Catena Aurea 13333

vv. 33-35

13333 Jn 13,33-35

S. Aug. (Traité 64 sur S. Jean). Ce que Notre-Seigneur venait de dire: «Et bientôt il le glorifiera», pouvait laisser croire aux disciples qu'après que Dieu l'aurait glorifié, il cesserait de leur être uni et de vivre avec eux sur la terre, c'est pour cela qu'il ajoute: «Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps»; c'est-à-dire, je serai immédiatement glorifié par ma résurrection, mais je ne remonterai pas aussitôt dans les deux, car comme il est écrit dans les Actes des Apôtres: «Il demeura quarante, jours avec eux après sa résurrection» (Ac 1), et c'est à ces quarante jours qu'il fait allusion, lorsqu'il dit: «Je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps».

Orig. (Traité 32 sur S. Jean). Ce nom de petits enfants qu'il leur donne, prouve que leur âme, était encore soumise aux faiblesses de l'enfance, mais ceux qu'il appelle maintenant des petits enfants deviennent ses frères après sa résurrection, de même qu'ils avaient été des serviteurs avant de devenir des petits enfants. - S. Aug. On peut entendre ces paro les dans ce sens: Je suis encore comme vous dans l'infirmité de la chair, c'est-à-dire, jusqu'au temps de ma mort et de ma résurrection. Après sa résurrection, il fut encore présent au milieu d'eux d'une présence corporelle, mais il cessa de partager les faiblesses de la nature humaine. Nous voyons, en effet, dans un autre évangéliste, qu'il tient ce langage à ses Apôtres: «C'est là ce que je vous ai dit, étant encore avec vous» (Lc 24), c'est-à-dire, alors que j'étais dans cette chair mortelle qui nous est commune. Après sa résurrection, il était encore avec eux dans la même chair, mais il n'était plus comme eux soumis aux conditions de la mortalité. Il est encore une autre présence divine inaccessible aux sens, et dont le Sauveur veut parler quand il dit: «Voici que, je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles» (Mt 28). Il ne dit pas ici: «Je ne suis avec vous que pour un peu de temps», car le temps qui doit s'écouler jusqu'à la consommation des siècles n'est pas de courte durée, ou s'il est de courte durée, parce que mille ans sont aux yeux de Dieu comme un seul jour (Ps 89), ce n'est pas cependant cette vérité que le Sauveur a voulu exprimer, puisqu'il ajoute: «Vous me chercherez, et comme j'ai dit aux Juifs: Où je vais vous ne pouvez venir». Est-ce qu'à la fin du monde il y aurait encore impossibilité d'aller où il allait lui-même, pour ceux à qui il devait bientôt dire: «Mon Père, je veux que là où je suis, ils soient eux-mêmes avec moi» (Jn 18).

Orig. Dans leur sens le plus simple, ces paroles n'offrent aucune difficulté, parce qu'en effet, le Sauveur ne devait pas rester longtemps avec ses disciples; mais si l'on veut leur donner une signification plus profonde et plus cachée, ou se demande s'il n'a pas cessé d'être avec eux après un peu de temps, non parce qu'il n'était plus présent corporellement au milieu d'eux, mais parce que peu de temps après s'accomplit cette prédiction qu'il avait faite: «Je vous serai un sujet de scandale cette nuit». Ainsi il n'était plus avec eux, parce qu'il ne reste qu'avec ceux qui en sont dignes. Mais bien qu'il ne fût pas avec eux, ils savaient cependant chercher Jésus, comme Pierre, qui en répandant tant de larmes, après avoir renié son divin Maître, cherchait évidemment Jésus. C'est pourquoi Notre-Seigneur ajoute: «Vous me chercherez, et comme j'ai dit aux Juifs: Où je vais, vous ne pouvez venir». Chercher Jésus, c'est chercher le Verbe, la sagesse, la justice, la vérité, la puissance divine, toutes choses qui se trouvent dans le Christ. Ils voulaient donc suivre Jésus, non pas corporellement, comme quelques ignorants le prétendent, mais dans le sens spirituel dont parle le Sauveur, quand il dit: «Celui qui ne porte point sa croix et ne me suit pas, ne peut être mon disciple» (Lc 14, 27). Et Jésus leur dit: «Là où je vais, vous ne pouvez venir»; lors même qu'ils eussent voulu suivre le Verbe et le confesser publiquement, ils n'avaient pas la force nécessaire, car l'Esprit saint n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié.

S. Aug. Ou bien, Notre-Seigneur leur parle de la sorte, parce qu'ils n'étaient pas encore capables de le suivre jusqu'à la mort pour la justice; car comment auraient-ils pu le suivre, n'étant pas encore mûrs pour la justice? Ou comment auraient-ils pu suivre le Seigneur jusqu'à l'immortalité de sa chair, eux qui ne devaient ressusciter qu'à la fin des siècles, quelle que fût l'époque de leur mort? Ou bien encore, comment auraient-ils pu suivre le Seigneur jusque dans le sein du Père, alors que la charité parfaite pouvait seule leur donner l'entrée de cette suprême félicité? Lorsque Jésus s'adressait aux Juifs, il n'ajoutait point: «Maintenant», car si ces disciples ne pouvaient le suivre actuellement, ils devaient le suivre plus tard, et c'est pour cela que le Sauveur ajoute: «Je vous le dis aussi maintenant». - Orig. Et je vous le dis, mais prenant soin de spécifier le temps par cette expression: «Maintenant», car pour les Juifs qu'il prévoyait devoir mourir dans leurs crimes, ils ne pouvaient suivre bientôt Jésus où il allait, tandis que les disciples, dans un temps fort court, devaient suivre le Verbe.

S. Chrys. Il appelle ses disciples: «Mes petits enfants», afin qu'ils ne s'appliquent point ces paroles qui semblaient les ranger avec les Juifs: «Ainsi que je l'ai dit aux Juifs», et il leur donne ce nom pour rendre plus vif l'amour qu'ils avaient pour lui. En effet, c'est lorsque nous voyons une personne qui nous est chère sur le point de nous quitter, que nous sentons no tre affection pour elle redoubler, surtout lorsque nous la voyons partir pour des lieux où il nous est impossible de la suivre. Il nous apprend en même temps que sa mort n'est qu'un déplacement, une translation heureuse dans un lieu où les corps mortels ne peuvent avoir d'accès.

S. Aug. Notre-Seigneur leur enseigne du reste la voie qu'ils devront suivre pour arriver là où il les précédait: «Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les autres». (Traité 65) Mais est-ce que ce commandement n'existait pas déjà dans l'ancienne loi, qui avait Dieu pour auteur, et où il est écrit: «Vous aimerez votre prochain comme vous-même ?» Pourquoi donc Notre-Seigneur l'appelle-t-il un commandement nouveau? Est-ce qu'il nous a dépouillé du vieil homme pour nous revêtir du nouveau? Celui, en effet, qui reçoit ce précepte, ou plutôt qui lui est fidèle, se trouve renouvelé, non point par toute espèce d'amour, mais par cet amour que le Sauveur distingue avec soin de l'affection purement naturelle, en ajoutant: «Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres». Ne vous aimez pas comme s'aiment les hommes qui ne cherchent qu'à corrompre, ni comme ceux qui s'aiment, parce qu'ils ont une même nature, mais aimez-vous comme ceux qui s'aiment mutu ellement, parce qu'ils sont dieux, et les fils du Très-Haut, pour devenir ainsi les frères du Fils unique de Dieu, en s'aimant mutuellement de cet amour qu'il a eu pour eux et qui le porte à les conduire à cette fin bienheureuse où il rassasiera leurs désirs dans l'abondance de tous les biens. - S. Chrys. Ou bien encore ces paroles: «Comme je vous ai aimés», signifient que l'amour que j'ai eu pour vous, n'a pas été fondé sur vos mérites antérieurs, c'est moi qui vous ai prévenus, ainsi devez-vous faire le bien, sans y être forcés par aucune obligation de reconnaissance.

S. Aug. Ne croyez pas que le Sauveur ait oublié ici le commandement qui nous oblige d'aimer le Seigneur notre Dieu; car, pour qui l'entend bien, chacun de ces deux commandements se retrouve dans l'autre. En effet, celui qui aime Dieu ne peut pas mépriser Dieu, qui lui recommande d'aimer le prochain; et celui qui aime le prochain d'un amour surnaturel et spirituel, qu'aime-t-il en lui, si ce n'est Dieu? C'est cet amour que Notre-Seigneur veut séparer de toute affection terrestre, lorsqu'il ajoute: «Comme je vous ai aimés». Qu'a-t-il aimé en nous, en effet, si ce n'est Dieu? Non pas Dieu que nous possédons, mais Dieu, qu'il désirait voir en nous. Aimons-nous donc ainsi les uns les autres, afin qu'autant que nous le pourrons, nous soyons attirés à la possession de Dieu seul par la force de cet amour mutuel.

S. Chrys. Notre-Seigneur laisse de côté les miracles que ses disciples devaient opérer, et veut qu'on ne les reconnaisse qu'à cet amour seul qu'ils auront les uns pour les autres: «C'est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez, de l'amour les uns pour les autres». C'est à ce signe qu'on reconnaît la véritable sainteté, comme c'est à ce signe que le Sauveur reconnaît ses disciples. - S. Aug. Ne semble-t-il pas dire: Ceux qui ne sont pas mis disciples partagent avec vous d'autres grâces, d'autres faveurs; non-seulement ils ont une même nature, une même vie, une même intelligence, une même raison, et cet ensemble de biens qui sont communs aux hommes et aux animaux, mais encore le don des langues, le pouvoir d'administrer les sacrements, le don de prophétie, la science, la foi, la distribution de leurs biens aux pauvres, le sacrifice de leur corps au milieu des flammes; mais parce qu'ils n'ont point la charité, ce sont des tymbales retentissantes, ils ne sont rien, et tous ces dons ne leur servent de rien ?


vv. 36-38

13336 Jn 13,36-38

S. Chrys. (hom. 73 sur S. Jean). L'amour est quelque chose de grand, il est plus fort que le feu, et nul obstacle ne peut arrêter son élan. Aussi Pierre, sous l'impression de cet ardent amour, entendant le Sauveur lui dire: «Là où je vais, vous ne pouvez venir maintenant», lui fait cette question: «Seigneur, où allez-vous ?» - S. Aug. (Traité 66 sur S. Jean). C'est ainsi que le disciple parle à son Maître, disposé qu'il est à le suivre; c'est pourquoi le Seigneur, qui voit le fond de son âme, lui fait cette réponse: «Là où je vais, vous ne pouvez maintenant me suivre». Il retarde l'accomplissement de son désir, mais ne lui enlève pas toute espérance; au contraire il l'affermit, en lui disant: a Vous me suivrez un jour». Pourquoi donc cet empressement, Pierre? Celui qui est la pierre ne vous a pas encore donné l'appui inébranlable de son esprit; n'ayez donc point cette présomption orgueilleuse. «Vous ne le pouvez pas maintenant». Ne vous laissez point abattre par le désespoir: «Vous me suivrez plus tard».

S. Chrys. Malgré cette réponse, Pierre ne peut contenir la vivacité de son désir; il se laisse emporter à la douce espérance qui vient de lui être donnée, et comme il ne craint plus maintenant de trahir son Maître, il l'interroge avec sécurité au milieu du silence que gardent les autres apôtres. «Pierre lui dit: Pourquoi ne puis-je pas vous suivre à présent? Je donnerai ma vie pour vous». Que dites-vous, Pierre? Je viens de vous déclarer que vous ne pouvez pas, et vous insistez, en disant: Je le puis. Vous apprendrez donc par votre expérience que votre amour n'est rien sans la présence d'un secours surnaturel qui le dépouille de sa faiblesse. «Jésus lui répondit: Vous donnerez votre vie pour moi ?» - Bède. Cette proposition peut s'entendre de deux manières: premièrement, d'une manière affirmative, en ce sens: Vous donnerez votre vie pour moi, mais actuellement la crainte de la mort du corps vous fera tomber dans la mort de l'âme; secondement, dans un sens ironique - S. Aug. C'est-à-dire, vous ferez pour moi ce que je n'ai pas encore fait pour vous? Vous pouvez me precéder, vous qui n'êtes pas capable de me suivre? Pourquoi tant de présomption? Apprenez donc ce que vous êtes: «En vérité, en vérité, je vous le dis, le coq ne chantera pas que vous ne m'ayez renié trois fois», vous qui promettez de mourir pour moi? vous renierez trois fois celui qui est votre vie. Pierre voyait bien l'étendue du désir de son âme, mais il ne voyait pas sa faiblesse, malade qu'il était, il vantait bien haut l'ardeur de sa volonté, mais le Médecin connaissait son infirmité. Peut-on admett re, avec, quelques-uns qui, par une condescendance coupable, veulent excuser Pierre, que cet apôtre n'a point précisément renié le Christ, parce qu'à la question que lui fit la servante, il répondit qu'il ne connaissait pas cet homme, comme les autres évangélistes le disent expressément? Comme si renier Jésus en tant qu'homme ne soit pas le renier comme Christ, et le renier dans ce qu'il a daigné se faire pour notre amour et pour nous sauver de la mort, nous ses créatures. Comment est-il devenu la tête de l'Eglise si ce n'est par son humanité? Comment donc peut-on faire partie du corps de Jésus-Christ, en reniant Jésus-Christ comme homme? Mais pourquoi nous arrêter davantage à cette difficulté? Notre-Seigneur ne dit point: Le coq ne chantera pas que vous n'ayez renié l'homme où le Fils de l'homme; mais: «Le coq ne chantera pas que vous ne m'ayez renié». Que veut dire ici l'expression moi, si ce n'est ce que Jésus-Christ était alors? donc tout ce que Pierre a renié dans le Christ, c'est Jésus-Christ lui-même qu'il a renié. En douter, ce serait un crime. Jésus-Christ l'a déclaré, il a prédit les deux choses; il est donc certain que Pierre a renié Jésus-Christ. N'allons pas accuser Jésus-Christ, en voulant défendre Pierre. Pierre a reconnu pleinement son péché, et l'abondance des larmes qu'il a versées a témoigné de la grandeur du crime qu'il a commis. Si nous parlons de la sorte, ce n'est point pour le plaisir d'accuser le chef des Apôtres, mais la considération de sa chute nous apprend combien l'homme doit se défier de ses propres forces. - Bède. Que chacun cependant profite de cet exemple. pour ne point se laisser aller au désespoir lorsqu'il tombe dans quelque faute, et qu'il y puise l'espérance assurée d'obtenir son pardon. - S. Chrys. Nous devons aussi conclure de là que le Seigneur permit la chute de Pierre. Il aurait pu, sans doute, la prévenir tout d'abord; mais comme cet apôtre persévérait dans ses protestations opiniâtres, le Sauveur ne le poussa point à le renier, mais il l'abandonna à ses propres forces, pour lui faire comprendre sa propre faiblesse, le préserver pour l'avenir d'une si déplorable chute, lorsqu'il serait chargé du gouvernement du monde entier, et lui donner la connaissance de lui-même par le souvenir de sa faiblesse.

S. Aug. Ce fut donc l'âme de Pierre qui souffrit la mort qu'il offrait de souffrir dans son corps, mais dans un sens différent de celui qu'il pensait; car avant la mort et la résurrection du Seigneur, il mourut par son renoncement, et ressuscita par ses larmes. - S. Aug. (De l'Acc. des Evang., 2, 2). Le renoncement dr Pierre, dont nous venons de parler, nous est raconté non-seulement par saint Jean, mais par les trois autres évangélistes, bien que tous ne le placent pas dans les mêmes circonstances; car saint Matthieu et saint Marc le rattachent au discours qui suivit la sortie du Sauveur de la maison où il avait mangé la pâque; tandis que saint Luc et saint Jean le placent avant qu'il en fût sorti: mais il nous est facile de comprendre ou que les deux premiers évangélistes en ont parlé par récapitulation, ou les deux derniers par anticipation. On serait peut-être plus fondé à admettre, en voyant les discours variés et les affirmations différentes du Seigneur, rapportées par les Évangélistes, que sous l'impressio n de ces paroles, Pierre a fait le serment téméraire de mourir pour son Maître ou avec son Maître, et qu'ainsi il a renouvelé trois fois cet engagement en divers endroits du discours du Sauveur, de même que Jésus lui a répondu, à trois reprises différentes, qu'il le renierait trois fois avant le chant du coq.


CHAPITRE XIV


vv. 1-4

13401 Jn 14,1-4

S. Aug. (Traité 67 sur S. Jean). Le Sauveur voulant prévenir la crainte tout humaine que sa mort pouvait produire dans l'âme de ses disciples et le trouble qui devait s'en suivre, cherche à les consoler, en leur déclarant qu'il est Dieu lui-même: «Et il dit à ses disciples: Que votre coeur ne se trouble point, vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi», c'est-à-dire, si vous croyez en Dieu, par une conséquence nécessaire, vous devez croire en moi, conséquence qui ne serait point légitime, si Jésus-Christ n'était pas Dieu. Vous craignez la mort pour la nature du serviteur, que votre coeur ne se trouble point, la nature divine la ressuscitera. - S. Chrys. (hom. 73 sur S. Jean). La f oi que vous aurez en moi et dans mon Père qui m'a engendré, est plus puissante que tous les événements qui peuvent arriver, et aucune difficulté ne peut prévaloir contre elle. Il prouve encore ici sa divinité en dévoilant les pensées les plus intimes de leur âme, et en leur disant: «Que votre coeur ne se trouble point». S. Aug. Comme la prédiction que Jésus avait faite à Pierre, toujours plein de confiance et d'ardeur, qu'il le renierait trois fois avant le chant du coq, avait aussi rempli de crainte les autres disciples, Notre-Seigneur les rassure en leur disant: «Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père». C'est ainsi qu'il calme le trouble et l'agitation de leur âme, en leur donnant l'espérance assurée, qu'après les périls et les épreuves de cette vie, ils seraient pour toujours réunis à Dieu avec Jésus-Christ. Que l'un soit supérieur à un autre en force, en sagesse, en justice, en sainteté, aucun ne sera exclu de cette maison, où chacun sera placé suivant son mérite. Tous recevront également le denier que le père de famille ordonne de donner à ceux qui ont travaillé à sa vigne (Mt 20). Ce denier est le symbole de la vie éternelle, qui n'a pour personne une durée plus longue, parce qu'il ne peut y avoir de durée plus ou moins grande dans l'éternité. Le grand nombre de demeures signifie donc les différents degrés de mérites qui existent dans cette seule et même vie éternelle. - S. Grég. (hom. 16 sur Ezech). Ou bien ce grand nombre de demeures s'accorde avec l'unité de denier, parce que bien que l'un goûte une félicité plus grande que l'autre, tous cependant éprouvent un même sentiment de joie dans la claire vue de leur Créateur. - S. Aug. Ainsi Dieu sera tout en tous, car comme Dieu est charité par l'effet de cette charité, ce qui est à chacun sera le partage de tous. C'est ainsi que chacun possède les choses qu'il n'a pas en réalité, mais qu'il aime dans un autre. La différence de gloire n'excitera donc aucune envie, parce que l'unité de la charité régnera dans tous les coeurs. - S. Grég. (Moral., dern. liv., chap. 14 ou 24). D'ailleurs les bienheureux n'éprouveront aucun désavantage de cette disparité de gloire, parce que chacun recevra la mesure suffisante pour combler ses désirs.

S. Aug. Il faut rejeter comme opposé à la foi chrétienne le sentiment de ceux qui prétendent que cette multiplicité de demeures signifie qu'il y aura en dehors du royaume des cieux un lieu destiné aux âmes innocentes qui seront sorties de cette vie sans avoir reçu le baptême, condition nécessaire pour entrer dans le royaume des cieux. Puisque toute la maison des enfants de Dieu, qui sont appelés à régner, ne peut être que dans le royaume, loin de nous la pensée qu'il y ait une partie de cette maison royale qui ne soit point dans le royaume, car le Seigneur n'a pas dit: Dans la béatitude éternelle, mais: «Dans la maison de mon Père il y a un grand nombre de demeures».

S. Chrys. On peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède. Le Seigneur avait dit à Pierre: «Là où je vais vous ne pouvez me suivre maintenant, mais vous me suivrez par la suite». Or, les disciples auraient pu regarder cette promesse comme faite exclusivement à Pierre, c'est pour cela qu'il leur dit ici: «Il y a un grand nombre de demeures dans la maison de mon Père», c'est-à-dire, le palais que je destine à Pierre vous est également destiné, car il y a dans ce palais un grand nombre de demeures, et il n'y a point à objecter qu'elles ont besoin d'être préparées, car il s'empresse d'ajouter: «S'il en était autrement, je vous l'aurais dit, je vais vous préparer une place». S. Aug. Ces paroles prouvent suffisamment qu'il leur parle de la sorte, parce qu'il y a dans le ciel un grand nombre de demeures, et qu'il n'est pas besoin d'en préparer quelqu'une. - S. Chrys. Comme il avait dit à Pierre: «Vous ne pouvez pas me suivre maintenant», et qu'ils pouvaient craindre d'être pour toujours séparés de lui, il ajoute: «Et lorsque je m'en serai allé, et vous aurai préparé une place, je reviendrai et vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous soyez aussi». Quoi de plus propre que ce langage pour leur inspirer une vive confiance en lui? - Théophyl. Ne semble-t-il pas leur dire, en effet: Que les demeures soient préparées ou ne le soient point, vous ne devez point vous troubler, car en supposant qu'elles ne soient point préparées, je vais moi-même vous les préparer avec toute la sollicitude possible ?

S. Aug. Mais comment Notre-Seigneur peut-il aller nous préparer une place, puisque d'après lui, il y a déjà un grand nombre de demeures? C'est qu'elles ne sont pas encore comme elles doivent être préparées, car les demeures qu'il a préparées par la prédestination, il les prépare encore par son action divine. Elles existent donc, déjà dans les décrets de sa prédestination, autrement il aurait dit: J'irai et je préparerai (c'est-à-dire je prédestinerai) une place; mais comme elles ne sont pas encore l'objet de l'action divine, il ajoute: «Et lorsque je m'en serai allé et que je vous aurai préparé une place». Or, il prépare maintenant ces demeures, en leur préparant ceux qui doivent les habiter. En effet, lorsque le Sauveur dit: «Il y a un grand nombre de demeures dans la maison de mon Père»; que devons-nous entendre par cette maison de Dieu, si ce n'est le temple de Dieu, temple dont l'Apôtre dit: «Le temple de Dieu est saint, et c'est vous qui êtes ce temple ?» (1 Co 3, 17). Or, cette maison est encore en voie de construction et de préparation. Mais pourquoi faut-il qu'il s'en aille pour cette préparation, puisque c'est lui-même qui nous prépare, ce qu'il ne peut faire, s'il le sépare de nous? Il veut nous enseigner par là, que pour préparer ces demeures, le juste doit vivre de la foi. Si vous jouissez de la claire vue, la foi n'est plus possible. Que le Seigneur s'en aille donc pour se dérober aux regards, qu'il se cache pour devenir l'objet de notre foi, car c'est la vie de la foi qui nous prépare la place. Que la foi nous fasse désirer le Sauveur, afin que les saints désirs nous en mettent en possession. D'ailleurs, si vous l'entendez bien, il ne quitte ni le lieu d'où il paraît s'éloigner, ni celui d'où il est venu jusqu'à nous. Il s'en va en se cachant à nos regards, il vient en manifestant sa présence. Mais s'il ne demeure avec nous pour nous diriger et nous faire avancer dans la voie de la sainteté, le lieu où nous demeurerons avec lui, en jouissant de sa présence, ne nous sera point préparé.

Alcuin. Voici donc le sens de ce qu'il leur dit: «Je m'en vais», (c'est-à-dire, je m'absente corporellement), mais: «Je reviendrai de nouveau», (par la présence de ma divinité), ou bien encore, je reviendrai juger les vivants et les morts. Et comme il prévoyait qu'ils lui demanderaient où il irait, et le chemin qu'il suivrait, il les prévient et leur dit: «Où je vais, vous le savez (c'est-à-dire, vers mon Père), et vous savez la voie» (c'est-à-dire, que j'y vais par moi-même). - S. Chrys. En leur parlant de la sorte, il fait connaître le désir qui était au fond de leur âme et leur offre l'occasion de l'interroger.


vv. 5-7

13405 Jn 14,5-7

S. Chrys. (hom. 73 sur S. Jean). Si les Juifs, qui ne demandaient pas mieux que de se séparer de Jésus-Christ, l'interrogeaient sur le lieu où il devait aller, combien plus les disciples qui ne voulaient pour rien en être séparés, désiraient savoir où il allait? aussi lui font-ils cette question dans un sentiment mêlé d'amour et de crainte: «Thomas lui dit: Seigneur, nous ne savons où vous allez». - S. Aug. (Traité 59 sur S. Jean). Notre-Seigneur venait de leur dire qu'ils savaient où il allait, et qu'ils en savaient aussi la voie; Thomas, de son côté, déclare ignorer ces deux choses, mais le Fils de Dieu ne peut mentir; les Apôtres savaient donc, mais ils ignoraient qu'ils savaient, et Notre-Seigneur leur prouve qu'ils savaient ce qu'ils croyaient ignorer: «Jésus lui dit: Je suis la voie, la vérité et la vie». - S. Aug. (Serm. 34 sur les par. du Seign). C'est-à-dire, où voulez-vous aller? je suis la voie; où voulez-vous aller? je suis la vérité; où voulez-vous demeurer? je suis la vie. Tout homme est capable de percevoir la vérité et la vie, mais tout homme ne trouve pas la voie qui y conduit. Que Dieu soit une certaine vie éternelle, et une vérité que l'on peut connaître, c'est ce que les philosophes de ce monde ont eux-mêmes compris, mais c'est le Verbe de Dieu qui, dans le sein du Père, est la vérité et la vie qui est devenu la voie en se revêtant de notre humanité. Marchez par cette humanité, et vous arriverez jusqu'à la divinité; car il vaut encore mieux marcher en boitant dans la voie, que de faire de grands pas hors de la voie. - S. Hil. (de la Trin., 7) Celui qui est la voie ne vous conduira pas dans des chemins perdus et sans issue; celui qui est la vérité, ne peut vous tromper, et celui qui est la vie ne vous laissera pas dans l'erreur de la mort. - Théophylacte. Lorsque vous menez la vie active, Jésus-Christ est pour vous la voie, lorsque vous persévérez dans la vie contemplative, il devient pour vous la vérité. La vie est le fruit de l'action de la vie contemplative, car il faut nécessairement marcher et annoncer l'Évangile pour mériter la vie future et éternelle.

S. Aug. (Traité 69). Ils savaient donc la voie, parce qu'ils le connaissaient, lui qui est la voie. Mais qu'était-il besoin d'ajouter qu'il était la vérité et la vie, alors que la voie étant connue, il restait à savoir quel en était le terme, si ce n'est parce qu'il allait à la vérité et à la vie? Il allait donc à lui-même par lui-même. Mais, Seigneur, est-ce que pour venir jusqu'à nous, vous vous étiez quitté vous-même? Je sais que vous avez pris la forme de serviteur, et que vous êtes venu dans une chair mortelle, tout en demeurant où vous étiez d'abord, et vous êtes retourné par cette même chair sans vous séparer de ceux vers lesquels vous étiez venu. Si donc c'est par cette chair que vous êtes venu et que vous êtes retourné, c'est par cette même chair aussi que vous êtes devenu tout à la fois la voie que nous devons prendre pour arriver jusqu'à vous, et la voie par laquelle vous êtes vous-même venu et retourné. Or, lorsque vous êtes retourné vers la vie (qui n'est autre que vous-même), vous avez conduit cette même chair de la mort à la vie. Jésus-Christ est donc allé à la vie lorsque sa chair a passé de la mort à la vie. Et comme le Verbe est la vie, c'est à lui-même qu e le Christ est venu, car le Christ est un composé de ces deux choses, le Verbe et la chair dans une même personne. Dieu était venu par le moyen de la chair vers les hommes, la vérité était venue trouver le mensonge, car Dieu est la vérité, et tout homme est menteur (Rm 3, 4). Lors donc qu'il s'est dérobé aux regards des hommes, et qu'il a élevé sa chair vers ces hauteurs inaccessibles au mensonge. C'est le même Verbe fait chair qui, par lui-même, c'est-à-dire par sa chair, est retourné vers la vérité, qui n'est autre que lui-même; vérité qu'au milieu même des hommes de mensonge, il a conservée jusque dans la mort. Lorsque moi-même je vous tiens un langage que vous comprenez, je m'avance en quelque sorte vers vous, sans me quitter moi-même, et lorsque je cesse de parler, je reviens comme à moi-même, tout en demeurant avec vous, si vous retenez ce que vous avez entendu. Or, si cela est possible à l'homme, image créée de Dieu, que ne peut point son image substantielle qu'il a engendrée? Il va donc à lui-même par lui-même, et par lui-même au Père, et par lui, nous allons nous-mêmes à lui et au Père.

S. Chrys. Si j'ai le pouvoir de vous conduire au Père, vous ne pouvez manquer d'y arriver, car il n'est pas possible d'y arriver par un autre chemin. En rapprochant ce qu'il a dit précédemment: «Personne ne peut venir à moi, si mon Père ne l'attire», de ce qu'il déclare ici que personne ne peut venir à son Père que par lui, il se proclame l'égal de celui qui l'a engendré. Mais comment après avoir dit: «Vous savez où je vais, et vous en savez la voie», ajoute-t-il: «Si vous m'aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père», c'est-à-dire, si vous connaissiez ma nature et ma dignité, vous connaîtriez aussi la nature et la dignité du Père. Il n'y a point ici contradiction, car ils connaissaient, mais d'une connaissance imparfaite, il était réservé à l'Esprit saint de leur donner cette connaissance dans toute sa perfection. C'est pour cela qu'il ajoute: «Bientôt vous le connaîtrez (il veut parler d'une connaissance tout à fait spirituelle), et vous l'avez déjà vu (c'est-à-dire par moi) »; il leur apprend ainsi que celui qui le voit, voit son Père, or, ils l'avaient vu, non dans sa nature divine, mais sous le voile de la chair dont il était revêtu.

Bède. Il nous faut examiner maintenant comment Notre-Seigneur a pu dire à ses disciples: «Si vous m'aviez connu», etc. Après leur avoir dit précédemment: Là où je vais, vous le savez, et vous savez le chemin. La réponse à cette difficulté est que parmi les Apôtres, quelques-uns le savaient, et d'autres, du nombre desquels était Thomas, l'ignoraient. - S. Hil. (de la Trin., 7) On peut encore rattacher ces paroles entre elles d'une autre manière. Comme on ne peut aller au Père que par le Fils, il faut examiner si c'est par renseignement de sa doctrine ou par la foi en sa nature divine. La réponse à cette question se trouve dans les paroles qui suivent: «Si vous m'aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père». En effet, le Sauveur a suivi cet ordre dans le mystère de son incarnation, qui avait pour objet de confirmer la nature divine de son Père, il a distingué le temps de la vision du temps de la connaissance; celui qu'ils doivent connaître bientôt, ils l'ont déjà vu et ils devaient recevoir par l'effet de la révélation l'intelligence de la nature divine qu'ils avaient déjà contemplée en lui.


vv. 8-11

13408 Jn 14,8-11

S. Hil. (de la Trin., 7) La nouveauté de ce langage étonne l'apôtre Philippe, on ne voit en Jésus-Christ qu'un homme, et il se proclame le Fils de Dieu, il déclare qu'en le connaissant on connaît son Père, et que qui le voit voit son Père; Philippe fait au Sauveur cette question qu'autorisait son titre d'Apôtre: «Seigneur, montrez-nous votre Père, et cela nous suffit». Il ne nie pas qu'on puisse voir son Père en lui, mais il demande qu'on le lui montre, non pas comme un spectacle extérieur propre à satisfaire les regards du corps, mais comme une démonstration intellectuelle qui lui fasse comprendre celui qu'il désire voir; car il avait bien vu le Fils de Dieu sous une forme humaine, mais il ne savait pas comment en le voyant, il pouvait voir le Père. Et comme preuve que cette manifestation qu'il désire est plutôt une démonstration de l'intelligence qu'une vision extérieure, il ajoute: «Et cela nous suffira». - S. Aug. (de la Trin., 8) Cette joie dont il nous comblera en nous montrant son visage (Ps 15, 11), ne nous laissera plus rien à désirer, et c'est ce qu'avait bien compris Philippe, lorsqu'il disait: «Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit». Mais il n'avait pas encore compris qu'il pouvait également dire à Jésus-Christ: «Seigneur, montrez-vous à nous, et cela nous suffit, car c'est pour lui faire comprendre cette vérité, que Notre-Seigneur ajoute: «Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas ?» - S. Aug. (Traité 70). Mais comment le Sauveur peut-il leur faire ce reproche, alors qu'ils savaient bien où il allait, ainsi que la voie qui y conduisait, par cela seul qu'ils le connaissaient lui-même? Cette question peut facilement se résoudre, en disant que parmi les Apôtres, quelques-uns connaissaient Jésus-Christ, mais que quelques autres ne le connaissaient pas, et que de ce nombre était Philippe.

S. Hil. (de la Trin., 7) Le Sauveur fait donc un reproche à cet Apôtre, de ce qu'il ne le connaît point, car la plupart des actions qu'il avait faites, comme de marcher sur la mer, de commander aux vents, de remettre les péchés, de rendre la vie aux morts, étaient visiblement les oeuvres d'un Dieu; toute la difficulté venait de ce que sous le voile de l'humanité qu'il avait prise, Philippe n'avait pas compris l'existence de la nature divine. Aussi à la demande que lui fait cet Apôtre, de lui montrer son Père, il répond: «Philippe qui me voit, voit mon Père». - S. Aug. En effet, lorsque nous parlons de deux personnes parfaitement semblables, nous disons: «Si vous avez vu l'une, vous avez vu l'autre». C'est dans ce sens que Notre-Seigneur dit: «Celui qui me voit, voit mon Père», non pas que le Père soit le même que le Fils, mais parce que le Fils a une entière et parfaite ressemblance avec le Père.

S. Hil. (de la Trin., 7) Notre-Seigneur ne veut point parler ici de la vue des yeux du corps, car la chair qui est née de la vierge Marie, ne peut servir à découvrir en Jésus-Christ la nature divine, mais c'est l'intelligence que nous avons du Fils de Dieu qui nous fait comprendre le Père, car si le Fils est l'image du Père, il a avec lui une même nature, et cette expression signifie simplement qu'il a été engendré. Les paro les du Sauveur ne laissent point supposer, en effet, une seule et unique personne, bien qu'elles expriment l'unité de nature, car en ajoutant: «Voit le Père», il exclut la supposition d'une personne unique, et nous force d'admettre qu'en vertu de l'unité de nature, le Père est vu dans le Fils. - S. Aug. Mais doit-on faire des reproches à celui qui, voyant une personne parfaitement semblable à une autre, désire voir l'autre terme de la ressemblance? Nous répondons que le Sauveur reprend son disciple, parce qu'il voyait le fond de son coeur; Philippe désirait connaître le Père, comme si le Père était supérieur au Fils, et par là-même il ne connaissait pas le Fils, en supposant qu'il existait un être qui lui fût supérieur. C'est pour redresser cette erreur que Notre-Seigneur lui dit: «Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi ?» C'est-à-dire, si c'est beaucoup pour vous de voir le Père dans le Fils, croyez au moins ce que vous ne voyez pas. - S. Hil. (de la Trin., vu). Comment pouvait-on encore ignorer le Père, et quelle nécessité de le faire connaître à ceux qui l'ignoraient, alors qu'on pouvait le voir dans le Fils? Or, on le voyait, parce qu'ils ont une commune nature, et qu'en vertu de cette nature absolument semblable, celui qui engendre et celui qui est engendré ne sont qu'un, selon ces paroles du Sauveur: «Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi ?» - S. Aug. (de la Trin., 1, 2). Le Sauveur voulait qu'il vécût de la foi avant de parvenir à la claire vision, car la contemplation est la récompense de la foi, et c'est la foi qui prépare les coeurs à cette récompense en les purifiant.

S. Hil. (de la Trin., 7) Or, le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père, non par la double union de deux natures qui se rencontrent, ni par l'union d'une nature supérieure qui vient s'enter sur une autre nature, parce que les choses intérieures ne peuvent être soumises aux nécessités des dimensions corporelles, et demeurer extérieures aux choses qui les contiennent, mais le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père, en vertu de sa naissance d'une nature vivante sortant d'une autre nature vivante, c'est-à-dire, en vertu de la naissance d'un Dieu engendré par un Dieu. - S. Hil. (de la Trin., 5) En eff et, Dieu qui est immuable, agit conformément à sa nature en engendrant une nature immuable, et cette naissance parfaite d'un Dieu immuable qui sort du sein d'un Dieu immuable, lui conserve toute la perfection de sa nature. Nous comprenons donc que la nature divine est en lui, en ce sens que c'est Dieu qui est dans Dieu, et qu'il n'y a point d'autre Dieu en dehors de lui qui est Dieu.

S. Chrys. (hom. 74 sur S. Jean). On peut encore donner une autre explication de ce passage. Philippe voulait voir le Père des yeux du corps, parce qu'il pensait avoir vu le Fils de la sorte, peut-être aussi, parce qu'il avait entendu dire aux prophètes qu'ils avaient vu le Seigneur, c'est sous cette impression qu'il dit à Jésus: «Montrez-nous le Père». Les Juifs lui avaient souvent fait cette question: «Quel est votre Père ?» Pierre et Thomas lui avaient demande où il allait, et ni les uns ni les autres n'avaient compris sa réponse. Philippe donc voulant éviter le reproche d'importunité, se contente de lui dire: «Montrez-nous 1e Père, et cela nous suffit», c'est-à-dire, nous ne demandons rien autre chose. Or, le Sauveur ne lui répond point: «Vous demandez une chose impossible»; mais il lui fait comprendre qu'il n'a même pas vu le Fils, car s'il avait pu le voir, il aurait vu aussi le Père, et c'est le sens de ces paroles: «Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas? Philippe, qui me voit, voit aussi mon Père». Il ne lui dit pas: Vous ne m'avez pas vu, mais: «Vous ne m'avez pas connu», c'est-à-dire, vous n'avez pas compris que le Fils demeurant ce qu'est le Père, peut très-bien montrer en lui celui qui l'a engendré. Il distingue ensuite les deux personnes, en ajoutant: «Celui qui me voit, voit aussi mon Père», pour prévenir cette erreur que le Fils est une même personne avec le Père. Il lui montre maintenant qu'il n'a point vu le Fils des yeux du corps. Si quelqu'un veut donner ici au mot voir la signification du mot connaître, je ne m'y oppose point, et tel serait alors le sens de ces paroles: «Celui qui me connaît, connaît aussi le Père». Mais ce n'est point la pensée du Sauveur, qui a voulu exprimer sa consubstantialité avec son Père en ces termes: Celui qui a vu ma nature, a vu la nature de mon Père. Il résulte de là qu'il n'est pas une simple créature, car celui qui voit un être créé ne voit pas Dieu. Philippe, d'ailleurs, désirait voir la nature du Père. Si donc le Sauveur avait une nature différente de son Père, il ne dirait pas: «Celui qui me voit, voit mon Père», car personne ne peut voir la nature de l'or dans celle de l'argent; une nature ne peut faire voir en elle-même une nature toute différente.

S. Aug. Le Sauveur s'adresse ensuite non plus à Philippe seul, mais a tous ses apôtres: «Les paroles que je vous dis, je ne vous les dis pas de moi-même»; que signifie cette manière de s'exprimer: «Je ne parle pas de moi-même», si ce n'est: Moi qui vous parle, je ne suis pas de moi-même? Il attribue ainsi ce qu'il fait à celui de qui lui vient avec l'être le pouvoir d'agir. - S. Hil. (de la Trin., 7) Il ne nie donc pas qu'il soit le Fils, il ne dissimule pas non plus la puissance de la nature paternelle qui est en lui, car lorsqu'il parle, il parle dans sa propre nature, et en déclarant qu'il ne parle pas de lui-même, il atteste en lui la naissance divine qui le fait naître d'un Dieu. - S. Chrys. Voyez avec quelle abondance de preuves il établit l'unité de la nature divine: «Le Père qui demeure en moi, fait lui-même les oeuvres que je fais». C'est-à-dire, mon Père et moi n'agissons point d'une manière différente, comme il le dit ailleurs: «Si je ne fais point les oeuvres de mon Père, ne croyez pas en moi». Mais pourquoi passe-t-il des paroles aux oeuvres? Il paraissait convenable de dire: C'est lui qui dit les paroles que je prononce, mais il veut donner ici deux preuves différentes empruntées, l'une à la doctrine, l'autre aux miracles; ou encore, parce que les paroles étaient ici comme des oeuvres. - S. Aug. En effet, celui qui édifie son prochain par ses discours, fait une bonne oeuvre. Ces deux propositions ont été pour des hérétiques différents, la matière d'une double difficulté. Le Fils n'est point égal au Père, disent les Ariens, puisqu'il ne parle point de lui-même. Le Père est la même chose que le Fils, disent à leur tour les Sabelliens, car que signifient ces paroles: «Le Père qui demeure en moi, fait lui-même les oeuvres que je fais», si ce n'est: Je demeure en moi-même, moi qui fais ces oeuvres? - S. Hil. (de la Trin., 7) Que le Père demeure dans le Fils, cela n'indique pas une seule et même personne; que d'un autre côté, le Père agisse par le Fils, on ne peut en conclure qu'ils soient d'une nature différente. Disons encore que celui qui ne parle point de lui-même, prouve par-là même qu'il n'est pas seul, et que celui qui parle par lui n'est pas d'une nature différente. Or, après avoir enseigné que le Père parlait et agissait en lui, il apportait la foi à cette unité parfaite entre lui et son Père, en ajoutant: «Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi ?» Tant il veut que nous croyons que le Père parle et agit dans son Fils, non par un effet de sa puissance, mais par l'effet de la génération divine et de l'unité de nature.
- S. Aug. Jusque-là Notre-Seigneur n'avait adressé de reproches qu'à Philippe, il fait voir maintenant qu'il n'était pas le seul qui les méritât, en disant à tous: «Croyez au moins à cause de mes oeuvres ?» - S. Chrys. Si ce que j'ai dit ne suffit pas pour vous convaincre que je suis consubstantiel à mon Père, apprenez-le du moins par mes oeuvres». C'est le sens de ces paroles: «Croyez-le du moins à cause de mes oeuvres». Vous avez vu des miracles faits avec autorité, vous avez vu en moi tous les signes les plus évidents de divinité, les péchés remis, les morts ressuscités, et d'autres prodiges semblables. - S. Aug. Croyez donc au moins à cause de mes oeuvres, que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi; car si nous avions une nature distincte, nous ne pourrions nullement agir avec autant d'unité.



Catena Aurea 13333