Catena Aurea 12661
12661 Jn 6,61-72
S. Aug. (Traité 27 sur S. Jean). Les Juifs ne crurent pas que ces paroles de Jésus renfermaient de sublimes vérités, et recouvraient un grand mystère de grâce, ils les entendirent à leur manière, dans un sens tout naturel, et comme si Jésus devait leur partager et leur distribuer par morceaux la chair dont le Verbe s'était revêtu: «Plusieurs donc, non point de ses ennemis, mais de ses disciples, l'entendant, dirent: Ces paroles sont dures». - S. Chrys. (hom. 47). C'est-à-dire qu'elles étaient difficiles à comprendre, et dépassaient la portée de leur intelligence. Ils s'imaginaient que le Sauveur tenait un langage bien supérieur à sa puissance, et ils se disaient: «Qui peut l'écouter ?» cherchant par là à justifier leur conduite inexcusable. - S. Aug. (Traité 27). Mais si les disciples de Jésus trouvèrent ces paroles dures, que durent en penser ses ennemis? Et cependant il fallait leur enseigner cette vérité bien que tous ne dussent pas la comprendre; le secret de Dieu doit exciter l'attention et ne point soulever d'opposition. - Théophyl. Par ces disciples qui murmuraient, il ne faut point comprendre ceux qui étaient réellement et véritablement ses disciples, mais ceux qui paraissaient extérieurement prendre part à ses enseignements, car parmi ses véritables disciples, il se trouvait un certain nombre d'hommes qui passaient pour ses disciples, uniquement parce qu'on les voyait depuis longtemps avec eux. - S. Aug. (Traité 27). Ils faisaient cette réflexion entre eux, de manière à ne pas être entendus, mais Jésus qui connaissait les pensées les plus intimes de leur coeur les entendait en lui-même: «Or Jésus connaissant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce sujet, leur dit: Cela vous scandalise ?» - Alcuin. C'est-à-dire ce que je viens de vous enseigner, la nécessité de manger ma chair et de boire mon sang.
S. Chrys. (hom. 47). Une des preuves de sa divinité, c'était de révéler publiquement le secret des coeurs. Il ajoute: «Donc, quand vous verrez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ?» Suppléez: Que direz-vous? C'est la réflexion qu'il avait déjà faite à Nathanaël: «Parce que je vous ai dit: Je vous ai vu sous le figuier, vous croyez; vous serez témoin de plus grandes choses». Notre-Seigneur n'ajoute pas ici difficultés sur difficultés, mais il veut les attirer par la grandeur et le nombre des vérités sublimes qu'il leur enseigne. S'il leur avait dit simplement tout d'abord qu'il était descendu du ciel, sans rien ajouter de plus, il aurait augmenté le scandale de ceux qui l'écoutaient; il suit donc u ne marche toute différente, il déclare que sa chair est la vie du monde, que de même qu'il a été envoyé par son Père vivant, il vit aussi par son Père, et c'est alors qu'il ajoute qu'il est descendu du ciel pour faire disparaître toute espèce de doute. Ce n'est donc point pour scandaliser ses disciples, c'est au contraire pour détruire le scandale que ses paroles avaient fait naître qu'il s'exprime de la sorte. Tant qu'ils ne voyaient en lui que le Fils de Joseph, ses paroles n'avaient pour eux aucune autorité; ceux au contraire qui croiraient qu'il était descendu du ciel, et qu'il devait y remonter, prêteraient une attention plus grande à ses enseignements. - S. Aug. (Traité 27). Ou bien encore, il résout la difficulté qui les troublait; ils s'imaginaient qu'il donnerait son corps par morceaux, et il leur dit qu'il remontera tout entier dans le ciel: «Que sera-ce donc lorsque vous verrez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ?» Certes vous comprendrez alors qu'il ne donne pas son corps de la manière que vous pensez et qu'on ne peut consumer par la bouche le mystère de sa grâce. Le Christ n'a commencé à être le Fils de l'homme que sur la terre par sa naissance de la Vierge Marie, lorsqu'il se fut revêtu d'une chair mortelle; pourquoi donc s'exprime-t-il de la sorte: «Lorsque vous verrez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ?» C'est qu'il voulait nous faire comprendre que le Christ Dieu et homme tout à la fois, ne forme qu'une seule personne et non pas deux, et que l'objet de notre Foi doit être non pas la quaternité, mais la Trinité. Le Fils de l'homme était donc dans le ciel, comme le Fils de Dieu était sur la terre. Il était sur la terre le Fils de Dieu dans la chair qu'il s'était unie, il était le Fils de l'homme dans le ciel par suite de l'unité de personne. - Théophyl. N'allez pas croire pour cela que le corps de Jésus-Christ soit descendu du ciel comme l'enseigne l'hérésie de Marcion et d'Apollinaire, le Fils de Dieu et le Fils de l'homme ne sont qu'une seule et même personne.
S. Chrys. (hom. 47). Notre-Seigneur donne encore une autre solution: «C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien». Voici le véritable sens de ces paroles: Il faut entendre spirituellement ce que je viens de dire de moi, si vous prenez mes paroles dans un sens charnel, vous n'en retirerez aucune utilité. Or entendre ces paroles dans un sens charnel, c'est ne voir que ce qui frappe les yeux sans aller au delà. Ce n'est pas ainsi qu'il en faut juger, il faut considérer les mystères avec les yeux intérieurs et les entendre toujours spirituellement. C'était au contraire les entendre dans un sens charnel, que de formuler ce doute. Comment pourra-t-il nous donner sa chair à manger? Quoi donc, est-ce qu'il ne nous donne pas sa véritable chair? Sans aucun doute, il nous la donne; si donc il déclare que la chair ne sert de rien, il ne veut point parler de sa chair, mais de ceux qui donnaient à ses paroles une interprétation toute charnelle. - S. Aug. (Traité 27). Ou bien encore, la chair ne sert de rien, dans le sens des Capharnaïtes qui s'imaginaient que cette chair serait comme la chair d'un cadavre qu'on démembre ou qu'on vend au marché, et ne comprenaient pas que cette chair était remplie de l'esprit de Dieu et de la vie de la grâce. Que l'esprit s'unisse à la chair, alors la chair est d'une grande utilité. Car si la chair ne servait de rien, le Verbe ne se serait pas fait chair pour habiter parmi nous. C'est donc à l'esprit qu'il faut rapporter ce qui a été opéré par la chair pour notre salut. - S. Aug. (de la Cité de Dieu, 10, 24). Ce n'est point évidemment par elle-même que la chair purifie notre âme, mais par le Verbe qui s'en est revêtu, et qui étant le principe de toutes choses, s'est uni à la fois à une âme et à un corps pour purifier l'âme et la chair de ceux qui croiraient en lui. C'est donc l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien, de la manière qu'ils l'entendaient, ce n'est pas ainsi que je la donne à manger, et ce n'est pas dans ce sens tout charnel que nous devons goûter cette chair. Aussi Notre-Seigneur ajoute: «Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie». - S. Chrys. (hom. 47). C'est-à-dire elles sont toute spirituelles, elles n'ont rien de charnel, elles ne sont point soumises aux effets naturels, et sont en dehors de toute nécessité terrestre et de toutes les lois d'ici bas. - S. Aug. (Traité 27 sur S. Jean). Si vous entendez ces paroles spirituellement, elles sont esprit et vie pour vous, si vous les entendez dans un sens charnel, elles sont encore esprit et vie, ma is non point pour vous. Nous avons dit précédemment que la fin que s'est proposée Notre-Seigneur en nous donnant sa chair à manger et son sang à boire c'est que nous demeurions en lui et qu'il demeure en nous; or, la charité seule peut produire cet effet, et la charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par l'Esprit saint qui nous a été donné (Rm 5). C'est donc l'esprit qui vivifie.
S. Chrys. (hom. 47). Après avoir signalé cette interprétation charnelle et grossière, Notre-Seigneur ajoute: «Mais il y en a parmi vous quelques-uns qui ne croient point». En disant: «Quelques-uns, il excepte ses disciples, en même temps qu'il prouve sa puissance divine en révélant le secret des coeurs. - S. Aug. (Traité 27 sur S. Jean). Il ne dit pas: Il en est parmi vous qui ne comprennent pas, mais il indique la cause de leur défaut d'intelligence, car le prophète a dit: «Si vous ne commencez par croire, vous ne comprendrez point». Comment celui qui résiste peut-il être vivifié? Il est l'ennemi du rayon de lumière qui veut le pénétrer, il en détourne les yeux, il lui ferme son âme. «Qu'ils croient donc et qu'ils ouvrent leur âme, et ils seront comblés de lumière. - S. Chrys. (hom. 47) Et remarquez que ce n'est point après leurs murmures et le scandale qu'ils ont pris des paroles du Sauveur, qu'il a connu les dispositions de leur coeur, car l'Évangéliste prend soin d'ajouter: «Jésus savait, dès le commencement, qui étaient ceux qui ne croyaient point». - Théophyl. Il nous apprend ainsi qu'avant même la création du monde, il connaissait toutes choses, ce qui était une preuve évidente de sa divinité.
S. Aug. (Traité 27) Après avoir fait la distinction de ceux qui croient d'avec les incrédules, Notre-Seigneur remonte à la cause pour laquelle ils ne croient point: «C'est pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, s'il ne lui est donné par mon Père». - S. Chrys. (hom. 47) C'est-à-dire je ne suis ni troublé ni surpris de ce que quelques-uns ne croient point, car je connais ceux à qui mon Père a fait cette grâce. Il s'exprime ainsi pour leur prouver qu'il ne cherchait en aucune façon la gloire qu'ils pouvaient lui donner, et pour les bien convaincre que son Père n'était pas Joseph, mais Dieu lui-même. - S. Aug. (Traité 27). La foi est donc un don de Dieu, et un don d'une grande importance. Or, si ce don est aussi grand et aussi précieux, réjouissez-vous d'avoir la foi, mais n'en concevez pas d'orgueil, «car qu'avez-vous que vous n'ayez reçu ?» (l Co 4) - S. Aug. (de la prédest. des saints, chap. 9) Que ce don de la foi soit accordé aux uns et refusé aux autres, c'est ce qu'on ne peut nier sans se mettre en opposition avec les témoignages les plus incontestables de la sainte Ecriture. Le chrétien ne doit pas s'étonner que ce don ne soit pas accordé à tous, dès lors qu'il croit que le péché d'un seul a été le juste sujet de la condamnation de tous les hommes, à ce point qu'on ne pourrait adresser à Dieu aucun juste reproche quand même un seul homme n'échapperait pas à cette sentence de mort. C'est donc par l'effet d'une grâce tout à fait extraordinaire qu'un grand nombre sont arrachés à la damnation. Mais pourquoi l'un est-il plutôt sauvé que l'autre? c'est là un effet des jugements incompréhensibles de Dieu et de ses voies impénétrables. (Rm 11, 33).
«De ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent et ne marchaient plus dans sa compagnie». - S. Chrys. (hom. 47). L'Évangéliste ne dit pas précisément qu'ils l'abandonnèrent, mais qu'ils marchèrent en arrière, c'est-à-dire, qu'ils cessèrent de suivre les enseignements du Sauveur avec de bonnes dispositions et qu'ils perdirent la foi qu'ils avaient pu avoir auparavant. -
S. Aug. (Traité 27 sur S, Jean). Ils perdirent la vie en se séparant du corps, parce que peut-être ils n'en firent jamais partie, et ils doivent être rangés parmi les incrédules, bien qu'ils parussent être du nombre des disciples de Jésus. Ce fut en grand nombre qu'ils se retirèrent de Jésus-Christ pour marcher à la suite de Satan, comme l'Apôtre le dit de certaines femmes de son temps: «Déjà quelques-unes se sont égarées pour suivre Satan». Quant à Pierre, Notre-Seigneur ne le repousse point en le renvoyant à la suite de Satan, mais il lui commande seulement d'aller derrière lui.
S. Chrys. (hom. 46 sur S. Jean). On demandera peut-être quelle utilité pouvaient avoir ces discours, puisqu'ils étaient bien plutôt un sujet de scandale que d'édification. Nous répondons qu'ils avaient une immense utilité. Les Juifs recherchaient avec empressement la nourriture du corps, ils rappelaient le souvenir de la manne donnée à leurs pères, Notre-Seigneur leur apprend donc que ce n'étaient là que des figures, et il leur suggère l'idée de la nourriture spirituelle. Il n'y avait là aucune raison pour eux de se scandaliser, et ils devaient se contenter de l'interroger. La cause de leur scandale doit donc être tout entière attribuée à leurs mauvaises dispositions plutôt qu'à l'obscurité de la doctrine du Sauveur. - S. Aug. (Traité 27). Peut-être aussi Dieu permit-il ce scandale pour notre consolation; il arrive en effet quelquefois qu'un homme dit la vérité sans parvenir à se faire comprendre, ceux qui l'entendent se scandalisent et se retirent; cet homme regrette alors d'avoir fait connaître la vérité, et il se dit: Je n'aurais pas dû parler de la sorte. C'est ce qui arrive ici à notre Sauveur, il fait connaître la vérité, et il perd un grand nombre de disciples; cependant il ne s'en trouble point, parce qu'il savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croiraient point. Si donc nous sommes soumis à la même épreuve, n'en soyons point troublés, cherchons notre consolation en Notre-Seigneur, cependant que la prudence dirige toutes nos paroles.
Bède. Notre-Seigneur savait parfaitement si les autres disciples avaient l'intention de s'en aller; cependant il les interroge pour faire ressortir leur foi et la proposer comme modèle aux autres: «Jésus dit donc aux douze: Et vous, voulez-vous aussi vous en aller ?» - S.Chrys. (hom. 47). C'est en effet le moyen le plus convenable pour les attirer à lui. S'il leur avait prodigué les éloges, ils y eussent été par trop sensibles, et se seraient persuadés qu'en restant fidèles à Jésus-Christ, ils lui rendaient un grand service. Il se les attache donc bien plus fortement, en leur montrant qu'il n'a que faire de leur obéissance et de les voir marcher à sa suite. Toutefois il ne leur dit pas: Allez-vous en, (ce qui eût été les renvoyer,) mais il leur demande s'ils veulent s'en aller, il leur donne toute liberté, il ne veut pas qu'un certain sentiment de pudeur les retienne à sa suite, le suivre par nécessité est pour lui comme s'ils l'abandonnaient. Or, Pierre qui aimait ses frères et professait un ardent amour pour le Sauveur, répond pour tout le collège apostolique: «Mais Simon Pierre lui répondit: «Seigneur, à qui irions-nous ?» - S. Aug. (Traité 21) Il semble dire: Est-ce que vous nous renvoyez? Donnez-nous donc un autre à qui nous puissions aller, si nous venons à vous quitter. - S. Chrys. (hom. 47). Ces paroles montrent le grand amour des vrais disciples de Jésus pour leur divin Maître; ils le mettaient dans leur esprit et dans leur coeur bien au-dessus de leurs pères et de leurs mères. Et s'il parlait ainsi, ce n'est point dans la crainte que personne ne voulût les recevoir, après qu'ils auraient quitté Jésus, c'est pourquoi il ajoute: «Vous avez les paroles de la vie éternelle».Il montre ainsi qu'il se rappelle les paroles du Seigneur: «Je le ressusciterai au dernier jour;» et encore: «Il aura la vie éternelle». Les Juifs disaient: «C'est le fils de Joseph», Pierre, au contraire, s'écrie: «Nous avons cru et nous avons connu que vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant. - S. Aug. (Traité 27). Nous avons cru pour connaître, car si nous avions voulu connaître avant de croire, nous n'aurions été capables ni de connaître, ni de croire. Nous avons cru et nous avons connu que vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant, c'est-à-dire, que vous êtes la vie éternelle, et que c'est vous-même que vous nous donnez dans votre chair et dans votre sang.
S. Chrys. (hom. 47). Pierre venait de dire: «Et nous avons cru». Notre-Seigneur excepte Judas du nombre des croyants: «Jésus leur répondit: Ne vous ai-je pas choisis tous les douze? Et cependant parmi vous il y a un démon», c'est-à-dire, ne croyez point, parce que vous vous êtes rangés à ma suite, que je m'abstienne de reprendre ceux qui sont mauvais. Mais pourquoi les disciples restent-ils ici dans le silence, eux qui plus tard diront en tremblant: «Est-ce moi, Seigneur ?» Jésus n'avait pas encore dit à Pierre: «Retire-toi de moi, Satan» (Mt 16). Ces paroles ne lui inspirent donc aucune crainte. D'ailleurs Notre-Seigneur ne dit pas: Un de vous me trahira, mais: «Un de vous est un démon». Ils ne comprenaient donc pas la portée de cette expression et n'y voyaient qu'une parole de blâme tombant sur les mauvaises dispositions de l'un d'eux. Les incrédules font ici à Jésus-Christ un reproche insensé, car le choix qu'il fait d'un homme ne lui impose aucune violence, aucune nécessité, et notre salut comme notre perte sont subordonnés à notre volonté.
Bède. On peut dire encore que le Sauveur s'est proposé des fins différentes dans la vocation de Judas et dans celle des onze autres Apôtres. Il a choisi les onze pour les faire persévérer dans la dignité d'Apôtres; il a choisi Judas pour que sa trahison fût l'occasion du salut du genre humain. - S. Aug. (Traité 27). Judas a été choisi pour devenir l'instrument d'un grand bien qu'il ne voulait pas et qu'il ne connaissait même pas; car de même que les impies font servir au mal les oeuvres bonnes de Dieu, Dieu au contraire sait faire servir au bien les actions coupables des hommes. Quoi de pire que Judas? et cependant le Seigneur a su tirer le bien du crime qu'il a commis, et il a souffert d'être trahi par lui pour nous racheter. On peut encore entendre autrement ces paroles: «Je Vous ai choisis au nombre de douze», dans ce sens que c'est le nombre consacré de ceux qui devaient annoncer aux quatre points du monde le mystère de la Trinité; or, ce nombre n'a perdu ni sa gloire ni son caractère sacré, parce que l'un d'entre eux s'est perdu, puisqu'un autre lui a succédé.
S. Grég. (Moral., 13, 12). Lorsque Notre-Seigneur dit d'un de ses disciples livré au mal: «L'un de vous est un démon», il donne le nom du chef à un de ses membres, comme l'Évangéliste l'explique en ajoutant: «Il parlait de Judas Iscariote, fils de Simon, car c'était lui qui devait le trahir, quoiqu'il fût un des douze». - S. Chrys. (hom. 47). Admirez la sagesse de Jésus-Christ, il ne fait point connaître ce disciple infidèle, de peur que perdant toute retenue, il ne lui fît une guerre ouverte; il ne veut point non plus que ses dispositions restent entièrement cachées, ce qui, en l'affranchissant de toute crainte, l'aurait rendu plus audacieux dans l'exécution de son crime.
12701 Jn 7,1-8
S. Aug. (Traité 28 sur S. Jean). Les fidèles disciples de Jésus-Christ devaient dans la suite chercher dans des retraites cachées un asile contre la fureur de leurs persécuteurs, et c'est pour ju stifier cette fuite prudente, que Notre-Seigneur veut donner dans le chef l'exemple que devaient un jour suivre les membres: «Après cela, Jésus parcourut la Galilée, car il ne voulait point aller en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir». - Bède. La liaison que ces paroles: «Après cela», semblent établir entre ce chapitre et le précédent, n'est pas tellement étroite, qu'on ne puisse supposer dans l'intervalle on grand nombre d'événements intermédiaires. Or, la Judée et la Galilée sont des provinces de la Palestine, la Judée tire son nom de la tribu de Juda, et cependant ce nom de Judée ne fut pas seulement donné à la contrée occupée par la tribu de Juda, mais à celle qui était échue à la tribu de Benjamin, parce que c'est de la Judée que les rois tiraient leur origine. La Galilée, au contraire, fut ainsi appelée de la blancheur du teint qui distingue ses habitants, car le mot grec ãÜëá, signifie lait en latin.
S. Aug. (Traité 28). L'Évangéliste s'exprime ici comme si Nôtre-Soigneur ne pouvait parcourir la Judée sans être mis à mort par les Juifs. Il manifesta, lorsqu'il le voulut, la puissance divine qui était en lui, mais il n'avait point perdu cette puissance, parce qu'il voulait servir d'exemple à notre faiblesse. - S. Chrys. (hom. 48). Disons encore que Notre-Seigneur faisait paraître en lui tour à tour les caractères de sa divinité et de son humanité, il fuyait ses persécuteurs en tant qu'homme, et il se manifestait à eux comme Dieu, puisqu'il était à la fois l'un et l'autre.
Théophyl. Il se retire pour le moment dans la Galilée, parce que le temps de sa passion n'était pas encore venu. Il regardait donc comme inutile de demeurer au milieu de ses ennemis, pour ne point augmenter la haine qu'ils avaient contre lui. L'Évangéliste nous fait connaître ensuite à quelle époque de l'année on se trouvait alors: «Or, la fête des Juifs, dite Scénopégie ou des Tabernacles, était proche».
S. Aug. (Traité 28). Ceux qui ont lu les saintes Écritures savent ce que c'est que cette fête des Tabernacles. Pendant cette fête, les Juifs se construisaient des tentes semblables à celles que leurs pères avaient habitées, en traversant le désert après leur sortie d'Egypte. Ils célébraient cette fête en souvenir des bienfaits du Seigneur, eux qui bientôt devaient, mettre à mort le Seigneur. L'Évangéliste appelle cette fête un jour de fête bien qu'elle durât, non pas un jour seulement, mais sept jours consécutifs.
S. Chrys. (hom. 48). Nous avons ici une preuve que l'Évangéliste passe sous silence un temps assez long de la vie du Sauveur. Lorsqu'on effet, Notre-Seigneur s'assit sur la montagne, on était près de la fête de Pâques, ici c'est la fête des Tabernacles qui était proche, et saint Jean ne mentionne d'autre fait dans les cinq mois intermédiaires entre ces deux fêtes, que le miracle de la multiplication des pains, et le discours que le Sauveur fit à ceux qu'il avait miraculeusement nourris. Il faut en conclure que les Évangélistes ne pouvaient raconter tous les miracles que le Seigneur ne cessait de faire, non plus que tous ses discours, mais qu'ils s'attachaient de préférence à ce qui était, de la part des Juifs, l'objet d'une dispute ou d'une contradiction quelconque, comme nous le voyons ici. - Théophyl. Ses frères, voyant qu'il n'était pas disposé à aller à Jérusalem, lui dirent: «Quittez ce pays et allez en Judée». - Bède. C'est-à-dire, vous faites des miracles devant un petit nombre de témoins, allez dans la ville royale où se trouvent les princes de la nation, pour recueillir la gloire qu'ils ne peuvent manquer d'accorder à l'auteur de si grands prodiges. Comme tous les disciples de Jésus ne marchaient pas à sa suite, et qu'il en était un grand nombre dans la Judée, ils ajoutent: «Afin que vos disciples voient eux aussi les oeuvres que vous faites». - Théophyl. C'est-à-dire la multitude qui s'empresse autour de vous, car ils ne veulent point parler ici des douze, mais de ceux qui accompagnaient ordinairement le Sauveur.
S. Aug. (Traité 28). Par les frères du Seigneur, vous ne devez entendre que les parents de Marie, et non aucun autre fils né de son sein; car de même que ni avant ni après la mort du Sauveur aucun corps ne fut placé dans le sépulcre où avait été déposé son corps sacré, ainsi le sein virginal ne porta aucun autre enfant soit avant soit après la naissance de Jésus: Les oeuvres du Seigneur n'étaient point cachées pour les disciples du Seigneur, mais elles demeuraient voilées pour ceux dont il est ici question. Aussi écoutez leur langage: «Afin que vos disciples eux aussi voient les oeuvres que vous faites». C'est le langage de la prudence de la chair au Verbe qui est fait chair; ils ajoutent: «Car personne n'agit en secret, lorsqu'il désire être connu». c'est-à-dire, vous opérez des prodiges, faites-les en présence des hommes pour recueillir leurs louanges. En lui parlant de la sorte, ils semblaient épouser les intérêts de sa gloire; mais comme ils recherchaient une gl oire tout humaine, ils ne croyaient pas en lui: «Car ses frères mêmes, dit l'Évangéliste, ne croyaient pas en lui». Ils étaient unis à Jésus-Christ par les liens du sang, mais cette parenté fut pour eux un obstacle volontaire qui les empêcha de croire en lui.
S. Chrys. (hom. 48). C'est une chose digne d'admiration de voir que les Évangélistes, dans leur amour pour la vérité, n'ont pas craint de raconter les faits qui paraissaient les plus défavorables à leur Maître, et se sont même attaché à en conserver le souvenir. En effet, l'incrédulité de ses frères ne paraissait pas fort honorable pour le Sauveur. Le langage qu'ils lui tiennent parait inspiré par l'amitié, mais il est empreint d'un profond sentiment d'aigreur, et ils l'accusent à la fois de timidité et d'amour de la vaine gloire: «Personne, disent-ils, n'agit en secret». Voilà l'accusation de crainte et de timidité, et en même temps l'expression d'an doute sur la vérité de ses miracles. Ils ajoutent: «Lorsqu'il désire d'être connu», voilà le reproche d'aimer la vaine gloire. Cependant Jésus leur répond avec douceur, et nous enseigne par sa conduite à ne point nous irriter des conseils qui peuvent nous être donnés par des hommes peu estimables. Mais Jésus leur dit: «Mon temps n'est pas encore venu, pour vous votre temps est toujours prêt».
Bède. Ces paroles pourraient paraître contraires à ce que dit l'Apôtre: «Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils»; etc. (Ga 4) il faut donc les rapporter non pas au temps de la naissance du Sauveur, mais à celui où il devait être glorifié. - S. Aug. (Traité 28). Ils lui donnent le conseil de rechercher la gloire, obéissant en cela à des inspirations mondaines et terrestres, et ne pouvant souffrir que le Sauveur restât dans l'obscurité et l'oubli. Mais Jésus veut au contraire frayer par l'humilité le chemin qui conduit à la gloire: «Il leur dit donc: Mon temps (c'est-à-dire le temps de ma gloire, où je viendrai juger le monde avec majesté), n'est pas encore venu, mais votre temps (c'est-à-dire le temps de la gloire du monde), est toujours prêt». Puisque nous sommes le corps du Seigneur, lorsque les partisans du monde nous insultent, répondons-leur: «Votre temps est toujours prêt, notre temps n'est pas encore arrivé»; notre patrie est sur les hauteurs, le chemin qui nous y conduit est humble: celui qui refuse de suivre le chemin, c'est en vain qu'il cherche la patrie.
S. Chrys. (hom. 48). Ou bien encore, Notre-Seigneur fait allusion aux dispositions secrètes de ceux qui lui tenaient ce langage. Peut-être avaient-ils l'intention de le trahir et de le livrer aux Juifs; il leur dit donc: «Mon temps n'est pas encore venu (c'est-à-dire le temps de ma croix et de ma mort); mais votre temps est toujours prêt, car vous êtes bien toujo urs au milieu des Juifs», mais ils ne vous mettront point à mort, puisque vous partagez leurs sentiments. C'est pourquoi il ajoute: «Le monde ne saurait vous haïr, mais il me hait, parce que je rends de lui le témoignage que ses oeuvres sont mauvaises».C'est-à-dire, comment voulez-vous que le monde haïsse ceux qui n'ont point d'autres volontés que les siennes, et obéissent aux mêmes inclinations? Pour moi, au contraire, il me hait, parce que je le reprends de ses vices. Je suis si loin de rechercher la gloire des hommes, que je me fais un devoir de leur adresser de sévères reproches, bien que je sache qu'ils en concevront une haine violente, et qu'ils chercheront à me faire mourir. Nous avons ici une preuve que la cause de la haine des Juifs contre le Sauveur, n'était point la transgression du sabbat, mais les reproches publics qu'il leur adressait.
Théophyl. On peut dire encore que le Seigneur fait ici deux réponses aux deux accusations dont il était l'objet, on l'accusait de se laisser dominer par la crainte, et il répond en disant qu'il censure publiquement les oeuvres du monde, c'est-à-dire les oeuvres des mondains, ce qui n'est point le fait d'un homme accessible à la crainte. Il répond au reproche de vaine gloire, en les envoyant eux-mêmes à la fête: «Pour vous, allez à cette fête». S'il avait été l'esclave de la vaine gloire, il les eût retenus près de lui, car ceux qui sont dominés par cette passion aiment à se voir environnés d'un grand nombre de personnes. - S. Chrys. (hom. 48). Il s'exprime de la sorte, pour leur montrer que son intention n'est pas de les flatter, et qu'il leur laisse accomplir les observances légales. - S. Aug. Ou bien: «vous allez à cette fête où vous cherchez la gloire humaine, où vous voulez augmenter les joies de la chair au lieu de penser aux joies éternelles. Pour moi, je n'y vais point, parce que mon temps n'est pas encore accompli». - S. Chrys. (hom. 48). C'est-à-dire, je n'y vais point avec vous, parce que mon temps n'est pas encore accompli, car ce n'était qu'à la fête de Pâque suivante qu'il devait être crucifié. - S. Aug. (Traité 28). Ou bien encore, mon temps, c'est-à-dire le temps de ma gloire n'est pas encore venu, ce sera là mon véritable jour de fête, non pas une fête passagère et transitoire comme les fêtes d'ici-bas, mais une fête qui durera éternellement; ce sera la fête et la joie sans fin, l'éternité sans travail, la sérénité sans nuages.
12709 Jn 7,9-13
Théophyl. Le Seigneur ayant déclaré qu'il n'irait pas à la fête avec ses frères, refuse tout d'abord d'y aller pour ne point s'exposer à la colère des Juifs qui avaient juré sa perte: «Ayant dit ces choses, il demeura en Galilée». Et il s'y rendit ensuite lui-même: «Et lorsque ses frères furent partis, il alla aussi lui-même à la fête». - S. Aug. (hom. 28). Il n'y est point conduit par un vain désir de gloire humaine, il n'a d'autre but que de leur donner de salutaires enseignements, et de leur rappeler la pensée de la fête éternelle. - S. Chrys. (hom. 48 et 49 sur S. Jean). Ou bien, il se rend à cette fête, non pour souffrir, mais pour instruire. Il y vient secrètement, il aurait pu sans doute s'y rendre publiquement, et maîtriser les efforts désordonnés de leur colère, comme il le fit souvent dans d'autres circonstances, mais il ne voulait pas faire un usage continuel de sa puissance, pour ne pas dévoiler sa divinité d'une manière trop éclatante, pour rendre plus certain le mystère de son incarnation, et nous enseigner la pratique de la vertu. C'est donc pour nous apprendre ce que nous devons faire, à nous, qui ne pouvons arrêter les efforts de nos persécuteurs, qu'il se rend secrètement à cette fête. L'Évangéliste ne dit pas: En secret, mais: «Comme en secret», pour nous montrer qu'il agissait ici par un dessein tout particulier de sa Providence. En effet, s'il avait toujours agi comme Dieu, comment pourrions-nous savoir ce que nous devons faire, lorsque nous sommes aux prises avec les dangers? - S. Aug. (Traité 28). Ou bien encore, il monte secrètement, parce qu'il ne cherche pas la faveur des hommes, et ne prend point plaisir à se voir entouré du glorieux cortège de la multitude qui aurait marché à sa suite. Bède. Dans le sens mystique, nous voyons ici que pendant que des hommes charnels cherchent avec empressement la gloire humaine, le Seigneur reste dans la Galilée, dont le nom signifie transmigration, c'est-à-dire qu'il demeure dans ses membres qui passent des vices aux vertus, et font de grands progrès dans la perfection. Le Seigneur se rend lui-même à Jérusalem, parce que les membres du Christ cherchent non pas la gloire de cette vie; mais celle de la vie éternelle. Mais il s'y rend en secret, parce que toute sa gloire vient de l'intérieur (Ps 44), c'est-à-dire, d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère. (1Tm 1,5) - S. Aug. (Traité 28). On peut dire encore qu'en se rendant comme en secret à cette fête, Jésus a voulu nous donner une leçon mystérieuse. Toutes les lois et les prescriptions imposées au peuple ancien, et par conséquent la fête des Tabernacles, étaient la figure des choses futures; or, tout ce qui était pour eux figure, est devenu pour nous une réalité. Jésus se rend donc à cette fête comme en secret, pour figurer qu'il demeurait comme voilé. Au jour même de la fête, le Sauveur demeura caché, parce que ce jour de fête figurait l'exil des membres de Jésus-Christ. N'est-ce pas, en effet, habiter comme dans des tentes, que de regarder cette vie comme un pèlerinage et un exil? Or, la Scénopégie était la fête des Tabernacles ou des tentes.
«Les Juifs donc le cherchaient pendant la fête, et disaient: Où est-il ?» - S. Chrys. (hom. 49). La haine et l'aversion qu'ils ont pour lui les empêchent même de prononcer son nom. «Où est-il ?»Quel grand respect pour la fête, quel esprit de religion ! ils veulent profiter de cette solennité pour se saisir frauduleusement du Sauveur.
«Et il y avait une grande rumeur dans le peuple à son sujet». - S. Aug. (Traité 28). Cette rumeur était produite par la diversité des opinions que l'Évangéliste nous fait connaître: «Les uns disaient, c'est un homme de bien; non, disaient les autres, il séduit la foule». Ainsi qu'un homme se distingue par quelque mérite extraordinaire, tel est le jugement qu'on portera de lui; les uns diront: C'est un homme de bien; les autres: Il séduit le peuple. Mais quelle consolation pour un chrétien, de penser que ce qu'on dit de lui on l'a dit auparavant de Jésus-Christ ! En effet, s'ils donnent au mot séduire le sens de tromper, il est évident que Jésus-Christ n'est pas un séducteur; mais si séduire, c'est simplement amener quelqu'un par la persuasion à son sentiment, il faut pour apprécier cette action, examiner d'où l'on part et où l'on arrive. Celui qui entraîne du bien au mal est un mauvais séducteur; celui qui ramène du mal au bien est un bon séducteur, et plût à Dieu qu'on nous appelle et que nous soyons en effet des séducteurs de cette sorte. - S. Chrys. (hom. 49). A mon avis, c'était le peuple qui le proclamait un homme de bien, tandis que l'opinion défavorable était celle des chefs du peuple et des prêtres, comme le prouve d'ailleurs leur manière de s'exprimer, car ils ne disent pas: Il nous séduit, mais: «Il séduit la foule».
«Cependant personne ne parlait ouvertement en sa faveur par crainte des Juifs». C'était surtout ceux qui disaient: «C'est un homme de bien», plutôt que ceux qui le traitaient de séducteur; ces derniers s'exprimaient plus ouvertement, tandis que les autres ne disaient qu'à voix basse: «C'est un homme de bien». - S. Chrys. (hom. 49). Voyez la corruption des chefs de la nation, et la timidité du peuple qui leur est soumis; il a des idées plus droites, et il n'ose les manifester, ce qui est un des caractères de la multitude.
Catena Aurea 12661