Catena Aurea 10608

vv. 8-13

10608 Lc 16,8-13

S. Aug. (quest. Evang., 2, 34). Le maître ne laisse pas de louer cet économe, tout en le privant de son emploi, parce qu'il avait su se prémunir contre l'avenir: «Et le maître de l'économe infidèle le loua d'avoir agi prudemment». Nous ne devons cependant pas tout imiter dans cet exemple, car il nous est défendu de faire tort à personne, aussi bien que de faire l'aumône avec le bien que nous avons dérobé. - S. Orig. (ou Géom. Ch. des Pèr. gr). Mais comme les païens mettent la prudence au nombre des vertus, et la définissent la science du bien et du mal et de ce qui est indifférent, ou la connaissance de ce qu'il faut faire et de ce qu'il faut éviter, examinons si ce mot n'a qu'une signification ou s'il est susceptible de plusieurs sens. Nous lisons dans l'Écriture que Dieu a préparé (Pr 3,19) les cieux par sa prudence. Il est donc certain que la prudence est bonne, puisque c'est par elle que Dieu a créé les cieux. Nous voyons encore dans la Genèse que le serpent était le plus prudent (Gn 3,1) de tous les animaux; la prudence ici n'est pas la vertu de prudence, mais un esprit de ruse qui est porté au mal. C'est dans ce dernier sens que le maître loue son économe d'avoir agi prudemment, c'est-à-dire avec ruse et finesse. Peut-être encore cette expression, «il le loua», n'exprime pas un véritable éloge, mais a été dite dans un sens très étendu; ainsi on dit d'un homme qu'il se distingue dans des choses indifférentes et de peu d'importance, et qu'il excite une espèce d'admiration par son talent de discussion et la vivacité qui mettent en relief la force de son esprit. - S. Aug. (quest. Evang). Ces paraboles sont tirées d'objets qu'on peut appeler contraires; si en effet cet économe, tout en se rendant coupable de fraude, a mérité les éloges de son maître, combien plus ceux qui font les mêmes bonnes oeuvres en se conformant aux préceptes de Dieu seront-ils assurés de lui plaire ?

Orig. (comme précéd). Remarquez encore que Notre-Seigneur dit que les enfants de ce siècle sont non pas plus sages, mais plus prudents que les enfants de lumière; et encore n'est-ce pas absolument parlant, mais dans leurs relations entre eux: «Car les enfants du siècle sont plus prudents envers leurs parents que les enfants de lumière», etc. Notre-Seigneur distingue ici entre les enfants de lumière et les enfants de ce siècle, comme il distingue ailleurs entre les enfants du royaume et les enfants de perdition, car on est fils de celui dont on fait les oeuvres. - Théophyl. Les enfants de ce siècle sont donc dans la pensée du Sauveur ceux qui sont tout entiers aux avantages de la terre; et les enfants de lumière ceux qui recherchent les richesses spirituelles par un motif d'amour de Dieu. Or, il arrive que dans l'administration des choses humaines, nous prenons des dispositions prudentes à l'égard de nos biens, et nous avons un soin extrême de nous ménager un lieu de refuge et de repos dans le cas ou notre administration nous serait ôtée; tandis que dans l'administration des choses divines nous ne savons pas prévoir ce qui pourra nous être utile pour l'avenir.

S. Grég. (Moral., 18, 14). Si donc les hommes ne veulent pas se trouver les mains vides après leur mort, qu'ils placent avant leur dernier jour, leurs richesses dans les mains des pauvres: «Et moi je vous dis: Faites vous des amis avec les richesses d'iniquité», etc.

S. Aug. (Serm. 23, sur les par. du Seig). Le mot hébreu mammona, signifie en latin richesses; Notre-Seigneur veut donc dire: «Faites vous des amis avec les richesses d'iniquité». Il en est qui par une fausse interprétation de ces paroles dérobent le bien d'autrui, pour en distribuer une partie aux pauvres, et qui s'imaginent accomplir le précepte qui leur est imposé. C'est une erreur qu'il faut redresser. Faites l'aumône avec le juste fruit de votre travail (Pr 3,9), car vous ne pourrez tromper ni corrompre Jésus-Christ votre juge. Si vous offriez à un juge une partie de la dépouille d'un indigent, pour le disposer à juger en votre faveur, et qu'il se laissât en effet corrompre, la force de la justice est si grande que vous n'auriez aucune sympathie pour ce juge. Ne vous figurez pas un Dieu de la sorte, il est la source même de la justice: ne faites donc pas l'aumône avec des gains injustes et avec le fruit de l'usure, dirai-je aux fidèles à qui nous distribuons le corps de Jésus-Christ, mais si vous avez de l'argent acquis par cette voie, vous le possédez injustement. Cessez de commettre le mal; Zachée dit au Sauveur: «Je donne la moitié de mes biens aux pauvres» (Lc 19,8). C'est avec ce pieux empressement qu'agit celui qui désire se faire des amis avec les richesses d'iniquité; et dans la crainte de s'être rendu coupable d'ailleurs, il ajoute: «Et si j'ai fait tort à quelqu'un en quelque chose, je lui rends le quadruple». Voici une autre explication: Toutes les richesses de ce monde, quelle que soit leur source sont appelées des richesses d'iniquité. Si vous cherchez les véritables richesses, il en est d'autres que Job possédait en abondance dans son entier dénuement, alors que son coeur était rempli de Dieu. Les richesses du monde au contraire sont appelées richesses d'iniquité, parce qu'elles ne sont point véritables, car elles sont remplies de pauvreté, et sujettes à mille vicissitudes: si elles étaient de véritables richesses, elles vous donneraient de la sécurité. - S. Aug. (quest. Evang). Ou bien encore on les appelle richesses d'iniquité, parce qu'elles ne sont qu'entre les mains des méchants qui placent en elles leur confiance et toute l'espérance de leur félicité. Au contraire lorsque les justes sont maîtres de ces richesses, ils ont entre les mains le même argent, mais leurs richesses à eux sont toute célestes et toutes spirituelles. - S. Ambr. Ou bien enfin il appelle ces richesses, des richesses d'iniquité, parce que l'avarice par les séductions variées qu'elles nous offrent, tente notre coeur, en cherchant à le réduire en esclavage.

S. Bas. Ou bien si vous héritez d'un patrimoine, peut-être est-il le fruit de l'injustice, car quel est celui qui parmi ses ancêtres, n'en trouvera nécessairement quelqu'un qui aura pris injustement le bien d'autrui? Mais admettons que votre père n'a rien acquis par des voies injustes, d'où vient cet or que vous avez? Si vous me répondez: Il vient de moi, vous ne connaissez pas Dieu, et n'avez aucune notion de votre Créateur; si vous dites qu'il vient de Dieu, pour quelle raison l'avez vous reçu? Est-ce que la terre et tout ce qu'elle contient n'appartient pas au Seigneur? (Ps 24,1). Si donc nos biens appartiennent à un commun maître, ils appartiennent aussi à vos semblables.

Théophyl. On appelle donc richesses d'iniquité toutes celles que le Seigneur nous a données pour soulager les besoins de nos frères et de nos semblables, et cependant nous les réservons pour nous. Nous devions dès le principe distribuer tous nos biens aux pauvres; mais après avoir été des économes infidèles qui avons retenu injustement ce qui était destiné aux besoins d'autrui, cessons de persévérer dans ces sentiments de cruauté, et donnons largement aux pauvres, afin qu'ils nous reçoivent un jour dans la céleste demeure: «Afin, poursuit Notre-Seigneur, que lorsque vous viendrez à défaillir, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels». - S. Grég. (Moral., 21, 44). Si donc nous devons à leur affection reconnaissante d'entrer dans les tabernacles éternels, nous devons en leur donnant être pénétrés de cette pensée que c'est moins une aumône que nous faisons aux pauvres, que des présents que nous offrons à des protecteurs (cf. Lc 3,37). - S. Aug. (Serm. 35, sur les par. du Seig). Quels sont ceux, en effet, qui entreront dans les tabernacles éternels, si ce n'est les saints de Dieu, et quels sont ceux qu'ils recevront eux-mêmes dans ces tabernacles? Ceux qui ont soulagé leur indigence, et leur ont donné avec joie ce qui leur était nécessaire. Ce sont là les humbles serviteurs du Christ qui ont tout quitté pour le suivre, et qui ont distribué tous leurs biens aux pauvres, pour servir Dieu avec un coeur dégagé de toutes les chaînes du siècle; et s'élever vers le ciel comme sur des ailes, libres de tous les fardeaux accablants du monde.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 33). Il n'est pas permis de regarder comme les débiteurs de Dieu ceux par qui nous voulons être reçus dans les tabernacles éternels; car ce passage désigne clairement les justes et les saints qui introduiront dans le ciel ceux qui ont soulagé leur indigence, en partageant avec eux les biens de la terre. - S. Ambr. Ou bien encore: «Faites-vous des amis avec les richesses d'iniquité», afin que les aumônes que vous distribuerez aux pauvres, vous obtiennent les bonnes grâces des anges et des autres saints. - S. Chrys. Remarquez qu'il ne dit pas: «Afin qu'ils vous reçoivent dans leurs demeures», car rigoureusement parlant, ce ne sont pas eux qui vous reçoivent. Aussi le Sauveur après avoir dit: «Faites-vous des amis», ajoute: «avec les richesses d'iniquité», pour montrer que l'amitié des saints ne sera pour nous un véritable appui, qu'autant que nous serons accompagnés de nos bonnes oeuvres, et que nous nous serons dépouillés, suivant la justice, de toutes les richesses acquises injustement. L'aumône est donc le premier et le plus savant des arts; car elle ne nous bâtit pas des maisons de terre, mais nous procure la vie éternelle. Tous les autres arts ont besoin de leur mutuel appui; mais pour l'exercice de la miséricorde, la volonté seule est nécessaire.

S. Cyr. C'est ainsi que Notre-Seigneur Jésus-Christ enseigne à ceux qui ont de grandes richesses en partage, à rechercher par dessus tout l'amitié des pauvres, et à se préparer des trésors dans le ciel. Mais il connaissait l'apathie du coeur humain qui, une fois dominé par la passion d'acquérir, n'exerce plus aucune oeuvre de charité envers les pauvres. Il n'a plus à espérer par conséquent aucun fruit des dons spirituels, suivant la déclaration expresse du Sauveur: «Celui qui est fidèle dans les petites choses, est fidèle aussi dans les grandes, et celui qui est infidèle dans les petites choses, est infidèle aussi dans les grandes». Notre-Seigneur nous ouvre ici les yeux du coeur, et nous donne le vrai sens de ces paroles en ajoutant: «Si vous n'avez pas été fidèles dans les richesses trompeuses, qui vous confiera les biens véritables ?» Les petites choses sont donc les richesses d'iniquité, c'est-à-dire les biens de la terre qui ne sont rien pour ceux qui ont le goût des choses du ciel. Or, je pense qu'on est fidèle dans les petites choses, lorsque l'on consacre ces richesses si peu importantes au soulagement de l'infortune. Si donc nous sommes infidèles dans ces petites choses, comment pourrons-nous obtenir le don véritable et fécond des grâces de Dieu, qui imprime à nos âmes le sceau de la ressemblance divine? Et la suite fait voir que tel est le sens des paroles du Sauveur: «Et si vous n'avez pas été fidèles dans un bien étranger, qui vous donnera votre bien propre ?» - S. Ambr. Les richesses nous sont comme étrangères, parce qu'elles sont en dehors de notre nature, elles ne naissent pas avec nous, elles ne meurent pas avec nous; Jésus-Christ, au contraire, est véritablement à nous, parce qu'il est la vie des hommes, et en venant parmi eux, il est venu dans son propre bien (Jn 1,4 Jn 1,11).

Théophyl. Notre-Seigneur nous a donc enseigné jusqu'ici avec quelle fidélité nous devons administrer nos richesses; mais comme nous ne pouvons en faire un usage conforme à la volonté de Dieu, sans que notre coeur soit complètement dégagé de l'affection aux richesses, il ajoute: «Personne ne peut servir deux maîtres». - S. Ambr. Ce n'est pas, sans doute, qu'il existe deux maîtres, il n'y en a qu'un seul qui est Dieu. Il en est qui se rendent les esclaves des richesses, mais les richesses n'ont par elles-mêmes aucun droit, aucune autorité sur les hommes, ce sont eux qui se soumettent volontairement à ce honteux esclavage. Il n'y a qu'un seul Maître, parce qu'il n'y a qu'un seul Dieu, par conséquent le Père et le Fils ont une seule et même puissance. Le Sauveur donne la raison de ce qu'il vient de dire: «Car ou il haïra l'un, et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre». - S. Aug. (Quest. évang., 2, 36). Ne croyons pas que ces paroles aient été dites au hasard et sans dessein. Sans doute, il n'est pas un homme qui, à cette question: Aimez-vous le démon, ne réponde que loin de l'aimer, il l'a en horreur; tandis que presque tous se font gloire de proclamer qu'ils aiment Dieu. Voici donc le sens de ces paroles: Il haïra l'un (c'est-à-dire le démon), et aimera l'autre (c'est-à-dire Dieu); ou il s'attachera à l'un (c'est-à-dire au démon, en recherchant ses faveurs temporelles); et méprisera l'autre (c'est-à-dire Dieu), comme font tant de chrétiens qui mettent leurs passions au-dessus de ses menaces, et qui se flattent d'obtenir de sa bonté l'impunité de leurs crimes.

S. Cyr. La conclusion de tout ce discours est dans ces paroles: «Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent». Renonçons donc aux richesses et mettons tous nos soins et tout notre zèle à servir Dieu seul. - Bède. (tiré de S. Jérôme). Que l'avare entende ces paroles: «On ne peut servir à la fois les richesses et Jésus-Christ». Et cependant remarquez que le Sauveur n'a pas dit: Celui qui possède des richesses, mais: «Celui qui est l'esclave des richesses»; car celui qui est sous l'esclavage des richesses, les garde comme un esclave; celui, au contraire, qui s'est affranchi de cette servitude, les distribue comme un maître. Or, celui qui est esclave des richesses, l'est aussi de celui qui a mérité, par sa perversité, d'être mis comme à la tête des ri chesses de la terre, et qui est appelé pour cela le prince de ce siècle (Jn 12 2Co 4).


vv. 14-18

10614 Lc 16,14-18

Bède. Jésus-Christ avait enseigné aux scribes et aux pharisiens à ne pas présumer de leur justice, à recevoir les pécheurs repentants, et à racheter leurs péchés par l'aumône; mais les insensés se moquaient de ce divin docteur qui leur enseignait la miséricorde, l'humilité et la modération dans l'usage des richesses: «Or, les pharisiens qui étaient avares, écoutaient toutes ces choses, et se moquaient de lui». Ils se moquaient de lui pour deux raisons, parce que ses recommandations leur paraissaient peu utiles, ou parce qu'il leur prescrivait des choses utiles, mais qu'ils faisaient depuis longtemps. Or le Seigneur, qui découvrait leur malice secrète, leur montra que leur justice n'était qu'hypocrisie: «Et il leur dit: Pour vous, vous affectez de paraître justes devant les hommes». - Bède. Ils affectent de paraître justes devant les hommes, ils méprisent les pécheurs comme des infirmes désespérés, et ils s'imaginent être assez parfaits pour n'avoir pas besoin du remède de l'aumône; mais celui qui répandra un jour la lumière sur les ténèbres les plus épaisses, voit combien est condamnable la profondeur de cet orgueil coupable: «Mais Dieu connaît vos coeurs». - Théophyl. Aussi votre arrogance et le désir effréné de l'estime des hommes vous rendent-ils un objet d'abomination à ses yeux: «Car ce qui est grand aux yeux des hommes est abominable devant Dieu».

Bède. Les pharisiens se moquaient du Sauveur qui leur parlait contre l'avarice, comme si son enseignement était contraire à celui de la loi et des prophètes, où l'on voit un grand nombre de personnes riches qui ont été agréables à Dieu; Moïse lui-même avait promis au peuple qu'il gouvernait, tous les biens de la terre en abondance, s'il était fidèle à suivre la loi. (Dt 28,1-14). Notre-Seigneur combat donc ces idées en leur montrant qu'il y a une grande différence entre les préceptes comme entre les promesses de la loi et de l'Évangile: «La loi et les prophètes ont duré jusqu'à Jean». - S. Ambr. Ce n'est pas que la loi ait été immédiatement détruite, mais parce qu'alors a commencé la prédication de l'Évangile; car les institutions moins importantes paraissent atteindre leur terme, lorsque de plus grandes leur succèdent. - S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth). Par ces paroles, Notre-Seigneur les dispose à croire en lui; si au temps de Jean, tout est arrivé à son terme, je suis donc celui qui doit venir; car les prophètes n'auraient pas cessé de paraître, si je n'étais pas venu. (hom. 19 de l'ouvr. incomp). Comment peut-on dire que les prophètes n'ont duré que jusqu'au temps de Jean, puisqu'il y a eu beaucoup plus de prophètes dans le Nouveau Testament que dans l'Ancien? Notre-Seigneur ne veut donc parler ici que de ceux qui ont annoncé l'avènement de Jésus-Christ.

Eusèbe. (Ch. des pèr. gr). Les anciens prophètes avaient eu aussi la connaissance du royaume des cieux, mais aucun d'eux ne l'avait enseigné en termes exprès au peuple juif, parce que cç peuple avait un esprit trop léger et trop faible pour comprendre l'étendue de cet enseignement. Jean-Baptiste fut le premier qui annonça ouvertement que le royaume des cieux était proche, et que les péchés seraient remis par le baptême de la régénération: «Depuis Jean, le royaume de Dieu est annoncé, et chacun fait effort pour y entrer». - S. Ambr. La loi contenait beaucoup de préceptes conformes à notre nature, pour nous attirer à la pratique de la justice par cette condescendance pour nos inclinations naturelles; Jésus-Christ, au contraire, vient détruire la nature en retranchant toutes les jouissances naturelles. Mais nous ne faisons violence à la nature que pour l'empêcher de se plonger dans les joies de la terre, et l'élever jusqu'à la pensée des ch oses du ciel. - Eusèbe. Ce n'est pas sans de grands combats, que de faibles mortels peuvent monter jusqu'au ciel. Comment, en effet, des hommes revêtus d'une chair mortelle, pourraient-ils, sans se faire violence, dompter la volupté et tout désir criminel, et imiter sur la terre la vie des anges? En les voyant se livrer à des travaux si pénibles pour le service de Dieu, et réduire presque leur chair à une mort véritable (Rm 8, 13; Col 3, 5), qui n'avouera qu'ils font véritablement violence au royaume des cieux? Peut-on encore, en considérant le courage admirable des saints martyrs, ne pas reconnaître qu'ils ont fait une véritable violence au royaume des cieux? - S. Aug. (Quest. évang., 2, 37). On fait encore violence au royaume des cieux, en méprisant non seulement les richesses de la terre, mais les discours de ceux qui se moquent de cette indifférence complète pour ces jouissances passagères. En effet l'Évangéliste rapporte ces paroles après avoir fait observer qu'ils se moquèrent de Jésus qui leur parlait du mépris des choses de la terre.

Bède. Ces paroles du Sauveur: «La loi et les prophètes ont duré jusqu'à Jean», pouvaient donner à croire qu'il annonçait l'abolition de la loi et des prophètes, il combat cette pensée eu ajoutant: «Le ciel et la terre passeront plus facilement qu'un seul point de la loi périsse»; car la figure de ce monde passe (1Co 7,31), mais le moindre trait d'une seule lettre de la loi ne passera pas, c'est-à-dire que le plus petit article de la loi a une signification mystérieuse. Et cependant il était vrai de dire que la loi et les prophètes ont duré jusqu'à Jean, parce qu'il n'y avait plus lieu de prédire l'avènement de celui qui était arrivé, d'après le témoignage si manifeste de Jean-Baptiste. Notre-Seigneur confirme ensuite par un seul trait de la loi, ce qu'il vient de dire, qu'aucun de ses préceptes ne serait jamais abrogé: «Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère, et quiconque épouse la femme renvoyée par son mari, commet un adultère». Par ce seul trait, il leur apprend qu'il n'est pas venu détruire, mais accomplir les autres points de la loi. - Théophyl. La loi, sans doute, tenait aux imparfaits un langage encore imparfait, lorsque, prenant en considération la dureté de coeur des Juifs, elle leur disait: «Si un homme prend une femme, et qu'elle lui inspire ensuite du dégoût..., il la renverra de sa maison». (Dt 24,1). Car ils avaient des instincts homicides et prenaient plaisir à verser le sang; ils n'avaient même pas pitié de ceux qui leur étaient le plus étroitement unis, jusque-là qu'ils immolaient aux démons leurs fils et leurs filles. Mais il faut maintenant une doctrine plus parfaite. Aussi, je vous le déclare, si quelqu'un répudie son épouse, hors le cas de fornication, il commet un adultère; et celui qui en épouse une autre, commet également un adultère.

S. Ambr. Il nous faut d'abord traiter de la loi du mariage, avant d'en venir à la prohibition du divorce. Il en est qui pensent que tout mariage a Dieu pour auteur, parce qu'il est écrit: «Que l'homme ne sépare point ce que Dieu a uni» (Mt 19,6 Mc 10,9). Mais comment alors l'Apôtre a-t-il pu dire: «Si le mari infidèle se sépare d'avec sa femme, qu'elle le laisse aller ?» (1Co 7,15). Ces paroles démontrent clairement que Dieu n'est pas l'auteur de tous les mariages; car ce n'est point conformément à sa volonté, que les chrétiens s'unissent aux Gentils. Gardez-vous donc de renvoyer votre épouse, pour ne pas désavouer que Dieu est l'auteur de votre union. Vous devez supporter les défauts de vos semblables, à plus forte raison devez-vous supporter et corriger les défauts de votre épouse. Si vous la renvoyez après qu'elle vous a donné des enfants, n'est-ce pas une cruauté que de renvoyer la mère, et de retenir les gages de votr e mutuelle union, et de la blesser ainsi dans son amour maternel, en même temps que dans son honneur? Mais ne serait-il pas plus cruel encore de chasser les enfants à cause de la mère? Souffrirez-vous que de votre vivant, vos enfants soient sous la dépendance d'un beau-père, ou que du vivant de leur mère ils soient assujettis à une marâtre? Quoi de plus dangereux que d'exposer aux séductions de l'erreur l'âge si fragile d'une jeune femme? Quoi de plus barbare, que d'abandonner dans sa vieillesse, celle qui a perdu auprès de vous les grâces de sa jeunesse? Supposez qu'ainsi répudiée, elle ne se marie pas, est-ce qu'il ne vous est pas désagréable qu'elle reste fidèle à un adultère? Admettez, au contraire, qu'elle contracte une autre union, la nécessité où elle se trouve fait votre crime, et ce que vous regardez comme un mariage, n'est qu'un adultère. Tel est le sens moral de ce passage. Cependant, comme Notre-Seigneur vient de dire précédemment que le royaume de Dieu était annoncé, et que le plus petit point de la loi ne serait point effacé, et qu'il ajoute ensuite: «Quiconque renvoie sa femme», etc.; on peut donner ici cette interprétation figurée: L'homme, c'est Jésus-Christ; l'épouse, c'est l'Église, épouse par la charité, vierge par la chasteté. Que celui donc que Dieu a par sa grâce attiré à son Fils, ne s'en laisse ni séparer par la persécution, ni détourner par les plaisirs des sens; qu'il ne se laisse point dépouiller par la philosophie, ni empoisonner par l'hérésie, ni entraîner par les Juifs. Tous ceux qui s'efforcent de corrompre la vérité de la foi et de la sagesse sont des adultères.


vv. 19-21

10619 Lc 16,19-21

Bède. Le Sauveur venait d'exhorter à se faire des amis avec les richesses d'iniquité, et comme les pharisiens se moquaient de ses enseignements, il les confirme par l'exemple suivant: «Il y avait un homme riche», etc. - S. Chrys. (hom. sur les riches). «Il y avait», et non: Il y a, car il a passé comme une ombre fugitive. - S. Ambr. Toute pauvreté n'a pas le privilège de la sainteté, comme aussi toute richesse n'est pas nécessairement criminelle, mais de même que c'est la vie molle et sensuelle qui déshonore les richesses, c'est la sainteté qui rend la pauvreté recommandable.

«Il était vêtu de pourpre et de fin lin». - Bède. La pourpre est la couleur des habits des rois, on la tire de coquillages marins par une incision faite avec le fer. Ce que la Vulgate traduit par byssus est une espèce de lin très-blanc et très-doux. - S. Grég. (hom. 40 sur les Evang). Si la recherche des vêtements fins et précieux n'était pas coupable, le Sauveur n'aurait pas détaillé avec tant de soin ces diverses circonstances. En effet, on ne désire de luxe dans les vêtements, que par un motif de vaine gloire, pour obtenir plus de considération; car quel est celui qui voudrait se revêtir d'habits somptueux, s'il ne devait être vu par personne? - S. Chrys. (comme précéd). Cet homme recouvrait de pourpre et de soie, la cendre, la poussière et la terre, ou bien la cendre, la poussière et la terre portaient la pourpre et la soie. Sa table répondait à ses vêtements. Il en est ainsi de nous, telle est notre table, tels sont nos vêtements: «Et il faisait tous les jours une chère splendide». - S. Grég. (Moral., 1, 5). Remarquons ici avec attention qu'il est presque impossible de faire fréquemment des festins sans se rendre coupable; car presque toujours la volupté est la compagne inséparable de ces festins, lorsque le corps est amolli par les plaisirs de la terre, le coeur s'abandonne lui-même à une joie déréglée.

«Il y avait aussi un mendiant nommé Lazare». - S. Ambr. Il semble que ce soit ici une histoire plutôt qu'une parabole, puisqu'il y a désignation précise du nom. - S. Chrys. (comme précéd). Dans la parabole, au contraire, on propose un exemple et on passe les noms sous silence. Le mot Lazare signifie qui est secouru; en effet, il était pauvre et il avait Dieu pour soutien. - S. Cyr. Ou encore ce récit du mauvais riche et de Lazare, est présenté sous forme de parabole, pour apprendre à ceux qui possèdent de grandes richesses, qu'ils encourront une sévère condamnation, s'ils refusent de secourir les nécessités des pauvres. Une tradition juive rapporte qu'il y avait alors à Jérusalem un homme nommé Lazare, accablé tout à la fois sous le poids de l'indigence et de la maladie, et c'est lui que Notre-Seigneur prend ici pour exemple pour donner plus de clarté à ses divins enseignements. - S. Grég. (hom. 40 sur les Evang). Remarquez encore que dans le peuple on connaît bien mieux le nom des riches que celui des pauvres; or Notre-Seigneur nous fait connaître ici le nom du pauvre et passe sous silence le nom du riche, pour nous apprendre que Dieu connaît et chérit les humbles, tandis qu'il ne connaît point les superbes. Une nouvelle épreuve venait s'ajouter à sa pauvreté, il était victime à la fois de la pauvreté et de la souffrance: «Il était couché à sa porte, couvert d'ulcères».

S. Chrys. (comme précéd). Il était couché devant la porte, afin que le riche ne pût dire: Je ne l'ai pas vu, personne ne m'en a parlé. Il le voyait donc toutes les fois qu'il entrait et sortait. Le Sauveur ajoute que ce pauvre était couvert d'ulcères pour faire ressortir par ce trait toute la cruauté du riche. O le plus malheureux des hommes, vous voyez votre corps dans celui de votre semblable, mourant et étendu à votre porte, et vous n'en avez aucune pitié ! Si vous êtes peu sensible aux commandements de Dieu, souvenez-vous au moins de votre condition, et craignez d'être un jour réduit à ce triste état. Mais encore la maladie trouve-t-elle quelque soulagement dans les richesses, quand elle les possède; qu'elle est donc grande la misère de ce pauvre, puisque couvert de tant de plaies, il oublie ses douloureuses souffrances pour ne se souvenir que de la faim qu'il éprouve: «Il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche», et semblait lui dire: Faites-moi l'aumône de ce que vous rejetez de votre table, et faites-vous un gain avec ce que vous perdez.

S. Ambr. L'insolence et l'orgueil des riches se révèlent ici à des signes non équivoques: «Et personne ne lui en donnait». Les riches, en effet, sont si oublieux de leur condition, qu'ils s'imaginent être d'une nature supérieure, et trouvent dans la misère même des pauvres un nouveau stimulant pour leurs voluptés, ils se moquent du pauvre, ils insultent aux malheureux, et ils vont jusqu'à dépouiller ceux dont ils auraient dû prendre pitié. - S. Aug. (serm. 25 sur les par. du Seign). En effet, l'avarice des riches est insatiable, elle n'a ni crainte pour Dieu, ni égard pour les hommes, elle n'épargne pas son père, elle trahit les droits sacrés de l'amitié, elle opprime la veuve et s'empare des biens de l'orphelin.

S. Grég. (hom. 40). Ajoutez que le pauvre voyait tous les jours le riche s'avancer, entouré d'un nombreux cortége de gens obséquieux, tandis qu'il était complètement délaissé dans son infirmité et dans son indigence, car une preuve évidente que personne ne venait le visiter, c'est que les chiens venaient paisiblement lécher ses ulcères: «Et les chiens venaient, ajoute le Sauveur, et léchaient ses ulcères». - S. Chrys. (comme précéd). Ces animaux compatissants viennent lécher ces plaies qu'aucun homme ne daignait laver et panser.

S. Grég. (hom. 40). Dans un seul fait, Dieu exerce un double jugement. Il permet que le pauvre Lazare soit étendu devant la porte du riche, afin que ce riche impitoyable aggravât ainsi la sévérité de sa condamnation, et aussi pour que le pauvre augmentât ses droits à la récompense, car le premier voyait tous les jours celui dont il devait avoir pitié, et le second avait sans cesse sous les yeux ce qui faisait le sujet de son épreuve et de son mérite.


vv. 22-26

10622 Lc 16,22-26

S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche). Nous avons vu quel a été le sort de chacun d'eux sur la terre, voyons quel est maintenant leur sort dans les enfers. Tout ce qui était temporel est passé, les voici en face de l'éternité. Tous deux sont morts, l'un est reçu par les anges, l'autre ne rencontre que les supplices: «Or il arriva que le mendiant mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d'Abraham», etc. De si grandes douleurs sont tout à coup changées en délices ineffables. Il est porté, parce que ses souffrances l'avaient épuisé, et pour lui épargner les fatigues de la marche; et il est porté par les anges. Ce n'est pas assez d'un seul ange pour porter ce pauvre, ils viennent en grand nombre, comme pour former un choeur d'allégresse et de joie, chacun d'eux est heureux de toucher un aussi précieux fardeau. Ils aiment à se charger de tels fardeaux pour conduire les hommes au ciel. Or, il fut porté dans le sein d'Abraham pour s'y reposer de ses longues souffrances. Le sein d'Abraham, c'est le paradis. Les anges devenus ses serviteurs, ont porté ce pauvre et l'ont déposé dans le sein d'Abraham, parce qu'au milieu du profond mépris dont il était l'objet sur la terre, il ne s'est laissé aller ni au désespoir ni au blasphème, en disant: ce riche, tout impie qu'il est, vit dans la joie et ne connaît pas la souffrance, tandis que je ne puis pas même obtenir la nourriture qui m'est nécessaire.

S. Aug. (de l'orig. de l'âme, 4, 46). Si vous croyez que le sein d'Abraham soit quelque chose de corporel, je crains que vous n'apportiez pas dans la discussion d'une question aussi importante, toute la gravité et le sérieux qu'elle demande. En effet, vous ferez-vous illusion à ce point de croire que le sein d'un seul homme (pris dans le sens matériel), puisse contenir un si grand nombre d'âmes, bien plus (suivant votre opinion), autant de corps que les anges y portent comme celui de Lazare, à moins que vous ne disiez que son âme est la seule qui ait mérité de parvenir jusqu'au sein d'Abraham? Si donc vous ne voulez point tomber dans une erreur puérile, entendez par le sein d'Abraham un lieu éloigné de ce monde, séjour tranquille et mystérieux, où se trouve Abraham, et qui porte le nom d'Abraham, non qu'il ne soit réservé qu'à lui seul, mais parce qu'il est le père d'un grand nombre de nations, et que Dieu l'a proposé à leur imitation comme le plus grand modèle de foi.

S. Grég. (hom. 40). Tandis que ces deux coeurs (celui du pauvre et celui du riche étaient sur la terre), ils avaient dans les cieux un seul juge qui préparait le pauvre à la gloire par les souffrances, et qui supportait le riche en le réservant au supplice: «Le riche mourut aussi». - S. Chrys. (hom. 6 sur la 2 Epit. aux Cor). Il mourut de la mort du corps, car son âme était morte depuis longtemps, il ne faisait plus aucune des oeuvres auxquelles elle donne la vie, toute la chaleur que lui communique l'amour pour le prochain était complètement éteinte, et cette âme était plus morte que le corps. (2 disc. sur Lazare). Nous ne voyons pas que personne soit venu rendre à ce mauvais riche les devoirs de la sépulture comme à Lazare. Tant qu'il était heureux au milieu des jouissances de la voie large, il comptait un grand nombre de flatteurs complaisants, à peine a-t-il expiré, que tous l'abandonnent, car le Sauveur nous dit simplement: «Et il fut enseveli dans les enfers». Mais pendant sa vie même, son âme était comme ensevelie et écrasée dans son corps comme dans un tombeau. - S. Aug. (Quest. évang., 2, 38). Cette sépulture dans l'enfer signifie cet abîme de supplices qui dévore après cette vie les orgueilleux et ceux qui ont été sans miséricorde. - S. Bas. (sur Is 5). L'enfer est un lieu immense situé dans les profondeurs de la terre, couvert de tous côtés d'épaisses ténèbres, dont l'ouverture donne dans un abîme profond, par où descendent les âmes condamnées aux supplices éternels. - S. Chrys. (hom. 53 de l'ouvr. incompl). De même que les prisons des rois sont en dehors des villes, ainsi l'enfer est placé en dehors du monde, et c'est pour cela qu'il est appelé «les ténèbres extérieures» (Mt 8 Mt 22,13 Mt 25,30). - Théophyl. Il en est qui prétendent que l'enfer est le passage du visible à l'invisible, et la complète déformation de l'âme, car tant que l'âme du pécheur est dans son corps, elle est comme visible par ses opérations, mais dès qu'elle est sortie du corps, elle perd pour ainsi dire toute sa forme.

S. Chrys. (2 disc. sur Lazare). Le pauvre, pendant sa vie, trouvait un nouveau surcroît de souffrances dans son malheureux état, comparé aux jouissances et au bonheur dont il était témoin; de même ce qui ajoutait aux tourments du riche après sa mort, c'était d'être plongé dans les enfers et d'être témoin du bonheur de Lazare, de sorte que son supplice lui était intolérable, et par sa nature, et par la comparaison qu'il en faisait avec la gloire de Lazare: «Or levant les yeux, lorsqu'il était dans les tourments», etc. - S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche). Il élève les yeux pour le voir au-dessus et non au-dessous de lui; car Lazare était en effet au-dessus et lui au-dessous. Lazare avait été porté par les anges, et lui était en proie à des tourments infinis. Aussi Notre-Seigneur ne dit pas: Lorsqu'il était dans le tourment, mais «dans les tourments», car il était tout entier dans les tourments, il n'avait de libre que les yeux pour voir la joie de Lazare. Dieu lui laisse l'usage de ses yeux pour augmenter ses souffrances en le rendant témoin d'un bonheur dont il est privé, car les richesses des autres sont de véritables tourments pour les pauvres.

S. Grég. (Moral., 4, 27). Or si Abraham n'était encore dans ces lieux inférieurs, le mauvais riche n'eût pu l'apercevoir du milieu des tourments; c'est qu'en effet, ceux qui avaient suivi les voies de la patrie céleste, étaient, au sortir de cette vie, retenus dans les enfers, non pas pour y être punis comme coupables, mais pour se reposer dans ce séjour mystérieux, jusqu'à ce que la rédemption du Médiateur vînt leur ouvrir l'entrée du royaume qui était fermé depuis la faute de nos premiers parents.

S. Chrys. (Hom. 4, sur l'Epît. aux Philip). Il y avait sans doute parmi les pauvres beaucoup de justes, mais c'est celui qu'il a vu étendu à sa porte qui se présente à ses regards pour augmenter sa tristesse: «Et Lazare dans son sein». - S. Chrys. (2 Disc. sur Lazare). Apprenons de là que ceux à qui nous aurons fait quelque injure s'offriront alors à nos regards. Or, ce n'est point dans le sein d'un autre, mais dans le sein d'Abraham que le mauvais riche voit Lazare, parce qu'Abraham était plein de charité, et que le mauvais riche est condamné pour sa cruauté. Abraham assis à sa porte recherchait les voyageurs pour les forcer d'entrer dans sa maison; le mauvais riche repoussait ceux-là même qui demeuraient à sa porte. - S. Grég. (hom. 40). Voilà ce riche qui du milieu de ses tourments implore la protection de celui dont il n'a point daigné prendre pitié pendant sa vie. - Théophyl. Toutefois ce n'est point à Lazare, mais à Abraham qu'il adresse la parole, peut-être par un sentiment de honte, et dans la pensée que Lazare qu'il jugeait par lui-même se ressouvenait de ce qu'il avait souffert: «Et il lui cria». - S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche). La grandeur de ses souffrances lui arrachait ce grand cri: «Père Abraham», comme s'il lui disait: Je vous appelle mon père selon la nature, comme l'enfant prodigue qui a perdu tout son bien; bien que par ma faute j'ai perdu le droit de vous appeler mon père: «Ayez pitié de moi». C'est inutilement que vous exprimez ce repentir dans un lieu où la pénitence n'est plus possible; ce sont les souffrances qui vous arrachent cet acte de repentir, ce ne sont point les sentiments du coeur. Je ne sais d'ailleurs si un seul de ceux qui sont dans le royaume des cieux peut avoir pitié de celui qui est dans les enfers. Le Créateur a compassion de ses créatures. Il est le seul médecin qui puisse guérir efficacement leurs maladies, nul autre ne peut les en délivrer. «Envoyez Lazare». Infortuné, tu es dans l'erreur, Abraham ne peut envoyer personne, il ne peut que recevoir. «Afin qu'il trempe le bout de son doigt dans l'eau». Autrefois tu ne daignais pas même jeter les yeux sur Lazare, et maintenant tu réclames le secours de son doigt; tu devais au moins lorsque tu vivais lui rendre le service que tu demandes de lui; tu désires une goutte d'eau, toi qui autrefois voyais avec dégoût les mets les plus délicats. Voyez le jugement que la conscience du pécheur porte contre lui, il n'ose demander que Lazare trempe son doigt tout entier. Voilà donc le riche réduit à mendier le secours du pauvre, qui souffrait autrefois de la faim; les rôles sont changés, et chacun peut voir maintenant quel était le vrai riche, quel était le vrai pauvre. Dans les théâtres, quand vient le soir, et que les acteurs se retirent et quittent leur costume, ceux qu'on avait vus figurer sur la scène comme des généraux et des préteurs, se montrent à tous tels qu'ils sont dans toute leur misère. C'est ainsi que lorsque la mort arrive, et que le spectacle de la vie s'achève, tous les masques de la pauvreté et des richesses tombent, et c'est exclusivement d'après les oeuvres qu'on juge quels sont les vrais riches, quels sont les vrais pauvres, et ceux qui sont dignes de gloire ou d'opprobre. - S. Grég. (hom. 40). Ce riche qui a refusé à ce pauvre couvert d'ulcères jusqu'aux miettes de sa table, précipité maintenant dans l'enfer, est réduit à mendier le plus léger secours; il mendie une goutte d'eau lui qui a refusé les miettes qui tombaient de sa table.

S. Bas. (Ch. des Pèr. gr). Ce riche reçoit le juste châtiment qui lui est dû, le feu et le supplice de l'enfer, une langue desséchée; les gémissements remplacent les sons harmonieux de la lyre; une soif brûlante l'usage des plus délicieuses boissons; d'épaisses ténèbres, les spectacles brillants et licencieux; le ver qui ne dort point les empressements assidus des flatteurs: «Pour me rafraîchir la langue, car je souffre cruellement dans cette flamme» - S. Chrys. (hom. 2, sur l'Epît. aux Philipp). S'il souffre de si cruels tourments, ce n'est point parce qu'il était riche, mais parce qu'il a été sans pitié. - S. Grég. (hom. 40). Apprenons de là quel châtiment est réservé à celui qui prend le bien d'autrui, puisque ce riche est condamné au feu de l'enfer pour n'avoir pas donné de ses propres biens. - S. Ambr. Il souffre encore, parce que c'est un supplice pour l'homme sensuel d'être privé des jouissances de la vie; l'eau qu'il demande est le soulagement de toute âme accablée de douleurs.

S. Grég. (hom. 40). Pourquoi au milieu de ses tourments, demande-t-il une goutte d'eau pour rafraîchir sa langue? parce que sa langue, par un juste châtiment, souffrait plus cruellement pour expier les excès de paroles qu'il avait commis au milieu de ses festins; c'est en effet dans les festins que les intempérances de la langue sont plus fréquentes. - S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche). Que de paroles orgueilleuses avait aussi proférées cette langue ! il est donc juste que le châtiment tombe sur le péché; et que la langue qui a été si coupable soit aussi plus sévèrement punie. - S. Aug. (quest. Evang., 2, 38). Ou bien encore, cette demande qu'il fait d'une goutte d'eau pour rafraîchir sa langue, alors qu'il était tout entier au milieu des flammes, est l'accomplissement de ce qui est écrit: «La mort et la vie sont au pouvoir de la langue»; (Pr 18,21) et encore: «Il faut confesser de bouche pour obtenir le salut», (Rm 10,10) ce que son orgueil l'a empêché de faire. L'extrémité du doigt signifie la plus petite des oeuvres de miséricorde inspirée par l'Esprit saint.

S. Aug. (de l'ong. de l'âme, 4, 16). Vous dites que tous les membres de l'âme se trouvent ici décrits, parce qu'il est dit que le mauvais riche levait les yeux; ces yeux figurent la tête; la langue, la bouche et le doigt, la main tout entière. Mais comment se fait-il que ces noms de membres appliqués à Dieu ne vous fassent pas conclure qu'il ait un corps, tandis que vous tirez cette conclusion pour l'âme? Serait-ce parce qu'il faut les prendre à la lettre quand il s'agit de la créature, et dans un sens figuré et métaphorique, lorsqu'il est question du Créateur? Ainsi vous nous donnerez des ailes corporelles parce que la créature, c'est-à-dire l'homme, et non pas le Créateur, dit par la bouche du Psalmiste: «Si je prends mon vol (mes ailes) dès l'aurore» (Ps 139,9). Or, si de ces paroles: «Pour rafraîchir ma langue», vous concluez que l'âme du mauvais riche avait dans l'enfer une langue corporelle, notre langue doit avoir aussi dans cette vie des mains corporelles, puisqu'il est écrit: «La mort et la vie sont dans les mains de la langue». (Pr 18,21).

S. Grég. de Nyss. (Disc. 5, sur les Béatitudes). De même que les miroirs les plus parfaits représentent fidèlement les formes des visages, tels qu'ils se placent devant eux, joyeux, s'ils sont dans la joie, tristes, s'ils sont dans la tristesse, ainsi le juste jugement de Dieu est la fidèle reproduction des dispositions de notre âme; le riche n'a eu aucune compassion du pauvre étendu à sa porte, il ne trouve à son tour aucune compassion, lorsqu'il aurait tant besoin de miséricorde: «Et Abraham lui dit: Mon fils». - S. Chrys. (Disc. 2 et 3, sur Lazare, et hom. sur le mauv riche). Voyez la bonté du patriarche, il l'appelle son fils par un sentiment de tendresse et de douceur; mais cependant il n'accorde aucun secours à celui qui s'en est rendu indigne. «Souvenez-vous», lui dit-il, c'est-à-dire rappelez-vous le passé, n'oubliez pas que vous avez nagé au sein des délices, et que vous avez reçu les biens pendant votre vie, c'est-à-dire ce que vous regardiez comme les vrais biens; il est impossible que vous régniez ici après avoir régné sur la terre, les richesses ne peuvent avoir de réalité à la fois sur la terre et dans l'enfer: «De même que Lazare a reçu les maux». Ce n'est pas que Lazare les ait regardés comme des maux; Abraham parle ici d'après les idées du riche qui regardait la pauvreté, la faim, les souffrances de la maladie comme des maux extrêmes. Lors donc que la violence de la maladie nous accable, que la pensée de Lazare nous fasse supporter avec joie les maux de cette vie.

S. Aug. (Quest. Evang., 2, 38). Abraham fait donc cette réponse au mauvais riche, parce qu'il a mis toutes ses affections dans les jouissances de la terre, et n'a aimé d'autre vie que celle où il étalait tout le faste de son orgueil. Il ajoute que Lazare a reçu les maux, c'est-à-dire qu'il a compris que la fragilité des choses de cette vie, les travaux, les douleurs, les souffrances étaient la peine du péché, parce que nous mourons tous en Adam qui est devenu sujet à la mort par sa désobéissance.
- S. Chrys. (Disc. 3, sur Lazare). Il dit encore au riche: «Vous avez reçu les biens dans cette vie», comme une chose qui vous était due. C'est-à-dire: Si vous avez fait quelque bien qui fût digne de récompense, vous avez reçu dans le monde tout ce qui vous revenait, des festins, des richesses, la joie qui accompagne une vie toujours heureuse et les grandes prospérités. Si au contraire Lazare a commis quelque faute, il a tout réparé par la pauvreté, la faim et l'excès des misères sous le poids desquelles il a gémi. Tous deux vous êtes arrivés ici nus et dépouillés, l'un de ses péchés, et c'est pour cela qu'il reçoit la consolation en partage, l'autre, de la justice, et c'est pourquoi vous subissez un châtiment qui ne pourra jamais être adouci: «Maintenant il est consolé; et vous, vous souffrez». - S. Grég. (hom. 40). Si donc vous avez souvenir d'avoir fait quelque bien, et que ce bien ait été suivi de bonheur et de prospérité, craignez que ce bonheur ne soit la récompense du bien que vous avez fait; comme aussi lorsque vous voyez les pauvres tomber dans quelques fautes, pensez que le creuset de la pauvreté suffit pour purifier ceux qu'aurait pu souiller ce reste si léger de corruption. - S. Chrys. (Disc. 3, sur Lazare). Vous me direz: N'y a-t-il donc personne qui puisse être heureux et tranquille dans cette vie et dans l'autre? Non, c'est chose difficile et presque impossible; car si la pauvreté n'accable, c'est l'ambition qui tourmente; si la maladie ne déchire, c'est la colère qui enflamme; si l'on n'est point en butte aux tentations, on est en proie aux pensées mauvaises. Or, ce n'est pas un médiocre travail que de mettre un frein à la colère, d'étouffer les désirs criminels, d'apaiser les mouvements violents de la vaine gloire, de réprimer le faste et l'orgueil, et de mener une vie pénitente et mortifiée. C'est là cependant une condition indispensable du salut.

S. Grég. (comme précéd). On peut encore répondre que les méchants reçoivent les biens en cette vie, parce qu'ils mettent toute leur joie dans ce bonheur passager; comme les justes peuvent avoir quelques biens en partage, mais sans les recevoir comme récompense, car comme ils aspirent à des biens meilleurs, c'est-à-dire aux biens éternels, ils n'estiment pas que les biens qu'ils peuvent recevoir ici soient de véritables biens.

S. Chrys. (Disc. 4, sur Lazare). Après la grâce de Dieu, c'est sur nos propres efforts que nous devons fonder l'espérance de notre salut, sans compter sur nos parents, sur nos proches, sur nos amis, car le frère même ne pourra racheter son frère (Ps 49,8). C'est pour cela qu'Abraham ajoute: «De plus, entre nous et vous est creusé pour toujours un grand chaos». - Théophyl. Ce grand chaos signifie la distance immense qui sépare les justes des pécheurs; leurs affections sur la terre ont été bien différentes, leurs demeures après cette vie le sont également. - S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche). Il dit qu'un grand chaos a été comme affermi, parce qu'il ne peut être ni détruit, ni agité, ni ébranlé.

S. Ambr. Un grand abîme existe donc entre le riche et le pauvre, parce qu'après la mort les mérites de chacun sont immuables: «De sorte que ceux qui voudraient passer d'ici à vous, ou de là venir ici, ne le peuvent pas». - S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche) Il semble dire: Nous pouvons vous voir, mais nous ne pouvons passer où vous êtes: nous voyons le danger que nous avons évité, et vous voyez le bonheur que vous avez perdu; notre joie est pour vous un surcroît de tourments, comme vos tourments, mettent le comble à notre joie. - S. Grég. (hom. 40). De même que les réprouvés désirent passer du côté des élus, et quitter le séjour de leurs souffrances, ainsi les justes éprouvent intérieurement le désir d'aller vers ceux qui sont en proie à ces tourments indicibles et de les délivrer. Mais les âmes des justes, bien que la bonté de leur nature les rende accessibles à ce sentiment de la compassion, sont unies étroitement à la justice de leur auteur, et dominées par un tel sentiment de droiture et d'équité, qu'elles ne ressentent pour les réprouvés aucun sentiment de miséricorde. Ainsi donc, ni les méchants ne peuvent entrer dans le séjour des bons, retenus qu'ils sont par les chaînes d'une éternelle damnation, ni les justes ne peuvent passer du côté des réprouvés, parce que élevés à la hauteur de la justice des jugements de Dieu, ils ne peuvent éprouver pour eux aucun sentiment de compassion. - Théophyl. On peut tirer de ces paroles un des plus forts arguments contre les partisans d'Origène, qui prétendent que les supplices de l'enfer auront un terme, et qu'un temps arrivera où les pécheurs seront réunis aux justes et à Dieu. - S. Aug. (quest. Evang., 2, 38). L'immutabilité de la sentence divine prouve jusqu'à l'évidence que les justes, quand ils le voudraient, ne pourront exercer aucun acte de miséricorde envers les pécheurs, et Dieu les avertit par là d'être utiles pendant cette vie à tous ceux qui pourr ont profiter de leurs bons offices, de peur que même après avoir été reçus dans les cieux, ils soient dans l'impuissance de porter secours à ceux qu'ils aiment; car ces paroles: «Afin qu'ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels», ne s'appliquent ni aux superbes, ni aux âmes sans miséricorde, mais à ceux qui se sont fait des amis avec les oeuvres de la charité; et si les justes les reçoivent dans les tabernacles éternels, ce n'est point en vertu de leur propre pouvoir et comme s'ils les récompensaient d'eux-mêmes, mais en vertu d'une permission de Dieu.



Catena Aurea 10608