Catena Aurea 12407

vv. 7-12

12407 Jn 4,7-12

S. Chrys. (hom. 31). Comme le Sauveur paraissait aller contre le commandement qu'il avait fait en parlant aux Samaritains, l'Évangéliste nous donne plusieurs raisons de la conversation qu'il eut avec cette femme. D'abord il n'était point venu dans le dessein premier de s'entretenir avec des Samaritains. Mais fallait-il pour cela repousser cette femme qui venait à lui, comme le remarque l'Évangéliste: «Or, une femme de Samarie vint puiser de l'eau ?» Vous voyez que cette femme vient puiser de l'eau à cause de la chaleur.

S. Aug. (Traité 15). Cette femme est la figure de l'Eglise qui n'est pas encore justifiée, mais qui n'est pas loin de la justification. C'est comme symbole de ce qui doit arriver, qu'elle vient du milieu des étrangers. Car les Samaritains étaient des étrangers pour les Juifs quoique habitant une contrée voisine. Or, l'Eglise aussi devait venir du milieu des nations et d'une race étrangère à celle des Juifs.

Théophyl. La discussion avec cette femme commence très à-propos à l'occasion de la soif qu'éprouvait le Sauveur: «Jésus lui dit: Donnez-moi a boire». Il avait soif en effet dans sa nature humaine par suite de la fatigue et de la chaleur. - S. Aug. (Quest. 83, quest. 64).Jésus avait soif aussi de la foi de cette femme, car il a soif de la foi de tous les hommes pour lesquels il a répandu son sang. - S. Chrys. (hom. 31). Notre-Seigneur non-seulement affronte courageusement les difficultés de la route, mais se montre plein d'indifférence pour la nourriture, car ses disciples ne portaient point de vivres avec eux, comme nous le voyons par la suite du récit: «Ses disciples étaient allés dans la vill e acheter de quoi manger». L'Évangéliste nous fait encore ressortir l'humilité de Jésus qui consentait à ce qu'on le laissât seul. Il aurait pu s'il avait voulu, ou en garder quelques-uns près de lui, ou a leur défaut, avoir d'autres serviteurs, il ne le voulut pas, pour apprendre à ses disciples à fouler aux pieds tout orgueil. On me dira, peut-être, quoi d'étonnant que les disciples fussent humbles eux qui n'étaient que de simples pécheurs et des fabricants de tentes? Mais ne sont-ils pas devenus tout d'un coup plus dignes de vénération que tous les rois, eux les amis et les intimes du Seigneur de l'univers entier? Ne voit-on pas en effet ceux qui sortent d'une condition obscure et qui sont élevés à quelque dignité, être plus accessibles à l'orgueil, et comme incapables de supporter le poids d'un si grand honneur? Le Seigneur donc, en maintenant ses disciples dans les mêmes sentiments d'humilité, leur apprenait à se modérer en toutes choses. Or, cette femme trouve dans ces paroles du Sauveur: «Donnez-moi à boire», une occasion tout naturel de lui faire cette question: «Comment vous qui êtes Juif, me demandez-vous à boire à moi qui suis Samaritaine ?» Elle présuma qu'il était Juif à sa figure et à son langage. Mais voyez la circonspection de cette femme, car si Jésus devait se garder de tout commerce avec elle, elle n'avait point les mêmes raisons d'éviter tout rapport avec lui. L'Évangéliste en effet ne dit point que les Samaritains n'ont point de commerce avec les Juifs, mais que les Juifs n'ont point de commerce avec les Samaritains. Depuis le retour de la captivité, les Juifs étaient en garde contre les Samaritains et les regardaient comme des étrangers et des ennemis, car ils ne recevaient pas toutes les Écritures, et n'admettaient que le livre de Moïse, sans tenir beaucoup de compte des prophètes. Ils prétendaient avoir part à la noblesse du peuple juif qui les avait en horreur à l'égal des autres nations infidèles. - S. Aug. (Traité 15). Les Juifs n'auraient voulu à aucun prix se servir des vases qui étaient à l'usage des Samaritains; aussi cette femme qui portait un vase pour puiser de l'eau, s'étonnait qu'un Juif lui demandât à boire, ce que ne faisaient jamais les Juifs. - S. Chrys. (hom. 31). Mais comment Jésus peut-il lui demander à boire, malgré la défense de la loi? Dira-t-on qu'il prévoyait bien qu'elle n'accéderait pas à sa demande? C'était une raison de ne pas la faire. Disons donc qu'il lui demande à boire parce que le temps était venu où l'on pouvait sans se rendre coupable, laisser de côté de telles observances.

S. Aug. (Traité 15). Celui qui lui demandait à boire avait soif de la foi de cette femme. Aussi «Jésus lui répondit: Si vous connaissiez le don de Dieu», etc. - Orig. (Traité 14 sur S. Jean). C'est une vérité des mieux établies en effet que les grâces divines ne sont accordées qu'à ceux qui les désirent et les recherchent. Ainsi le Père fait un commandement au Sauveur de lui demander ce qu'il désire obtenir: «Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage» (Ps 2)Notre-Seigneur lui-même nous en fait un précepte: «Demandez, et vous recevrez»; (Mt 7, Lc 11) et voilà pourquoi il dit ici: «Peut-être lui en auriez-vous demandé, et il vous aurait donné une eau vive.» -
S. Aug. (Liv. des 83 Quest. quest. 64). Il cherche à lui faire comprendre que l'eau qu'il lui demandait n'était pas celle qu'elle entendait, mais qu'il avait soif de sa foi et qu'elle eût soif elle-même de l'Esprit saint qu'il désirait lui donner. Car cette eau vive, si nous la comprenons bien, c'est le don de Dieu, comme le Sauveur dit expressément: «Si vous connaissiez le don de Dieu». - S. Aug. (Traité 15). On donne ordinairement le nom d'eau vive à celle qui jaillit d'une source; car pour l'eau de pluie qu'on recueille dans des fossés e t dans des citernes, ce n'est point de l'eau vive. De même on ne peut appeler de l'eau vive l'eau qui vient d'une source, mais qu'on a recueillie dans un réservoir oùne coule pas la source d'où elle provient, et dont le cours se trouve interrompu de manière à séparer cette eau de la source qui l'a produite. - S. Chrys. (hom. 32). L'Ecriture sainte donne à la grâce de l'Esprit saint tantôt le nom d'eau, tantôt le nom de feu, ce qui est une preuve que ces noms ne sont pas l'expression de la nature de cette personne divine, mais de son action. Le feu est l'emblème de l'efficacité et de la ferveur de la grâce pour effacer et détruire le péché, et l'eau est la figure de l'action purifiante de l'Esprit saint, et le rafraîchissement divin qu'il donne aux âmes qui le reçoivent. - Théophyl. Il appelle la grâce de l'Esprit saint une eau vive, rafraîchissante et active, car la grâce de l'Esprit saint dirige et conduit celui qui fait le bien et dispose dans son coeur les degrés, par lesquels il s'élève jusqu'à Dieu.

S. Chrys. (hom. 32). Le Sauveur a déjà modifié l'opinion que cette femme avait d'abord de lui, en le regardant comme un homme ordinaire; elle le traite avec plus d'égards, et lui donne le nom de Seigneur: «Cette femme lui dit: Seigneur, vous n'avez pas avec quoi puiser, et le puits est profond; d'où auriez-vous donc de l'eau vive ?» - S. Aug. (Traité 15). Vous voyez que la Samaritaine n'entendait par eau vive que celle qui était dans le puits, et qu'elle semble dire à Notre-Seigneur: Vous voulez me donner de l'eau vive, mais j'ai seule le vase nécessaire pour la puiser, et vous ne l'avez pas; vous ne pouvez donc pas me donner cette eau vive, puisque vous n'avez pas de quoi la puiser. Peut-être me promettez-vous l'eau d'une autre source, mais êtes-vous plus puissant que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits, et en a bu lui-même, aussi bien que ses enfants et ses troupeaux ?» - S. Chrys. (hom. 31). Voici le sens de ces paroles: «Vous ne pouvez pas dire que Jacob nous a donné ce puits, il est vrai, mais qu'il a fait usage d'un autre. Car lui aussi bien que ses enfants ont bu de cette eau, ce qu'ils n'eussent pas fait, s'ils avaient eu une source meilleure et plus pure. Vous ne pouvez donc prétendre avoir une fontaine meilleure que celle-ci, à moins que vous ne vous donniez comme un personnage plus grand que Jacob. Mais d'où ferez-vous venir cette eau que vous me promettez? - Théophyl. Elle ajoute: «Et ses troupeaux», pour montrer combien ces eaux étaient abondants, et comme si elle disait: Cette eau est si bonne, que Jacob en a bu ainsi que ses enfants; et elle est si abondante, qu'elle a suffi pour abreuver les nombreux troupeaux du patriarche.

S. Chrys. (hom. 3l). Voyez comme cette femme prétend ouvertement partager l'honneur de la nation juive. Les Samaritains, en effet, regardaient Abraham comme leur ancêtre, parce qu'il était chaldéen d'origine, et ils appelaient Jacob leur père, parce qu'il était le petit-fils d'Abraham. - Bède. Ou bien, elle appelle Jacob son père, parce qu'elle avait vécu sous la loi de Moïse, et que la nation possédait l'héritage que Jacob avait donné à son fils Joseph. - Orig. (Traité 14 sur S. Jean). Dans le sens mystique, le puits de Jacob, ce sont les maintes Écritures, ceux qui sont versés dans la connaissance de ces saintes lettres, boivent comme Jacob et ses enfants; les esprits simples et ignorants boivent comme les troupeaux du patriarche.


vv. 13-18

12413 Jn 4,13-18

S. Chrys. (hom. 32). A la question que lui fait cette femme: «Etes-vous plus grand que notre père Jacob ?» Jésus ne répond pas expressément: Oui, je suis plus puissant que lui, pour ne point paraître se glorifier lui-même, mais il le fait entendre en termes équivalents: «Jésus lui répondit: Quiconque boit de cette eau, aura encore soif, mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai, n'aura jamais soif. L'eau que je lui donnerai, deviendra en lui une fontaine d'eau jaillissante pour la vie éternelle». C'est-à-dire Jacob vous paraît puissant et admirable, parce qu'il vous a donné l'eau de ce puits, que direz-vous donc si je vous donne une eau bien meilleure. Il ne déprécie pas l'eau de ce puits, il lui en indique simplement une d'une qualité bien supérieure; il ne dit point que cette eau est vile et méprisable, mais il donne un fait qui est attesté par l'expérience, c'est que celui qui boira de cette eau aura encore soif. - S. Aug. (Traité 15). Ce qui est très-vrai et de l'eau naturelle et de l'eau allégorique, dont elle est la figure. L'eau, dans le puits, signifie la volupté charnelle dans les profondeurs ténébreuses du siècle: c'est là que les hommes viennent la puiser avec l'urne de la convoitise, car c'est par la convoitise qu'on est poussé à la volupté. Mais lorsque l'homme s'est désaltéré dans les jouissances charnelles, sa soif sera-t-elle apaisée pour toujours? Il est donc vrai que celui qui boira de cette eau aura encore soif. Mais s'il boit de l'eau que je donne, il n'aura jamais soif; car comment ceux qui seront enivrés de l'abondance de la maison de Dieu (Ps 35), pourraient-ils encore éprouver le besoin de la soif? Ce que le Sauveur promettait donc à cette femme, c'était l'effusion surabondante de l'Esprit saint qui devait rassasier son âme. - S. Chrys. (hom. 32). Notre-Seigneur donne la raison des propriétés merveilleuses de cette eau qui doit étancher la soif à tout jamais: «Mais l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une fontaine d'eau vive qui rejaillira jusque dans la vie éternelle», paroles qui équivalent à celles-ci: Celui qui aurait une source au dedans de lui-même, n'éprouverait jamais le besoin de la soif; ainsi en sera-t-il de celui qui boira cette eau que je lui donnerai. - Théophyl. Car l'eau que je lui donnerai ira toujours en se multipliant; les saints reçoivent, en effet, de la grâce, le principe et les semences des vertus, mais c'est à eux de les développer et de les faire croître par leurs travaux et par leurs efforts.

S. Chrys. (hom. 32). Voyez comme Notre-Seigneur élève peu à peu cette femme jusqu'à la hauteur des vérités de la foi chrétienne. Elle a commencé par le r egarder comme un juif transgresseur de sa loi. Lorsqu'elle l'entendit parler d'eau vive, elle prit ses paroles dans un sens matériel. Comprenant ensuite leur signification spirituelle, elle crut que cette eau pourrait étancher la soif pour toujours. Cependant elle ne savait pas encore quelle était cette eau, mais elle cherchait à le savoir, persuadée qu'elle était au-dessus des choses sensibles. Aussi écoutez ce qu'elle dit au Sauveur: «Cette femme lui dit: Donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus ici puiser». Et elle place ainsi Jésus bien au-dessus du patriarche Jacob, dont elle avait cependant une si haute opinion.

S. Aug. (Traité 15). On peut dire aussi que la Samaritaine se conduisait encore par les inclinations de la chair, elle fut charmée de pouvoir échapper au besoin de la soif, et elle s'imaginait que c'était une promesse toute matérielle que Notre-Seigneur lui avait faite. Dieu avait préservé pendant quarante jours son serviteur Elie de la faim et de la soif. (R 3, 19). Puisqu'il pouvait en préserver pour quarante jours, ne pouvait-il pas affranchir pour toujours de la nécessité de boire? Cette promesse sourit à cette femme, et elle prie le Sauveur de lui donner cette eau vive: «Seigneur, donnez-moi cett e eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus ici puiser», car son indigence l'obligeait à cette fatigue, que sa faiblesse lui faisait repousser. Plût à Dieu qu'elle eût entendu cette douce invitation: «Venez à moi, vous qui travaillez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai !»(Mt 11) Jésus adressait ces paroles pour la délivrer de tout travail, mais elle ne les comprenait pas encore. Notre-Seigneur voulut enfin lui en donner l'intelligence: «Jésus lui dit: Allez, appelez votre mari et venez ici». Qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce que c'est par l'intermédiaire de son mari qu'il voulait lui donner cette eau? Voulait-il se servir de lui pour lui enseigner ce qu'elle ne comprenait pas suivant la recommandation de l'Apôtre: «Si les femmes veulent s'instruire de quelque chose, qu'elles le demandent à leurs maris dans la maison ?» Mais cela ne doit se faire que lorsqu'on n'a pas le Seigneur lui-même pour maître, car dès lors qu'il était présent, qu'était-il besoin du mari pour enseigner la femme? Est-ce que le Sauveur employait l'intermédiaire d'un homme pour parler à Marie qui était assise à ses pieds ?

S. Chrys. (hom. 32). Aux instances que fait la Samaritaine pour recevoir l'eau qui lui a été promise, Jésus répond: «Appelez votre mari, et comme pour lui faire comprendre qu'il voulait faire participer son mari à la même grâce. Mais cette femme désirait recevoir cette eau sans retard; elle voulait d'ailleurs cacher la honte de sa vie à Jésus, en qui elle ne voyait qu'un homme: «La femme lui répondit: Je n'ai point de mari». Le Sauveur profite de cet aveu pour lui découvrir le scandale de sa vie. Il lui rappelle tous ceux qu'elle a eus pour mari, et lui fait un reproche de celui qu'elle cherche en ce moment à dissimuler: «Jésus lui dit: Vous avez raison de dire: Je n'ai point de mari».
- S. Aug. (Traité 15). Cette femme, en effet, n'avait point alors de mari, et vivait avec je ne sais quel homme dans une union illégitime et scandaleuse, Notre-Seigneur le lui rappelle avec une intention particulière et secrète en lui disant: «Vous avez eu cinq maris».

Orig. (Traité 13 sur S. Jean). Examinez s'il ne serait pas possible dans le sens allégorique, de voir dans cette fontaine de Jacob l'ensemble des saintes Écritures; l'eau que donne Jésus, ce sont les mystères que contiennent les saintes Écritures, et qu'il n'est pas donné à tout le monde d'approfondir; car la lettre de l'Ecriture a été dictée par des hommes, mais ces mystères que l'oeil de l'homme n'a point vus, que son oreille n'a point entendus, que le coeur de l'homme n'a point compris, peuvent être reproduits par les Écritures; or ils découlent de cette source qui rejaillit jusqu'à la vie éternelle, c'est-à-dire de l'Esprit saint qui est un esprit de sagesse, et sont révélés à ceux qui ne portent plus en eux-mêmes au coeur d'homme, et qui peuvent dire avec l'Apôtre: «Pour nous, nous avons l'esprit de Jésus-Christ». (1Co 2,16). Celui donc qui n'entre point dans la profondeur des paroles, peut bien goûter quelques instants de repos, mais pour retomber bientôt dans le doute. Celui, au contraire, qui boit de l'eau que Jésus lui donne, voit jaillir en lui la source de toutes les vérités qu'il cherche à connaître, et à mesure que l'eau s'élève, son âme s'envole à la suite de cette eau qui jaillit jusqu'à la vie éternelle. Cette femme voulait, sans recourir à l'eau de Jacob, parvenir à la vérite à la manière des anges, et par une voie supérieure à celle des hommes; car les anges n'ont point besoin de l'eau de Jacob pour étancher leur soif, mais chacun d'eux a au dedans de lui une fontaine d'eau qui sort du Verbe et qui rejaillit jusqu'à la vie éternelle: «Cette femme lui dit donc: Seigneur, donnez-moi cette eau». Or. ici-bas, il est impossible de recevoir l'eau qui est donnée par le Verbe. sans puiser à la fontaine de Jacob; aussi lorsque la Samaritaine loi demande cette eau, Jésus semble lui dire qu'il ne peut lui en donner qu'en puisant à la fontaine de Jacob: or Jésus lui dit: Allez, appelez votre mari, et venez ici».Si nous avons soif, nous ne devons d'abord chercher à nous rafraîchir qu'avec l'eau de la fontaine de Jacob; car selon la doctrine de l'Apôtre: la loi est comme le mari de l'âme. (Rm 7) - S. Aug. (Liv. des 83 quest., quest. 64). Dans ces cinq maris, il en est qui voient la figure des cinq livres qui ont été écrits par Moïse; et ce que Notre-Seigneur ajoute: «Celui que vous avez maintenant n'est pas votre mari», devrait s'entendre de lui-même. Tel serait donc le sens de ces paroles: «Vous avez d'abord été soumise aux cinq livres de Moïse, comme à cinq maris. Mais maintenant celui que vous avez (c'est-à-dire que vous entendez), n'est pas votre mari, parce que vous ne croyez pas encore en lui. Mais puisqu'elle ne croyait point encore en Jésus-Christ, et qu'elle était encore unie et soumise à ces cinq maris, c'est- à-dire à ces cinq livres, pourquoi le Sauveur lui dit-il: «Vous avez eu cinq maris», comme si elle avait cessé de les avoir? D'ailleurs, comment peut-on comprendre qu'il faille rompre a vec ces cinq livres pour se soumettre à Jésus-Christ, alors que celui qui croit en Jésus-Christ, loin de renoncer à ces cinq livres, recherche et goûte bien plus vivement le sens spirituel de ces livres? Il faut donc entendre ces paroles autrement. - S. Aug. (Traité 15). Jésus, voyant que cette femme ne comprenait pas, et voulant l'amener à comprendre les enseignements qu'il lui adressait: «Appelez, lui dit-il, votre mari», c'est-à-dire, faites que votre intelligence soit présente. Lorsqu'on effet, la vie est bien réglée, c'est la raison qui dirige ses opérations, la raison qui n'est point quelque chose en dehors de l'âme, mais qui est une des facultés de l'âme. Cette faculté de l'âme qu'on appelle la raison ou l'esprit, est éclairée par une lumière supérieure. Cette lumière s'entretenait avec cette femme, mais l'intelligence lui faisait défaut. Aussi le Sauveur semble lui dire: Je voudrais vous éclairer, et le sujet manque; appelez donc votre mari, c'est-à-dire faites usage de l'intelligence qui doit vous enseigner, vous conduire; mais tant qu'elle n'a pas appelé son mari, elle ne peut comprendre. Les cinq premiers hommes peuvent signifier les cinq sens du corps. Car avant que l'homme fasse usage de sa raison, il n'est conduit que par les sens du corps; mais lorsque l'âme est devenue capable de raison, elle se laisse alors diriger ou par la vérité ou par l'erreur. Or, l'erreur est incapable de diriger, et ne peut qu'égarer. Après avoir obéi à ses cinq sens, cette femme était donc encore dans l'égarement; l'erreur qu'elle suivait n'était pas son légitime mari, mais un adultère. C'est donc avec raison que le Sauveur lui dit: «Rompez avec cet adultère qui ne peut que vous corrompre, et appelez votre mari pour qu'il vous aide à me comprendre».

Orig. (Traité 13 sur S. Jean). Mais où Jésus pouvait-il mieux convaincre la Samaritaine que l'homme avec qui elle vivait n'était pas son véritable époux, qu'auprès de la fontaine de Jacob? Si la loi est le mari de l'âme, on peut dire aussi que la Samaritaine, obéissant à une fausse interprétation de la loi, suivait les rites idolâtriques des infidèles. Le Sauveur la rappelle donc au Verbe de vérité, qui devait ressusciter d'entre les morts, pour ne plus mourir.


vv. 19-24

12419 Jn 4,19-24

S. Chrys. (hom. 31). Cette femme ne s'offense pas des reproches du Sauveur, elle ne songe pas à le quitter, mais pleine au contraire d'admiration, elle prolonge la conversation pour rester avec lui: «La femme lui dit: Seigneur, je vois que vous êtes un prophète», c'est-à-dire, les secrets que vous venez de me révéler me prouvent que vous êtes un prophète. - S. Aug. (Traité 15). Son mari commence à venir, mais il n'est pas encore tout à fait venu. Elle regarde le Seigneur comme un prophète, et il était prophète, en effet, car il a dit de lui-même: «Il n'y a point de prophète sans honneur, si ce n'est dans sa patrie». - S. Chrys. (hom. 32). Dans cette persuasion où elle est, elle ne lui demande aucun des biens de la terre, aucune des chose qui ont rapport à cette vie, elle ne se soucie ni de la santé, ni de l'opulence, ni des richesses, elle ne cherche qu'à s'instruire de la doctrine céleste. Elle, qui ne ressentait d'abord que les atteintes de la soif et n'était occupée que des moyens de la calmer, n'a plus qu'une pensée, celle de connaître la vérité. - S. Aug. Elle entame la discussion par lesujet qui la préoccupait le plus: «Nos pères, dit-elle, ont adoré sur cette montagne, et vous vous dites que Jérusalem est le lieu où il faut adorer». C'était le grand sujet de dispute entre les Samaritains et les juifs. Les Juifs adoraient Dieu dans le temple bâti par Salomon, et se vantaient par là même d'être supérieurs aux Samaritains. Ceux-ci leur répondaient: Pourquoi vous vanter d'être en possession d'un temple que nous, Samaritains, nous n'avons pas? Est-ce que nos pères qui, certes, ont été agréables à Dieu, l'ont adoré dans ce temple? Nous sommes donc bien plus en droit de prier Dieu sur cette montagne où nos pères lui ont offert leurs adorations. - S. Chrys. (hom. 32). Ces aieux dont elle invoque l'exemple, c'est Abraham et les patriarches. C'est là, en effet, suivant la tradition, qu'Abraham offrit à Dieu son Fils Isaac. - Orig. On peut dire encore que les Samaritains regardant comme sainte la montagne de Garizim, près de laquelle Jacob habita, croyaient devoir y offrir à Dieu leurs adorations. Les Juifs, au contraire, pour qui la montagne de Sion était sacrée, la regardaient comme le lieu exclusivement choisi de Dieu pour y recevoir les prières des hommes. Or, comme les Juifs, de qui vient le salut, sont figure de ceux qui n'admettent que la saine doctrine, tandis que les Samaritains sont l'image de ceux qui se livrent à tous les caprices si divers de l'erreur, le mot Garizim, qui veut dire distinction ou division, représente les Samaritains, comme la montagne de Sion, qui signifie lieu d'observation, représente les Juifs.

S. Chrys. (hom. 32 et 33). Jésus ne résout pas aussitôt la question qui lui est proposée, mais il élève cette femme à de plus hautes considérations, ce qu'il ne fait cependant que lorsqu'elle eut reconnu qu'il était prophète, afin qu'elle ajoutât une foi entière à ce qu'il allait lui révéler: «Jésus lui dit: Femme, croyez-moi», etc. Il lui dit: «Croyez-moi», parce qu'en toute circonstance la foi nous est nécessaire comme la mère de tous les biens, comme l'unique moyen d'arriver au salut, et sans lequel nous ne pouvons avoir la connaissance des grandes vérités du salut. Ceux qui ne s'appuient que sur leurs propres raisonnements, sont semblables à ceux qui essaieraient de traverser la mer sans navire, ils pourront peut-être nager un instant, mais à peine se seront-ils avancés en pleine mer qu'ils seront submergés dans les flots. - S. Aug. (Traité 15). Le mari de cette femme est présent, le Sauveur peut donc lui dire: «Croyez-moi». Vous avez on vous celui qui doit croire, vous êtes ici présente par votre intelligence, mais si vous ne croyez point, vous ne comprendrez point. - Alcuin. Ces paroles: «L'heure vient», signifient le temps de la doctrine évangélique qui était proche, et où toutes les figure? devaient disparaître pour céder la place à la vérité qui devait répandre ses plus pures lumières dans l'âme de ceux qui devaient embrasser la foi.

S. Chrys. (hom. 33 sur S. Jean). Il était utile que Notre-Seigneur expliquât la raison pour laquelle les patriarches avaient adorer Dieu sur la montagne de Garizim, tandis que les Juifs l'adoraient à Jérusalem; il n'en dit donc rien, il se contente de lui dire que le culte rendu à Dieu par les Juifs était préférable, non à cause du lieu où ils l'adoraient, mais à cause de l'esprit qui les guidait: «Vous adorez, vous, ce que vous ne connaissez pas, pour nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs». - Orig. (Traité 14 sur S. Jean). Ce mot «vous», littéralement, désigne les Samaritains; dans le sens allégorique, il s'applique à ceux qui interprètent les Écritures dans un sens contraire à celui de l'Eglise, ou dont la doctrine est tout autre et par-là même erronée. De même le pronom «nous», dans le sens littéral, désigne les Juifs, et dans le sens allégorique, le Verbe divin, aussi bien que ceux qui ont avec lui une bienheureuse conformité et qui parviennent au salut par les Écritures qui sont entre les mains des Juifs. - S. Chrys. (hom. 33). Les Samaritains, en effet, adoraient ce qu'ils ne savaient pas, parce qu'ils faisaient de Dieu un être limité par les lieux et comme divisé par parties. Dans leur pensée, il n'était donc point supérieur aux idoles, et c'est pour cela qu'ils mêlaient le culte de la divinité avec celui des démons. Les Juifs, au contraire, étaient affranchis de ces erreurs et connaissaient le seul vrai Dieu de l'univers, comme le déclare Notre-Seigneur: «Nous adorons ce que nous savons». Il se met lui-même au nombre des Juifs pour répondre à l'opinion de cette femme qui le considérait comme un prophète des Juifs, et c'est pour cela qu'il dit: «Nous adorons», bien qu'il soit évidemment celui qui reçoit les adorations de tous les hommes. Les paroles qui suivent: «Parce que le salut vient des Juifs», ne signifient autre chose que ce sont les Juifs qui ont conservé dans toute leur pureté toutes les doctrines du salut qui se répandirent ensuite dans tout l'univers comme la connaissance de Dieu, l'horreur pour les idoles et les autres vérités dogmatiques; notre culte même tire son origine de celui des Juifs. Notre-Seigneur appelle sa présence dans le monde le salut, et il dit que ce salut vient des Juifs, selon ces paroles de l'Apôtre: «Eux de qui est sorti selon la chair Jésus-Christ». (Rm 9) Voyez comme il confirme l'autorité de l'Ancien Testament, qu'il présente comme la source de tous les biens en même temps qu'il démontre qu'il n'est point opposé à la loi. - S. Aug. (Traité 15). Notre-Seigneur accorde beaucoup aux Juifs, en déclarant en leur nom: «Pour nous, nous adorons ce que nous connaissons». Ce n'est pas toutefois au nom des Juifs infidèles et réprouvés qu'il parle de la sorte, mais au nom de ceux qui ressemblèrent aux Apôtres, aux prophètes et à tous les saints, qui déposaient le prix de leurs biens aux pieds des Apôtres. (Ac 4)

S. Chrys. (hom. 33). Les Juifs vous sont donc supérieurs, ô femme, dans le culte qu'ils rendent à Dieu, mais ce culte lui-même touche à sa fin: «Car vient l'heure, (et elle est déjà venue) où les vrais adorateurs adoreront en esprit et en vérité». Les oracles des prophètes avaient pour objet des événements éloignés, c'est pour cela que Notre-Seigneur dit: «Et elle est déjà venue», pour ne point laisser croire que cette prophétie ne doit s'accomplir que longtemps après. Le fait, dit-il, est proche, et va bientôt se réaliser. Il se sert de cette expression: «Les vrais adorateurs», pour les distinguer des faux adorateurs, qui ne cherchent dans la prière que les biens terrestres et périssables, ou dont la conduite est en opposition directe avec l'objet de leurs prières. - S. Aug. (hom. 33). Ou bien par les vrais adorateurs, il veut exclure à la fois les Juifs et les Samaritains, car bien que les Juifs fussent préférables aux Samaritains, cependant ils étaient bien inférieurs à ceux qui devaient leur succéder, et autant que la figure l'est à la vérité: «Les vrais adorateurs sont donc ceux qui ne cherchent point à circonscrire le culte de Dieu dans un seul lieu et qui l'adorent en esprit, à l'exemple de saint Paul, qui disait de lui-même: «Dieu, que je sers en esprit». - Orig. (Traité 14). Notre-Seigneur répète deux fois: «L'heure vient». La première fois, sans ajouter: «La voici, elle est venue»; la seconde fois, en ajoutant: «Et elle est venue». Je crois que la première fois, Notre-Seigneur veut exprimer l'adoration parfaite de l'âme affranchie du corps dans l'autre vie, et que la seconde fois il veut parler de celle que nous rendons à Dieu dans la vie présente avec toute la perfection possible à la nature humaine. Lors donc que sera venue la première heure prédite par le Sauveur, il nous faudra éviter la montagne des Samaritains et adorer Dieu dans Sion où est Jérusalem, qui est appelée par Jésus-Christ la cité du grand roi. C'est l'Eglise où l'oblation sainte et les victimes spirituelles sont offertes en présence de Dieu par ceux qui ont l'intelligence de la loi spirituelle. Mais lorsque l'ordre des siècles sera révolu, il ne faudra plus songer à rendre le vrai culte à Dieu dans Jérusalem, c'est-à-dire, dans l'Eglise de la terre, car les anges n'adorent pas Dieu dans Jérusalem; ainsi ceux dont les Juifs n'étaient que la figure, adorent le Père d'une manière bien supérieure à ceux qui habitent Jérusalem. Lorsque cette heure sera venue, chaque fidèle deviendra le fils du Père. C'est pour cela que Notre-Seigneur ne dit pas: Vous adorerez Dieu, mais: «Vous adorerez le Père». Dans la vie présente, les vrais adorateurs adorent Dieu en esprit et en vérité. - S. Chrys. (hom. 33). Le Sauveur veut parler ici de l'Eglise, où l'on offre à Dieu l'adoration véritable et la seule digne de lui. C'est pour cela qu'il ajoute: «Car ce sont là les adorateurs que cherche le Père». Il avait toujours cherché de tels adorateurs, cependant il les laissa s'attacher à leurs anciens rites et à leurs cérémonies figuratives, par condescendance et pour les amener ainsi à la vérité.

Orig. (Traité 14). Si le Père cherche de tels adorateurs, c'est par Jésus-Christ qui est venu chercher et sauver ceux qui avaient péri (Lc 19), et c'est par ses divins enseignements qu'il en a fait de véritables adorateurs. Le Sauveur ajoute: «Dieu est esprit d probablement parce qu'il nous conduit à la véritable vie, et que le principe de la vin du corps elle-même vient de l'esprit. - S. Chrys. (hom. 33). Ou bien il veut nous apprendre que Dieu est incorporel, et que le culte que nous lui rendons doit l'être également, c'est-à-dire que nous devons lui offrir l'hommage spirituel d'un coeur pur. C'est pour cela qu'il ajoute: «Et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité». Les Samaritains se souciaient peu de leur âme, et au contraire s'occupaient beaucoup du corps pour lequel ils épuisaient tous les modes de purification. Notre-Seigneur enseigne donc à cette Samaritaine que en n'est point par les purifications du corps, mais par la pureté de ce qui est incorporel en nous, c'est-à-dire l'esprit, que nous pouvons rendre au Dieu incorporel un culte digne de lui. - S. Hil. (De la Trin., 3). Ou bien encore, lor sque Notre-Seigneur enseigne que Dieu qui est esprit doit être adoré en esprit, il nous fait connaître la liberté et la science de ses vrais adorateurs, et l'infinité de leurs adorations, selon ces paroles de l'Apôtre: «Là où est l'esprit de Dieu, là est la liberté». (2Co 3,17). - S. Chrys. (hom. 33). Il faut adorer dans la vérité, parce que les rites et les cérémonies de l'ancienne loi n'étaient que des figures, par exemple, la circoncision, les holocaustes et les ablations de l'encens; maintenant au contraire tout est vérité. - Théophyl. Ou bien encore il ajoute: «Et en vérité» parce qu'il en est beaucoup comme les hérétiques qui s'imaginent adorer Dieu en esprit, tout en se formant de fausses idées de sa divinité. Peut-être même pourrait-on dire que Notre-Seigneur a voulu désigner ici les deux parties de la sagesse chrétienne considérées subjectivement; c'est-à-dire l'action et la contemplation; l'esprit exprime la vie active selon les paroles de l'Apôtre: «Ceux qui sont poussés par l'esprit de Dieu sont les enfants de Dieu». (Rm 8, 14). La vérité est comme l'emblème de la vie contemplative. Ou bien enfin, aux Samaritains qui professaient cette erreur que Dieu était renfermé dans un lieu, et que c'était dans ce lieu qu'il fallait adorer Dieu, Jésus déclare que les vrais adorateurs adoreront en esprit, et non plus en circonscrivant leurs hommages dans un seul lieu; et aux Juifs pour qui tout était ombre et figure, il enseigne que les vrais adorateurs n'adoreront plus en figure, mais en vérité. Dieu est esprit, il cherche donc des adorateurs spirituels; il est vérité, il cherche des adorateurs véritables. - S. Aug. (Traité 15). Vous cherchiez peut-être une montagne pour prier, vous espériez être plus près de Dieu, mais celui qui habite les hauteurs des cieux s'abaisse jusqu'aux humbles; il vous faut donc descendre pour monter. Ce sont les degrés que le chrétien fidèle dispose dans son coeur dans cette vallée de larmes (Ps 82), qui sont la figure de l'humilité. Vous voulez prier dans un temple, priez en vous-même, mais commencez par devenir le temple de Dieu ?



Catena Aurea 12407