Catena Aurea 13212
13212 Jn 12,12-19
S. Chrys. La loi ordonnait que le dixième jour de la lune du premier mois, chacun prît un agneau ou un chevreau, et le gardât dans sa maison jusqu'au quatorzième jour de ce mois, au soir duquel on devait l'immoler (Ex 12); voilà pourquoi l'Agneau véritable, l'Agneau sans tache, choisi dans tout le troupeau, et qui devait être immolé pour la sanctification du peuple, se rendit à Jérusalem cinq jours avant son immolation, c'est-à-dire, le dixième jour de la lune. - S. Aug. (Traité 51 sur S. Jean). Voulez-vous juger du fruit de la prédication du Sauveur et du grand nombre de brebis (parmi celles qui avaient péri de la maison d'Israël), qui avaient entendu la voix du pasteur, considérez ce que dit l'Évangéliste: «Le lendemain, une foule nombreuse qui était venue pour la fête, ayant appris que Jésus venait à Jérusalem, prit des rameaux de palmiers», etc. Les rameaux de palmier sont les louanges et l'emblème de la victoire que le Seigneur devait remporter sur la mort en mourant lui-même, et du triomphe qu'il devait obtenir par le trophée de la croix sur le démon, le prince de la mort.
S. Chrys. (hom. 66). Cette multitude témoignait à haute voix qu'elle voyait eu lui beaucoup plus qu'un prophète: «En effet, dit l'Évangéliste, ils allèrent au-devant de lui, en criant: hosanna», etc. - S. Aug. Le mot hosanna est une parole de supplication, qui exprime plutôt un sentiment du coeur qu'une pensée déterminée, comme sont les mots qu'on appelle dans la langue latine interjections. - Bède. Ce mot est composé d'une abréviation et d'un mot entier, osi veut dire sauvé, et anna est une interjection suppliante. Le mot osi est abrégé, anna est entier, «Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur», peut être entendu dans ce sens: «Béni soit celui qui vient an nom de Dieu le Père», bien qu'on puisse aussi l'entendre de son propre nom, puisqu'il est aussi le Seigneur; mais le sens le plus vraisemblable de ces paroles nous est indiqué par ces autres du Sauveur: «Je suis venu au nom de mon Père» (Jn 10). Il ne perd pas sa divinité en nous enseignant l'humilité.
S. Chrys. Un des plus puissants motifs qui porta la multitude à croire en Jésus-Christ, c'est qu'il n'était pas contraire à Dieu, et ce qui frappait le plus l'esprit du peuple, c'est qu'il disait qu'il venait du Père. De ces paroles nous tirons cette conclusion qu'il était Dieu. En effet, le mot hosanna signifie sauvé. Or, l'Ecriture n'attribue qu'à Dieu la puissance de sauver. Nous concluons encore qu'il était vrai Dieu, parce qu'il vient et qu'il n'est pas conduit par un autre; car être conduit, indique qu'on est sous la dépendance de quelqu'un tandis que venir soi-même, n'appartient qu'au Maître. Ce qu'ils ajoutent: «Au nom du Seigneur», exprime la même vérité; car ils ne disent pas qu'il vient au nom du serviteur, mais «au nom du Seigneur».
S. Aug. Qu'était-ce pour le Roi éternel des siècles de devenir le roi des hommes? Jésus-Christ ne fut pas roi d'Israël pour imposer des tributs, pour lever et armer des troupes, mais pour gouverner les âmes et les conduire dans le royaume des cieux. Si donc il a voulu être roi d'Israël, ce n'est point pour s'élever lui-même, mais par bonté pour nous, c'est un témoignage de sa miséricorde, plutôt qu'une marque de sa puissance; car celui qui s'est appelé sur la terre le roi des Juifs, est dans le ciel le roi des anges. - Théophyl. Les Juifs le proclamaient roi d'Israël dans un sens conforme à leurs rêves sur la royauté temporelle de leur Messie. Ils espéraient, en effet, voir s'élever du milieu d'eux un roi dont la puissance surpasserait celle des rois de la terre, et qui les affranchirait de la domination des Romains.
L'Évangéliste décrit ensuite l'entrée du Sauveur dans la ville de Jérusalem: «Et Jésus trouva un ânon», etc. - S. Aug. Saint Jean ne raconte que d'une manière abrégée ce fait qui se trouve complètement développé dans les autres évangélistes. Ce petit de l'ânesse sur lequel personne encore ne s'était assis, suivant la remarque des autres évangélistes, est la figu re du peuple des Gentils qui n'avait pas encore reçu la loi du Seigneur, l'ânesse (puisque l'un et l'autre furent amenés au Seigneur) était le symbole du peuple fidèle qui se forma au milieu du peuple d'Israël. - S. Chrys. En montant sur cet ânon, Notre-Seigneur nous enseigne figurativement qu'il doit s'assujettir le peuple immonde des nations, et il accomplit en même temps une prophétie.
- S. Aug. L'Évangéliste joint au récit de ce fait un oracle prophétique pour faire voir que les princes des Juifs, aveuglés par leur méchanceté, ne comprenaient point que les prophéties qu'ils lisaient s'accomplissaient en Jésus-Christ: «Selon ce qui est écrit: Ne craignez point, fille de Sion, voici votre Roi qui vient, assis sur le petit d'une ânesse». C'est dans le p euple juif que se trouvait la fille de Sion, la ville de Jérusalem est elle-même cette Sion, à qui il est dit: «Ne craignez point». Reconnaissez celui qui est l'objet de vos louanges, et ne soyez point effrayée lorsque vous le verrez souffrir, car le sang qui est répandu doit effacer vos crimes et racheter votre vie. - S. Chrys. Ou bien encore, comme les rois des Juifs avaient été injustes pour la plupart, et avaient jeté leurs peuples dans des guerres sans fin, le prophète dit ici: Ce roi ne leur est pas semblable, il est plein de douceur et de mansuétude, comme le prouve l'âne qu'il choisit pour monture; car il n'entre pas à la tête d'une armée, il entre assis sur son ânon.
Voyez l'humilité de l'Évangéliste, il ne rougit pas de faire connaître l'ignorance où ils étaient alors: «Ses disciples ne comprirent pas ceci d'abord, mais quand Jésus fut glorifié, alors ils se souvinrent», etc. - S. Aug. Lorsque Notre-Seigneur eut fait éclater la vertu de sa résurrection, ils se souvinrent alors que ces choses étaient écrites de lui, et que ce qu'ils avaient fait à son égard en était l'accomplissement, c'est-à-dire qu'ils n'avaient fait autre chose que ce qui était prédit de lui». - S. Chrys. Leur ignorance venait de ce que Jésus ne leur avait pas révélé qu'il allait accomplir cette prophétie; car il les eût scandalisés en leur faisant connaître qu'il soumettrait sa royauté à cette humiliation, ils n'eussent point compris tout d'abord quel était le royaume dont il leur parlait, et ils auraient cru qu'il s'agissait d'un royaume temporel.
Théophyl. Considérez ici l'enchaînement des faits qui amenèrent la passion du Sauveur. Il ressuscita Lazare, réservant ce miracle pour le dernier, et la vue et le bruit de ce miracle déterminèrent nu grand nombre de Juifs à croire en lui: «C'est ainsi que lui rendait témoignage la multitude qui était avec lui, lorsqu'il appela Lazare du tombeau, et le ressuscita d'entre les morts». C'est pour cela aussi que le peuple vint en foule au-devant de lui, parce qu'il avait appris que Jésus avait fait ce miracle. De là l'envie haineuse et les embûches des pharisiens: «Les pharisiens se dirent donc entre eux: Vous voyez que nous ne gagnons rien, voilà que tout le monde court après lui». - S. Aug. (Traité 51). Cette multitude troub le une autre multitude. Mais pourquoi cette multitude aveugle se laisse-t-elle aller à la jalousie? parce que le monde s'empresse autour de celui par qui le monde a été fait. - S. Chrys. Le monde ici est pris pour la multitude. Ces paroles, du reste, me paraissent venir de ceux qui étaient animés de bons sentiments à l'égard de Jésus, mais qui n'osaient les faire connaître, et qui s'efforçaient par cette considération de détourner les autres de leur projet comme d'une chose dont l'exécution était impossible. - Théophyl. Ils semblent leur dire: Plus vous cherchez à lui tendre des embûches, plus vous le grandissez, et rendez sa gloire éclatante. Quel fruit donc retirez-vous de tant d'efforts ?
13220 Jn 12,20-26
Bède. Le temple élevé à Dieu dans la ville de Jérusalem avait une si grande célébrité, qu'aux jours de fête, non-seulement ceux qui étaient voisins, mais une nombreuse multitude accourue des points les plus éloignés de l'univers encombrait la ville; comme les Actes des Apôtres nous l'apprennent de l'eunuque de Candace, reine d'Ethiopie. (Ac 8) C'est d'après cet usage que les Gentils, dont il est ici question, étaient venus pour adorer Dieu: «Or, parmi ceux qui étaient venus pour adorer en ces jours de fête, il y avait quelques Gentils». - S. Chrys. Ils étaient sur le point de se faire prosélytes. Attirés par la réputation du Sauveur, ils désirent le voir: «Ils s'approchèrent donc de Philippe qui était de Bethsaide, de Galilée, et le prièrent disant: Seigneur, nous voudrions voir Jésus». - S. Aug. Voici que les Juifs veulent le mettre à mort, tandis que les Gentils désirent le voir, et aux Gentils se joignent ceux d'entre les Juifs qui criaient: «Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !» Ainsi les uns viennent du peuple de la circoncision, les autres, du peuple des incirconcis, comme deux murailles qui ont un point de départ différent, et se réunissent par un baiser de paix dans la même foi de Jésus-Christ.
«Philippe le vint dire à André». - S. Chrys. Comme étant plus ancien que lui dans l'apostolat. Ils avaient, en effet, entendu dire au Sauveur: «N'allez pas dans la voie des nations» (Mt 10). Philippe croit donc, devoir soumettre la question à André avant d'en référer à leur divin Maître: «Et André et Philippe le dirent à Jésus». - S. Aug. (Traité 51) écoutons donc la réponse de la pierre angulaire: «Jésus leur répondit: L'heure est venue que le Fils de l'homme doit être glorifié». Quelqu'un pourrait penser peut-être que Jésus annonce qu'il va être glorifié, parce que les Gentils désirent le voir; non il n'en est pas ainsi. Jésus prévoyait que les Gentils de toutes les parties de l'univers croiraient en lui après sa passion et sa résurrection. Il prend donc occasion de ces Gentils qui désirent le voir, pour prédire la conversion future de toute la Gentilité, et il annonce la venue prochaine de l'heure de sa glorification dans les cieux, qui devait être suivie de la conversion à la foi de tous les Gentils. C'est ce que le Roi-prophète avait prédit: «Soyez exalté, ô Dieu, au-dessus de s deux, et que votre gloire éclate par toute la terre» (Ps 56, 12; 107, 6). Mais cette haute élévation dans la gloire a dû être précédée par les humiliations de la passion. Aussi le Sauveur ajoute: «En vérité, en vérité, je vous le dis: Si le grain de froment qui tombe dans la terre ne meurt, il demeure seul; mais s'il meurt, il produit beaucoup de fruits». Ce grain de froment c'était lui que l'incrédulité des Juifs devait faire mourir, et qui devait se multiplier par la foi des peuples. - Bède. Il est, en effet, ce grain qui a été semé de la semence des patriarches dans le champ du monde, c'est-à-dire qui s'est incarné pour mourir et ressusciter en se multipliant au centuple. Lui seul est mort, mais il est ressuscité avec un grand nombre d'autres.
S. ghrts. Comme les paroles du Sauveur ne portaient pas toujours la persuasion dans les coeurs, il a recours à cette comparaison, parce que le froment est une des graines qui produit le plus de fruit lorsqu'elle est morte. Or, si ce phénomène se manifeste dans les semences, à plus forte raison se produira-t-il en moi. Notre-Seigneur devait dans la suite envoyer ses disciples vers les Gentils, et il les voit déjà venir d'eux-mêmes avec ardeur pour embrasser la foi, il annonce donc que le moment est venu pour lui de souffrir le supplice de la croix; car il n'envoya point ses Apôtres vers les nations avant que les Juifs se fussent brisés eux-mêmes contre la pierre, avant qu'ils l'eussent crucifié: Et, comme il prévoyait que sa mort devait jeter ses disciples dans une profonde tristesse, il expose pleinement la doctrine de la croix, et semble dire à ses disciples: Il ne suffit pas que vous supportiez ma mort avec patience; si vous ne mourez vous-mêmes, vous n'avez aucun fruit à espérer de ma mort: «Celui qui aime son âme, la perdra». - S. Aug. On peut entendre ces paroles de deux manières: la première, «celui qui aime son âme, la perdra»; c'est-à-dire, si vous l'aimez véritablement, n'hésitez pas à la perdre; si vous désirez obtenir la vie, qui est en Jésus-Christ, ne craignez pas de souffrir la mort pour Jésus-Christ. Ou bien: «Celui qui aime son âme, la perdra». N'aimez donc point votre âme dans cette vie, pour ne point la perdre dans la vie éternelle. Cette seconde interprétation est plus conforme à l'ensemble du texte évangélique, où nous lisons ensuite: «Et celui qui hait son âme dans ce monde», etc. Donc, dans le membre de phrase précédent: «Celui qui aime», il faut sous-entendre: En ce monde. - S. Chrys. (hom. 67). Or, aimer son âme en ce monde, c'est satisfaire ses désirs criminels; haïr son âme, c'est résister à ses désirs coupables. Et remarquez que Notre-Seigneur ne dit pas: Celui qui ne se rend pas aux désirs de son âme, mais: «Celui qui la hait». Lorsque nous avons de la haine contre quelqu'un, nous ne pouvons entendre sa voix, sa présence nous est désagréable; ainsi lorsque notre âme nous suggère des pensées contraires à la loi de Dieu, nous devons la repousser avec horreur. - Théophyl. Comme cette obligation de haïr son âme pouvait paraître bien dure, le Sauveur adoucit cette dure obligation en ajoutant: «En ce monde», paroles qui annoncent la brièveté de l'épreuve; il ne nous commande pas de haïr notre âme pour toujours, et il nous fait savoir quel sera le prix de ce sacrifice: «Il la conservera pour la vie éternelle». - S. Aug. Mais prenez garde de vous laisser aller à la pensée de vous donner la mort à vous-même par une fausse interprétation de ce précepte: «Qu'il faut haïr son âme en ce monde». C'est ainsi que l'entendent certains hommes pervers et mal inspirés, qui se rendent coupables d'homicide et trouvent la mort en se jetant dans les flammes, en s'étouffant dans les eaux, en se précipitant d'un lieu élevé (1). Ce n'est pas ce que Jésus-Christ a enseigné; au contraire, lorsque le démon lui eut conseillé de se jeter du haut du temple, il lui répondit: «Retire-toi, Satan». Lors donc que vous vous trouvez dans cette alternative ou d'enfreindre un précepte divin, ou de sortir de cette vie sous la menace de mort d'un persécuteur, c'est alors que vous devez haïr votre âme en ce monde, pour la conserver dans la vie éternelle.
S. Chrys. (hom. 67). Cette vie présente paraît pleine de douceur à ceux qui en sont violemment épris, mais celui qui jette les yeux vers le ciel et qui considère les biens qui l'y attendent, n'aura que du mépris pour la vie présente; car, en présence d'un plus grand bien, le bien qui est moindre n'a plus de valeur. Or, Jésus-Christ nous conseille ce mépris, lorsqu'il nous dit: «Si quelqu'un veut être mon serviteur, qu'il me suive»; c'est-à-dire, qu'il marche sur mes traces. Le Sauveur veut parler ici de la mort et de l'imitation par les oeuvres, car le serviteur doit nécessairement suivre celui qu'il sert. - S. Aug. Notre-Seigneur nous apprend lui-même ce que c'est que le servir, en nous disant:» Si quelqu'un veut être mon serviteur, qu'il me suive», etc. Servir Jésus-Christ, c'est donc ne pas chercher ses intérêts, mais ceux de Jésus-Christ. C'est ce que signifient ces paroles: «Qu'il me suive», c'est-à-dire, qu'il marche dans mes voies, et non dans les siennes; qu'il ne se contente pas des oeuvres extérieures de miséricorde, mais qu'il fasse tontes ses bonnes oeuvres pour Jésus-Christ, jusqu'à cette oeuvre de charité héroïque qui consiste à donner sa vie pour ses frères. Mais quel en sera le fruit, quelle en sera la récompense? «Et où je suis, là sera aussi mon serviteur». Que le serviteur de Jésus-Christ l'aime d'un amour désintéressé, afin que la récompense du dévouement à son service soit d'être avec lui. - S. Chrys. (hom. 67). Notre-Seigneur nous apprend ainsi que la mort sera suivie de la résurrection: il dit: «Là où je suis», parce qu'avant même sa résurrection, il était dans ciel; c'est donc là que nous devons transporter nos pensées et nos affections.
«Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera. - S. Aug. C'est l'explication de ces paroles: «Où je suis, là sera aussi mon serviteur». Car, quel plus grand honneur pour le fils adoptif, que d'être là où est le Fils unique? - S. Chrys. Il ne dit point: C'est moi qui l'honorerai, mais: «Mon Père l'honorera». Car, ils n'avaient pas encore des idées convenables sur le Sauveur, et ils regardaient le Père comme lui étant supérieur.
13227 Jn 12,27-33
S. Chrys. (hom. 67 sur S. Jean). Aux exhortations que Notre-Seigneur faisait à ses disciples, de ne craindre ni les souffrances ni la mort; ils auraient pu répondre qu'il lui était facile, à lui, qui était placé en dehors des douleurs de notre humanité, de philosopher sur la mort et de les engager à supporter des épreuves dont il était affranchi; il prévient cette objection en leur faisant voir qu'il est lui-même exposé aux mêmes dangers, et que cependant, à cause du bien qui doit en résulter, il ne craint pas la mort. C'est ce qui lui fait dire: «Et maintenant mon âme est troublée». - S. Aug. (Traité 52). J'entends ces paroles: «Celui qui hait son âme en ce monde, la garde pour la vie éternelle»; et je me sens enflammé d'un saint mépris pour le monde, et la vapeur légère de cette vie, quelque prolongée qu'elle soit, n'est rien à mes yeux, l'amour des biens éternels me fait paraître viles toutes les choses de la terre; et voilà que j'entends de nouveau le Seigneur me dire: «Maintenant mon âme est troublée». Vous commandez à mon âme de vous suivre, mais je vois que la vôtre est dans le trouble; sur quel fondement m'appuyer, si la pierre elle-même succombe? Je reconnais, Seigneur, votre miséricorde; c'est votre charité qui est la cause de votre trouble, et vous voulez ainsi consoler et sauver du désespoir, qui les perdrait, les membres si nombreux de votre corps, qui sont troublés par suite des faiblesses nécessaires de leur nature. Notre chef a donc voulu ressentir en lui toutes les affections de ses membres. Son trouble ne vien t donc point d'une cause étrangère, mais comme l'Évangéliste l'a remarqué plus haut, il s'est troublé lui-même. - S. Chrys. (hom. 67). Aux approches de sa croix, il fait paraître les sentiments qui sont propres à notre humanité, une nature qui a horreur de la mort, et qui s'attache à la vie présente, et Il prouve ainsi qu'il n'était point étranger aux fassions de notre humanité; car ce n'est pas plus un crime de désirer conserver la vie présente que ce n'est un crime d'éprouver le besoin de la faim. Le corps de Jésus-Christ était pur de tout péché, mais il n'était pas affranchi des infirmités de notre nature; c'était l'effet et la suite non de sa divinité, mais de son incarnation.
S. Aug. (Traité 52). Enfin que l'homme qui désire suivre le Sauveur, apprenne à quel moment il doit marcher à sa suite, voici peut-être une heure terrible; on vous donne le choix, ou de commettre l'iniquité, ou de souffrir la mort, votre âme faible se trouble; écoutez ce que Jésus ajoute: «Et que dirai-je ?» - Bède. C'est-à-dire, que dirai-je que ce qui peut être une leçon pour mes membres? «Père, sauvez-moi de cette heure». - S. Aug. C'est ainsi qu'il vous montre celui que vous devez invoquer, celui à la volonté duquel vous devez subordonner la vôtre; ne regardez donc pas comme une chute pour lui l'acte par lequel il veut vous tirer de votre misère, il a pris sur lui nos infirmités, pour enseigner à ceux qui sont dans la tristesse, à dire: «Non ce que je veux, mais ce que vous voulez». C'est ce que signifient les paroles suivantes: «Mais c'est pour cela que je suis arrivé à cette heure». - S. Chrys. C'est-à-dire, je n'ai rien à dire pour me dérober à la mort qui me menace, «car c'est pour cela que je suis arrivé à cette heure»; langage dont voici le sens: Malgré le trouble et l'agitation auxquels vous êtes en proie, ne cherchez pas à vous soustraire à la mort, puisque moi-même, malgré le trouble où mon âme est plongée, je ne demande pas d'y échapper (car il faut supporter ce qui doit arriver); je ne dis pas: Délivrez-moi de cette heure, mais au contraire: «Mon Père, glorifiez votre nom». Il montre ainsi qu'il meurt pour la vérité, ce qu'il appelle la glorification du nom de Dieu. C'est en effet ce qui s'est vérifié, puisqu'après le supplice de la croix, l'univers entier devait se convertir, connaître et adorer le nom de Dieu, ce qui était autant la gloire du Fils que du Père, mais Jésus ne dit rien de ce qui lui était personnel.
«Et une voix vint du ciel: Je l'ai glorifié, et je le glorifierai encore». - S. Grég. (Moral., 28, 2). C'est par le ministère d'un ange que Dieu fit entendre ces paroles, puisque rien ne parait aux yeux, et qu'on entend seulement une voix qui vient du ciel. Comme en parlant du haut des cieux, Dieu, voulant être entendu de tous, s'est servi pour cela de l'intermédiaire d'une créature raisonnable. - S. Aug. (Traité 52). «Je l'ai glorifié», avant la création du monde, «et je le glorifierai encore» lorsqu'il ressuscitera d'entre les morts; ou bien encore, je l'ai glorifié, lorsqu'il est né d'une Vierge, lorsqu'il a fait une multitude de miracles, lorsque l'Esprit saint est descendu sur lui sous la forme visible d'une colombe; et je le glorifierai de nouveau lorsqu'il ressuscitera d'entre les morts, lorsqu'il sera exalté comme Dieu an-dessus des cieux, et que sa gloire éclatera sur toute la terre.
«Or, la foule qui était là et qui avait entendu, disait: C'est le tonnerre». - S. Chrys. Cette voix était claire, et le sens de ces paroles facile à comprendre, mais elle ne fit qu'une impression fugitive sur des esprits grossiers, charnels et indolents. Les uns ne firent attention qu'au son de la voix, les autres avaient bien remarqué que c'était une voix articulée, mais ils n'en savaient pas encore le sens, et c'est d'eux que l'Évangéliste ajoute: «D'autres disaient: Un ange lui a parlé».
«Jésus répondit: Ce n'est pas pour moi que cette voix est venue, c'est pour vous». - S. Aug. Cette voix n'apprenait donc point au Sauveur ce qu'il savait déjà, mais elle donnait cette connaissance à ceux qui en avaient besoin. De même donc que ce n'est point pour lui, mais pour nous que cette voix se fit entendre; ainsi ce n'est point pour lui, mais pour notre instruction qu'il permit que son âme fût troublée. - S. Chrys. (hom. 67). La voix du Père se fait entendre ici pour répondre à ce qu'ils ne cessaient de dire: que Jésus ne venait pas de Dieu, car comment Dieu pourrait-il glorifier celui qui ne viendrait pas de Dieu? Vous voyez que toutes les actions empreintes d'un caractère plus humble, sont faites pour les hommes et non pour le Fils, qui n'en avait nul besoin. Le Père a dit: «Je le glorifierai». Voici de quelle manière: «C'est maintenant le jugement du monde». - S. Aug. (Traité 52). Le jugement que nous attendons à la fin des siècles, sera le jugement des récompenses et des châtiments éternels. Il y a encore un autre jugement, non de condamnation, mais de discernement, c'est ce discernement que Jésus appelle jugement, aussi bien que l'expulsion du démon des âmes, qu'il a rachetées: «Maintenant le prince du monde sera jeté dehors». Gardons-nous de croire que le démon soit appelé le prince du monde dans ce sens qu'il exerce un empire absolu dans le ciel et sur la terre; le monde ici, c'est l'ensemble des hommes méchants qui sont répandus sur toute la surface de la terre. Le prince de ce monde, c'est donc le prince des méchants qui habitent le monde. Le monde est pris aussi quelquefois pour les bons qui sont également répandus par tout l'univers; c'est dans ce sens que l'Apôtre dit: «Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde». (2 Co 7) C'est de leurs coeurs que le prince du monde devait être chassé, car le Seigneur prévoyait qu'après sa passion et sa glorification, un grand nombre de peuples répandus dans tout l'univers croiraient en lui. Le démon était dans leur coeur, et il est chassé dehors quand ils renoncent an démon en embrassant la foi. Mais est-ce donc que le démon n'a pas été chassé du coeur des justes de l'ancienne loi? Pourquoi donc le Sauveur dit-il ici: «Maintenant le prince du monde va être jeté dehors ?» C'est-à-dire que ce qui ne s'est fait qu'en faveur d'un très-petit nombre, doit se réaliser pour une multitude innombrable de peuples. Mais dira-t-on encore: De ce que le démon a été chassé dehors, s'ensuit-il que tous les fidèles soient à l'abri de ses tentations? Tout au contraire, il ne cesse de tenter les hommes, mais il y a une grande différence entre attaquer extérieurement et régner dans l'intérieur de l'âme.
S. Chrys. Mais quel est ce jugement par lequel le démon est chassé? La comparaison suivante le fera comprendre: supposez un créancier impitoyable qui maltraite ses débiteurs et les jette dans les fers, et qui, emporté par sa fureur insensée, fait jeter dans le même cachot celui qui ne lui doit rien. Ce dernier lui fera expier l'injustice des mauvais traitements qu'il a soufferts et de ceux qu'il a fait souffrir aux autres. C'est ce qu'a fait Jésus-Christ; il a tiré vengeance du joug tyrannique que le démon a fait peser sur nous, et de son entreprise insolente contre Jésus-Christ lui-même. Mais comment sera-t-il jeté dehors, s'il triomphe du Sauveur lui-même? Il répond à cette objection, en ajoutant: «Et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi». Comment, en effet, celui qui entraîne les autres pourrait-il être vaincu? Dire: «J'attirerai tout à moi», c'est dire plus que: «Je ressusciterai»; car de la prédiction qu'il ressusciterait, il ne s'ensuivait pas nécessairement qu'il attirerait tout à lui, mais l'expression: «J'attirerai tout à moi», supposait les deux choses. - S. Aug. Or quelles sont toutes ces choses qu'il doit attirer à lui, si ce n'est celles dont le démon doit être chassé? Remarquez qu'il ne dit pas: Je les attirerai tous, car tous les hommes n'ont pas la même foi. Ces paroles ne se rapportent donc pas à l'universalité des hommes, mais à l'ensemble de la nature humaine, c'est-à-dire, à l'esprit, à l'âme, au corps, à ce qui est en nous la cause de la pensée, de la vie, et à ce qui fait de nous des créatures visibles. Ou bien, s'il faut entendre des hommes cette expression: «Toutes choses», il faut l'appliquer aux prédestinés ou à toutes les espèces d'hommes séparés entre eux, à l'exception du péché, par d'innombrables différences. - S. Chrys. Ma is comment expliquer ce que Notre-Seigneur dit plus haut, que: «Son Père nous attire ?» Parce que c'est le Père qui attire, lorsque le Fils lui-même attire. Il dit: «J'attirerai», expression qui signifie qu'il délivre les captifs de la tyrannie, et qu'il rend la liberté à ceux qui ne peuvent venir d'eux-mêmes et briser les chaînes de leur servitude. - S. Aug. Mais «si une fois je suis élevé de terre», c'est-à-dire, «lorsque je serai élevé», car il n'a aucun doute sur la réalisation prochaine du mystère qu'il doit accomplir, et c'est sa mort sur la croix qu'il désigne sous le nom d'élévation. C'est pour cela que l'Évangéliste ajoute: «Ce qu'il disait, pour marquer la mort dont il devait mourir».
13234 Jn 12,34-36
S. Aug. (Traité 47). Les Juifs ayant compris que Notre-Seigneur avait parlé de sa mort, lui demandent comment il pouvait dire qu'il devait mourir:» Le peuple lui répondit: Nous avons appris par la loi que le Christ demeure éternellement, comment dites-vous donc: Il faut que le Fils de l'homme soit élevé ?» Ils avaient conservé dans leur mémoire que le Seigneur se disait continuellement le Fils de l'homme, car le Sauveur n'avait point employé ici cette dénomination: Lorsque le Fils de l'homme sera élevé, comme précédemment: «L'heure vient où le Fils de l'homme sera glorifié». Ils avaient donc présent à l'esprit ce nom qu'il se donnait, lorsqu'ils lai font cette question: «Si le Christ demeure éternellement, comment sera-t-il élevé sur la terre ?» c'est-à-dire, comment mourra-t-il de la mort de la croix? - S. Chrys. Nous voyons ici qu'ils comprenaient un grand nombre des choses que le Sauveur leur disait dans un sens parabolique; il leur avait prédit plus haut sa mort, et ils entendent dans ce sens ce qu'il dit de son élévation. - S. Aug. Ou bien ils comprirent qu'il leur parlait de ce qu'ils avaient l'intention de faire, ce ne fut donc point une lumière reçue d'en haut, mais leur conscience agitée par le remords qui leur révèle l'obscurité de ces paroles. - S. Chrys. Voyez quelle malice dans cette question; ils ne s'expriment pas de cette manière: Nous avons appris par la loi que le Christ doit être exempt de souffrances (car dans une foule d'endroits, les saintes Écritures annoncent en même temps sa passion et sa résurrection), mais ils disent: «Nous avons appris que le Christ demeure éternellement». Et il n'y avait en cela aucune contradiction, car la passion du Sauveur n'est point devenue un obstacle à son immortalité. Mais les Juifs s'imaginaient qu'ils prouveraient par là qu'il n'était pas le Christ, parce que le Christ doit demeurer éternellement. Ils ajoutent: «Quel est ce Fils de l'homme ?» question également pleine de malice et dont voici le sens: N'allez pas dire que nous vous faisons cette question par un sentiment de haine, car nous ne savons pas de qui vous voulez parler. Notre-Seigneur leur répond en leur démontrant que sa passion n'est pas un obstacle à ce qu'il demeure éternellement: «Jésus leur dit: La lumière est encore pour un peu de temps au milieu de vous». Il leur apprend par là que la mort n'est qu'un passage, de même que la lumière du soleil ne s'éteint pas, mais se retire un peu de temps pour reparaître bientôt. - S. Aug. Ou bien encore, la lumière qui vous fait comprendre que le Christ demeure éternellement est pour un peu de temps au milieu de vous; marchez donc à cette lumière, tandis que vous en jouissez, en d'autres termes: Approchez, comprenez la vérité tout entière, c'est-à-dire, que le Christ doit mourir et vivre éternellement. - S. Chrys. Il veut parler ici du temps de cette vie tout entière, de celui qui devait précéder sa croix comme de celui qui devait la suivre, car un grand nombre crurent en lui après la passion: «De peur que les ténèbres ne vous surprennent». - S. Aug. Si vous ne voulez croire l'éternité du Christ, qu'en niant l'humiliation de sa mort.
«Et celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va». De quels crimes énormes les Juifs se rendent maintenant coupables ! Ils ne savent ce qu'ils font, mais tout en marchant dans les ténèbres, ils s'imaginent suivre le droit chemin, tandis qu'ils s'égarent dans une fausse voie, et c'est pour cela que le Sauveur ajoute: «Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière».
- S. Aug. C'est-à-dire, tandis que vous retenez encore quelque parcelle de la vérité, croyez en la vérité, pour que vous puissiez renaître à la vérité: «Afin que vous soyez des enfants de lumière». - S. Chrys. (hom. 68). C'est-à-dire, mes enfants. Au commencement de son Évangile, saint Jean dit qu'ils sont nés de Dieu, c'est-à-dire, du Père; ici, d'après ses paroles, c'est lui-même qui les engendre, pour vous faire comprendre que le Père et le Fils ont une seule et même action.
«Jésus dit ces choses, puis il s'en alla et se cacha d'eux». -
S. Aug. Il ne se cacha pas de ceux qui avaient commencé à croire en lui et à l'aimer, mais de ceux qui, témoins de ces merveilles, nourrissaient contre lui une noire envie. En se dérobant ainsi à ses ennemis, il a égard à notre faiblesse, il ne déroge pas à sa puissance divine. - S. Chrys. Mais pourquoi se cacher, alors qu'ils ne cherchaient pas à le lapider, et qu'ils ne proféraient aucun blasphème? Il pénétrait le fond de leurs coeurs, il y voyait la fureur dont ils étaient animés contre lui, et il n'attendit pas qu'e lle se traduisît en excès sacrilèges. Il se cache donc pour calmer ainsi leur jalousie.
Catena Aurea 13212