Catena Aurea 10003

vv. 3-4

10003 Lc 10,3-4

S. Cyr. Saint Luc rapporte ensuite comment Notre-Seigneur Jésus-Christ enseigne aux soixante-douze disciples la science apostolique, la modestie, la sainteté, la justice, comme aussi à ne jamais sacrifier aux intérêts du siècle la prédication de l'Évangile, mais à pousser la force et le courage de l'âme jusqu'à braver toutes les terreurs du monde, même celle de la mort. Il leur dit donc: «Allez». - S. Chrys. (Hom. 34 sur S. Matth). Leur grande consolation, au milieu de tous les dangers, c'était la puissance de celui qui les envoyait; c'est pourquoi il leur dit: «Voilà que je vous envoie», c'est-à-dire: Cela doit suffire pour votre consolation, pour vous donner toute espérance, et vous affranchir de la crainte des maux qui vous attendent. Il ajoute «Comme des agneaux, au milieu des loups». - S. Isid. de Séville. (liv. 5, lettre 438 à Timoth). Comparaison qui exprime la simplicité et l'innocence des disciples; car ceux qui s'emportent et outragent la nature par leurs excès, il les appelle non point des agneaux, mais des boucs.

S. Ambr. Ces animaux sont de moeurs tout opposées, puisque les uns sont dévorés par les autres, c'est-à-dire les agneaux par les loup s, mais le bon pasteur ne craint pas pour son troupeau les approches des loups. Aussi envoie-t-il ses disciples, non pour ravager, mais pour répandre la grâce, et la sollicitude du bon pasteur fait que les loups n'osent rien entreprendre contre les agneaux. Il envoie donc les agneaux au milieu des loups, pour accomplir cette prophétie d'Isaïe: «On verra paître ensemble le loup et l'agneau» (Is 65,25). - S. Chrys. (Hom. 14). Un des signes éclatants du plus glorieux triomphe, ce fut de voir les disciples environnés de tant d'ennemis, comme des agneaux au milieu des loups, les convertir à la foi. - Bède. Ou bien ces loups, ce sont plus particulièrement les scribes et les pharisiens qui sont les ministres des Juifs. - S. Ambr. Ou bien encore, ces loups sont la figure des hérétiques. Les loups, en effet, sont des animaux féroces qui guettent les bergeries, et rôdent autour des cabanes des pasteurs. Ils n'osent entrer dans l'intérieur des demeures, ils épient le sommeil des chiens, l'absence ou la négligence des bergers; ils se jettent à la gorge des brebis pour les étrangler plus vite; ils sont féroces, ravisseurs, leur corps est naturellement raide et peu flexible, et ne leur permet pas de se plier facilement, aussi ils sont comme emportés par leur impétuosité, et manquent souvent leur coup. S'ils aperçoivent les premiers un homme, ils étouffent sa voix, dit-on, par une certaine force naturelle; si, au contraire, l'homme les prévient le premier, ils sont comme surpris et déconcertés. Tels sont les hérétiques; ils tendent des piéges autour des bergeries du Christ, on les entend hurler pendant la nuit autour des cabanes des bergers; car il est toujours nuit pour ces ennemis perfides qui répandent sur la lumière de Jésus-Christ les nuages de leurs fausses interprétations. Cependant ils n'osent entrer dans ses bergeries, aussi n'obtiennent-ils jamais leur guérison, comme cet homme qui, après être tombé entre les mains des voleurs, fut guéri dans une étable. Ils épient l'absence des pasteurs, parce qu'ils n'oseraient, en leur présence se jeter sur les brebis du Christ. Ils ont aussi dans l'esprit une certaine raideur, et une dureté qui ne leur permettent pas de revenir de leurs erreurs. Mais Jésus-Christ, le véritable interprète de la sainte Écriture, déjoue leurs efforts, rend nulles toutes leurs attaques, et leur ôte toute puissance de nuire. Cependant s'ils trouvent le moyen d'enlacer quelqu'un les premiers dans les filets de leurs interprétations fallacieuses, ils le réduisent au silence; car on est muet quand on ne confesse pas Dieu, en proclamant la gloire qui lui appartient par essence. Prenez donc garde que quelque hérétique ne vous ravisse la voix avant que vous ne l'ayez surpris le premier; car l'oeuvre de sa perfidie avance toujours, tant qu'elle reste cachée; mais si vous mettez à découvert ses projets impies, vous n'aurez plus à craindre la perte d'une voix consacrée à Dieu. Ils prennent à la gorge, ils font des blessures mortelles aux organes essentiels de la vie, pour atteindre l'âme elle-même. Si donc vous entendez parler d'un prêtre même, et que vous appreniez ses vols et ses rapines, c'est une brebis dehors, mais au dedans, c'est un loup qui, par un instinct de cruauté insatiable, veut assouvir sa rage dans le sang des hommes qu'il égorge. - S. Grég. (hom. 17 sur les Evang). Il en est beaucoup qui, en prenant la charge pastorale, semblent n'avoir de zèle que pour dépouiller ceux qui leur sont soumis, et cherchent à inspirer la crainte de leur autorité. Comme ils n'ont pas les entrailles de la charité, ils veulent qu'on les regarde comme des maîtres, ils ignorent tout à fait qu'ils sont pères, et ils font d'une place toute d'humilité, un instrument d'orgueil et de domination. Afin de nous préserver de ces excès, rappelons-nous que nous sommes envoyés comme des agneaux au milieu des loups, pour nous apprendre à conserver la douceur de l'innocence, et à ne point déchirer nos frères par méchanceté; car celui qui exerce le ministère de la prédication, loin de faire du mal aux autres, doit supporter celui qu'on veut lui faire; et si le zèle de la justice exige qu'il déploie quelquefois de la sévérité, il faut qu'il ressente dans son coeur un amour tout paternel pour ceux qu'il est obligé de poursuivre et de châtier extérieurement. Or, l'accomplissement de ce devoir sera facile au pasteur qui ne place pas son âme sous le joug écrasant des convoitises de la terre; voilà pourquoi Notre-Seigneur ajoute: «Ne portez ni bourse, ni sac». - S. Grég. de Nazianze. (disc., 1). Le résumé de ces divines instructions, c'est que leur vertu doit être tellement éminente, que les exemples de leur vie servent aussi puissamment au progrès de l'Évangile, que leurs prédications. - S. Grég. (hom. 17). Le prédicateur doit avoir en Dieu une telle confiance, que tout en ne se préoccupant aucunement des choses nécessaires à la vie, il soit cependant assuré qu'elles ne lui manqueront jamais; autrement une trop grande sollicitude pour les choses de la terre, le détournerait de procurer aux autres les biens de l'éternité.

S. Cyr. Le Sauveur avait défendu à ses disciples toute sollicitude à l'égard de leur corps, en leur disant: «Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups». Il ne veut pas qu'ils se préoccupent davantage des choses qui sont en dehors du corps: «Ne portez ni bourse, ni sac».Il ne leur permet pas même de porter les vêtements qui ne sont pas encore à l'usage du corps: «Ni chaussures». Non seulement, il leur défend de porter un sac ou une bourse, mais il ne veut pas qu'ils se laissent distraire du ministère qui leur est confié, même pour saluer ceux qu'ils rencontrent: «Et ne saluez personne dans le chemin». Élie avait déjà fait la même recommandation à son serviteur (2R 4,29), et Notre-Seigneur semble leur dire: Marchez droit à votre oeuvre sans échanger de salutations. Car le temps destiné à la prédication ne doit pas être employé inutilement, et on ne peut en distraire que ce que réclame la nécessité. - S. Ambr. Si donc le Sauveur fait cette défense, ce n'est pas qu'il désapprouve les témoignages de bienveillance mutuelle, mais parce qu'il met au-dessus le désir que nous devons avoir d'accomplir les devoirs de religion. - S. Grég. de Nazianze. Il fait encore ce commandement pour l'honneur de sa parole, pour soustraire ses disciples à la funeste influence de la flatterie, et les rendre indifférents aux paroles d'autrui.

S. Grég. (homél. 17 sur les Evang). Si l'on veut entendre ces paroles dans un sens allégorique, l'argent renfermé dans la bourse est la sagesse qui demeure cachée. Celui donc qui possède en lui-même la parole de la sagesse, et qui néglige de la communiquer au prochain, tient son argent comme lié dans sa bourse. Le sac représente le fardeau des affaires du siècle, et les chaussures, les oeuvres mortes. Celui donc qui prend la charge du ministère de la prédication, doit regarder comme indigne de lui de porter le poids des sollicitudes de la terre, qui courbe sa tête sous un joug honteux et ne lui permet pas de se relever pour prêcher les choses du ciel. Il ne doit pas non plus arrêter ses regards sur les oeuvres des insensés, dans l'espérance de défendre et de protéger ses oeuvres comme avec des peaux mortes, et de pouvoir faire impunément ce qu'il voit faire aux autres. - S. Amb. Le Seigneur ne veut rien voir en nous de mortel, voilà pourquoi il ordonne à Moïse de délier sa chaussure terrestre et mortelle, lorsqu'il l'envoie pour délivrer son peuple (Ex 3). Êtes-vous surpris de ce que Dieu commande aux Israélites, en Égypte, d'avoir leurs chaussures pour manger l'agneau (Ex 12), tandis que les Apôtres doivent les quitter pour prêcher l'Évangile? considérez que tant qu'on est dans l'Égypte, on doit craindre les morsures du serpent; car l'Egypte est fertile en poisons de tout genre, et celui qui célèbre la pâque figurative est encore exposé aux blessures, tandis que le ministre de la vérité ne craint aucunement les poisons.

S. Grég. (hom. 17). Tout homme qui en salue un autre en chemin, le salue plutôt, parce qu'il le rencontre, que pour lui souhaiter toutes sortes de biens. Celui donc qui prêche la parole du salut, moins par l'amour de la vie éternelle, que par désir de la récompense, salue aussi pour ainsi dire en chemin, parce qu'il souhaite le salut à ceux qui l'écoutent par occasion, plutôt que dans l'intention directe de leur être utile.


vv. 5-12

10005 Lc 10,5-12

S. Chrys. (sur l'Ep. aux Coloss., 3). La paix est la mère de tous les biens, et sans elle, toutes les autres jouissances ne sont rien; aussi le Sauveur commande à ses disciples, lorsqu'ils entrent dans une maison, de souhaiter aussitôt la paix, comme le gage de tous les biens: «En quelque maison que vous entriez, dites d'abord: Paix à cette maison». - S. Ambr. Il veut que nous soyons les messagers de la paix, et que notre première entrée dans une maison soit consacrée par les bénédictions de la paix. - S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr., et sur le Ps 124). Voilà pourquoi le pontife la donne à toute l'Église par ces paroles: «La paix soit avec vous !» Or, cette paix, que les saints demandent pour nous, n'est pas seulement la paix des hommes entre eux, mais la paix avec nous-mêmes. Car bien souvent, nous portons la guerre au dedans de nous-mêmes, nous sommes en proie à une agitation qui ne vient point des autres hommes, et nous sentons les mauvais désirs s'insurger contre nous. - Tite de Bost. «Paix à cette maison !» c'est-à-dire à ceux qui habitent cette maison. Comme s'il leur disait: Adressez-vous à tous, aux grands comme aux petits, et cependant votre bénédiction ne tombera pas sur ceux qui en sont indignes. Il ajoute: «Et s'il s'y trouve un fils de la paix, votre paix reposera sur lui», c'est-à-dire: Vous prononcerez les paroles de paix, mais pour la paix elle-même, c'est moi qui la donnerai à celui que j'en jugerai digne. Et si personne ne s'en trouve digne, vous ne serez pas trompés, et la grâce attachée à vos paroles ne sera point sans effet, au contraire, elle retournera sur vous, c'est ce qu'il ajoute: «Sinon, elle retournera sur vous». - S. Grég. En effet, la paix, que souhaite la bouche du prédicateur, se repose sur la maison, s'il s'y trouve quelque personne prédestinée à la vie, et qui suive avec docilité les célestes enseignements qui lui sont donnés. Mais si personne ne veut les entendre, le prédicateur ne restera pas sans fruit, et la paix qu'il a souhaitée, lui reviendra avec la récompense que le Seigneur lui donnera pour son travail. Or, lorsque la paix que nous souhaitons est reçue, il est de toute justice que ceux à qui nous apportons les récompenses de la patrie céleste, nous donnent en échange ce qui est nécessaire à notre subsistance: «Demeurez dans la même maison, mangeant et buvant de ce qui sera chez eux».Ainsi celui qui défend à ses disciples de porter ni bourse, ni sac, leur permet de tirer de la prédication elle-même, tout ce qui est nécessaire à leur nourriture et à leur entretien. - S. Chrys. Le Sauveur prévient cette objection: Mais je dépense tout ce que je possède, pour nourrir ces étrangers, et il veut que celui qu'il vous envoie, vous offre en entrant le don incomparable de la paix, pour vous faire comprendre que vous recevez beaucoup plus que vous ne donnez. - Tite. Ou bien, on peut encore regarder ces paroles comme la suite de ce qui précède, c'est-à-dire: Vous n'êtes pas établis pour juger ceux qui sont dignes ou indignes, mangez et buvez ce qu'on vous présente; mais laissez-moi le discernement de ceux qui vous reçoivent, à moins, cependant, que vous ne sachiez parfaitement vous-mêmes qu'il ne se trouve dans cette maison aucun enfant de la paix; car vous devriez alors la quitter.

Théophyl. Vous voyez comment il a voulu que ses Apôtres mendient leur pain, et reçoivent la nourriture pour salaire, car il ajoute: «L'ouvrier mérite son salaire». - S. Grég. (hom. 17). En effet, les aliments qui soutiennent l'existence de l'ouvrier, sont une partie de son salaire, elle est pour le travail de la prédication un commencement de la récompense qui recevra toute sa perfection dans les cieux de la contemplation de la vérité. Remarquons que pour une seule et même oeuvre, nous recevons deux récompenses, l'une dans cette vie, qui est la voie; et l'autre dans la patrie, après la résurrection. Or, l'effet de la récompense que nous recevons ici-bas, doit être de nous faire tendre avec plus de force et de courage vers la récompense éternelle. Le vrai prédicateur ne doit donc pas prêcher dans l'intention d'obtenir ici-bas sa récompense, mais recevoir cette récompense comme soutien de sa prédication. Car celui qui annonce la parole sainte pour obtenir des louanges ou quelque avantage temporel, se prive par là même de la récompense éternelle.

S. Ambr. Le Sauveur recommande encore à ses disciples une autre vertu, c'est de ne point aller de maison en maison avec une inconstante facilité: «Ne passez point de maison en maison», c'est-à-dire que par affection pour ceux qui nous reçoivent, nous devons rester chez eux, et ne pas rompre trop facilement les liens d'amitié qui nous unissent à eux.

Bède. Après les avoir prévenus des différentes manières dont l'hospitalité leur serait offerte, il leur trace la ligne de conduite qu'ils devront tenir dans les villes où ils entreront, c'est-à-dire partager en tout la manière de vivre des âmes vraiment religieuses, et fuir tout rapport avec les impies: «En quelque ville que vous entriez, et où vous serez reçus, mangez ce qu'on vous présentera». - Théophyl. Quelque modeste et commune que soit la table qui vous est offerte, n'en demandez pas davantage; et il les avertit en même temps d'opérer des miracles pour attirer les hommes à leurs prédications: «Et guérissez les malades qui s'y trouveront, et dites-leur: Le royaume de Dieu est proche de vous». Si, en effet, vous commencez par les guérir avant de les enseigner, vos discours en recevront plus d'efficacité, et les hommes croiront que le royaume de Dieu approche en vérité, puisque ces guérisons ne peuvent être que l'effet d'une vertu divine. Mais lors même que leur guérison est toute spirituelle, il est vrai de dire que le royaume de Dieu s'approche d'eux; car ce royaume est loin de ceux en qui domine le péché. - S. Chrys. (hom. 33 sur S. Matth). Voyez quelle est la dignité des Apôtres, ce ne sont point des grâces sensibles (c'est-à-dire des biens terrestres) qu'ils doivent répandre, comme Moïse et les prophètes, mais des grâces toute nouvelles et vraiment admirables, c'est-à-dire le royaume de Dieu. - S. Max. Le Sauveur dit: «Le royaume de Dieu approche», non pour signifier qu'il s'écoulera peu de temps jusqu'à ce qu'il arrive; car le royaume de Dieu ne vient pas de manière à être remarqué (Lc 17,20), mais pour nous faire connaître la disposition des hommes au royaume de Dieu qui est en puissance dans ceux qui ont embrassé la foi, et en réalité dans ceux qui méprisent la vie du corps pour ne vivre que de la vie de l'âme, et qui peuvent dire: «Je vis, ce n'est pas moi, mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi». (Ga 2,20).

S. Ambr. Il leur commande ensuite de secouer la poussière de leurs pieds contre les villes qui n'auront pas cru devoir leur accorder l'hospitalité: «En quelque ville que vous entriez, et où l'on ne vous recevra point, secouez la poussière», etc. - Bède. Cette action, de la part des Apôtres, est une attestation solennelle des travaux et des fatigues qu'ils ont supportés inutilement pour les habitants de ces villes; ou bien, un signe qu'ils désirent si peu leurs biens temporels, qu'ils ne veulent même pas que la poussière de leur terre s'attache à leurs pieds. Ou bien encore, les pieds signifient les travaux et les progrès de la prédication, et la poussière dont ils sont couverts, la légèreté des pensées de la terre, dont les plus grands docteurs ne peuvent entièrement se garantir. Ceux donc qui méprisent la doctrine, les travaux et les périls de ceux qui leur annoncent l'Évangile, se préparent un témoignage sévère de condamnation. -
Orig. (Ch. des Pèr. gr). En secouant la poussière de leurs pieds, ils semblent leur dire: La poussière de vos péchés retombera justement sur vous. Remarquez encore que les villes qui refusent de recevoir les Apôtres, ont de larges places, selon ces paroles du Sauveur: «La voie qui mène à la perdition est large» (Mt 7,13).

Théophyl. Le royaume de Dieu approche pour le bonheur de ceux qui reçoivent les Apôtres, mais il approche aussi pour la perte de ceux qui les repoussent: «Sachez cependant que le royaume de Dieu est proche»; c'est comme l'avènement d'un roi qui vient pour punir les uns et récompenser les autres, c'est pourquoi il ajoute: «Je vous le dis, il y aura en ce jour moins de rigueur pour Sodome que pour cette ville». - Eusèbe. En effet, même dans la ville de Sodome, les anges trouvèrent l'hospitalité, et Loth fut jugé digne de les recevoir (Gn 19,1-21). Si donc en entrant dans une ville, les Apôtres ne trouvent pas un seul habitant qui veuille les recevoir, comment le sort de cette ville ne serait-il pas plus triste que celui de Sodome? Le Sauveur leur enseignait encore par ces paroles à embrasser avec courage la vie de pauvreté; car une ville, une maison, un bourg ne peuvent exister, qu'à la condition de renfermer quelque serviteur fidèle connu de Dieu. La ville de Sodome elle-même n'eût pu exister, si Loth ne l'eût habitée, et à peine en fut-il sorti, qu'elle fut soudainement réduite en cendres. - Bède. Et cependant les habitants de Sodome, bien qu'hospitaliers au milieu des désordres de la chair et de l'esprit, n'ont jamais reçu des hôtes comme étaient les Apôtres; car si Loth a conservé ses yeux et ses oreilles pures (2P 2,7), nous ne voyons pas cependant qu'il ait rien enseigné, ou qu'il ait fait quelque prodige.


vv. 13-16

10013 Lc 10,13-16

S. Ambr. D'après ces paroles du Seigneur, ceux qui ont refusé de suivre les préceptes de l'Évangile seront punis bien plus sévèrement que ceux qui ont violé la loi naturelle: «Malheur à toi, Corozaïn, malheur à toi Bethsaïde !» - Bède. Corozaïn, Bethsaïde et Capharnaüm, et Tibériade, dont parle saint Jean, sont des villes de Galilée, situées sur les bords du lac de Génésareth, que les Évangélistes appellent aussi la mer de Galilée ou de Tibériade. Le Sauveur déplore donc le sort de ces villes, que tant de prodiges et de miracles opérés sous leurs yeux n'ont pu amener à faire pénitence, et qui sont plus coupables que les nations qui transgressent seulement la loi naturelle, puisqu'au mépris de la loi écrite, ils joignent encore le mépris du Fils de Dieu et de sa gloire: «Car si les miracles qui ont été faits au milieu de vous, l'avaient été dans Tyr et dans Sidon, elles eussent depuis longtemps fait pénitence dans le cilice et dans la cendre». Le cilice qui est tissé de poils de chèvre, figure le souvenir déchirant du péché, qui perce l'âme comme d'une pointe aiguë; la cendre représente la pensée de la mort, qui nous réduit en cendres; l'action d'être assis signifie l'humilité de la conscience. Or, nous voyons aujourd'hui l'accomplissement de cette prédiction du Sauveur, parce que Corozaïn et Bethsaïde ont refusé de croire au Seigneur qui les enseignait en personne, tandis que Tyr et Sidon ont été autrefois en relations d'amitié avec David et Salomon, et ont ensuite embrassé la foi qui leur était annoncée par les disciples de Jésus-Christ.

S. Chrys. (de l'hom. intitul., que les femmes consacrées à Dieu ne doivent point habiter avec les hommes). Le Seigneur déplore le sort de ces villes, pour nous apprendre que les gémissements et les larmes répandues sur ceux qui sont insensibles à leur malheur, sont un des moyens les plus efficaces pour les tirer de leur insensibilité, comme aussi un remède souverain, et une consolation puissante pour ceux qui s'attristent de leur indifférence. (Et hom. 38 sur S. Matth). Ce n'est pas seulement en déplorant leur sort qu'il les amène à faire le bien, mais en leur inspirant une crainte salutaire: «C'est pourquoi il y aura, au jour du jugement, moins de rigueur pour Tyr et Sidon, que pour vous». Soyons nous-mêmes attentifs à cette menace; car ce n'est pas seulement à ces villes, mais à nous-mêmes, qu'un jugement sévère est réservé, si nous refusons de recevoir ceux qui nous demandent l'hospitalité; puisqu'il commande à ses disciples de secouer la poussière de leurs pieds contre ceux qui refuseront de les recevoir. (D'un autre endroit). Les miracles nombreux que le Seigneur avait opérés dans Capharnaüm, le séjour qu'il avait fait, lui avait donné une certaine prééminence sur les autres villes, mais son incrédulité fut cause de sa ruine, comme le Sauveur le lui prédit: «Et toi, Capharnaüm, élevée jusqu'au ciel, tu seras abaissée jusqu'aux enfers», c'est-à-dire que le châtiment sera proportionné à l'honneur que tu as reçu. - Bède. Ces paroles peuvent recevoir deux significations différentes. Ou bien, tu seras plongée jusqu'au fond de l'enfer, parce que tu as résisté avec un orgueil indicible à mes prédications, et dans ce sens, c'est par orgueil qu'elle s'est élevée jusqu'au ciel; ou bien, tu as été élevée jusqu'au ciel, par le séjour que j'ai fait dans tes murs, par les miracles que j'y ai multipliés sous tes yeux, et tu seras puni d'autant plus sévèrement, que tant de grâces n'ont pu vaincre ton incrédulité. Et que personne ne pense que ces menaces ne sont faites qu'aux villes ou aux personnes qui ont méprisé le Seigneur dans sa chair visible; elles s'adressent à tous ceux qui, aujourd'hui encore, méprisent les enseignements de l'Évangile; aussi ajoute-t-il: «Celui qui vous écoute, m'écoute». - S. Cyr. Il faut recevoir avec respect les enseignements des saints Apôtres; car celui qui les écoute, écoute Jésus-Christ lui-même. Un châtiment inévitable attend donc les hérétiques qui rejettent les paroles des Apôtres, car il ajoute: «Et celui qui vous méprise, me méprise». - Bède. Il établit clairement cette vérité, qu'en écoutant ou en méprisant la prédication évangélique, ce ne sont pas des hommes de peu d'importance qu'on écoute ou qu'on méprise, mais le Sauveur, et son Père lui-même: «Celui qui me méprise, méprise celui qui m'a envoyé»; parce qu'en effet, dans le disciple, c'est le maître qu'on écoute, et dans le Fils, c'est le Père qu'on honore.

S. Aug. (des par. du Seig., serm. 24). Si donc la parole de Dieu est parvenue jusqu'à vous, et vous a placé dans le lieu élevé que vous occupez, gardez-vous de nous mépriser; car ce mépris que vous nous témoigneriez, remonterait jusqu'à lui. On peut encore entendre ces paroles dans un autre sens: «Celui qui vous méprise, me méprise», c'est-à-dire celui qui refuse de faire miséricorde à l'un des plus petits d'entre mes frères, c'est à moi qu'il le refuse (Mt 25,40-45); et celui qui me méprise, en refusant de croire que je suis le Fils de Dieu, méprise celui qui m'a envoyé, parce que mon Père et moi nous sommes un (Jn 10,30). - Tite de Bost. Il console en même temps ses disciples, car tel est le sens de ces paroles: «Ne dites point: Pourquoi aller nous exposer aux outrages ?» Prêtez-moi le concours de vos paroles, moi, je vous donnerai celui de ma grâce, et les outrages qu'on vous fera retomberont sur moi.


vv. 17-20

10017 Lc 10,17-20

S. Cyr. Nous avons vu plus haut que le Seigneur envoya ses disciples revêtus de la grâce du Saint-Esprit, et que, devenus ministres de la prédication, ils reçurent en même temps tout pouvoir sur les esprits immondes; nous les voyons revenir maintenant en proclamant la puissance de celui qui les a ainsi honorés: «Or, les soixante-douze disciples revinrent avec joie, en disant: Seigneur, les démons eux-mêmes nous sont soumis», etc. Ils semblent se réjouir bien plus de ce qu'ils ont opéré des miracles, que d'avoir été les ministres de la prédication. Et cependant ils devaient bien plutôt mettre leur joie dans ceux qu'ils avaient gagnés à l'Évangile, à l'exemple de saint Paul, qui disait à ceux qui avaient été appelés à la foi par ses prédications: «Vous êtes ma joie et ma couronne» (Ph 4,1).

S. Grég. (Moral., 23, 4). Le Sauveur se hâte de réprimer ce mouvement d'orgueil dans le coeur de ses disciples, et il leur rappelle la chute trop justement méritée du maître de l'orgueil, pour leur apprendre, par le prince de l'orgueil, combien ce vice était redoutable: «Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair»,etc. - S. Bas. (hom., Dieu n'est pas l'auteur du mal). Le démon est appelé Satan, parce qu'il est opposé au bien (c'est le sens du mot hébreu); il est aussi appelé diable, parce qu'il nous aide à commettre le mal, et qu'il devient notre accusateur. Sa nature est immatérielle, et il fait son séjour dans les airs.

Bède. Il ne dit pas: Je le vois maintenant; mais: «Je le voyais précédemment»,au moment même de sa chute. Il le compare à l'éclair, pour signifier la rapidité avec laquelle il a été précipité du haut du ciel au fond des abîmes, ou pour exprimer que depuis sa chute, il se transforme encore en ange de lumière (2Co 11,4). - Tite de Bostr. C'est comme juge qu'il a vu la chute de Satan, lui qui connaît les passions des êtres immatériels. Il le compare dans sa chute à un éclair, parce que Satan, de brillant qu'il était par nature, est devenu ténébreux par ses inclinations vicieuses; et qu'il a corrompu en lui la bonté que Dieu lui avait communiquée en le créant. - S. Bas. (contre Eunom., 3). Car les esprits célestes ne sont pas saints par nature, mais la mesure de leur sainteté est proportionnée à la mesure de leur amour pour Dieu. De même que le fer qu'on met dans le feu, ne perd pas sa nature, et cependant, par son étroite union avec la flamme ardente, prend l'aspect et la vertu du feu; ainsi les esprits des cieux, par leur union avec celui qui est saint par nature, entrent en communication de sa sainteté; car en effet, Satan ne fût jamais tombé, s'il avait été impeccable par nature. - S. Cyr. Ou bien encore, dans un autre sens: «Je voyais Satan tomber comme l'éclair»,c'est-à-dire de la plus haute puissance à la plus extrême faiblesse. En effet, avant la venue du Sauveur, le démon régnait sur tout l'univers, et recevait les adorations de tous les hommes; mais lorsque le Fils unique de Dieu fut descendu du ciel, il tomba avec la rapidité de l'éclair, parce qu'il est foulé aux pieds par tous ceux qui adorent Jésus-Christ, c'est ce qu'indiquent les paroles suivantes: «Voici que je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents», etc.

Tite de Bost. Autrefois les serpents, dans le désert, firent des blessures mortelles aux Israélites à cause de leur infidélité. (Nb 21). Mais le serpent d'airain est venu sur la terre, il a été attaché à la croix, et il a détruit ainsi la vertu de ces serpents, de manière que tous ceux. qui le regardent avec foi sont guéris de leurs blessures, et obtiennent le salut. - S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr). Et dans la crainte qu'on entendit ces paroles de véritables serpents, le Sauveur ajoute: «Et sur toute la puissance de l'ennemi». - Bède. C'est-à-dire qu'il leur donne le pouvoir de chasser toute espèce d'esprits impurs des corps des possédés. Et pour ce qui les concerne, il ajoute: «Et rien ne pourra vous nuire». On peut cependant entendre aussi ces paroles dans le sens littéral, car une vipère s'étant élancée sur la main de saint Paul, il n'en souffrit aucun mal (Ac 28), et saint Jean prit du poison, sans en ressentir aucune atteinte. Or, il y a cette différence entre les serpents qui blessent avec leurs dents, et les scorpions dont le venin est dans la queue, que les serpents représentent ceux qui exercent ouvertement leur fureur; et les scorpions, ceux qui dressent en secret leurs embûches, que ce soient des hommes ou des démons. Ou bien, les serpents sont ceux qui attaquent extérieurement, comme le démon de la fornication et de l'homicide, mais ceux dont le pouvoir de nuire s'exerce intérieurement, sont comme des scorpions, telles sont les passions intérieures de l'âme. - S. Grég. de Nysse. (hom. sur les Cant). La volupté est comparée au serpent, dans la sainte Écriture. Or, telle est la nature du serpent, que si sa tête atteint une fente dans un mur, elle attire tout son corps à sa suite; ainsi la nature accorde à l'homme de se construire une habitation comme chose nécessaire, mais à l'aide de cette nécessité, la volupté dresse ses attaques, elle porte l'homme à un luxe exagéré; puis comme conséquence, elle fait entrer dans l'âme la passion de l'avarice, que suit immédiatement le vice de l'impureté, c'est-à-dire le dernier membre et comme la queue de la bestialité. Or, de même que pour faire lâcher prise à un serpent, on ne le saisit point par la queue; ainsi, c'est, inutilement qu'on voudrait déraciner la volupté en commençant par les dernières ramifications, si on ne ferme tout d'abord l'entrée par où le mal a pénétré dans l'âme. - S. Athan. (disc. sur la passion et la croix du Seig). Nous voyons aujourd'hui des enfants triompher, par la vertu du Christ, de la volupté qui, autrefois, séduisait les vieillards; et des vierges persévérer dans l'innocence, en foulant aux pieds les artifices du serpent de la volupté. Quelques-uns mêmes ont écrasé l'aiguillon du scorpion, c'est-à-dire du démon, en affrontant la mort, et en devenant les martyrs de Jésus-Christ; et la plupart ont sacrifié les jouissances de la terre pour marcher plus librement vers les biens du ciel, sans crainte, aucune, des puissances de l'air.

Tite de Bostr. Notre-Seigneur vit bien que la joie de ses disciples était mélangée de vaine gloire; car ils se réjouissaient surtout d'avoir reçu une puissance qui les élevait au-dessus des autres hommes, et les rendait terribles aux hommes et aux démons. Aussi ajoute-t-il: «Cependant ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis»,etc. - Bède. Il leur défend, simples mortels qu'ils sont, de se réjouir de ce que les esprits leur sont soumis; car le pouvoir de chasser les esprits ou de faire d'autres miracles, ne vient pas du mérite de celui qui les opère mais de l'invocation du nom de Jésus-Christ, qui produit ces effets miraculeux pour la condamnation de ceux qui l'invoquent, ou pour l'utilité de ceux qui sont témoins de ces prodiges. - S. Cyr. Mais pourquoi, Seigneur, ne permettez-vous pas à vos disciples de se réjouir de la puissance que vous-même leur avez donnée, alors qu'il est écrit: «Ils se réjouiront dans votre nom durant tout le jour ?» (Ps 89,17) C'est que le Sauveur les invite à une joie beaucoup plus grande et plus pure: «Réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux» - Bède. Comme s'il leur disait: Ce n'est pas de l'humiliation des démons, mais de votre élévation, qu'il faut vous réjouir. Et nous pouvons entendre ces paroles, dans ce sens plein d'édification, que les oeuvres de l'homme, qu'elles aient le ciel ou la terre pour objet, sont écrites pour ainsi dire, et éternellement gravées dans le souvenir de Dieu. - Théophyl. Les noms des saints sont écrits dans le livre de vie, non pas avec de l'encre, mais par la grâce et le souvenir de Dieu, et tandis que le démon tombe des hauteurs où Dieu l'avait élevé, les hommes placés au-dessus de lui, sont inscrits dans le livre des cieux. - S. Bas. (sur le chap. 4 d'Isaïe). Il en est dont les noms sont écrits, non sur le livre de vie, mais sur la terre, comme le dit Jérémie (Jr 17,13), d'où nous devons entendre qu'il y a deux inscriptions, les uns sont écrits pour la vie; et les autres pour leur perte. Quant à ces paroles du Roi-prophète: «Qu'ils soient effacés du livre des vivants» (Ps 69,29), elles doivent s'entendre de ceux qu'on avait cru dignes d'être inscrits sur le livre de Dieu; et dans le style de l'Écriture, nos noms sont effacés ou inscrits lorsque nous tombons de la vertu dans le péché, ou lorsque nous sortons du péché pour revenir à la vertu.



Catena Aurea 10003