Catena Aurea 12813
12813 Jn 8,13-18
S. Chrys. (hom. 52 sur S. Jean). Notre-Seigneur venait de déclarer qu'il était la lumière du monde, et que celui qui le suivait ne marchait pas dans les ténèbres; les Juifs cherchent à détruire l'effet de ces paroles: «Alors les pharisiens lui dirent: Vous vous rendez témoignage à vous-même», etc. - Alcuin. Ils s'expriment vis-à-vis du Sauveur, comme s'il était le seul à se rendre témoignage, quoiqu'il fût certain que bien longtemps avant son incarnation, il s'était fait précéder par un grand nombre de témoins qui prédirent les mystères de sa vie.
S. Chrys. (hom. 52). Le Sauveur combat à son tour la raison qu'ils viennent de lui opposer: «Jésus leur répondit: Bien que je rende témoignage de moi-même, mon témoignage est vrai». Parlant de la sorte, il se conforme à l'opinion des Juifs, qui pensaient qu'il n'était qu'un homme, et il donne la raison de ce qu'il vient d'avancer: «Parce que je sais d'où je viens et où je vais», c'est-à-dire, que je suis de Dieu, Dieu moi-même, et Fils de Dieu. Il ne s'exprime pas aussi clairement suivant son habitude de voiler sous un langage plein d'humilité les vérités les plus élevées. Or, Dieu est pour lui un témoin assez digne de foi. - S. Aug. (Traité 35 sur S. Jean). En effet, le témoignage de la lumière est véritable, soit qu'elle se découvre elle-même, soit qu'elle se répande sur d'autres objets. Un prophète annonce la vérité, mais à quelle source a-t-il puisé ses oracles? A la source même de la vérité. Jésus pouvait donc parfaitement se rendre témoignage à lui-même. Il déclare qu'il sait d'où il vient et où il va, et il veut parler de son Père, car le Fils rendait gloire au Père qui l'avait envoyé, à combien plus forte raison l'homme doit-il glorifier le Dieu qui l'a créé? Toutefois le Fils de Dieu ne é'est point séparé de son Père en venant vers nous, de même il ne nous a pas délaissés en retournant vers lui. Qu'y a-t-il en cela d'étonnant puisqu'il est Dieu? Au contraire, cela est impossible à ce soleil visible, qui, lorsqu'il tourne vers l'Occident quitte nécessairement l'Orient. Or, de même que ce soleil visible répand sa lumière sur le visage de celui qui a les yeux ouverts et sur celui de l'aveugle, avec cette différence que l'un la voit et l'autre ne la voit pas: ainsi la sagesse de Dieu, c'est-à-dire, le Verbe de Dieu, est présent en tous lieux, même aux yeux des infidèles qui ne peuvent le voir, parce qu'ils n'ont pas les yeux du coeur. C'est donc pour établir cette différence entre ceux qui lui sont fidèles et les Juifs ses ennemis, comme entre les ténèbres et la lumière, que le Sauveur ajoute: «Pour vous, vous ne savez ni d'où je viens ni où je vais». Ces Juifs voyaient donc en lui un homme et ne pouvaient croire qu'il fût Dieu, c'est pourquoi il leur dit encore: «Vous, vous jugez selon la chair, lorsque vous dites: Vous rendez témoignage de vous-même, votre témoignage n'est pas véritable». - Théophyl. C'est-à-dire, vous me voyez revêtu d'un corps mortel, vous concluez que je ne suis qu'un homme, et vous ne voulez pas croire que je suis Dieu, c'est en quoi vous vous trompez en jugeant selon la chair. - S. Aug. (Traité 36). Comme vous ne pouvez comprendre que je sois Dieu, et que vous ne voyez en moi qu'un homme, vous regardez comme une témérité présomptueuse que je me rende témoignage à moi-môme, car tout homme qui veut se rendre un témoignage favorable encourt le soupçon d'orgueil et de présomption. Les hommes sont faibles de leur nature, ils peuvent dire la vérité, ils peuvent aussi mentir, mais pour la lumière elle est incapable de mentir.
S. Chrys. (hom. 52). Ou bien encore, vivre selon la chair, c'est vivre d'une manière coupable, ainsi juger selon la chair, c'est faire des jugements injustes. Et comme ils pouvaient lui dire: Si nous jugeons injustement, pourquoi ne pas démontrer l'injustice de nos jugements, pourquoi ne pas nous condamner? Il ajoute: «Moi, je ne juge personne». - S. Aug. (Traité 36). Ce qui peut s'entendre de deux manières: Je ne juge personne actuellement, comme il dit dans un autre endroit: «Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde». Il ne nie pas le pouvoir qu'il a de juger, il en diffère l'exercice. Ou bien encore, il venait de leur dire: «Vous, vous jugez selon la chair», et il ajoute: «Pour moi, je ne juge personne», sous-entendez selon la chair, c'est-à-dire, que Jésus-Christ ne juge pas comme il a été jugé. Car afin que chacun reconnaisse que le Sauveur est juge dès maintenant, il ajoute: «Et si je juge, mon jugement est vrai».
S. Chrys. (hom. 52). Tel est donc le sens de ses paroles, si je vous dis: «Je ne juge personne»; ce n'est pas que je ne sois sûr de mon jugement, car si je voulais juger, mon jugement serait juste, mais le temps déjuger n'est pas encore venu. Il leur annonce ensuite indirectement le jugement futur en ajoutant: «Parce que je ne suis pas s eul, mais moi et mon Père qui m'a envoyé», et leur apprend que son Père doit se joindre à lui pour les condamner. Il répond ainsi en se conformant à leurs pensées, car ils ne croyaient pas que le Fils fut digne de foi, à moins de joindre le témoignage du Père à son propre témoignage.
S. Aug. (Traité 36). Mais si le Père est avec vous, comment vous a-t-il envoyé? Donc, Seigneur, votre mission, c'est votre incarnation. Le Fils de Dieu incarné, le Christ était donc avec nous sans qu'il eût quitté son Père, parce que le Père et le Fils étaient partout en vertu de l'immensité divine. Rougissez donc, disciple de Sabellius, car Jésus ne dit pas: Je suis le Père, et en même temps: Je suis le Fils, mais: «Je ne suis pas seul, parce que mon Père est avec moi». Distinguez donc les personnes, faites cette distinction par l'intelligence, reconnaissez que le Père est le Père, et que le Fils est le Fils, mais ne dites pas: Le Père est plus grand, le Fils lui est inférieur. Ils ont une même substance, une même éternité, une égalité parfaite. Donc, dit le Sauveur, mon jugement est vrai, parce que je suis le Fils de Dieu. Comprenez cependant dans quel sens le Père est avec moi, je ne suis pas son Fils, de manière à être séparé de lui, j'ai pris la forme de serviteur, mais je n'ai pas perdu celle de Dieu.
Après avoir parlé du jugement, il en vient au témoignage: «Il est écrit dans votre loi que le témoignage de deux hommes est vrai». - S. Aug. (contr. Faust., 16, 13). Les manichéens vont-ils trouver dans ces paroles un nouveau sujet de calomnie, parce que le Sauveur ne dit pas: Il est écrit dans la loi de Dieu, mais; «Il est écrit dans votre loi ?» Qui ne reconnaît ici une expression consacrée dans les Écritures? Votre loi signifie ici la loi qui vous a été donnée, de même que l'Apôtre appelle son Évangile (Rm 2), l'Évangile qu'il déclare avoir reçu, non par un homme, mais par la révélation de Jésus-Christ. (Ga 2)
S. Aug. (Traité 36). Ces paroles que Dieu dit à Moïse: «Que tout soit assuré par la déposition de deux ou trois témoins», (Dt 19, 18) ne laissent pas de soulever une grande difficulté et paraissent renfermer un sens mystérieux; car il peut arriver que deux témoins se rendent coupables de mensonge. La chaste Suzanne était accusée par deux faux témoins (Dn 13); le peuple juif tout entier se rendit coupable de calomnies atroces contre Jésus-Christ (Mt 27); comment donc entendre ces paroles: «Tout sera assuré par la déposition de deux ou trois témoins», si nous n'y voyons une allusion mystérieuse à la sainte Trinité, qui possède éternellement l'immuable vérité? Recevez donc, dit le Sauveur, notre témoignage, si vous ne voulez éprouver la rigueur de notre jugement; je diffère le jugement, mais je ne diffère point le témoignage: «Or, je rends moi-même témoignage de moi», etc. - Bède. Nous voyons dans bien des passages de l'Ecriture, que le Père rend témoignage à son Fils, comme dans le Psaume 2: «Je vous ai engendré aujourd'hui», et dans saint Matthieu (3 et 17), oùle Père dit de lui: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé».
S. Chrys. (hom. 52). Ou bien encore, si l'on prend cette parole dans le sens le plus simple, elle présente une véritable difficulté. Parmi les hommes, il a été établi que toute déposition doit être appuyée sur le témoignage de deux ou trois témoins, parce qu'un seul témoin n'est pas digne de foi; mais comment faire à Dieu l'application de cette règle? Cependant cette proposition n'a point d'autre raison d'être. Parmi les hommes, lorsque deux témoins déposent sur un fait qui ne leur est point personnel, leur témoignage est vrai, parce que c'est le témoignage de deux personnes distinctes, mais si l'un des deux vient à se rendre témoignage à lui-même, ce ne sont plus deux témoins, il n'y a plus qu'un seul. Notre-Seigneur ne s'est donc exprimé de la sorte que pour montrer qu'il n'est pas inférieur a son Père, autrement il n'aurait pas dit: «Moi et mon Père qui m'a envoyé». Considérez encore que sa puissance n'est en rien au-dessous de celle de son Père. Lorsqu'un homme est par lui-même digne de foi, il n'a pas besoin d'un autre témoignage, lorsqu'il s'agit d'un fait qui lui est étranger; mais dans une affaire personnelle où il a besoin du témoignage d'autrui, il n'est plus également digne de foi. Ici c'est tout le contraire, le Sauveur rend témoignage dans sa propre cause, tout en ayant pour lui le témoignage d'un autre, et il se déclare digne de foi.
Alcuin. On peut encore entendre ces paroles dans ce sens: Votre loi reçoit comme vrai le témoignage de deux hommes qui peuvent être trompés et tromper eux-mêmes, ou faire des déclarations fausses et incertaines, pourquoi donc refusez-vous d'admettre comme véritable le témoignage de mon Père et le mien, qui a pour lui la garantie de la plus haute vérité ?
12819 Jn 8,19-20
S. Aug. (Traité 37 sur S. Jean). Notre-Seigneur avait reproché aux Juifs de juger selon la chair, et ils justifient la vérité de ce reproche, en prenant dans un sens charnel le Père dont il leur parlait: «Ils lui dirent donc: Où est votre Père», etc. C'est-à-dire, nous vous avons entendu dire: «Je ne suis pas seul, mais moi et le Père qui m'a envoyé»; cependant nous ne voyons que vous, montrez-nous donc que votre Père est avec vous.
Théophyl. Il on est qui voient dans ces paroles des Juifs, une intention d'outrager le Sauveur et de le couvrir de mépris; ils lui demandent insolemment où est son Père, comme s'il était le fruit de la fornication, ou comme s'il était le Fils d'un père inconnu ou d'un homme d'une condition obscure, tel qu'était Joseph, qui passait pour être son père. Ils semblent lui dire: Votre père est un homme sans considération, sans nom dans le monde, pourquoi nous parler sans cesse de votre Père? Ce n'est point par le désir de s'instruire, mais pour éprouver le Sauveur qu'ils lui adressent cette question; aussi ne veut-il pas y répondre, et il se contente de leur dire: «Vous ne me connaissez, ni moi ni mon Père».
S. Aug. (Traité 37). C'est-à-dire, vous me demandez où est mon Père, comme si vous me connaissiez déjà, comme si je n'étais que ce que vous voyez. Or, c'est parce que vous ne me connaissez pas, que je ne veux pas vous faire connaître mon Père; vous ne voyez en moi qu'un homme, et par-là même vous me cherchez un Père qui ne soit aussi qu'un homme. Mais comme indépendamment de ce que vous voyez, je suis encore autre chose que vous ne voyez pas, et qu'inconnu de vous, je vous parle; de mon Père qui vous est également inconnu, il faudrait que vous me connaissiez d'abord avant de connaître mon Père: «Si vous me connaissiez, ajoute-t-il, peut-être connaîtriez-vous mon Père». - S. Chrys. (hom. 52). En leur parlant de la sorte, il leur fait voir qu'il ne leur sert de rien de connaître le Père, s'ils ne connaissent le Fils.
Orig. (Traité 19 sur S. Jean). Il semble y avoir contradiction entre ce que dit ici Notre-Seigneur: «Vous ne me connaissez ni moi ni mon Père», et ce qu'il a dit plus haut: «Vous savez qui je suis et d'où je suis». Mais cette espèce de contradiction disparaît, lorsqu'on fait attention que ces paroles: «Vous savez qui je suis», s'adressent à quelques habitants de Jérusalem, qui disaient: «Est-ce que les chefs de la nation ont reconnu qu'il était le Christ ?» Tandis que c'est aux pharisiens que le Sauveur dit: «Vous ne me connaissez pas». Cependant il est vrai que dans ce qui précède, nous voyons Jésus dire aux habitants de Jérusalem: Celui qui m'a envoyé est véridique, et vous ne le connaissez pas. On se demande donc, comment il a pu dire ici: «Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père», alors que les habitants de Jérusalem, à qui il dit ailleurs: «Vous savez qui je suis», n'ont pas connu son Père. Nous répondons que le Sauveur parle tantôt de lui en tant qu'il est homme, et tantôt en tant qu'il est Dieu. Ces paroles: «Vous savez qui je suis», doivent s'entendre de lui comme homme; et ces autres: «Vous ne me connaissez pas», veulent dire: Vous ne me connaissez pas comme Dieu. - S. Aug. (Traité 37). Que signifient ces paroles: «Si vous me connaissiez vous connaîtriez mon Père», si ce n'est: «Mon Père et moi nous ne faisons qu'un» (Jn 10, 30). Lorsque vous rencontrez une personne qui ressemble à une autre, vous dites tous les jours: Si vous avez vu l'une, vous avez vu l'autre, et c'est la ressemblance parfaite de ces deux per sonnes qui vous fait tenir ce langage. Voilà aussi pourquoi Notre-Seigneur dit aux Juifs: Si vous me connaissiez, vous connaîtriez mon Père, non que le Père soit le Fils, mais parce que le Fils est semblable au Père.
Théophyl. Que les ariens rougissent en entendant ces paroles, car si, comme ils le prétendent, le Fils est une simple créature, comment celui qui connaît cette créature peut connaître par là même Dieu. Est-ce que celui qui connaît la nature d'un ange, connaît par là même la nature divine? Donc puisque celui qui connaît le Fils, connaît le Père, le Fils est nécessairement consubstantiel au Père.
S. Aug. (Traité 37). Cette locution «peut-être», qui parait être une expression dubitative, est une parole de reproche; ainsi les hommes s'expriment d'une manière dubitative sur des choses qu'ils regardent comme certaines, par exemple, dans un mouvement d'indignation contre votre serviteur, vous lui dites: Tu me méprises, veuille y réfléchir, peut-être suis-je ton maître. C'est ainsi que Notre-Seigneur s'exprime vis-à-vis des Juifs infidèles, lorsqu'il leur dit: «Peut-être connaîtriez-vous aussi mon Père».
Orig. Examinons ici l'opinion de certains hérétiques qui prétendent pouvoir prouver clairement par ces paroles, que le Dieu qu'adoraient les Juifs n'était pas le Père de Jésus-Christ; car, disent-ils, c'est aux pharisiens qui adoraient un Dieu maître du monde, que le Sauveur tenait ce langage. Or, il est certain que les pharisiens n'ont jamais connu un Père de Jésus différent du Créateur du mo nde. En parlant de la sorte, ces hérétiques ne réfléchissent pas sur le langage ordinaire des Écritures. En effet, qu'un homme veuille nous exposer les notions sur la divinité, qu'il doit à l'instruction que lui ont donnée ses parents, sans prendre soin d'y conformer sa conduite; nous disons qu'il n'a pas la connaissance de Dieu; voilà pourquoi l'Ecriture dit des fils d'Héli, par suite de leur méchanceté, qu'ils ne connaissaient pas Dieu; (1S 2,12) c'est ainsi que les pharisiens eux-mêmes n'ont pas connu Dieu, parce qu'ils ne vivaient pas conformément aux préceptes du Créateur. Il y a d'ailleurs une autre manière d'entendre la connaissance de Dieu. En effet, connaître Dieu, c'est autre chose que de croire simplement en Dieu. Nous lisons dans le psaume 45 (vers. 10): «Soyez dans le repos et considérez que c'est moi qui suis Dieu». Qui ne reconnaîtra que ces paroles sont écrites pour le peuple, qui croit en Dieu créateur de cet univers? Il y a une grande différence entre la foi jointe à la connaissance, et la foi seule. Jésus aurait pu avec raison dire aux pharisiens à qui il reproche de ne connaître ni son Père ni lui: Vous ne croyez pas à mon Père; car celui qui nie l'existence du Fils, nie par là même l'existence du Père, c'est-à-dire qu'il n'admet le Père ni par la foi, ni par la connaissance. Suivant l'Ecriture, il y a encore une autre manière de connaître quelqu'un, c'est de lui être uni. Aussi Adam connut sa femme lorsqu'il lui fut uni; (Gn 4) celui qui s'attache à une femme, connaît cette femme, et celui qui s'attache au Seigneur, devient un seul esprit avec lui, (1Co 6,17) et connaît Dieu. S'il en est ainsi, les pharisiens n'ont connu ni le Père, ni le Fils. Enfin il y a aussi une différence entre connaître Dieu, et connaître le Père, c'est-à-dire qu'on peut connaître Dieu sans connaître le Père. Ainsi dans le nombre presque infini de prières que nous trouvons dans l'ancienne loi, nous n'en trouvons aucune où Dieu soit invoqué comme Père, les Juifs le priaient et l'invoquaient comme Dieu et Seigneur, pour ne pas prévenir la grâce que Jésus devait répandre sur le monde entier, en appelant tous les hommes à l'honneur de la filiation divine, suivant ces paroles: «J'annoncerai votre nom à mes frères» (Ps 21)
«Jésus parla de la sorte, dans le parvis du Trésor, lorsqu'il enseignait dans le temple». - Alcuin. Le mot gaza dans la langue persane signifie richesse, et le mot grec öõëÜîáé signifie conserver, c'était l'endroit du temple où l'on conservait les offrandes. - S. Chrys. (hom. 53 sur S. Jean). Le Sauveur parlait comme maître et docteur dans le temple, ce qui aurait dû les toucher davantage: mais ce qu'il disait les blessait, et ils l'accusaient de se faire égal à Dieu le Père. - S. Aug. (Traité 37) Il montre une grande confiance sans mélange d'aucune crainte, car il pouvait ne rien souffrir, à moins qu'il ne le voulût: «Et personne ne se saisit de lui, dit l'Évangéliste, parce que son heure n'était pas encore venue». Il en est qui, en entendant ces paroles, prétendent que Jésus était soumis aux lois du destin. Mais si le mot latin fatum (destin) vient du verbe fari, qui veut dire parler, comment admettre que le Verbe, la parole de Dieu, soit esclave du destin? Où sont les destins? Dans le ciel, direz-vous, où ils dépendent du cours et des révolutions des astres. Mais comment encore soumettre à ce destin celui qui a créé le ciel et les astres, alors que votre volonté à vous-même, si vous êtes conduit par la sagesse, s'élève bien au-dessus des astres. Est-ce parce que, vous avez appris que le corps de Jésus-Christ a vécu sous le ciel, que vous voulez soumettre sa puissance à l'influence des cieux? Comprenez donc que «son heure n'était pas encore venue», non pas l'heure où il souffrirait la mort malgré lui. mais l'heure où il daignerait l'accepter volontairement.
Orig. (Traité 19) Toutes les fois que l'Évangéliste mentionne cette circonstance: «Jésus parla de la sorte en tel lieu», si vous voulez y faire attention, vous découvrirez que ce n'est pas sans raison qu'il s'exprime ainsi. Le Trésor était l'endroit où se conservait l'argent destiné au service du temple et à la subsistance des pauvres; les pièces de monnaie sont les paroles divines qui sont marquées à l'effigie du grand roi. Or, chacun doit concourir à l'édification de l'Eglise, en déposant dans le trésor spirituel tout ce qui peut contribuer à l'honneur de Dieu, au bien général; et puisque tous les Juifs déposaient leurs offrandes volontaires dans le trésor, il était juste aussi que Jésus mît son offrande dans le trésor, c'est-à-dire les paroles de la vie éternelle. Personne n'osa se saisir de la personne du Sauveur, tandis qu'il parlait dans le temple, parce que ses discours étaient plus forts que ceux qui voulaient s'emparer de lui, car il n'y a aucune faiblesse dans ceux qui sont les instruments et les organes du Verbe de Dieu.
Bède. Ou bien encore, Jésus parle dans le parvis du Trésor, parce qu'il parlait aux Juifs en paraboles, et il commença à ouvrir le trésor, lorsqu'il découvrit à ses disciples les mystères des cieux. Or, le trésor était une dépendance du temple, parce que toutes les prophéties figuratives de la loi et des prophètes avaient le Sauveur pour objet.
12821 Jn 8,21-24
S. Aug. (Traite 38 sur S. Jean). L'Évangéliste vient de nous dire que «personne ne se saisit de Jésus, parce que son heure n'était pas encore venue». Notre-Seigneur prend cette occasion de parler aux Juifs de sa passion, qui dépendait non de la fatalité, mais de sa puissance: «Jésus leur dit encore: Je m'en vais». En effet, pour Jésus-Christ, la mort fut comme un départ vers le lieu d'où il était venu vers nous, sans qu'il l'ait cependant quitté. - Bède. L'enchaînement qui paraît exister ici dans le récit de l'Évangéliste, nous permet de supposer également que ces, paroles ont été dites dans le même lieu et dans le même temps que les précédentes, où qu'elles ont été dites dans un lieu et dans un temps tout différent, car il est aussi vraisemblable d'admettre qu'elles font suite immédiate au discours qui précède, que de supposer d'autres discours ou d'autres faits intermédiaires.
Orig. On peut faire tout d'abord cette objection: Si Notre-Seigneur s'adresse ici à ceux qui persévéraient dans leur incrédulité, comment peut-il leur dire: «Vous me chercherez ?» Car chercher Jésus, c'est chercher la vérité et la sagesse. Nous pouvons répondre qu'il est dit quelquefois de ses persécuteurs qu'ils cherchaient à se saisir de lui. Il y a, en effet, de grandes différences entre ceux qui cherchent Jésus; car tous ne le cherchent pas pour leur salut et le bien qui peut leur en revenir. Aussi il n'y a que ceux qui le cherchent avec droiture, qui trouvent la paix. Or, chercher avec droiture, c'est chercher celui qui était en Dieu au commencement, afin qu'il nous conduise à son Père.
S. Aug. (Traité 38). Vous me chercherez donc, leur dit-il, sous l'inspiration non d'un pieux désir, mais d'une haine mortelle. En effet, lorsqu'il se fut dérobé aux regards des hommes, ceux qui le haïssaient, comme ceux qui l'aimaient, le cherchèrent, les uns pour le persécuter, les autres pour jouir de sa présence. Or, ne croyez pas que vous me chercherez avec de bonnes dispositions, car «vous mourrez dans votre péché». Mourir dans son péché, c'est donc chercher Jésus-Christ avec une intention coupable, c'est avoir de la haine pour l'unique auteur de notre salut, et c'est contre ceux qui cherchent ainsi Jésus, que le Sauveur prononce prophétiquement cette sentence: «Ils mourront dans leur péché». - Bède. Remarquez que le mot péché est au singulier, et le pronom votre au pluriel, pour montrer que tous étaient coupables du même crime.
Orig. (Traité 19 sur S. Jean). Je me demande comment l'Évangéliste a pu dire plus bas, qu'à la parole de Jésus-Christ un grand nombre crurent en lui. Est-ce que ce n'est pas à tous ceux qui étaient p résents qu'il disait: «Vous mourrez dans votre péché ?» Non, c'était à ceux dont il savait qu'ils ne croiraient point, qu'ils mourraient pour cela dans leur péché, et qu'ils ne pourraient marcher à sa suite, et c'est à ceux-là qu'il dit: «Vous ne pouvez venir là oùje vais», c'est-à-dire où est la vérité et la sagesse, car c'est là qu'est Jésus. Ils ne peuvent venir, parce qu'ils ne veulent pas; car s'ils l'avaient voulu sans le pouvoir, le Sauveur n'eût pu leur dire avec justice: «Vous mourrez dans votre péché». - S.Aug. (Traite 38). Il tient dans un autre endroit le même langage à ses disciples, toutefois il ne leur dit pas: Vous mourrez dans votre péché, mais: «Vous ne pouvez maintenant venir là où je vais», il ne leur ôte pas l'espérance, il en retarde seulement l'accomplissement.
Orig. En s'exprimant de la sorte, le Sauveur menace donc les Juifs de se retirer d'eux, mais pour nous, tant que nous conservons les semences de vérité qu'il a répandues dans nôtre âme, le Verbe de Dieu ne se ret ire pas de nous; si, au contraire, la corruption du mal entre dans notre âme à la suite d'une chute dans le péché, alors il nous dit: «Je m'en vais», et nous le chercherons sans pouvoir le trouver, et nous mourrons dans notre péché, saisis que nous serons par la mort elle-même. Il ne faut point passer légèrement sur ces paroles: «Vous mourrez dans votre péché». Si on prend ces paroles dans le sens naturel qu'elles présentent, elles veulent dire évidemment que les pécheurs mourront dans leurs péchés, comme les justes mourront dans leur justice. Mais si l'on entend ces paroles: «Vous mourrez», de la mort dont est frappé celui qui commet un péché mortel, il est clair que ceux à qui Notre-Seigneur les adressait n'étaient pas morts encore, mais ils viva ient dans une grande infirmité spirituelle, infirmité qui devait les conduire à la mort, voilà pourquoi le médecin voyant toute la gravité de leur maladie, leur disait: «Vous mourrez dans votre péché», et ces paroles font comprendre celles qui suivent: «Là où je vais, vous ne pouvez venir»; car celui qui meurt dans son péché, ne peut aller où va Jésus, puisqu'aucun de ceux qui sont morts ne peut suivre Jésus, selon ces paroles du Psalmiste: «Ce ne sont pas les morts qui vous loueront, Seigneur» (Ps 113)
S. Aug. (Traité 38). Ces paroles ne firent naître chez les Juifs que des pensées charnelles, et ils interrogent le Sauveur en conséquence: «Les Juifs disaient donc: Se tuera-t-il lui-même, puisqu'il dit: Là où je vais, vous ne pouvez venir ?» Quelles paroles insensées ! Quoi, ils ne pourraient venir là où il irait s'il se donnait la mort? Est-ce donc qu'ils ne devaient pas eux-mêmes mourir. Lors donc qu'il leur dit: «Vous ne pouvez venir là où je vais», il ne veut point parler du lieu où l'on va par la mort, mais de celui où il allait lui-même après la mort. - Théophyl. Il déclarait ainsi par avance qu'il devait ressusciter dans la gloire, et s'asseoir à la droite de Dieu.
Orig. (Traité 49). Examinons cependant si ce langage n'est pas dans la bouche des Juifs l'expression de pensées plus relevées. Car ils puisaient souvent dans leurs traditions ou dans leurs livres apocryphes des idées qui leur étaient particulières, de même que dans leurs traditions sur Jésus-Christ, il y en avait de conformes aux oracles authentiques des prophètes, d'après lesquels il devait naître à Bethléem; il pouvait aussi se rencontrer des traditions relatives à sa mort, et qui annonçaient qu'il quitterait cette vie de la manière qu'il le dit lui-même: «Nul ne m'ôte ma vie, mais je la donne de moi-même» (Jn 10). Lors donc que les Juifs se demandent: «Se tuera-t-il lui-même», il ne faut point prendre ces paroles dans leur sens ordinaire, mais y voir une allusion à quelque tradition juive qui se rapportait au Christ; car ces paroles du Sauveur: «Je m'en vais», tendaient à faire ressortir dans tout son jour le pouvoir qu'il avait de mourir eu se séparant volontairement de son corps. Je pense toutefois que ce n'est point pour faire honneur à Jésus, mais bien plutôt pour l'outrager, qu'ils citent cette tradition relative à sa mort, et qu'ils se demandent: «Est-ce qu'il se tuera lui-même ?» car s'ils avaient eu l'intention de lui appliquer cette tradition dans un sens honorable pour le Sauveur, ils auraient dû s'exprimer de la sorte: «Est-ce que son âme sortira de son corps, quand il lui plaira ?»
Le Seigneur leur répond comme à des hommes charnels et terrestres: «Et il leur dit: Vous êtes d'en bas», c'est-à-dire, vous goûtez les choses de la terre, et vou s ne portez pas bien haut les affections de votre coeur. - S.Chrys. (hom. 53). C'est-à-dire, il n'est point surprenant que des hommes charnels et qui ne comprennent rien de ce qui est spirituel, aient de semblables pensées, mais: «Pour moi je suis d'en haut». - S. Aug. Quelles sont ces hauteurs d'où il descend? De Dieu le l'ère lui-même, qui n'a rien au-dessus de lui. Vous, vous êtes de ce monde, mais pour moi je ne suis pas de ce monde, et comment, en effet, celui par qui le monde a été fait, pourrait-il être du monde? Bède. Comment pourrait-il être du monde, celui qui était avant le monde? pour eux, ils étaient du monde, parce qu'ils ont été créés longtemps après la création du monde. - S. Chrys. (hom. 53). Ou bien encore: «Je ne suis pas de ce monde», c'est-à-dire, je n'en partage point les pensées vaines et profanes. - Théophyl. Je n'ai aucun sentiment mondain ou terrestre; je ne puis donc arriver à cet excès de folie de me donner la mort. Apollinaire, par une fausse interprétation de ces paroles, prétend que le corps du Seigneur ne fut pas formé dans ce monde, mais qu'il vint d'en haut, c'est-à-dire du ciel. Mais dira-t-on que les Apôtres avaient aussi un corps formé dans les cieux, parce que Notre-Seigneur leur a dit: «Vous n'êtes pas de ce monde ?» Ces paroles: «Je ne suis pas de ce monde», signifient donc: Je ne suis pas du nombre de ceux qui, comme vous, sont plongés tout entiers dans les préoccupations du monde.
Orig. (Traité 19). On peut encore donner une autre explication des choses qui sont d'en bas et de celles qui sont de ce monde. L'expression en bas, signifie un endroit spécial; or, ce monde matériel se divise en une multitude d'endroits qui sont tous en bas, relativement aux choses immatérielles et invisibles. Mais si l'on établit une comparaison entre ces divers lieux du monde, les uns seront en haut et les autres en bas. Or, chacun a son coeur là où est son trésor (Mt 6). Celui donc qui thésaurise sur la terre, descend en bas; celui au contraire qui amasse des trésors pour le ciel, monte en haut, il est véritablement d'en haut, et en s'élevant au-dessus des d'eux, il parviendra à la souveraine béatitude. Disons encore, que l'amour du monde fait l'homme du monde; celui au contraire qui n'aime ni le monde, ni les choses qui sont dans le monde, n'est pas de ce monde. Il est cependant en dehors de ce monde sensible, un autre monde habité par les êtres invisibles, et dont l'éclat et la splendeur seront révélés à ceux qui ont le coeur pur. Enfin on peut aussi donner le nom de monde au premier né de toute créature, et en tant qu'il est la souveraine sagesse, car toutes choses ont été faites dans la sagesse. Le monde et tout ce qu'il renferme était donc en lui, mais d'une manière aussi différente du monde matériel, que la raison même d u monde pure de tout principe matériel diffère du monde extérieur et sensible. L'âme de Jésus-Christ dit donc: «Je ne suis pas de ce monde», parce qu'elle ne vit pas dans ce monde.
S. Aug. (Traité 38). Le Seigneur explique le sens de ces paroles qu'il leur adresse: «Vous êtes de ce monde», parce qu'ils étaient pécheurs; or, nous sommes tous nés dans le péché, et tous nous avons ajouté à ce premier péché par une vie coupable. Tout le crime d'infidélité des Juifs consistait donc, non pas d'être coupables du péché, mais de mourir dans leur péché. C'est pourquoi Notre-Seigneur ajoute: «Je vous ai dit que vous mourrez dans vos péchés». Parmi cette multitude qui écoutait le Sauveur, il en était qui devaient croire en lui. Mais comme cette sentence sévère: «Vous mourrez dans votre péché», semblait tomber sur tous, et ôter toute espérance à ceux qui devaient croire en lui, il fait renaître l'espérance dans leur coeur, en ajoutant: «Car si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans votre péché». Donc si vous croyez que je suis, vous ne mourrez point dans votre péché. - S. Chrys. (hom. 53). En effet, si Notre-Seigneur est venu sur la terre pour effacer les péchés du monde, et si le péché ne peut être effacé que par le baptême, celui qui ne croit pas est nécessairement encore revêtu du vieil homme. Car celui qui refuse de mourir et de s'ensevelir spirituellement par la foi, mourra avec le vieil homme, et ne sortira de cette vie que pour souffrir les peines ducs à ses crimes. Aussi Notre-Seigneur disait-il: «Celui qui ne croit pas est déjà jugé», non-seulement parce qu'il ne croit pas, mais parce qu'il sort de cette vie chargé des crimes dont il s'est rendu coupable. - S. Aug. (Traité 38). Notre-Seigneur, en disant aux Juifs: «Si vous ne croyez pas que je suis», sans rien ajouter, leur apprend une grande vérité; c'est dans les mêmes termes que Dieu avait dit à Moïse: «Je suis celui qui suis» (Ex 3). Mais comment entendre ces paroles: «Je suis celui qui suis»; et ces autres: «Si vous ne croyez pas que je suis», comme si les autres êtres n'existaient pas? C'est qu'en effet, quelles que soient l'excellence et la perfection d'un être, dès lors qu'il est soumis à la loi de la mutabilité, il n'existe vraiment pas. L'être véritable ne peut se trouver là où il y a alternative de l'être et du néant. Examinez la nature des êtres soumis à la loi des changements, vous y trouverez le passé et le futur; reportez votre pensée sur Dieu, vous trouverez cette seule chose, il est, sans qu'il soit possible de trouver de temps passé: si donc vous voulez être véritablement, élevez-vous au-dessus du temps. Ces paroles: «Si vous ne croyez pas que je suis», par lesquelles Notre-Seigneur nous exhorte à ne point mourir dans nos péchés, n'ont point d'autre signification que celle-ci: Si vous ne croyez que je suis Dieu. Rendons grâces à Dieu de ce que le Sauveur nous dit: «Si vous ne croyez pas», et non: Si vous ne comprenez pas, car qui pourrait comprendre ces mystères? - Orig. Il est évident que celui qui meurt dans ses péchés, affirmerait-il qu'il croit en Jésus-Christ, n'y croit pas véritablement. En effet, celui qui croit à la justice, ne doit commettre aucune injustice; celui qui croit à la sagesse, ne doit ni dire ni faire rien qui lui soit contraire. Parcourez ainsi les autres perfections de Jésus-Christ, et vous comprendrez comment celui qui ne croit point en lui, meurt dans ses péchés, et comment celui dont la conduite est en opposition avec les divins attributs de Jésus-Christ.
Catena Aurea 12813