Catena Aurea 11009

vv. 9-18

11009 Lc 20,9-18

EusÈBE. Les princes des Juifs s'étant trouvés réunis dans le temple, Jésus leur prédit sous le voile de cette parabole les excès au xquels ils allaient se porter contre lui, et la destruction de leur nation qui devait en être le châtiment: «Alors il commença à dire au peuple cette parabole: Un homme planta une vigne», etc. - S. Aug, (acc. des Evang., 2, 70). Saint Matthieu, pour abréger, passe sous silence cette circonstance rapportée par saint Luc: que le Sauveur raconta cette parabole, non seulement aux principaux d'entre les Juifs qui l'avaient interrogé sur sa puissance, mais encore à tout le peuple. - S. Ambr. La plupart des interprètes diffèrent sur la signification de la vigne dont parle ici Notre-Seigneur, mais il faut s'en tenir à l'explication d'Isaïe, qui dit clairement que la vigne du Dieu des armées, c'est la maison d'Israël. (Is 5). Quel autre que Dieu a planté cette vigne? - Bède. Cet homme qui a planté cette vigne est le même qui, dans une autre parabole, loue des ouvriers pour travailler à sa vigne. - Eusèbe. Mais dans la parabole d'Isaïe c'est à la vigne que le Seigneur adresse ses reproches; ici au contraire, ce n'est pas à la vigne, mais aux vignerons: «Il la loua à des vignerons, c'est-à-dire, aux anciens du peuple, aux princes des prêtres et aux grands de la nation. - Théophyl. Ou bien encore: tout homme est à la fois la vigne et je vigneron, car chacun de nous se cultive lui-même. Or, après avoir ainsi confié sa vigne aux vignerons, il s'en alla, c'est-à-dire qu'il les laissa faire à leur gré: «Puis il s'en alla pour longtemps en voyage». - S. Ambr. Ce n'est pas que le Seigneur se transporte d'un lieu dans un autre, lui qui est toujours présent partout, mais parce qu'il fait sentir plus particulièrement sa présence à ceux qui l'aiment, et son absence à ceux qui l'oublient. Il fut longtemps absent, pour que la demande de ce qui lui était dû ne parût point prématurée; car plus la générosité à fait preuve d'indulgence, plus la résistance est inexcusable.

S. Cyr. Ou encore: Dieu fut absent de sa vigne pendant une longue suite d'années, parce qu'en effet depuis qu'il apparut au milieu du feu sur le mont Sinaï (Ex 19), il ne manifesta plus sa présence d'une manière sensible. Cependant il ne cessa d'envoyer sans interruption à son peuple des prophètes et des justes pour lui rappeler ses devoirs: «Le temps de la vendange étant venu, il envoya un de ses serviteurs aux vignerons, afin qu'ils lui donnassent du fruit de la vigne». - Théophyl. Il dit: «Du fruit de la vigne», parce qu'il ne réclamait pas la totalité, mais seulement une partie des fruits; car qu'est-ce que Dieu peut gagner de nous, si ce n'est la connaissance que nous avons de lui et qui encore tourne à notre avantage? - Bède. C'est à dessein qu'il parle du fruit et non du revenu de la vigne, car elle ne produisit jamais aucun revenu. Or, le premier serviteur que Dieu envoya, fut Moïse, qui pendant quarante ans (Ps 94, 19) demanda aux vignerons quelque fruit de la loi qu'il leur avait donnée; mais au contraire: «Il fut affligé à cause d'eux, car ils aigrirent son esprit» (Ps 105, 32): «Mais eux l'ayant battu, dit Notre-Seigneur, le renvoyèrent les mains vides».

S. Ambr. Il leur envoya encore plusieurs autres serviteurs que les Juifs renvoyèrent avec toute sorte d'outrages, et sans en avoir tiré aucun profit: «Il envoya encore un autre serviteur», etc. - Bède. Cet autre serviteur, c'est David qui fut envoyé de Dieu après la promulgation de toutes les observances de la loi, pour exciter par les chants harmonieux des psaumes; les ouvriers de la vigne à la pratique des bonnes oeuvres. Mais au lieu de l'écouter, ils dirent: «Quelle part avons-nous avec David, et qu'attendons-nous du fils d'Isaïe ?» (2S 20,1 1R 12,16):
«Et ayant aussi battu et chargé d'outrages ce second serviteur, ils le renvoyèrent les mains vides». Cependant le maître ne s'en tint pas là: «Il en envoya un troisième», c'est-à-dire le choeur des prophètes, qui ne cessèrent de faire entendre au peuple leurs enseignements et leurs réclamations. Mais quel est celui des prophètes que ce peuple n'ait persécuté? «Ils le blessèrent, et le jetèrent dehors». Notre-Seigneur, dans ces trois serviteurs différents, a voulu comprendre les docteurs de la loi mosaïque; interprétation qu'il autorise lui-même lorsqu'il dit dans un autre endroit: «il est nécessaire que tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes s'accomplisse» (Lc 24, 44).

Théophyl. Après que les prophètes eurent souffert tous ces outrages, Dieu résolut d'envoyer son Fils. Alors le maître de la vigne dit: «Que ferai-je ?» - Bède. Si le Seigneur s'exprime ici en termes dubitatifs, ce n'est point par ignorance de ce qu'il doit faire, (car qu'est-ce que Dieu peut ignorer ?) mais il emploie cette forme dubitative pour laisser à l'homme le libre usage de sa volonté. - S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr). Le maître de la vigne paraît délibérer en lui-même sur ce qu'il doit faire, non pas qu'il manque de serviteurs, mais parce qu'après avoir tenté tous les moyens de sauver les hommes, sans qu'ils en aient jamais profité, il a eu recours à un moyen qui surpasse tous les autres: «J'enverrai mon fils bien aimé, peut-être qu'en le voyant ils le respecteront». - Théophyl. S'il parle de la sorte, ce n'est pas qu'il ignorât qu'ils le traiteraient plus cruellement encore qu'ils n'avaient traité les prophètes, mais parce que le fils avait plus de droits à leurs respects que les serviteurs, et qu'ils mettraient le comble à leurs crimes en refusant de lui obéir et en le mettant à mort. S'il emploie encore ici la forme dubitative, c'est donc pour qu'on ne pût dire que la prescience divine avait été la cause de leur désobéissance.

S. Ambr. Les Juifs perfides voulant se défaire du Fils unique que Dieu leur envoyait, et qu'ils refusaient de reconnaître pour héritier, le chassèrent en le reniant, et le mirent à mort en l'attachant à une croix: «Les vignerons l'ayant vu, dirent en eux-mêmes: Voici l'héritier, tuons-le, afin que l'héritage soit pour nous».Jésus-Christ est tout à la fois l'héritier et le testateur; l'héritier, parce qu'il a survécu à sa propre mort, et que nos progrès dans le bien sont comme les biens héréditaires qu'il reçoit en vertu des testaments qu'il a faits en notre faveur. - Bède. Notre-Seigneur prouve ici de la manière la plus évidente que ce n'est point par ignorance, mais par envie que les princes des Juifs ont crucifié le Fils de Dieu. Car ils comprirent que c'était à lui que s'appliquaient ces paroles du Roi-prophète: «Je vous donnerai les nations pour héritage», (Ps 2). «Et l'ayant jeté hors de la vigne, ils le tuèrent». En effet, «Jésus, afin de sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors la porte de la ville». (He 13). - Théophyl. Comme nous avons expliqué plus haut la vigne du peuple juif plutôt que de la ville de Jérusalem, peut-être serait-il plus naturel de dire ici que le peuple a mis à mort le Fils hors de la vigne, dans ce sens que le Fils de Dieu n'a point souffert par ses mains, parce qu'en effet, il ne le fit pas mourir de ses propres mains, mais le livra à Pilate et aux mains des Gentils. Il en est qui par la vigne entendent la sainte Écriture, ce fut pour avoir, refusé d'y croire qu'ils mirent le Seigneur à mort, et c'est pour cela qu'il est dit qu'ils le firent mourir hors de la vigne, c'est-à-dire hors de l'Écriture. - Bède. Ou bien encore: il a été jeté hors de la vigne avant d'être mis à mort, parce qu'il a été repoussé du coeur des infidèles avant d'être attaché à la croix.

S. Chrys. C'est par un dessein de miséricorde et non par oubli ou indifférence que Dieu a envoyé Jésus-Christ après les prophètes. En effet, Dieu ne précipite pas l'exécution de ses oeuvres, mais son amour use à notre égard d'une grande condescendance; n'est-il pas vrai que si les Juifs ont maltraité le fils qui venait après les serviteurs, à plus forte raison ne l'auraient-ils pas écouté tout d'abord? Comment auraient-ils pu entendre des enseignements plus élevés, eux qui ne voulaient même pas entendre les plus simples ?

S. Ambr. Le Sauveur leur adresse ensuite une question pour qu'ils prononcent eux-mêmes leur condamnation: «Que leur fera donc le maître de la vigne ?» - S. Bas. (sur le chap. 6 d'Isaïe). Il leur parle de la sorte comme à des criminels qui n'ont rien à opposer à la justice de leur condamnation. Or, c'est le propre de la miséricorde divine de ne jamais punir sans avertir, sans prédire les châtiments dont les coupables sont menacés pour exciter en eux un repentir salutaire: «Il viendra et exterminera ces vignerons et donnera sa vigne à d'autres». - S. Ambr. Il annonce que le maître de la vigne viendra, parce que le Fils a la même majesté et la même puissance que le Père, ou parce que dans les derniers temps il fera sentir plus sensiblement sa présence pour répondre aux désirs des hommes.

S. Cyr. Les principaux d'entre les Juifs ont donc été rejetés comme rebelles à la volonté du Seigneur, et pour avoir laissé stérile la vigne qui leur avait été confiée. La culture de cette vigne a été donnée aux prêtres du Nouveau-Testament. Or, dès qu'ils comprirent l'application de cette parabole, ils voulurent s'y soustraire: «Ce qu'ayant entendu, ils lui dirent: A Dieu ne plaise».Et cependant ils n'en devinrent pas meilleurs, par suite de leur opiniâtreté et de leur résistance à la foi en Jésus-Christ.

Théophyl. Le récit de saint Matthieu paraît tant soi peu différent, puisqu'à cette question du Seigneur: «Que fera donc aux vignerons le maître de la vigne ?» les Juifs répondent: «Il fera périr misérablement ces misérables» (Mt 21). Cependant il n'y a ici aucune contradiction, et les deux récits sont également vrais. En effet, les Juifs ont d'abord rendu cette sentence; puis, quand ils comprirent le but de cette parabole, ils se récrièrent et dirent: «A Dieu ne plaise», comme saint Luc le raconte ici. - S. Aug. (De l'accord des Evang., 4, 70). Ou bien encore, dans la multitude qui entourait le Sauveur, il en était qui lui avaient demandé astucieusement par quelle puissance il faisait ces choses; il en était aussi qui, sans aucun artifice et de bonne foi, l'avaient acclamé en disant: «Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur». Et ce sont ces derniers qui ont pu dire: «Il fera périr misérablement ces misérables, et donnera sa vigne à d'autres». On peut aussi attribuer cette parole au Seigneur, soit qu'il l'ait dite véritablement, soit à cause de l'union de ses membres avec leur chef. D'autres aussi ont pu répondre à ceux qui prononçaient cette sentence: «A Dieu ne plaise», parce qu'ils comprenaient que cette parabole était dirigée contre eux.

«Mais Jésus les regardant, dit: Qu'est-ce donc que cette parole de l'Écriture: «La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient, est devenue le sommet de l'angle ?» - Bède. C'est-à-dire, comment s'accomplira cette prophétie, si ce n'est lorsque le Christ que vous avez rejeté et mis à mort, sera prêché aux Gentils, qui croiront en lui, et que, comme une pierre angulaire, il se bâtira un seul temple avec les deux peuples. - Eusèbe. Le Christ est comparé ici à une pierre à cause de son corps d'une nature terrestre; cette pierre a été détachée de la montagne sans la main d'aucun homme, selon la vision de Daniel (Dn 2, 34), parce qu'il est né d'une vierge: cette pierre n'est ni d'argent ni d'or, parce qu'il n'a point paru comme un roi resplendissant de gloire, mais comme un homme humble et méprisé; aussi ceux qui bâtissaient l'ont rejeté. - Théophyl. Les princes du peuple l'ont rejeté, lorsqu'ils ont dit «Cet homme ne vient pas de Dieu» (Jn 7, 16). Et cependant cette pierre était si utile et d'un si grand choix, qu'elle est devenue le sommet de l'angle. - S. Cyr. L'angle, dans le langage de la sainte Écriture, représente l'union des deux peuples Juif et Gentil dans une même foi (Ep 2; 1 P 2), car de ces deux peuples le Sauveur n'a formé lui-même qu'un seul homme nouveau, et les réunissant tous deux en un seul corps, les a réconciliés à Dieu. Il est donc une pierre de salut pour l'angle qu'il a construit, mais il devient une cause de ruine pour les Juifs qui s'opposent à cette union spirituelle des deux peuples.

Théophyl. Notre-Seigneur distingue ici deux condamnations ou deux ruines des Juifs: la ruine de leurs âmes, lorsque Jésus-Christ leur a été un objet de scandale, et il y fait allusion par ces paroles: «Quiconque tombera sur cette pierre sera brisé»; la ruine de leur nation et sa dispersion dans tout l'univers, qui eurent pour cause cette pierre qu'ils avaient rejetée, comme l'indique le Sauveur: «Et celui sur qui elle tombera elle l'écrasera» (ou le réduira en poussière). En effet, les Juifs ont été dispersés loin de la Judée, dans tout l'univers, comme la paille qui est emportée par le ve nt. Et remarquez l'ordre des événements, d'abord le crime énorme qu'ils ont commis contre Jésus-Christ, et puis à la suite la juste vengeance de Dieu. - Bède. Ou encore, celui qui pèche, mais qui néanmoins continue de croire en Jésus-Christ, tombe sur la pierre et s'y brise, mais la pénitence lui ouvre encore une voie de salut; celui au contraire sur qui tombera cette pierre (parce qu'il l'a rejetée), elle l'écrasera comme un vase dont il ne restera pas même un fragment pour aller puiser un peu d'eau. Ou bien encore, ceux qui tombent sur lui sont ceux qui le méprisent et qui ne périssent pas encore entièrement, mais qui sont brisés, en sorte qu'ils ne peuvent plus marcher droit. Mais pour ceux sur lesquels il tombe, il descendra du ciel pour leur infliger le juste châtiment de leurs crimes, et ils seront écrasés comme la poussière que, le vent disperse de dessus la face de la terre (Ps 1).

S. Ambr. Cette vigne est encore notre image, Dieu le Père est le laboureur, Jésus-Christ est la vigne, nous sommes les branches (Jn 15). C'est à juste titre que le peuple chrétien est appelé la vigne du Christ, ou parce qu'il porte sur le front le signe de la Croix, soit parce que son fruit n'est cueilli que dans la dernière saison de l'année, soit parce que dans l'Église, les pauvres et les riches, les serviteurs et les maîtres sont placés indistinctement comme les ceps de la vigne. De même que la vigne se marie aux arbres autour desquels elle s'enlace, ainsi le corps est étroitement uni à l'âme. Le vigneron diligent prend soin de cultiver et de tailler cette vigne, pour retrancher la trop grande abondance de feuilles et cette stérile ostentation de paroles qui paralyse la force naturelle de la vigne et empêche son fruit de parvenir à sa maturité. Enfin la vendange de cette vigne se fait par tout l'univers, puisqu'elle est répandue jusqu'aux extrémités du monde. - Bède. (sur S. Marc). Ou encore, dans le sens moral, Dieu donne à chaque fidèle la vigne à cultiver, lorsqu'il lui confie le soin de faire fructifier le baptême qu'il a reçu. Il lui envoie cm premier, un second, un troisième serviteur, lorsqu'il lui fait lire la loi, les psaumes et les prophètes. Le serviteur qu'il envoie est couvert d'outrages et déchiré de coups, lorsqu'on méprise ou qu'on blasphème la parole qu'on entend; et on met à mort l'héritier (autant qu'on peut le faire), lorsqu'on foule aux pieds le Fils de Dieu par ses péchés. (He 6). Le mauvais vigneron ayant reçu le châtiment qu'il mérite, la vigne est confiée à un autre, lorsque l'humble fidèle s'enrichit du don de la grâce que le superbe a méprisé.


vv. 19-26

11019 Lc 20,19-26

S. Cyr. Les princes des prêtres, comprenant que cette parabole s'appliquait à eux, et instruits de ce qui devait leur arriver, auraient dû renoncer à leurs mauvais desseins; mais loin de là, ils cherchent l'occasion de les mettre à exécution: «Les princes des prêtres cherchaient à se saisir de lui», etc. Ils ne sont point retenus par ce commandement de la loi: «Tu ne feras périr ni l'innocent ni le juste» (Ex 23). Et s'ils ajournent l'accomplissement de leurs criminels desseins, c'est par crainte du peuple: «Mais ils craignaient le peuple». Ils mettent la crainte des hommes au-dessus de la crainte de Dieu. Or, quel motif leur fit concevoir ce coupable projet? le voici: «Car ils compri rent que cette parabole s'appliquait à eux». - Bède. (sur S. Marc). En cherchant à faire mourir le Sauveur, ils confirmaient la vérité de ce qu'il avait dit dans cette parabole, car il était l'héritier dont la mort injuste devait être vengée par le châtiment des meurtriers, et ils étaient eux-mêmes ces méchants vignerons, qui cherchaient à faire mourir le Fils de Dieu. La même chose se renouvelle encore tous les jours dans l'Église, lorsqu'un chrétien qui ne l'est que de nom, n'a aucune affection pour l'unité de la foi et de la paix dans l'Église, quoiqu'il rougisse ou qu'il craigne de la combattre, à cause de la multitude des fidèles dont il est environné. Les princes des prêtres voulaient se saisir de la personne de Jésus et ne pouvant le faire par eux-mêmes, ils cherchaient à le livrer aux mains du gouverneur: «C'est pourquoi l'épiant, ils lui envoyèrent des gens apostés», etc. - S. Cyr. Ils paraissaient agir avec légèreté, mais au fond ils agissaient avec une malice réfléchie, ils oubliaient que Dieu a dit: «Qui est celui-là qui prétend dérober à Dieu le secret de ses desseins ?» (Jb 42). Ils viennent trouver le Sauveur comme un homme ordinaire: «Pour le surprendre dans ses paroles».

Théophyl. Ils voulurent tendre un piége au Seigneur, et ils y tombèrent eux-mêmes les premiers. Écoutez, en effet, leur question astucieuse: «Et ils vinrent donc ainsi l'interroger: Maître, nous savons que vous parlez et que vous enseignez avec droiture». - Bède (de S. Jér. sur S. Matth). Par cette flatterie mensongère et cette question insidieuse, ils veulent le forcer à déclarer qu'il craint plus Dieu que César: «Et vous ne faites acception de personne, mais vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité».En parlant ainsi, ils veulent l'amener à dire qu'on ne doit pas payer le tribut, afin que les satellites du gouverneur, qui étaient présents, selon les autres Évangélistes, se saisissent de lui, comme cherchant à soulever le peuple contre les Romains. C'est pour cela qu'ils lui font cette question: «Nous est-il permis de payer le tribut à César, ou non ?» Il y avait, en effet, une grande division d'opinions parmi le peuple, les uns soutenaient qu'à raison de la paix et de la sécurité, dont toute la nation jouissait sous les Romains, on devait leur payer le tribut; les pharisiens, au contraire, prétendaient que le peuple de Dieu, qui donnait déjà la dîme et les prémices, ne devait pas être soumis à des lois qui venaient des hommes. - Théophyl. Ils épiaient donc la réponse qu'il allait faire: s'il faisait une obligation de payer le tribut à César, le peuple l'accuserait de vouloir réduire la nation en servitude; s'il défendait, au contraire, de le payer, on le dénoncerait au gouverneur comme rebelle. Mais Jésus échappe au piége qu'ils lui tendent: «Considérant leur démarche astucieuse, il leur dit: Pourquoi me tentez-vous? Montrez-moi un denier, quelle image et quel nom porte-t-il ?» - S. Ambr. Notre-Seigneur nous apprend ici avec quelle circonspection nous devons répondre aux hérétiques ou aux Juifs, comme il nous l'a recommandé ailleurs: «Soyez prudents comme des serpents» (Mt 10).

Bède. Ceux qui pensent que le Seigneur interrogeait par ignorance, doivent reconnaître ici que Jésus pouvait parfaitement savoir de qui cette monnaie portait l'image, cependant il interroge les Juifs pour leur répondre d'après leurs propres paroles: «Ils lui répondirent: De César». Ce César n'est pas César Auguste, mais Tibère; car tous les empereurs romains, depuis le premier, Caius César, ont porté le nom de César. Notre-Seigneur résoud la difficulté qu'ils lui ont proposée, d'après leur réponse: «Et il leur dit :Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu». - Tite. Comme s'il leur disait: Vous me tentez par vos paroles, conformez votre conduite à vos oeuvres; vous avez accepté la domination de César, vous jouissez des avantages qu'elle vous procure, rendez-lui donc le tribut, et à Dieu la crainte qui lui est due; car Dieu ne vous demande point votre argent, mais votre foi. - Bède. Rendez aussi à Dieu ce qui appartient à Dieu, c'est-à-dire les dîmes, les prémices, les offrandes et les victimes. - Théophyl. Et remarquez qu'il ne dit pas: «Donnez», mais: «Rendez», parce que c'est une dette qu'il nous faut payer. Le prince vous protège contre vos ennemis, il assure la tranquillité de votre vie, vous lui devez donc en retour le tribut qu'il exige de vous. Cette pièce de monnaie, même que vous lui payez, c'est de lui que vous la tenez, rendez donc au roi, la monnaie qui vient du roi. Dieu vous a donné aussi l'intelligence et la raison, rendez-lui ces biens, en vous gardant de devenir rendre semblable aux animaux (cf. Ps 49,12-13 Ps 49,21), et en prenant, au contraire, la raison pour guide dans toutes vos actions. - S. Ambr. Si donc vous ne voulez point vous rendre tributaire de César, ne désirez posséder aucune chose du monde. C'est avec raison qu'il veut qu'on rende d'abord à César ce qui lui appartient; car on ne peut se donner au Seigneur sans avoir tout d'abord renoncé au monde. Quelle grave responsabilité de promettre à Dieu et de ne rien donner ! Les obligations souscrites par la foi, sont plus pressantes que les obligations qui ont pour objet une somme d'argent.

Orig. (hom. 39 sur S. Luc). Ce passage a aussi un sens mystique. En effet, il y a deux images dans l'homme, l'une qu'il a reçue de Dieu, comme il est écrit dans la Genèse: «Faisons l'homme à notre image», l'autre qui est l'image de son ennemi, et que le péché et la désobéissance ont comme gravée sur son âme, lorsqu'il s'est laissé gagner et entraîner par les séductions du prince de ce monde. Car de même qu'une pièce de monnaie porte l'image du roi de la terre, ainsi celui qui fait les oeuvres du prince des ténèbres, porte en lui l'image de celui dont il fait les oeuvres. Le Sauveur dit donc: «Rendez à César ce qui est à César»,c'est-à-dire: Effacez cette image terrestre, afin que, retraçant en vous l'image céleste, vous puissiez rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c'est-à-dire, l'aimer de tout votre coeur, car c'est là ce que Dieu demande de vous, comme Moïse le disait à son peuple (Dt 10, 12). Or, Dieu nous le demande, ce n'est pas qu'il en ait besoin, mais parce qu'il veut rendre profitable à notre salut ce que nous lui avons donné.

Bède. Une réponse aussi sage aurait dû les déterminer à croire en lui; ils se contentent d'admirer comment leur ruse n'avait pu réussir à le faire tomber dans le piége: «Et ils ne purent reprendre aucune de ses paroles devant le peuple, et ayant admiré sa réponse, ils se turent». - Théophyl. Le but principal qu'ils se proposaient était de le prendre en défaut en présence du peuple, mais ils ne purent y parvenir, tant sa réponse était pleine de sagesse.


vv. 27-40

11027 Lc 20,27-40

Bède. (de S. Jér. sur S. Matth). Il y avait parmi les Juifs deux sectes principales, l'une des pharisiens, qui faisaient consister toute leur justice dans l'observance des traditions, ce qui leur faisait donner par le peuple le nom de séparés; l'autre des sadducéens, dont le nom signifie justes, et qui s'attribuaient une justice qu'ils n'avaient pas. Les premiers donc s'étant retirés, ceux-ci s'approchent pour tenter le Sauveur: «Quelques-uns des sadducéens, qui nient la résurrection, s'approchèrent alors», etc. - Orig. La secte des sadducéens ne niait pas seulement la résurrection des morts, mais enseignait que l'âme meurt avec le corps. Comme ils veulent aussi surprendre le Sauveur dans ses paroles, ils lui proposent cette difficulté au moment où il venait de parler à ses disciples de la résurrection: «Maître, lui dirent-ils, Moïse a écrit pour nous cette loi: Si un homme, ayant une femme, meurt sans laisser d'enfants», etc. - S. Ambr. La lettre de la loi oblige cette veuve à se remarier, même contre son gré, mais l'esprit conseille bien plutôt la chasteté (Rm 2,29 Rm 7,6 Rm 7,9 2Co 3,6).

Théophyl. Les sadducéens, sur un fondement des plus fragiles, refusaient de croire à la résurrection des morts. Persuadés qu'ils étaient que la vie future, dans la résurrection, ne pouvait être que charnelle, ils tombaient dans une grossière erreur, qui les amenait à nier la possibilité de la résurrection, ce qu'ils font en inventant le récit suivant: «Il y avait sept frères», etc. - Bède. Ils imaginent cette fable pour convaincre de folie ceux qui affirment la résurrection des morts, et ils opposent l'inconvenance de ce récit fabuleux pour s'inscrire en faux contre la vérité de la résurrection: «Dans la résurrection donc, duquel sera-t-elle la femme ?

S. Ambr. Dans le sens figuré, cette femme représente la synagogue qui a eu sept maris. Notre-Seigneur dit à la Samaritaine: «Vous avez eu cinq maris», (Jn 4) parce que la Samaritaine n'admettait que cinq livres de Moïse, tandis que la synagogue en reconnaissait sept principaux. Mais par suite de son infidélité, elle n'en eut aucune postérité, elle ne put donc être unie à ses maris dans la résurrection, parce qu'elle a entendu dans un sens charnel les préceptes spirituels de la loi. Ce ne fut point un frère selon la chair qui l'épousa pour donner des enfants à celui qui était mort; mais le frère qu i lui fut donné, prit pour épouse, après la mort du peuple juif, la sagesse du culte divin, et en fit naître des enfants spirituels dans la personne des Apôtres. Ceux-ci qui étaient comme les restes du peuple juif, et qui avaient été comme abandonnés dans le sein de la synagogue, avant d'être formés, ont mérité d'être sauvés selon l'élection de la grâce, comme fruits de cette union toute spirituelle. - Bède. Ou bien ces sept frères figurent les réprouvés qui, pendant toute cette vie (laquelle se compose de semaines de sept jours), sont tout à fait stériles en bonnes oeuvres; ils sont enlevés successivement par la mort, et leur vie toute mondaine passe de l'un à l'autre jusqu'au dernier, comme une épouse stérile.

Théophyl. Cependant Notre-Seigneur, voulant démontrer qu'après la résurrection, la vie des sens et de la chair cesserait d'exister, renverse là croyance des sadducéens avec le fragile fondement sur lequel ils l'appuyaient: «Et Jésus leur dit: Les enfants de ce siècle se marient», etc. - S. Aug. (Quest. évang., 2, 49). En effet, la fin du mariage est d'avoir des enfants, on a des enfants pour en faire ses héritiers, et on leur laisse son héritage, parce que la mort en fait une obligation. Là donc où il n'y a plus de mort, il n'y a plus de mariage: «Mais ceux qui sont trouvés dignes du siècle à venir et de la résurrection des morts, ne se marieront point», etc. - Bède. Ces paroles ne veulent pas dire qu'il n'y aura que ceux qui seront dignes de la résurrection pour ressusciter et ne point se marier, car les pécheurs eux-mêmes ressusciteront, sans également se marier dans le siècle futur. Mais le Sauveur, voulant nous inspirer un vif désir pour la gloire de la résurrection, n'a voulu parler ici que des élus.

S. Aug. (Quest. évang). Nos paroles se composent de qui se suivent et se succèdent; de même les hommes, auteurs de la parole, se succèdent et se remplacent les uns les autres, et ils composent et forment ainsi l'ordre du monde présent, qui résulte de l'ensemble et de la beauté des choses extérieures. Dans la vie future, au contraire, le Verbe de Dieu, dont nous jouirons, ne se compose d'aucune suite, d'aucune succession de syllabes tout en lui est immuable et simultané; ainsi pour ceux qui seront admis à la participation de sa félicité, et dont il sera l'unique principe de vie, il n'y aura plus ni destruction par la mort, ni succession par la naissance, ils seront comme sont les anges: «Ils ne pourront plus mourir, parce qu'ils seront égaux aux anges et enfants de Dieu», etc. - S. Cyr. La multitude innombrable des anges ne se propage point par la génération, elle ne doit son existence qu'à la création, ainsi le mariage cessera d'être nécessaire à ceux qui seront comme créés de nouveau par la résurrection: «Ils seront enfants de Dieu, et enfants de la résurrection». - Théophyl. C'est-à-dire: Comme Dieu est le principe de la résurrection, ceux qui reprennent une nouvelle vie en ressuscitant, sont appelés avec raison les enfants de Dieu. En effet, nous ne voyons rien de charnel dans cette nouvelle vie de la résurrection, ni l'union des époux, ni le sein de la mère, ni l'enfantement. - Bède. Ou bien encore: «Ils seront égaux aux anges et enfants de Dieu», parce qu'étant renouvelés par la gloire de la résurrection, ils jouiront de l'éternelle vision de Dieu, sans aucune crainte de la mort, sans aucune atteinte de la corruption, sans aucune des vicissitudes de la vie présente.

Orig. D'après saint Matthieu, Notre-Seigneur aurait ajouté ici ces paroles omises par saint Luc: «Vous vous trompez, ne comprenant pas les Écritures»; (Mt 22) or, je me demande où sont écrites ces paroles: «Ils ne se marieront point et n'épouseront point de femmes». Autant que je le puis savoir, on ne trouve rien de semblable ni dans l'Ancien, ni dans le Nouveau Testa ment. Notre-Seigneur veut donc dire que l'erreur des sadducéens vient tout entière de ce qu'ils lisent l'Écriture sans la comprendre. En effet, on lit dans le prophète Isaïe: «Ils n'engendreront point d'enfants soumis à la malédiction», etc. (Is 65, 23); ils s'imaginent que ces choses existeront encore après la résurrection. Mais saint Paul interprète toutes ces bénédictions dans un sens spirituel, et pour en éloigner toute idée charnelle, il dit aux Ephésiens: «Dieu le Père nous a comblés de toutes sortes de bénédictions spirituelles». (Ep 1, 3). - Théophyl. A, la raison qu'il avait donnée plus haut, Notre-Seigneur ajoute le témoignage de l'Écriture: «Or, que les morts ressuscitent, Moïse le déclare lui-même dans le récit du buisson, quand il appelle le Seigneur, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob», c'est-à-dire: Si les patriarches étaient rentrés dans le néant, et ne vivaient pas en Dieu dans l'espérance de la résurrection, Dieu n'eût pas dit: «Je suis», mais: «J'ai été»; en effet, lorsque nous parlons des choses qui ne sont plus ou qui sont passées, nous disons: «J'étais maître de cette chose», mais Dieu dit au contraire: «Je suis le Dieu et le Seigneur des vivants; car tous sont vivants devant lui; et bien que c es patriarches soient morts pour les hommes, ils vivent à ses yeux dans l'espérance de la résurrection. - Bède. Ou bien en parlant ici, Notre-Seigneur veut établir que les âmes survivent à leur séparation d'avec le corps (ce que niaient les sadducéens), et en tirer comme conséquence la résurrection des corps qui ont participé aux bonnes et aux mauvaises actions des âmes. Il y a, en effet, une véritable vie, dont les justes vivent en Dieu, même après la mort du corps. Le Sauveur eût pu établir la vérité de la résurrection sur des témoignages plus évidents, empruntés aux prophètes, mais les sadducéens rejetaient tous les livres des prophètes, et n'admettaient que les cinq livres de Moïse.

S. Chrys. Les saints ne diminuent en rien le souverain domaine de Dieu, en appelant spécialement: «Mon Dieu», le Maître commun de l'univers; ils ne font que manifester l'étendue de leur amour, et agissent en cela comme ceux qui, dominés par une affection vive, ne veulent point que leur amour soit partagé par un grand nombre, mais qu'il soit pour ainsi dire exclusif et privilégié. Ainsi Dieu se dit spécialement le Dieu de ces patriarches, sans restreindre pour cela son domaine, mais en l'agrandissant au contraire; car ce qui étend le domaine de Dieu, ce n'est pas tant la multitude des créatures qui lui sont soumises, que la vertu de ses fidèles serviteurs. Aussi se glorifie-t-il moins d'être appelé le Dieu du ciel et de la terre, que le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob. Voyez d'ailleurs parmi les hommes, les serviteurs sont désignés par le nom de leur maître (nous disons, par exemple, le fermier de tel seigneur), ici, au contraire, Dieu s'appelle le Dieu d'Abraham, son serviteur.

Théophyl. Les scribes qui étaient les ennemis déclarés des sadducéens, approuvent hautement Jésus qui vient de les confondre: «Quelques-uns des scribes, prenant la parole, lui dirent: Maître, vous avez bien parlé». - Bède. Honteux d'avoir été ainsi confondus, ils cessent de l'interroger: «Et ils n'osaient plus lui faire aucune question». Mais ils se saisirent bientôt de sa personne pour le livrer au pouvoir des Romains, preuve trop évidente qu'on peut triompher de l'envie, mais qu'il est bien difficile de jamais l'apaiser.



Catena Aurea 11009