Catena Aurea 10145


CHAPITRE XII


vv. 1-3

10201 Lc 12,1-3

Théophyl. Les pharisiens s'efforçaient de surprendre Jésus dans ses paroles, pour détourner le peuple de le suivre, mais leurs efforts aboutissaient à un résultat contraire, car le peuple se pressait autour de lui par milliers, et dans le vif désir qu'ils avaient de s'approcher de sa personne, ils se foulaient les uns les autres, tant la vérité a de puissance, tant au contraire la fourberie est toujours faible: «Cependant une grande multitude s'étant assemblée autour de Jésus», de sorte qu'ils se foulaient les uns les autres, il commença à dire à ses disciples: «Gardez-vous du levain des pharisiens, qui est l'hypocrisie». - S. Cyr. Notre-Seigneur recommande à ses disciples de se garder des pharisiens, parce que c'étaient des fourbes qui se moquaient de tout. - S. Grég. de Naz. Le levain est tantôt pris en bonne part, comme produisant le pain, qui alimente la vie, et tantôt en mauvaise part, comme étant le symbole d'une méchanceté aigre et invétérée. - Théophyl. Le Sauveur donne le nom de levain à l'hypocrisie, parce qu'elle altère et corrompt les intentions des hommes dans le coeur desquels elle pénètre, car rien ne corrompt les moeurs comme l'hypocrisie. - Bède. De même qu'un peu de levain aigrit toute la pâte (1Co 5,6), de même la dissimulation ôte à l'âme toute sincérité et toute vérité dans la pratique des vertus.

S. Ambr. Pour nous détourner d'imiter la conduite perfide des Juifs en agissant d'une manière et en parlant d'une autre, Notre-Seigneur place ici une magnifique leçon de simplicité et de foi, et nous rappelle qu'à la fin des temps, nos pensées cachées nous accuseront ou nous défendront, et dévoileront ainsi le secret de notre âme: «Rien de secret qui ne soit révélé»,etc. - Orig. Il veut donc parler de ce temps où Dieu jugera les actions les plus cachées des hommes; ou il veut dire que quelques efforts qu'on fasse pour étouffer le bien que font les autres sous le poids de la calomnie, le bien de sa nature ne peut rester caché. - S. Chrys. (hom. 35, sur S. Matth). Il semble dire à ses disciples: On vous traite maintenant de séducteurs et de magiciens, mais le temps dévoilera toutes choses, il mettra au grand jour leurs calomnies et fera éclater votre vertu. Prêchez donc hardiment, le front découvert, et sans crainte aucune à tout l'univers, ce que je vous ai enseigné dans ce petit coin de la Palestine: «Ainsi ce que vous avez dit dans les ténèbres, on le dira au grand jour»,etc. - Bède. Ou bien encore, il parle de la sorte, parce que tout ce que les apôtres ont dit et souffert autrefois dans les ténèbres, des persécutions, et dans les noirs cachots où on les enfermait, est maintenant annoncé publiquement par la lecture qui se fait de leurs actes, dans l'Église répandue par tout l'univers. Ces paroles: «Sera prêché sur les toits», se rapportent à l'usage de la Palestine, où l es habitants se tiennent sur les toits, car les toits ne sont point surmontés de combles comme les nôtres, mais nivelés en plate-forme, c'est-à-dire en surface plane. Ainsi ces paroles: «Sera publié sur les toits»,signifie: sera annoncé de manière à être entendu de tous. - Théophyl. Ou bien encore, Notre-Seigneur s'adresse aux pharisiens, et leur dit: O pharisiens, ce que vous avez dit dans les ténèbres, c'est-à-dire, les embûches que vous méditez contre moi dans les épaisses ténèbres de vos coeurs, seront dévoilées au grand jour: car je suis la lumière, et je révélerai dans cette lumière tout ce que vous tramez ténébreusement contre moi. Et ce que vous dites à l'oreille et dans l'intérieur de vos maisons (c'est-à-dire, tout ce que vous murmurez à voix basse à l'oreille), sera prêché sur les toits, c'est-à-dire sera entendu de moi, comme si on le prêchait sur les toits. On peut dire encore que la lumière, c'est l'Évangile, que les toits sont les âmes élevées des Apôtres, car toutes les âmes insidieuses des pharisiens furent dévoilées, et mises au grand jour dans la lumière de l'Évangile, par l'oracle divin de l'Esprit saint qui se reposait sur les âmes des Apôtres.


vv. 4-7

10204 Lc 12,4-7

S. Ambr. Deux causes produisent ordinairement la perfidie de la trahison, une méchanceté naturelle et invétérée, ou une crainte accidentelle. Notre-Seigneur prémunit donc ses disciples contre la crainte qui les porterait à renier le Dieu qu'ils reconnaissent dans leur coeur: «Or, je vous dis à vous qui êtes mes amis: Ne craignez pas ceux qui tuent le corps», etc. - S. Cyr. Ces paroles ne peuvent s'appliquer indifféremment à tous, mais à ceux-là seulement qui aiment Dieu de tout leur coeur, et qui peuvent dire en toute assurance: «Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ ?» (Rm 8, 35-38) Ceux qui ne sont point dans cette disposition, sont faibles et bien près de tomber, c'est le Seigneur lui-même qui a dit: «Personne ne peut témoigner un plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis». Or, ne serait-il pas souverainement injuste de ne pas rendre à Jésus-Christ ce que nous avons reçu de lui? - S. Ambr. Il leur apprend aussi que la mort n'a plus rien de redoutable, puisque l'immortalité la rachète par une si riche compensation.

S. Cyr. Souvenons-nous donc que Dieu prépare des couronnes et des honneurs pour récompenser les travaux de ceux sur lesquels les hommes exercent ici-bas leur colère, et que la mort du corps met un terme à leurs persécutions, comme l'ajoute Notre-Seigneur: «Et après cela ils ne peuvent rien faire de plus». - Bède. C'est donc en vain que les persécuteurs exercent leur fureur insensée sur les membres déchirés des martyrs, qu'ils jettent en pâture aux bêtes féroces, ou aux oiseaux du ciel, puisqu'ils ne peuvent empêcher la toute-puissance de Dieu de leur rendre la vie en les ressuscitant.

S. Chrys. (hom. 23, sur S. Matth). Considérez comment le Seigneur rend ses disciples supérieurs à tous les événements, puisqu'il les exhorte à mépriser même la mort si redoutable à tous les hommes. Mais voyez en même temps comme il multiplie les preuves de l'immortalité de l'âme: «Mais je vous montrerai qui vous devez craindre, craignez celui qui, après avoir ôté la vie, a le pouvoir de jeter dans la géhenne. - S. Ambr. C'est qu'en effet la mort est la fin de la nature et non du châtiment; aussi la conclusion de Notre-Seigneur est-elle, que la mort met fin au supplice du corps, tandis que le châtiment de l'âme est éternel, et que nous ne devons craindre que Dieu seul, à la puissance duquel la nature ne peut p rescrire des bornes, mais qui lui-même commande à la nature: «Oui je vous le dis, ajoute-t-il, craignez celui-là». - Théophyl. Remarquez que les pécheurs ont à subir le double châtiment et de la mort temporelle, et du supplice de l'enfer oùils sont jetés. Si vous approfondissez ces paroles, vous y trouverez encore un autre enseignement. En effet, Notre-Seigneur ne dit pas: «Qui envoie dans la géhenne», mais: «Qui a le pouvoir d'envoyer». Car tous ceux qui meurent dans le péché ne sont pas immédiatement livrés au supplice, mais ils éprouvent quelques moments de repos et d'adoucissement par suite des sacrifices et des prières qui sont offertes pour les âmes des défunts.

S. Ambr. Notre-Seigneur venait d'inspirer à ses Apôtres l'amour de la simplicité, et d'affermir leur courage; leur foi seule était chancelante, il la fortifie donc merveilleusement par les exemples empruntés aux choses les plus simples :«Est-ce que cinq passereaux ne se vendent pas deux as (undiponde) ? et pas un d'eux n'est en oubli devant Dieu», c'est-à-dire, si Dieu n'oublie point les passereaux, comment pourrait-il oublier les hommes? -
Bède. Le diponde est un des poids les plus légers, et il est composé de deux as. - La Glose. Or, l'as est dans le poids ce que un est dans les nombres, et le diponde équivaut à deux as. -
S. Ambr. Mais, comment, objectera-t-on, l'Apôtre a-t-il pu dire: «Est-ce que Dieu prend soin des boeufs ?» Et cependant un boeuf est d'un plus grand poids qu'un passereau. Nous répondons qu'autre chose est le souci, autre chose la connaissance que Dieu a des plus petites créatures.

Orig. (Ch. des Pèr. gr). Ces paroles signifient donc littéralement que l'action pénétrante de la Providence s'étend aux plus petites choses. Dans le sens mystique, les cinq passer eaux sont le symbole des sens spirituels de l'âme, qui perçoivent les choses célestes et supérieures à l'homme, qui voient Dieu, entendent sa voix, savourent le pain de vie, respirent l'odeur des parfums de Jésus-Christ, et touchent le Verbe divin. Ils sont vendus deux as, c'est-à-dire, qu'ils sont mis à vil prix par ceux qui regardent les choses de l'Esprit comme une folie, mais cependant ils ne sont pas en oubli devant Dieu. Néanmoins, l'Écriture dit quelquefois que Dieu oublie certains hommes à cause de leurs crimes. - Théophyl. Ou bien encore, ces cinq sens sont vendus pour deux as, c'est-à-dire, pour le Nouveau et l'Ancien Testament, et ainsi ils ne sont pas en oubli devant Dieu, car Dieu se souvient toujours de ceux qui appliquent leurs sens à la parole de vie, et se rendent dignes de cet aliment spirituel. - S. Ambr. Ou bien encore, le bon passereau est celui qui a reçu de la nature la faculté de voler, car nous avons reçu nous-mêmes de la nature la puissance de voler, et la volupté nous l'a ravie, en appesantissant l'âme par ses jouissances grossières et en s'inclinant vers la terre comme une masse de chair. Si donc les sens du corps cherchent à se nourrir des souillures de la terre, ils deviennent incapables de s'élever jusqu'aux fruits des oeuvres surnaturelles. Celui-là donc ressemble au mauvais passereau, à qui les jouissances corrompues de la terre ont retranché les ailes; tels sont ces passereaux qui se vendent deux as, c'est-à-dire, pour les plaisirs impurs du monde; car notre ennemi nous met à vil prix comme un troupeau d'esclaves, tandis que le Seigneur, juste appréciateur de son oeuvre, nous a rachetés à un grand prix comme de nobles serviteurs qu'il avait faits à son image.

S. Cyr. Il cherche donc avec le plus grand soin à connaître la vie des saints, comme l'indiquent les paroles suivantes: «Les cheveux même de votre tête sont tous comptés»,c'est-à-dire, qu'elle connaît exactement tout ce qui les concerne, car l'action de compter manifeste une sollicitude des plus attentives. - S. Ambr. Cette manière de parler ne veut pas dire que Dieu ait compté tous nos cheveux, mais exprime la science naturelle qu'il a de tout ce qui existe; Notre-Seigneur dit cependant qu'ils sont comptés, parce que nous comptons ce que nous voulons conserver.

S. Cyr. Dans le sens mystique, la tête est l'intelligence de l'homme, et les cheveux sont les pensées qui sont toutes à découvert aux yeux de Dieu. - Théophyl. Ou bien encore, par la tête on peut entendre la vie du fidèle, qui s'applique à imiter Jésus-Christ, et par les cheveux les oeuvres de mortification extérieure que Dieu compte et qui sont dignes de fixer son attention. - S. Ambr. Si donc la puissance de Dieu est si grande, qu'un seul passereau, qu'aucun de nos cheveux ne lui soit inconnu, ne serait-ce pas une indignité de penser que le Seigneur ne connaît point les coeurs des fidèles, ou qu'il les dédaigne, lui dont la science s'étend aux plus petites choses: «Ne craignez donc point, conclut-il, vous valez plus que beaucoup de passereaux». - Bède. On ne doit point lire, vous êtes plus (plures), comme s'il était question du nombre, mais vous êtes plus (pluris), c'est-à-dire, vous êtes d'un plus grand prix aux yeux de Dieu. - S. Athan. (Disc. 3 cont. les ar). Or, je demanderai aux ariens: si Dieu dédaignant de créer les autres êtres, n'a fait que son Fils, et lui a abandonné toutes les autres créatures, comment sa providence s'étend-elle jusqu'aux moindres choses, jusqu'à un cheveu, un passereau? Car tous les êtres que Dieu embrasse par sa providence, il les a créés par sa parole.


vv. 8-12

10208 Lc 12,8-12

Bède. Après avoir déclaré que toutes nos oeuvres, que toutes nos pensées les plus secrètes seront révélées; Notre-Seigneur ajoute que cette révélation aura lieu, non pas au milieu d'une assemblée ordinaire, mais en présence de la cité céleste, devant le Juge et le Roi éternel des siècles: «Or, je vous le dis, quiconque m'aura confessé devant les hommes», etc. - S. Ambr. Le Sauveur insère ici admirablement tout ce qui peut rendre la foi plus vive, en lui donnant la force pour fondement et pour base; car de même que la foi est le stimulant du courage, la force est le plus ferme appui de la foi. - S. Chrys. (hom. 35, sur S. Matth). Dieu ne se contente donc pas de la foi intérieure, il en demande la confession extérieure et publique, et nous excite ainsi à une plus grande confiance et à un plus grand amour. Et comme cet enseignement est utile à tous, il parle en général: «Quiconque m'aura confessé devant les hommes»,etc. -
S. Cyr. Saint Paul dit dans son Épître aux Romains: «Si vous confessez de bouche que Jésus est. le Seigneur, et si vous croyez de coeur que Dieu l'a ressuscité après la mort, vous serez sauvé».Tous les mystères du Christ sont compris dans ces paroles. En effet, il faut d'abord reconnaître que le Verbe qui est sorti du Père, c'est-à-dire, son Fils unique, né de sa substance, est le Seigneur de toutes choses, et que son souverain domaine n'est point un domaine usurpé, ni qui vienne d'un principe extérieur, mais qu'il lui vient, comme à son Père, de sa nature même et de son existence. Il faut ensuite confesser que Dieu a ressuscité des morts ce même Seigneur, qui s'est fait homme, et qui a souffert la mort pour nous; car c'est ainsi qu'il est ressuscité des morts. Quiconque confessera ainsi devant les hommes la divinité et le souverain domaine de Jésus-Christ, le Sauveur, à son tour, le confessera devant les auges de Dieu, lorsqu'il descendra avec les saints anges dans la gloire du Père, à la consommation des siècles.

Eusèbe. Or, qu'y aura-t-il de plus glorieux que de voir le Fils unique, le Verbe de Dieu, rendant témoignage au jour du jugement, et donnant dans son amour une récompense sensible du témoignage qui lui a été rendu sur la terre, à l'âme qu'il aura jugée digne de cette récompense? Car il ne restera pas en dehors de cette âme, mais il lui rendra témoignage en habitant au milieu d'elle et en l'inondant de sa lumière. Après avoir fortifié ses Apôtres par la douce espérance d'aussi magnifiques promesses, il les affermit encore par des menaces non moins effrayantes: «Mais celui qui m'aura renié devant les hommes, sera renié devant les anges de Dieu». - S. Chrys. (hom. 35 sur S. Matth). C'est-à-dire, que le châtiment sera plus sévère et la récompense plus abondante, comme s'il disait: Ici-bas, c'est vous qui me confessez, ou qui me niez, mais au jour du jugement, ce sera moi-même, et ainsi la récompense du bien que vous aurez fait, ou le châtiment du mal que vous aurez commis, vous seront rendus avec usure dans l'autre vie. - Eusèbe. Le Sauveur fait ici cette menace, pour leur faire comprendre combien il est important qu'ils confessent son nom, par la perspective du châtiment qui les attend, châtiment qui consiste à être renié par le Fils de Dieu, c'est-à-dire, par la sagesse de Dieu; à perdre la vie, à être privé de la lumière, et dépouillé de tous les biens, à souffrir ce châtiment devant le Père, qui est dans les cieux et les anges de Dieu.

S. Cyr. Or ceux qui nient Jésus-Christ sont d'abord ceux qui abjurent la foi aux approches de la persécution, il faut y joindre encore les docteurs hérétiques et leurs disciples. - S. Chrys. (comme préc). Il est encore d'autres manières de renier Jésus-Christ, que saint Paul énumère, lorsqu'il dit: «Ils font profession du connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs actions», (Tt 1, 16) et encore: «Si quelqu'un n'a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison, il a renoncé à la foi, et il est pire qu'un infidèle», (1Co 2, 5).Puisqu'il y a plusieurs manières de renier Jésus-Christ, il est évident qu'il y a autant de manières de le confesser, et celui qui aura confessé le Sauveur de ces différentes manières, entendra cette voix si consolante de Jésus-Christ, rendant un glorieux témoignage à tous ceux qui l'auront confessé. Considérez ici la propriété des expressions, dans le texte grec, on lit: «Quiconque aura confessé en moi», ce qui veut dire que ce n'est point par les forces naturelles, mais à l'aide de la grâce de Dieu, qu'on peut confesser Jésus-Christ. Mais pour celui qui nie, il ne dit point: Celui qui aura nié en moi; mais: «Celui qui m'aura renié», car celui qui le nie est privé de la grâce; il ne laisse pas toutefois d'être coupable, parce qu'il est cause de cette privation de la grâce, et que c'est par sa propre faute qu'elle lui fait défaut. - Bède. De ce que le Sauveur doit un jour renier tous ceux qui l'ont nié sur la terre, il ne s'ensuit pas que le même sort soit réservé à tous indifféremment, à ceux qui l'ont nié de dessein prémédité, et à ceux qui ne l'ont fait que par faiblesse et par ignorance, aussi Notre-Seigneur ajoute: «Et quiconque parle contre le Fils de l'homme, il lui sera remis», etc. - S. Cyr. Ces paroles du Sauveur signifient-elles que toute parole injurieuse que nous aurons dites contre un de nos semblables, nous sera pardonnée, si nous nous en repentons, elles n'offrent alors aucune difficulté, puisque Dieu étant naturellement bon, pardonne à ceux qui veulent se repentir, mais si elles doivent s'entendre de Jésus-Christ lui-même, comment celui qui parle contre lui ne sera-t-il pas condamné? - S. Ambr. Par le Fils de l'homme, nous entendons le Christ, qui a été engendré par l'opération du Saint-Esprit, de la Vierge, qui est seule sur la terre la cause de sa naissance temporelle. Or, dirons-nous que l'Esprit saint est plus grand que le Christ, de manière que ceux qui pèchent contre le Christ, puissent obtenir leur pardon, tandis que ceux qui pèchent contre l'Esprit, n'ont aucune miséricorde à attendre? Mais où il y a unité de puissance, on ne peut établir aucune comparaison.

S. Athan. (Traité sur ces par.: Quiconque, etc). D'anciens auteurs, le savant Origène et l'admirable Théognoste, enseignent qu'on se rend coupable du blasphème contre l'Esprit saint, quand après avoir reçu ce divin Esprit par le baptême, on retourne à ses anciens péchés, et c'est la cause, disent-ils, qui les rend indignes de pardon, suivant ces paroles de saint Paul: «Il est impossible que ceux qui ont été une fois éclairés, qui ont goûté le don du ciel, qui ont été faits participants du Saint-Esprit, soient renouvelés par la pénitence» (He 6). Chacun de ces deux docteurs motive ainsi son sentiment: Dieu le Père, dit Origène, pénètre et embrasse toutes choses; la puissance du Fils ne s'étend qu'aux créatures raisonnables, et l'Esprit saint n'habite que les âmes qui l'ont reçu dans le baptême. Lors donc que les catéchumènes ou les gentils se rendent coupables, ils pèchent contre le Fils, qui demeure au milieu d'eux; ils peuvent cependant obtenir leur pardon, quand ils deviennent dignes du sacrement de la régénération. Au contraire, quand ils retombent dans le péché, après le baptême, leur crime atteint l'Esprit saint, contre lequel ils pèchent après l'avoir reçu; aussi leur condamnation est-elle irrévocable. Théognoste, de son côté, enseigne que celui qui a franchi le premier et le second degré de culpabilité, mérite un moindre châtiment, mais celui qui franchit le troisième n'a plus de pardon à espérer. Or, suivant lui, le premier et le second degré, c'est la doctrine du Père et du Fils; le troisième, c'est la participation à l'Esprit saint, conformément à ces paroles du Sauveur: «Lorsque l'Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité» (Jn 16). Ce n'est pas sans doute, que la doctrine de l'Esprit saint surpasse la doctrine du Fils; mais le Fils est plein de condescendance pour les âmes imparfaites, tandis que le Saint-Esprit est comme le sceau des âmes arrivées à la perfection. Si donc le blasphème contre l'Esprit saint ne mérite aucun pardon, ce n'est pas que l'Esprit saint soit supérieur au Fils, mais parce que les âmes imparfaites ont droit au pardon, tandis que celles qui sont arrivées à la perfection, ne peuvent apporter aucune excuse. Car il faut reconnaître que le Fils étant dans le Père, il est dans ceux en qui le Père habite, et que l'Esprit saint y est aussi, car la sainte Trinité est indivisible. Ajoutons que si toutes choses ont été faites par le Fils, et ne subsistent que par lui (Jn 1, 3; Col 1, 16.17), il est donc lui-même en toutes choses, et ainsi celui qui pèche contre le Fils, pèche nécessairement contre le Père et le Saint-Esprit. Enfin le sacrement de baptême s'administre au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; ceux donc qui retombent dans le péché après le baptême, blasphèment contre la sainte Trinité. Mais, puisque les pharisiens n'avaient pas reçu le baptême, pourquoi les accuse-t-il de blasphème contre le Saint-Esprit, qu'ils n'avaient pas encore reçu, alors surtout qu'il ne les accuse pas de simples péchés, mais de blasphème? car le péché n'est que la transgression de la loi, tandis que le blasphème est un outrage direct à Dieu lui-même. Et encore, s'il n'y a plus de pardon à espérer pour ceux qui pèchent après le baptême, pourquoi l'Apôtre pardonne-t-il à l'incestueux pénitent de Corinthe. (2Co 2). Pourquoi écrit-il aux Galates, qui étaient retournés en arrière, qu'il les enfante de nouveau, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en eux? (Ga 3). Pourquoi reprochons-nous à Novatien de ne pas admettre la pénitence après le baptême? Disons donc que l'Apôtre, dans son Épître aux Hébreux, ne détruit pas la pénitence après le baptême, mais il combat la fausse idée des Juifs devenus chrétiens, qu'il pût y avoir des baptêmes multipliés tous les jours pour la rémission des péchés, selon les prescriptions de la loi. Il exhorte donc à la pénitence, mais il déclare qu'il n'y a qu'une seule régénération par le baptême. En méditant ces diverses considérations, je me reporte à l'admirable économie de l'incarnation du Christ qui, étant Dieu s'est fait homme; qui comme Dieu ressuscitait les morts, et en tant qu'homme, revêtu de notre chair, était soumis à la soif, à la fatigue, à la souffrance. Ceux donc qui, ne considérant en lui que l'homme, le voient sujet à la soif et à la douleur, et tiennent des discours injurieux à son humanité, sont coupables, il est vrai, mais ils peuvent par le repentir obtenir promptement le pardon de leur péché, en s'excusant sur le s faiblesses de la nature humaine. Ceux qui au contraire considèrent les oeuvres divines de Jésus-Christ, et doutent qu'il ait un corps véritable, pèchent gravement eux-mêmes, cependant le repentir peut encore leur mériter le pardon, parce qu'ils peuvent donner pour excuse la grandeur des oeuvres opérées par Jésus-Christ. Mais quand ils attribuent aux démons les oeuvres de la divinité, ils prononcent contre eux une sentence de condamnation irrévocable, en donnant an démon un pouvoir divin, et en n'accordant pas au vrai Dieu plus de puissance qu'au démon. C'est à ce degré d'aveuglement et de perfidie, que les pharisiens en étaient arrivés. Le Sauveur opérait sous leurs yeux les oeuvres de son Père, il rendait la vie aux morts, la vue aux aveugles, il faisait mille autres prodiges semblables, et ils attribuaient ces oeuvres à Béelzébub. Ils auraient pu dire avec autant de raison, en voyant l'ordre du monde, et la Providence qui le gouverne, qu'il a été créé par Béelzébub. Aussi tant qu'ils se sont bornés à ne voir en Jésus-Christ qu'un homme, et à dire d'un esprit incertain et douteux: «N'est-ce pas là le fils du charpentier? (cf. Mt 13,55) Et comment sait-il les Écritures, puisqu'il ne les a pas apprises ?»il a supporté leur incrédulité qui était un péché contre le Fils de l'homme. Mais dès qu'ils ont poussé le délire jusqu'à dire que les oeuvres de Dieu avaient pour auteur Béelzébub, il ne put les souffrir davantage. C'est ainsi qu'autrefois il avait supporté l'incrédulité de leurs pères, tant qu'ils ne murmuraient que de manquer de pain et d'eau, mais lorsqu'ils eurent fondu le veau d'or et qu'ils lui attribuèrent les bienfaits qu'ils avaient reçus du ciel, Dieu les punit, et par la mort d'un grand nombre d'entre eux, et par la prédiction des châtiments à venir: «Je les punirai, dit-il, au jour de la vengeance, du crime qu'ils ont commis» (Ex 32, 34). Le Sauveur prédit le même châtiment aux pharisiens condamnés à brûler éternellement avec le démon, dans le feu qui a été préparé pour lui. Notre-Seigneur ne veut donc point ici établir une comparaison entre le blasphème proféré contre lui et le blasphème contre le Saint-Esprit, comme si le Saint-Esprit était plus grand que lui; mais des deux blasphèmes qu'ils proféraient contre lui, il veut montrer que l'un est plus grave que l'autre, car ils l'outrageaient en ne voyant en lui qu'un homme, et en attribuant à Béelzébub les oeuvres toutes divines qu'il faisait.

S. Ambr. Il en est qui pensent que par le Fils et le Saint-Esprit, il faut entendre le Christ, tout en gardant la distinction des personnes et l'unité de substance, parce que le même Jésus-Christ, Dieu et homme tout ensemble, est appelé l'Esprit dans la sainte Écriture: «L'Esprit de notre bouche, le Christ, le Seigneur». Il est également saint, puisque le Père est saint, que le Fils est saint, et que l'Esprit est saint. Si donc le Christ est l'un et l'autre, pourquoi cette différence, si ce n'est pour nous apprendre quel crime c'est pour nous que de nier la divinité de Jésus-Christ? - Bède. On peut encore donner cette explication: Celui qui attribue au démon les oeuvres de l'Esprit saint, ne peut espérer de pardon ni en ce monde ni en l'autre, non pas que nous refusions à Dieu de lui pardonner s'il pouvait se repentir, mais parce qu'il est presque impossible à celui qui se rend coupable d'un tel blasphème, non seulement d'obtenir son pardon, mais de faire de dignes fruits de pénitence, selon ces paroles d'Isaïe: «Il les a frappés d'aveuglement, à ce point qu'ils ne pourront se convertir, et obtenir leur guérison» (Is 5). Or, si l'Esprit saint n'était qu'une simple créature et qu'il ne fût pas consubstantiel au Père et au Fils, comment les outrages proférés contre lui entraîneraient-ils un châtiment aussi terrible que celui qui est réservé aux blasphèmes contre Dieu? (Lm 15, 20).

Bède. Cependant tous ceux qui nient l'existence de la divinité de l'Esprit saint, ne sont point pour cela coupables de ce crime irrémissible de blasphème, parce qu'ils agissent par ignorance naturelle plutôt que par le principe d'envie diabolique qui animait les principaux d'entre les Juifs. - S. Aug. (serm. 2 sur les par. du Seign). Donnons encore cette autre explication: si le Sauveur s'était exprimé de la sorte: Celui qui se sera rendu coupable de n'importe quel blasphème contre l'Esprit saint, nous devrions entendre toute espèce de blasphème sans exception, mais il se borne à dire: «Celui qui blasphémera contre l'Esprit saint»,c'est-à-dire, celui qui profère, non pas un blasphème quelconque, mais un blasphème de telle gravité, qu'il ne puisse jamais être pardonné. C'est dans le même sens qu'il est dit: «Dieu ne tente personne», (Jc 1) ce qui doit s'entendre, non pas de toute tentation en général, mais d'un certain genre de tentation. Mais quel est ce blasphème irrémissible contre l'Esprit saint? Le voici: Le premier bienfait dont les fidèles sont redevables à l'Esprit saint, c'est la rémission des péchés, c'est contre ce don purement gratuit que blasphème le coeur impénitent; l'impénitence est donc le blasphème contre l'Esprit saint, qui ne sera remis ni en ce monde ni en l'autre, parce que c'est la pénitence seule qui obtient en cette vie la rémission des péchés dont nous devons recueillir les fruits en l'autre. - S. Cyr. Après avoir inspiré à ses disciples une crainte salutaire et les avoir préparés. à résister généreusement à ceux qui s'écartent de la vraie foi, il leur recommande de ne point s'inquiéter d'ailleurs de la réponse qu'ils devront faire, parce que l'Esprit saint qui habite dans les âmes bien disposées pour les instruire, leur suggérera ce qu'il convient de répondre: «Lorsqu'on vous conduira dans les synagogues et devant les magistrats, ne vous mettez point en peine comment vous répondrez ni de ce que vous direz». - La Glose. interl. Le Sauveur dit: «Comment vous répondrez», quant à la forme de la réponse que vous ferez à ceux qui vous questionneront: «Ni de ce que vous direz», pour le fond même des choses, que vous exposerez à ceux qui désireront s'instruire. - Bède. En effet, lorsque nous sommes conduits devant les tribunaux pour la cause de Jésus-Christ, nous devons nous contenter d'offrir pour lui notre bonne volonté, pour le reste, la grâce du Saint-Esprit nous assistera dans nos réponses: «Car l'Esprit saint vous enseignera à l'heure même ce qu'il vous faudra dire». - S. Chrys. (hom. 34 sur S. Matth). Il est dit ailleurs, il est vrai: «Soyez toujours prêts à répondre pour votre défense à tous ceux qui vous demanderont raison de l'espérance qui est en vous». (1 P 3, 13) C'est-à-dire, que lorsqu'il s'élève une discussion, une controverse entre amis, nous devons alors réfléchir à ce qu'il nous faut répondre; mais quand nous sommes traduits devant ces tribunaux, où tout inspire la terreur, il nous entoure comme d'un rempart de sa propre force, et nous donne le courage de parler sans crainte. - Théophyl. Or, comme notre faiblesse vient de deux causes, ou parce. que nous voulons éviter le martyre. par la crainte du supplice, ou parce que notre ignorance nous empêche de rendre compte de notre foi, le Sauveur combat ces deux causes: la crainte de la douleur, lorsqu'il dit: «Ne craignez pas ceux qui tuent le corps»,la crainte de l'ignorance, par ces dernières paroles: «Ne soyez point en peine comment vous répondrez ni de ce que vous direz».


vv. 13-15

10213 Lc 12,13-15

S. Ambr. Tous les enseignements qui précèdent, ont pour but de nous encourager à souffrir pour le nom du Seigneur, ou par le mépris de la mort, ou par l'espérance de la récompense, ou par la menace des supplices éternels, qu'aucune miséricorde ne viendra jamais adoucir. Or, comme l'avarice est une source fréquente de tentations pour la vertu, Notre-Seigneur veut en détruire jusqu'au germe dans notre âme, et à l'appui du précepte qu'il donne, il apporte cet exemple: «Alors, du milieu de la foule, quelqu'un lui dit: Maître, dites à mon frère de partager avec moi notre héritage». - Théophyl. Ces deux frères se disputaient pour diviser l'héritage paternel, il fallait donc que l'un cherchât à frauder l'autre. Or, le Sauveur, voulant nous appendre à ne point abaisser notre esprit jusqu'aux choses de la terre, rejette la demande de celui qui l'appelait à diviser cet héritage: «Mais Jésus lui répondit: Homme, qui m'a établi pour vous juger ou pour faire vos partages ?» - Bède. Cet homme veut préoccuper du souci de diviser la terre le Maître qui est venu nous inspirer le goût des joies et de la paix du ciel; aussi est-ce avec raison que Notre-Seigneur lui donne le nom d'homme; dans le même sens que ces autres paroles: «Puisqu'il y a parmi vous des jalousies et des contentions, n'est-il pas visible que vous êtes charnels, et que vous vous conduisez comme des hommes».

S. Cyr. Lorsque le Fils de Dieu a daigné se rendre semblable à nous, Dieu son Père l'a établi roi et prince sur la sainte montagne de Sion, pour annoncer ses divins commandements (cf. Ph 2,7 Ps 2,6). - S. Ambr. C'est donc avec raison qu'il refuse de s'occuper des intérêts de la terre, lui qui n'est descendu sur la terre que pour nous enseigner les choses du ciel; il dédaigne d'être le juge des différends et l'arbitre des biens de la terre, lui à qui Dieu a donné le pouvoir de juger les vivants et les morts, et l'appréciation décisive des mérites des hommes. Il faut donc considérer ici, non pas ce que vous demandez, mais à qui vous faites cette demande, et ne pas chercher à détourner à des choses de médiocre importance, celui dont l'esprit est appliqué à des objets d'un intérêt supérieur. Ce frère méritait donc la réponse que lui fit le Sauveur, lui qui voulait que le dispensateur des biens célestes, s'occupât des intérêts périssables de la terre. Ajoutons d'ailleurs que ce n'est point par l'intervention d'un juge, mais par l'affection, qu'un bien patrimonial doit être partagé entre des frères. Enfin les hommes doivent attendre et espérer le patrimoine de l'immortalité plutôt que celui des richesses.

Bède. Notre-Seigneur profite de l'occasion de cette demande inconsidérée pour prémunir par des préceptes et des exemples, la foule et ses disciples, contre le fléau contagieux de l'avarice: «Et s'adressant à tous ceux qui étaient présents, il leur dit: «Gardez-vous avec soin de toute avarice».Remarquez ces paroles: «De toute avarice», parce que bien des actions ont une apparence de droiture, mais leur intention vicieuse n'échappe pas à l'oeil pénétrant du juge intérieur. - S. Cyr. Ou bien encore: «Gardez-vous de toute avarice, grande ou petite»,car l'avarice est tout à fait inutile au témoignage du Seigneur lui-même: «Vous bâtirez des maisons magnifiques, et vous ne les habiterez pas». (Am 5, 11). Et ailleurs: «Dix arpents de vigne ne rapporteront qu'une mesure, la terre ne rendra plus que la dixième partie de la semence». (Is 5, 10). Le Sauveur donne une autre raison de l'inutilité de l'avarice: «Dans l'abondance même, la vie d'un homme ne dépend pas des biens qu'il possède». - Théophyl. Il condamne ici les vains prétextes des avares, qu'on voit entasser des richesses, comme s'ils devaient toujours vivre. Mais l'opulence peut-elle prolonger votre vie? Pourquoi donc vous dévouer à des inquiétudes certaines pour un repos qui n'est rien moins que certain? Car il est bien douteux que vous atteigniez la vieillesse pour laquelle vous amassez des trésors.



Catena Aurea 10145