Catherine de Sienne, Dialogue 78

CHAPITRE XLVIII

78
Du quatrième état qui n'est pas séparé du troisième, et de l'opération de l'âme, parvenue a cet état. Comment l'âme éprouve le sentiment continu de son union avec Dieu.

Je t'ai appris à quels signes, l'on reconnaît que l'âme a atteint la perfection de l'amour d'amitié, de l'amour filial. Je veux te découvrir maintenant quelle douceur l'âme goûte en moi, tout en demeurant dans son corps mortel. Dès qu'elle est parvenue au troisième état, dans cet état même, ainsi que je te l'ai dit, elle acquiert le quatrième état, qui n'est pas séparé du troisième, mais lui est si étroitement uni que l'un est inséparable de l'autre, de même que l'amour qu'on a pour Moi ne saurait exister sans l'amour du prochain. C'est un fruit produit par ce troisième état de parfaite union contractée par l'âme avec Moi, où elle reçoit ma Force. Désormais ce n'est plus par patience qu'elle souffre un désir ardent la presse, elle ne souhaite rien tant que d'endurer peines et tourments pour la gloire et l'honneur de mon nom.
C'est alors qu'elle se fait gloire des opprobres de mon Fils unique, comme le disait Paul, mon héraut: Je me glorifie dans les opprobres et les tribulations du Christ crucifié (266) (
2Co 12,9) , et, dans un autre endroit: Où chercherai-je ma gloire, sinon dans le Christ crucifie. Je porte en moi, dit-il encore, les stigmates de Jésus crucifié dans mon corps (Ga 6,14-17) . Ainsi ceux qui ont la passion de mon honneur. et qui on faim du salut des âmes, courent a la table de la très sainte Croix. Ils n'ont d'ambition que de souffrir et d'affronter mille fatigues, pour le service du prochain, pour conserver pour acquérir la vertu, en portant dans leurs corps les stigmates du Christ, car l'amour crucifié qui les brûle, brûle dans leur corps; il éclate dans le mépris qu'ils ont d'eux-mêmes, dans la joie qu'ils éprouvent dans les opprobres, dans l'accueil qu'ils font aux contradictions et aux peines que je leur accorde, de quelque côté qu'elles viennent et de quelque manière que je les leur envoie.
Pour ces fils bien-aimés, la peine est plaisir. Leur vraie peine, ce sont les joies, les consolations, les satisfactions que le monde parfois veut leur donner. Non seulement ils s'attristent des attentions que le monde a pour eux, par une disposition spéciale de ma Providence, alors que les serviteurs du monde sont contraints par ma Bonté de les vénérer et de les assister dans leurs besoins temporels, mais ils vont encore jusqu'à mépriser, par humilité et par haine d'eux-mêmes, la consolation spirituelle qu'ils reçoivent de Moi Père éternel. En vérité, dans la consolation, ce n'est pas le don, (267) le présent de ma grâce qu'ils méprisent, mais la satisfaction qu'y trouve le désir de l'âme. C'est la vertu d'humilité qui leur inspire ce sentiment, l'humilité, produite par une sainte haine, et qui est la gardienne et la nourrice de la charité que donne la vraie connaissance de soi-même et de Moi. C'est ainsi que brillent dans leur corps et dans leur esprit, la vertu et les stigmates du Christ crucifié.
A ceux-là je fais la grâce de sentir que je ne suis jamais séparé d'eux, tandis que dans les autres je m'en vais et je reviens, non que je leur retire ma grâce, mais bien le sentiment de ma présence. Avec ces très parfaits, parvenus a la grande perfection et qui sont morts entièrement à toute leur volonté, je n'agis pas de la sorte. Sans interruption je me repose en eux et par ma grâce et par l'expérience que je leur donne de ma présence. Dès qu'ils veulent unir leur esprit à Moi par sentiment d'amour, ils le peuvent, parce que leur désir est arrivé à une si grande union avec Moi par sentiment d'amour, que rien au monde ne l'en peut séparer. Tout temps, tout lieu leur sont bons pour la prière, car leur vie s'est élevée au-dessus de la terre pour se fixer dans le ciel. Ils ont détruit en eux toute attache terrestre, tout amour égoïste ou sensuel pour s'élever au-dessus d'eux-mêmes, dans les hauteurs du ciel, par l'échelle des vertus, en montant les trois degrés que je t'ai représentés dans le corps de mon Fils unique.
Au premier degré, ils dépouillent les pieds de l'affection de l'amour du vice. Au second, ils (268) goûtent le secret de l'affection du coeur, qui leur fait concevoir l'amour de la vertu. Au troisième, qui est celui de la paix et de la quiétude de l'âme, ils éprouvent en eux la vertu, et en s'élevant au-dessus de l'amour imparfait, ils arrivent à la grande perfection. Là, ils ont enfin le repos, dans la doctrine de ma Vérité; là, ils ont trouvé la table et la nourriture et le serviteur, et ils goûtent à cette nourriture, au moyen de la doctrine du Christ crucifié, mon Fils unique. C'est Moi qui leur suis le lit et la table; la nourriture, c'est mon doux Verbe d'amour. C'est, en effet, en ce Verbe de gloire, qu'ils goûtent vraiment les âmes et que les âmes leur sont une nourriture; et c'est lui-même aussi que je vous ai donné pour nourriture, sa chair et son sang à lui, vrai Dieu et vrai homme. Cet aliment, vous le recevez dans le Sacrement de l'autel, que j'ai institué et que vous a donné ma Bonté pour le temps où vous êtes pèlerins et voyageurs. J'ai voulu que, grâce à lui, vous ne tombiez pas en route, d'inanition ou de faiblesse, et que vous ne perdiez pas le souvenir du Sang, répandu pour vous avec un si ardent amour.
Pour vous réconforter et charmer votre route, l'Esprit-Saint vous sert mes dons et mes grâces. Ce cher Serviteur recueille pour me les offrir, les doux et amoureux désirs de mes fils affamés de souffrance, et leur rapporte en retour la récompense offerte à leurs sacrifices par la divine Charité, en leur faisant goûter et savourer à leur âme la douceur de mon amour. Tu vois bien que je suis la (269) table, mon Fils est la nourriture, et celui qui sert à celte table, c'est l'Esprit-Saint, qui procède du Père et du Fils.
Ainsi toujours ont-ils, ces parfaits, le sentiment de ma présence dans leur âme. Plus ils ont méprisé leur plaisir et leur volonté, plus maintenant ils sont exempts de peine et plus ils ont acquis de joie, parce qu'ils sont brûlés et embrasés par ma charité où se consume leur volonté. Aussi le démon redoute-t-il le bâton de leur charité. C'est de loin qu'il leur envoie ses flèches, sans oser )es approcher. Le monde, lui, frappe l'épiderme de leur corps, croyant le blesser, et c'est lui-même qu'il blesse, parce que la flèche qui ne peut pénétrer la cible revient à celui qui l'a envoyée. Avec ses injures et ses persécutions et ses murmures, le monde crible de flèches ces très parfaits, mes serviteurs; mais ils demeurent impénétrables a ses coups: le jardin de leur âme est bien fermé, et les traits retournent à celui qui les a lancés, empoisonnés par le venin de sa propre faute. De toute part, tu le vois, ils sont invulnérables, puisqu'en frappant le corps, les méchants n'atteignent pas l'âme; qui demeure bienheureuse et affligée; affligée de la faute du prochain, bienheureuse par l'union et l'affection de la charité qu'elle a reçue en elle.
Ils sont ainsi conformes a l'Agneau sans tache, mon Fils unique, qui, sur la croix, était tout à la lois heureux et souffrant. Il souffrait de porter la croix corporelle, en endurant son supplice, et la croix du désir pour satisfaire à la faute de la race humaine; (270) et bienheureux il était, parce que la nature divine unie à la nature humaine était impassible, et toujours faisait son âme bienheureuse, en se montrant à elle sans voile. Ainsi était-il tout à la fois bienheureux et souffrant. Il souffrait dans sa chair suppliciée, la Divinité en lui ne pouvait souffrir, non plus que son âme, dans la partie supérieure de l'intelligence. Il en est de même de ces fils très chers arrivés au troisième et au quatrième état. Ils souffrent en portant leur croix extérieure et leur croix intérieure, c'est-à-dire les afflictions du corps suivant que je le permets, et cette croix du désir que leur inflige la douleur de mon offense et du malheur du prochain. Et je dis aussi qu'ils sont bienheureux, parce que la joie de la charité qu'ils possèdent ne peut leur être enlevée, et c'est elle qui fait leur allégresse et leur béatitude.
Cette peine, on l'appelle bien peine, mais elle n'est pas une peine afflictive qui dessèche l'âme; elle l'engraisse, au contraire, en développant en elle le sentiment de la charité, puisque les peines accroissent la vertu. C'est donc une peine nutritive plutôt qu'afflictive. Car aucune souffrance, aucun tourment ne peut retirer l'âme du feu de l'amour. Elle est comme un tison embrasé au sein de la fournaise, et que nul ne peut toucher pour l'en retirer, parce qu'il est devenu feu. Ces âmes plongées dans le brasier de ma charité, sans que rien ne demeure d'elle, en dehors de Moi, n'ayant plus aucune volonté propre, mais tout entières embrasées en Moi, qui donc les pourrait prendre et les (271) retirer de Moi et de ma grâce, après qu'elles sont ainsi devenues une même chose avec Moi et Moi avec elles. Toujours elles me sentent en elles, jamais je ne leur dérobe le sentiment de ma présence, comme je le fais aux autres, ainsi que je t'ai dit, quand je m'en vais et que je reviens, non que je retire ma grâce, mais seulement le sentiment de mon union avec elles, pour les amener ainsi à la perfection. Une fois qu'elles ont atteint à la perfection, je supprime ce jeu de l'amour des départs et des retours. Je l'appelle jeu de l'amour, parce que c'est par amour que je m'en vais, c'est par amour que je reviens. Non pas Moi en vérité Je suis le Dieu immuable, je ne me meus pas; c'est le sentiment de ma présence, que ma Charité procure à l'âme, qui disparaît pour revenir encore (272).


CHAPITRE XLIX

79 Comment Dieu ne se sépare jamais des parfaits, en leur retirant soit la grâce, soit le sentiment de sa présence, mais il interrompt parfois l'union.

Je te disais que ces âmes très parfaites ne perdent jamais le sentiment de ma présence en elles. Je les quitte cependant d'une antre manière, parce que l'âme, tant qu'elle est liée au corps, ne pourrait recevoir, de façon continue, l'union que je contracte avec l'âme en me laissant voir à elle. C'est pour ménager ses forces que je me retire. Je ne lui ôte ni ma grâce ni le sentiment de ma présence; j'interromps seulement l'union entre elle et moi.
L'âme, emportée par l'angoisse du désir, court généreusement sur le pont de la doctrine du Christ crucifié. Arrivée à la porte, son esprit s'élance vers Moi nourrie et enivrée du Sang, brûlée du feu de l'amour, elle goûte en moi la Divinité éternelle. Elle se plonge dans cet Océan de paix, et son esprit n'a plus de mouvement qu'en Moi. Bien que mortelle encore, elle jouit du bonheur des immortels, et, malgré le poids de son corps, elle reçoit l'allégresse de l'esprit. Aussi maintes fois le corps est-il soulevé de terre, en raison de cette parfaite union (273) que l'âme a faite avec moi, comme si le corps avait perdu son poids pour devenir léger. Cependant il n'a rien perdu de sa pesanteur; mais, comme l'union de l'âme avec moi est plus parfaite que l'union entre le corps et l'âme, la force de l'esprit fixé en moi soulève de terre le poids du corps; le corps reste comme immobile, tout brisé par l'amour de l'âme à tel point, comme tu l'as entendu dire à quelques-unes de mes créatures, qu'il ne pourrait plus vivre, Si ma Bonté ne le ceignait de sa Force. Qu'en cet état d'union à moi, l'âme ne quitte pas le corps, c'est un plus grand miracle, sache-le bien, que de voir plusieurs corps morts ressusciter.
Aussi, j'interromps pour quelque temps cette union, pour permettre à l'âme de retourner dans le vase de son corps. Je veux dire, que la sensation de son corps, qui avait été suspendue par le sentiment intérieur de l'âme, lui est à nouveau rendue. Car, en réalité, l'âme n'a pas quitté son corps, dont elle ne se sépare vraiment que par la mort. Mais les puissances de l'âme n'avaient plus conscience du corps, absorbées qu'elles étaient en moi par l'amour. En cet état, la mémoire n'est remplie que de moi; l'intelligence tendue vers moi ne voit rien d'autre que ma Vérité; la volonté, qui suit l'intelligence, aime ce que l'intelligence contemple et s'unit par l'amour à ce même objet. Toutes ces puissances étant ainsi rassemblées et unies en moi, plongées en moi, consumées en mol, le corps perd toute sensation. L'oeil en voyant ne voit pas, l'oreille en entendant n'entend pas, la langue en parlant ne parle (274) pas, sinon comme il arrive parfois, sous la pression du coeur, quand je permets à la langue d'exprimer le trop plein de l'âme, pour la gloire et l'honneur de mon nom. Cette exception mise à part, la langue en parlant ne parle pas, la main en touchant ne touche pas, les pieds en marchant ne marchent pas. Tous les membres sont liés et retenus dans le lien de l'amour. Ce lien les soumet tellement à la raison et les tient si unis au sentiment de l'âme, que, d'une seule voix et contrairement à leur propre nature, ils crient vers moi, le Père éternel, pour demander que le corps soit séparé de l'âme et l'âme du corps. Ils crient vers moi, comme le glorieux Paul: Malheureux que je suis! Qui me séparera de mon corps: car j'ai en lui une loi perverse qui est en révolte contre l'esprit! (
Rm 8,23-24) .
Ce n'est pas seulement de la lutte de l'appétit sensitif contre l'esprit, que parlait saint Paul, car ma parole l'avait comme rassuré sur ce point, quand je lui avais dit: Paul, ma grâce te suffit! (Cor 12, 9). C'est de son corps auquel il était enchaîné qu'il se plaignait, parce qu'il l'empêchait de me voir pour quelque temps encore. Jusqu'à l'heure de la mort son regard était arrêté et ne pouvait me contempler, moi, la Trinité éternelle, dans la vision des bienheureux immortels, qui sans cesse rendent honneur et louange à mon nom. Il gémissait donc de se trouver parmi les mortels, qui toujours m'offensent, privé de ma vue, privé de me voir dans mon Essence (275).
Non que Paul lui-même et mes autres serviteurs ne me voient pas et ne me goûtent pas; cependant ils ne me voient pas, ils ne me goûtent pas dans mon Essence, mais seulement dans l'effet de ma Charité, qui se manifeste de diverses manières, suivant qu'il plaît à ma Bonté de me découvrir moi-même à eux. Toute vision que l'âme reçoit, pendant qu'elle est dans un corps mortel, n'en est pas moins que ténèbres, comparée à la vision dont jouit l'âme séparée du corps. Aussi semblait-il à Paul que les impressions sensibles arrêtaient la vue de l'esprit et que les sensations tout humaines et grossières du corps empêchaient le regard de l'intelligence de me contempler face à face; sa volonté lui paraissait comme enchaînée et incapable de m'aimer autant qu'il le désirait, parce que, en cette vie, tout amour est imparfait jusqu'à ce qu'il parvienne à sa perfection.
Ce n'est pas que l'amour de Paul, comme celui de mes autres serviteurs, fût imparfait à raison de la grâce ou de la charité: non, sa charité était parfaite. Il était imparfait en ce sens qu'il n'était pas rassasié. De là, sa souffrance. Quand le désir est pleinement satisfait par la possession de ce qu'on aime, il n'y a plus de peine. Mais parce que, tant qu'il est dans un corps mortel, l'amour ne possède pas parfaitement Celui qu'il aime, il demeure en souffrance, jusqu'à ce que l'âme, séparée du corps, voie son désir assouvi et aime désormais sans peine.
L'âme alors est rassasiée, sans éprouver le dégoût de la satiété, parce qu'étant rassasiée, elle a cependant (276) toujours faim sans toutefois souffrir de la faim. Séparée du corps, elle remplit sa coupe en moi, qui suis la Vérité, et la coupe demeure toujours pleine, parce que toujours elle est plongée en moi. Que peut-elle désirer qu'elle ne possède? Elle désire me voir elle me contemple face à face. Elle désire voir la gloire et la louange de mon nom elle voit mon nom loué et glorifié dans mes saints, soit dans la nature angélique, soit dans la nature humaine.





CHAPITRE L

80 Comment les mondains rendent gloire à Dieu, qu'ils le veuillent ou non.


Si parfaite est la vision de l'âme bienheureuse, qu'elle contemple la gloire et l'honneur de mon nom non seulement dans les habitants de la vie éternelle, mais encore dans les créatures mortelles.
Car qu'il le veuille ou non, le monde me rend gloire.
En vérité, la gloire que j'en retire n'est pas celle qu'il me devrait procurer, en m'aimant par-dessus toute chose, mais il n'en monte pas moins de lui, louange et gloire à mon nom. Dans les mondains en effet brille ma Miséricorde et l'abondance de ma Charité, qui leur laisse le temps. Au lieu de commander à la terre de les engloutir, j'attends leur retour, j'ordonne à la terre de leur donner ses fruits, au soleil de répandre sur eux sa lumière et sa chaleur, au ciel de se mouvoir, pour continuer la vie à toutes les choses que j'ai créées pour eux. J'use envers eux de miséricorde et de charité, non seulement en ne leur retirant pas ces dons à cause de leurs fautes, mais encore en les accordant au pécheur comme au juste et souvent plus au pécheur (278) qu'au juste. Car le juste est préparé à souffrir, et je le prive des biens de la terre, pour lui donner plus abondamment les biens du ciel. Ainsi éclatent en eux, ma charité et ma miséricorde.
D'autres fois aussi les serviteurs du monde, par les persécutions qu'ils font subir à mes serviteurs, éprouvent leur vertu, mettent en évidence leur patience et leur charité, provoquent, au milieu des souffrances, leurs humbles et continuelles prières. Prières et souffrances montent vers moi comme un hommage d'honneur et de louange à mon nom. Ainsi donc, sans le vouloir, le méchant travaille à ma gloire, alors même qu'il prétend me faire affront (279).





CHAPITRE LI

81

Comment les démons eux-mêmes rendent gloire et honneur à Dieu.

De même que, dans cette vie, les pécheurs servent à accroître les vertus de mes serviteurs, de même les démons, dans l'enfer, sont mes justiciers et travaillent à mon profit. Ils font justice des damnés; et, pour mes créatures qui font le voyage de cette vie en s'acheminant au terme de leur pèlerinage, ils s'emploient à leur avantage, en exerçant leurs vertus par de multiples assauts et des tentations diverses, par les injures qu'ils leur suscitent de la part des uns, par les larcins qu'ils provoquent contre elles, non seulement dans le but de leur faire injustice ou de les priver de leurs biens, mais dans l'espoir de leur faire perdre la charité. Mais en croyant ainsi causer la perte de mes serviteurs, ils ne font qu'affermir en eux les vertus de patience, de force et de persévérance.
C'est ainsi qu'ils rendent honneur et gloire à mon nom, et que s'accomplit en eux ma Vérité. Je les avais créés pour ma gloire et pour mon honneur à moi Père éternel, pour leur faire participer ma beauté. En se révoltant contre moi, ils sont tombés (280) par leur orgueil et furent privés de ma vue; ils ne m'ont donc pas rendu la gloire ni la louange d'amour. Mais Moi, Vérité éternelle, je les ai constitués mes instruments, pour exercer mes serviteurs dans la vertu, en même temps que mes justiciers à l'égard de ceux qui, par leurs fautes, vont a l'éternelle damnation, et vis-à-vis de ceux, aussi, qui passent par les peines du purgatoire.
C'est ainsi, tu le vois bien, que ma Vérité s'accomplit en eux. Ils me rendent gloire, non comme citoyens de la vie éternelle dont ils ont été privés par leur faute, mais comme mes justiciers. C'est par eux que je manifeste ma justice vis-à-vis des damnés et vis-à-vis de ceux du purgatoire (281).





CHAPITRE LII

82
Comment l'âme, après avoir quitté cette Vie, voit pleinement la gloire du nom de Dieu on toute créature; et comment elle n'a plus la peine du désir mais seulement le désir.

Qui donc voit et comprend qu'en toute chose créée, et dans les créatures raisonnables, et dans les démons, resplendit la gloire et l'honneur de mon nom? L'âme dépouillée du corps et unie à Moi sa fin, le voit nettement, et dans sa vision elle connaît la vérité. En me voyant, moi Père éternel, elle m'aime; en m'aimant, elle est rassasiée; dans son rassasiement elle connaît la vérité; en connaissant la vérité, elle est fixée dans ma volonté, elle y est établie à demeure, de telle sorte que rien désormais ne lui peut causer de peine. Car en moi elle possède tout ce qu'elle désirait avoir. Elle désirait me voir, Moi tout d'abord, et puis la gloire et l'honneur de mon nom. Cette gloire, elle la voit pleinement réalisée dans mes saints, dans les esprits bienheureux, dans les autres créatures, dans les démons, ainsi qu'il a été dit. Et, bien qu'elle voie l'offense qui m'est faite, et dont auparavant elle éprouvait tant de douleur, elle n'en a plus désormais de douleur, mais seulement de la compassion. C'est sans peine (282) elle m'aime, et que sans cesse elle me prie, par charité, pour que je fasse miséricorde au monde. Tu vois donc bien que, pour elle, c'est fini de la souffrance, mais non de la charité. Le Verbe, lui aussi, mon Fils unique, vit finir sur la croix, avec sa vie, la peine du désir douloureux qu'il éprouvait, et dont il endura la souffrance depuis le premier moment où je l'envoyai dans le monde jusqu'au moment où il mourut pour votre salut. En lui, le désir de votre salut dure toujours, mais non la peine. Si le sentiment de la charité, que je vous ai manifestée par lui, avait cessé alors envers vous, vous ne seriez pas; car c'est par l'Amour que vous avez été faits. Si donc, j'avais retiré par devers moi mon amour, Si je n'avais pas aimé votre être, vous ne seriez pas. Mais l'Amour, mon amour, vous a créés et mon amour vous conserve; et parce que je suis une même chose avec ma Vérité comme aussi le Verbe incarné est une même chose avec moi, la peine du désir a bien pris fin, mais non pas le désir.
Vois, maintenant. Les saints et toute âme qui possède la vie éternelle, ont le désir du salut des âmes, sans en éprouver la peine. Leur peine s'est terminée à leur mort, mais non le sentiment de la charité. Enivrés du sang de l'Agneau sans tache, revêtus de la charité du prochain, ils passent par la porte étroite, tout inondés du sang du Christ crucifié et ils se trouvent en moi, l'Océan de paix, délivrés de l'imperfection, c'est-à-dire de l'inassouvissement, et arrivés à la perfection, où ils sont rassasiés de tout bien (283).


CHAPITRE LIII

83
Comment saint Paul, après avoir été ravi dans la gloire des bienheureux, désirait d'être délivré de son corps. Et ainsi font ceux qui sont parvenus à ce troisième et à ce quatrième état.
Paul avait vu et goûté ce bonheur, quand je l'élevai au troisième ciel, c'est-à-dire dans la profondeur de la Trinité. C'est là qu'il avait goûté et connu ma Vérité et reçu pleinement l'Esprit-Saint, là qu'il avait appris la doctrine de ma Vérité le Verbe incarné. La son âme, par sentiment et par union, s'était revêtue de moi Père éternel, comme les bienheureux de la vie durable, sans que toutefois son âme lut séparée de son corps. Mais comme il plut à ma Bonté de faire de lui un vase d'élection dans l'abîme de mn Trinité, je le dépouillai de moi, parce qu'en moi l'on ne peut souffrir et que je voulais qu'il souffrît pour mon nom. Je proposai donc désormais comme objet au regard de son intelligence le Christ crucifié, en le revêtant de sa doctrine, en le liant et en l'enchaînant par la clémence de l'Esprit-Saint qui est le feu de la Charité. Et lui, comme un vase d'argile, se laissa façonner et reformer par ma Bonté, sans aucune résistance. Quand (285) je le frappai, il n'eut de parole que pour dire: Seigneur, que voulez-vous que je fasse? Dites-moi ce qu'il vous plaît que je fasse et je le ferai! Je l'enseignai donc, en proposant à ses regards le Christ crucifié, en le revêtant de la doctrine de ma Vérité; je l'éclairai parfaitement par la lumière d'un véritable repentir fondé sur mon amour qui effaça son péché.
Dès lors, il ne connut plus d'autre doctrine que celle du Christ crucifié. Il s'y attacha si étroitement que rien désormais ne l'en put séparer, ni les assauts du démon, ni les tentations de la chair auxquelles il demeurait en butte par une permission de ma bonté, qui par ces combats voulait le faire grandir encore en mérite et en grâce et le conserver dans l'humilité, après l'avoir fait jouir de sublimité de ma Trinité. Jamais plus il ne dépouilla ce vêtement, jamais il ne s'en sépara ne fût-ce qu'un instant. Persécutions, supplices, tribulations, il endura tout plutôt que de renoncer à la doctrine de la Croix. Il se l'était si bien incorporée qu'il sacrifia sa vie plutôt que de s'en dépouiller et que c'est avec ce vêtement qu'il retourna à moi, le Père éternel.
Paul avait goûté ce que c'est que de jouir de moi sans être appesanti par le poids de son corps. Car je lui avais donné cette jouissance par le sentiment (285) de l'union, sans toutefois le séparer tout à fait de son corps. Quand il fut revenu à lui, revêtu de ce vêtement de Jésus-Christ crucifié, il lui sembla qu'il n'aimait plus que d'un amour imparfait, en comparaison de ce parfait amour qu'il avait goûté en moi et qu'il avait vu dans les Bienheureux séparés de leur corps. Le poids de son propre corps n'était plus à ses yeux qu'un obstacle à ce complet rassasiement du désir, que trouve l'âme après la mort. Si imparfaite et si faible lui paraissait sa mémoire! Elle ne lui permettait pas de me retenir, de me recevoir, de me goûter avec cette plénitude que possèdent les saints séparés de leur corps!
Tant qu'il demeurait en ce corps mortel, tout dans ce corps lui semblait une loi mauvaise en lutte contre l'esprit. Cette opposition n'était pas celle du péché puisque je l'avais rassuré de ce côté quand je lui avais dit: "Paul ma grâce te suffit (
2Co 12,9) ". C'était cet obstacle apporté à la perfection de l'esprit, laquelle consiste à pouvoir me contempler dans mon essence. L'appesantissement du corps empêchant cette vision, Paul s'écriait donc: " O malheureux homme que je suis! Qui me délivrera de ce corps mortel. Car dans tous mes membres je sens une loi qui m'enchaîne et qui est en opposition avec la loi de mon esprit (Rm 7,23) " ?
C'est l'exacte vérité. La mémoire, dépendante du corps, est amoindrie par cette servitude; l'intelligence, entravée par son poids, ne peut me contempler (286) tel que je suis dans mon essence: la volonté, comme enchaînée, ne peut s'unir à moi pour me goûter sans souffrance, comme je te l'ai l'ait comprendre. C'est donc bien avec raison que Paul se lamentait: " J'ai dans mon corps une loi en révolte contre la loi de mon esprit."
Pareils sont mes serviteurs, ceux que je t'ai montrés parvenus au troisième et au quatrième état de l'union parfaite qu'ils ont contractée avec moi. Eux aussi, ils crient leur désir d'être délivrés de leur corps, et de sentir enfin leurs liens brisés.
Pour ces fidèles voués à mon service, la séparation du corps est sans angoisse, la mort sans amertume. Ils l'appellent de tout leur désir. Armés d'une sainte haine, c'est sans répit qu'ils ont mené rude guerre contre la chair, et ils ont perdu cette tendresse instinctive que l'âme éprouve pour son corps; cet amour naturel ils l'ont vaincu par la haine de la vie corporelle, et leur amour pour moi leur fait demander à mourir: " Qui me délivrera, disent-ils, de ce corps de mort? Je souhaite tant d'en être affranchi pour être avec le Christ!" Avec l'Apôtre ils s'écrient: " Mourir est ma grande ambition! c'est par patience que je consens à vivre." Une fois élevée à cette parfaite union, l'âme n'a plus de désir que de me voir et de contempler ma gloire réalisée en toutes choses (287).


CHAPITRE LIV

84

Comment l'âme, parvenue à l'état d'union, éprouve un désir infini de laisser sa dépouille terrestre, pour s'unir à Dieu.
Quand je me retire de la manière que j'ai dite, et que l'âme reprend conscience de son corps, cette âme, au sortir de l'union que j'avais faite avec elle et qu'elle avait faite avec moi, reporte vers moi le sentiment qu'elle éprouve en se retrouvant en son corps. En se voyant privée de cette union qu'elle avait avec Moi et séparée de la société des immortels qui me rendent gloire, pour se retrouver au milieu des mortels qui m'outragent si misérablement, elle ne peut supporter de me voir offenser par mes créatures. C'est en cela que consiste la croix du désir qu'elle endure. Cette souffrance, jointe au désir de me voir, lui rend la vie insupportable. Cependant elle ne se plaint pas, parce que sa volonté n'est plus sienne elle est devenue une même chose avec moi par l'amour, et elle ne peut vouloir me désirer rien d'autre que ce que je veux. Tout en désirant venir à Moi, elle est donc contente de rester et de demeurer en sa souffrance, si c'est ma volonté, pour procurer à mon nom plus d'honneur et de gloire et mieux coopérer au salut (288) des âmes. En aucun point, elle n'est en désaccord avec ma volonté; mais emportée par le désir qui l'oppresse, elle court, revêtue du Christ crucifié, passant par le pont de sa doctrine, se glorifiant des opprobres et des souffrances. Elle se délecte dans les peines, et la mesure de ses peines est la mesure de sa joie. Plus elle est éprouvée par les tribulations, plus elle y trouve d'apaisement à son désir de mourir; car souvent, le désir qu'elle a de souffrir adoucit la peine qu'elle ressent d'être enchaînée à son corps.
Dès lors ce n'est plus seulement avec patience que mes serviteurs accueillent la souffrance, comme dans le troisième état; ils se font gloire d'endurer pour mon nom de nombreuses tribulations. Souffrir, pour eux c'est jouir; leur souffrance est de ne pas souffrir. Ils n'ont qu'une crainte, c'est que je ne veuille récompenser en cette vie leurs bonnes actions, et que je n'aie pas pour agréable, le sacrifice de leurs désirs. Dès qu'ils sont dans la peine, dès que je leur ménage des tribulations, leur âme retrouve son allégresse, en se voyant ainsi revêtue des souffrances et des opprobres du Christ crucifié. S'il leur était possible de pratiquer la vertu sans peine, ils ne le voudraient pas. C'est sur la croix, avec le Christ, qu'ils veulent trouver leur joie; c'est par la souffrance qu'ils veulent acquérir la vertu et arriver à la vie éternelle, parce qu'ils ont été plongés et embrasés dans le Sang, où ils ont trouvé le feu de ma Charité; car cette Charité est un feu, un feu qui (289) procède de Moi, pour ravir leur esprit et leur coeur, en consumant le sacrifice de leur désir.
Le regard de leur intelligence se porte alors vers moi, pour contempler ma Divinité, emportant à sa suite la volonté qui s'unit à moi pour s'y nourrir. Cette vue est une grâce infuse que j'accorde à l'âme qui m'aime et me sert en toute Vérité (290).



CHAPITRE LV

85 Comment ceux qui sont parvenus à cet état d'union sont illuminés dans leur intelligence, par une lumière surnaturelle infuse, par une grâce spéciale de Dieu. Et comment il est plus avantageux pour le salut de l'âme de suivre les conseils d'un esprit humble possédant une conscience sainte que ceux d'un savant orgueilleux.

C'est avec cette lumière, qui éclairait le regard de son intelligence, que me vit Thomas d'Aquin, et qu'il acquit les clartés multiples de la science, comme aussi Augustin, Jérôme et les autres Docteurs, et mes Saints. Eclairés par ma Vérité, ils entendaient et discernaient au milieu des ténèbres ma Vérité. Ils voyaient clair dans la sainte Ecriture, qui paraissait ténébreuse à ceux qui ne la pouvaient comprendre, non par le défaut de l'Ecriture, mais par le défaut de la raison qui ne l'entendait pas. C'est pourquoi j'ai envoyé ces flambeaux pour éclairer les esprits aveugles et grossiers, en élevant le regard de leur intelligence pour leur faire connaître la Vérité au sein des ténèbres, comme je l'ai dit.
Moi, le feu qui a consumé leur sacrifice, je les ai ravis en moi, en leur donnant la lumière, non pas naturelle, mais absolument surnaturelle. Cette lumière ils l'ont reçue au sein des ténèbres, et (291) c'est par elle qu'ils ont connu ma Vérité. Cette Vérité, qui alors paraissait obscure, apparaît aujourd'hui en pleine lumière, aux esprits les plus grossiers comme aux plus subtils, à quelques nations qu'ils appartiennent, et chacun la reçoit selon sa capacité, et aussi suivant les dispositions qu'il veut apporter à la connaître, car je tiens compte de leurs dispositions.
Tu vois donc que l'oeil de l'intelligence a reçu la lumière infuse par grâce, supérieure à la lumière naturelle, et, par elle, les Docteurs et les autres Saints ont connu la lumière dans les ténèbres. Ainsi des ténèbres est sortie la clarté, puisque l'intelligence fut avant que ne fût formée l'Ecriture, et c'est de l'intelligence ainsi éclairée qu'est venue la science, car c'est en voyant qu'elle discerne le vrai.
C'est grâce à cette lumière que les saints Patriarches et les Prophètes connurent et annoncèrent l'avènement et la mort de mon Fils. C'est elle qui éclairait les Apôtres, après l'avènement de l'Esprit-Saint qui les inonda d'une clarté surnaturelle. C'est elle aussi que possédaient les Evangélistes, et les Docteurs et les Confesseurs et les Vierges et les Martyrs, qui, tous, furent illuminés de cette parfaite lumière.
Et chacun l'a reçue de manière différente, suivant que le demandait son propre salut ou le salut des créatures, ou le besoin de ceux chargés d'enseigner les saintes Ecritures. Les saints Docteurs l'ont eue par la Science avec laquelle ils ont interprété la doctrine de ma Vérité, la prédication des (292) Apôtres, les livres des Evangiles. Les Martyrs l'ont possédée, pour affirmer, par leur sang, la lumière de la très sainte Foi, le fruit et les trésors du Sang de l'Agneau. Elle était dans les vierges, par le sentiment de la charité et de la pureté. Elle est dans les Obéissants, qui manifestent l'obéissance du Verbe et témoignent de la perfection de l'obéissance qui s'est affirmée avec éclat dans ma Vérité, lorsque, pour accomplir le commandement que je lui avais imposé, Elle courut à la mort ignominieuse de la croix.
L'ancien et le nouveau Testament sont tout remplis de cette lumière. Dans l'Ancien, c'est cette lumière, infuse par ma grâce et ajoutée à la lumière naturelle, qui illumina l'intelligence des saints Prophètes et fit d'eux les Voyants, qui regardaient dans l'avenir. Dans le Nouveau, n'est-ce pas aussi par cette lumière, que tout le détail de la Vie évangélique est manifesté aux fidèles du Christ? Et, parce que toutes deux procèdent de la même lumière, la loi nouvelle n'a pas abrogé la loi ancienne, elle en est inséparable, elle n'a détruit en elle que cette imperfection, d'être fondée uniquement sur la crainte. Quand vint le Verbe, mon Fils unique, avec la loi d'amour, il la compléta en lui donnant l'amour. A la crainte du châtiment, il substitua la crainte sainte. C'est ce que ma Vérité disait aux disciples pour leur montrer qu'il ne détruisait pas la loi: Je ne suis pas venu abroger la loi, mais la perfectionner (
Mt 5,17). Comme s'il eût dit: "Jusqu'à maintenant (293) la loi est imparfaite, mais, par mon Sang, je la ferai parfaite: je l'achèverai en ce qui lui manque, en faisant disparaître la crainte du châtiment, pour ne lui donner d'autre fondement que l'amour et la crainte sainte.
Et qui prouve que ce fut là la vérité? La lumière surnaturelle qui, par grâce, fut donnée et qui est donnée toujours à qui la veut recevoir. Toute lumière qui sort de la Sainte Ecriture, est venue et vient de cette lumière. Les Ignorants orgueilleux, les Scientistes, s'aveuglent à cette lumière, parce que leur orgueil et le nuage de l'amour-propre recouvrent et cachent pour eux cette clarté. C'est pourquoi, ils entendent la Sainte Ecriture littéralement plus que spirituellement. Ils n'en goûtent que la lettre, à force de compulser les livres: ils ne savourent pas la moelle de l'Écriture, parce qu'ils se sont privés de la lumière qui l'a composée et qui aussi en révèle le sens.
Ces beaux savants s'étonnent On les surprend murmurant, quand ils voient de pauvres gens grossiers et sans instruction, goûter la Sainte Ecriture, et faire montre d'autant de lumière dans la connaissance de ma Vérité, que s'ils l'avaient étudiée bien longtemps! Il n'y a là, pourtant, nulle merveille. Ils ont étudié, oui, mais leur étude a porté sur la cause principale, sur la Lumière elle-même, d'où procède la science. Mais comme ces superbes ont perdu cette lumière, ils ne voient pas, ils ne reconnaissent pas ma Bonté, dans cette lumière même, répandue par ma grâce dans mes serviteurs. Aussi je te dis, (294) que, pour demander conseil sur le salut de l'âme, il vaut beaucoup mieux s'adresser à l'un de ces humbles, d'une conscience droite et sainte, qu'à un orgueilleux érudit, qui a fait par ses études le tour de la science.
Celui-ci ne peut donner que ce qu'il possède. Aussi bien souvent, à cause de sa vie de ténèbres, ce n'est que dans ces ténèbres, qu'il distribuera la lumière de la Sainte Écriture; tandis que mes serviteurs répandent la lumière qu'ils possèdent en eux-mêmes, désireux et comme affamés du salut des âmes.
Tout cela, ma très douce fille, est pour te faire connaître la perfection de cet état d'union, où l'oeil de l'intelligence est ravi par le feu de ma Charité, qui donne la lumière surnaturelle. Avec cette lumière l'on m'aime, parce que l'amour suit l'intelligence. Plus l'on connaît plus on aime, et plus l'on aime plus on connaît. Amour et connaissance s'alimentent ainsi l'un l'autre réciproquement.
C'est avec cette lumière, que l'âme séparée du corps entre dans l'éternelle vie où elle me voit et me goûte en toute vérité, comme je te l'ai dit, quand je te parlai de la béatitude que l'âme trouve en Moi.
Tel est cet état très excellent, où mes serviteurs, bien qu'encore mortels, goûtent les biens immortels qui sont le partage de ceux qui sont morts. Aussi parfois elle en arrive à une union si étroite avec Moi, qu'elle sait à grand'peine si elle est dans son corps ou si elle l'a quitté. Son union avec moi lui (295) procure un avant-goût de la vie éternelle. C'est en faisant mourir en elle sa volonté, qu'elle a réalisé cette union en moi, car il n'est pas d'autre moyen de s'unir parfaitement à moi. Elle peut dès lors goûter la vie éternelle, après s'être ainsi délivrée de l'enfer de sa propre volonté. Et de même, l'homme qui vit selon les inspirations de son appétit sensuel, a comme un avant-goût de l'enfer, ainsi que je te l'ai dit (296).







Catherine de Sienne, Dialogue 78