Catena Aurea 10109

vv. 9-13

10109 Lc 11,9-13

S. Aug. (serm. 29 sur les par. du Seig). A cette parabole, Notre-Seigneur ajoute une nouvelle exhortation pour nous exciter plus vivement à chercher, à demander, à frapper: «Et moi, je vous dis de même, demandez, et il vous sera donné», etc. - S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr). Cette manière de s'exprimer: «Et moi, je vous dis», équivaut à un serment; car Dieu ne peut mentir. Or, toutes les fois qu'il affirme quelque chose avec serment, il ôte toute excuse à la faiblesse de notre foi.

S. Chrys. (hom. 34 sur S. Matth). En nous disant: «Demandez», c'est la prière qu'il nous recommande: «Cherchez», c'est le zèle et la sollicitude dans la prière. En effet, ce qui est l'objet de nos recherches, exige de grands soins, surtout dans les choses de Dieu, où notre intelligence rencontre tant d'obstacles. Cherchons donc Dieu avec la même sollicitude que nous cherchons l'or que nous avons perdu. Le Sauveur nous apprend encore à persévérer dans la prière, bien qu'il n'ouvre pas aussitôt la porte: «Frappez, et l'on vous ouvrira»; si vous ne vous lassez pas de chercher, vous trouverez infailliblement, la porte n'est fermée que pour vous obliger de frapper, et s'il tarde à se rendre à vos désirs, c'est pour que vous demandiez avec plus d'instances. - Sévère d'Ant. Ou bien encore, en nous disant :«Frappez», peut-être nous enseigne-t-il à joindre les oeuvres à la prière; car c'est avec la main qu'on frappe, et la main est comme l'instrument des bonnes oeuvres. Ces trois choses peuvent encore s'entendre d'une autre manière; le premier degré de la vertu est de demander la connaissance de la voie qui conduit à la vérité; le second degré est de chercher à savoir comment on doit marcher dans cette voie; le troisième degré consiste lorsqu'on est arrivé à la pratique des vertus, à frapper à la porte, pour entrer dans une connaissance plus étendue de la vérité, toutes choses qui s'obtiennent par la prière. Ou bien encore, demander, c'est prier; chercher, c'est joindre à la prière des oeuvres qui la rendent digne d'être exaucée; frapper, c'est persévérer dans la prière sans se décourager. - S. Aug. (serm. 29 sur les par. du Seig). Assurément, Dieu ne nous presserait pas si fortement de le prier, s'il n'avait l'intention de nous exaucer. Honte donc à la tiédeur de l'homme, Dieu est bien plus disposé à donner, que nous ne le sommes à recevoir.

S. Ambr. Celui qui fait une promesse, doit donner l'espérance des choses qu'il promet, pour rendre plus faciles l'obéissance à ses commandements, et la confiance dans ses promesses. C'est pourquoi Notre-Seigneur ajoute: «Quiconque demande, reçoit», etc. - Orig. (Ch. des Pèr. gr). On demandera peut-être pourquoi la prière n'est pas toujours exaucée, nous répondons que celui qui s'adresse à Dieu en toute droiture, et n'omet rien de ce qui peut assurer le succès de ses prières, obtiendra certainement ce qu'il a demandé. S'il s'écarte, au contraire, des règles prescrites à celui qui prie, sa prière, dépourvue des conditions voulues, n'est plus une prière. Si donc il ne reçoit rien, les paroles du Sauveur n'en sont pas moins véritables; car Dieu ayant dit: «Celui qui vient à moi, obtiendra la science de la sagesse, nous recevons en réalité la grâce de nous approcher du divin Maître, pour nous appliquer avec ferveur et avec zèle à l'accomplissement de ses préceptes. Saint Jacques dit de son côté: «Vous demandez, et vous ne recevez pas», parce que vous demandez mal, c'est-à-dire dans l'intérêt de vos passions frivoles. On m'objectera qu'il en est qui prient pour obtenir la connaissance de Dieu, ou leur retour à la vertu, sans rien obtenir; je réponds que la raison eu est qu'ils ont demandé ces biens, non pour eux-mêmes, mais pour l'estime et la considération qui pouvaient leur en revenir.

S. Bas. (Constit., 1). Qu'un homme encore s'abandonne par lâcheté à ses désirs, et se livre lui-même entre les mains de ses ennemis, il ne peut espérer que Dieu ni le secoure, ni ne l'exauce, puisqu'il s'est volontairement éloigné de lui. Offrons donc à Dieu, dans la prière, toutes les dispositions qui dépendent de nous, et crions vers lui pour qu'il vienne à notre secours. Or, ce n'est pas avec tiédeur qu'il faut implorer le secours divin, ni avec un esprit distrait et égaré; une semblable prière, loin d'obtenir ce qu'elle demande, ne fait qu'irriter Dieu davantage. En effet, si lorsqu'on paraît devant un prince de la terre, on retient, par crainte du châtiment, dans l'attention la plus sévère, les yeux de l'âme et du corps, quelle ne doit pas être notre attention et notre tremblement, quand nous nous présentons devant Dieu pour prier? Si la faiblesse, produite en vous par le péché, vous empêche de fixer votre attention dans la prière, faites-vous cependant violence dans la mesure du possible, afin qu'en paraissant devant Dieu, vous dirigiez vers lui tous les efforts de votre esprit; et Dieu vous pardonnera, parce que si vous ne vous présentez pas devant lui avec les dispositions convenables, ce n'est point tiédeur, mais fragilité. Si vous luttez ainsi contre vous-même, ne vous retirez pas que vous n'ayez été exaucé. Si, au contraire, votre prière reste quelquefois sans effet, c'est qu'elle n'avait pas les conditions voulues. Vous avez prié, ou sans foi, ou sans attention, ou sans discernement dans l'objet de votre prière, ou sans persévérance. Il en est souvent qui font cette difficulté, qu'avons-nous besoin de prier? Est-ce que Dieu ne sait pas ce dont nous avons besoin? Oui, Dieu le sait, et il nous donne avec abondance ses faveurs spirituelles, avant même que nous les demandions; mais pour les oeuvres de la vertu, et pour le royaume des cieux, il veut que nous en ayons d'abord le désir, que le désir nous porte à les chercher, en faisant avec foi et patience tout ce qui dépend de nous, et en prenant soin que notre conscience ne nous reproche aucune faute.

S. Ambr. C'est ainsi que le précepte qui nous est donné de prier souvent, nous donne l'espérance certaine d'être exaucés. Le Sauveur cherche à nous convaincre d'abord par ce commandement qu'il nous donne, et ensuite par les exemples qu'il nous apporte: «Si quelqu'un demande du pain à son père, lui donnera-t-il une pierre ?»etc. - S. Cyr. Le Sauveur nous donne ici une leçon bien nécessaire; car souvent nous nous jetons imprudemment, et par l'entraînement des passions, dans des désirs pernicieux. Or, lorsque nous portons devant Dieu l'expression de ces désirs, jamais nous ne serons exaucés; c'est pour nous convaincre de cette vérité, que Notre-Seigneur emprunte une comparaison aux usages ordinaires de la vie. Que votre fils, en effet, vous demande du pain, vous vous hâtez de lui en donner, parce que sa demande est raisonnable et légitime. Mais si par défaut de discernement, il vous demande une pierre en guise de pain, loin de vous rendre à ce désir mauvais, vous le combattez avec raison. Voici donc le sens de ce passage: Si quelqu'un demande à son père du pain que son père est disposé à lui donner; lui donnera-t-il une pierre, s'il venait à l'en prier? Le sens est le même pour le serpent et pour le poisson, pour l'oeuf et pour le scorpion. Or, s'il lui demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent? Ou s'il lui demande un oeuf, lui donnera-t-il un scorpion ?

Orig. (Ch. des Pèr. gr). Si l'on peut entendre ce pain de l'aliment intérieur de l'âme, sans lequel on ne peut être sauvé, c'est-à-dire de l'intelligence claire de la vie qu'on doit mener, le poisson représentera l'amour de la science qui consiste à connaître la création du monde, les propriétés des éléments, et tout ce qui fait l'objet de l'enseignement de la philosophie. Ainsi Dieu, au lieu de pain, ne nous donne pas une pierre, que le démon pressait Jésus-Christ de manger (Mt 4,3); au lieu de poisson, il ne nous donne pas un serpent tel qu'en mangent les Ethiopiens, qui sont indignes de se nourrir de poissons; en un mot, au lieu d'une nourriture bienfaisante et salutaire, il ne nous donne pas d'aliments dangereux et nuisibles, c'est ce que représente l'oeuf et le scorpion.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 22). Ou bien encore, ce pain représente la charité, parce qu'elle est le bien le plus désirable, et si nécessaire, que tout le reste n'est rien sans elle, de même qu'une table sans pain est une table où manque le nécessaire. Le vice opposé à la charité, est la dureté du coeur, qui est comparée à une pierre. Le poisson représente la foi aux choses invisibles, ou à cause de l'eau du baptême, ou parce que le poisson est tiré des profondeurs invisibles des eaux. Le poisson peut aussi figurer la foi qui est assaillie et ballottée par les flots de ce monde, sans en être ébranlée. Au poisson, Notre-Seigneur oppose le serpent, à cause de son venin de mensonge qu'il a jeté dans le coeur du premier homme en le portant au mal. L'oeuf est la figure de l'espérance; car l'oeuf n'est pas encore le petit être dans sa perfection, mais il en donne l'espérance aussitôt qu'il aura été couvé. Le Sauveur lui oppose le scorpion qui porte derrière lui le venin de son redoutable aiguillon; ainsi le défaut opposé à l'espérance, est de regarder en arrière, parce que l'espérance des biens futurs se porte toujours en avant.

S. Aug. (serm. 29 sur les par. du Seig). Que de sollicitations le monde vous adresse, que de bruit il fait après vous, pour vous faire regarder en arrière ! O monde impur, pourquoi ce bruit? Pourquoi veux-tu nous détourner de la voie? Tu veux nous retenir, tout périssable que tu es, que ne ferais-tu pas, si tes joies étaient durables? Qui serait à l'abri des séductions de ta douceur, puisque tu sais nous tromper en ne nous donnant qu'un pain d'amertume ?

S. Cyr. Notre-Seigneur tire cette conclusion de l'exemple qu'il vient de citer: «Si donc vous, tout méchants que vous êtes»,c'est-à-dire dont l'âme est portée au mal, et n'est point constante et immuable dans le bien, comme Dieu. - Bède. Ou bien, il appelle ici mauvais les amateurs du monde, qui donnent des choses que dans leur appréciation ils croient bonnes, qui sont bonnes en effet par leur nature, et servent aux usages de cette misérable vie: «Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants de bonnes choses». Les Apôtres eux-mêmes qui, par la grâce de leur vocation, s'étaient élevés au-dessus de la bonté ordinaire des hommes, peuvent être cependant appelés mauvais, en comparaison de la bonté suprême, parce que rien n'est bon par soi-même, que Dieu seul. Les paroles qui suivent: «Combien plus votre Père céleste donnera-t-il l'esprit bon», et dans saint Matthieu: «Combien plus donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent», nous enseignent que l'Esprit saint est la plénitude des dons de Dieu; car tous les avantages que nous apporte la grâce des faveurs célestes, émanent de cette source.

S. Athan. (1 Dial. sur la Trin). Or, si le Saint-Esprit n'avait pas une seule et même substance avec Dieu qui est seul bon, on ne lui donnerait pas ici la qualification de bon, puisque le Seigneur lui-même ne voulut point être appelé bon, en tant qu'il s'était fait homme.

S. Aug. (Serm. 29, sur les parol. du Seig). O avare, que demandez-vous donc? ou si vous demandez autre chose, qu'est-ce qui pourra vous suffire, alors que Dieu même ne vous suffit pas ?


vv. 14-16

10114 Lc 11,14-16

La Glose. Notre-Seigneur venait de promettre que l'Esprit de bonté serait donné à ceux qui prient, et il donne des preuves de cette bonté dans le miracle suivant: «Un jour Jésus chassait un démon et ce démon était muet». - Théophyl. On appelle ordinairement muet (xùöoò), celui qui ne parle pas, et aussi celui qui n'entend pas, mais la signification propre de ce mot, est qui n'entend et ne parle pas. Celui qui est sourd de naissance, est nécessairement muet, car nous ne parlons que parce que nous avons entendu parler. Au contraire, rien n'empêche que celui qui est venu sourd par accident, ne puisse parler. Or, celui qui fut présenté au Seigneur était tout à la fois sourd et muet. - Tite de Bostr. (sur S. Matth). L'Évangéliste dit que ce démon était muet ou sourd, parce qu'il produit en nous cette infirmité pour nous empêcher d'entendre la parole de Dieu. En effet, les démons détruisent les bonnes dispositions du coeur de l'homme, pour fermer plus facilement les oreilles de son âme: Or, Jésus-Christ est venu sur la terre pour chasser le démon, et nous faire entendre la parole de vérité, et dans ce seul homme il nous a donné comme un avant goût du salut de tous les hommes.

Bède. D'après saint Matthieu, cet homme non seulement était muet, mais encore aveugle. Notre-Seigneur fait donc trois miracles dans la guérison de cet homme, il rend la vue à un aveugle, la parole à un muet, et il délivre un possédé du démon. Ce triple miracle se renouvelle encore tous les jours dans la conversion des infidèles; ils sont d'abord délivrés du démon, puis ils voient la lumière de la foi, et enfin leur bouche qui était muette, s'ouvre pour publier les louanges de Dieu.

S. Cyr. A la vue de ce miracle, la multitude proclame les louanges et la gloire de Jésus à l'égal de celle de Dieu: «Et la foule était dans l'admiration». - Bède. Or, tandis que la foule, qui paraissait avoir moins d'instruction, ne pouvait voir sans admiration les oeuvres du Sauveur, les scribes et les pharisiens cherchaient à les nier, ou à en donner une fausse interprétation, comme si elles avaient pour auteur non pas Dieu mais l'esprit immonde: «Quelques-uns dirent: c'est par Béelzébub, prince des démons, qu'il chasse les démons». Béelzébub était le Dieu d'Accaron (1R 1,2-3 1R 1,6 1R 1,16), Béel est la même chose que Baal, et Zébub signifie mouche. On appelle donc cette fausse divinité Béelzébub, ou l'homme des mouches, à cause du culte impur qui était rendu au prince des démons.

S. Cyr. D'autres excités par les mêmes aiguillons de l'envie, lui demandaient de faire un prodige du ciel: «D'autres, pour le tenter, lui demandaient un signe du ciel», et semblaient lui dire: Vous avez, il est vrai, chassé le démon de cet homme, mais ce n'est pas là une preuve de divinité, car nous n'avons encore rien vu de pareil aux anciens miracles, tels que ceux de Moïse, ouvrant au peuple de Dieu un passage au milieu de la mer (Ex 11); et de Josué, son successeur, qui arrêta le soleil à Gabaon. Or, vous n'avez jusqu'ici rien fait de semblable. La demande qu'ils font au Sauveur d'opérer un prodige dans le ciel, indique que telles étaient leurs pensées à son égard.


vv. 17-20

10117 Lc 11,17-20

S. Chrys. (hom. 48, sur S. Matth). Comme les pensées des pharisiens étaient déraisonnables, ils n'osaient les produire au dehors par crainte de la multitude, et se contentaient de les agiter dans leur esprit; ce qui fait dire à l'Évangéliste: «Mais Jésus connaissant leurs pensées, leur dit: «Tout royaume divisé contre lui-même sera détruit». - Bède. Il ne répond pas à leurs paroles, mais à leurs pensées, pour les forcer ainsi de croire à la puissance de celui qui pénétrait le secret des coeurs.

S. Chrys. (comme précéd). Jésus ne tire pas sa réponse des Écritures, parce que leur témoignage eût été de nul poids pour les pharisiens qui en donnaient de fausses interprétations, il leur apporte donc un exemple emprunté à ce qui se passe ordinairement. En effet, une maison ou une ville divisée, ne tarderont pas à être détruites; il en sera de même d'un royaume, qui est ce qu'il y a de plus fortement constitué; car c'est l'union des sujets qui fait la force des royaumes, comme des maisons particulières: Si donc, dit le Sauveur, je chasse les démons par le prince des démons, la division règne parmi eux, et leur puissance est détruite. C'est le sens de ces paroles: «Si Satan est divisé contre lui-même, comment son règne pourra-t-il subsister ?» Car loin que Satan soit contraire à lui-même, et se déclare contre ses suppôts, il cherche bien plutôt à consolider son empire. La seule conclusion possible, c'est donc que je triomphe du démon par une puissance toute divine. - S. Ambr. Notre-Seigneur nous enseigne encore par ces paroles, que son royaume est indivisible et perpétuel, et nous apprend que ceux qui ne placent point leur espérance en Jésus-Christ, mais qui osent dire que c'est par le prince des démons qu'il chasse les démons, n'auront aucune part à son royaume éternel. Ces paroles s'appliquent aussi au peuple juif. En effet, comment le royaume des Juifs pourrait-il être éternel, alors que le peuple de la loi ne veut pas reconnaître Jésus, dont la loi annonçait la venue. C'est ainsi que la foi du peuple juif se met en opposition avec elle-même, qu'en se contredisant elle se divise, et que cette division entraîne sa ruine, tandis que le royaume de l'Église durera éternellement, parce qu'elle ne forme qu'un seul et même corps, grâce à sa foi une et indivisible. - Bède. Le royaume du Père, du Fils et de l'Esprit saint, ne souffre pas non plus de division, parce qu'il est fondé sur une immutabilité éternelle. Que les Ariens cessent donc de dire que le Fils est inférieur au Père, et l'Esprit saint au Fils, car ceux qui ne forment qu'un seul et même royaume, ont aussi une seule et même nature divine.

S. Chrys. (hom. 42). A cette première réponse, Jésus en ajoute une seconde: «Or, si c'est par Béelzébub que je chasse les démons, par qui vos enfants les chassent-ils ?» Il ne dit pas: Mes disciples, mais: «Vos enfants», pour adoucir leur fureur. - S. Cyr. En effet, les disciples de Jésus-Christ étaient Juifs, et descendaient des Juifs selon la chair, ils avaient reçu de leur divin Maître le pouvoir de chasser les esprits immondes, et de délivrer au nom de Jésus-Christ ceux qui en étaient possédés. Quelle folie donc, alors que vos enfants écrasent Satan en mon nom, d'oser dire que c'est de Béelzébub que je tiens cette puissance ! La foi de vos enfants sera donc votre condamnation: «C'est pourquoi, leur dit-il, ils seront eux-mêmes vos juges». - S. Chrys. (hom. 42). Car puisqu'ils sont de votre nation, et qu'ils me rendent hommage, il est manifeste qu'ils condamneront ceux qui tiennent une conduite contraire.

Bède. Ou bien encore, par ces enfants des Juifs, Notre-Seigneur entend les exorcistes de cette nation, qui chassaient les démons par l'invocation du nom de Dieu; et tel est le sens du raisonnement du Sauveur: Si c'est de Dieu et non du démon que vos enfants tiennent le pouvoir de chasser les démons, pourquoi donc les chasserais-je en vertu d'un autre pouvoir? Aussi vos enfants seront-ils vos juges, non par la puissance qu'ils exerceront sur vous, mais par l'opposition de leur conduite avec la vôtre, puisqu'ils reconnaissent que je chasse les démons par un pouvoir divin, et que vous attribuez ce pouvoir au prince des démons.

S. Cyr. Si donc ce que vous me reprochez est marqué au coin de la calomnie, il est manifeste que c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons. «Or, si c'est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, il est donc certain que le royaume de Dieu est arrivé jusqu'à vous». - S. Aug. (de l'acc. des Evang., 2, 36). Saint Luc dit: «Par le doigt de Dieu», et saint Matthieu: «Par l'Esprit de Dieu», mais ces deux expressions ont le même sens, et nous enseignent comment nous devons entendre cette locution: «le doigt de Dieu», partout où nous la rencontrons dans l'Écriture. - S. Aug. (quest. Evang., 2, 17). Or, l'Esprit saint est appelé le doigt de Dieu, à cause de la distribution des dons dont il est l'auteur, et qui est propre à chacun des hommes et des anges; car la division n'est dans aucun de nos membres aussi apparente que dans les doigts. - S. Cyr. (Trés., 13, 2). Ou bien encore, l'Esprit saint est appelé le doigt de Dieu, comme le Fils est appelé la main et le bras du Père, parce que c'est par le Fils que le père fait toutes choses. De même donc que le doigt n'est pas étranger à la main, mais lui est naturellement uni, ainsi l'Esprit saint est consubstantiellement uni au Fils, et c'est par lui que le Fils opère toutes choses (Ps 11 Ps 97,2). - S. Ambr. Il ne faut pas cependant que cette comparaison tirée de l'union de nos membres vous porte à établir une espèce de division dans la puissance de chacune des personnes divines, car ce qui est un et indivisible ne peut admettre de division. Ainsi cette expression, «le doigt de Dieu» doit être entendue comme exprimant l'unité de nature et non la distinction de puissance.

S. Athan. (2 disc. cont. les Ar). Toutefois, pour le moment Notre-Seigneur ne refuse pas à raison de son humanité de se déclarer inférieur à l'Esprit saint, en reconnaissant que c'est par lui qu'il chasse les démons, comme si la nature humaine ne pouvait opérer ce miracle sans le secours de ce divin Esprit. - S. Cyr. C'est en suivant la même idée qu'il ajoute: «Le royaume de Dieu est venu jusqu'à vous», c'est-à-dire: Si tout homme que je suis, je chasse les démons par l'Esprit de Dieu, la nature humaine à donc été enrichie en moi, de grâces toutes particulières, et le royaume de Dieu est venu jusqu'à vous. - S. Chrys. (hom. 42). Il emploie cette expression: «Jusqu'à vous», pour les attirer davantage, comme s'il leur disait: Puisque Dieu vous comble de bienfaits, pourquoi cet orgueilleux dédain pour les grâces qu'il vous fait? - S. Ambr. Le Sauveur nous représente ici le Saint-Esprit, comme ayant une puissance souveraine, puisque c'est en lui que se personnifie le royaume de Dieu, et nous-mêmes comme étant une demeure royale, puisque ce divin Esprit daigne habiter en nous. - Tite de Bostr. Ou bien encore ces paroles: «Le royaume de Dieu est venu jusqu'à vous»,veulent dire: Est venu pour votre ruine, non pour votre bonheur; car le second avènement de Jésus-Christ sera terrible pour les chrétiens perfides.


vv. 21-23

10121 Lc 11,21-23

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr). Notre-Seigneur voulant confondre ses accusateurs par le nombre et l'évidence des raisons, emploie une comparaison des plus claires, pour prouver à ceux qui ne veulent pas fermer obstinément les yeux, qu'il a triomphé du prince de ce siècle par la puissance qui lui est naturelle: «Lorsque le fort armé garde sa maison», etc. - S. Chrys. (hom. 42, sur S. Matth). Il appelle le démon le fort armé, non qu'il tienne cette force de sa nature, mais pour exprimer la tyrannie qu'il exerçait depuis si longtemps par suite de notre faiblesse. - S. Cyr. (Jn 12). En effet, avant l'avènement du Sauveur, il se jetait avec une violence inouïe sur les troupeaux qui n'étaient pas à lui, mais à Dieu, comme pour les emmener dans sa propre bergerie.

Théophyl. Les armes du démon sont les différentes espèces de péchés dans lesquelles il mettait toute sa confiance pour asservir les hommes à son empire. - Bède. Sa maison, c'est le monde entier qui est fondé sur le mal, (1Jn 5,19), et sur lequel le démon régnait en maître, jusqu'à l'avènement du Sauveur, parce qu'il habitait sans opposition dans le coeur des infidèles, mais il a été vaincu par la puissance bien supérieure de Jésus-Christ, qui a délivré les hommes de son esclavage, et l'a honteusement chassé: «Mais il en survient un plus fort que lui»,etc. - S. Cyr. C'est en effet lorsque le Verbe du Dieu très-haut, source de toute puissance, et le Seigneur des vertus (cf. Ps 24,10 Ps 48,9 Ps 59,6 Ps 80,19-20 Ps 84,2 Ps 84,4 Ps 84,9 Ps 84,13 Ps 89,9), a daigné se faire homme, qu'il s'est emparé du démon, et lui a enlevé ses armes. - Bède. Ses armes sont la ruse, les fourberies, le mensonge, que met en oeuvre sa méchanceté; ses dépouilles sont les hommes qu'il trompe et séduit. - S. Cyr. En effet, ceux qu'il retenait depuis longtemps dans les liens de l'ignorance de Dieu et de l'erreur, ont été appelés par les saints Apôtres à la connaissance de la vérité, et offerts à Dieu le Père, par la foi qu'ils avaient en son Fils. - S. Bas. (Comment. sur Is 18). On peut aussi entendre par ces dépouilles qu'il a distribuées, les anges fidèles, qu'il a préposés à la garde des hommes. - Bède. Jésus-Christ vainqueur a distribué les dépouilles, (ce qui est le propre des triomphateurs), lorsqu'il a mené captive la captivité elle-même, et répandu ses dons sur les hommes, en établissant les uns apôtres, les autres évangélistes, ceux-ci prophètes, ceux-là pasteurs et docteurs (Ep 4,11).

S. Chrys. (hom. 42). Le Sauveur donne enfin une quatrième réponse, en ajoutant: «Celui qui n'est pas avec moi, est contre moi», paroles dont voici le sens: Je veux donner les hommes à Dieu, Satan veut le contraire; comment donc celui qui, loin de se joindre à moi, dissipe ce qui m'appartient, pourrait-il s'entendre avec moi au point de joindre ses efforts aux miens pour chasser les démons? «Et celui qui n'amasse point avec moi, dissipe au lieu d'amasser». - S. Cyr. C'est-à-dire: Je suis venu pour réunir les enfants de Dieu que le démon avait dispersés, et Satan qui n'est pas avec moi, s'efforce de disperser de nouveau ceux que j'ai cherché à recueillir et à sauver. Comment donc celui qui s'oppose à tous mes desseins, pourrait-il me communiquer son pouvoir? - S. Chrys. (hom. 42). Si donc on est ennemi quand on refuse de joindre ses efforts à ceux d'un autre, à plus forte raison quand on y met obstacle. Le Sauveur semble aussi avoir en vue les Juifs dans cette allégorie, et il les range avec le démon, parce qu'eux aussi se déclaraient contre lui, et dispersaient ceux qu'il rassemblait.


vv. 24-27

10124 Lc 11,24-27

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr). Notre-Seigneur fait voir ensuite comment le peuple juif en est venu à se faire de semblables idées sur le Christ: «Lorsque l'esprit impur est sorti d'un homme», etc. Dans saint Matthieu, le Sauveur applique aux Juifs cette comparaison en termes exprès «C'est ce qui arrivera à cette génération criminelle»,(Mt 12,45). En effet, lorsqu'ils vivaient en Égypte, en se conformant aux usages des Egyptiens, ils étaient la demeure de l'esprit mauvais, il en fut chassé lorsqu'ils immolèrent l'agneau qui était la figure du Christ, et qu'ils marquèrent leurs portes de son sang pour échapper à l'ange exterminateur (Ex 12,3-13).

S. Ambr. Dans ce seul homme, se trouve donc figuré tout le peuple juif qui avait été délivré de l'esprit mauvais par la loi. Cependant comme les coeurs des Gentils, arides d'abord, mais pénétrés ensuite de la rosée de l'Esprit saint par le baptême, ne pouvaient offrir au démon un lieu de repos, parce qu'ils croyaient en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ est une flamme dévorante pour les esprits impurs, il revint vers le peuple juif: «Et comme il n'en trouve point, il dit: Je retournerai dans ma maison d'où je suis sorti». - Orig. (Ch. des Pèr. gr). C'est-à-dire: Je retournerai vers les enfants d'Israël qui n'ont en eux rien de divin, qui sont comme déserts, et m'offrent un endroit où je puis habiter. «Et lorsqu'il y est rentré, il la trouve nettoyée et parée». - S. Ambr. Mais sous cette pureté extérieure et apparente, l'intérieur n'en demeurait que plus souillé; car elle ne pouvait ni se purifier de ces souillures, ni éteindre le feu des passions dans les eaux de la fontaine sacrée; aussi l'esprit impur s'empressait-il de rentrer dans cette maison, avec sept esprits plus mauvais que lui: «Alors il s'en va prendre sept esprits plus méchants que lui, et entrant dans cette maison, ils en font leur demeure». Juste punition du crime que ce peuple sacrilège avait commis en violant la semaine de la loi, et le mystère du huitième jour. Ainsi de même que la grâce se répand avec abondance sur nous par les sept dons de l'Esprit saint, toute la malice des démons s'empare aussi de ce peuple par ces sept esprits impurs; car le nombre sept, dans l'Écriture, exprime ordinairement l'universalité.

S. Chrys. (hom. 44 sur S. Matth). Les démons qui habitent les âmes des Juifs sont pires que les premiers. Autrefois, ils traitaient avec cruauté les prophètes; aujourd'hui, c'est au Seigneur lui-même que s'adressent leurs outrages, aussi en ont-ils été punis bien plus sévèrement par Vespasien et par Tite, qu'ils ne l'avaient été en Égypte et lors de la captivité de Babylone: «Et le dernier état de cet homme devient pire que le premier». Autrefois encore, ils étaient gouvernés par la divine Providence et par la grâce de l'Esprit saint, mais aujourd'hui cette protection toute paternelle leur fait défaut, et par suite, ils sont dans un dénuement complet de vertu, et en proie à des peines plus déchirantes et à toute la violence des démons.

S. Cyr. Le dernier état devient pire que le premier, selon cette parole de l'apôtre saint Pierre: «Il eût mieux valu pour eux ne jamais connaître la voie de la vérité, que de s'en écarter après l'avoir connue.

Bède. On peut encore entendre ces paroles de tous les hérétiques, de tous les schismatiques, et même des mauvais catholiques qui, à l'époque de leur baptême, avaient été délivrés de l'esprit immonde. Ce mauvais esprit parcourt alors les lieux arides, c'est-à-dire, qu'en tentateur habile et rusé, il examine les coeurs des fidèles qui ont été purifiés de toutes les pensées impures et dangereuses, pour voir s'il peut y imprimer la trace de ses pas maudits. Il dit: «Je retournerai dans ma maison d'où je suis sorti». Ces paroles doivent nous faire craindre que les fautes, que nous regardions comme à jamais effacées, ne profitent de notre négligence pour reprendre sur nous leur funeste empire. Il trouve cette maison nettoyée, c'est-à-dire purifiée par la grâce du baptême des souillures du péché; mais complètement dénuée de l'ornement des bonnes oeuvres. Les sept mauvais esprits qu'il prend avec lui, représentent l'universalité des vices. Ces esprits sont plus mauvais que lui, parce que cette maison non seulement aura les sept vices directement opposés aux sept vertus spirituelles, mais elle voudra encore, par un sentiment d'hypocrisie, paraître avoir ces vertus.

S. Chrys. (hom. 44). Ce n'est pas seulement aux Juifs, mais à nous-mêmes, que s'appliquent les paroles suivantes: «Le dernier état de cet homme devient pire que le premier». En effet, si après avoir été éclairés et délivrés de nos fautes passées, nous retournons à nos habitudes vicieuses, le châtiment qui attend ces nouvelles fautes sera bien plus terrible.

Bède. On peut encore dire que Notre-Seigneur n'a dans ces paroles d'autre but, que d'établir la distinction qui sépare ses oeuvres de celles du démon, c'est-à-dire que le caractère du Sauveur est de purifier tout ce qui est souillé, tandis que celui du démon est de s'empresser de souiller encore davantage ce que Jésus a purifié.


vv. 27-28

10127 Lc 11,27-28

Bède. Tandis que les scribes et les pharisiens tentent le Seigneur, et blasphèment contre ses oeuvres, une simple femme proclame avec une foi vraiment admirable le mystère de son incarnation: «Lorsqu'il parlait ainsi, une femme, élevant la voix du milieu du peuple, lui dit: «Heureuses les entrailles qui vous ont porté»,etc. C'est ainsi qu'elle confond tout ensemble, les calomnies des princes des Juifs et la perfidie des hérétiques futurs. En effet, de même que les Juifs, par leurs blasphèmes contre les oeuvres de l'Esprit saint, niaient que le Sauveur fût le vrai Fils de Dieu, ainsi les hérétiques, en niant par la suite que par la coopération de l'Esprit saint, Marie, toujours vierge, ait contribué à former la chair du Fils de Dieu, n'ont pas voulu reconnaître que le Fils de l'homme fût le Fils véritable du Père, de même nature que lui. Mais si la chair du Verbe de Dieu fait homme, est étrangère à la chair de la Vierge mère, pourquoi proclamer bienheureuses les entrailles qui l'ont porté, et les mamelles qui l'ont allaité. Quelle raison de croire qu'il ait été nourri de son lait, si l'on ne veut admettre qu'il ait été conçu de son sang, puisque selon les médecins, le lait et le sang ont une seule et même source. Or, ce bonheur n'est pas le partage exclusif de celle qui a mérité d'enfanter corporellement le Verbe de Dieu, mais encore de tous ceux qui s'appliquent à concevoir spirituellement par la foi ce même Verbe, à l'enfanter et à le nourrir dans leur coeur, et dans celui du prochain, par la pratique des bonnes oeuvres: «Mais Jésus lui répondit: Bien plus heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la mettent en pratique».

S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth). En parlant de la sorte, le Sauveur ne reniait pas sa mère, mais il montrait qu'il n'eût servi de rien à Marie de l'avoir mis au monde, si elle n'eût d'ailleurs été le modèle de toutes les vertus. Or, s'il n'y avait aucun avantage pour Marie d'avoir donné le jour à Jésus-Christ, sans les vertus qui ornaient d'ailleurs son âme, n'espérons rien absolument des vertus d'un père, d'un frère ou d'un fils, si nous ne faisons aucun effort pour les imiter.

Bède. La Mère de Dieu est heureuse pour avoir été dans le temps l'instrument de l'incarnation du Verbe, mais elle est bien plus heureuse pour avoir gardé inviolablement et éternellement son saint amour. Ces paroles sont une condamnation des sages d'entre les Juifs qui, au lieu d'écouter la parole de Dieu et de la mettre en pratique, en faisaient un objet de négations et de blasphèmes.



Catena Aurea 10109