Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 84, A UN GRAND PRELAT
LXXXV (39). - A NICOLAS D'OSIMO. - Combien sont agréables à Dieu les efforts qu'on fait pour le salut des âmes et le bien de l'Église.
(Nicolas d'Osimo était de Rome. Il fut secrétaire et protonotaire des Papes Urbain V et Grégoire XI. Il travailla avec zèle au retour du Pape d'Avignon. Il mourut en 1406.)
AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE
1. Mon très cher et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ1 je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une colonne ferme qui ne s'ébranle jamais, si ce n'est en [579] Dieu, ne craignant, ne refusant aucune des peines qu'il faut souffrir dans le corps mystique de la sainte Église, la douce Épouse du Christ, soit par l'ingratitude, soit par l'ignorance que vous rencontrerez dans ceux qui habitent ce jardin, soit à cause du chagrin qu'on éprouve en voyant les affaires de l'Eglise en désordre. Il arrive souvent que l'homme travaille à une chose qui ne réussit pas comme il le désirait; la tristesse et l'ennui s'emparent alors de son esprit, et il se dit à lui-même: Il vaudrait mieux renoncer à cette entreprise qui m'a pris tant de temps, sans aucun résultat, et chercher la paix et le repos de mon âme. L'âme doit alors résister par la faim de l'honneur de Dieu et du salut des âmes; elle doit réfuter les propos de l'amour-propre, en disant: Je ne veux pas éviter et fuir le travail, parce ce que je ne suis pas digne de la paix et du repos; je veux rester au poste qui m'a été confié, et rendre courageusement honneur à Dieu, en travaillant pour lui et pour le prochain.
2. Quelquefois le démon, pour nous dégoûter de nos entreprises, nous fait dire, en voyant le trouble de notre esprit: J'offense plus Dieu que je ne le sers; il vaudrait mieux abandonner cette affaire, non par dégoût, mais pour ne plus commettre de faute. O très cher Père, ne vous écoutez pas, n'écoutez pas le démon, lorsqu'il met ces pensées dans votre esprit et dans votre coeur; mais embrassez les fatigues avec joie, avec un saint et ardent désir, et sans aucune crainte servile. Ne craignez pas d'offenser Dieu, parce que l'offense consiste dans une volonté perverse et coupable. Quand la volonté n'est pas [580] selon Dieu, il y a péché; mais quand l'âme est privée de la consolation qu'elle éprouvait en récitant l'office et les psaumes, quand elle ne peut pas prier dans le temps, le lieu et la paix qu'elle voudrait avoir, elle ne perd pas cependant sa peine, car elle travaille pour Dieu. Elle ne doit pas s'en affecter, surtout quand elle se fatigue pour le service de l'Épouse du Christ: tout ce que nous faisons pour elle est si méritoire et si agréable à Dieu, que notre intelligence est incapable de le comprendre et de l'imaginer.
3. Je me souviens, très doux Père, d'une servante de Dieu à laquelle fut révélée combien ce qu'on fait pour l'Église lui est agréable, et je vous le dis afin que vous soyez encouragé à souffrir pour elle (Il s'agit toujours de Sainte Catherine elle-même). Je sais qu'une fois entre autres cette servante de Dieu désirait ardemment donner son Sang, détruire et consumer tout ce qui était en elle pour l'Épouse du Christ, pour la sainte Église; elle appliquait son intelligence à comprendre son néant et la bonté de Dieu à son égard; elle voyait que Dieu, par amour, lui avait donné l'être, et toutes les grâces, tous les dons qu'il y avait ajoutés. En voyant et en goûtant cet amour, cet abîme de charité, elle ne voyait d'autre moyen de remercier Dieu que de l'aimer; mais comme elle ne pouvait lui être utile, elle ne pouvait lui prouver son amour, et alors elle cherchait à aimer pour lui quelque chose qui lui permit de montrer son amour. Elle voyait que Dieu aime d'un amour infini la créature raisonnable, et cet [581] amour, elle le trouvait en elle-même et dans tous les. hommes, car nous sommes tous aimés de Dieu: elle avait donc un moyen de montrer si elle aimait Dieu ou non, puisqu'elle pouvait ainsi lui être utile, Alors elle se livrait avec ardeur à la charité du prochain, et elle ressentait un tel amour pour son salut, qu'elle aurait donné avec joie sa vie pour l'obtenir. Ce qu'elle ne pouvait faire pour Dieu, elle désirait le faire pour son prochain; et elle avait reconnu qu'il fallait remercier Dieu par le moyen du prochain, et lui rendre ainsi amour pour amour. Comme Dieu, par le moyen du Verbe, son Fils, a manifesté son amour et sa miséricorde, elle voulait, par le désir du salut des âmes, rendre honneur à Dieu et lui être agréable en travaillant pour le prochain; elle cherchait en quel jardin et sur quelle table elle pouvait se satisfaire.
4. Alors notre Sauveur lui apparut et lui dit: " Ma fille bien-aimée, c'est dans le jardin de mon Epouse et sur la table de la très sainte Croix que tu peux le faire, par tes peines, par l'angoisse du désir, par les veilles, les prières, et par d'actifs et persévérants efforts. Apprends que tu ne peux rien désirer pour le salut des âmes que tu ne le désires pour la sainte Église, car elle est le corps universel de tous ceux qui participent à la lumière de la sainte Foi, et nul ne peut avoir la vie, s'il n'est pas soumis à mon Épouse. Tu dois donc désirer voir le prochain, les chrétiens, les infidèles, et toute créature raisonnable se nourrir dans ce jardin, sous le joug de la sainte obéissance, et se revêtir de la lumière d'une foi vive, c'est-à-dire de saintes et bonnes oeuvres, car la foi [582] sans les oeuvres est morte. C'est là le désir et le besoin général du corps universel de l'Église. Mais maintenant, je te le dis, je veux que tu ressentes un désir et une faim particulière, et que tu sois prête, s'il le faut, à donner ta vie pour le corps mystique de la sainte Église, pour la réforme de mon Epouse; car de cette réforme dépend le bien du monde entier. Comment? C'est que les ténèbres, l'ignorance, l'amour-propre, l'impureté et les excès de l'orgueil ont produit et produisent la nuit et la mort dans l'âme des fidèles. Aussi je vous invite, toi et mes autres serviteurs, à vous consumer dans les désirs, les veilles, les prières et les autres exercices, selon les dispositions que je vous donne, parce que cette peine qu'on a pour le bien de l'Église m'est si agréable qu'elle est non seulement récompensée dans mes serviteurs qui ont une intention droite et sainte, mais qu'elle le sera encore dans les serviteurs du monde, qui souvent la secondent par intérêt, et quelquefois par respect pour la sainte Église. Aussi je te dis que personne ne la servira avec respect sans en être récompensé, tant je l'ai en estime. Oui, celui- là ne tombera pas dans la mort éternelle comme ceux qui offensent et attaquent mon Épouse: je punirai toujours ses outrages, d'une manière ou d'une autre.
5. Alors cette âme, voyant tant de grandeur et de profondeur dans la bonté de Dieu, et ce qu'elle devait faire pour lui plaire davantage, augmentait de plus en plus l'ardeur de son désir; il lui semblait que si elle eût pu donner mille fois sa vie par jour jusqu'au jugement dernier, c'eût été moins qu'une [583] goutte de vin dans la mer; et c'est aussi la vérité. Je vous invite donc à travailler pour l'Église comme vous l'avez toujours fait, à être une colonne placée pour soutenir et aider cette Épouse; c'est là votre devoir, comme je l'ai dit. Ne soyez jamais ébranlé, ni dans la consolation, ni dans la tribulation. Il y a bien des vents contraires qui soufflent contre ceux qui suivent la voie de la vérité; mais nous ne devons pour aucune cause tourner la tête en arrière. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir une colonne ferme. Courage donc, très cher et très doux Père, car c'est le moment d'honorer Dieu dans son Épouse, et de nous fatiguer pour elle. Je vous conjure, pour l'amour de Jésus crucifié, de prier le Saint-Père de prendre tous les moyens qu'il peut prendre, sans blesser sa conscience, pour réformer la sainte Église et apaiser cette guerre, qui cause la ruine de tant d'âmes. Qu'il y travaille avec zèle et sans négligence, car Dieu punira durement toute négligence, tout défaut de zèle, et il lui sera demandé compte de toutes les âmes qui périssent. Je vous prie de me recommander humblement au Saint-Père, en lui demandant sa bénédiction. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. [584] .
LXXXVI (40). - A NICOLAS D'OSINO. - Comment il faut bâtir l'édifice de notre âme par le moyen du sang de Jésus-Christ, et par l'emploi de nos trois puissances.
AU NOM DE JÉSUS CRUCIFÉ ET DE LA DOUCE MARIE
1. Mon très cher et bien aimé Père dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une pierre ferme, fondé sur le doux Jésus, la pierre inébranlable. Vous savez que la pierre et l'édifice qu'on pose et qu'on élève sur le sable et la terre, le moindre vent, ou la pluie qui vient, les jette par terre. Il en est de même de l'âme qui s'appuie sur les choses transitoires de cette vie misérable et ténébreuse, qui passent comme le vent et comme la poussière qu'il emporte; la moindre contrariété la renverse. C'est ce qui arrive aussi quand nous prenons pour fondement l'amour-propre, qui est la lèpre et la plaie la plus dangereuse que nous puissions avoir. Cette lèpre corrompt toutes les vertus, qui ne peuvent avoir la vie, car elles sont privées de leur mère, la charité; elles ne vivent pas parce qu'elles sont séparées de la vie. C'est pourquoi mon âme désire vous voir établi sur la pierre vive.
2. O très cher Père, y a-t-il une chose meilleure et plus douce que de bâtir l'édifice de notre âme? Oui, c'est une chose bien douce, d'avoir trouvé la pierre, l'architecte et l'ouvrier qu'il faut pour cet édifice. Oh! [585] le bon architecte, que le Père éternel, en qui reposent la sagesse, la science, la bonté infinies! Notre Dieu est Celui qui est; toutes les choses qui ont l'être le tiennent de lui; c'est un maître qui fait tout ce qui est utile, et qui ne veut que notre sanctification. Tout ce qu'il donne ou permet est pour notre bien, pour nous purifier de nos péchés, ou pour augmenter en nous la grâce et la perfection. C'est donc un doux maître puisqu'il sait bien édifier, et qu'il nous donne ce dont nous avons besoin. Il a fait plus lorsqu'il a vu que l'eau n'était pas bonne pour éteindre la chaux qui devait affermir la pierre, c'est-à-dire les vraies et solides vertus, il nous a donné le sang de son Fils unique. Vous savez qu'avant la promesse de la venue du Fils de Dieu, aucune vertu n'était capable de donner à l'homme la vie qu'il avait perdue par le péché.
3. O mon Père, considérons l'ineffable charité. de ce maître, qui, en voyant que l'eau des saints prophètes n'était pas vive et ne pouvait donner la vie, a tiré de lui-même et nous a offert le Verbe incarné, son Fils unique; il lui a donné sa puissance et sa vertu, et l'a placé comme pierre fondamentale de notre édifice. Sans cette pierre, nous ne pouvons vivre; et c'est en cela qu'il est bon: car le Fils est uni et n'est qu'une seule chose avec le Père, et tout ce qui est amer devient doux par sa douceur. C'est lui qui est la chaux vive, et non la terre et le sable. O doux foyer d'amour, vous nous avez donné pour serviteur et pour ouvrier l'Esprit-Saint, si riche et si clément, lui dont l'amour et la main puissante attachèrent le Verbe sur la Croix. Il a pressuré [586] son divin corps, et en a fait couler le sang capable de nous donner la vie et de bâtir l'édifice. Toute vertu est bonne et donne la vie, quand elle est basée sur le Christ et cimentée de son sang. Que nos coeurs se brisent donc d'amour, en voyant que le sang a fait ce que l'eau ne pouvait faire. Que désirer de meilleur? Qui peut maintenant aller puiser l'eau des bourbiers, en recherchant les tristes et coupables plaisirs du monde? Que le feu dissolve les pierres de nos coeurs endurcis!
4. Ainsi le Père, considérant ces choses avec sa sagesse, sa puissance, sa bonté, s'est fait l'artiste, en créant et en édifiant notre âme à son image et ressemblance. L'artiste est celui qui travaille par la vertu qui est en lui-même; avec la mémoire, ou est ce qu'il faut faire, avec l'intelligence, qui comprend, et avec la main de la volonté qui exécute. Nous avions perdu la grâce par le péché commis, et il est venu s'unir et se greffer sur notre nature; il s'est donné tout à nous, car sa vertu est dans son Fils; il l'a fait artiste aussi, en lui donnant sa puissance; il l'a fait pierre, comme le dit saint Paul: " Notre pierre est le Christ. (1Co 10,4) ". Il l'a fait le serviteur et l'ouvrier de l'édifice, car la charité, l'amour ineffable avec lequel il a donné sa vie et son sang, a préparé la chaux, et rien maintenant. ne nous manquera. Réjouissons-nous donc et tressaillons d'allégresse, parce que nous avons un bon architecte, une pierre excellente et un ouvrier qui nous a cimentés avec son sang; et son ouvrage est si fort, que ni le [587] démon, ni les créatures, ni la grêle, ni la tempête, ni le vent ne pourront jamais renverser cet édifice, si nous n'y consentons.
5. Que notre mémoire se lève donc, qu'elle retienne un si grand bienfait; que notre intelligence se lève, et qu'elle comprenne cet amour, cette bonté qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification, et qu'elle ne se considère pas pour elle-même, mais pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Alors, quand la mémoire possédera ces choses, et que l'intelligence les aura comprises, je ne sais pas comment il sera possible à la volonté de résister et de ne pas courir avec une ardeur embrasée par le feu de la charité, pour aimer ce que Dieu aime, et pour détester ce qu'il déteste. Rien ne pourra la troubler et l'arrêter dans ses saintes résolutions; mais elle sera dans la vraie patience, parce qu'elle sera appuyée sur la pierre vive, qui est le Christ.
6. Aussi je vous ai dit que je désirais que vous fussiez une pierre fondée sur cette pierre, et je vous prie, pour l'amour de Jésus crucifié, d'avancer et de persévérer toujours dans vos saintes résolutions. Ne vous laissez jamais ébranler ou ralentir par les vents contraires qui pourraient souffler. Soyez-moi une pierre ferme et solide pour le corps de la sainte Église, cherchant toujours l'honneur de Dieu, l'exaltation et la réforme de la sainte Église. Je vous prie de ne pas faiblir dans votre désir et dans votre zèle à presser le Saint-Père de venir bien vite, et de ne plus tarder à mettre les armes des fidèles chrétiens au service de la très sainte Croix. Ne vous arrêtez [588] pas au scandale qui arrive. Qu'il ne craigne pas, mais qu'il persévère avec courage, et qu'il réalise bientôt ses saintes et bonnes résolutions, malgré les attaques qu'il a éprouvées de la part du démon et des créatures. Soyez une pierre vive appuyée sur l'Épouse du Christ, annonçant toujours la vérité, fallut-il même perdre la vie. Dans ce qui vous regarde ne faites pas attention à nous, mais ne cherchez toujours que l'honneur de Dieu. Nous avons vu si longtemps outrager son nom, que nous devons maintenant être prêts à sacrifier notre vie pour sa louange et sa gloire. Du zèle donc, mon Père; pas de négligence. Puisque nous avons le temps, profitons-en. Travaillons pour le prochain et pour la gloire de Dieu. J'espère de sa bonté que vous le ferez. Pardonnez à ma présomption; c'est mon amour qui en est la cause. J'ai ressenti une grande joie du bon désir et de la résolution du Saint-Père au sujet de son retour et de la sainte et glorieuse croisade qu'attendent avec ardeur tous les serviteurs de Dieu. Je n'en dis pas davantage.
7. J'ai appris que le Saint-Père voulait élever le Maître de notre Ordre à une autre charge. Je vous prie, si la chose est vraie, de demander au Christ de la terre de donner à l'Ordre un bon vicaire; nous en avons grand besoin (Voir les lettres I et LXXIX). Je vous prie de parler, si vous le trouvez bon, de maître Étienne, qui était procureur de l'Ordre quand Frère Raymond était à la cour romaine. Vous devez savoir que c'est un homme excellent et courageux. J'espère que si nous l'avions [589], tout l'Ordre s'en ressentirait par la grâce de Dieu. J'ai écrit au Saint-Père, mais sans désigner personne; je lui ai demandé seulement de nous en donner un bon, et d'en causer avec vous et avec l'évêque d'Otrante. Si, pour cela ou pour quelque autre chose utile à la sainte Église, vous avez besoin que Frère Raymond aille vous rejoindre, écrivez-le, mon Père; il sera toujours à vos ordres. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
LXXXVII (41). - A L'ABBÉ DE MARMOUTIER, nonce apostolique. - De la charité qui s'acquiert en suivant les tracas de Jésus-Christ. - Des effets de la lumière qu'elle produit dans l'âme. - L'âme doit espérer de la miséricorde divine le pardon de ses péchés. - Elle le prie d'aider le Pape dans les affaires de l'Eglise, surtout en lui conseillant l'élection de bons et saints pasteurs.
(Cette belle lettre est adressée à un Français, Gérard du Puy, religieux bénédictin, abbé de Marmoutier. Il était parent de Grégoire XI, et fut envoyé par lui en Italie, vers 1371, avec le titre de trésorier de la sainte l'Eglise. Il fut nommé en 1372 gouverneur de Pérouse, et nonce du Pape en Toscane. Il mécontenta les Italiens, et fut cause de la guerre qui éclata entre les Florentins et le Saint-Siège. Créé cardinal en 1375, il se prononça contre Urbain Vl, à Anagni, et mourut dans le schisme en 1359.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Mon vénérable Père spirituel dans le Christ Jésus, moi, votre indigne servante et votre petite [590] fille, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je me recommande à vous, et je vous écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un vrai prêtre et un membre uni au corps de la sainte Église. O vénérable et très cher Père dans le Christ Jésus, que votre âme et la mienne seraient heureuses, si je voyais que nous sommes unis dans le feu de la divine charité. Vous savez que la charité donne du lait à ses enfants pour les nourrir, et il me semble que ce lait ne peut se prendre autrement que le prend un enfant sur le sein de sa mère. Il le prend en y appliquant ses lèvres; il s'en nourrit. Vous savez que notre âme aussi ne peut avoir la vie que par le moyen de Jésus crucifié. La Vérité suprême l'a dit: Personne ne peut aller au Père, si ce n'est par moi. Et dans un autre endroit, elle dit: Je suis la voie, la vérité, la vie: celui qui va par moi ne va pas par les ténèbres, mais il va par la lumière. O ineffable et douce Charité, quelle voie avez-vous choisie avec tant d'amour! Je ne vois pas que ce soient les honneurs, les délices, la gloire humaine et l'amour de vous-même; car la charité ne cherche pas son avantage, mais seulement l'honneur de Dieu et le salut des créatures. Aussi la vie de Jésus-Christ n'a été qu'injures, mépris, outrages, et elle a fini par la mort ignominieuse de la Croix. C'est par cette voie que l'ont suivi les saints, comme des membres liés et unis à leur doux chef, Jésus, qui est si bon qu'il nourrit et donne la vie à tous les membres qui lui sont unis. Et si nous demandons comment on peut suivre ce doux Chef et s'unir à lui, vous savez qu'il n'y a pas d'autre [591] moyen pour l'homme que de se lier, de devenir une même chose avec le feu, et d'y consumer tout ce qui lui est étranger.
2. C'est ce lien d'amour qui unit l'âme au Christ. Oh! qu'il est doux ce lien, qui attacha le Fils de Dieu au bois de la très sainte Croix! Et l'homme qui est lié par ce lien, se trouve dans le feu. Le feu de la divine charité fait pour l'âme ce que fait le feu matériel; il échauffe, il éclaire, il convertit en lui. O feu doux et puissant, vous échauffez et détruisez le froid du vice, du péché; de l'amour-propre! Cette chaleur se communique et enflamme le bois aride de notre volonté, qui s'embrase et se consume dans de doux et d'amoureux désirs, aimant ce que Dieu aime, détestant ce que Dieu déteste. Et comme l'âme voit qu'elle est aimée d'un amour infini, et que l'Agneau s'est immolé pour elle sur le bois de la Croix, alors je dis que le feu l'éclaire, et que les ténèbres. ne peuvent l'atteindre. L'âme éclairée par ce divin foyer ouvre son intelligence, et s'élargit. Et parce qu'elle a senti et reçu la lumière, elle discerne et voit ce qui est dans la volonté de Dieu, et elle ne veut suivre que les traces de Jésus crucifié. Car elle voit bien qu'elle ne peut aller par une autre voie, et elle ne veut se réjouir en autre chose que dans ses opprobres. Alors, par le moyen de la chair de Jésus crucifié, elle attire à elle le lait de la divine douceur. O douce lumière, qui détruit les ténèbres, et dissipe l'amertume et la tristesse! La clarté de cette lumière fait voir que tout procède de Dieu excepté le péché et le vice, et que Dieu ne veut autre chose que notre sanctification. Pour nous procurer cette sanctification de la grâce [592], Dieu s'est uni à nous en s'humiliant jusqu'à l'homme. Aussi son humilité déracine notre orgueil; c'est la règle que nous devons tous suivre.
3. L'intelligence éclairée voit cela, et le comprend en s'anéantissant dans la clarté de la divine charité et de la bonté de Dieu: et comment? En se connaissant elle-même, elle voit qu'elle n'est pas, et elle reconnaît qu'elle reçoit de Dieu l'être par grâce, par amour, et non par devoir. Aussitôt que nous comprenons tant de bonté, il naît en nous une fontaine vive de grâce, une source d'huile d'une humilité profonde, qui empêchera l'homme de tomber et de se laisser enfler par l'orgueil, quelque position ou quelque gloire qu'il ait. Comme un bon pasteur, il suivra les traces de son maître, ainsi que le faisaient ce saint et doux Grégoire et les autres qui l'imitèrent. Plus ils étaient grands, plus ils se faisaient petits; ils ne voulaient pas être servis, mais servir spirituellement et temporellement, plus par leurs bons exemples que par leurs paroles.
4. Lorsque l'intelligence a reçu la lumière du feu, comme je l'ai dit, elle se change en ce feu divin et devient une même chose avec lui. La mémoire aussi devient une même chose avec Jésus crucifié, et elle ne peut retenir, goûter et méditer que son Bien-aimé et l'amour ineffable qu'elle lui voit pour elle et pour tous les hommes. Et aussitôt que la mémoire est ainsi remplie, l'âme aime Dieu et son prochain; elle donnerait mille fois sa vie pour lui; et elle ne regarde pas l'avantage qu'elle en retire, mais elle voit seulement que Dieu aime souverainement la créature, et elle se plait à aimer ce qu'il aime. Nous [593] pouvons donc bien dire que le feu divin échauffe, éclaire et convertit en lui; et que dans ce feu, les trois puissances de l'âme s'accordent, la mémoire à retenir les bienfaits de Dieu, l'intelligence à comprendre sa bonté, et la volonté à l'aimer tellement, qu'elle ne peut rien aimer et désirer hors de lui, et que toutes ses opérations sont dirigées vers ce but. Elle ne cherche, et ne pense à faire autre chose que ce qui plaît le plus à son Créateur. Comme elle voit qu'aucun sacrifice ne lui est aussi agréable que de gagner et de sauver des âmes, elle ne peut jamais s'en rassasier. C'est surtout ce zèle et cette sollicitude que Dieu vous demande, mon Père, à vous et à ceux qui sont dans la même position. C'est la voie de Jésus crucifié, qui nous donnera toujours la lumière de la grâce; mais en suivant une autre voie, nous irons de ténèbres en ténèbres, pour tomber enfin dans la mort éternelle.
5. J'ai reçu, mon doux Père, votre lettre avec une grande joie et consolation, en pensant que vous n'oubliez pas une créature aussi vile et aussi misérable que moi. J'ai compris ce qu'elle disait; et pour répondre à la première des trois choses que vous demandez, au sujet de notre doux Christ de la terre, je crois et je pense. devant Dieu qu'il ferait bien surtout de réformer deux choses qui corrompent l'Epouse du Christ. La première est la trop grande affection et sollicitude pour les parents; il faudrait que cet abus cessât en tout et partout. La seconde est la trop grande douceur, fondée sur trop d'indulgence. Hélas! hélas! c'est la cause de la corruption des membres qu'on ne reprend pas! Notre Seigneur [594] a surtout en aversion trois vices détestables: l'impureté, l'avarice et l'orgueil, qui règnent dans l'Épouse du Christ, c'est-à-dire dans les prélats, qui ne recherchent autre chose que les plaisirs, les honneurs et les richesses; ils voient les démons de l'enfer emporter les âmes qui leur sont confiées, et ils ne s'en inquiètent pas, parce qu'ils sont des loups, et qu'ils trafiquent de la grâce divine. Il faudrait une forte justice pour les corriger, parce que la trop grande compassion est une très grande cruauté; mais il faut pour reprendre unir la justice à la miséricorde.
6. Je vous le dirai cependant, mon Père, j'espère de la bonté de Dieu, que l'abus de l'amour des parents commence à disparaître, grâce aux prières continuelles et aux efforts des serviteurs de Dieu qui s'en occupent. Je ne dis pas que l'Épouse du Christ ne soit persécutée; mais je crois qu'elle conservera sa beauté, comme cela doit être. Il faut qu'elle se débarrasse de tout ce qui l'ébranle jusque dans ses fondements, et ce sont ces abus que je veux vous voir combattre: il n'y a pas d'autre moyen. Quant à ce que vous dites de nos péchés, Dieu vous donne l'abondance de ses miséricordes. Vous savez que Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais il veut qu'il se convertisse, et qu'il vive (Ez 33, 11). Aussi moi, votre indigne petite fille, j'ai pris et je prendrai la dette de vos péchés sur moi, et nous brûlerons ensemble les vôtres et les miens dans le feu de la douce charité, qui les consumera. Espérez donc, et soyez persuadé que la grâce divine vous les a pardonnés. Réglez bien maintenant [595] votre vie, et que la vertu fasse naître l'amour crucifié que Dieu a eu pour vous. Choisissez plutôt la mort que l'offense de votre Créateur, et veillez à ce qu'il ne soit pas offensé par ceux qui vous sont confiés.
7. Enfin, pour l'autre point, lorsque je vous ai dit de travailler pour la sainte Eglise, je n'ai pas entendu parler seulement de la peine que vous vous donnez pour les choses temporelles: c'est bien, sans doute, mais vous devez surtout travailler avec le Saint-Père, et faire tous vos efforts pour éloigner de la bergerie, ces loups, ces démons incarnés, qui ne songent qu'à la bonne chère et à avoir des palais magnifiques et de beaux équipages. Hélas! Ce que le Christ a gagné sur le bois de la Croix se dépense en plaisirs coupables! Je vous en conjure, dussiez-vous exposer votre vie, dites au Saint-Père qu'il porte remède à tant d'iniquités. Quand viendra le moment de choisir des pasteurs et des cardinaux, qu'ils ne le soient pas pour des flatteries, de l'argent et par simonie; mais priez-le autant que possible de ne s'arrêter qu'à la vertu et à la bonne et sainte réputation des personnes, et qu'il ne regarde plus si elles sont nobles ou roturières. La vertu est la seule chose qui rende l'homme noble et agréable à Dieu. C'est ce travail, mon Père, que je vous ai recommandé, et que je vous recommande; les autres travaux sont bons, mais celui-là est le meilleur. Je finis. Pardonnez à ma présomption. Je me recommande à vous cent mille fois dans le Christ Jésus. N'oubliez pas les affaires de messire Antoine; et si vous avez occasion de voir l'Archevêque, recommandez-moi à lui autant que [596] vous le pourrez. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
LXXXVIII (42). - A MESSIRE NICOLAS, prieur de la province de Toscane. - Des armes de l'amour nécessaires pour combattre le vice et arriver à l'état de perfection où Dieu nous appelle.
(Ce messire Nicolas était prieur des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem en Toscane. Il avait sa résidence à Pise, et il occupa, on 1375, au nom de l'Église, la terre de Talamon, qui appartenait aux habitants de Sienne. La lettre de sainte Catherine est écrite dans les premiers mois de 1377.)
AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE.
1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un chevalier généreux, dépouillé de l'amour de vous-même et revêtu de l'amour divin. Le chevalier qui va combattre sur le champ de bataille doit être armé des armes de l'amour, qui sont les plus fortes. Il ne suffit pas que l'homme soit armé seulement d'une cuirasse et d'une cotte d'armes; car souvent, s'il n'avait pas les armes de l'amour et le désir d'obtenir l'honneur et la chose pour laquelle il combat, il arriverait qu'à la vue de l'ennemi il aurait peur et tournerait la tête en arrière. Il en est de même de l'âme qui commence à entrer sur le champ de bataille pour combattre les [597] le monde, le démon et sa propre sensualité: si elle ne s'arme pas de l'amour de la vertu, et si elle ne saisit pas le glaive de la haine et d'une conscience fondée sur l'amour divin, elle ne combattra jamais, et sera. vaincue comme une personne négligente qui n'a d'autre arme que sa sensualité, et qui s'endort volontairement dans le vice et le péché.
2. Les glorieuses armes de l'amour sauvent l'homme de la mort éternelle, lui donnent la lumière, le tirent des ténèbres et de la condition des bêtes, en lui rendant sa dignité. Celui qui vit dans le vice, le péché, la débauche, prend les habitudes et la forme des bêtes. La bête, qui n'a pas la raison, cède à ses appétits; de même l'homme qui se fait semblable aux bêtes perd la raison et se laisse conduire par les mouvements de la chair et par tous les appétits déréglés qu'il ressent; il met son plaisir à se livrer à la débauche, à bien boire, à bien manger et à jouir des délices, des vanités, des honneurs du monde, qui passent comme le vent. Celui-là n'est pas un vrai chevalier qui puisse s'exposer aux coups; car il se livre lui-même à la mort, en s'abaissant à la condition des bêtes.
3. Je ne veux pas qu'il en soit ainsi pour vous, mais je veux que vous soyez un homme ferme et courageux; et non seulement un homme, mais encore, en avançant dans la vertu et en combattant contre les vices, je veux que vous arriviez à l'état des anges, vous et votre compagnie, puisque Dieu vous y appelle. Vous savez que l'état de l'homme est l'état du mariage, tandis que vous êtes dans la condition des anges, vous et votre Ordre, comme les autres [598] religieux qui sont appelés à la continence. Il ne serait pas convenable, il serait même odieux à Dieu et abominable au monde que vous, qui êtes appelé à une plus grande perfection, et qui devez être non seulement au rang des hommes et des anges, mais au nombre des glorieux martyrs prêts à donner leur vie pour Jésus crucifié, vous vous abaissiez à la condition des bêtes. Ne serait-il pas honteux de souiller un si grand trésor dans une fange si vile et si méprisable? Marchez donc, sans crainte servile, aux deux combats que Dieu vous a destinés. Le premier est le combat général que doit soutenir toute créature raisonnable dès qu'elle peut discerner le vice de la vertu. Nous devons résister à nos ennemis, au démon, à la chair, à la sensualité, qui combattent toujours contre l'esprit (Gal 5,17). Il faut les vaincre avec l'amour de la vertu et la haine du vice. L'autre combat auquel la grâce vous appelle, et dont tous ne sont pas dignes, c'est celui où il faut marcher armé non seulement des armes corporelles, mais encore des armes spirituelles. Si vous n'avez pas les armes de l'amour, de l'honneur de Dieu et du désir de conquérir la cité des âmes de ces pauvres infidèles qui ne participent pas au sang de l'Agneau, vous ferez peu de conquêtes avec les armes matérielles.
4. Je veux donc, mon cher Père et mon Fils, que vous et toute votre compagnie, vous preniez pour objet de vos pensées Jésus crucifié, son doux et précieux sang, qui a été répandu avec tant d'ardeur et d'amour pour nous sauver de la mort et nous donner [599] la vie, afin que vous atteigniez le noble but que vous vous proposez; et que vous en receviez une grande récompense, c'est-à-dire le fruit de grâce et de vie, qui, par la grâce, nous fait arriver à la vie éternelle. Suivez l'exemple de cet Agneau immolé et consumé sur la Croix: il n'a pas craint pour lui la peine et la douleur; mais, avide de l'honneur de son Père et de notre salut, il s'en est nourri sur la table de la Croix. Il s'est passionné pour la gloire du Père éternel et pour le salut du genre humain, et il est demeuré ferme, constant, inébranlable au milieu des fatigues, des souffrances, des injures, des outrages, des affronts, malgré notre ingratitude, lorsqu'il voyait bien qu'il donnait sa vie pour des hommes qui ne reconnaîtraient jamais un si grand bienfait.
5. Notre Roi a fait comme un vrai chevalier qui reste sur le champ de bataille jusqu'à ca que ses ennemis soient vaincus; il s'est rassasié, et il a vaincu avec sa chair flagellée notre chair révoltée. Par l'humilité, qui lui a fait abaisser sa divinité jusqu'à l'homme, par ses souffrances et ses opprobres, il a vaincu l'orgueil, les plaisirs et les honneurs du monde; par sa sagesse, il a vaincu la malice du démon; ses mains désarmées, percées et clouées à la Croix, ont vaincu le prince du monde. Notre chevalier a monté sur le bois de la très sainte Croix (Pigliando per cavallo el legno della santissima Croce); il a pris pour cuirasse la chair de Marie, afin d'y recevoir les coups qui devaient réparer nos iniquités; le casque de sa tête est cette cruelle couronne d'épines qui pénétrait jusqu'à son cerveau; son épée [600] est cette blessure du côté, qui nous montre le secret de son coeur: c'est un glaive lumineux qui doit percer notre coeur et notre âme d'un ardent amour; c'est aussi le roseau qu'on lui a donné par dérision. Les gantelets de ses mains et les éperons de ses pieds sont les plaies vermeilles des mains et des pieds de ce doux et tendre Verbe. Et qui l'a ainsi armé? L'amour. Qui l'a tenu attaché et Cloué sur la Croix? Ce ne sont ni les clous, ni la Croix, ni la pierre, ni la terre où était plantée la Croix, qui étaient capables de retenir l'Homme-Dieu: c'était le lieu de l'amour de l'Honneur du Père, et de notre salut. Notre amour a été la pierre qui l'a élevé et fixé.
6. Quel coeur serait assez vil pour voir ce Capitaine, ce Chevalier à la fois mort et vainqueur, et ne pas surmonter sa faiblesse, ne pas devenir courageux contre ses adversaires? Non, il n'y en aura pas, car je vous dis de prendre pour modèle Jésus crucifié. Trempez votre tunique dans le sang de Jésus crucifié; c'est par lui que vous triompherez de vos premiers ennemis dans le premier combat dont je vous ai parlé, parce qu'il les a déjà vaincus pour nous, et il nous a délivrés de la servitude honteuse du démon. S'il veut nous attaquer, recourons sur-le-champ aux armes du Fils de Dieu. Dès que les vices seront morts dans votre âme, vous vous nourrirez et vous vous rassasierez de l'honneur de Dieu et du salut de votre prochain. Et cette faim que vous ressentirez vous fera suivre l'Agneau et rechercher cette douce proie, et vous l'aimerez tant, que pour l'avoir vous ne craindrez ni la peine, ni la mort, ni les malheurs qui pourraient arriver; vous ne vous lasserez pas [601], vous ne tournerez jamais la tête en arrière. Oh le glorieux combat, où le vaincu remporte la victoire et ne succombe jamais! Oui, que personne ne soit assez lâche pour fuir. Celui qui persévère triomphe toujours; il fait comme le Fils de Dieu, qui a lutté sur la Croix contre la mort; la vie a vaincu la mort, et la mort a vaincu la vie. En donnant la vie de son corps, il détruit la mort du péché; la mort a vaincu la mort, la mort a vaincu la vie, parce que le péché a été cause de la mort du Fils de Dieu. Oh! la belle lutte! le beau tournoi!
7. Vous êtes choisi pour faire la même chose sur la Croix du désir de l'honneur de Dieu et du salut des âmes infidèles; vous devez lutter contre la mort de l'infidélité avec la vie de la lumière de la foi. Si vous mourez, vous aurez la meilleure part; la mort vaincra la mort, comme le faisait le sang des martyrs, qui donnait la vie aux infidèles et aux cruels tyrans. Si vous triomphez sans répandre votre sang, vous vaincrez encore; Dieu, en ne permettant pas le sacrifice de votre vie, ne vous en donnera pas moins une victoire glorieuse. Mais elle ne sera pas glorieuse pour les pauvres insensés qui courent seulement après la fumée et leur propre intérêt. Ceux-là gagneront bien peu; ils donneront beaucoup pour un bien faible profit; ils donneront leur vie pour la misérable fumée du monde. Ceux-là recevront leur récompense dans cette vie passagère. Ils sont armés du vêtement de l'amour-propre; ce ne sont pas des hommes véritables, mais ce sont des hommes de vent, et ils changent comme la feuille, sans force et sans consistance, parce qu'ils n'ont pas pris pour modèle [602] Jésus crucifié, et qu'ils ne sont pas couverts des armes de la vie. Mon désir est que vous soyez de vrais chevaliers, vous et vos compagnons. C'est pour cela que je vous ai dit que je souhaitais vous voir combattre généreusement dans le glorieux champ de bataille. J'espère de l'infinie bonté de Dieu que vous accomplirez sa volonté; c'est là mon désir. Je ne vous en dis pas davantage. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié; cachez-vous dans ses très douces plaies, et prenez pour bouclier la très sainte Croix. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 84, A UN GRAND PRELAT