Catena Aurea 12425

vv. 25-26

12425 Jn 4,25-26

S. Chrys. (hom 33). Cette femme comme fatiguée par la hauteur de ces sublimes enseignements, reste dans la surprise et dans l'étonnement. Elle lui dit donc: «Je sais que le Mes sie est sur le point de venir», etc. - S. Aug. (Traité 15). Le mot grec Christ qui veut dire en latin oint signifie en hébreu Messie. La Samaritaine savait donc déjà que c'était au Messie de l'instruire, mais elle ne connaissait pas encore que le Messie était précisément celui qui dans ce moment l'instruisait sur ce grave sujet. Voilà pourquoi elle ajouta: «Lors donc qu'il sera venu, il nous instruira de toutes choses». Elle semble dire: Les Juifs disputent dans l'intérêt de leur temple, et nous en fav eur de cette montagne, lorsque le Messie viendra, il rejettera cette montagne, il renversera le temple et nous enseignera comment il faut adorer Dieu en esprit et en vérité.

S. Chrys. (hom. 33). Mais comment les Samaritains pouvaient-ils attendre l'avènement du Christ? Ils admettaient la loi de Moïse, et c'était dans les écrits de Moïse qu'ils avaient puisé cette espérance. Jacob en effet avait prophétisé l'avènement du Christ en ces termes: Le sceptre ne sera point ôté de Juda, ni le prince de sa postérité jusqu'à ce que celui qui doit être envoyé soit venu». (Gn 49, 10). Moïse lui-même n'avait-il pas dit: «Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères ?» (Dt 18) - Orig. Il ne faut pas oublier que de même que Jésus a paru au milieu des Juifs, non-seulement en déclarant mais en prouvant qu'il était le Christ, ainsi on vit aussi paraître parmi les Samaritains un certain Dosithée qui prétendait être le Christ prédit par les prophètes. - S. Aug. (Liv. des 83 Quest., quest. 64). Peut-être est-ce pour confirmer l'explication allégorique qui fait voir les cinq sens du corps dans les cinq maris de cette femme, qu'après les cinq premières réponses qui sont encore charnelles dans leur objet, elle nomme le Christ à la sixième.

S. Chrys. (hom. 33). Notre-Seigneur ne tarde pas davantage à se révéler à cette femme: «Jésus lui dit: Je le suis, moi qui vous parle». S'il s'était fait connaître dès le commencement, il eût paru céder à un sentiment de vanité, au contraire, après qu'il a réveillé insensiblement dans l'esprit de cette femme le souvenir du Christ, cette révélation est on ne peut plus opportune. Les Juifs demandèrent un jour au Sauveur: «Si vous êtes le Christ, dites-le nous franchement» (Jn 10). Mais il ne leur répondit que d'une manière obscure et mystérieuse, parce qu'ils lui faisaient cette demande, non dans le désir de s'instruire et pour croire en lui, mais pour le calomnier, tandis que cette femme parlait dans toute la simplicité de son coeur.


vv. 27-30

12427 Jn 4,27-30

S. Chrys. (hom. 33). Les disciples de Jésus arrivèrent justement fort à propos, lorsque cet entretien venait de se terminer: «En même temps, ses disciples arrivèrent, et ils s'étonnaient», etc. Ils admiraient la douceur et l'excessive bonté du Sauveur, qui si grand qu'il était, daignait s'abaisser jusqu'à s'entretenir si familièrement avec une pauvre femme et une Samaritaine. - S. Aug. (Traité 15). Ils admiraient la bonté du Sauveur, et se gardaient bien de soupçonner le moindre mal. - S. Chrys. (hom. 33). Cependant, malgré leur étonnement, ils ne lui demandent point la raison de cet entretien. «Néanmoins aucun ne dit: Que lui demandez-vous? ou: Pourquoi parlez-vous avec elle ?» Ils étaient habitués à garder la sage réserve qui convient à des disciples pleins d'une crainte respectueuse pour leur maître. Dans d'autres circonstances, ils l'interrogent avec liberté sur des choses qu'il leur importait de savoir, tandis qu'il n'y avait rien pour eux de personnel dans cet entretien.

Orig. (Traité 15 sur S. Jean). Notre-Seigneur se sert de cette femme comme d'un apôtre pour évangéliser ses concitoyens, il l'a tellement enflammée par ses paroles du feu sacré du zèle, qu'elle laisse là son urne pour retourner à la ville et raconter tout à ses concitoyens: «La femme alors, laissant là sa cruche, s'en alla dans la ville». Elle oublie et les soins du corps, et la bassesse apparente de l'office qu'elle remplissait, elle ne voit que l'utilité du plus grand nombre. Ainsi devons-nous oublier et sacrifier nos intérêts corporels, pour nous efforce r de communiquer aux autres les biens que nous avons reçus. - S. Aug. (Traité 15). Le mot grec ýäñß vient de àäùñ, qui veut dire eau, et signifie un vase destine à porter de l'eau. - S. Chrys. (hom. 34) A l'exemple des apôtres qui avaient quitté leurs filets, cette femme laisse là son urne et remplit l'office d'un évangéliste, et ce n'est pas une seule personne, mais une ville tout entière qu'elle appelle à la connaissance de la vérité: «Elle alla dans la ville, et dit aux habitants: Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'avais fait». - Orig. Elle les rappelle à venir voir un homme dont la parole était supérieure à la parole de l'homme. Ce qu'elle avait fait, c'était d'abord d'avoir eu cinq maris, et de vivre ensuite avec un sixième dans un commerce illégitime; mais elle se sépare de cet homme pour s'attacher à un septième, et au moment où elle laisse son urne, elle a déjà recouvré la pudeur. S.Chrys. (hom. 34). Elle n'a point de honte de révéler les désordres de sa vie, car lorsque l'âme est enflammée de l'amour divin, aucune des choses de la terre ne l'arrête plus, elle n'est sensible ni à la gloire, ni à la honte, elle obéit uniquement à la flamme qui la dévore. Cette femme ne prétend pas qu'on la croie sur parole, et elle demande à ses concitoyens de venir se convaincre de leurs yeux et de leurs oreilles de la vérité de la doctrine du Christ. Aussi ne leur dit-elle pas: Venez et croyez, mais: «Venez et voyez», ce qui était moins décisif; car elle était persuadée que s'ils approchaient seulement leurs lèvres de cette source divine, ils éprouveraient aussitôt ce qu'elle avait éprouvé elle-même.

Alcuin. Remarquez qu'elle n'en vient que par degrés à leur annoncer le Christ; elle ne leur en parle d'abord que comme d'un homme dans la crainte que le nom de Christ ne vînt à les irriter et à les empêcher de venir. - S. Chrys. (hom. 34). Voilà pourquoi elle ne dit point d'un ton affirmatif: Cet homme ne peut-être que le Christ; elle ne s'en tait pas non plus absolument, mais elle dit d'un ton dubitatif «Cet homme ne serait-il pas le Christ ?» Aussi se rendent-ils à son témoignage: «Ils sortirent donc de la ville et vinrent à lui».

S. Aug. (Liv. des 83 Quest., quest. 64). Il ne faut point passer légèrement sur cette circonstance que la Samaritaine abandonne sa cruche. Cette cruche signifie la convoitise avec laquelle l'homme puise la volupté charnelle des profondeurs ténébreuses du coeur, comme d'un puits obscur, c'est-à-dire de la vie de la terre et des sens. Mais dès lors qu'elle croit en Jésus-Christ, elle doit renoncer au monde, et en laissant son urne, montrer qu'elle renonce à la convoitise du monde. - S. Aug. (Traité 15). Elle s'est dépouillée de sa convoitise pour être plus libre d'annoncer et de prêcher la vérité, et apprend ainsi à tous ceux qui veulent annoncer l'Évangile à laisser d'abord près du puits l'urne de la convoitise. - Orig. Aussitôt qu'elle a ouvert son coeur à la véritable sagesse, elle fait peu de cas de tout ce qu'elle aimait auparavant et se hâte de s'en dépouiller.


vv. 31-34

12431 Jn 4,31-34

S. Aug. (Traité 15). Les disciples avaient été acheter des provisions, et ils étaient revenus. Cependant ses disciples le pressaient en disant: «Maître, mangez», - S. Chrys. (hom. 34). Ils le voyaient fatigué tout à la fois de la route et de la chaleur, et ils le pressent simplement et familièrement de manger, ce n'était point témérité de leur part, mais une preuve de leur affection pour leur maître. - Orig. Ils désirent qu'il profite pour manger du temps qui devait s'écouler entre le départ de cette femme et l'arrivée des Samaritains, car ils n'avaient pas l'habitude de lui servir sa nourriture devant des étrangers, c'est pour cela que l'Évangéliste dit expressément: «Pendant ce temps-là».

Théophyl. Le Seigneur qui savait que la Samaritaine allait lui amener tous les habitants de la ville, voulut l'apprendre à ses disciples: «Mais il leur dit: J'ai une nourriture à manger que vous ne connaissez pas». - S. Chrys. (hom 34). Il parle ici du salut des hommes comme d'une nourriture pour nous faire comprendre le grand désir qu'il a de notre salut. Il le désire aussi vivement qu'il nous est naturel de désirer la nourriture. Mais remarquez qu'il ne révèle pas aussitôt cette vérité, il fait naître le doute dans l'esprit de ses auditeurs, pour qu'ils embrassent avec plus d'ardeur la vérité qui a été de leur part l'objet de sérieuses recherches. - Théophyl. Il dit: «Que vous ne connaissez pas», c'est-à-dire vous ne savez pas que le salut des hommes est pour moi une véritable nourriture, ou vous ne savez pas que les Samaritains doivent embrasser la foi et être sauvés. Les disciples étaient encore dans le doute sur le véritable sens de ces paroles: «Et les disciples se disaient l'un à l'autre: Quelqu'un lui aurait-il apporté à manger ?» - S. Aug. (Traité 15). Quoi d'étonnant que cette femme n'ait pas compris la nature de l'eau que Jésus voulait lui donner, alors que ses disciples eux-mêmes ne comprennent pas quelle est cette nourriture dont il leur veut parler? - S. Chrys. (hom. 34). Ils donnent ici une preuve de leur respect habituel pour leur maître, ils se font cette demande entre eux, mais ils n'osent l'interroger lui-même. - Théophyl. De ces paroles: «Quelqu'un lui aurait-il apporté à manger ?» nous concluons légitimement que Notre-Seigneur avait coutume de recevoir les aliments qu'on lui offrait, non sans doute qu'il eût besoin du secours d'autrui, lui qui donne la nourriture à toute chair (Ps 146), mais pour donner à ceux qui lui faisaient cette offrande l'occasion d'une action méritoire. Il nous apprenait en même temps à ne point rougir de la pauvreté, comme aussi à ne point regarder comme une humiliation d'être nourri par les autres, car c'est une nécessité inhérente à la condition des docteurs de se décharger sur les autres du soin de pourvoir à leur nourriture pour s'occuper exclusivement du ministère de la parole.

S. Aug. (Traité 15). Le Seigneur entendit pour ainsi dire les pensée de ses disciples, et il les instruit en maître directement et ouvertement sans prendre de circuits comme il l'avait fait avec la Samaritaine: «Jésus leur dit: Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé». - Orig. La nourriture qui convient au Fils de Dieu c'est d'accomplir la volonté de son Père, en se proposant pour règle de ses actions les décrets de cette volonté divine. Or, le Fils de Dieu peut seul accomplir dans sa perfection la volonté du Père. Les autres saints conforment toutes leurs actions à cette volonté, mais celui-là seul l'accomplit dans toute sa perfection qui a dit: «Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé». C'est la nourriture qui lui est exclusivement propre. Mais quelle est la volonté du Père? C'est, ajoute Notre-Seigneur, d'accomplir son oeuvre. En effet, pour parler simplement, dans un ouvrage quelconque, l'oeuvre qui est commandée est le fait de celui qui commande, c'est ainsi que nous disons de ceux qui construisent une maison ou creusent la terre, qu'ils exécutent l'oeuvre de celui qui les a pris à son service. Mais si l'oeuvre de Dieu est parfaitement accomplie par Jésus-Christ, elle était donc imparfaite auparavant, et comment admettre l'imperfection dans l'oeuvre de Dieu? L'accomplissement parfait de cette oeuvre, c'était le perfectionnement de la créature raisonnable, et c'est pour donner toute sa perfection à cette oeuvre imparfaite que le Verbe s'est fait chair et qu'il a habité parmi nous. Nous disons donc que l'homme avait été créé dans un certain état de perfection, il en est déchu par sa faute, et le Seigneur a été envoyé d'abord pour accomplir la volonté de celui qui l'avait envoyé, et en second lieu, pour consommer l'oeuvre de Dieu, afin que tout chrétien puisse parvenir à la perfection nécessaire pour participer à une nourriture plus solide. - Théophyl. Le Fils de Dieu donne encore à l'oeuvre de Dieu, c'est-à-dire à l'homme, toute sa perfection en montrant en lui-même notre nature pure de tout péché, parfaite dans toutes ses actions et affranchie de la corruption. Il accomplit aussi dans sa perfection l'oeuvre de Dieu, c'est-à-dire la loi, parce que Jésus-Christ est la fin de la loi (Rm 10); il fait cesser le règne de la loi, en accomplissant toutes les figures qu'elle contenait, et en substituant aux cérémonies extérieures de la loi un culte vraiment spirituel.

Orig. Dans le sens mystique, après l'entretien que le Sauveur venait d'avoir sur la boisson de l'âme, et ses divins enseignements sur l'eau toute spirituelle qu'il devait lui donner, il était naturel de parler de la nourriture. La Samaritaine à qui Notre-Seigneur demandait à boire, ne pouvait lui offrir une boisson digne de lui; les disciples qui n'avaient trouvé chez ces étrangers que des aliments bien ordinaires, les présentent à Jésus en le pressant de manger. Ne pourrait-on pas dire que les disciples craignent que le Verbe de Dieu n'étant point suffisamment soutenu par la nourriture qui lui est propre ne vienne à tomber en défaillance. Ils proposent donc au Verbe de se nourrir de tous les aliments qu'ils trouvent et qu'ils lui présentent, espérant ainsi le conserver au milieu d'eux en lui donnant la nourriture qui doit il soutenir et le fortifier. Mais les corps qui ne peuvent se soutenir que par la nourriture n'ont pas tous besoin des mêmes aliments, ni de la même quantité d'aliments, il en est de même dans les choses spirituelles. Parmi les âmes, il en est qui demandent une nourriture plus abondante, d'autres ont besoin d'une quantité beaucoup moins considérable, parce que leur capacité est différente, et qu'elles n'ont, pour ainsi parler, ni les mêmes proportions, ni la même mesure. Il faut dire la même chose des discours et des pensées de haute perfection qui ne peuvent convenir indifféremment à toutes les âmes; les enfants nouvellement nés désirent le lait spirituel et pur qui doit les faire croître pour le salut. (1P 2) Mais ceux qui sont parfaits demandent une nourriture plus solide. (He 5) Notre-Seigneur exprime donc une vérité certaine en disant: «J'ai une nourriture à manger, que vous ne connaissez pas», et tout homme qui se trouve placé au-dessus des infirmes et qui ne peuvent se nourrir des mêmes considérations que les âmes fortes, peut s'appliquer ces mêmes paroles.


vv. 35-38

12435 Jn 4,35-38

S. Chrys. (hom. 34). Notre-Seigneur explique à ses disciples quelle est cette volonté du Père dont il vient de parler: «Ne dites-vous pas: Encore quatre mois et la moisson sera venue». - Théophyl. C'est-à-dire la moisson matérielle. Mais moi, je vous dis que le temps de la moisson spirituelle est venu. Il parlait ainsi à la vue des Samaritains qui venaient à lui; c'est pour cela qu'il ajoute: «Levez les yeux et voyez les champs qui déjà blanchissent pour la moisson». - S. Chrys. (hom. 34). Il se sert des choses les plus ordinaires pour les élever à la considération des vérités les plus sublimes; les champs et la moisson sont ici la figure des âmes qui sont prêtes à recevoir la parole de la prédication. Les yeux sont ici tout à la fois les yeux du corps et de l'âme, car les disciples voyaient en effet les Samaritains qui accouraient en foule. La comparaison qu'il fait des dispositions de ces hommes avec les champs qui blanchissent, est des plus justes, car de même que les épis blanchis n'attendent plus que la faux du moissonneur, ainsi ces hommes sont prêts à recevoir le salut. Mais pourquoi Jésus ne dit-il pas clairement et sans figure qu'ils sont disposés à recevoir la prédication de l'Évangile? Pour deux raisons: premièrement, pour rendre cette vérité plus saillante en la plaçant pour ainsi dire sous les yeux; secondement, pour donner plus de charme à son récit et en rendre le souvenir plus durable.

S. Aug. (Traité 15). Le Sauveur brûlait du désir d'accomplir son oeuvre; et avait hâte d'envoyer des ouvriers recueillir cette moisson. C'est pour cela qu'il ajoute: «Celui qui moissonne, reçoit sa récompense, et recueille le fruit pour la vie éternelle, et ainsi celui qui sème se réjouit comme celui qui moissonne». - S. Chrys. (hom. 34). Notre-Seigneur établit ici clairement la distinction qui sépare les choses de la terre des biens du ciel; il avait dit précédemment de l'eau qu'il voulait donner: «Celui qui boit cette eau, n'aura plus soif», et ici: «Celui qui moissonne reçoit sa récompense et recueille le fruit pour la vie éternelle», et encore: «Et ainsi celui qui sème se réjouit comme celui qui moissonne». Les prophètes ont répandu la semence, mais ce sont les apôtres qui ont moissonné, comme il va bientôt le dire: «L'un sème et l'autre moissonne». Il ne faut pas croire cependant que les prophètes qui ont semé n'aient point de part à la récompense; c'est pour éloigner cette idée que Notre-Seigneur donne une raison qui n'a point son application dans les choses sensibles. Dans le cours ordinaire de la vie, s'il arrive que l'un sème et que l'autre moissonne, la joie n'est pas égale pour tous deux. Ceux qui ont semé s'attristent d'avoir travaillé pour les autres, et ceux qui moissonnent sont les seuls à se réjouir. Il n'en est pas de même ici, ceux qui ont semé ne moissonnent pas, et cependant ils partagent la joie de ceux qui moissonnent, et reçoivent la même récompense. - S. Aug. (Traité 15). Les Apôtres et les prophètes ont travaillé à des époques bien différentes, mais ils auront part à la même joie, et recevront tous pour récompense la vie éternelle.

S. Chrys. (hom. 34). Pour appuyer ce qu'il vient de dire, Notre-Seigneur rappelle le proverbe suivant: «Ici ce que l'on dit d'ordinaire est vrai, l'un sème et l'autre moissonne», C'était un proverbe que l'on citait, lorsqu'on voyait les uns supporter toutes les fatigues, et d'autres venir moissonner tous les fruits. Mais ce proverbe a surtout ici son application, parce que les prophètes ont travaillé et que vous moissonnez les fruits de leurs travaux, comme le Sauveur l'ajoute: «Je vous ai envoyés moissonner où vous n'avez pas travaillé». - S. Aug. (Traité 18). Quoi donc? Notre-Seigneur envoie des moissonneurs et non pas des semeurs. Et où envoie-t-il des moissonneurs? Là où les prophètes avaient déjà répandu la semence. Lisez leurs travaux, et dans tous ces travaux vous trouverez une prophétie du Christ. La moisson était donc prête à recueillir, lorsque tant de milliers d'hommes offraient le prix de leurs biens (Ac 4), et le déposaient aux pieds des Apôtres, heureux de se décharger du fardeau des biens de la terre pour suivre plus librement Notre-Seigneur Jésus-Christ. Quelques grains de cette moisson ont été jetés dans la terre, et ont ensemencé l'univers tout entier; il en est sorti une antre moisson qui ne doit point être recueillie par les Apôtres, mais par les anges: «Les moissonneurs, dit-il ailleurs, sont les anges» (Mt 13). - S. Chrys. (hom. 34). Il dit donc à ses disciples: «Je vous ai envoyés moissonner où vous n'avez pas travaillé», c'est-à-dire, je vous ai réservé le travail où la fatigue est beaucoup moindre que la joie et le plaisir, et j'ai chargé les prophètes de ce qu'il y avait de plus pénible, c'est-à-dire de répandre la semence, et n'est ainsi que «d'autres ont travaillé et que vous êtes entrés dans leurs travaux». Il veut ainsi nous prouver que la volonté des prophètes et le but que se proposait la loi étaient que tous les hommes vinssent se ranger autour de lui, et ils ont semé dans l'intention de préparer cette moisson. Il prouve en même temps que c'est lui qui a envoyé les prophètes, et l'étroite union qui existe entre l'Ancien et le Nouveau Testament.

Orig. (Traité 15 sur S. Jean). On peut encore donner de tout ce passage, l'explication suivante. Si rien ne s'oppose à ce qu'on entende dans un sens allégorique ces paroles: «Levez les yeux», etc., n'est-il pas permis d'entendre dans le même sens les paroles qui précèdent immédiatement: «Ne dites-vous pas: Encore quatre mois, et la moisson sera venue ?» Or, voici l'explication qu'on pourrait donner de ces paroles des disciples: «Encore quatre mois, et la moisson sera venue». Un grand nombre des disciples du Verbe, c'est-à-dire du Fils de Dieu, qui considèrent que la vérité est incompréhensible à la nature humaine, n'ont pas plus tôt découvert qu'il y avait une vie différente de la vie présente qui est soumise à la corruption des quatre éléments, qui sont comme autant de mois, qu'ils croient ne parvenir qu'après cette vie seulement à la connaissance de la vérité. Les disciples disent donc de la moisson, qui est le terme de tous les efforts qui tendent à la vérité, qu'elle se fera après qu'aura cessé la domination des quatre éléments. Le Verbe incarné redresse dans leur esprit cette pensée qui n'est pas conforme à la vérité, en leur disant: «Ne dites-vous pas: Encore quatre mois et la moisson vient. Et moi je vous dis: «Levez les yeux». Dans plusieurs endroits de l'Ecriture, le Verbe divin nous fait cette recommandation d'élever nos pensées qui se traînent ordinairement sur les choses de la terre, et qui ne peuvent s'en affranchir sans le secours de Jésus. Nul, en effet, ne peut obéir à ce commandement, s'il reste l'esclave de ses passions et d'une vie sensuelle, il ne verra point les champs blanchis pour la moisson. Or, les champs blanchissent, lorsque le Verbe de Dieu répand sa lumière sur toutes les parties de l'Ecriture, auxquelles l'avènement de Jésus donne tonte leur fécondité. Toutes les choses sensibles elles-mêmes sont comme des champs blanchis pour la moisson, pour ceux qui élèvent les yeux, lorsque la raison nous montre dans chaque objet créé l'éclat de la vérité qui se trouve répandue sur toutes choses. (Traité 16). Celui qui recueille ces moissons spirituelles a un double avantage, le premier, lorsqu'il reçoit sa récompense: «Et celui qui moissonne, reçoit une récompense», c'est-à-dire la récompense future: «Et il recueille le fruit pour la vie éternelle», ce qui exprime une disposition précieuse dé l'intelligence, qui est le fruit de la contemplation elle-même. Dans toute doctrine, je pense, celui qui pose les principes est celui qui sème; d'autres à leur tour prennent ces principes, les méditent, les fécondent par de nouvelles considérations, et procurent ainsi à leurs descendants l'avantage de moissonner et de recueillir des fruits qui sont parvenus à leur maturité. C'est surtout dans l'art des arts que nous pouvo ns voir l'application de cette vérité. Ceux qui ont semé, c'est Moïse et les prophètes qui ont prédit l'avènement du Christ; les moissonneurs sont les Apôtres qui ont reçu Jésus-Christ et contemplé sa gloire. La semence, c'est la connaissance que nous donne la révélation du mystère qui a été caché et comme enseveli dans le silence des siècles passés; les champs sont les livres de la loi et des prophètes qui n'avaient point leur clarté, pour ceux qui n'étaient point capables de comprendre l'avènement du Verbe. Celui qui sème et celui qui moissonne partageront la même joie, lorsque dans la vie future le chagrin et la tristesse auront complètement disparu. C'est ce qui a commencé à se réaliser, lorsque Jésus fut transfiguré dans la gloire, et que les moissonn eurs Pierre, Jacques et Jean, et les semeurs, Moïse et Elie se livraient à une joie commune en voyant la gloire du Fils de Dieu. Examinez cependant si ces mêmes paroles: «Autre est celui qui sème, et autre celui qui moissonne», ne peuvent pas s'entendre des temps différents dans lesquels les hommes ont été justifiés, lorsqu'ils étaient les uns disciples de l'Évangile, les autres simples observateurs de la loi. Les uns et les autres ont part cependant à la même joie, car c'est la même fin que se propose un seul et même Dieu, par le même Jésus-Christ et dans un même Esprit. Les Apôtres sont entrés dans les travaux des prophètes et de Moïse, ils les ont moissonnés d'après les instructions de Jésus, en recueillant dans leurs greniers, c'est-à-dire dans leur intelligence, les vérités cachées dans les écrits de Moïse et des prophètes. Ceux qui recueillent les fruits d'une doctrine déjà semée, ont un partage plus éclatant, mais sont loin de travailler autant que ceux qui ont répandu la semence.


vv. 39-42

12439 Jn 4,39-42

Orig. (Traité 13 sur S. Jean). Après avoir rapporté les paroles de Jésus à ses disciples, l'Évangéliste continue son récit, en racontant la conversion des habitants de cette ville qui vinrent trouver Jésus, et crurent en lui par le témoignage de cette femme. - S. Chrys. (hom. 34). Tout se fait ici avec autant de facilité qu'au temps de la moisson, les gerbes sont promptement recueillies, et en un instant l'aire de la grange en est remplie: «Or, beaucoup de samaritains de cette ville entrent en lui», etc. Ils voyaient bien que ce n'était point par un sentiment naturel que cette femme était pleine d'admiration pour celui qui lui avait reproché ses désordres et qu'elle avait reconnu en lui les caractères d'une grandeur et d'une supériorité incontestables. - S. Chrys. (hom. 35). Ce fut donc sur le seul témoignage de cette femme, et sans avoir vu aucun miracle, qu'ils sortirent de la ville, et prièrent Jésus de rester au milieu d'eux. Les Juifs, au contraire, témoins de tant de miracles, non-seulement ne cherchèrent point à le retenir au milieu d'eux, mais mirent tout en oeuvre pour le chasser de leur pays. Rien de plus mauvais, en effet, que l'envie et la jalousie, rien de plus pernicieux que la vaine gloire qui corrompt et détruit tous les biens qu'elle touche. Les Samaritains voulaient le retenir toujours auprès d'eux, mais il ne se rendit pas à leurs désirs, il demeura seulement deux jours avec eux: «Et il y demeura deux jours».

Orig. On pourrait demander avec assez de raison comment le Sauveur a pu rester deux jours avec les Samaritains, qui l'en avaient prié, lui qui avait défendu à ses disciples d'entrer dans les villes des Samaritains (Mt 10). Et il est évident que les disciples y entrèrent avec lui. Nous répondons que marcher dans la voie des nations, c'est se laisser gagner par les croyances des nations, et en faire la règle de sa conduite, et qu'entrer dans les villes des Samaritains, c'est adhérer à la fausse doctrine de ceux qui admettent la loi, les prophètes, les évangiles et les écrits des Apôtres; mais lorsqu'ils abandonnent leur doctrine personnelle pour venir trouver Jésus, il est alors permis de demeurer avec eux.

S. Chrys. (hom. 35). Les Juifs, malgré tous les miracles dont ils furent témoins, demeurèrent dans leur incrédulité, tandis que les Sa maritains, sans avoir vu aucun miracle, et après avoir entendu seulement Jésus, manifestèrent en lui une foi vraiment extraordinaire: «Et un plus grand nombre crurent en lui pour avoir entendu ses discours». Pourquoi donc les Évangélistes ne nous ont-ils pas rapporté ces discours? Pour vous apprendre qu'ils ont passé sous silence bien des choses importantes; ils vous font toutefois comprendre la puissance de ces discours, puisqu'ils ont persuadé tous les habitants de cette ville. Là, au contraire, où les auditeurs ne se laissent point persuader, les Évangélistes sont comme obligés de reproduire les discours du Sauveur, pour montrer que ce défaut de persuasion ne doit pas être imputé à l'insuffisance de la parole, mais aux mauvaises dispositions dès auditeurs. Or, les Samaritains, devenus les disciples de Jésus-Christ, ne veulent plus de cette femme pour les instruire: «Et ils disaient à la femme: Maintenant ce n'est plus sur ce que vous avez dit que nous croyons; car nous-mêmes nous l'avons entendu, et nous croyons qu'il est vraiment le Sauveur du monde». Voyez comme ils comprennent aussitôt qu'il était venu délivrer l'univers, et que voulant opérer le salut de tous les hommes, il ne devait pas renfermer son action dans la Judée, mais répandre partou t la semence de sa parole. En le proclamant le Sauveur du monde, ils prouvent encore que le monde était perdu, et plongé dans un abîme de maux. Les prophètes et les anges étaient venus aussi en qualité de sauveurs, mais le seul vrai Sauveur est celui qui donne le salut, non-seulement pour le temps, mais pour l'éternité. Voyez encore comme malgré la question de cette femme qui semble renfermer quelque doute: «Ne serait-il point le Christ ?» ils ne disent point: Nous soupçonnons, mais: «Nous savons». Ils vont plus loin, et reconnaissent qu'il est vraiment le Sauveur du monde, c'est-à-dire qu'il n'est pas un sauveur ordinaire comme l'ont été tant d'autres. Ils s'expriment de la sorte pour l'avoir entendu seulement parler, que n'auraient-ils pas dit à la rue des miracles si nombreux et si extraordinaires qu'il opérait ?

Orig. Si nous nous rappelons ce qui précède, nous n'aurons point de peine à comprendre qu'après avoir trouvé la parole de vérité, ces Samaritains abandonnent toute autre doctrine, et sorte nt de la ville de leurs anciennes croyances pour embrasser la foi qui conduit au salut. Aussi est-ce avec intention, je pense, que l'Évangéliste ne dit pas: Les Samaritains le prièrent d'entrer dans la Samarie ou dans leur ville, mais: «Ils le prièrent de demeurer dans leur pays». Jésus demeure toujours avec ceux qui l'en prient, et surtout lorsqu'ils sortent de leur ville et viennent le trouver. - S. Aug. (Traité 15). Il demeure deux jours avec eux, c'est-à-dire qu'il leur donne les deux préceptes de la charité. - Orig. Ils n'étaient pas encore dignes de voir son troisième jour, car ils ne désiraient point voir de choses extraordinaires, comme les disciples qui se trouvèrent avec Jésus aux noces de Cana, en Galilée, trois jours après que Jésus les eut appelés à sa suite (Jn 2). Plusieurs d'entre eux durent le commencement de leur foi à la parole de cette femme qui leur attestait que Jésus lui avait dit tout ce qu'elle avait fait, mais le progrès de cette foi et le nombre beaucoup plus considérable de ceux qui crurent ensuite furent l'oeuvre des enseignements du Sauveur lui-même; car la connaissance du Verbe ou Fils de Dieu, qui est due à un témoignage extérieur, n'est jamais aussi parfaite que celle qu'il répand avec toutes ses clartés dans l'âme de celui qu'il daigne instruire lui-même.

S. Aug. (Traité 15). Les Samaritains connurent donc Jésus-Christ, d'abord par ce qu'ils entendirent raconter de lui, et ensuite par ce qu'ils virent de leurs yeux. Il tient encore aujourd'hui la même conduite à l'égard de ceux qui sont en dehors de l'Eglise et ne sont pas encore chrétiens. Ce sont les amis de Jésus-Christ, déjà chrétiens eux-mêmes, qui commencent à le faire connaître, et c'est sur le témoignage de cette femme, c'est-à-dire, de l'Eglise, qu'ils viennent le trouver. Ils croient donc d'abord par l'intermédiaire de cette femme, mais sur le témoignage même du Sauveur, un bien plus grand nombre croit et d'une foi plus parfaite qu'il est vraiment le Sauveur du monde. - Orig. Il est impossible que l'effet produit sur l'intelligence, par ce que l'on voit soi-même, ne sont pas supérieur à l'impression produite par le témoignage d'un témoin oculaire, et il vaut beaucoup mieux avoir l'espérance que la foi pour guide, c'est pour cela que les habitants de cette ville croient non-seulement sur un témoignage humain, mais sur le témoignage de la vérité elle-même.



Catena Aurea 12425