Catherine de Sienne, Dialogue 120
120 Résumé du chapitre précédent, et du respect que l'on doit aux prêtres, qu'ils soient bons ou mauvais.
Je t'ai montré, ma très chère fille, comme un reflet de l'excellence de mes ministres. Je dis un reflet, en comparaison de ce qu'elle est en réalité. Je t'ai exposé la dignité dont je les ai revêtus, en les choisissant pour en faire mes ministres. A cause de cette autorité et de cette dignité dont je les ai investis, je ne veux pas, pour quelque faute que ce soit, que les séculiers portent la main sur eux. Eu touchant à mes prêtres, ils m'offensent misérablement.
Je veux, au contraire, qu'ils aient pour eux, tout le respect qui leur est dû, non à cause d'eux, comme je t'ai dit, mais à cause de Moi, à raison de l'autorité que je leur ai donnée.
Ce respect ne doit donc jamais diminuer, alors même que leur vertu serait amoindrie, parce qu'ils sont toujours, de par Moi, les ministres du Soleil, les dispensateurs du corps et du sang de mon Fils et des autres sacrements.
Cette dignité appartient aux mauvais comme aux bons. Tous sont investis des mêmes fonctions. Mais (49) les parfaits, ainsi que je te l'ai exposé, ont les propriétés du soleil; ils illuminent et réchauffent leur prochain par l'amour de la charité. Par cette chaleur, ils font germer et fructifier les vertus, dans les âmes qui leur sont confiées. Ils sont aussi des anges, préposés par moi à votre garde, pour vous préserver du mal et suggérer à vos coeurs de bonnes inspirations, par leurs saintes prières, par leur enseignement, par l'exemple de leur vie, et en même temps pour vous servir et vous administrer les saints sacrements, comme fait l'ange qui vous garde et vous inspire de bonnes et saintes pensées.
Tu vois donc qu'outre la dignité que je leur ai conférée, ils sont aussi dignes de votre amour, parce qu'ils sont ornés de toutes les vertus, que tous d'ailleurs, sont tenus de posséder. Quel respect ne devez-vous donc pas avoir pour ces fils d'élection, qui sont un seul Soleil avec moi par leurs vertus, dans le corps mystique de la sainte Eglise. si tout homme vertueux est digne d'amour, combien plus ceux-ci, à raison du ministère que je leur ai confié! Vous les devez donc aimer à un double titre: à cause de leurs vertus et à cause de la dignité du Sacrement. Quant à ceux qui vivent mal, vous devez haïr leurs péchés, mais je ne veux pas que vous vous fassiez leurs juges. Ils sont mes christs, et vous devez aimer et vénérer l'autorité qu'ils tiennent de Moi.
Si un homme, crasseux et mal vêtu, vous apportait un grand trésor qui vous rendrait la vie, sans aucun doute, par amour du trésor, et aussi du seigneur (50) qui l'envoie, vous feriez bon accueil au commissionnaire, nonobstant sa crasse et ses haillons. Son extérieur vous déplairait bien, mais, vous vous emploieriez, par amour pour son seigneur, à le laver et à l'habiller de neuf. C'est votre devoir d'en agir ainsi, suivant l'ordre de la charité, et je veux que vous traitiez de cette manière, mes ministres dont la vie est trop peu réglée. Malgré leur impureté et leurs vêtements en lambeaux, déchirés par tous les vices, depuis qu'ils sont séparés de ma charité, ils ne laissent pas que de vous apporter de grands trésors, par les Sacrements de la sainte Eglise, où vous puisez la vie de la grâce, si vous en approchez dignement. Vous devez donc les honorer, quels que soient leurs défauts, pour l'amour de moi, le Dieu éternel, qui vous les envoie, et par amour de la vie de la grâce, que vous trouvez dans ce trésor, qui contient le Dieu-Homme tout entier, le corps et le sang de mon Fils, unis à ma nature divine. Votre devoir est de déplorer et de détester leurs fautes, et de vous employer avec charité, par la sainte prière, à leur procurer un habit neuf, et à laver dans vos larmes leur souillure. Oui, c'est là ce que vous devez faire: offrir devant moi, pour eux, avec larmes et grand désir, vos saintes prières, pour que je les revête, par ma Bonté, du vêtement de la charité.
Vous savez bien que je veux leur faire grâce, pourvu qu'ils s'y disposent, et que vous me le demandiez. Car, c'est contraire à ma volonté, qu'ils vous distribuent le Soleil, dans les ténèbres, dépouillés (51) de la vertu et souillés par une vie déshonnête. C'est pour qu'ils soient vos anges sur terre et en même temps votre soleil, que je vous les ai donnés, comme je te l'ai dit. S'ils ne le sont pas, votre devoir est de me prier pour eux, mais ne les jugez pas. Ce jugement m'est réservé. Et Moi, par vos prières, s'ils veulent s'y disposer, je leur ferai miséricorde. Mais, s'ils ne se corrigent pas, la dignité qu'ils possèdent sera leur ruine. Moi, le souverain Juge je leur ferai entendre le grand reproche au dernier instant de la mort, et s'ils ne s'amendent pas, s'ils ne profitent pas de la grandeur de ma miséricorde, ils seront envoyés au feu éternel (52).
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Des péchés et de la vie coupable des mauvais prêtres.
Ecoute maintenant, fille bien-aimée! Afin que toi et mes autres serviteurs, vous ayez plus sujet de m'offrir pour eux, d'humbles et continuelles prières, je veux te montrer et te dire la vie criminelle de trop de mes prêtres. De quelque côté que tu regardes, séculiers et religieux, clercs et prélats, petits et grands, jeunes et vieux, gens de toute condition, partout tu ne vois qu'offenses. Tous répandent l'infection de leurs pêchés mortels; mais cette infection ne peut m'atteindre ni me nuire, elle n'est mortelle que pour eux-mêmes.
Je t'ai entretenue, jusqu'ici, de l'excellence de mes ministres et de la vertu des bons, pour donner a ton âme quelque consolation, et pour te faire mieux comprendre la misère de ces malheureux, combien ils sont dignes de plus grands reproches et d'un plus terrible châtiment. Autant les élus, mes bien-aimés, qui ont fait fructifier par leurs vertus le trésor que je leur avais confié, méritent une plus grande récompense, et seront comme des pierres précieuses en ma présence, autant ceux-là sont (53) misérables, et auront en partage les tourments les plus cruels.
Sais-tu, ma fille, quel est le principe de leur égarement? Apprends-le, dans la douleur et l'amertume de ton coeur. C'est dans l'amour égoïste d'eux mêmes, d'où est issu l'arbre de l'orgueil, qui a pour rejeton l'aveuglement, l'absence de discernement. Dépourvus de sens spirituel, ils ne se proposent plus d'autre but, que les honneurs et la gloire; ils sont à l'affût de grandes prélatures; ils n'ont d'ambition que pour le faste et les délicatesses du corps. Pour moi, ils n'ont que du dédain, que des offenses. Ils s'attribuent à eux-mêmes ce qui ne leur appartient pas, et me donnent ce qui n'est pas à moi. Ce qui est à Moi, c'est la gloire, c'est l'honneur de mon nom, voilà ce qu'ils me doivent. Ce à quoi ils ont droit, c'est la haine de leur propre sensualité, par une véritable connaissance d'eux-mêmes, c'est le sentiment de leur indignité, en regard du grand Mystère que je leur ai confié. Bien au contraire, enflés d'orgueil, ils ne se peuvent rassasier de dévorer la terre des richesses et des délices du monde. Ils sont avides, cupides, avares à l'égard des pauvres; et ce misérable orgueil et cette avarice, nés de l'amour égoïste et sensuel, leur ont fait abandonner le soin des âmes. Ils n'ont de pensée et de souci que des choses temporelles, et mes brebis, dont je leur ai commis la garde, ne sont plus, entre leurs mains, que des brebis sans pasteur. Ils ne les paissent pas, ils ne les nourrissent pas, ni spirituellement, ni temporellement (54). Ils administrent, il est vrai, spirituellement, les sacrements de la sainte Eglise, dont leur faute ne peut ni détruire, ni diminuer la vertu. Mais ils ne sustentent pas les âmes de leurs prières ferventes, de l'ardent désir de leur salut, et d'une vie honorable et sainte. Ils ne nourrissent pas, non plus, leurs sujets, des choses temporelles, ils ne distribuent pas aux pauvres les biens de l'Eglise dont ils doivent faire trois parts, comme je te l'ai dit: la première pour leurs besoins, la seconde pour les pauvres, la troisième pour l'utilité de l'Eglise.
Loin de là! Non seulement ils ne distribuent pas ce qu'ils doivent aux pauvres, mais encore ils dépouillent les autres par simonie. Oui, par amour de l'argent ils vendent la grâce de l'Esprit-Saint. Souvent même ils en viennent à ce degré de malice, que ce que je leur ai donné gratuitement pour qu'ils le distribuent de même, ils le refusent à ceux qui en ont besoin, jusqu'à ce qu'ils aient la main pleine et qu'on les ait pourvus de nombreux présents. Leur amour pour ceux qui leur sont soumis se mesure exactement au profit qu'ils en retirent, ni plus, ni moins. Tous les revenus de l'Eglise passent dans l'achat de vêtements somptueux, pour se montrer, vêtus avec délicatesse, non comme des clercs ou des religieux, mais comme des seigneurs et damoiseaux de cour. Ils ont le goût des beaux chevaux, des nombreux vases d'or et d'argent pour la décoration de leur maison, et ils apportent dans cette possession, si contraire à leur état, une grande vanité de coeur qui se révèle dans le désordre et la légèreté (55) de leurs discours. Ils ne rêvent que festins et se font un Dieu de leur ventre: mangeant et buvant sans mesure, ils ne tardent pas à tomber dans l'impure té et dans la débauche.
Malheur, malheur à leur vie misérable! C'est ainsi qu'ils dépensent avec des pécheresses publiques ce que le doux Verbe, mon Fils unique, a acquis au prix de tant de peine sur le bois de la très sainte Croix!
C'est ainsi qu'ils déchirent de mille cruelles morsures et qu'ils dévorent les âmes rachetées par le sang du Christ. C'est ainsi qu'ils nourrissent leurs fils du patrimoine des pauvres!
O temples du diable Je vous avais élus pour être des anges de la terre, en cette vie, et vous êtes des démons I Et vous avez choisi l'office des démons! Ils répandent, les démons, les ténèbres qu'ils ont en eux-mêmes, ils sont les ministres de cruels tourments. C'est eux qui travaillent autant qu'il est en eux, par leurs attaques, par leurs tentations, à priver les âmes de la grâce, en les entraînant dans le péché mortel. L'âme, il est vrai, ne peut tomber dans une faute que si elle le veut bien, mais ils font tout ce qui est en leur puissance, pour l'y attirer.
N'est-ce pas aussi ce que font ces malheureux, indignes d'être appelés mes ministres? Ce sont des démons incarnés, puisque, parleurs propres péchés ils se sont conformés à la volonté du démon, et par là même font fonction de démens. Ils me distribuent, moi le vrai Soleil, au milieu des ténèbres du péché mortel, et ils répandent ainsi les ténèbres de (56) leur vie déréglée et criminelle sur les autres créatures raisonnables qui leur sont soumises. Ils couvrent de honte et remplissent de douleur les âmes qui sont ainsi témoins de leur existence désordonnée. Souvent même, ils jettent le trouble et le tourment dans les consciences qui se laissent détourner de l'état de grâce et de la voie de la Vérité. En les entraînant au péché, ils les conduisent par le chemin du mensonge, bien que ceux qui les suivent soient pourtant sans excuse; car aucune puissance ne peut les contraindre au péché mortel, pas plus celle des démons visibles que celle des démons invisibles. Personne ne doit se régler sur leur vie ni imiter ce qu'ils font. C'est ce qu'ils disent que vous devez faire (Mt 23,3), comme vous en avertit ma Vérité, dans le saint Evangile. La doctrine que vous devez suivre, c'est celle qui vous est donnée dans le corps mystique de la sainte Eglise, conservée dans les saintes écritures et proclamée par mes hérauts, les prédicateurs chargés d'annoncer ma parole.
Ne les imitez pas dans leur vie mauvaise, si vous ne voulez pas les suivre dans les malheurs qu'ils méritent; et gardez-vous aussi de les punir: vous m'offenseriez. Laissez leur vie coupable, et ne recueillez d'eux que la doctrine. Réservez-moi le châtiment, car je suis le Dieu bon et éternel qui récompense toute bonne action et punit toute faute. Pour être mes ministres, ils n'en sont pas moins (57) exposés à ma vengeance, et leur dignité ne les couvrira pas contre ma justice. C'est au contraire, plus durement que tous les autres, qu'ils seront punis, s'ils ne se convertissent pas, parce qu'ils ont plus reçu de ma Bonté. En m'offensant si misérablement, ils s'attirent un châtiment plus lourd. Ce sont des démons, encore une fois, tu le vois bien, comme mes élus dont je t'ai parlé, sont des anges sur terre, chargés de faire l'office des anges (58).
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Comment ces ministres d'iniquité font régner l'injustice, particulièrement en ne corrigeant pas leurs sujets.
Dans mes ministres bien-aimés, t'ai-je dit, brillait la perle précieuse de la justice. Je vais te dire maintenant que ces pauvres malheureux portent sur la poitrine comme enseigne, l'Injustice, qui est attachée avec l'amour égoïste d'eux-mêmes, dont elle procède. Car, c'est l'amour-propre qui les rend injustes envers leurs âmes et envers Moi, aveuglés qu'ils sont parleur faux jugement. Ils ne me rendent pas, à Moi, la gloire qu'ils me doivent, et ils ne procurent pas à leurs âmes l'honnêteté, la vie sainte, la soif de leur salut et le désir des vertus. Ils deviennent, par là même, injustes envers ceux qui leur sont soumis, et qui sont leur prochain, en ne corrigeant pas leurs vices.
Aveugles qu'ils sont, ils n'ont même pas conscience du tort qu'ils causent à mes créatures, en les laissant ainsi s'endormir et croupir dans leur misère. Ils ne s'aperçoivent pas, qu'en voulant plaire aux créatures, ils causent leur perte et m'offensent Moi, votre Créateur s'il leur arrive, parfois, d'oser une réprimande pour se faire un manteau de ce (59) lambeau de justice, ce n'est pas aux grands qu'ils s'adressent, quoique leurs vices soient souvent plus criants. Ils craindraient trop de compromettre leur situation ou leur vie! Ils reprendront les petits, qui ne peuvent rien contre eux, ni contre leur état. Mais, tout cela, n'est-ce pas commettre l'injustice, par un misérable amour-propre de soi-même?
L'amour-propre a empoisonné le monde et le corps mystique de la sainte Eglise; il a couvert de plantes sauvages et de fleurs fétides le jardin de l'Epouse. Ce jardin fut bien planté au temps où il était cultivé par de vrais jardiniers, mes ministres saints: il était tout orné de fleurs embaumées. Les chrétiens ne menaient pas une vie criminelle sous la conduite de ces bons pasteurs; elle était honnête, vertueuse et sainte.
Il n'en est plus ainsi, aujourd'hui. Les sujets sont mauvais, parce que mauvais sont les pasteurs. Cette malheureuse Epouse est environnée d'épines de toutes sortes, par tous les péchés qui se commettent. Non, en vérité qu'elle puisse être elle-même atteinte par la corruption du péché, et que la vertu des Sacrements puisse en subir aucun amoindrissement, mais ce sont ceux qui se nourrissent au sein de l'Epouse, qui reçoivent la corruption dans leur âme, en y perdant la dignité à laquelle je les avais élevés. En réalité, ce n'est pas cette dignité qui subit en elle-même une déchéance, mais ils la font mépriser en eux. Leurs crimes avilissent ainsi le Sang, car les séculiers n'ont plus pour eux le respect qu'ils leur doivent à cause du Sang. Ils n'y sont pas (60) moins tenus toujours, et s'ils y manquent à cause des fautes des pasteurs, leur péché à eux n'en est pas moins grand. Cependant, ces malheureux sont des miroirs, d'iniquité, alors que je les avais choisis pour être des miroirs de vertu (61).
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De maints autres vices de ces mauvais prêtres; en particulier de la fréquentation des cabarets, du jeu, et du concubinage.
Quelle est donc la source de tant de corruption dans leur âme? - Leur sensualité.
Leur amour-propre a fait de leur sensualité, une reine, à laquelle ils ont assujetti la pauvre âme, comme une esclave. Je les avais fait libres, cependant, par le sang de mon Fils, lors de l'affranchissement général, quand toute la race humaine fut soustraite à la domination du démon, qui la tenait en esclavage. A cette grâce, participe toute créature, raisonnable, mais, spécialement, mes oints, que j'ai délivrés, eux, de la servitude du monde, pour les attacher à mon service à Moi, le Dieu éternel, et les charger d'administrer les Sacrements de la sainte Eglise. J'ai eu tant de souci de leur liberté, que je n'ai pas voulu, ni ne veux encore, qu'aucun prince temporel se constitue leur juge.
Sais-tu, fille bien-aimée, comment ils me remercient d'un si grand bienfait? Leur remerciement consiste à m'outrager sans cesse, par tant de crimes de toutes sortes, que la langue ne les pourrait raconter et que tu n'aurais pas la force de les entendre (62). Je veux cependant t'en dire quelque chose, outre ce que je t'ai déjà conté, pour te fournir un sujet de compassion et de larmes.
Ils doivent demeurer à la table de la très sainte Croix, par le saint désir, et s'y nourrir des âmes, pour mon honneur à Moi. Toute créature raisonnable le doit faire, et combien plus, ceux que j'ai élus, pour vous distribuer le corps et le sang du Christ crucifié, mon Fils unique, pour vous donner l'exemple d'une bonne et sainte vie par leurs travaux, et pour faire leur nourriture de vos âmes, par un grand et saint désir de votre salut, à l'exemple de ma Vérité. Mais, leur table à eux, elle est dans les tavernes. C'est là qu'on les trouve, jurant et parjurant, étalant publiquement leurs misères et leurs vices. Ils sont comme des insensés, des hommes sans raison. Leurs vices ont fait d'eux des animaux. Chez eux, actions, gestes, paroles, tout est lascif, et c'est là qu'ils se complaisent.
L'office, ils ne savent plus guère ce que c'est, et si parfois ils le récitent, c'est des lèvres seulement, leur coeur est loin de moi. Ils se conduisent, comme des libertins et des fripons. Comme ils ont joué leur âme qu'ils ont engagée au démon, ils jouent maintenant les richesses de l'Eglise et ses biens temporels, dissipant ainsi ce qu'ils ont recu par la vertu du Sang. En conséquence, les pauvres n'ont plus la part qui leur est due, et l'Eglise est dépouillée, elle n'a plus même les objets nécessaires au culte. Ils sont devenus les temples du démon, comment s'étonner qu'ils n'aient plus soin de mon (63) temple. Ces ornements dont ils devraient enrichir le temple et l'Eglise pour honorer le Sang, c'est maintenant aux maisons qu'ils habitent qu'ils les réservent.
Et bien pis encore! Jouant à l'époux qui orne sa propre épouse, ces démons incarnés parent des dépouilles de l'Eglise la complice diabolique de leur injustice et de leur impudicité. Sans la moindre honte, ils la feront assister à l'office, pendant qu'ils célèbrent à l'autel, sans trouver mauvais que cette malheureuse, tenant ses enfants par la main, se présente à l'offrande avec le peuple!
O démons, plus démons que les démons! Si du moins vous aviez quelque souci de ne pas afficher ainsi vos iniquités, aux yeux de ceux dont vous avez la charge! En les commettant dans le secret, vous m'offenseriez encore, Moi, et vous vous perdriez vous-mêmes; mais du moins, vous n'entraîneriez pas les autres dans votre ruine, par l'étalage de votre vie criminelle. Vos exemples leur sont un motif, non seulement de ne point sortir de leurs péchés, mais encore d en commettre de semblables, ou de plus graves encore. Est-ce là, la pureté que j'exige de mon ministre, quand il monte à l'autel? Le matin, l'âme souillée dans un corps corrompu, il se lève de la couche, où il gisait dans le péché mortel, dans le péché immonde, et il s'en va célébrer. Et c'est là, la pureté? O tabernacle du démon! Où sont les veilles de la nuit, dans la solennité pieuse de l'office divin? Où, la prière assidue et fervente? N'est-ce pas ainsi, que pendant les heures de la nuit, tu devais (65) te préparer au ministère que tu avais à célébrer le matin, en apprenant à te connaître toi-même, et à te juger, par cette connaissance même, indigne d'une si haute fonction; en apprenant à me connaître aussi, Moi qui, par ma Bonté, t'ai élevé à cette dignité, sans aucun mérite de ta part, et t'ai fait mon ministre, pour le service de mes autres créatures (65)!
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Comment ces ministres se rendent coupables d'un très grand péché. Et d'une belle vision qu'eut cette âme à ce sujet.
Je te fais à savoir, ma très chère fille, que j'exige de vous et de mes prêtres, dans la réception de ce Sacrement, toute la pureté dont l'homme est capable en cette vie.
Autant qu'il est en vous, vous devez donc faire tous vos efforts, pour l'acquérir sans cesse. Vous devez penser que, si la nature angélique était susceptible de devenir plus pure encore, les anges eux-mêmes devraient se purifier pour un pareil mystère. Mais, ce n'est pas possible les anges n'ont pas besoin d'être purifiés, puisque le venin du péché ne les peut atteindre. Je veux seulement par là te faire entendre, quelle pureté je réclame de vous et de mes ministres, particulièrement de mes ministres, dans ce Sacrement.
Les malheureux! c'est tout le contraire qu'ils font! C'est tout souillés qu'ils s'approchent de ce mystère, et, non seulement, de l'impureté à laquelle vous êtes inclinés par la pente même de votre fragile nature, - quoique la raison, quand le libre arbitre le veut, puisse réprimer cette révolte, - mais (66) encore, loin de surmonter cet entraînement, ils font pire encore et commettent le péché maudit.
Ils sont comme des aveugles, comme des fous! La lumière de leur intelligence s'est obscurcie, et ils ne voient plus la corruption et la misère dans laquelle ils sont plongés. Péché si horrible pourtant, et qui me déplaît tant, à Moi, la souveraine et éternelle Vérité, que, pour ce seul péché, j'ai englouti cinq villes, après sentence de ma divine justice, qui ne les pouvait plus supporter! Voilà l'horreur et le dégoût que ce péché me cause, et non seulement à moi, mais aux démons eux-mêmes, que ces malheureux ont choisis pour maîtres.
Ce n'est pas le mal qui leur déplaît aux démons ils ne peuvent aimer aucun bien, mais leur nature, qui fut celle des anges, répugne à voir commettre cet énorme péché, extérieurement. Ils lancent bien la flèche empoisonnée de la concupiscence, mais ils ne supportent pas la vue de l'acte extérieur ils s'enfuient, pour la raison que j'ai dite.
Avant la peste, je te montrai, s'il t'en souvient, combien j'avais ce pêché en horreur, et à quel point il avait infecté le monde. T'élevant alors au-dessus de toi-même, par un saint désir et l'élan de ton esprit, je fis passer sous tes yeux, le monde entier avectoutes les nations qui le composent, et tu pus voir cet abominable péché, et les démons qui s'enfuyaient à ce spectacle, comme je te l'ai dit. Si grande fut ta douleur, tu le sais, et si insupportable l'infection que tu éprouvais dans ton. esprit, qu'il te semblait mourir, et tu ne voyais pas un seul lieu (67) où tu pus te retirer, avec mes autres serviteurs, pour échapper à cette lèpre. Petits et grands, jeunes et vieux, religieux et clercs, prélats et sujets, maîtres et serviteurs, tous, esprit et corps, étaient souillés de cette malédiction.
C'est une vue générale de l'état du monde que je te donnais, sans mettre sous tes yeux les exceptions particulières, ceux que la contagion n'a pas touchés. Car au sein des méchants il est quelques âmes préservées qui sont miennes, dont les oeuvres de justice retiennent ma justice et l'empêchent de commander aux pierres de lapider les coupables, à la terre de les engloutir, aux animaux de les dévorer, aux démons de les emporter, âme et corps.
Je trouve même le moyen de leur faire miséricorde, en les amenant à changer de vie. J'emploie mes serviteurs, ceux qui se sont gardés de la lèpre et conservés sains, à me prier pour eux. Parfois, donc, à ces préservés je découvre ces péchés abominables, pour enflammer leur zèle à désirer le salut des pécheurs, à m'invoquer avec une plus grande compassion, avec une plus vive douleur des fautes du prochain et de l'offense qui m'est faite, et à me prier pour eux.
C'est ce que je fis pour toi-même, tu le sais bien. Si tu t'en souviens, lorsque je te fis sentir un simple souffle de cette infection, tu en éprouvas un tel malaise, que tu ne le pouvais endurer davantage. "O Père éternel, me disais-tu, ayez pitié de moi et de vos créatures! retirez mon âme de mon corps, car il me (68) semble que je n'en puis plus. Ou bien, donnez-moi quelque consolation, montrez-moi des lieux où nous puissions, moi et vos autres serviteurs, chercher un refuge, pour n'être pas atteints par cette lèpre, et conserver la pureté de nos âmes et de nos corps!"
J'abaissai sur toi un regard de tendresse et je te répondis: " Ma fille, votre refuge est de rendre honneur et gloire à mon nom, et de faire monter vers moi l'encens d'une continuelle prière pour ces infortunés plongés en une si grande misère qu'ils ont mérité par leurs péchés les rigueurs du jugement divin. Votre asile doit être le Christ crucifié, mon Fils unique. C'est dans la plaie de son côté que vous devez vous réfugier. Demeurez là, vous y goûterez par sentiment d'amour, en cette nature humaine, ma Nature divine. Dans ce coeur ouvert vous trouverez la charité, envers moi et envers le prochain. Car, c'est pour mon honneur à Moi, le Père éternel, et par obéissance au commandement que je lui donnai pour votre salut, qu'il courût à la mort ignominieuse de la très sainte Croix. En contemplant cet amour, en le goûtant, vous suivrez sa doctrine, vous vous nourrirez à la table de la Croix, en supportant par charité, avec une véritable patience, votre prochain, et aussi les peines, les tourments, les fatigues, de quelque côté qu'elles vous arrivent. C'est ainsi que vous acquerrez des mérites et que vous éviterez la lèpre...
Tel est le moyen que je t'indiquai, et que je te suggère encore, à toi et à mes autres serviteurs.
Cependant ton âme était toujours absorbée par (69) le sentiment de cette infection, et le regard de ton intelligence, perdu dans ces ténèbres. C'est alors, que ma Providence vint à ton secours. Comme tu communiais au corps et au sang de mon Fils, Dieu tout entier, homme tout entier, dans le saint Sacrement de l'autel, en signe de la vérité des paroles que je t'avais dites, l'infection fut soudain dissipée par le parfum qui se fit sentir dans ce Sacrement, et les ténèbres chassées tout à coup, par la lumière qui venait de lui. Par une faveur spéciale de ma Bonté, tu conservas dans ta bouche, d'une façon sensible et corporelle, le parfum et le goût de ce Sang, plusieurs jours durant.
Tu vois donc, ma très chère fille, combien ce péché m'est odieux en toute créature. Songe combien plus il me doit déplaire, en ceux que j'ai appelés à vivre, dans l'état de continence. Parmi ces continents, il en est que j'ai retirés du monde par la vie religieuse, d'autres par leur incorporation au corps mystique de la sainte Eglise, et parmi ceux-ci sont mes ministres. Vous ne sauriez comprendre, à quel point ce péché me déplaît en eux. Il m'offense beaucoup plus, qu'en ceux qui vivent dans le monde, ou même qui sont, à un autre titre, voués à la continence.
C'est qu'ils sont mes ministres! Je les avais placés comme des lampes sur le chandelier, pour me distribuer à tous, Moi le vrai Soleil, par la lumière de la vertu, par l'exemple d'une vie honnête et sainte, et c'est à travers les ténèbres, qu'ils me répandent sur les âmes. Ces ténèbres ont tellement (70) obscurci leur intelligence, qu'ils n'entendent plus la sainte Ecriture. L'Ecriture cependant est en soi lumineuse, puisque c'est de Moi, la vraie Lumière, que l'ont reçue mes élus, par l'illumination surnaturelle de leur esprit. Mais, eux, ne l'entendent pas. Enflés d'orgueil et possédés par le démon, ils ne voient et ne comprennent que l'écorce, sans y trouver aucune saveur. Leur goût, le goût de l'âme, n'est pas sain; il est perverti et corrompu par l'amour-propre. Leur estomac, l'intérieur de l'âme, est tout rempli de pensées d'orgueil et de désirs impurs, d'instincts de cupidité et d'avarice. Tous ces désirs demandent à se satisfaire, dans les jouissances désordonnées; et, sans honte aucune, publiquement, ils commettent leurs péchés, ils exercent l'usure que j'ai défendue pourtant, et qui expose ceux qui s'y livrent à de si grands châtiments (71).
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Comment ces fautes des ministres sont cause qu'ils ne corrigent pas leurs sujets. Des vices des Religieux. Des maux nombreux qui découlent de cette absence de correction.
Comment ces ministres, couverts de tant de crimes, pourraient-ils exercer la justice, corriger et reprendre les fautes de leurs sujets? C'est impossible: leurs propres péchés leur enlèvent le courage et le zèle de la sainte justice. Veulent-ils réprimer, parfois? Ils s'attirent, de leurs sujets criminels, cette réplique: "Médecin, guéris-toi, toi-même! Tu viendras ensuite m'offrir tes remèdes, et je prendrai la médecine que tu me donneras! Il est en plus grand péché que moi, et ne voilà-t-il pas qu'il me fait honte du mien!"
Mal en prend, en effet, à celui dont la réprimande est toute en paroles, sans être accompagnée d'une vie bonne et réglée. Certes, bon ou mauvais, le supérieur a toujours le devoir de reprendre le vice qu'il découvre en ceux qui lui sont soumis; mais de ce devoir il s'acquitte mal, s'il ne se corrige surtout, par l'exemple d'une vie honnête et sainte. Et plus coupable encore, celui qui ne reçoit pas humblement la correction, et ne réforme pas sa vie criminelle (72), que la réprimande lui vienne d'un bon ou d'un mauvais pasteur. C'est à lui-même qu'il fait mal et non aux autres, et c'est lui-même qui recevra le châtiment de ses propres péchés.
Tous ces maux, ma très chère fille, proviennent de l'absence de correction, par une bonne et sainte vie. Pourquoi donc les pasteurs ne redressent-ils pas leurs sujets? Parce qu'ils sont aveuglés par l'amour d'eux-mêmes, cet amour-propre qui est le principe de toutes leurs iniquités. Sujets, pasteurs, clercs, religieux n'ont plus qu'un souci, leur plaisir; et leur seule préoccupation est de trouver le moyen de satisfaire leurs désirs déréglés.
Hélas! ma douce fille, où est-elle l'obéissance des religieux? Établis dans la sainte religion comme des anges, ils sont pires que des démons. Ils avaient pour fonction d'annoncer ma parole, suivant la doctrine de Vérité, et ils ne font qu'un vain bruit de mots, sans produire aucun fruit dans le coeur des auditeurs. Leurs prédications sont faites, pour plaire aux hommes ct charmer leurs oreilles, beaucoup plus que pour l'honneur de Moi. Aussi s'appliquent-ils, lion à vivre saintement, mais à polir leurs phrases. Ce n'est pas ceux-là, vraiment qui sèment mon grain, le bon grain de ma Vérité, parce qu'ils ne se préoccupent pas de détruire les vices et de faire éclore les vertus. Ils n'ont point arraché les épines de leur propre jardin, comment s'emploieraient-ils à les faire disparaître de celui de leur prochain!
Leurs délices sont de parer leurs corps, d'orner (73) leurs cellules, et d'aller bavarder par la ville. Il leur advient, ce qui arrive aux poissons, qui meurent, quand ils sont hors de l'eau. En demeurant en dehors de leur cellule, ils trônent la mort eux aussi, dans une vie vaine et désordonnée. Ils quittent cette cellule dont ils devaient faire un ciel, et s'en vont par les rues visitant les maisons de leurs parents ou d'autres séculiers, au gré de leurs caprices, et avec l'agrément de leurs prélats, qui leur laissent la bride longue au lieu de les attacher de court. Ces misérables pasteurs s'inquiètent si peu de voir ainsi leurs sujets, leurs frères, aux mains du démon, que Souvent ils les lui livrent eux-mêmes.
Oui parfois, sachant bien que ceux-ci sont de vrais démons incarnés, ils les enverront dans des monastères, pour les mettre en relation avec des religieuses, qui sont, elles aussi, de vraies diablesses incarnées. Là ils se corrompent réciproquement par leurs ruses et leurs manèges subtils. Au début le démon les encourage sous couleur de piété. Mais comme leur vie est misérable et lascive, ils ne se tiennent pas longtemps à ces faux dehors, et leur feinte dévotion ne tarde pas à montrer ses fruits. Ce sont tout d'abord des fleurs fétides, les pensées impures et honteuses; accompagnées de feuilles qui sont les paroles déshonnêtes et les jeux misérables, qui les amènent à l'accomplissement criminel de leur désir. Les fruits qu'ils produisent ainsi, tu les connais bien, tu les as vus, ce sont leurs enfants. Maintes fois, ils en arrivent à quitter, l'un et l'autre, la sainte religion: lui, désormais (74), fait un libertin, elle, une pécheresse publique.
De tous ces maux et de beaucoup d'autres sont cause les prélats, qui n'ont pas l'oeil sur leurs sujets. Ils leur laissent toute liberté, ils les envoient eux-mêmes, ils font semblant de ne pas voir leurs misères, et le dégoût qu'ils ont pour la cellule. Ainsi, par la faute de l'un et de l'autre, ce religieux a trouvé la mort. La langue ne saurait raconter tant d'iniquités, et tous les moyens criminels par lesquels ils m'offensent. Ils sont devenus les armes du démon, et leur corruption répand son poison au dedans et au dehors: au dehors, chez les séculiers, au dedans parmi les religieux eux-mêmes.
Ils ont perdu la charité fraternelle, chacun veut être supérieur, chacun rêve de posséder, et tous vont ainsi contre la règle et contre le voeu qu'ils ont fait. Ils ont promis d'observer les constitutions de l'Ordre et ils les violent. Encore ne se contentent-ils pas de les transgresser eux-mêmes; ils s'acharnent, comme des loups, sur les agneaux qui voudraient observer la règle, et les poursuivent de leurs sarcasmes et de leurs railleries. Ils s'imaginent, les malheureux, que par les persécutions, par les dédains, par les moqueries dont ils accablent les bons religieux, fidèles à leur règle, ils masqueront leurs propres désordres; mais ils ne réussissent qu'à les découvrir davantage.
Voilà le mal qui a envahi les jardins des religions saintes. Saintes en effet, elles le sont en ellesmêmes, parce qu'elles ont été établies et fondées par l'Esprit-Saint. Aussi l'Ordre, en soi, ne peut-il (75) être gâté ni corrompu par la faute des inférieurs ou des supérieurs. Celui qui vent entrer dans un Ordre, ne doit pas considérer les mauvais sujets qu'il renferme il doit s'appuyer sur le bras de l'Ordre qui est fort qui ne peut faiblir, et lui demeurer fidèle jusqu'à la mort.
Je te disais que les jardins des saintes Religions étaient désolés par la faute des mauvais prélats et des mauvais religieux, qui n'observent pas pleinement la constitution de leur Ordre, qui en transgressent les lois, qui en violent les usages, qui n'en accomplissent plus les cérémonies, ou ne pratiquent de la règle, en public, que ce qui est nécessaire, pour conserver la faveur des gens du monde, et faire un manteau à leurs propres vices. Ainsi, par exemple, leur premier voeu, qui est l'obéissance aux constitutions, il est bien évident qu'ils ne l'observent pas; mais je te parlerai ailleurs de l'obéissance. Ils font voeu également de garder la pauvreté volontaire et d'être chastes. Ces voeux, comment les observent-ils?
Vois les propriétés, et tout l'argent qu'ils possèdent, à titre personnel, contrairement à la charité commune qui leur fait un devoir de partager avec leurs frères tous les biens temporels et spirituels, ainsi que le demande la loi de leur Ordre. Mais ils ne veulent engraisser qu'eux seuls et leurs bêtes, et ainsi une bête on nourrit une autre. A côté, un frère pauvre meurt de froid et de faim. Mais ce religieux, lui, est chaudement vêtu, il fait bonne chère; il n'a cure de ce frère besogneux, se gardera bien de (76) se rencontrer avec lui, à la pauvre table du réfectoire. Son plaisir est de demeurer là où il peut, tout à l'aise, s'emplir de viande, et satisfaire sa gourmandise.
Impossible à un pareil religieux, d'observer le troisième voeu de la continence. Un estomac bien rempli ne fait pas l'âme chaste! Il devient lascif, il éprouve des mouvements désordonnés, et, ainsi, un mal en amène un autre. Leur richesse personnelle est aussi, pour ces religieux, une occasion de beaucoup de chutes. S'ils n'avaient pas de quoi suffire à leur dépense, ils ne vivraient pas ainsi dans le désordre, ils n'entretiendraient pas ces amitiés suspectes. Quand on n'a plus rien à donner, c'en est tôt fait de l'affection ou de l'amitié qui ne sont pas fondées sur la parfaite charité, mais uniquement sur l'amour du don, ou sur le plaisir que l'on peut tirer l'un de l'autre.
Oh! les malheureux! en quelle misère ils sont tombés, par leur faute; et à quelle dignité, pourtant, ne les avais-je pas élevés! Le choeur, ils le fuient comme la peste, et si, par hasard, ils y assistent, ils n'y mêlent que leur voix, leur coeur est loin de moi. A la table de l'autel, ils ont pris l'habitude d'aller sans préparation aucune, comme ils iraient à une table ordinaire.
Tous ces maux, et bien d'autres que je veux te taire, pour ne pas souiller tes oreilles, viennent de la négligence des mauvais pasteurs, qui ne corrigent pas, qui ne punissent pas les manquements de leurs sujets. Ils ne se soucient pas de la règle, ils n'ont (77) aucun zèle pour son observance, parce qu'ils ne l'observent pas eux-mêmes. Ils réserveront tous les fardeaux des obédiences difficiles et en imposeront le joug à ceux qui veulent être fidèles à la constitution et les puniront, au besoin, des fautes qu'ils n'auront pas commises! S'ils en agissent ainsi, c'est que ne brille pas, en eux, la perle de la justice, mais celle de l'iniquité. C'est l'iniquité qui leur fait réserver leurs rigueurs et leur haine à ceux qui sont dignes de leur bienveillance et de leur faveur, et accorder à ceux qui comme eux sont les membres du démon, leur affection, leurs bonnes grâces, et une situation, en leur confiant les charges de l'Ordre. Ils vivent comme des aveugles, et c'est comme des aveugles aussi, qu'ils gouvernent leurs sujets et distribuent les fonctions de l'Ordre. S'ils ne se corrigent pas, leur aveuglement les conduira aux ténèbres, à la damnation éternelle, et ils auront à me rendre compte, à Moi, le souverain juge, des âmes de leurs sujets. Ils ne pourront m'en rendre un bon compte. Aussi recevront-ils de Moi, le juste châtiment qu'ils ont mérité.
Catherine de Sienne, Dialogue 120