Catena Aurea 10318
10318 Lc 13,18-21
La Glose. (en termes équivalents). Après avoir couvert ses ennemis de confusion et comblé le peuple de joie par, les oeuvres glorieuses qu'il opérait, Jésus leur découvre le progrès de l'Évangile sous le voile de plusieurs paraboles: «Il disait encore: A quoi est semblable le royaume de Dieu, et à quoi le comparerai-je? Il est semblable à un grain de sénevé», etc. - S. Ambr. Dans un autre endroit, le grain de sénevé est comparé à la foi (Mt 17,19). Si donc le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé, et que la foi elle-même soit figurée par ce grain de sénevé, la foi est donc le royaume des cieux qui est au dedans de nous (Lc 17). Le grain de sénevé est très-commun et sans beaucoup de valeur, mais aussitôt qu'il est broyé il répand sa force; ainsi la foi elle-même paraît au premier abord sans valeur, mais si elle est aussi broyée par les souffrances, elle répand la grâce de sa force. Les martyrs sont des grains de sénevé, ils avaient en eux-mêmes le parfum odoriférant de la foi, mais elle était cachée. La persécution est venue, ils ont été brisés par le glaive et ont répandu jusqu'aux extrémités du monde la semence de leur martyre. Notre-Seigneur lui-même est un grain de sénevé. Il a voulu être broyé, afin que nous puissions dire: «Nous sommes la bonne odeur de Jésus-Christ». (2Co 2). Il a voulu être semé comme le grain de sénevé, qu'un homme prend et sème dans son jardin, car c'est dans un jardin que Jésus-Christ a été fait prisonnier et qu'il a été enseveli; c'est là aussi qu'il est ressuscité et qu'il est devenu un grand arbre, comm e il le dit lui-même: «Il crût et devint un grand arbre». Notre-Seigneur, en effet, est le grain de sénevé lorsqu'il est enseveli dans la terre, mais il devient un grand arbre lorsqu'il s'élève dans les cieux. Il est aussi cet arbre qui couvre le monde de son ombrage: «Et les oiseaux du ciel se reposèrent dans ses rameaux», c'est-à-dire, les puissances des cieux, et tous ceux qui, par leurs oeuvres spirituelles, ont le privilège de prendre leur essor au-dessus de la terre, Pierre et Paul sont les rameaux de cet arbre, et nous qui étions loin (Ep 2, 13), nous nous envolons sur les ailes des vertus dans les retraites cachées de ces branches à travers les profondeurs des controverses. Semez donc Jésus-Christ dans votre jardin, un jardin est un lieu parsemé de fleurs; que vos oeuvres soient donc les fleurs de ce jardin, et qu'elles y exhalent les parfums variés des vertus chrétiennes. Jésus-Christ se trouve là où la semence produit des fruits.
S. Cyr. Ou bien encore, le royaume de Dieu, c'est l'Évangile qui nous donne le droit d'aspirer à régner un jour avec Jésus-Christ. Le grain de sénevé est plus petit que toutes les autres semences, mais il prend ensuite de si grands développements qu'il reçoit sous ses ombrages une multitude d'oiseaux; ainsi la doctrine du salut peu répandue dans le commencement, a pris ensuite les plus grands accroissements.
Bède. Cet homme, dont il est ici parlé, c'est Jésus-Christ, le jardin, c'est l'Église, qui doit être cultivée par ses enseignements. Cet homme a reçu cette semence, dit le Sauveur, parce qu'il a reçu avec nous comme homme les dons dont il est avec son Père la source en tant que Dieu. La prédication de l'Évangile, répandue par tout l'univers, a pris successivement des développements prodigieux, elle se développe aussi progressivement dans l'âme de chaque fidèle, car personne n'arrive tout d'un coup à la perfection, mais il croit et s'élève, non pas comme les plantes qui se dessèchent si vite, mais à la manière des arbres. Les rameaux de cet arbre sont les divers dogmes dans lesquels les âmes chastes, prenant leur essor sur les ailes des vertus, viennent faire leur nid et trouver un doux lieu de repos.
Théophyl. Ou bien encore, tout homme qui prend ce grain de sénevé, c'est-à-dire, la doctrine de l'Évangile, et la sème dans le jardin de son âme, produit un grand arbre qui étend ses rameaux, et les oiseaux du ciel, c'est-à-dire, ceux qui s'élèvent au-dessus des choses de la terre, viennent se reposer dans ses branches, c'est-à-dire, dans les magnifiques développements des vérités chrétiennes. C'est ainsi que Paul reçut les premières leçons d'Ananie comme un grain de sénevé (Ac 9), mais il le sema dans le jardin de son âme, et lui fit produire de nombreux et utiles enseignements où viennent habiter ceux qui ont l'intelligence élevée, comme Denis, Hiérothée, et beaucoup d'autres.
Notre-Seigneur compare ensuite le royaume de Dieu au levain: «Et il dit encore: A quoi comparerai-je le royaume de Dieu? il est semblable à du levain qu'une femme prend», etc. - S. Ambr. D'a près le plus grand nombre des interprètes, ce levain est la figure de Jésus-Christ, parce que de même que le levain qui est un composé de farine, est supérieur à cette matière première, non par sa nature, mais par la force dont il est doué; ainsi Jésus-Christ, par sa nature corporelle, était égal à ses ancêtres, mais leur était incomparablement supérieur par la dignité. Nous avons donc une figure de l'Église dans cette femme, dont il est dit «Qu'une femme prend, et mêle dans trois setiers de farine, jusqu'à ce que le tout soit fermenté». - Bède. Le setier est une mesure en usage dans la Palestine et qui contient un boisseau et demi. - S. Ambr. C'est nous qui sommes la farine de cette femme, qui dépose Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l'intérieur de notre âme, jusqu'à ce que la chaleur de la sagesse céleste anime et soulève les sentiments les plus intimes de notre coeur. Comme ce levain se trouve ici mêlé dans trois mesures de farine, on a été conduit à y voir le Fils de Dieu caché dans la loi, voilé dans les prophètes et accompli dans la prédication évangélique; cependant j'aime mieux suivre le sentiment indiqué par Notre-Seigneur lui-même, que ce levain est la doctrine spirituelle de l'Eglise. Lorsque l'homme a pris une nouvelle naissance dans son corps, dans son âme et dans son esprit, l'Église le sanctifie par le levain spirituel, quand ces trois facultés sont unies ensemble par une certaine égalité de désirs, et qu'elles aspirent ensemble aux mêmes jouissances. Si donc ces trois mesures demeurent unies au levain en cette vie, jusqu'à ce qu'elles fermentent et ne fassent plus qu'un, cette union sera un jour suivie par ceux qui aiment Jésus-Christ d'une communion éternelle et incorruptible. - Théophyl. Dans cette femme, on peut encore voir l'âme humaine, et dans les trois mesures les trois parties, la partie raisonnable, la partie irascible et la partie concupiscible. Si donc un chrétien dépose et cache le Verbe de Dieu dans ces trois mesures, elles ne formeront plus qu'un seul tout spirituel, de manière que la raison ne soit plus en opposition avec les divins enseignements) que la colère et la concupiscence ne s'emportent plus à aucun excès, mais se conforment à la parole du Verbe. - S. Aug. (serm. 32 sur les par. du Seign). Ou bien encore, ces trois mesures de farine figurent le genre humain, qui a été reproduit par les trois enfants de Noé, et la femme qui mêle et cache le levain, c'est la sagesse de Dieu. - Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr). Ou bien dans un autre sens, le levain c'est l'Esprit saint, qui est comme la vertu qui procède de son principe, c'est-à-dire du Verbe de Dieu; les trois mesures de farine signifient la connaissance du Père, du Fils et du Saint-Esprit, que donne cette femme, c'est-à-dire, la divine sagesse et l'Esprit saint. - Bède. Ou bien encore, ce levain c'est l'amour de Dieu, qui fait fermenter et soulève l'âme. Cette femme, c'est-à-dire, l'Église, mêle donc le levain de l'amour de Dieu dans trois mesures, parce qu'elle nous ordonne d'aimer Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme, de toutes nos forces, et cela jusqu'à ce que le tout ait fermenté, c'est-à-dire, jusqu'à ce que la charité ait opéré dans l'âme une parfaite transformation d'amour, ce qu'elle commence ici-bas, mais qui ne s'achève que dans la vie future.
10322 Lc 13,22-30
La Glose. Après que Notre-Seigneur a exposé sous le voile des paraboles qui précèdent les progrès de la doctrine évangélique, il s'applique lui-même à la répandre par ses prédications: «Et il allait par les villes et par les villages, enseignant», etc. - Théophyl. Il ne visitait pas seulement les petites localités, comme font ceux qui veulent tromper les esprits simples, ni seulement les villes, comme ceux qui veulent se faire valoir et cherchent la gloire qui vient des hommes; mais il allait partout, comme le maître de tous les hommes, comme un père dont la providence s'étend à tous ses enfants. En visitant les villes, il n'évite point la ville de Jérusalem, par crainte des accusations des docteurs, ou de la mort qui pouvait en résulter, car l'Évangéliste fait remarquer: «Qu'il se dirigeait vers Jérusalem»; le médecin, en effet, doit surtout sa présence et ses soins aux endroits qui contiennent un plus grand nombre de malades. «Or, quelqu'un lui demanda: Seigneur, n'y aura-t-il qu'un petit nombre qui soient sauvés ?» - La Glose. Cette question paraît se rapporter à ce dont il avait parlé plus haut. En effet, dans la parabole précédente, le Sauveur avait dit que les oiseaux étaient venus se reposer sur les branches de l'arbre, ce qui donnait à entendre qu'il y en aurait un grand nombre qui parviendraient au repos du salut. Comme cet homme faisait cette question au nom de tous, le Seigneur ne lui répond pas en particulier: «Il leur répondit: Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite». - S. Bas. (règle abrég. quest. 240). De même que dans cette vie, quand on sort du droit chemin, on trouve de larges issues, ainsi quand on sort du sentier qui conduit au royaume des cieux, on tombe dans les voies larges de l'erreur. (Quest. 241). Le droit chemin est toujours étroit, on ne peut sans danger s'en écarter soit à droite soit à gauche, il est semblable à un pont qu'on ne peut quitter d'un côté ou de l'autre sans être englouti dans le fleuve.
S. Cyr. (Ch. des Pères gr). La porte étroite est aussi la figure des souffrances et de la patience des saints. De même en effet, que la victoire qui suit le combat atteste la bravoure du soldat, de même les travaux et les tribulations courageusement supportés donnent de l'éclat et de la gloire. - S. Chrys. (hom. 24 et 40, sur S. Matth). Mais pourquoi donc le Sauveur dit-il ailleurs: «Mon joug est doux, et mon fardeau léger ?» (Mt 11,30). Il n'y a point ici de contradiction, d'un côté Notre-Seigneur a en vue la violence des tentations, de l'autre l'amour de ceux qui les éprouvent. En effet, que de choses accablantes pour la nature, et qui nous deviennent faciles quand nous les embrassons avec amour? D'ailleurs, si la voie du salut est étroite à son entrée, elle conduit cependant dans des régions vastes et spacieuses; au contraire la voie large mène directement à la mort. - S. Grég. (Moral., 11, 26). Avant de parler de l'entrée de la porte étroite, il dit: «Efforcez-vous», parce qu'en effet, si l'âme ne déploie toute son ardeur elle ne pourra triompher des flots du monde qui toujours l'entraînent dans les abîmes.
S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr). Il semble que Notre-Seigneur ne répond pas directement à cette question: «Y en a-t-il peu qui soient sauvés ?» en faisant connaître la voie qui peut conduire à la justice. Mais il faut se rappeler qu'il avait coutume de ne pas répondre en entrant dans les pensées et les désirs de ceux qui l'interrogeaient, toutes les fois qu'ils demandaient des choses inutiles, mais en ayant pour but l'utilité de ceux qui l'entendaient. Or, quel avantage pouvait résulter pour eux de savoir si le nombre de ceux qui seraient sauvés serait petit ou grand? Il était bien plus nécessaire de connaître les moyens d'arriver au salut. C'est donc dans un dessein plein de miséricorde, que sans répondre à cette question inutile, il traite un sujet beaucoup plus nécessaire.
S. Aug. (serm. 32, sur les par. du Seig). Ou bien encore, le Sauveur répond affirmativement à la question qui lui est faite: «Y en a-t-il peu qui soient sauvés ?» parce qu'il y en a peu qui entrent par la porte étroite. C'est ce qu'il déclare lui-même dans un autre endroit: «Le chemin qui conduit à la vie est étroit, et il en est peu qui le trouvent» (Mt 7,14). - Bède. C'est pour cela qu'il ajoute ici: «Car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer, (excités par le désir de sauver leur âme), et ils ne le pourront pas», effrayés qu'ils seront des difficultés de la route. - S. Bas. (sur le Ps 1). L'âme, en effet, hésite et chancelle quand, d'un côté, la considération de l'éternité lui fait choisir le chemin de la vertu, et quand en même temps la vue des choses de la terre lui fait donner la préférence aux séductions du monde. D'un côté elle voit le repos et les plaisirs de la chair, de l'autre l'assujettissement, l'esclavage de soi-même; d'un côté l'intempérance, de l'autre la sobriété; d'un côté les rires dissolus, de l'autre des ruisseaux de larmes, d'un côté les danses, de l'autre les prières; ici le son des instruments, là les pleurs; d'un côté la volupté, de l'autre la chasteté. - S. Aug. (serm., 32). Notre-Seigneur ne se contredit pas en disant ici qu'il en est peu qui entrent par la porte étroite, et en déclarant dans un autre endroit «qu'un grand nombre viendront de l'Orient et de l'Occident», etc. (Mt 8,11). Ils seront peu en comparaison de ceux qui se perdent, mais ils seront beaucoup dans la société des anges. Quand le grain est battu dans l'aire, à peine si on le voit, mais cependant il sortira de cette aire une si grande quantité de grains qu'elle remplira le grenier du ciel.
S. Cyr. Notre-Seigneur nous montre ensuite par un exemple manifeste combien sont coupables ceux qui ne peuvent entrer: «Lorsque le père de famille sera entré et aura fermé la porte», etc.; c'est-à-dire, supposez un père de famille qui a invité beaucoup de monde à son festin, lorsqu'il est entré avec ses convives et que la porte est fermée, d'autres arrivent et frappent à la porte. - Bède. Ce père de famille, c'est Jésus-Christ qui est présent partout par sa divinité, mais qui nous est représenté dans l'intérieur du ciel avec ceux qu'il réjouit de la vue de sa présence, tandis qu'il est comme dehors avec ceux qu'il soutient invisiblement dans le combat de cette vie. Il entrera définitivement, lorsqu'il admettra toute l'Église à le contempler, il fermera la porte lorsqu'il refusera aux réprouvés la grâce de la pénitence. Ceux qui se tiendront au dehors et frapperont à la porte, c'est-à-dire ceux qui seront séparés des justes, imploreront en vain la miséricorde qu'ils auront méprisée: «Et il leur répondra: Je ne sais d'où vous êtes». - S. Grég. (Moral., 8). Ne point savoir, pour Dieu, c'est réprouver, comme on dit d'un homme vrai dans ses paroles, qu'il ne sait pas mentir, parce qu'il a horreur du mensonge; ce n'est pas qu'il ne saurait mentir, s'il le voulait, mais l'amour de la vérité lui inspire un profond mépris pour le mensonge. La lumière de la vérité ne connaît donc point les ténèbres qu'elle réprouve.
«Alors vous commencerez à dire: Nous avons mangé et bu devant vous», etc. - S. Cyr. Ceci s'applique aux Israélites qui offraient à Dieu des sacrifices selon les prescriptions de la loi, et se livraient à la joie en mangeant la chair des victimes. Ils entendaient aussi dans leurs synagogues la lecture des livres de Moïse qui, dans ses écrits, ne parlait point en son nom, mais au nom même de Dieu. - Théophyl. Ou bien encore, on peut sans doute appliquer ces paroles aux Israélites, parce que Jésus-Christ est né d'eux selon la chair, qu'ils ont mangé et bu avec lui, et ont entendu ses prédications. Mais elles s'appliquent aussi aux chrétiens; car nous mangeons le corps de Jésus-Christ, et nous buvons son sang, lorsque tous les jours nous nous asseyons à la table mystique, et il enseigne sur les places de nos âmes.
Bède. Ou bien dans un sens figuré, manger et boire devant le Seigneur, c'est recevoir la nourriture de la divine parole, et le Seigneur semble confirmer cette explication en ajoutant: «Vous avez enseigné dans nos places publiques». En effet, la sainte Écriture, dans les choses obscures, est une nourriture, parce qu'on la rompt pour ainsi dire en morceaux en l'expliquant, et qu'on la broie avant de l'avaler. Elle est comme un breuvage dans les vérités plus claires, parce qu'on les prend comme elles se présentent. Mais les joies de ce festin spirituel ne servent de rien à celui qui ne se recommande pas par une piété appuyée sur la foi; la science des Écritures ne fait pas connaître à Dieu ceux que l'iniquité de leurs oeuvres rendent indignes de cet honneur. Aussi que leur dit Notre-Seigneur: «Et il lui dira: Je ne sais d'où vous êtes, retirez-vous de moi», etc. - S. Bas. (règl. abr., quest. 282). Peut-être s'adresse-t-il à ceux que l'Apôtre semble personnifier lui-même, quand il dit: «Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges quand j'aurais toute la science..., quand je distribuerais toutes mes richesses pour nourrir les pauvres, si je n'ai point la charité, je ne suis rien» (1Co 13,3); car ce qui ne se fait point par un motif d'amour de Dieu, mais pour obtenir les louanges des hommes, ne mérite point les éloges de Dieu. - Théophyl. Remarquez combien sont détestés de Dieu ceux qu'il est forcé d'enseigner sur les places publiques. Il nous faut donc écouter ses divins enseignements, non dans les places publiques, mais dans un coeur que l'humilité a rendu petit, si nous voulons éviter ce malheur.
Bède. Or, nous voyons ici la double peine de l'enfer, celle du froid et celle de la chaleur: «Là sera le pleur et le grincement de dents». L'excessive chaleur, en effet, fait verser des larmes, et le grand froid produit le grincement de dents. Ou bien ce grincement de dents est un signe d'indignation, indignation tardive de celui qui attend trop tard pour faire pénitence. - La Glose. Ou bien encore, le grincement de dents sera pour ceux qui, sur la terre, mettaient toute leur joie dans les plaisirs de la table; et les pleurs, pour ces yeux qui s'égaraient ici-bas dans les désirs de la concupiscence. Ces deux tourments sont du reste une preuve de la résurrection des impies.
Théophyl. Ces tristes prédictions s'appliquent encore aux Israélites auxquels il s'adressait, et dont le plus grand supplice sera de voir les Gentils entrer avec leurs pères dans le repos éternel, tandis qu'ils en seront exclus: «Quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et tous les prophètes dans le royaume de Dieu», etc. - Eusèbe. Les patriarches, en effet, avant la promulgation de la loi, abandonnaient l'erreur de la pluralité des Dieux, comme s'ils avaient été instruits par l'Évangile, et se sont élevés à la connaissance du Dieu très-haut. Un grand nombre de Gentils ont été associés à leur bonheur, parce qu'ils ont suivi leurs exemples, tandis que leurs enfants ont repoussé les enseignements de la doctrine évangélique: «Et ce sont les derniers qui seront les premiers, et ce sont les premiers qui seront les derniers». - S. Cyr. En effet, les Gentils ont été préférés aux Juifs qui tenaient le premier rang. - Théophyl. Nous-mêmes, qui avons reçu dès notre enfance les enseignements de la foi, nous sommes, ce semble aussi, les premiers, et peut-être serons-nous les derniers en comparaison des Gentils qui n'ont embrassé la foi qu'à la fin de leur vie. - Bède. Il en est beaucoup, en effet, dont la ferveur dégénère en tiédeur, beaucoup qui, de froids qu'ils étaient, s'enflamment d'amour pour Dieu; beaucoup qui, méprisés dans ce monde, seront couverts de gloire dans l'autre; d'autres, au contraire qui, honorés des hommes sur la terre, seront à la fin de leur vie condamnés pour l'éternité.
10331 Lc 13,31-35
S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr). Les paroles que le Sauveur venait de prononcer avaient profondément irrité les pharisiens; car ils voyaient déjà le peuple, touché de repentir, croire en lui, Désolés donc de perdre leur autorité sur les peuples, et de voir diminuer le profit qu'ils en retiraient, ils simulent pour lui une affection hypocrite, et lui conseillent de se retirer: «Le même jour, quelques-uns des pharisiens vinrent lui dire: Allez-vous en, retirez-vous d'ici; car Hérode veut vous faire mourir». Mais Jésus, qui sonde les coeurs et les reins, leur répond avec douceur et dans un langage figuré: «Et il leur dit: Allez, et dites à ce renard». - Bède. Il appelle Hérode un renard à cause de son esprit rusé et insidieux; car le renard est un animal rempli d'astuce, qui se cache dans sa tanière pour mieux tendre ses piéges, exhale une odeur fétide, et ne suit jamais les droits chemins. Tous ces traits conviennent aux hérétiques, dont Hérode est la figure, et qui cherchent à faire mourir Jésus-Christ, c'est-à-dire l'humilité de la foi chrétienne dans le coeur des fidèles.
S. Cyr. Ou bien encore, les paroles du Sauveur ont un autre objet, et ne se rapportent pas à la personne d'Hérode (comme quelques-uns l'ont pensé), mais plutôt à l'hypocrisie des pharisiens. En effet, Notre-Seigneur paraît indiquer ce pharisien qui n'est pas loin, en disant: «Allez, et dites à ce renard», selon le sens du texte grec. Il leur commande de dire ce qui était de nature à exciter contre lui la multitude des pharisiens: «Voilà que je chasse les démons et guéris les malades aujourd'hui et demain, et c'est le troisième jour que je dois, être consommé, Il leur annonce donc qu'il fera ce qui leur déplaisait souverainement, c'est-à-dire qu'il commandera aux esprits immondes, et guérira les malades jusqu'à ce qu'il subisse volontairement le supplice de la croix. Mais comme les pharisiens s !imaginaient qu'il redoutait la puissance d'Hérode, lui qui était le Dieu des vertus, il éloigne cette pensée en ajoutant: «Cependant il faut que je marche aujourd'hui et demain, et c'est le troisième jour que je dois être consommé». Cette expression: «Il faut», n'indique nullement une nécessité qui serait imposée au Sauveur, mais bien plutôt qu'il se rendait librement et volontairement vers le but qu'il se proposait, jusqu'à ce. qu'il terminât sa vie par le supplice de sa croix adorable, dont il annonce que le temps approche en disant: «Aujourd'hui et demain».
- Théophyl. Comme s'il leur disait: Pourquoi vous préoccuper de ma mort? Le temps n'en est pas éloigné. Cependant ces expressions: «Aujourd'hui et demain», signifient un espace de plusieurs jours. C'est ainsi que dans le langage ordinaire nous disons: «Je ferai ceci aujourd'hui et demain»; bien que nous ne puissions le faire dans un si court espace de temps. Et pour donner une explication plus claire de ces paroles, ne les entendez pas dans ce sens: «Il faut que je marche aujourd'hui et demain», non, arrêtez-vous après ces mots: «Aujourd'hui et demain», puis ajoutez: «Le jour suivant je dois marcher». De même que souvent pour compter, nous disons: Dimanche, lundi, mardi, je sortirai; nous comptons deux jours pour indiquer le troisième, Notre-Seigneur dit aussi: «Aujourd'hui et demain, et le troisième jour, je dois aller à Jérusalem».
S. Aug. (Quest. évang). Ou bien encore, Notre-Seigneur parle ici dans un sens figuré et ces paroles ont pour objet son corps mystique qui est l'Église. En effet, il chasse les démons, lorsque les nations idolâtres abandonnent leurs superstitions pour croire en lui, et il opère des guérisons, lorsqu'après qu'elles ont renoncé au démon et au monde, il conduit l'Église à la perfection angélique par l'immortalité du corps qui aura lieu à la résurrection, figurée ici par le troisième jour comme la consommation de toutes choses.
Théophyl. Mais comme ceux qui lui disaient: «Retirez-vous d'ici, parce que Hérode veut vous faire mourir», lui parlaient ainsi dans la Galilée où régnait Hérode; Notre-Seigneur leur déclare que ce n'est pas en Galilée, mais à Jérusalem, qu'il a été réglé d'avance qu'il devait souffrir. «Car il ne peut se faire qu'un prophète périsse hors de Jérusalem». En entendant ces paroles: «Il ne faut pas», c'est-à-dire, il ne convient pas qu'un prophète meure hors de Jérusalem, n'allez pas croire que les Juifs aient été forcés de le faire mourir; le Sauveur parle ainsi, parce que les habitants de Jérusalem avaient comme soif du sang. Quand on entend parler d'un atroce scélérat, on dit, il faut que le chemin où il dresse ses embûches soit arrosé du sang des voyageurs; de même, il fallait pour ainsi dire que le Seigneur des prophètes ne pérît pas ailleurs que dans la ville où demeuraient les meurtriers. Accoutumés à verser le sang des prophètes, ils feront aussi mourir le Seigneur des prophètes; c'est ce qu'il déclare dans les paroles suivantes: «Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes», etc.
Bède. Ce n'est ni aux pierres ni aux édifices de cette ville que Notre-Seigneur s'adresse dans cette apostrophe, mais aux habitants de Jérusalem sur lesquels il pleure avec une affection de père. - S. Cyr. (hom. 75 sur S. Matth). Cette répétition: Jérusalem, Jérusalem, indique un profond sentiment de compassion ou d'amour, le Sauveur parle à cette ville infortunée comme à une personne qui oublie celui qui l'aime, et il lui prédit le châtiment dont sera punie son ingratitude. - Sévère d'Ant. Cette répétition est aussi l'indice d'un violent reproche, comment, en effet, cette ville qui a reçu la connaissance de Dieu, peut-elle persécuter les ministres de Dieu? - S. Cyr. Il fait bien voir, du reste, dans quel oubli des bienfaits de Dieu ils étaient tombés, en ajoutant: «Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme un oiseau rassemble sa couvée sous ses ailes, et tu ne l'as pas voulu !» Sa main les a conduits par Moïse, un de ses plus fidèles et de ses plus sages serviteurs, il les a mille fois avertis par les prophètes; il a voulu les voir réunir sous ses ailes, c'est-à-dire sous sa protection toute puissante, mais ils ont rendu inutiles toutes ces faveurs par leur ingratitude. - S. Aug. (Enchirid., chap. 17). «J'ai voulu», dit Notre-Seigneur, «et tu n'as pas voulu», c'est-à-dire: Tous ceux que j'ai rassemblés par ma volonté toujours efficace, je les ai rassemblés malgré toi, parce que tu n'as cessé d'être ingrate. - Bède. Après avoir appelé renard le roi Hérode qui en voulait insidieusement à sa vie, il se présente lui-même sous la comparaison pleine de justesse d'un oiseau, parce que les renards tendent toujours astucieusement des piéges aux oiseaux.
S. Bas. (sur Is 16). Il compare aussi les enfants de Jérusalem à des petits qui ne peuvent sortir de leur nid, comme s'il disait: Les oiseaux qui prennent leur essor dans les airs, échappent aux atteintes de ceux qui leur dressent des embûches; mais pour vous, vous serez comme un poussin qui a besoin de protection et de secours, et une fois privé de votre mère qui s'envolera, vous serez arraché de votre nid, incapable de vous défendre, et trop faible pour prendre la fuite. C'est ce qu'il lui prédit en ces termes: «Voilà que votre maison va demeurer déserte». - Bède. Cette ville qu'il avait comparée à un nid, il l'appelle maintenant la maison des Juifs; car après qu'ils eurent mis le Seigneur à mort, les Romains vinrent et ravagèrent cette maison comme un nid vide, et détruisirent leur ville, leur nation et leur royaume - Théophyl. Ou bien encore, votre maison, c'est-à-dire votre temple, et tel est le sens de ces paroles: Tant que la vertu a été en honneur parmi vous, ce temple était le mien; mais depuis que vous en avez fait une caverne de voleurs, ce n'est plus ma maison, c'est la vôtre. Ou bien enfin, cette maison, c'est toute la nation des juifs, selon ces paroles du Psalmiste: «Maison de Jacob, bénissez le seigneur, et il leur prouve ainsi que c'était lui qui les gouvernait, et qui les délivrait des mains de leurs ennemis.
«Je vous le dis, vous ne me verrez plus jusqu'à ce que vienne le jour où vous direz: «Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur». - S. Aug. (de l'acc. des Evang., 2, 75). Ce récit de saint Luc n'est pas en opposition avec ce que nous lisons dans saint Matthieu, que la foule accueillit le Sauveur à son entrée dans Jérusalem en lui disant: «Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur», parce qu'il n'y était pas encore venu, et que ces paroles n'avaient pas encore été dites. - S. Cyr. Il s'était éloigné de Jérusalem, et avait abandonné ses habitants comme indignes de jouir de sa présence; puis après avoir opéré un grand nombre de miracles, il revient de nouveau à Jérusalem, et la foule se porte à sa rencontre en disant: «Salut au Fils de David ! Beni soit celui qui vient au nom du Seigneur». - S. Aug. (de l'acc. des Evang). Mais comme saint Luc ne dit pas où le Seigneur s'est retiré, pour ne venir dans cette ville qu'au temps où il serait accueilli par ces paroles (il continue, en effet, de marcher jusqu'à ce qu'il vienne à Jérusalem), cet Évangéliste veut ici parler de l'avènement glorieux du Sauveur. - Théophyl. Alors ils seront forcés de reconnaître pour leur Sauveur et pour leur Dieu, alors que cette profession de foi ne leur servira de rien. Ces paroles: «Vous ne me verrez plus», etc., ne doivent pas s'entendre du moment même où il leur parlait, mais du temps de sa mort sur la croix, et tel en est le sens: Après que vous m'aurez crucifié, vous ne me verrez plus jusqu'à ce que je revienne de nouveau. - S. Aug. (de l'acc. des Evang., 2, 75). Il faut donc entendre que saint Luc a voulu raconter ceci par anticipation, avant que son récit conduisît le Seigneur à Jérusalem, ou bien que lorsque le Sauveur approchait de Jérusalem, il a tenu à ceux qui l'engageaient à se mettre en garde contre Hérode, le même langage que lui prête saint Matthieu lorsqu'il entre dans cette ville. - Bède. Ou bien encore, ces paroles: «Vous ne me verrez plus», signifient: Si vous ne faites pénitence, et si vous ne confessez que je suis le Fils du Dieu tout-puissant, vous ne serez point admis à contempler ma face adorable, lors de mon second avènement.
10401 Lc 14,1-6
S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr). Bien que le Seigneur connût à fond la malice des pharisiens, il consent à s'asseoir à leur table pour l'utilité de ceux qui seraient témoins de ses paroles et de ses miracles: «Un jour de sabbat, Jésus étant entré dans la maison d'un chef des pharisiens pour y prendre son repas, ceux-ci l'observaient», c'est-à-dire, qu'ils regardaient s'il manquerait au respect dû à la loi, et s'il ferait quelque action défendue le jour du sabbat. Un hydropique s'étant donc présenté, Notre-Seigneur confond par la question suivante la témérité des pharisiens qui voulaient le prendre en défaut: «Et voici qu'un homme hydropique se trouvait devant lui: et Jésus prenant la parole, dit aux docteurs de la loi et aux pharisiens: Est-il permit de guérir le jour du sabbat ?» - Bède. Nous lisons dans le texte sacré «Et Jésus répondant», parce qu'il répond, en effet, aux pensées de ceux dont il dit plus haut: «Et ils l'observaient», (cf. Mc 12,35 Ap 7,13) car le Seigneur pénètre les plus secrètes pensées des hommes. - Théophylacte.Dans la question qu'il leur adresse, il se rit de leur folie, qui leur fait proscrire les bonnes oeuvres le jour du sabbat, que Dieu lui-même a béni; en effet, un jour où l'on ne fait point de bonnes oeuvres, est un jour maudit. - Bède. Ils n'osent, et avec raison, répondre à cette question; quelle que soit leur réponse, ils voient qu'elle tournera contre eux, car s'il est permis de guérir le jour du sabbat, pourquoi épier le Sauveur pour voir s'il guérira? Et si ce n'est pas permis, pourquoi prennent-ils soin de leurs animaux même le jour du sabbat: «Et ils gardèrent le silence».
S. Cyr. Sans donc se préoccuper des embûches que lui tendent les Juifs, Notre-Seigneur guérit cet hydropique qui, par crainte des pharisiens, n'osait lui demander sa guérison le jour du sabbat; il se tenait seulement devant lui, afin que le Sauveur, touché de compassion à la vue de son triste état, lui rendit la santé. Aussi Jésus, connaissant ses dispositions, ne lui demande pas s'il veut être guéri, mais il le guérit sans tarder: «Et prenant cet homme par la main, il le guérit et le renvoya». - Théophyl. Notre-Seigneur ne s'inquiète pas du scandale que vont prendre les pharisiens, il ne songe qu'à faire du bien à celui dont l'état réclame son secours; ainsi quand il s'agit d'un grand bien, nous ne devons pas nous préoccuper si les insensés en seront scandalisés. - S. Cyr. Comme les pharisiens continuent à garder un silence ridicule, Jésus confond leur impudence obstinée par de sérieuses raisons: «Puis il leur dit: Qui de vous, si son fils ou son boeuf tombe dans un puits, ne l'en retire aussitôt le jour du sabbat ?» - Théophyl. C'est-à-dire, si la loi défend les oeuvres de miséricorde le jour du sabbat, ne prenez ce jour-là aucun soin de votre fils, qui est en danger; mais pourquoi parler de votre fils; quand votre boeuf en péril a droit le jour du sabbat à toute sollicitude? - Bède. Notre-Seigneur confond ainsi les pharisiens qui épiaient sa conduite, et condamne à la fois leur avarice, car c'était par un sentiment d'avarice qu'ils délivraient leurs animaux en péril le jour du sabbat. À combien plus juste titre, le Christ devait-il délivrer l'homme, mille fois supérieur à l'animal sans raison? - S. Aug. (Quest. évang., 2, 29). Le Sauveur compare justement l'hydropique à l'animal qui est tombé dans un puits (car c'est un excès d'humeur liquide qui le rendait malade), comme il a comparé plus haut à l'animal qu'on délie pour le mener boire, la femme qui était comme liée depuis plusieurs années. - Bède. Il tranche donc la question par un exemple des plus propres à les convaincre qu'ils violaient le sabbat par un motif de cupidité, eux qui l'accusaient de le violer par une oeuvre de charité. Aussi l'Évangéliste ajoute-t-il: «Et ils ne pouvaient rien lui répondre».
Dans le sens mystique, l'hydropique est la figure de celui qui est comme accablé sous le poids du cours déréglé des voluptés charnelles, car l'hydropisie tire son nom d'un épanchement de sérosité aqueuse. - S. Aug. (Quest. évang). Ou bien encore, l'hydropique figure le riche avare, car plus le liquide épanché abonde chez l'hydropique, plus il est dévoré par la soif; ainsi plus le riche avare voit augmenter les richesses dont il fait un mauvais usage, plus aussi ses désirs s'enflamment. - S. Grég. (Moral., 14, 6). C'est à dessein que Notre-Seigneur guérit cet hydropique en présence des pharisiens, parce que l'infirmité corporelle de l'un était la figure de la maladie intérieure des autres. - Bède. Il choisit le boeuf et l'âne comme objet de sa comparaison, pour signifier les sages et les insensés, ou les deux peuples, c'est-à-dire, le peuple juif, accablé sous le joug de la loi, et le peuple des Gentils, qui n'avait pu être dompté par aucun moyen; car Notre-Seigneur les a tous retirés du puits de la concupiscence où ils étaient tombés.
Catena Aurea 10318