passion: «Pour vous, mettez bien ceci dans votre coeur». Il dit: «Pour vous», afin de les distinguer des autres, car pour le peuple il ne devait pas encore connaître qu'il devait souffrir, mais pour éviter tout scandale, il devait plutôt recevoir l'assurance que le Sauveur ressusciterait vainqueur de la mort. - Tite de Bostr. C'est lorsque tous sont dans l'admiration à la vue des prodiges qu'il opère, qu'il leur prédit lui-même sa passion, car ce ne sont point les miracles qui sauvent les hommes, c'est la croix qui est pour eux la source de toutes les grâces: «Le Fils de l'homme doit être livré entre les mains des hommes». - Orig. (traité 4 sur S. Matth). Il n'exprime pas ouvertement quel est celui qui le livrera, les uns disent que ce doit être Judas, les autres, le démon; saint Paul affirme au contraire, que c'est Dieu le Père qui l'a livré à la mort pour nous tous. (Rm 8); c'est-à-dire que Judas l'a livré pour une somme d'argent dans un dessein perfide, tandis que Dieu le Père l'a livré pour la rédemption des hommes.
Théophyl. Cependant le Sauveur ne permit point que ses disciples comprissent cette prédiction de sa croix, par condescendance pour leur faiblesse, et parce qu'il les conduisait d'après un plan arrêté et en suivant u ne marche progressive: Aussi l'Évangéliste ajoute: «Mais ils n'entendaient pas cette parole», etc. - Bède. Cette ignorance des disciples avait moins pour cause la pesanteur de leur esprit, que leur amour pour Jésus-Christ. Ils étaient encore charnels, ils ne connaissaient pas encore le mystère de la croix, et ils ne pouvaient s'imaginer que celui qu'ils regardaient comme vrai Dieu, devait être soumis à la mort. Et comme le Sauveur leur parlait souvent par figures, ils pensaient qu'en annonçant qu'il serait livré, il voulait exprimer figurativement quelqu'autre vérité. - S. Cyr. On demandera peut-être comment les disciples de Jésus-Christ pouvaient ignorer le mystère de la crois, puisque la loi, qui était pleine de figures, y faisait allusion en plusieurs endroits. Nous répondons avec saint Paul, que jusqu'à ce jour, lorsque les Juifs lisent Moïse, ils ont un voile sur le coeur. Ceux qui veulent s'approcher de Jésus-Christ, doivent donc lui dire: «Ôtez le voile qui est sur mes yeux, et je contemplerai les merveilles de votre loi». - Théophyl. Remarquez encore la réserve respectueuse des disciples: «Et ils craignaient même de l'interroger sur ce sujet», car la crainte est un degré du respect.
Catena Aurea 9929