Catena Aurea 13819

vv. 19-21

13819 Jn 18,19-21

S. Chrys. (hom. 83 sur S. Jean). Comme les ennemis de Jésus ne pouvaient produire aucun chef d'accusation contre lui, ils l'interrogent sur ses disciples: «Le grand-prêtre interrogea donc Jésus touchant ses disciples». Il lui demanda sans doute où ils étaient, dans quel but il les avait réunis; et son dessein, en cela, était de l'accuser comme séditieux ou comme autour de nouveautés, et n'ayant personne pour s'attacher à lui, à l'exception de ses seuls disciples. - Théophyl. Il l'interroge encore «sur sa doctrine», c'est-à-dire en quoi elle consistait, si elle était différente de la loi et opposée à la doctrine de Moïse, afin de trouver l'occasion de le perdre, comme l'antagoniste de Dieu - Alcuin. Ce n'est p oint, en effet, par le désir de connaître la vérité qu'il interroge le Sauveur, mais afin d'avoir un motif de l'accuser et de le livrer au gouverneur romain pour le faire condamner; mais le Seigneur pesa tellement les termes de sa réponse, que, sans taire la vérité, il ne parut pas vouloir se défendre: «Jésus lui répondit,: J'ai parlé publiquement au monde, j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où tous les Juifs s'assemblent», etc.

S. Aug. (Traité 113 sur S. Jean.) Ici se présente une question qu'il ne faut point passer sous silence. Notre-Seigneur ne parlait pas ouvertement à ses disciples, mais leur promettait que viendrait un jour où il leur parlerait sans aucun voile; comment donc peut-il dire qu'il a parlé publiquement au monde? D'ailleurs il parlait beaucoup plus clairement à ses disciples quand il s'éloignait avec eux de la foule, car c'est alors qu'il leur expliquait les paraboles qu'il proposait au peuple, sans lui en découvrir le sens. «J'ai parlé publiquement au mon de», ne signifie donc autre chose que: Beaucoup m'ont entendu. On peut dire encore qu'il ne leur parlait pas ouvertement, parce qu'ils ne le comprenaient pas. D'un autre côté, s'il enseignait ses disciples en particulier, ce n'était cependant pas en secret, car on ne parle pas en secret, lorsqu'on enseigne devant tant de témoins, surtout si l'intention de celui qui parle devant peu de personnes, soit qu'elles fassent connaître, à un plus grand nombre ce qu'il leur a enseigné. - Théophyl. Notre-Seigneur se rappelle ici ces paroles du Prophète: «Je n'ai point parlé en secret, ni dans quelque coin obscur de la terre». (Is 45, 19)

S. Chrys. Ou bien: Il a parlé dans le secret, il est vrai, mais non pas comme ils le pensaient, par crainte, et comme un homme qui cherche à exciter des troubles, mais parce que les vérités qu'il enseignait dépassaient l'intelligence d'un grand nombre. Or, pour rendre son témoignage encore plus digne de foi, il ajoute: «Pourquoi m'interrogez-vous? Interrogez ceux qui ont entend u ce que je leur ai dit, ils savent ce que je leur ai enseigné». C'est-à-dire, pourquoi me questionner sur mes disciples? Interrogez mes ennemis, qui m'ont constamment tendu des embûches. Voilà le langage d'un homme plein de confiance dans la vérité de son enseignement, car une démonstration péremptoire (ou une preuve invincible) de la vérité, c'est d'invoquer en sa faveur le témoignage de ses ennemis. - S. Aug. Les choses qu'ils avaient entendues sans les comprendre, ne pouvaient offrir aucun juste sujet d'accusation; et, toutes les fois qu'ils étaient venus le questionner pour le tenter et trouver matière à l'accuser, il leur avait répondu de manière à déjouer toutes leurs ruses, et à frapper d'impuissance toutes leurs calomnies.


vv. 22-24

13822 Jn 18,22-24

Théophyl. Après que Jésus eut ainsi invoqué le témoignage des assistants, un serviteur du grand-prêtre voulant se mettre à couvert du soupçon qu'il était un des admirateurs de Jésus, le frappa au visage: «Après qu'il eut dit cela, un des satellites, là présent, donna un soufflet à Jésus, disant: Est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre ?» - S. Aug. (de l'accord des Evang., 1, 6). Nous avons ici une preuve qu'Anne était grand-prêtre, car Jésus n'avait pas encore été envoyé à Caïphe, lorsque cet homme lui fit cette observation, et saint Luc lui-même rapporte au commencement de son Évangile, qu'Anne et Caïphe étaient tous deux grands-prêtres. - Alcuin. Ici s'accomplit cette prophétie: «J'ai abandonné mes joues à ceux qui me frappaient» (Is 1, 6). Or, Jésus frappé injustement, répond avec douceur: «Si j'ai mal parlé, montrez ce que j'ai dit de mal; mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ?»

Théophyl. C'est-à-dire, si vous trouvez quelque chose à reprendre dans ce que je viens de dire, prouvez que j'ai mal parlé; si vous ne le pouvez pas, pourquoi cet acte de cruauté? Ou bien encore, si l'enseignement que j'ai donné dans les synagogues est blâmable, faites-le connaître au prince des prêtres; si au contraire cet enseignement est irrépréhensible à ce point que vous en étiez dans l'admiration, pourquoi me frappez-vous maintenant, puisque vous ne pouviez vous empêcher d'admirer auparavant ?

S. Aug. (Traité 113 sur S. Jeun). Quoi de plus vrai, de plus doux, de plus juste que cette réponse? Si nous considérons attentivement celui qui a reçu ce soufflet, qui de nous ne voudrait voir celui qui l'a frappé, ou consumé par le feu du ciel, ou englouti par la terre entr'ouverte, ou la proie d'un démon furieux, ou victime d'un châtiment semblable et plus effrayant encore? Quoi de plus facile à celui qui a créé le monde que de mettre sa puissance au service de sa justice, s'il n'avait mieux aimé nous enseigner la patience par laquelle nous triomphons du monde. On nous demandera peut-être: Pourquoi le Sauveur n'a-t-il pas fait ce qu'il a commandé lui-même aux autres? Ne devait-il pas souffrir cet affront en silence et tendre l'autre joue, à celui qui le frappait? Nous dirons que Notre-Seigneur est allé plus loin, en répondant avec douceur et en ne tendant pas seulement l'autre joue à relui qui le frappait, mais en abandonnant son corps tout entier pour être cloué sur la croix. Il nous apprend ainsi que nous devons accomplir les préceptes de patience qu'il nous a donnés, moins par des actes extérieurs où l'ostentation peut avoir part, que par les sentiments du coeur. Il peut arriver, en effet, qu'un homme présente l'autre joue avec la colère dans le coeur. Notre-Seigneur a donc beaucoup mieux agi en répondant la vérité sans la moindre aigreur, et on se montrant paisiblement disposé à supporter patiemment des outrages plus sanglants encore.

S. Chrys. (hom. 83 sur S. Jean). Quelle était la conduite naturelle à tenir? C'était, ou de prouver que Jésus avait tort, ou de se rendre à son observation. Mais ce n'est pas ce qu'ils font, car tout ce qui se passait n'avait aucune apparence de l'égalité, mais tout était l'oeuvre du désordre et de la violence. Ne sachant plus que faire, ils envoient Jésus chargé de chaînes à Caïphe: «Et Anne l'envoya lié à Caïphe le grand-prêtre». - Théophyl. Ils s'imaginèrent qu'étant plus rusé que son beau-père, il pourrait trouver contre Jésus un chef d'accusation qui mériterait la mort. - S. Aug. D'après saint Matthieu, c'était chez Caïphe qu'on le conduisit dès le commencement, parce qu'il était grand-prêtre de cette année. En effet, Anne et Caïphe remplissaient alternativement chaque année la charge de grand-prêtre, et il est probable que c'est sur la volonté de Caïphe, que Jésus fut d'abord conduit chez Anne, ou que leurs maisons étaient situées de manière qu'on ne pouvait passer devant la maison d'Anne sans y entrer. - Bède. De ce que l'Évangéliste dit qu'il l'envoya lié, il ne faut pas conclure qu'il le fût seulement alors pour la première fois. Jésus fut enchaîné lorsqu'on se saisit de lui. Anne l'envoya donc, chargé de chaînes à Caïphe, comme on le lui avait amené. Il put se faire aussi qu'on le débarrassât un instant de ses liens pendant qu'on l'interrogeait, et qu'après cet interrogatoire, on l'enchaîna de nouveau pour l'envoyer ainsi à Caïphe.


vv. 25-27

13825 Jn 18,25-27

S. Aug. (Tr. 113 sur S. Jean). Après avoir rapporté comment Anne envoya Jésus enchaîné à Caïphe, l'Évangéliste revient à l'endroit du son récit où il avait laissé Pierre pour raconter le triple reniement de ce disciple dans la maison d'Anne: «Cependant Simon Pierre était là, debout, et se chauffant». Il rappelle donc ici ce qu'il avait dit plus haut. - S. Chrys. (hom. 83 sur S. Jean). Dans quel engourdissement était plongé cet Apôtre si plein d'ardeur, lorsqu'on voulait s'emparer de Jésus ! Le voilà devenu comme insensible, et Dieu le permet, pour vous apprendre combien est grande la faiblesse de l'homme lorsqu'il l'abandonne à lui-même. On le questionne de nouveau, et il nie pour la seconde fois: «Ils lui dirent donc: Et vous, n'êtes-vous pas aussi de ses disciples ?»

S. Aug. (de l'accord des Evang., 3, 6). Nous voyons ici que ce n'est point devant la porte, mais lorsqu'il se chauffait devant le brasier, que Pierre renia Jésus pour la seconde fois, ce qui n'aurait pu avoir lieu, s'il ne fût rentré après être sorti dehors, comme le raconte saint Matthieu. Ce n'est pas, en effet, lorsqu'il fût sorti dehors, que cette autre servante le vit, mais au moment même où il sortait, et c'est alors qu'elle le remarqua et qu'elle dit à ceux qui étaient là, c'est-à-dire, à ceux qui se chauffaient avec, lui dans l'intérieur de la cour: «Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth.» Pierre qui était déjà sorti, ayant entendu ces paroles, rentra, et à toutes les affirmations de ceux qui étaient présents, répondit avec serment: «Je ne connais point cet homme». L'évangéliste saint Jean raconte ainsi le second reniement de saint Pierre: «Ils lui dirent donc: Et vous, n'êtes-vous pas aussi de ses disciples ?» C'est-à-dire, lorsqu'il rentrait, ce qui nous confirme dans la pensée que ce ne fut pas seulement cette autre servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, mais une autre encore dont parle saint Luc, qui firent à Pierre la question qui détermina le second reniement de cet Apôtre; c'est pour cela que saint Jean emploie ici le pluriel: «Ils lui dirent donc». Le même Évangéliste poursuivant son récit, raconte ainsi le troisième renoncement: «Un des serviteurs du grand-prêtre lui dit», etc. Saint Matthieu et saint Marc se servent du pluriel pour désigner ceux qui firent à Pierre cette nouvelle question; saint Luc ne parle que d'un seul, ainsi que saint Jean, qui ajoute cette circonstance, qu'il était parent de celui à qui Pierre coupa l'oreille. Cette divergence s'explique facilement si l'on considère que saint Matthieu et saint Marc oui l'habitude demettre le pluriel pour le singulier, ou qu'un de ceux qui étaient présents, affirmait avec plus de force, comme ayant vu Pierre dans le jardin, tandis que les autres ne pressaient Pierre que sur l'attestation de celui qui l'avait vu.

S. Chrys. Mais le jardin ne lui rappelle le souvenir, ni des promesses qu'il y a faites, ni de cet amour si ardent dont il avait protesté à plusieurs reprises: «Pierre le nia de nouveau et aussitôt le c oq chanta». - S. Aug. (Traité 113). Voici la prédiction du médecin qui est accomplie, et le malade convaincu de présomption, car ce que nous voyons se réaliser, ce n'est pas la promesse de Pierre: «Je donnerai ma vie pour vous», mais la prédiction de Jésus: «Vous me renierez trois fois». - S. Chrys. Les évangélistes s'accordent tous pour raconter le triple reniement de saint Pierre, non pour accuser ce disciple, mais pour nous apprendre quel mal c'est de ne pas tout remettre entre les mains de Dieu, et de placer sa confiance en soi-même. Bède. Dans le sens allégorique, le premier reniement de Pierre figure ceux qui, avant la passion du Sauveur, ont nié qu'il fût Dieu; le second représente ceux qui, après sa résurrection, ont nié à la fois sa divinité et son humanité. De même le premier chant du coq figure la résurrection du chef; le second, la résurrection de tout le corps qui aura lieu à la fin du monde. La première servante, qui fut l'occasion du premier renoncement de Pierre, représente la cupidité; la seconde, le plaisir des sens; le serviteur, ou les serviteurs du grand-prêtre, les démons qui nous portent à renoncer Jésus-Christ.


vv. 28-32

13828 Jn 18,28-32

S. Aug. (Traité 114 sur S. Jean). L'Évangéliste revient à l'endroit de son récit qu'il avait interrompu pour raconter le reniement de Pierre: «Ilsamenèrent donc Jésus de chez Caïphe dans le prétoire». Déjà nous avions vu Jésus envoyé chez Caïphe par Anne, son collègue et son beau-père. Mais puisqu'il est envoyé chez Caïphe, pourquoi l'amener dans le prétoire? Saint Jean veut simplement dire qu'on l'amena dans la maison qu'habitait le gouverneur romain Pilate. - Bède. Le prétoire est ainsi appelé, parce qu'il est la demeure et le siège du préteur; or, les préteurs sont des préfets ou des commandants à qui on donne ce nom, parce qu'ils sont chargés d'intimer aux citoyens les ordres du souverain. - S. Aug. Ou bien donc Caïphe, pour une cause urgente, quitta la maison d'Anne, ou tous deux s'étaient réunis pour entendre les dépositions contre Jésus, et se dirigea vers le prétoire, en laissant à son beau-père l'interrogatoire de Jésus, ou bien Pilate avait établi le prétoire dans la maison même de Caïphe, parce que cette maison était assez grande pour loger à la fois et séparément Caïphe et le gouverneur romain. - S. Aug. (de l'accord des Evang). C'est à Caïphe, que Jésus était amené tout d'abord, et il n'y arriva cependant qu'en dernier lieu; on l'amenait comme un coupable déjà convaincu, Caïphe, d'ailleurs avait déjà résolu sa mort, il le livre donc sans aucun délai à Pilate pour qu'il le fit exécuter.

«Or, c'était le matin». - S. Chrys. (hom. 82 sur S. Jean). Jésus fut conduit chez Caïphe avant le chant du coq, et le matin chez Pilate. L'Évangéliste nous donne ici une preuve que l'interrogatoire que Caïphe fît subir à Jésus pendant toute la nuit, ne put fournir contre lui aucun sujet d'accusation, et c'est pour cela qu'il le renvoie à Pilate. Mais saint Jean laisse aux autres évangélistes le soin de nous raconter ces détails, et en vient immédiatement à ce qui suivit les événements de la nuit: «Et eux n'entrèrent point dans le prétoire». - S. Aug. C'est-à-dire, dans la partie de la maison occupée par Pilate, en supposant que ce fût la maison de Caïphe. Or, pour quel motif ne voulurent-ils point y entrer? Afin de ne point se souiller et de pouvoir manger la Pâque. - S. Chrys. C'était le jour, en effet, où les Juifs célébraient la Pâque, que Jésus avait célébré un jour auparavant, parce qu'il voulait que sa mort eût lieu le sixième jour où se célébrait l'ancienne Pâque. Ou bien le mot Pâque s'étend ici à toute la fête. - S. Aug. Les jours des azymes étaient commencés, et pendant ces jours ou ne pouvait entrer dans la maison d'un païen, sans contracter l'impureté légale. - Alcuin. La Pâque, proprement dite, était le jour où on immolait l'agneau pascal, le soir du quatorzième jour de la lune; les sept jours suivants s'appelaient les jours des azymes pendant lesquels les Juifs ne devaient avoir chez eux aucun pain fermenté. Cependant nous voyons le jour de Pâque compté parmi les jours des azymes dans l'évangile de saint Matthieu, où nous lisons: «Le premier jour des azymes, les disciples s'approchèrent de Jésus, et lui dirent: Où voulez-vous que nous préparions ce qui est nécessaire pour manger la Pâque ?» (Mt 26, 17) Le nom de Pâque est aussi donné aux jours des azymes, comme nous le voyons ici: «Afin de pouvoir manger la Pâque». Or, la Pâque ici ne signifie point l'immolation de l'agneau, qui avait lieu le soir du quatorzième jour de la lune, mais la grande solennité qui se célébrait après l'immolation de l'agneau; Notre-Seigneur avait donc célébré la Pâque comme les autres Juifs, le quatorzième jour de la lune, et fut crucifié le quinzième jour, qui était le jour de la grande solennité, et son immolation commença le quatorzième jour de la lune, du moment où on se saisit de lui dans le jardin des Olives.

S. Aug. O aveuglement impie ! Ils craignaient de se souiller en entrant dans le prétoire d'un juge païen et ils ne craignent pas de répandre le sang de leur frère innocent, car ils ne savaient pas que celui qu'ils voulaient faire mourir était le Soigneur et l'auteur de la vie, et il faut attribuer ce crime plutôt à leur ignorance qu'à une volonté réfléchie.

Théophyl. Pilate quelqu'ait été le mode de procédure qu'il suivait à l'égard de Jésus, en sort avec des sentiments beaucoup plus modérés: «Pilate vint à eux dehors et leur demanda: Quelle accusation portez-vous contre cet homme ?» - Bède. C'était la coutume chez les Juifs quand ils avaient condamné un coupable à mort, de le remettre chargé de chaînes au gouverneur, afin que le gouverneur le voyant en cet état, comprît qu'il était condamné à la peine de mort. - S. Chrys. Cependant bien que Pilate vit Jésus enchaîné et amené devant lui par une foule aussi nombreuse, il ne crut pas que ce fût là une preuve péremptoire ou irrécusable de culpabilité, il les interroge donc: «Quelle accusation leur demande-t-il, portez-vous contre cet homme ?» Il leur fait sentir l'inconvenance qu'ils commettent en s'emparant du pouvoir de juger, et en ne lui laissant que celui d'infliger le châtiment; mais les Juifs refusent d'aborder de front l'accusation, et n'allèguent que de vagues présomptions: «Ils lui répondirent: Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne vous l'aurions pas livré». - S. Aug. Qu'on interroge et qu'ils répondent, ceux qu'il a délivrés des esprits impurs, les malades qu'il a guéris, les lépreux qu'il a purifiés, les sourds à qui il a rendu l'ouïe, les aveugles dont il a ouvert les yeux, les muets dont il a délié la langue, les morts qu'il a ressuscites, et ce qui surpasse tous ces miracles, les insensés à qui il a donné la sagesse, et qu'ils disent si Jésus est un malfaiteur. Mais ceux qui portaient cette accusation étaient ces ingrats dont le Prophète avait fait cette prédiction: «Ils me rendaient le mal pour le bien» (Ps 34, 12) - S. Aug. (De l'accord des Evang., 3, 8) Il nous faut examiner si saint Luc n'est pas en contradiction avec saint Jean lorsqu'il raconte que les Juifs formulèrent contre le Sauveur des chefs certains d'accusation: «Et ils commencèrent à l'accuser, ou disant: Nous avons trouvé celui-ci pervertissant notre nation, défendant de payer le tribut à César, et disant qu'il est le Christ roi» (Lc 22, 2). D'après saint Jean, au contraire, les Juifs paraissent ne vouloir formuler aucune accusation aussi particulière, afin que Pilate s'en rapportant exclusivement à leur parole, cessât de leur demander ce dont ils l'accusaient, et qu'il le regardât comme coupable par cela seul qu'ils avaient cru devoir le livrer entre ses mains. Or nous devons admettre et le récit de saint Jean et celui de saint Luc; car il y eut dans cette circonstance bien des questions et des réponses échangées, chaque évangéliste a fait entrer dans sa narration ce qu'il a jugé plus utile, et saint Jean lui-même a rapporté certaines accusations dirigées contre Jésus, comme nous le verrons en son lieu: «Pilate leur dit donc: Prenez-le vous-même, et jugez-le selon votre loi». - Théophyl. C'est-à-dire, puisque vous voulez qu'il soit jugé selon vos désirs, et qu'à vous entendre, il semble que vous n'ayez jamais rien fait de répréhensible, prenez-le et condamnez-le, quant à moi, je ne consentirai jamais à juger de la sorte. - Alcuin. Ou bien encore il veut leur dire: Vous avez une loi, et vous savez ce qu'elle prononce en pareille circonstance, faites donc selon que vous le croyez juste.

«Les Juifs lui répondirent: Il ne nous est pas permis de mettre à mort personne». - S. Aug. Mais est-ce que la loi ne défend pas d'épargner les malfaiteurs, et surtout les séducteurs qui cherchent à détourner du culte du vrai Dieu comme était Jésus dans leur pensée? Si donc ils répondent qu'il ne leur est pas permis de mettre personne à mort, c'est, entendons-le bien, à cause de la solennité du jour qu'ils avaient commencé à célébrer. L'excès de votre malice vous a-t-il fait perdre entièrement toute raison que vous vous croyiez purs du sang innocent parce que vous voulez le faire répandre par un autre? - S.Chrys. Ou bien ils répondent qu'ils ne peuvent le mettre à mort, parce que leur pouvoir était singulièrement diminué depuis qu'ils étaient soumis à la domination romaine. Ou bien encore, Pilate leur ayant dit: «Jugez-le suivant votre loi, ils veulent lui prouver que le crime que Jésus a commis n'est pas contre la loi juive, et ils répondent: «Il ne nous est pas permis», c'est-à-dire, il n'a point péché contre notre loi, mais son crime est un crime contre la sûreté publique, puisqu'il s'est dit roi. On peut dire encore qu'ils désiraient faire mourir Jésus du supplice de la croix pour le couvrir d'ignominie par ce genre de mort; or il ne leur était pas permis de crucifier, mais l'exemple d'Etienne qui fut lapidé par eux montre qu'ils pouvaient mettre à mort d'une autre manière. Aussi l'Évangéliste ajoute: «Afin que fût accomplie la parole que Jésus-Christ avait dite, touchant la mort dont il devait mourir», parce qu'il était défendu aux Juifs de crucifier, ou bien l'Évangéliste s'exprime ainsi parce que Jésus devait être mis à mort, non-seulement par les Juifs mais par les Gentils. - S. Aug. Nous lisons en effet dans saint Marc que Jésus dit à ses disciples: «Voilà que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré aux princes des prêtres, aux scribes et aux anciens, ils le condamneront à mort et le livreront aux Gentils» (Mc 10, 23). Or Pilate était romain, et les empereurs romains l'avaient établi gouverneur de la Judée. Ce fut donc pour accomplir cette prédiction de Jésus, qu'il serait livré aux Gentils et qu'ils lemettraient à mort, qu'ils ne voulurent point le recevoir des mains de Pilate, et qu'ils lui dirent: «Il ne nous est pas permis de mettre personne à mort».


vv. 33-38

13833 Jn 18,33-38

S. Chrys. (hom. 83 sur S. Jean). Pilate qui voulait arracher Jésus à la haine des Juifs, ne traîna pas le jugement en longueur: «Etant donc rentré dans le prétoire, il appela Jésus». Il se le fait amener en particulier, parce qu'il entrevoyait dans le Sauveur quelque chose de grand, et il se proposait de tout examiner avec un soin scrupuleux après s'être mis en dehors de l'agitation tumultueuse des Juifs. «Il lui dit donc: Etes-vous roi des Juifs ?» Pilate fait voir ici que les Juifs avaient accusé Jésus de s'être dit roi des Juifs. - S.Chrys. Ou bien Pilate l'avait appris par le bruit public, et comme les Juifs n'avaient formulé contre lui aucune autre accusation, pour ne point prolonger inutilement cet interrogatoire, il lui fait connaître ce qu'ils lui reprochaient le plus habituellement.

«Jésus lui répondit: Dites-vous cela, de vous-même, ou d'autres vous l'ont-ils dit de moi ?» Le Sauveur semble reprocher indirectement à Pilate de juger ici à la légère et sans discernement comme s'il lui disait: Si vous dites cela de vous-même, donnez les preuves de ma rébellion, et si d'autres vous l'ont dit de moi, faites une enquête dans les formes. - S. Aug. (Traité. 115 sur S. Jean). Jésus savait très-bien et ce qu'il demandait à Pilate et la réponse que celui-ci allait lui faire, cependant il veut qu'il lui fasse cette question, non pour se renseigner lui-même, mais pour que cette question fût conservée par écrit et parvînt ainsi à notre connaissance. - S.Chrys. Ce n'est donc point par ignorance qu'il interroge, mais pour faire condamner les Juifs par la bouche même de Pilate: «Pilate reprit: Est-ce que je suis juif ?» - S. Aug. Il se justifie du soupçon qu'il eut parlé ainsi de lui-même, et prouve que ce sont les Juifs qui ont accusé près de lui Jésus de cette prétention: «Votre nation et vos prêtres vous ont livré à moi. En ajoutant: Qu'avez-vous fait ?» il fait assez voir que c'était là le crime dont on l'accusait, et il semble lui dire: Si vous niez que vous ayez aspiré à la royauté, qu'avez-vous fait pour m'être livré? Comme s'il n'était pas étonnant qu'on eût amené devant son tribunal pour être condamné un homme qui se disait roi.

S. Chrys. Le Sauveur cherche à relever les idées de Pilate qui n'était pas absolument mauvais, il veut lui prouver qu'il n'est pas simplement un homme, mais qu'il est en même temps Di eu et le Fils de Dieu; et il éloigne tout soupçon d'avoir aspiré à la royauté (ce qu'avait craint jusqu'à présent Pilate): «Jésus répondit: Mon royaume n'est pas de ce monde», etc. - S. Aug. Voilà ce que le bon maître a voulu nous apprendre, mais il fallait auparavant nous faire connaître la vaine opinion que les hommes, Gentils ou Juifs de qui Pilate l'avait apprise, s'étaient formée de sa royauté. Ils prétendaient qu'il méritait la mort pour avoir cherché à s'emparer injustement de la royauté. Ou bie n encore comme ceux qui sont en possession du pouvoir voient ordinairement d'un oeil jaloux ceux qui peuvent leur succéder, les Romains ou les Juifs pouvaient craindre que ce nouveau royaume ne fût oppose à leur domination. Si le Sauveur avait répondu aussitôt à la question de Pilate, il eût paru répondre exclusivement pour les Gentils qui avaient de lui cette opinion; mais après la réponse de Pilate, il répond d'une manière plus opportune et plus utile aux Juifs et aux Gentils, et tel est le sens de sa réponse: Ecoutez, Juifs et Gentils, je ne gêne en rien votre domination en ce monde, que voulez-vous davantage? Venez prendre possession par la foi d'un royaume qui n'est pas de ce monde. En effet, de quoi se compose son royaume? De ceux qui croient en lui. C'est à eux que Jésus dit: «Vous n'êtes pas de ce monde», bien que sa volonté fût qu'ils demeurassent au milieu du monde. Aussi ne dit-il pas: Mon royaume n'est pas dans ce monde, mais: «Mon royaume n'est pas de ce monde». Tout ce qui dans l'homme a été créé de Dieu il est vrai, mais qui a été engendré de la race corrompue d'Adam, est du monde, mais tout ce qui a été ensuite régénéré en Jésus-Christ fait partie de son royaume et n'est plus du monde. «C'est ainsi que Dieu nous a arrachés de la puissance des ténèbres, et nous a transférés dans le royaume de son Fils bien-aimé». (Col 1, 13). - S. Chrys. Ou bien encore Notre-Seigneur veut dire que sa royauté n'a pas la même origine que la royauté des princes de la terre, et qu'il tient d'en haut un pouvoir qui n'a rien d'humain, et qui est beaucoup plus grand et plus éclatant. C'est pour cela qu'il ajoute: «Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs combattraient pour que je ne fusse pas livré aux Juifs». Il fait voir ici la faiblesse des royautés de la terre qui tirent leur force de leurs ministres et de leurs serviteurs; mais le royaume dont l'origine est toute céleste se suffit à lui-même, et n'a besoin d'aucun appui. Si telle est donc la puissance de ce royaume, c'est de sa pleine volonté qu'il s'est lui-même livré à ses ennemis.

S. Aug. Après avoir prouvé que son royaume n'était pas de ce monde, Jésus ajoute: «Mais mon royaume n'est pas d'ici». Il ne dit pas: Mon royaume n'est pas ici, car il est vraiment sur la terre jusqu'à la fin du monde; l'ivraie s'y trouve mêlée avec le bon grain jusqu'à la moisson, et cependant il n'est pas de ce monde, parce qu'il est dans ce monde comme dans un lieu d'exil. - Théophyl. Ou bien encore, il ne dit pas: «Mon royaume n'est pas ici», mais «il n'est pas d'ici», parce qu'il règne dans le monde, que sa providence le gouverne, et qu'il y règle tout suivant sa volonté. Toutefois son royaume n'est pas composé d'éléments terrestres, mais son origine est céleste et il existe avant tous les siècles. - S. Chrys. Les hérétiques prennent de là occasion de dire que le Sauveur est étranger à la direction du monde. Mais de ce qu'il déclare que son royaume n'est pas d'ici, il ne s'ensuit nullement que le monde ne soit point gouverné par sa providence; ces paroles signifient donc simplement que son royaume n'est soumis ni aux lois du temps, ni aux imperfections de notre humanité.

«Alors Pilate lui dit: Vous êtes donc roi? Jésus répondit: Vous le dites, je suis roi». Notre-Seigneur ne craignait pas de déclarer qu'il fut roi, mais il répond de manière à ne point nier qu'il soit roi, et à ne point avouer qu'il l'est dans ce sens que son royaume fût de ce monde. En effet, que répond-il à Pilate? «Vous le dites», c'est-à-dire, vous êtes de la terre, et votre langage ne peut être que terrestre. Il ajoute: «Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité». Il ne faut point faire longue la syllabe de ce pronom hoc comme si le sens était: «Je suis né dans cette condition», mais la faire brève de manière qu'elle présente cette signification: «Je suis né pour cela», de même qu'il dit: «C'est pour cela que je suis venu au monde». Il est donc évident que le Sauveur a voulu parler ici de sa naissance temporelle et de sa venue comme homme dans le monde, et non de sa naissance éternelle et sans commencement comme Dieu. - Théophyl. On peut dire encore que le Seigneur interrogé par Pilate s'il était roi lui répondit: «Je suis né pour cela, c'est-à-dire pour être roi, car par cela seul que je suis né d'un roi, j'affirme que je suis roi moi-même. - S. Chrys. (hom. 84 sur S. Jean). Mais s'il est né roi, il n'a donc, rien qu'il n'ait reçu. «Je suis venu, poursuit-il, pour rendre témoignage à la vérité», c'est-à-dire pour persuader tous les hommes de la vérité. Considérez ici la grande douceur du Sauveur, tandis qu'on le traitait comme un malfaiteur, il a supporté cet outrage en silence; mais quand on l'interroge sur son royaume, alors il répond à Pilate, il cherche à l'instruire et à élever son esprit vers des idées plus hautes, et veut le convaincre que toute sa conduite a été exemple de subterfuges et d'artifices: «Je suis venu pour rendre témoignage à la vérité».

S. Aug. Lorsque Jésus-Christ rend témoignage, à la vérité, il se rend témoignage à lui-même; car il a dit, en termes exprès: «Je suis la vérité». Mais comme la foi n'est pas le partage de tous, il ajoute: «Quiconque est de la vérité, entend ma voix». Il l'entend avec les oreilles intérieures du coeur, c'est-à-dire il obéit à une voix, ou si vous voulez, il croit en moi. Par ces paroles: «Quiconque est de la vérité», le Sauveur veut faire ressortir l'importance de la grâce, par laquelle il nous appelle selon son décret. (Rm 8) Si nous considérons la nature dans laquelle nous avons été créés, quel est celui qui n'est pas de la vérité, puisque c'est la vérité qui a créé tous les hommes? Mais tous ne reçoivent pas de la vérité la grâce nécessaire pour obéir à la vérité. S'il avait dit: Quiconque entend ma voix est de la vérité, on pourrait croire qu'on est de la vérité, parce qu'on obéit à la vérité; mais il dit, au contraire: «Quiconque est de la vérité, entend ma voix». Il entend, il est vrai; toutefois il n'est pas de la vérité, parce qu'il entend sa voix, mais il entend sa voix parce qu'il est de la vérité, et que la vérité lui a donné cette grâce. - S. Chrys. En parlant de la sorte, il attire à lui Pilate, et cherche à lui persuader de prêter l'oreille à ses paroles, et il l'amène, par ce peu de paroles, à lui demander ce que c'est que la vérité: «Pilate lui demanda: Qu'est-ce que la vérité ?» - Théophyl. La vérité avait presque disparu du milieu des hommes, et elle était comme inconnue à tous, à cause de leur incrédulité.


vv. 38-40

13838 Jn 18,38-40

S. Aug. (Traité 115 sur S. Jean). Aussitôt que Pilate eut fait celle question: «Qu'est-ce que la vérité ?» il lui vint à l'esprit (je pense que c'était la coutume parmi les Juifs,) qu'on leur accordât, à la fête de Pâques, la délivrance d'un criminel; il n'attendit donc pas que Jésus lui répondît, pour ne pas perdre de temps, du moment qu'il se fut rappelé la coutume qui lui permettait de le délivrer à la fête de Pâques, ce qui, de toute évidence, était son plus vif désir, comme le prouve la nouvelle démarche qu'il fit: «Et, ayant dit cela, il sortit encore pour aller vers les Juifs», etc. - S. Chrys. Il savait que la réponse à la question qu'il avait faite demandait du temps, et qu'il fallait au plus tôt arracher Jésus à la fureur des Juifs; et c'est pourquoi il sort de nouveau du prétoire pour parler aux Juifs. - Alcuin. Ou peut-être encore il n'attendit pas la réponse, parce qu'il était indigne de l'entendre.

«Et il leur dit: Je ne trouve en lui aucun crime». Il ne leur dit pas: Puisqu'il est coupable et digne de mort, donnez-lui sa grâce à l'occasion de la fête; il proclame d'abord son innocence, puis il les prie, du reste, s'ils ne veulent point le délivrer à cause de son innocence, de le faire en considération de la fête: «C'est la coutume, parmi vous, que je vous accorde, à la fête de Pâques, la délivrance d'un criminel», etc. - Bède. Cette coutume n'était pas prescrite par la loi, elle venait d'une ancienne tradition des Juifs; qui, en souvenir de leur délivrance d'Egypte, délivraient chaque année un criminel à la fête de Pâques. Pilate emploie donc à leur égard le langage de la persuasion: «Voulez-vous que je vous délivre le Roi des Juifs ?» - S. Aug. On ne pouvait arracher de son coeur que Jésus fût le Roi des Juifs, il semble que la vérité elle-même, qu'il avait demandé a connaître, l'eût gravée dans son coeur comme elle le fit écrire sur l'inscription de la croix.

Théophyl. La réponse de Pilate, qui justifie Jésus de toute accusation, est admirable, et c'est en vain que les Juifs cherchent à le travailler, en lui représentant le Sauveur comme ayant désiré la royauté, car le représentant des Romains n'aurait jamais acquitté et mis en liberté un homme qui se serait déclaré roi en face de la puissance des empereurs romains. Lors donc, qu'il leur dit: «Délivrerai-je le Roi des Juifs ?» il proclame publiquement l'innocence de Jésus, et plaisante les Juifs en leur tenant ce langage: «Celui que vous accusez d'avoir voulu se faire roi, j'ordonne de le mettre en liberté, comme complètement innocent du crime dont vous le chargez». - S. Aug. Mais à ces mots, «ils crièrent de nouveau, tous ensemble: Non pas celui-ci, mais Barabbas». Or, Barabbas était un voleur. Nous ne vous faisons pas un reproche, ô Juifs, de mettre en liberté un criminel, à l'occasion de la fête de Pâques ! Mais nous vous faisons un crime d'avoir mis à mort un innocent; et cependant si vous n'agissiez de la sorte, la véritable Pâque n'aurait pas lieu. - Bède. Ils ont sacrifié le Sauveur et demandé la grâce d'un brigand; et, en punition de cet attentat, le démon exerce impunément sur eux des brigandages. - Alcuin. Barabbas signifie le fils de leur maître, c'est-à-dire du diable; car c'est le diable, qui fut le maître de ce voleur dans ses crimes, comme il fut celui des Juifs dans leur trahison.


Catena Aurea 13819